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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> IASIR v. BELGIUM - 21614/12 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Second Section)) French Text [2016] ECHR 120 (26 January 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/120.html
Cite as: [2016] ECHR 120

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE IASIR c. BELGIQUE

     

    (Requête no 21614/12)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    26 janvier 2016

     

     

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     

     

    En l’affaire Iasir c. Belgique,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Işıl Karakaş, présidente,
              Julia Laffranque,
              Paul Lemmens,
              Valeriu Griţco,
              Ksenija Turković,
              Stéphanie Mourou-Vikström,
              Georges Ravarani, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 janvier 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 21614/12) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant marocain, M. Hassan Iasir (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 mars 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me M. Neve, avocat à Liège. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice, assisté de Me S. Mary, avocat à Bruxelles.

    3.  Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit à la présomption d’innocence et de l’iniquité de la procédure pénale.

    4.  Le 6 mars 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1976 et est actuellement détenu à la prison d’Ittre.

    6.  Au cours de la nuit du 3 au 4 décembre 2007, le requérant, et ses deux co-accusés, N.C. et G.K., se rendirent à Lot à bord d’un véhicule de marque Volvo qu’ils avaient volé durant la nuit du 15 au 16 novembre 2007. Ils y tentèrent de voler une camionnette de marque Renault mais, suite à l’échec de leur projet, voulaient repartir à bord de la voiture Volvo. Comme cette dernière avait cependant une défaillance technique, ils ne pouvaient s’éloigner des lieux. Le requérant et N.C., cagoulés et armés, s’introduisirent alors dans la demeure de la famille S. afin d’y voler une voiture de marque Peugeot, ainsi qu’un trousseau en contenant les clés, pour quitter les lieux. Ils furent cependant découverts par I.S. et le requérant ou N.C. tira sur I.S. à l’aide d’un pistolet, le blessant grièvement et lui causant une incapacité permanente de travail.

    7.  Une patrouille de police - voiture dans laquelle K.V.N. avait pris place au siège passager - qui avait été alertée et qui venait inspecter la voiture Volvo, arriva au moment où le trio allait fuir dans la Peugeot. Soudainement, la vitre côté passager de la voiture de police se brisa et K.V.N. s’effondra. Elle décéda sur place.

    8.  L’expertise balistique et l’instruction judiciaire démontrèrent que la voiture de police avait été touchée par au moins seize balles tirées par G.K. à l’aide d’une arme de guerre afin de couvrir sa fuite et celle du requérant et de N.C. à bord du véhicule Peugeot utilisé par la famille S. et appartenant à la société L.

    9.  Dans la voiture Volvo furent retrouvés notamment un sac de sport contenant des tournevis, des pinces, des tenailles, un pied-de-biche et un rouleau de tape, ainsi que deux gilets pare-balles, deux talkies-walkies, une arme de guerre et deux chargeurs de munitions collés l’un à l’autre par du tape. L’ADN nucléaire du requérant fut déterminée dans l’empreinte ADN mixte trouvée sur une pince à tête plate et sur la fermeture velcro d’un gilet pare-balles. Par ailleurs, quatre cheveux ou poils présentant un profil correspondant au requérant furent retrouvés au niveau de la place conducteur et dans le coffre du véhicule Volvo. L’ADN de G.K. et de N.C. fut aussi mis en exergue sur des objets contenus dans le sac de sport susmentionné. L’ADN du requérant et de N.C. fut encore retrouvée sur des objets situés dans le coffre dudit véhicule, et l’ADN de G.K. sur les ceintures de sécurité localisées à l’avant et à l’arrière droite de cette même voiture. Enfin, l’instruction releva de nombreux contacts téléphoniques entre le requérant, G.K. et N.C. avant les faits, mais aucun appel durant les faits, et que les trois prévenus avaient quitté la Belgique le 6 décembre 2007.

    10.  Par arrêt du 25 mars 2010 de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, le requérant, N.C. et G.K. furent renvoyés devant la cour d’assises de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale notamment pour ces faits.

    11.  Parmi les questions formulées par le président de la cour d’assises à l’attention du jury figuraient les questions suivantes :

    « Question no 56 (Principale)

    Pour avoir,

    - soit exécuté l’infraction décrite ci-dessous ou coopéré directement à son exécution,

    - soit, par un fait quelconque, prêté pour son exécution une aide telle que, sans son assistance, l’infraction n’eût pu être commise,

    - soit, par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, directement provoqué à l’infraction,

    [Le requérant] est-il coupable d’avoir dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, la nuit du 3 au 4 décembre 2007, frauduleusement soustrait divers objets mobiliers dont, notamment un véhicule de marque Peugeot [...] qui ne lui appartenait pas, au préjudice de [la société L.] ? »

    « Question no 58 (Accessoire à la question no 56 et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a été répondu affirmativement à la question no 56)

    [Le requérant] a-t-il perpétré la soustraction frauduleuse décrite à la question no 56 avec la circonstance que celle-ci a été commise à l’aide de violences ou de menaces ? »

    « Question no 66 (Accessoire aux questions nos 56 et 58 et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a été répondu affirmativement aux questions nos 56 et 58)

    [Le requérant] a-t-il perpétré la soustraction frauduleuse décrite à la question no 56 et précisée à la question no 58 avec la circonstance qu’un homicide a été commis volontairement et avec intention de donner la mort sur la personne de [K.V.N], soit pour faciliter le vol, soit pour en assurer l’impunité ? »

    « Question no 89 (Principale)

    Pour avoir,

    - soit exécuté l’infraction décrite ci-dessous ou coopéré directement à son exécution,

    - soit, par un fait quelconque, prêté pour son exécution une aide telle que, sans son assistance, l’infraction n’eût pu être commise,

    - soit, par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, directement provoqué à l’infraction,

    [Le requérant] est-il coupable d’avoir dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, la nuit du 3 au 4 décembre 2007, frauduleusement soustrait divers objets mobiliers dont, notamment, un trousseau de clés [...] qui ne lui appartenait pas, au préjudice de [la famille S.] ? »

    « Question no 91 (Accessoire à la question no 89 et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a été répondu affirmativement à la question no 89)

    [Le requérant] a-t-il perpétré la soustraction frauduleuse décrite à la question no 89 avec la circonstance que celle-ci a été commise à l’aide de violences ou de menaces ? »

    « Question no 99 (Accessoire aux questions nos 89 et 91 et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a été répondu affirmativement aux questions nos 89 et 91)

    [Le requérant] a-t-il perpétré la soustraction frauduleuse décrite à la question no 89 et précisée à la question no 91 avec la circonstance qu’un homicide a été commis volontairement et avec intention de donner la mort sur la personne de [K.V.N], soit pour faciliter le vol, soit pour en assurer l’impunité ? »

    12.  Par arrêt de motivation du 11 avril 2011, la cour d’assises déclara le requérant coupable notamment d’avoir, en qualité d’auteur, la nuit du 3 au 4 décembre 2007, commis des vols à l’aide de violences ou de menaces, avec entre autres la circonstance que sur la personne de la policière K.V.N. a été volontairement commis un homicide avec intention de donner la mort, soit pour faciliter le vol, soit pour en assurer l’impunité (article 475 du code pénal).

    13.  Après avoir noté que le requérant et N.C. étaient sortis de la maison de la famille S., où ils venaient de commettre le vol qualifié en question du trousseau de clés et de la voiture Peugeot, la cour d’assises releva que G.K. tira sur la voiture de police qui arrivait sur les lieux, tuant K.V.N. et blessant grièvement le deuxième policier présent dans la voiture.

    14.  La cour d’assises conclut tout d’abord qu’il ne saurait y avoir de doute quant au caractère volontaire des coups de feu et à l’intention de tuer de G.K., le flanc droit du véhicule de police ayant été atteint par au moins seize impacts de balles primaires tirés à une distance de cinq mètres à l’aide d’une arme de guerre automatique. Elle poursuivit en ces termes :

    « La circonstance aggravante de meurtre pour faciliter le vol doit également être imputée respectivement [à N.C. et au requérant] dans la mesure où, étant sur les lieux avec une voiture volée, gantés, cagoulés et lourdement armés, ils avaient conscience que cette circonstance constituait un élément ou une suite prévisible de la commission de l’infraction et que malgré cette connaissance, ils ne se sont à aucun moment désolidarisés du tireur et ont persisté dans la volonté de s’associer au vol qu’ils avaient prévu de commettre. La nature des armes emportées en connaissance de cause par les trois accusés ne peut laisser aucun doute quant à la connaissance du risque de causer la mort de quelqu’un et l’acceptation de cette possibilité. »

    15.  La cour d’assises fixa la peine par un arrêt du 12 avril 2011 et condamna le requérant à trente ans de réclusion.

    16.  Le requérant se pourvut en cassation et invoqua notamment la violation l’article 6 §§1 et 2 de la Convention. Il reprocha à la cour d’assises de l’avoir déclaré coupable de meurtre pour faciliter le vol, en qualité d’auteur ou de co-auteur, en raison de sa « connaissance du risque de causer la mort de quelqu’un et de l’acceptation de cette possibilité », alors que sa passivité ne pouvait justifier légalement sa condamnation sur base de l’article 66 du code pénal.

    17.  Par arrêt du 12 octobre 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant en ces termes :

    « Le jury a relevé que la circonstance aggravante de meurtre devait être retenue à charge du demandeur dans la mesure où, étant sur les lieux avec une voiture volée, ganté, cagoulé et lourdement armé, il avait conscience que cette circonstance constituait un élément ou une suite prévisible de la commission de l’infraction et que, malgré cette connaissance, il ne s’est à aucun moment désolidarisé du tireur et a persisté dans sa volonté de s’associer au vol qu’ils avaient prévu de commettre.

    Par ces considérations, l’arrêt motive régulièrement et justifie légalement sa décision que le demandeur s’est rendu coupable de cette prévention en qualité d’auteur ou co-auteur, pour avoir coopéré directement à son exécution. »

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    18.  Le code pénal, tel qu’en vigueur au moment des faits, disposait en ses parties pertinentes ce qui suit :

     

    Article 66

    « Seront punis comme auteurs d’un crime ou d’un délit :

    Ceux qui l’auront exécuté ou qui auront coopéré directement à son exécution;

    Ceux qui, par un fait quelconque, auront prêté pour l’exécution une aide telle que, sans leur assistance, le crime ou le délit n’eût pu être commis;

    Ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, auront directement provoqué à ce crime ou à ce délit;

    Ceux qui, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publics, soit par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques, qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposes aux regards du public, auront provoqué directement à le commettre, sans préjudice des peines portées par la loi contre les auteurs de provocations à des crimes ou à des délits, même dans le cas où ces provocations n’ont pas été suivies d’effet. »

    Article 67

    « Seront punis comme complices d’un crime ou d’un délit :

    Ceux qui auront donné des instructions pour le commettre;

    Ceux qui auront procuré des armes, des instruments, ou tout autre moyen qui a servi au crime ou au délit, sachant qu’ils devaient y servir;

    Ceux qui, hors le cas prévu par le § 3 de l’article 66, auront, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs du crime ou du délit dans les faits qui l’ont préparé ou facilité, ou dans ceux qui l’ont consommé. »

    Article 468

    « Quiconque aura commis un vol à l’aide de violences ou de menaces sera puni de la réclusion de cinq ans à dix ans. »

    Article 471

    « Dans les cas prévus aux articles 468, 469 et 470 la peine sera celle de la réclusion de dix ans à quinze ans :

    si l’infraction a été commise avec effraction, escalade ou fausses clés;

    [...]

    si l’infraction a été commise la nuit;

    si l’infraction a été commise par deux ou plusieurs personnes;

    si le coupable a utilisé un véhicule ou tout autre engin motorisé ou non pour faciliter l’infraction ou pour assurer sa fuite. »

     

     

    Article 472

    « Dans les cas prévus aux articles 468, 469 et 470 la peine sera celle de la réclusion de quinze ans à vingt ans :

    si l’infraction a été commise avec deux des circonstances mentionnées à l’article 471;

    si des armes ou des objets qui y ressemblent ont été employés ou montrés, ou si le coupable a fait croire qu’il était armé;

    si, pour faciliter l’infraction ou pour assurer sa fuite, le coupable a utilisé un véhicule ou tout autre engin motorisé ou non, obtenu à l’aide d’un crime ou d’un délit;

    [...]. »

    Article 474

    « Si les violences ou les menaces exercées sans intention de donner la mort l’ont pourtant causée, les coupables seront condamnés à la réclusion de vingt à trente ans. »

    Article 475

    « Le meurtre commis pour faciliter le vol ou l’extorsion, soit pour en assurer l’impunité, sera puni de la réclusion à perpétuité. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

    19.  Le requérant allègue que sa condamnation pour la circonstance aggravante réelle de meurtre commis pour faciliter le vol a violé sa présomption d’innocence telle que prévu par l’article 6 § 2 de la Convention, ainsi libellé :

    « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

    20.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    21.   La Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. La Cour la déclare dès lors recevable.

    B.  Sur le fond

    22.  Le requérant se plaint que la cour d’assises a retenu à son égard la circonstance aggravante de meurtre au motif qu’il avait eu connaissance du risque de causer la mort d’un tiers et accepté cette possibilité, et dès lors sans spécifier l’intention de tuer dans son chef. Il estime par ailleurs que la connaissance et l’acceptation du risque de causer la mort ne sont par ailleurs pas un mode de participation criminelle tels qu’organisés par les articles 66 et 67 du code pénal belge.

    23.  Le requérant expose que la situation doit être distinguée des circonstances de l’affaire Haxhishabani c. Luxembourg (no 52131/07, 20 janvier 2011). À la différence du droit luxembourgeois, le droit belge connaît, pour le vol, la circonstance aggravante réelle de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. En outre, les crimes sont jugés en Belgique par un jury populaire et non par un tribunal composé exclusivement de magistrats professionnels.

    24.  Le Gouvernement affirme quant à lui que la jurisprudence belge a consacré la participation par abstention et que le requérant a été retenu coupable de cette forme de participation criminelle. La cour d’assises a procédé à une analyse minutieuse et individualisée des éléments de fait pour arriver, sur base d’un faisceau d’indices, à la conclusion que l’intention de tuer doit être retenue à l’encontre du requérant. Il n’y a dès lors eu aucune imputation automatique de la circonstance aggravante de meurtre dans le chef du requérant.

    25.  La Cour rappelle d’emblée qu’elle n’a pas à connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I), et qu’il appartient au juge national de trancher les problèmes d’interprétation et d’application de la législation interne (X c. Lettonie [GC], no 27853/09, § 62, CEDH 2013).

    26.  La Cour est d’avis que l’application qui a été faite par les juridictions internes des dispositions du code pénal concernant la participation de plusieurs personnes au même délit n’est pas arbitraire ou manifestement déraisonnable. Pour le reste, il ne lui appartient pas de se prononcer sur le contenu du droit pénal belge dans la mesure où il admet l’existence de la circonstance aggravante de meurtre du fait de la « participation par abstention » d’une personne à un meurtre commis par une autre personne.

    27.  La Cour note ensuite que dans l’affaire Haxhishabani, précitée (§§ 22, 34 et 40), le requérant se plaignait que les juges du fond ne s’étaient pas prononcés sur son implication individuelle dans la circonstance aggravante réelle de meurtre, mais avaient appliqué la théorie de l’emprunt matériel de criminalité et automatiquement répercuté sur lui la circonstance aggravante sans retenir les éléments matériel et moral du meurtre dans son chef et donc sans démontrer qu’il ait volontairement et consciemment participé au meurtre. Dans cette affaire, les juges du fond avaient souligné qu’il n’existait aucune preuve que le requérant ait participé matériellement au meurtre de la victime et avaient qualifié la circonstance aggravante de meurtre d’objective. Leur analyse n’avait toutefois pas abouti à imputer automatiquement cette circonstance aggravante au requérant. Les juges du fond avaient en effet examiné, avec la plus grande attention et sur la base des éléments contradictoirement débattus devant eux, le comportement du requérant et le rôle joué par lui. La Cour avait donc considéré qu’ils avaient ainsi subjectivisé la circonstance aggravante du meurtre, venant à la conclusion que le requérant était coauteur des faits ayant entraîné la mort de la victime.

    28.  En l’espèce, la Cour constate que la cour d’assises n’a pas qualifié la circonstance aggravante de meurtre d’objective, mais a motivé l’application de cette circonstance aggravante au requérant. La question qui se pose est par conséquent de savoir si, par cette motivation, la cour d’assises a suffisamment analysé la circonstance aggravante et l’intention de tuer dans le chef du requérant.

    29.  À l’instar de ce qu’elle avait considéré dans l’affaire Haxhishabani, précitée (§ 37), la Cour estime en l’espèce que la manière dont les éléments constitutifs de la circonstance aggravante réelle de meurtre furent appliqués au requérant est une déduction assimilable à une « présomption » en matière pénale. En effet, même si le requérant n’a pas personnellement commis le meurtre pour faciliter le vol, cette circonstance aggravante réelle a été retenue à son encontre.

    30.  La Cour rappelle que la Convention ne prohibe pas les présomptions de fait ou de droit en matière pénale. Elle oblige néanmoins les États « à ne pas dépasser à cet égard un certain seuil » : ils doivent « les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense » (Salabiaku c. France, 7 octobre 1988, § 28, série A no 141-A ; Radio France et autres c. France, no53984/00, § 24, CEDH 2004-II, et Haxhishabani, précité, § 38).

    31.  La cour d’assises a déduit de l’analyse des faits de l’espèce (voir paragraphes 13 et 14 ci-dessus) que le requérant n’était pas matériellement intervenu dans le meurtre de la policière. Elle a ensuite conclu que, dans la mesure où le requérant était sur les lieux avec une voiture volée, ganté, cagoulé et lourdement armé, il avait conscience que la circonstance aggravante de meurtre constituait un élément ou une suite prévisible de l’infraction principale de vol et que malgré cela, il ne s’était à aucun moment désolidarisé du co-accusé G.K., qui avait tiré les coups de feu mortels, mais avait persisté dans la volonté de s’associer au vol qu’il avait prévu de commettre ensemble avec ses co-accusés. La cour d’assises précisa que la nature des armes emportées en connaissance de cause par les trois accusés ne pouvait laisser aucun doute quant à la connaissance du risque de causer la mort d’un tiers et l’acceptation de cette possibilité.

    32.  La Cour considère dès lors que la cour d’assises a analysé avec suffisamment de soin l’élément intentionnel au niveau de la circonstance aggravante de meurtre dans le chef du requérant. Certes, il n’existait aucune preuve que le requérant ait participé matériellement au meurtre de la victime. Il n’en demeure pas moins que la cour d’assises a examiné, sur la base des éléments contradictoirement débattus devant elle, le comportement du requérant et le rôle joué par lui avant, pendant et après les faits ayant entraîné la mort de K.V.N. La cour d’assises a dès lors valablement pu retenir que le requérant avait envisagé et accepté que des tiers perdent leur vie et s’était de ce fait rendu coupable de la circonstance aggravante réelle de meurtre.

    33.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    34.  Le requérant allègue que sa condamnation pour la circonstance aggravante réelle de meurtre commis pour faciliter le vol a violé son droit à un procès équitable tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ».

    35.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    36.  Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il reproche au requérant de ne pas avoir requis devant la cour d’assises la formulation d’une question subsidiaire pour savoir s’il s’était le cas échéant rendu coupable de la circonstance aggravante réelle de coups et blessures volontaires ayant causé la mort sans intention de la donner, et non de meurtre.

    37.  La Cour constate que le requérant a, dans le cadre de son pourvoi en cassation, invoqué l’article 6 § 1 de la Convention (voir paragraphe 16 ci-dessus) et mis en cause la motivation de sa condamnation du chef de la circonstance aggravante réelle de meurtre. Le requérant a dès lors épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

    38.  Constatant que cette partie de la requête ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    39.  Le requérant se plaint que la cour d’assises ne se soit pas prononcée sur son implication individuelle dans le meurtre et l’a retenu dans les liens de la circonstance aggravante réelle sans constater dans son chef l’intention de donner la mort ou à tout le moins la connaissance de ce que le tireur était animé de cette intention. Il admet que si la cour d’assises a pris soin d’individualiser les questions relatives à la circonstance aggravante de meurtre et de motiver le verdict de culpabilité, elle a condamné le requérant et N.C., un des co-accusés, sur base d’une motivation unique et identique.

    40.  Le Gouvernement affirme que les questions portant sur la circonstance aggravante réelle de meurtre ont été individualisées pour chaque accusé et que la cour d’assises a exposé les motifs permettant au requérant de comprendre le verdict du jury le déclarant coupable de la circonstance aggravante réelle de meurtre.

    41.  La Cour constate que le grief tiré de l’article 6 § 1 recoupe celui tiré de l’article 6 § 2 et qu’elle a analysé la question de la motivation de l’implication individuelle du requérant dans la circonstance aggravante réelle de meurtre sous l’angle de la présomption d’innocence (paragraphes 31 et 32 ci-dessus). La Cour estime que par sa motivation (paragraphe 31 ci-dessus), la cour d’assises s’est suffisamment prononcée sur l’implication individuelle du requérant dans la circonstance aggravante réelle de meurtre et a valablement pu constater qu’il avait envisagé et accepté que des tiers soient tués. La cour d’assises a dès lors exposé avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels elle s’est fondée (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 91, CEDH 2010) pour retenir le requérant dans les liens de la circonstance aggravante réelle de meurtre. Pour le surplus, l’examen du dossier ne révèle nul manquement aux diverses exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Haxhishabani, précité, § 49).

    42.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare, la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

     

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 janvier 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Stanley Naismith                                                                     Işıl Karakaş
            Greffier                                                                              Présidente

     


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