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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GEORGAKIS v. GREECE - 40279/14 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section Committee)) French Text [2016] ECHR 15 (07 January 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/15.html Cite as: [2016] ECHR 15 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE GEORGAKIS c. GRÈCE
(Requête no 40279/14)
ARRÊT
STRASBOURG
7 janvier 2016
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Georgakis c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :
Ledi Bianku, président,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Armen Harutyunyan, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 décembre 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Andreas Georgakis (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 mai 2014 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me N. Anagnostopoulos, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Apessos, Président du Conseil juridique de l’État.
3. Le 14 novembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
A. Les circonstances de l’espèce
4. Le requérant est né en 1946 et habite à Preveza.
5. Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers.
6. Le 2 juillet 2002, le requérant, retraité de l’armée, saisit la Comptabilité générale de l’État (Γεvικό Λoγιστήριo τoυ Κράτoυς) d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite conformément aux dispositions de ces lois.
7. Le 17 décembre 2002, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande.
8. Le 16 février 2004, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
9. Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit le 7 juillet 2004 la Cour des comptes d’un recours contre le rejet tacite de sa demande.
10. Entretemps, à une date non précisée en 2005 le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État rejeta l’opposition du requérant datée du 16 février 2004 (décision no 1839/2005).
11. Le 16 janvier 2009, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 121/2009).
12. Le 6 avril 2010, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 121/2009.
13. Le 5 juillet 2013, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 3166/2013). L’arrêt fut notifié au requérant le 6 décembre 2013.
B. Le droit interne pertinent
14. La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose :
« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ».
EN DROIT
I. LA DÉCLARATION UNILATÉRALE DU GOUVERNEMENT DÉFENDEUR ET LA DEMANDE DE RAYER LA REQUÊTE DU RÔLE EN APPLICATION DE L’ARTICLE 37 DE LA CONVENTION
15. Le 9 mars 2015, le Gouvernement a présenté une déclaration unilatérale et invité la Cour à rayer la requête du rôle en application de l’article 37 de la Convention.
16. Le requérant a indiqué qu’il n’était pas satisfait des termes de la déclaration unilatérale, mettant en cause le montant du dédommagement proposé par le Gouvernement.
17. La Cour estime que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive. Ce seront toutefois les circonstances particulières de la cause qui permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de l’affaire (voir Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, § 75, CEDH 2004-III, et Melnic c. République de Moldova, no 6923/03, § 22, 14 novembre 2006).
18. La Cour rappelle en outre qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, § 72, 28 novembre 2002). La Cour a décidé que la même approche devait être suivie lorsqu’un Gouvernement cherche à obtenir la radiation du rôle d’une requête par le biais d’une déclaration unilatérale (Decev c. République de Moldova (no 2), no 7365/05, § 18, 24 février 2009).
19. La Cour a examiné les termes de la déclaration unilatérale du Gouvernement. À la lumière des circonstances particulières de l’affaire et en particulier du fait que le montant du dédommagement offert est considérablement inférieur aux sommes octroyées dans des affaires similaires, elle est d’avis que la déclaration n’offre pas une base suffisante pour considérer qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de l’affaire.
20. En conclusion, elle rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de la requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention et va en conséquence poursuivre l’examen de la recevabilité et du fond de l’affaire.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
21. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
22. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Période à prendre en considération
23. La Cour note que le requérant, avant de saisir la Cour des comptes, a introduit un recours devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État. Ledit recours était une démarche indispensable afin qu’il soit possible de saisir la Cour des comptes. À cet égard, la Cour rappelle que, lorsqu’en vertu de la législation nationale, un requérant doit épuiser une procédure administrative préalable avant d’avoir recours à un tribunal, la procédure devant l’organe administratif doit être incluse dans le calcul de la longueur de la procédure civile aux fins de l’application de l’article 6 (voir en ce sens, Paskhalidis et autres c. Grèce, 19 mars 1997, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, et Ichtigiaroglou c. Grèce, no 12045/06, § 38, 19 juin 2008). Dès lors, la date à laquelle le requérant a introduit ledit recours doit être considérée comme le début de la procédure.
24. En l’espèce, la période à considérer a débuté le 16 février 2004, avec l’opposition formée par le requérant et a pris fin le 5 juillet 2013, date à laquelle l’arrêt no 3166/2013 de la formation plénière de la Cour des comptes a été publié. Elle a donc duré neuf ans et cinq mois environ pour trois instances.
2. Durée raisonnable de la procédure
25. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Mavredaki c. Grèce, no 10966/10, 24 octobre 2013).
26. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Mavredaki, précité).
27. Elle note que la présente affaire ne présentait aucune complexité. Qui plus est, la Cour ne relève aucun élément de nature à mettre en cause la responsabilité du requérant dans l’allongement de la procédure. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
28. Partant, il y a violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
29. Le requérant se plaint également du fait qu’en Grèce il n’existe aucun recours pour se plaindre de la durée excessive de la procédure en cause. Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles »
A. Sur la recevabilité
30. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
31. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI).
32. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (voir Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, § 34, 21 décembre 2010, et Glykantzi c. Grèce, no 40150/09, § 54, 30 octobre 2012 et les références qui s’y trouvent citées).
33. La Cour note que le 20 février 2014 est entrée en vigueur la loi no 4239/2014, portant sur la satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable d’une procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes. En vertu de la loi précitée, un nouveau recours a été établi permettant aux intéressés de se plaindre de la durée de chaque instance d’une procédure devant la Cour des comptes dans un délai de six mois à partir de la date de publication de la décision y relative (voir paragraphe 14 ci-dessus). Cependant, la Cour observe que cette loi n’a pas d’effet rétroactif. Par conséquent, elle ne prévoit pas un tel recours pour les affaires terminées six mois avant son entrée en vigueur. Partant, le requérant ne pouvait pas exercer ledit recours.
34. En l’espèce, l’arrêt no 3166/2013 de la formation plénière de la Cour des comptes a été publié le 5 juillet 2013, à savoir plus de six mois avant l’entrée en vigueur de la loi no 4239/2014. Il s’ensuit que le requérant ne pouvait pas exercer ledit recours. Dès lors, la Cour estime qu’il y a violation de l’article 13 de la Convention en raison, à l’époque des faits, de l’absence en droit interne d’un recours qui aurait permis au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
35. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
36. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral. Il réclame également 1 000 euros (EUR) pour frais et dépens devant la Cour, ainsi que 1 000 euros (EUR) pour frais et dépens devant les tribunaux internes. Le requérant ne soumet aucun justificatif y relatif.
37. Le Gouvernement n’a pas pris position à cet égard.
38. La Cour estime qu’il y a lieu d’accorder au requérant 3 900 euros (EUR) au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d’impôt.
39. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et les frais et dépens sollicités devant les juridictions internes et rejette cette demande. En ce qui concerne les frais exposés pour les besoins de la représentation du requérant devant elle, compte tenu de l’absence de tout justificatif valable de la part du requérant et de sa jurisprudence en la matière, la Cour rejette la demande à ce titre.
40. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Rejette la déclaration unilatérale du Gouvernement et sa demande de radier la requête du rôle ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 3 900 euros (trois mille neuf cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 janvier 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
André Wampach Ledi
Bianku
Greffier adjoint Président