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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> RYWIN v. POLAND - 6091/06 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section)) French Text [2016] ECHR 195 (18 February 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/195.html
Cite as: [2016] ECHR 195

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE RYWIN c. POLOGNE

     

    (Requêtes nos 6091/06, 4047/07 et 4070/07)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    18 février 2016

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Rywin c. Pologne,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
              Ledi Bianku,
              Kristina Pardalos,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Paul Mahoney,
              Aleš Pejchal,
              Paweł Wiliński, juges,
    et d’André Wampach, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 janvier 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve les requêtes (nos 6091/06, 4047/07 et 4070/07) dirigées contre la République de Pologne et dont un ressortissant, M. Lew Rywin (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er février 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Mes W. Tomczyk, avocat à Varsovie, et J. Mc Bride, avocat établi à Londres. Le 22 août 2013, Me Mc Bride a informé la Cour qu’en raison du décès du Me Tomczyk, il était désormais le seul représentant du requérant. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. J. Wołąsiewicz, puis Mme J. Chrzanowska, tous deux du ministère des Affaires étrangères.

    3.  M. L. Garlicki, juge élu au titre de la Pologne, a été empêché de siéger dans l’affaire (article 28 du règlement de la Cour). Le Gouvernement a en conséquence désigné M. P. Wilczyński pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement tel qu’en vigueur à l’époque).

    4.  Le requérant se plaignait, entre autres :

    - sur le terrain de l’article 3 de la Convention, d’avoir été incarcéré en dépit de son état de santé et de ne pas avoir reçus des soins appropriés en milieu carcéral ;

    - sur le terrain de l’article 6 de la Convention, du fait que son procès ait eu lieu en parallèle de travaux d’une commission d’enquête parlementaire bénéficiant d’une large couverture médiatique, ce qui aurait notamment porté atteinte à sa présomption d’innocence ainsi qu’à l’indépendance et à l’impartialité du tribunal.

    5.  Le 27 avril 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond. Le même jour, la chambre a décidé de joindre les trois requêtes.

    6.  Des observations ont été reçues de la Commission de Venise que la présidente avait invitée à intervenir dans la procédure écrite (article 44 § 3 (a) du règlement).

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    7.  Le requérant est né en 1945 et réside à Konstancin Jeziorna.

    8.  Le 27 décembre 2002, la Gazeta Wyborcza - grand quotidien national - publia un article intitulé : « Une loi en contrepartie d’un pot-de-vin : quand Rywin se rend chez Michnik » (Ustawa za łapówke, czyli przychodzi Rywin do Michnika).

    L’article traitait de la corruption à l’occasion de travaux législatifs tendant à l’adoption d’une modification de la loi sur l’audiovisuel. Selon l’article, en juillet 2002, Lew Rywin (le requérant), célèbre producteur de cinéma, aurait fait aux représentants d’Agora S.A., société éditrice de la Gazeta Wyborcza, une proposition visant à les corrompre. Le requérant aurait agi en étant commandité par un supposé « groupe détenant le pouvoir » (grupa trzymająca władze), auquel auraient appartenu certains hauts membres de l’appareil d’État, dont le Premier ministre. Plus particulièrement, le requérant aurait offert aux représentants d’Agora son aide pour amender la loi sur l’audiovisuel de façon à permettre à ladite société d’acheter la chaîne de télévision privée Polsat, en échange de certains avantages, dont : le versement d’une somme de 17,5 millions de dollars américains (USD), sa nomination au poste du président de la chaîne Polsat, et la promesse d’une renonciation de la Gazeta Wyborcza à publier des écrits critiques à l’égard du gouvernement. La proposition susmentionnée aurait été émise par le requérant au cours d’un entretien avec Adam Michnik, rédacteur en chef de la Gazeta Wyborcza. L’entretien en cause avait été enregistré par ce dernier avant d’être retranscrit dans l’article publié par son journal.

    A.  Les poursuites contre le requérant, les travaux de la commission d’enquête parlementaire et leur couverture médiatique

    9.  À la suite de la révélation de l’affaire par la presse, le 31 décembre 2002, le parquet d’appel de Varsovie engagea des poursuites contre le requérant pour trafic d’influence (przestępstwo płatnej protekcji), infraction réprimée par l’article 230 du code pénal.

    10.  Le 10 janvier 2003, la Diète (Sejm) - chambre basse du Parlement - adopta une résolution (uchwała) créant une commission parlementaire d’enquête (« la commission »). Selon les termes de cette résolution, la commission fut constituée pour :

    « 1) enquêter sur les circonstances autour de la tentative d’extorsion par Lew Rywin d’avantages financiers et politiques en échange de son action visant à empêcher une révision de la loi sur l’audiovisuel défavorable aux médias privés et à garantir que le Conseil de l’audiovisuel statue de manière favorable pour ces derniers, et déterminer l’identité des personnes susceptibles d’avoir engagé ces démarches, révélées par la Gazeta Wyborcza et par d’autres médias ;

    2) examiner, à la lumière des circonstances mentionnées au paragraphe 1, la procédure parlementaire de révision de la loi sur l’audiovisuel ;

    3) examiner la question de savoir si la façon dont les autorités ont réagi aux révélations médiatiques concernant l’affaire susmentionnée au point 1 a[vait] été régulière.

    La résolution prévoyait que les séances de la commission seraient tenues publiquement, sauf en cas de disposition contraire des lois ou du règlement de la Diète. »

    11.  Le 14 janvier 2003, la commission, composée de dix députés, entama ses travaux.

    12.  Le même jour, le parquet entendit le requérant et lui notifia le chef d’inculpation retenu à son encontre. Le requérant fut contraint de présenter une garantie sous la forme d’une hypothèque immobilière et se vit saisir son passeport.

    13.  Le 23 février 2003 parut le numéro 8 de l’hebdomadaire Wprost, avec en couverture un photomontage où figurait l’image du requérant : la tête de ce dernier émergeait d’une cuvette de toilettes alors que trois mains de personnes inconnues appuyaient sur le bouton de la chasse d’eau. Le photomontage était accompagné de l’inscription suivante : « Combien d’hommes au pouvoir Rywin fera-t-il tomber avec lui ? » (Ilu ludzi wladzy pociagnie za soba Rywin ?). À l’intérieur du même numéro de l’hebdomadaire Wprost était publié un article intitulé « La Rywinothérapie » (Rywinoterapia), traitant de la corruption en Pologne.

    14.  À la suite de cette publication, le requérant engagea contre l’hebdomadaire Wprost une action en protection de sa réputation, se plaignant d’une atteinte à son droit d’être présumé innocent.

    Le 25 juin 2003, le tribunal régional de Varsovie rejeta l’action du requérant, en relevant notamment :

    « Jusqu’à l’adoption du jugement définitif de condamnation, le plaignant doit être traité comme étant présumé innocent. Il n’en reste pas moins qu’il avait été inculpé d’infractions précises, que l’acte d’accusation le concernant avait été déposé et que l’affaire est examinée par la commission d’enquête parlementaire. Il est important de souligner que le public a été informé du [sic] “groupe détenant le pouvoir”. Dans cette situation, les journalistes avaient non seulement le droit mais aussi le devoir, en vertu de la loi sur la presse, de poser des questions sur des personnalités au pouvoir mêlées à l’affaire (...)

    De l’avis du tribunal, l’image du plaignant était largement connue du public dans le contexte de “l’affaire Rywin” avant même que l’article soit publié. L’image de Lew Rywin est apparue à plusieurs reprises dans les médias en rapport avec cette affaire. Le plaignant a été entendu par la commission parlementaire d’enquête lors de séances retransmises par la télévision. Compte tenu de ce contexte, la publication par l’hebdomadaire Wprost de l’image du requérant n’a pas porté atteinte à sa réputation.

    (...)

    Ce qui importe en l’espèce, c’est le fait que la couverture ne contient pas d’éléments de nature à préjuger de la culpabilité du plaignant dans [ce qu’il est convenu d’appeler] l’affaire “Rywin”. Selon le tribunal, cette couverture peut être perçue par les lecteurs comme une [simple] indication que le plaignant a pu être mêlé à l’affaire. L’implication du plaignant dans cette affaire dont le public était amplement informé avant la publication incriminée n’est pas imputable à celle-ci. (...)

     La gravité de la corruption justifiait en l’espèce le recours à des expressions cinglantes et à des symboles très expressifs. (...) La corruption est tellement dangereuse et blâmable que le fait de la représenter en utilisant comme symbole une cuvette de toilettes n’est pas une exagération (...) L’image où la tête du plaignant émerge de la cuvette de toilettes, symbole de corruption, signifie seulement qu’il peut être impliqué dans l’affaire et que l’élucidation de celle-ci peut conduire à l’établissement de l’identité d’autres personnalités impliquées (...) »

    15.  Entre-temps, l’enquête pénale et les travaux de la commission se poursuivirent. Ces derniers s’étendirent sur toute l’année 2003 et jusqu’au 5 avril 2004, date à laquelle eut lieu la dernière séance de la commission.

    Les séances tenues par la commission entre le 8 février et le 21 novembre 2003 furent consacrées aux auditions des témoins, tels que les dirigeants d’Agora, les agents de l’administration gouvernementale, à commencer par le Premier ministre, les journalistes, les membres du parquet de Varsovie et les hommes d’affaires représentant les médias. Le requérant, qui s’était présenté devant la commission à la séance du 22 février 2003, refusa de répondre à l’ensemble de ses questions. Les séances tenues par la commission furent publiques et furent retransmises en direct par la radio et la télévision. Seules deux des séances consacrées à l’audition des témoins auraient été tenues à huis clos. Les comptes rendus des travaux de la commission, comptant plus de huit mille pages sténographiées, furent systématiquement publiés sur le site internet du Parlement.

    16.  Les travaux de la commission furent largement commentés dans les médias, y compris par ses membres.

    17.  En application de la loi sur les commissions d’enquête parlementaires (paragraphe 83 ci-dessous), la commission travailla en étroite coopération avec le parquet de Varsovie, chargé de l’enquête pénale contre le requérant.

    Ainsi, en février 2003, le président de la commission demanda au parquet d’effectuer certains actes d’instruction, et notamment : de recueillir les relevés des conversations téléphoniques du requérant ; de déterminer les endroits dans lesquels étaient entreposés ses documents ; de saisir les disques durs de ses ordinateurs ; et d’effectuer une perquisition dans ses locaux privés et professionnels.

    Le 6 février 2003, le procureur chargé de l’enquête contre le requérant autorisa la commission à divulguer, dans le cadre de la procédure devant elle, les éléments du dossier de l’enquête pénale. Le 6 mars 2003, le Procureur national (Prokurator Krajowy) rejeta le recours du requérant contre cette mesure, en observant que la divulgation de tels éléments était permise sous réserve de ne pas être préjudiciable à la résolution de l’affaire.

    Le 24 mars 2003, la commission transmit à sa demande au procureur chargé de l’enquête les procès-verbaux et les enregistrements de ses séances, y compris celles consacrées aux auditions de témoins.

    18.  Des échanges d’éléments d’information entre la commission et le parquet eurent lieu à plusieurs reprises. Dans ce cadre, les membres du présidium de la commission s’entretinrent avec le Procureur national et le procureur chargé de l’enquête contre le requérant.

    19.  En juin 2003, l’enquête pénale contre le requérant fut clôturée et l’acte d’accusation avec le dossier comptant dix-huit volumes fut déposé auprès du tribunal de district de Varsovie. Selon ses termes, le requérant était inculpé de tentative de trafic d’influence, infraction punie par l’article 230 du code pénal combiné avec l’article 12 du même code.

    20.  Le 8 août 2003, la cour d’appel de Varsovie ordonna la transmission de l’affaire au tribunal régional de Varsovie, au motif de son caractère inédit et de son importance (sprawa szczególnej wagi) tenant aux fonctions exercées par les personnalités impliquées dans les faits, à l’intérêt porté à l’affaire par les médias et l’opinion publique et aux travaux menés par la commission.

    21.  Le 6 octobre 2003, le tribunal régional de Varsovie déclara que la décision du parquet du 6 février 2003 (paragraphe 17 ci-dessus) s’appliquait à la phase juridictionnelle de la procédure pénale.

    Notant que la commission avait pris connaissance de l’intégralité du dossier de l’enquête contre le requérant, le tribunal rappela qu’en cas d’utilisation des éléments dudit dossier dans la procédure devant elle, la commission devrait veiller à ne pas occasionner de préjudice aux personnes concernées par ladite enquête, telles que les témoins et le requérant.

    22.  Le 20 octobre 2003, l’affaire fut attribuée à une formation de jugement de trois magistrats professionnels.

    23.  Le 2 décembre 2003, lors de l’ouverture des débats, le tribunal régional de Varsovie autorisa la retransmission du procès en direct par la radio et la télévision, tout en soulignant que les journalistes ne devraient pas entraver le bon déroulement de la procédure et qu’ils devraient observer l’interdiction pour les témoins cités à comparaître de se familiariser avec le contenu des dépositions d’autres témoins.

    Le tribunal autorisa en outre la divulgation médiatique de l’identité et de l’image du requérant, en observant que l’intérêt du public à suivre les débats l’emportait sur l’éventuel intérêt contraire des personnes visées par la procédure.

    24.  Le tribunal régional de Varsovie entendit plusieurs témoins, dont ceux qui avaient été auparavant interrogés par la commission. Lors de ces auditions, le tribunal compara de façon systématique les déclarations faites par ces témoins devant lui avec celles qu’ils avaient faites devant la commission.

    25.  Le tribunal régional et la commission échangèrent à plusieurs occasions les éléments recueillis dans leurs procédures respectives.

    26.  Le 31 mars 2004, après la clôture des auditions des témoins, le tribunal rendit publics l’ensemble des éléments de preuve, y compris ceux que lui avait transmis la commission.

    Le tribunal informa les parties de la possible modification de la qualification juridique des faits imputés au requérant, à savoir que ceux-ci pouvaient tomber sous le coup de l’article 13 § 1 combiné avec l’article 286 § 1 du code pénal, c’est-à-dire être qualifiés de tentative d’escroquerie (usiłowanie doprowadzenia do niekorzystnego rozporzadzenia mieniem).

    En réponse à une demande de la défense tendant à l’ajournement des débats pour une semaine au maximum, le tribunal suspendit l’audience jusqu’au 14 avril 2004, en fixant au 16 avril 2014 la date des plaidoiries finales.

    27.  Le 14 avril 2004, le tribunal rejeta une demande de la défense tendant à l’admission de nouveaux éléments de preuve.

    En réponse à une demande de la défense, le tribunal suspendit les débats jusqu’au 20 avril, en déclarant que le prononcé de jugement aurait lieu le 26 avril.

    28.  Le 21 avril 2004, la Gazeta Wyborcza publia un article intitulé  « Avant le jugement » (« Przed wyrokiem ») qui commençait en ces termes :

    « Le plus grand scandale de corruption de la IIIe République va assurément se terminer par un échec de la justice. Et cela indépendamment des faits pour lesquels Lew Rywin sera condamné et de la peine par laquelle il sera puni.

    (...) je pense que le jugement va décevoir quant à l’intention et à la capacité de la justice de parvenir - c’est bien la mission des tribunaux et du parquet - à la découverte de la vérité par-delà la politique. Après l’affaire de Rywin les citoyens seront toujours convaincus que les lois ne sont pas adoptées mais achetées, et que même les plus hauts fonctionnaires de l’État - je cite ici Madame le procureur - “placent leurs intérêts personnels au-dessus de ceux de la société”, c’est-à-dire - si on appelle les choses par leur nom - [qu’ils] sont corrompus.

    (...) »

    29.  Par un jugement du 26 avril 2004, le tribunal régional de Varsovie déclara le requérant coupable de tentative d’escroquerie, au sens de l’article 13 du code pénal combiné avec les articles 286 § 1, 294 § 1 et 12 du même code. Il lui infligea à ce titre une peine d’emprisonnement de deux ans et six mois et une peine d’amende d’un montant de 100 000 zlotys (PLN). Dans ses motifs, le tribunal jugea :

    - qu’il était établi qu’entre le 15 et le 22 juillet 2002, le requérant avait tenté d’amener Wanda Rapaczyńska, présidente du conseil d’administration d’Agora, et Adam Michnik, rédacteur en chef de la Gazeta Wyborcza, à disposer défavorablement pour elle des biens de cette société pour une valeur équivalente à 17,5 millions d’USD ;

    - qu’il n’était pas établi que le requérant ait été commandité par le Premier ministre ou par des personnalités de son entourage.

    L’un des membres de la formation de jugement présenta un avis séparé, considérant que le requérant aurait dû bénéficier d’un sursis avec mise à l’épreuve, compte tenu de son âge, de son actif professionnel et de son état de santé.

    30.  Postérieurement au prononcé du jugement, le président de la formation de jugement du tribunal régional de Varsovie publia une déclaration. Il y saluait les efforts de ses confrères pour mener le procès à terme dans le calme, nonobstant les divers commentaires médiatiques parus au sujet de la procédure. Notant que certains de ces commentaires s’apparentaient à une tentative d’influencer le travail du tribunal, le président indiquait avec insistance : que tout au long du procès, les juges avaient agi en application des seules dispositions de la loi pénale ; que la finalité de ce procès se distinguait de celle poursuivie par la commission d’enquête parlementaire ; qu’en tant que juges professionnels, les membres du tribunal avaient été à même de résister aux éventuelles pressions susceptibles de résulter des déclarations médiatiques prononcées en rapport avec l’affaire par divers journalistes et hommes politiques, voire par certains membres de la commission. Soulignant qu’une déclaration comme la sienne en l’espèce était inhabituelle, compte tenu du devoir de réserve des magistrats, le président expliquait qu’il ne pouvait passer sous silence les propos de l’auteur de l’article « Avant le jugement », publié durant la période où les juges étaient en délibéré, et qui s’apparentaient selon lui à une tentative, de la part du journaliste, d’influencer le jugement : semblables déclarations étaient à ses yeux inadmissibles et blâmables, même à l’occasion d’une affaire suscitant, comme la présente et à juste titre, un grand intérêt des médias.

    31.  Le 23 août 2004, le requérant et le parquet firent l’un et l’autre appel du jugement du 26 avril 2004. Dans son recours, le requérant alléguait, entre autres, qu’en raison de l’influence des travaux de la commission sur ses juges, aggravée par la campagne de presse autour des deux procédures, son procès n’avait pas revêtu le caractère équitable voulu par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

    32. A l’issue de sa dernière séance du 5 avril 2004, la commission adopta son rapport final dont la conclusion constatait que le requérant avait agi seul. Plusieurs membres de la commission présentèrent à la Diète leurs propres projets de rapport. Après l’avoir examiné en séance plénière du 28 mai 2004, la Diète rejeta le rapport de la commission et se prononça en faveur de celui du député Zbigniew Ziobro, considéré comme étant le plus radical. Il ressort du dossier que ce dernier rapport fut élaboré afin d’éventuellement mettre en jeu la responsabilité des personnes visées devant la Cour d’État. Compte tenu des doutes quant à la portée du vote du 28 mai, la Diète entérina le rapport du député Zbigniew Ziobro par le vote final du 24 septembre 2004. La thèse présentée dans ledit rapport était la suivante :

    « Leszek Miller, Premier ministre, Aleksandra Jakubowska, secrétaire d’État au ministère de la Culture, Lech Nikolski, chef du cabinet politique du Premier ministre, Robert Kwiatkowski, président du comité d’administration de la TVP S.A., et Wlodzimierz Czarzasty, membre du Conseil de l’audiovisuel, ont commis par leur action délibérée et concertée en juillet 2002 le délit de corruption active, au sens de l’article 228 § 5 du code pénal combiné avec l’article 13 § 1 de ce code, en ce sens que [tout] en influençant le contenu de la loi sur l’audiovisuel en cours de révision et les travaux parlementaires y afférents, ils ont, en juillet 2002, par le truchement de Lew Rywin agissant en tant que commandité du “groupe détenant le pouvoir”, adressé une proposition corruptrice aux représentants d’Agora S.A, à savoir le 15 juillet 2002 à Wanda Rapaczyńska et à Piotr Niemczycki et le 22 juillet 2002 à Adam Michnik, consistant à exiger un avantage financier de 17,5 millions de dollars américains (USD), la nomination de Lew Rywin au poste de président de la Polsat et une promesse de la part d’Agora aux termes de laquelle la Gazeta Wyborcza renoncerait aux attaques à l’égard du Premier ministre et du gouvernement, en échange de dispositions favorables pour Agora dans la loi sur l’audiovisuel, lui permettant d’acheter la chaîne de télévision Polsat.

    Les éléments rassemblés dans l’affaire rendent très plausible (w wysokim stopniu uprawdopodabnia) la thèse susmentionnée, au point de justifier les poursuites pénales à l’encontre des personnes susvisées. »

    33.  Le rapport, diffusé par les médias, fut amplement discuté et commenté par les différents acteurs de la vie publique.

    34.  À la suite de la publication du rapport entériné par la Diète, l’une des personnes visées par ses constats engagea contre la Diète une action en protection de sa réputation et de son honneur. Les juridictions nationales le déboutèrent, en relevant notamment qu’en ayant entériné le rapport dans lequel l’un des membres de la commission d’enqte parlementaire avait - en empruntant des termes et méthodes de la loi pénale - examiné la conduite des personnes concernées, la Diète n’avait pas enfreint la loi mais avait agi en application de la Constitution et de la loi sur la commission d’enquête parlementaire. L’adoption du rapport susmentionné constituait une prérogative de la Diète relevant de la sphère de son autonomie constitutionnelle.

    Les juridictions nationales observèrent que la commission d’enquête avait été créée conformément à la Constitution et que ses travaux avaient porté sur des questions relevant du champ d’application du droit du Parlement de s’informer de l’activité de certaines institutions publiques et d’exprimer son avis en la matière. Dès lors que la partie demanderesse était une personne occupant des fonctions officielles, son activité pouvait faire l’objet du contrôle parlementaire. La commission d’enquête avait droit d’établir les circonstances factuelles autour de l’affaire même si elles étaient susceptibles d’étayer la thèse d’une éventuelle responsabilité pénale du demandeur à l’action.

    Le fait que dans la résolution incriminée, la Diète avait exprimé son avis sur la conduite de ce demandeur à l’action ne portait pas atteinte, selon les juridictions nationales, aux principes d’indépendance et d’impartialité du pouvoir judiciaire ou de la séparation des pouvoirs. La Diète ne s’était pas prononcée sur la responsabilité pénale du demandeur à l’action mais avait seulement constaté que les éléments recueillis justifaient les poursuites pénales à son encontre du chef de l’infraction punie par l’article 228 § 5 du code pénal combiné avec l’article 13 de ce code. L’avis exprimé par la Diète ne pouvait se substituer à une éventuelle décision de justice en la matière et ne liait pas les tribunaux. Les constats du rapport de la commission d’enquête contenaient un jugement de valeur ne se prêtant pas à une démonstration de son exactitude. Ils ne concernaient pas la vie privée du demandeur à l’action et ne visaient pas non plus à le rabaisser ou à l’humilier aux yeux de l’opinion publique. L’éventuelle appréciation erronée par la Diète de sa conduite ne rendait pas la résolution susmentionnée illégale. Enfin, la responsabilité de la Diète ne pouvait être engagée du fait des déclarations médiatiques autour de l’affaire.

    35.  Entre-temps, le procès du requérant se poursuivit devant la cour d’appel de Varsovie.

    36.  Le 23 novembre 2004, la cour d’appel informa les parties que la qualification juridique des faits imputés au requérant était susceptible d’être changée en complicité de trafic d’influence (pomocnictwo do płatnej protekcji), infraction punie par l’article 18 § 3 du code pénal combiné avec l’article 230 de ce code.

    La cour d’appel suspendit les débats jusqu’au 8 décembre 2004 pour que la défense puisse adapter sa stratégie à la modification envisagée. Le jour venu, la défense présenta ses observations.

    37.  Par un arrêt du 10 décembre 2004, la cour d’appel déclara le requérant coupable de complicité de trafic d’influence (pomocnictwo do płatnej protekcji), infraction punie par l’article 18 § 3 du code pénal combiné avec les articles 230 et 12 du même code, et lui infligea une peine d’emprisonnement de deux ans ainsi qu’une amende de 100 000 PLN.

    Dans ses motifs, la cour d’appel jugea que le requérant avait facilité la commission par d’autres personnes - dont l’identité n’avait pas été établie - du délit de corruption active. Elle retint à cet égard comme établi qu’entre le 15 et le 22 juillet 2002, le requérant avait présenté à Wanda Rapaczyńska et Adam Michnik une offre formulée par les personnes susmentionnées qui, en se prévalant de leurs fonctions au sein de l’État, proposaient en tant qu’intermédiaires leur aide pour amender la loi sur l’audiovisuel d’une manière favorable pour Agora, lui permettant d’acheter la chaîne de télévision Polsat, en échange d’une somme de 17, 5 millions d’USD, qui devrait être versée au parti social-démocrate (SLD) par le truchement du compte bancaire d’une société appartenant au requérant.

    38.  En réponse au grief du requérant selon lequel les travaux menés par la commission et leur couverture médiatique avaient porté atteinte à l’équité du procès, la cour d’appel jugea que ce grief n’était étayé par aucun élément tangible : le requérant n’expliquait pas concrètement de quelle manière les publications médiatiques parues à l’occasion des travaux de la commission auraient influencé le raisonnement des juges lors du délibéré ou la résolution de la procédure pénale, ni comment les travaux et le rapport de la commission auraient eu une quelconque incidence sur l’impartialité des juges ou sur la fiabilité des témoignages effectués devant le tribunal. Somme toute, estima la cour d’appel, ce grief revenait à sous-entendre que seule une suspension de la procédure pénale dans l’attente de l’issue des travaux de la commission aurait pu préserver son caractère équitable. Notant que les tribunaux étaient fréquemment confrontés à l’intérêt des médias pour telle ou telle procédure juridictionnelle, la cour d’appel considéra que cette circonstance à elle seule ne suffisait pas à remettre en cause l’équité de la procédure pénale engagée à l’encontre du requérant.

    39.  S’agissant du grief du requérant selon lequel les témoignages retenus à l’appui de sa condamnation étaient viciés du fait que les témoins avaient été entendus par le tribunal régional après avoir déjà été interrogés sur les mêmes circonstances par la commission au cours de séances publiques et très médiatisées, la cour d’appel l’estima dépourvu de fondement : les témoignages étaient toujours appréciés par les juges selon les règles énoncées par l’article 7 du code de procédure pénale et à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve ; en l’espèce, la cour ne décelait aucune circonstance permettant de croire que les témoins entendus par le tribunal régional aient pu être influencés par le contenu de leurs déclarations antérieures devant la commission ou par celles des autres témoins.

    40.  Se référant au grief du requérant selon lequel la motivation du jugement du tribunal régional était lacunaire, la cour d’appel reconnut qu’à certains égards, cette motivation était succincte. Néanmoins, elle l’entérina dans une large mesure, en notant que le tribunal régional avait examiné les aspects pertinents de l’affaire et que sa conclusion était fondée.

    41.  En dernier lieu, la cour d’appel rejeta le grief du requérant portant sur le refus du tribunal régional d’admettre certains éléments de preuve proposés par la défense : c’était selon elle à juste titre que le tribunal les avait jugés superflus pour la résolution de l’affaire ; aux yeux de la cour, l’exercice des droits de la défense ne pouvait consister dans des demandes d’éclairer ad infinitum les circonstances de l’affaire, notamment celles sans aucune pertinence pour sa résolution.

    42.  Le requérant et le parquet se pourvurent en cassation.

    43.  Par une décision (postanowienie) du 20 octobre 2005, la Cour suprême rejeta les deux pourvois, en souscrivant aux motifs de la cour d’appel. Après avoir répondu aux différents moyens formulés par le requérant, la Cour suprême observa que, en motivant son arrêt de manière très détaillée et exhaustive, la cour d’appel avait remédié aux lacunes de motivation du jugement du tribunal régional.

    La Cour suprême rejeta notamment le moyen du requérant tiré de la prétendue violation de l’article 2 § 1 du Protocole additionnel no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme. Observant que celui-ci ne prescrivait aucun modèle particulier de contrôle juridictionnel en matière pénale, la Cour suprême ne vit pas de violation dans le fait que le droit polonais autorisait la juridiction pénale d’appel à apprécier de novo les éléments de preuve recueillis par le tribunal de première instance et à réformer en conséquence le jugement attaqué, dans le respect du principe ne peius.

    B.  L’application de la peine infligée au requérant et les procédures y afférentes

    44.  Entre-temps, le 4 mars 2005, les avocats du requérant demandèrent au tribunal de reporter l’exécution de sa peine (wniosek o odroczenie kary) pour au moins six mois, au motif que son application immédiate serait de nature à créer un risque pour sa vie et sa santé. Ils indiquaient à l’appui de cette demande que le requérant souffrait de plusieurs maladies chroniques : en particulier, cardiomyopathie hypertrophique (przerost mięśnia lewej komory sercowej), hypertension et diabète. Ils affirmèrent que son état de santé s’était détérioré en raison du stress occasionné par les procédures et l’acharnement médiatique à son encontre.

    45.  Le 8 mars 2005, le tribunal régional de Varsovie ordonna un rapport d’expertise sur la compatibilité de l’état du requérant avec une incarcération.

    46.  Entre-temps, le requérant informa le tribunal que la coronarographie devait être réalisée le 15 ou le 18 avril 2005, et que le 23 mars 2005, il devait subir une tomographie du cœur.

    47.  Le 14 mars 2005, les experts de l’Institut de médecine légale de Varsovie informèrent le tribunal que pour établir leurs conclusions, ils avaient besoin des résultats de l’examen coronarographique du requérant.

    48.  Le 22 mars 2005, les avocats du requérant prièrent le tribunal de surseoir, dans l’attente de son examen coronarographique, à l’application de l’injonction prononcée à son encontre de se constituer prisonnier (wniosek o wstrzymanie się z wezwaniem do stawienia się w zakładzie karnym).

    Le 24 mars 2005, le tribunal rejeta la demande et ordonna au requérant de se constituer prisonnier le 18 avril 2005 au plus tard.

    49.  Le 11 avril 2005, les avocats du requérant demandèrent au tribunal de reporter le délai susmentionné et de surseoir à l’application de la peine infligée à leur client (zawieszenie wykonania kary).

    50.  Le 13 avril 2005, le requérant fut examiné par les experts.

    51.  Le 14 avril 2005, le tribunal refusa de reporter le délai imparti au requérant pour se constituer prisonnier, en soulignant que ses demandes tendant à la suspension de sa peine seraient examinées le 18 avril 2005 à la lumière des conclusions d’expertise.

    52.  Le 18 avril 2005, le tribunal refusa d’ajourner la peine infligée au requérant, en observant que, selon le rapport d’expertise, son incarcération ne posait pas de risque pour sa vie ou sa santé.

    Se référant au rapport en question, le tribunal nota que le requérant souffrait d’une hypertension artérielle improprement suivie, d’un diabète de type deux improprement suivi, d’une maladie cardiaque ischémique stable, d’une hernie discale, de troubles du métabolisme et d’une importante obésité. Toutefois, il pouvait être incarcéré à condition d’être détenu dans un établissement pénitentiaire doté d’une unité hospitalière, où il pourrait avoir un accès rapide aux soins en cas d’urgence, suivre son traitement médicamenteux et observer son régime alimentaire pour diabétique. Le tribunal observa que, selon le rapport d’expertise, le requérant devrait bénéficier le moment venu d’un congé pénal afin de pouvoir se soumettre à l’examen coronarographique dans une structure spécialisée hors milieu carcéral. Dans l’attente de l’examen en question, il suffisait qu’il soit mis en mesure de relever quotidiennement son taux de glycémie et sa tension artérielle.

    53.  Le même jour, le requérant se constitua prisonnier, tout en formant un recours contre la décision du 18 avril.

    54.  Le 26 avril 2005, le tribunal régional de Varsovie rejeta la demande du requérant tendant à l’obtention d’un congé pénal (wniosek o przerwe w odbywaniu kary), au motif que l’examen coronarographique pouvait être réalisé sans interruption de sa peine.

    55.  Entre le 27 et le 29 avril 2005, le requérant fut hospitalisé dans un établissement spécialisé dans les soins cardiovasculaires (Instytut Kardiologii w Warszawie), où il subit une coronarographie.

    56.  Par une lettre du 4 mai 2005, les spécialistes ayant pratiqué la coronarographie informèrent les avocats du requérant que, sous peine de complications, y compris la possibilité d’un infarctus, celui-ci devrait en outre subir une angioplastie coronaire (zabieg angioplastyki wieńcowej).

    Le même jour, le responsable de la maison d’arrêt de Varsovie informa les médecins du requérant que, pour des raisons de procédure, l’intéressé ne pourrait être conduit à la clinique à la date prévue pour la réalisation de l’angioplastie,  et qu’il devrait présenter à cet effet une demande de congé pénal.

    57.  Le 5 mai 2005, le requérant présenta une demande de congé pénal en rapport avec l’angioplastie coronaire.

    58.  Un certificat établi le 6 mai 2005 par les médecins pénitentiaires indiqua que l’angioplastie coronaire n’était réalisée que dans des cliniques spécialisées et que le traitement pré- et post-opératoire pouvait être dispensé au requérant à la maison d’arrêt.

    59.  Le 9 mai 2005, le requérant subit son angioplastie coronaire dans une clinique hors milieu carcéral.

    60.  Durant son hospitalisation à la clinique en question, le requérant fut surveillé par des gardiens.

    61.  Par des lettres qu’ils firent parvenir au tribunal les 12 et 13 mai 2005, les spécialistes de la clinique dans laquelle le requérant était hospitalisé informèrent les autorités :

    - que le patient était soumis à des soins postopératoires intensifs ;

    - qu’après son hospitalisation, il devrait faire l’objet d’un suivi cardiologique pendant au moins six mois, et suivre une thérapie de plusieurs mois dans un établissement spécialisé dans les soins cardiovasculaires ;

    - qu’en l’absence d’éventuelles complications, le requérant pourrait quitter la clinique sous deux à trois jours.

    62.  Entre le 14 et le 23 mai 2005, le requérant séjourna à l’hôpital pénitentiaire.

    63.  Le 16 mai 2005, le tribunal refusa d’accorder au requérant un congé pénal. Se basant sur les avis des médecins de la clinique et des médecins pénitentiaires, le tribunal constata que le requérant pouvait être soigné en milieu carcéral. À l’appui de cette conclusion, il releva notamment :

    - que le certificat établi à l’issue de l’hospitalisation du requérant à la clinique en cause faisait apparaître que son état de santé était stable ;

    - qu’à la maison d’arrêt, le requérant bénéficiait d’une prise en charge médicale adéquate ; qu’il y était suivi par un personnel médical qualifié, comprenant un cardiologue, qui veillait à la bonne application des instructions des spécialistes au sujet de son traitement médicamenteux.

    64.  Le requérant forma un recours contre la décision du 16 mai, mais le 17 juin 2005, la procédure y afférente fut abandonnée en raison de sa libération intervenue dans l’intervalle (paragraphe 67 ci-dessous).

    65.  Dans des lettres qu’ils firent parvenir les 17 et 19 mai 2005 au tribunal et au responsable de la maison d’arrêt de Varsovie, les avocats du requérant se plaignirent que les instructions des spécialistes relatives à son traitement médicamenteux n’étaient pas appliquées.

    Par une lettre du 20 mai 2005, le médecin-chef pénitentiaire informa le tribunal du caractère infondé de ces allégations.

    66.  Le 31 mai 2005, statuant sur le recours du requérant contre la décision du 18 avril 2005, la cour d’appel de Varsovie annula cette décision et renvoya l’affaire pour réexamen, en ordonnant de surseoir à l’incarcération du requérant. Elle demanda aussi une nouvelle évaluation de l’état de santé du requérant, considérant qu’il y avait lieu de tenir compte des interventions médicales réalisées dans l’intervalle.

    67.  Le jour même, le requérant fut libéré.

    68.  Le 28 juillet 2005, statuant en application de la décision de la cour d’appel, le tribunal régional ordonna une expertise par l’Institut de médecine légale de Varsovie. Dans ce cadre, un examen médical du requérant par les experts fut ordonné. Or, malgré la convocation lui ayant été adressée, le requérant ne se présenta devant le collège d’experts ni le 24 août ni le 7 septembre 2005.

    69.  Le 22 septembre 2005, le tribunal reporta l’examen du requérant au 12 octobre, en l’informant qu’en cas de défaut de comparution devant le collège, il y serait conduit sous contrainte. Le tribunal rejeta une demande du requérant tendant à la récusation d’un membre du collège, jugeant cette démarche purement dilatoire.

    70.  Le 10 octobre 2005, le tribunal jugea que la non-comparution du requérant devant le collège d’experts le 7 septembre 2005 n’avait aucune justification.

    71.  Le 12 octobre 2005, le requérant fut examiné par les experts. Dans leur rapport, ceux-ci indiquèrent :

    - que sans examen coronarographique préalable du requérant, ils ne seraient pas en mesure de se prononcer de manière concluante sur la compatibilité de son état avec l’incarcération ;

    - que, dans l’attente de l’examen en question, le requérant ne devrait pas être incarcéré.

    72.  Le 13 octobre 2005, le tribunal ordonna au requérant de verser au dossier les résultats de la coronarographie, sous douze jours. Le 25 octobre, l’échéance du délai fut reportée au 31 octobre 2005. Le tribunal instruisit le requérant qu’en cas de défaut d’observation de ce délai, il serait incarcéré sous contrainte.

    73.  Le 26 octobre 2005, le requérant se présenta à la clinique dans laquelle la coronarographie devait être pratiquée. Toutefois, son examen fut reporté au 2 novembre 2005, apparemment pour cause d’indisponibilité du médecin censé le réaliser.

    74.  Le 27 octobre 2005, les avocats du requérant demandèrent au tribunal de reporter au 30 novembre 2005 le délai imparti au requérant pour la présentation des résultats de la coronarographie. Le 28 octobre 2005, leur demande fut rejetée.

    75.  Le 31 octobre 2005, le tribunal ordonna que le requérant fût conduit à la maison d’arrêt. Le tribunal observa :

    - que, selon les éléments que lui avait fait parvenir le personnel de la clinique où la coronarographie devait être pratiquée, cet examen aurait pu être réalisé à la date initialement prévue à cet effet ;

    - que les circonstances de l’affaire faisaient apparaître que le requérant tentait de se soustraire à son examen médical et que, ce faisant, il entravait le bon déroulement de la procédure relative à l’établissement de la compatibilité de son état avec l’incarcération ;

    - qu’à la maison d’arrêt, le requérant serait pris en charge par le personnel de santé pénitentiaire, ce qui faciliterait l’évaluation de son état de santé.

    76.  Le 2 novembre 2005, le requérant fut conduit à la maison d’arrêt.

    77.  Le 3 novembre 2005, les avocats du requérant firent appel de la décision du 31 octobre, en demandant qu’il soit sursis à son application, et déposèrent aussi une plainte pour acte illégal (skarga na niezgodność z prawem zarządzenia). Ils expliquaient que, contrairement aux conclusions de l’expertise, leur client avait été incarcéré sans la consultation préalable par les experts des résultats de son examen coronarographique.

    Avant dire droit, le tribunal régional de Varsovie demanda à la Cour suprême de dire si la décision du 31 octobre 2005 était susceptible de recours juridictionnel.

    Par une décision du 11 janvier 2006, la Cour suprême répondit à la question posée par la négative, en observant que la décision en cause était destinée non pas au requérant, mais à la police.

    Le 8 février 2006, se conformant à cet avis, le tribunal régional de Varsovie déclara les recours du requérant irrecevables. Le 28 mars 2006, la cour d’appel de Varsovie confirma cette décision.

    78.  Entre-temps, le 8 novembre 2005, le requérant présenta une demande de congé pénal pour motif de santé ; celle-ci fut rejetée le 8 février 2006, au motif qu’il pouvait être soigné en milieu carcéral. Se référant au rapport d’expertise présenté le 29 novembre 2005 par un cardiologue, le tribunal nota en effet :

    - que l’état de santé du requérant était stable, qu’aucune coronarographie urgente n’était indiquée et qu’une éventuelle interruption de son incarcération serait sans incidence sur son état de santé, compte tenu du caractère chronique de ses maux ;

    - que le 8 février 2006, les membres du collège étaient revenus sur leur conclusions initiales, en déclarant que, pour se prononcer sur la compatibilité de son état avec l’incarcération, ils n’avaient plus besoin d’un examen coronarographique ;

    - que, selon les médecins pénitentiaires, le requérant recevait bien des soins adaptés à son état de santé et conformes aux recommandations des spécialistes, et qu’en outre, son régime alimentaire était respecté.

    79.  Le 17 mars 2006, la cour d’appel de Varsovie rejeta le recours du requérant contre l’ordonnance du 8 février.

    80.  Le 29 mai 2006, le requérant présenta une demande de permission de sortie de cinq jours, au motif qu’il voulait faire contrôler son diabète dans un établissement de soins hors milieu carcéral. Le 9 juin 2006, le responsable de la prison de Varsovie Białołęka rejeta la demande, au motif que, d’après les examens réalisés en milieu carcéral, son état de santé était satisfaisant.

    81.  Le 20 octobre 2006, statuant sur une demande présentée par le requérant le 30 août 2006, le tribunal régional de Varsovie décida :

    - d’ordonner sa libération anticipée, avec une période de mise à l’épreuve de deux ans ;

    - d’assortir cette mesure d’une surveillance par un tuteur judiciaire et d’une interdiction pour le requérant de changer de domicile sans l’accord du juge.

    Le 14 novembre 2006, le recours du parquet contre la décision du 20 octobre fut rejeté par la cour d’appel de Varsovie.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET COMPARÉS PERTINENTS EN L’ESPÈCE

    A.  La Constitution polonaise de 1997

    82.  Les dispositions pertinentes de la Constitution polonaise sont les suivantes :

    Article 111

    « 1. La Diète (Sejm) peut créer une commission d’enquête pour examiner une affaire donnée.

    2. Le mode de fonctionnement des commissions d’enquête est régi par la loi. »

    Article 156

    « 1. Les membres du Conseil des ministres sont poursuivis devant la Cour d’État en cas de violation de la Constitution ou des lois et pour les délits commis dans l’accomplissement de leurs fonctions.

    2. La Diète vote, sur proposition du président de la République ou sur celle d’au moins cent quinze deputés, la mise en jeu de la responsabilité devant la Cour d’État contre un membre du Conseil des ministres, à la majorité des trois cinquième du nombre constitutionnel des deputés. »

    Article 175

    « En République de Pologne, la justice est rendue par la Cour suprême, les juridictions de droit commun, les juridictions administratives et les juridictions militaires.

    (...) »

    Article 178

    « 1. Les juges sont indépendants dans l’exercice de leurs fonctions et ne sont soumis qu’à la Constitution et aux lois.

    2. Les juges ont des conditions d’emploi et de salaire garanties, correspondant à la dignité des fonctions qu’ils remplissent et à l’étendue de leurs devoirs.

    3. Les juges ne peuvent être affiliés à aucun parti politique ou syndicat, ni exercer d’activité publique incompatible avec le principe d’indépendance des tribunaux et des juges. »

    Article 198

    « 1. Le président de la République, le Président et les membres du Conseil des ministres, le président de la Banque nationale de Pologne, le président de la Chambre suprême de contrôle, les membres du Conseil national de la radiodiffusion et de la télévision, les personnes auxquelles le président du Conseil des ministres a confié la mission de diriger un ministère ainsi que le Commandant en chef des Forces armées sont constitutionnellement responsables devant la Cour d’État en cas de violation de la Constitution ou des lois dans l’exercice de leurs fonctions.

    (...)

    3. Une loi defini les peines prononcées par la Cour d’État. »

    B.  La loi sur les commissions d’enquête parlementaires (Ustawa o sejmowej komisji śledczej) du 21 janvier 1999 (dans sa formulation en vigueur à l’époque des faits)

    83.  Les dispositions pertinentes de la loi sur les commissions d’enquête parlementaires sont ainsi libellées :

    Article 1

    « 1. La présente loi régit le mode de fonctionnement des commissions d’enquête parlementaires (ci-après “la (les) commission(s)”).

    2. Une commission est créée pour examiner une affaire donnée.

    3. Le règlement de la Diète s’applique à la commission, sauf dispositions contraires de la présente loi. »

    Article 2

    « 1. La création d’une commission d’enquête parlementaire est décidée par la Diète (...) à la majorité absolue des suffrages.

    2. La commission peut être composée de onze membres au plus. Sa composition doit refléter la proportion des groupes parlementaires représentés au sein du Bureau (Konwent Seniorow) (...)

    3. La résolution qui met en place la commission détermine le champ de ses activités ; elle peut également définir les règles précises de son fonctionnement ainsi que le délai dans lequel sera présenté son rapport définitif. »

    Article 8

    « 1. L’existence d’une procédure pendante ou terminée devant une autre autorité publique ne fait pas obstacle à l’ouverture de la procédure devant la commission.

    2. L’appréciation de la conformité des décisions judiciaires à la loi n’entre pas dans le champ des activités de la commission.

    3. Avec l’accord du Président de la Diète, la commission peut suspendre ses activités jusqu’à ce qu’une procédure pendante devant une autre autorité soit entièrement ou partiellement terminée.

    4. La procédure devant la commission peut notamment être suspendue en cas de conviction justifiée que les éléments rassemblés dans la procédure devant une autre autorité ou une décision prise par cette dernière pourraient lui être utiles à l’examen approfondi de l’affaire. »

    Article 11

    « 1. Toute personne convoquée par la commission est tenue de comparaître devant elle et de s’exprimer.

    2. La personne indiquée au § 1 peut désigner un représentant.

    3. Sauf disposition contraire de la présente loi, sont applicables par analogie aux actes indiqués aux §§ 1 et 2 les dispositions du code de procédure pénale relatives aux convocations et auditions de témoins et celles concernant la désignation d’un représentant. »

    Article 12

    « 1. Lorsque, sans justification, une personne indiquée à l’article 11 de la loi ne se présente pas devant la commission ou que, sans autorisation de cette dernière, elle quitte l’endroit où se tiennent ses activités avant leur clôture ou encore que, sans justification, elle refuse de faire une déclaration ou de prêter serment, la commission peut demander au tribunal régional de Varsovie d’infliger à cette personne une sanction réglementaire (kara porządkowa).

    2. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale s’appliquent par analogie tant à la procédure relative à la demande indiquée au § 1 qu’à l’application de la sanction prononcée à l’issue de celle-ci. »

    Article 14

    « 1. À la demande de la commission, les autorités de l’État et celles d’autres personnes morales ou entités dépourvues de la personnalité juridique lui fournissent des explications écrites ou lui présentent les documents en leur possession ou les dossiers de toute affaire pendante devant elles.

    2. La commission peut prendre connaissance de ces documents ou dossiers sur place.

    3. Lorsque des éléments qu’elle a recueillis sont en rapport avec une procédure pénale en cours, la commission autorise tout tribunal ou parquet qui le demande à en prendre connaissance. Avec l’accord du président de la Diète, la commission peut autoriser une autre autorité à prendre connaissance des éléments recueillis [...] lorsqu’elle estime que cela est dans l’intérêt de la procédure conduite par cette autorité. »

    Article 15

    « 1. La commission peut demander au Procureur général d’accomplir certains actes.

    2. Le président de la commission peut participer aux actes indiqués au § 1, ou déléguer à cette fin un membre de la commission.

    3. Le Parquet général procède aux actes mentionnés au § 1 selon les dispositions du code de procédure pénale et de la loi du 20 juin 1985 sur le parquet. (...) »

    Article 16

    « 1. Les actes indiqués aux articles 11 § 1, 14 et 15 § 1 sont accomplis dans le respect des dispositions sur le secret légalement protégé (tajemnica ustawowo chroniona). »

    Article 18

    « 1. Lorsqu’au cours de la procédure devant elle, la commission parvient à la conclusion que les circonstances qu’elle a établies justifient la notification aux personnes mentionnées à l’article 1 § 1 3-7 de la loi sur la Cour d’État (Trybunał Stanu) du grief consistant à dire qu’elles ont commis de manière préméditée, durant leur mandat ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, un acte qui enfreint la Constitution ou la loi, elle émet une motion préliminaire visant à engager la responsabilité desdites personnes devant la Cour d’État.

    (...) »

    Article 19

    « 1. La commission présente au président de la Diète un rapport sur ses activités.

    2. Le président de la Diète ordonne l’impression et la distribution de ce rapport aux députés.

    3. Lorsque le rapport ou une partie de celui-ci contient des informations couvertes par le secret d’État ou le secret professionnel, le président de la Diète indique le mode de sa notification aux députés ou de son examen par la Diète. »

    C.  Le code de procédure pénale de 1997

    84.  Les dispositions pertinentes du code se lisent ainsi :

    Article 5

    « § 1. L’accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie par un jugement définitif.

    (...) »

    Article 6

    « L’accusé est en droit de se défendre, lui-même [ou par l’intermédiaire] d’un défenseur, et doit être informé de ce droit. »

    Article 7

    « Les autorités chargées de l’instruction (...) forgent leur conviction [au sujet de l’affaire] sur la base de leur libre appréciation de l’ensemble des éléments de preuve selon les règles de la logique et de la science et selon leur propre expérience. »

    Article 8

    « § 1. Le tribunal pénal se prononce souverainement sur les questions de fait et de droit sans être lié par une décision d’un autre tribunal ou par celle d’une autre autorité.

    (...) »

    Article 41

    « § 1. Lorsque, dans une affaire donnée, les circonstances permettent de suspecter légitimement qu’il n’offre pas l’impartialité requise, le juge est récusé.

    (...) »

    Article 366

    « § 1. Le président dirige l’audience et veille au bon déroulement de celle-ci pour arriver à l’élucidation de toutes les circonstances pertinentes de l’affaire (...) »

    Article 391

    « § 1. Lorsqu’un témoin refuse de témoigner sans motif valable, ou témoigne dans un sens opposé à son témoignage antérieur, ou affirme ne pas se souvenir de certaines circonstances ou ne comparaît pas en raison d’un obstacle impossible à surmonter, ou lorsque le président d’une juridiction a renoncé à l’entendre sur la base de l’article 333 § 2, ou lorsque le témoin est décédé, [le tribunal] peut, dans la mesure jugée nécessaire, lire les procès-verbaux des auditions [dudit témoin] effectuées à l’occasion d’une instruction ou d’une procédure juridictionnelle concernant la même affaire ou d’une autre procédure prévue par la loi.

    (...) »

    Article 392

    « § 1. À moins qu’une partie présente [à l’audience] ne s’y oppose, ou qu’il soit indispensable pour le tribunal de recueillir lui-même ces preuves, le tribunal peut lire à l’audience les procès-verbaux des auditions des témoins ou des accusés effectuées dans le cadre d’une enquête, d’une procédure juridictionnelle ou d’une autre procédure prévue par la loi. »

    (...)

    D.  La loi du 26 mars 1982 sur la Cour d’État

    85.  Les dispositions pertinentes de la loi sur la Cour d’État sont ainsi libellées :

    Article 1

    « 1. Sont constitutionnellement responsables devant la Cour d’État en cas de violation de la Constitution ou des lois dans l’exercice de leurs fonctions :

    1) le président de la République,

    2) le président et les membres du Conseil des ministres,

    3) le président de la Banque nationale de Pologne,

    4) le président de la Chambre suprême de contrôle,

    5) les membres du Conseil national de la radiodiffusion et de la télévision,

    6) les personnes auxquelles le président du Conseil des ministres a confié la mission de diriger un ministère,

    7) le Commandant et chef des Forces armées.

    2. Les députés et les sénateurs sont également constitutionnellement responsables devant la Cour d’État dans la mesure détérminée à l’article 107 de la Constitution. »

    Article 5

    « Seule la Diète peut mettre en jeu la responsabilité constitutionnelle des personnes méntionnées à l’article 1 § 1 3-7 devant la Cour d’État. »

    Article 6

    « (...)

    2. Une motion préliminaire en vue de la mise en jeu de la responsabilité constitutionnelle des personnes méntionnées à l’article 1 § 1 3-7 devant la Cour d’État peut être formulée auprès du président du Parlement par :

    1) le président,

    2) au moins cent quinze députés.

    3. Une motion préliminaire en vue de la mise en jeu de la responsabilité constitutionnelle des personnes méntionnées à l’article 1 § 1 3-7 devant la Cour d’État peut être formulée également auprès du président du Parlement par la commission d’enquête créée en application de l’article 111 de la Constitution. »

    Article 7

    « Le président du Parlement transmet la motion susvisée à la commission de responsabilité constitutionnelle qui initie la procédure. »

    Article 9g

    « (...)

    2. Concernant les personnes méntionnées aux articles 1 § 1 2-7 et 2 la commission présente un rapport avec une motion déstinée au Parlement en vue de la mise en jeu de leur responsabilité devant la Cour d’État ou de l’abandon de la procédure.

    3. La motion en vue de la mise en accusation ou de la mise en jeu de la responsabilité [des personnes susméntionnées] devant la Cour d’État doit remplir les conditions prévues par le code de procédure pénale pour un acte d’accusation, et celle d’abandonner la procédure doit comporter ses motifs factuels et juridiques.

    (...) »

    Article 11

    « 1. (...) La résolution de la Diète relative à la mise en jeu de la responsabilité devant la Cour d’État entraîne la suspension de la personne concernée de ses fonctions.

    (...)

    3. (...) le président de la Diète transmet (...) au président de la Cour d’État une résolution de la Diète relative à la mise en jeu de la responsabilité devant cette cour avec une motion de la commission de responsabilité constitutionnelle ou celle de la minorité parlementaire qui dans la procédure subséquante devant la Cour d’État remplacent l’acte d’accusation.

    (...) »

    Article 13

    «  (...)

    «1a. La résolution relative à la mise en jeu de la responsabilité des personnes mentionnées aux articles 1 § 1 3-7 et 2 devant la Cour d’État est adoptée par la Diète à la majorité des trois cinquième du nombre statutaire des députés.

    (...) »

    E.  La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

    86.  Le 11 février 1999, le Président de la République de Pologne a invité la Cour constitutionnelle à dire si l’article 8 alinéa 1 de la loi sur les commissions d’enquête parlementaires respectait la Constitution.

    87.  Par un arrêt du 14 avril 1999 (K 8/99 OTK 1999/3/41), la Cour constitutionnelle a dit que l’article 8 alinéa 1 de la loi sur les commissions d’enquête parlementaires n’était pas contraire à la Constitution. Les motifs de cet arrêt peuvent se résumer comme suit.

    La Cour constitutionnelle a tout d’abord constaté que le principe selon lequel le Parlement contrôle l’action du gouvernement est inscrit dans la Constitution. Le droit pour le Parlement de contrôler l’exécutif permet aux députés de s’informer de l’activité des autorités et des institutions publiques et d’exprimer leur avis en la matière. Le contrôle parlementaire contribue au bon fonctionnement de l’État, dès lors qu’il permet aux citoyens d’être au courant des affaires publiques et de participer à leur administration.

    88.  Un rapport étroit existe, a noté la Cour constitutionnelle, entre le contrôle parlementaire et le principe de séparation des pouvoirs : dans la mesure où la responsabilité politique du gouvernement peut être mise en jeu devant le Parlement, le contrôle exercé par ce dernier à l’égard de l’exécutif contribue à l’équilibre entre les différentes branches du pouvoir étatique.

    Pour autant, a dit la Cour constitutionnelle, le contrôle parlementaire doit être exercé dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs, c’est-à-dire sans empiéter sur les attributions dévolues à l’exécutif et à la justice.

    89.  Le principe de la séparation des pouvoirs commande que l’indépendance et l’impartialité des juges soient garanties et que les autorités appartenant à d’autres branches du pouvoir étatique s’abstiennent de toute immixtion dans les activités juridictionnelles. Certes, les décisions de justice ne peuvent être soustraites à la critique légitime des citoyens et des élus ; mais, pour la Cour constitutionnelle, la formulation de telles critiques dans une résolution du Parlement ou dans un rapport d’une commission d’enquête parlementaire est contraire à la Constitution.

    90.  Les commissions d’enquête parlementaires sont un instrument de contrôle du gouvernement par le Parlement. Leur mission est d’établir un rapport sur les circonstances factuelles d’une affaire à la demande du Parlement et, le cas échéant, d’exprimer un avis en la matière. Toutefois, hormis l’obligation éventuelle de présenter une demande d’ouverture d’une procédure avant de saisir la Cour d’État en vue de la mise en jeu de la responsabilité constitutionnelle de certains responsables politiques (selon l’article 18 de la loi sur les commissions d’enquête parlementaires), a noté la Cour constitutionnelle, ces commissions ne sont pourvues d’aucune attribution leur permettant d’influencer l’activité d’autres institutions ou autorités publiques.

    91.  Exception faite de la limite posée par l’article 8 alinéa 2 de la loi sur les commissions d’enquête parlementaires, le champ d’activité desdites commissions n’est défini ni dans la Constitution ni dans des lois.

    Cependant, cela ne signifie pas que la commission ait tout loisir d’examiner n’importe quelle affaire soumise par le Parlement, nonobstant son examen par une autre autorité publique. Étant donné que la commission est tenue d’observer les dispositions constitutionnelles et légales déterminant l’objet et l’étendue du contrôle parlementaire, elle ne peut enquêter que sur les actions des autorités ou institutions publiques explicitement soumises au contrôle du Parlement. En résulte notamment l’interdiction pour la commission d’enquêter sur les actes d’entités privées n’exerçant pas de fonctions officielles ou ne bénéficiant d’aucune aide de l’État.

    92.  En vertu de l’article 95 alinéa 2 de la Constitution, les travaux de la commission d’enquête peuvent notamment porter sur les activités du Conseil des ministres et sur celles de l’administration gouvernementale. La disposition en cause confère à la commission le droit d’examiner les affaires qui sont ou ont été instruites par les autorités administratives, ainsi que le droit de contrôler, en cas de besoin, la régularité de leurs décisions.

    93.  En revanche, a estimé la Cour constitutionnelle, le principe d’indépendance et d’impartialité des juges prohibe tout contrôle du Parlement à l’égard des décisions de justice. Cette interdiction s’applique à l’activité juridictionnelle des tribunaux dans son ensemble et n’est pas limitée aux affaires mentionnées à l’article 8 alinéa 2 de la loi sur les commissions d’enquête parlementaires.

    94.  Il peut arriver, a observé la Cour constitutionnelle, que la conduite de personnalités politiques membres de l’exécutif soit examinée à la fois par une commission parlementaire et par une juridiction. (...) Dans ce cas de figure, sous réserve d’obtenir l’accord préalable du président du Parlement, la commission peut suspendre ses travaux dans l’attente de la résolution de l’une ou de plusieurs phases de la procédure en cause ou dans l’attente de sa résolution définitive.

    95.  Pour la Cour constitutionnelle, les principes d’impartialité et d’indépendance des magistrats n’impliquent pas l’interdiction absolue pour la commission d’investiguer sur les faits et circonstances faisant ou ayant fait l’objet d’une procédure juridictionnelle, notamment pénale, pendante ou terminée.

    En effet, une procédure juridictionnelle a une finalité distincte de l’objet de la procédure menée par la commission : la procédure pénale vise à l’identification de l’auteur d’une infraction pénale et à l’établissement de sa responsabilité pénale, tandis que la commission parlementaire enquête sur le fonctionnement des pouvoirs publics et sur les éventuelles irrégularités dans ce domaine. Les éléments d’information recueillis par la commission ont vocation à contribuer à l’adoption rapide par le Parlement d’éventuelles mesures de redressement, telles qu’une modification de la législation existante ou la mise en jeu de la responsabilité constitutionnelle ou politique des membres du gouvernement.

    Compte tenu de ces finalités distinctes, a estimé la Cour constitutionnelle, le fait que la commission reprenne ses travaux après la résolution définitive de la procédure juridictionnelle ne doit pas laisser penser que les mêmes faits et circonstances sont « réexaminés » par la commission.

    96.  Pour la Cour constitutionnelle, dans l’hypothèse où la commission serait tenue de suspendre ses travaux dans l’attente de la résolution de la procédure juridictionnelle portant sur les mêmes faits et circonstances que la procédure devant elle, le Parlement pourrait se voir privé d’accès aux informations indispensables à sa fonction, quand bien même celles-ci n’intéresseraient pas les tribunaux.

    Cependant, étant donné que la commission est tenue de respecter l’indépendance et l’impartialité des juges, a dit la Cour constitutionnelle, elle ne doit pas se prononcer sur les affaires instruites par les tribunaux ou sur le bien-fondé des décisions de justice.

    En outre, aux yeux de la Cour constitutionnelle, les règles applicables au fonctionnement de la commission d’enquête commandent que, en cas de concomitance entre ses travaux et une autre procédure, notamment juridictionnelle, la commission procède avec une diligence particulière et examine l’opportunité de suspendre ses travaux.

    F.  Les éléments de droit comparé

    97.  Selon les éléments dont dispose la Cour, la majorité des États membres du Conseil de l’Europe prévoient la possibilité de créer des commissions d’enquête parlementaires. Cependant, il n’existe pas de modèle unique de référence en matière de contrôle parlementaire.

    98.  Dans certains pays, les attributions des commissions d’enquête sont très précisément encadrées par la constitution ou par la loi - nationales ou locales -, tandis que dans d’autres, leur régime n’est défini que dans le règlement intérieur du parlement, parfois de façon très succincte.

    99.  Certains parlements ont des commissions permanentes de contrôle, d’autres s’en remettent pour la surveillance courante de l’exécutif à leurs commissions permanentes ordinaires, mais peuvent nommer des commissions spéciales d’enquête qui se pencheront sur des affaires spécifiques (ou des « scandales »). Dans certains pays, ces commissions spéciales sont formées de députés, dans d’autres d’experts extérieurs au parlement, agissant pour le compte de ce dernier, et lui rendant compte de leur mission.

    100.  Les commissions d’enquête parlementaires ont généralement pour mission de contrôler l’activité du gouvernement ou des administrations publiques, et de faciliter la fonction législative des assemblées élues en recueillant des données utiles pour la création de règles nouvelles et en vérifiant si la législation en vigueur s’applique comme prévu.

    101.  En principe, les commissions sont appelées à enquêter sur des questions d’intérêt général. La référence à la fonction législative des assemblées tend à leur donner un champ d’investigation très large : le plus souvent, ces commissions peuvent traiter toutes sortes de questions concernant la société en général. À chaque fois, la question se pose de savoir si l’État a correctement agi face à l’émergence des problématiques en cause. Le domaine potentiel d’activité des commissions d’enquête apparaît ainsi très étendu.

    102.  Les commissions parlementaires d’enquête possèdent des attributions et des pouvoirs d’investigation très variables. Cependant, dans la majorité des pays, elles peuvent se voir dotées de tout ou partie des pouvoirs habituellement conférés à un magistrat instructeur. Elles peuvent parfois convoquer formellement des témoins et exiger la production de documents ou d’autres formes de preuve, comme dans une procédure judiciaire ; parfois aussi, elles doivent se contenter de demander les informations souhaitées, sans disposer de prérogatives contraignantes à cet égard.

    103.  La publicité donnée aux travaux des commissions d’enquête varie d’un pays à l’autre, avec toutefois des traits communs.

    Une commission spéciale d’enquête est normalement créée par décision du parlement, d’habitude à l’issue d’un débat public. Il en va de même pour le rapport final, normalement publié, et que le parlement examine en séance publique. En revanche, la nature des discussions internes entre les membres de la commission (pour la préparation du rapport) veut qu’elles se déroulent à huis clos.

    Les séances de la commission d’enquête où celle-ci entend des témoignages ou des rapports d’experts sont habituellement publiques dans la plupart des pays, sauf décision spéciale de les tenir à huis clos. Une distinction est encore nécessaire selon que ces séances peuvent ou non être diffusées sur les antennes de radio et de télévision : les législations nationales diffèrent sur ce point.

    Quasiment tous les États concernés prévoient la possibilité de séances à huis clos. Deux grands mécanismes sont utilisés : dans certains pays, c’est la commission qui décide au cas par cas de tenir certaines séances à huis clos ; ailleurs, c’est la loi qui précise les circonstances exactes dans lesquelles le huis clos est possible.

    Les raisons du huis clos ne se limitent nullement à la préservation du secret d’État ou de l’ordre public ; il peut aussi s’agir de protéger des droits fondamentaux, comme la vie privée ou familiale, ou encore le secret des affaires. Même lorsque des dispositions législatives décrivent les cas où le huis clos est impératif, il n’en appartient pas moins à la commission d’enquête de les interpréter et de les appliquer, apparemment sans contrôle juridictionnel possible.

    104.  Dès lors que le huis clos a été décidé, les parlementaires membres de la commission d’enquête sont généralement tenus au secret, et punissables s’ils révèlent des éléments des travaux. Les transcriptions de témoignages ne peuvent être transmises à aucune autorité, et les témoignages eux-mêmes ne peuvent figurer comme tels dans le rapport final.

    105.  Une commission parlementaire d’enquête a le plus souvent la possibilité de procéder à des auditions, tenues le plus souvent en public et parfois diffusées en direct par les médias. Cependant, il n’est pas rare non plus qu’elle en mène une partie ou la totalité à huis clos, en fonction de la nature de l’affaire et du caractère plus ou moins sensible ou confidentiel des informations à obtenir.

    106.  La commission d’enquête peut toujours diriger ses investigations vers les détenteurs des pouvoirs publics, comme les ministres et (le plus souvent) les fonctionnaires, y compris en procédant à leur audition : c’est le cœur de sa mission. La question de l’extension aux personnes privées, simples particuliers, de l’obligation éventuelle de comparaître devant une commission d’enquête reçoit, elle aussi, des réponses diverses selon les pays, bien que la commission d’enquête puisse également viser de telles personnes dans la quasi-totalité des États membres.

    107.  Les rapports entre les commissions d’enquête et les autorités judiciaires sont également réglés de manière très diverse. La majorité des pays permettent qu’une procédure devant une commission d’enquête parlementaire soit menée parallèlement à une procédure pénale portant sur les mêmes faits. L’accès de la commission d’enquête au dossier pénal est possible dans une partie des États, parfois sous certaines conditions, de même que la transmission d’informations ou de conclusions de la commission parlementaire aux autorités de poursuite pour éventuelle action de ces dernières. Ce sont néanmoins les autorités de poursuite qui décident des suites à donner à cette transmission.

    108.  Certains États prévoient expressément que les deux institutions se doivent d’être indépendantes l’une de l’autre, en indiquant notamment que les travaux de la commission parlementaire ne doivent avoir aucune incidence sur la procédure pénale et que, inversement, les conclusions de la commission ne peuvent lier les autorités pénales.

    109.  Les travaux d’une commission parlementaire d’enquête débouchent toujours sur un rapport au parlement, généralement examiné en séance plénière. Les rapports des commissions d’enquête sont en règle générale publiés ; une absence de publication ou une publication seulement partielle ne semblent possibles que dans un nombre réduit d’États. Il revient ensuite au parlement lui-même de décider s’il y a lieu d’envisager des sanctions politiques (comme une motion de censure) ou des réformes législatives ou budgétaires.

    G.  Le code d’application des peines de 1997

    110.  Les dispositions pertinentes du code d’application des peines sont les suivantes :

    Article 4

    « Les peines (...) sont appliquées de façon humanitaire, dans le respect de la dignité de la personne condamnée. La torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants sont prohibés.

    (...) »

    Article 15

    « (...)

    En cas d’obstacle, qui rendrait durablement impossible la poursuite d’une procédure d’application d’une peine, en particulier, lorsque la personne condamnée est introuvable ou bien la décision rendue à son encontre ne peut être appliquée en raison d’une maladie mentale ou d’une autre maladie chronique grave, l’application de la peine est suspendue entièrement ou en partie jusqu’à la suppression dudit obstacle.

    (...) »

    Article 150

    « § 1. L’application d’une peine d’emprisonnement est reportée en cas de maladie mentale ou d’une autre maladie grave rendant impossible son application jusqu’à la supression de ces obstacles.

    § 2. Est considérée comme maladie grave la situation où l’incarcération de la personne condamnée pourrait comporter un risque pour sa vie ou mettre sa santé en grave danger. »

    Article 151

    « § 1. Le tribunal peut reporter l’application d’une peine d’emprisonnement pour une durée correspondant à une période pouvant aller jusqu’à six mois, lorsque son application immédiate pourrait avoir des conséquences trop graves pour la personne condamnée ou pour sa famille.

    (...) »

    Article 153

    « § 1. Le tribunal d’application des peines prononce l’interruption de l’application de la peine d’emprisonnement dans une situation qui correspondrait à l’article 150 § 1 jusqu’à la suppression de l’obstacle [y étant mentionné].

    § 2. Le tribunal d’application des peines peut prononcer l’interruption de l’application d’une peine d’emprisonnement pour d’importantes raisons de santé, familiales ou personnelles.

    (...) »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    111.  Citant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été incarcéré en dépit de son état de santé et de n’avoir pas bénéficié de soins adaptés en milieu carcéral. La disposition de la Convention invoquée par le requérant est ainsi libellée :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    112.  Le Gouvernement récuse ces griefs.

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Le Gouvernement

    113.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, au motif que le requérant n’a pas engagé d’action sur le fondement de l’article 24 du code civil pour se faire indemniser du préjudice qu’il affirme avoir subi en raison de l’incarcération litigieuse.

    2.  Le requérant

    114.  Le requérant répond qu’il a utilisé plusieurs recours pour tenter d’empêcher son incarcération en faisant valoir son état de santé. Il souligne que le recours invoqué par le Gouvernement, purement indemnitaire, n’est d’aucune utilité dans des situations urgentes, comme l’était la sienne.

    3.  L’appréciation de la Cour

    115.  La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention. Cette disposition doit s’appliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif » ; il suffit que l’intéressé ait soulevé devant les juridictions nationales « au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne » les griefs qu’il entend par la suite formuler devant la Cour » (voir, entre autres, Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99 et autres, §§ 69-70, CEDH 2010, Hajoł c. Pologne, no 1127/06, § 49, 2 mars 2010).

    116.  En l’espèce, la Cour note que le requérant a exercé plusieurs recours au sujet de l’application de sa peine. Il a en particulier présenté des demandes de report d’incarcération, de congé pénal, ou encore de libération anticipée. Dans ses recours, il a bien soulevé l’incompatibilité qui existait selon lui entre la vie en milieu carcéral et son état de santé.

    Compte tenu du fait que les recours exercés par le requérant devaient être examinés à bref délai, ils étaient plus appropriés qu’une action indemnitaire pour remédier à une situation potentiellement urgente, comme la sienne en l’espèce.

    La Cour rappelle également que, lorsque le droit interne offre plusieurs recours parallèles relevant de différents domaines du droit, l’article 35 § 1 de la Convention n’exige pas qu’un requérant, après avoir tenté d’obtenir le redressement d’une violation alléguée de la Convention au travers de l’un de ces recours, doive encore nécessairement en utiliser d’autres (Kaniewski c. Pologne, no 38049/02, § 37, 8 novembre 2005).

    117.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le grief du requérant a été soulevé de manière adéquate devant les autorités internes.

    118.  Partant, elle rejette l’exception du Gouvernement.

    119.  La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Le requérant

    120.  Le requérant estime avoir subi un traitement contraire à l’article 3 de la Convention tenant au fait que, selon ses dires, son état de santé n’était pas compatible avec son incarcération et qu’il n’a pas bénéficié des soins requis en milieu carcéral. Il expose :

    - que son incarcération en avril 2005 est intervenue sans coronarographie préalable, en dépit des conclusions d’expertise selon lesquelles l’examen en question était indispensable à l’évaluation de son état de santé ;

    - qu’avant d’ordonner sa mise sous écrou, les autorités ont omis de s’assurer que les soins appropriés à son état de santé lui seraient prodigués en milieu carcéral ;

    - que durant le temps d’attente de sa libération, ordonnée ultérieurement par la cour d’appel, il a éprouvé du stress et de l’angoisse en raison de l’incertitude quant à la question de savoir si les soins appropriés lui seraient prodigués en cas d’urgence par les autorités carcérales.

    121.  Le requérant fait tout d’abord remarquer que sa demande de congé pénal a été rejetée le 18 avril 2005 malgré les conclusions médicales établissant qu’il devrait suivre une thérapie postopératoire dans une clinique spécialisée hors milieu carcéral.

    Il fait ensuite observer que sa réincarcération en novembre 2005 a été ordonnée au motif qu’il était resté en défaut de se soumettre à l’examen médical exigé par les autorités. Or, dans les nombreuses lettres qu’il leur avait fait parvenir, il avait expliqué que les raisons ne lui en étaient pas imputables : selon ses dires, le délai qui lui avait été imparti pour la présentation des résultats de la coronarographie était trop court et, à la date prévue pour l’examen, le médecin censé le pratiquer était indisponible.

    122.  Le requérant considère que sa prise en charge médicale en milieu carcéral a été inadéquate. Il affirme qu’avant que ses proches fussent autorisés à lui fournir les médicaments indisponibles à la maison d’arrêt, certains produits médicamenteux prescrits par les spécialistes ne lui étaient administrés que périodiquement et que d’autres étaient remplacés par des génériques.

    123.  Le requérant souligne qu’à deux reprises, à savoir le 8 février et le 9 juin 2006, les autorités ont refusé de lui permettre de se rendre dans une clinique hors milieu carcéral dans le cadre du suivi de son traitement médicamenteux, alors que la maison d’arrêt ne disposait pas des spécialistes susceptibles de se prononcer en la matière, à savoir un diabétologue et un cardiologue.

    Il fait observer que ses proches n’ont été autorisés à lui apporter les produits alimentaires répondant aux exigences de son régime pour diabétiques que deux fois.

  1. .  Le requérant rejette les dires du Gouvernement selon lesquels le suivi médical dont il a fait l’objet à la maison d’arrêt aurait permis de stabiliser son état. D’abord, explique-t-il, le stress subi du fait des difficultés à se procurer les médicaments requis et à consulter les spécialistes n’a certainement pas contribué à l’amélioration de sa santé. Ensuite, selon lui, le refus du 16 mai 2005 de lui accorder un congé pénal (paragraphe 63 ci‑dessus) a altéré sa rééducation consécutive à l’angioplastie coronaire.
  2. .  Le requérant affirme que sa surveillance par des gardiens armés pendant son hospitalisation à la clinique civile – en particulier la présence desdits gardiens lors de ses entretiens avec les membres du personnel médical – a été oppressante et humiliante, et a porté atteinte à sa dignité. Selon lui, cette mesure a été appliquée en violation du secret médical et a entravé le bon déroulement des soins qui lui étaient prodigués. Estimant que son état de santé écartait tout risque de fuite, il estime que cette surveillance aurait pu et dû prendre une forme moins intrusive, par un positionnement des gardiens en dehors de sa chambre d’hôpital.
  3. 2.  Le Gouvernement

  4. .  Le Gouvernement soutient que l’article 3 de la Convention n’a pas été violé. Sans contester que l’état de santé du requérant était préoccupant, il estime que les exigences établies par la Cour en matière de traitement des détenus malades ont été observées : selon lui, l’état de santé du requérant a fait l’objet d’un suivi et d’un traitement médicalement encadrés et effectués par un personnel médical spécialisé, et en outre, il s’est vu dispenser les soins médicaux appropriés à son état de santé.
  5. .  Le Gouvernement expose :
  6. - qu’avant ses incarcérations successives en avril et en novembre 2005, le requérant a subi des examens médicaux dans le cadre de l’évaluation préalable de la compatibilité de son état avec l’incarcération ;

    - que, dès sa mise sous écrou, il a bénéficié d’un suivi médical continu et approprié ;

    - qu’il a fait l’objet de divers examens médicaux dans le cadre du système de santé carcéral : à titre d’exemple, le 14 décembre 2005 et le 2 mars 2006, il a subi des tests sanguins, les 2, 6, 14 et 15 février 2006, des examens pour son diabète et ses problèmes cardiovasculaires, le 27 décembre 2005, un examen par un ophtalmologue et le 7 juin 2006 un examen par un spécialiste en médecine interne, lequel a conclu au maintien de son traitement habituel ;

    - qu’à l’issue des examens réalisés les 20 et 27 juin 2006 par un cardiologue, aucune circonstance de nature à exiger son hospitalisation ou une coronarographie n’a été relevée ;

    - que le requérant a refusé de se soumettre aux examens complémentaires recommandés par le cardiologue en cause.

    128.  Le Gouvernement affirme que le personnel de santé pénitentiaire a veillé à la bonne application des recommandations des spécialistes en matière de traitement médicamenteux du requérant.

    En réponse aux griefs du requérant concernant l’administration des médicaments, le Gouvernement se réfère aux déclarations effectuées à l’audience du 16 mai 2005 par un des spécialistes de la clinique civile, selon lesquelles, à la fin de son hospitalisation dans ladite clinique, l’intéressé s’était vu remettre par le personnel médical de la clinique le médicament dont il avait besoin (Plavix) en une quantité correspondant à quatre jours de traitement, avec en outre une ordonnance lui permettant de s’en procurer ultérieurement. Ceci explique, selon le Gouvernement, pourquoi pendant quatre jours après son hospitalisation - du 14 au 19 mai 2005 - le médicament concerné ne lui a pas été administré par les médecins pénitentiaires.

    Le Gouvernement se réfère également à la lettre des médecins pénitentiaires adressée au tribunal en date du 20 mai 2005, selon laquelle le traitement administré au requérant en milieu carcéral avait été adéquat.

    129.  Le Gouvernement expose également :

    - qu’à la suite des demandes présentées par le requérant les 14 novembre et 15 décembre 2005 ainsi que le 20 juin 2006, ses proches ont été autorisés à lui apporter certains produits médicamenteux ;

    - que cette mesure a été appliquée non pas pour remplacer ou compléter le traitement dispensé au requérant par les autorités pénitentiaires, mais pour améliorer son bien-être et son sentiment de sécurité ;

    - que lorsque le 13 octobre 2006, le requérant avait informé les autorités qu’il ne disposait plus de l’un de ses médicaments, celles-ci le lui ont fourni sans délai.

    130.  Le Gouvernement affirme en outre :

    - qu’à compter du 3 novembre 2005 et jusqu’à sa libération, le régime alimentaire du requérant a été observé par les services pénitentiaires ;

    - que le 7 novembre 2005, ses proches ont pu apporter au requérant certains produits alimentaires en complément de son régime ;

    - que le requérant s’est vu fournir par les autorités du matériel médical lui permettant de relever lui-même sa tension artérielle et son taux de glycémie, qui ont par ailleurs été régulièrement contrôlés par le personnel de santé pénitentiaire ;

    - que, compte tenu de son état de santé, le requérant a bénéficié de promenades journalières plus longues que d’autres détenus.

    131.  Outre les soins qui lui ont été dispensés dans le cadre du système de santé carcéral, explique le Gouvernement, le requérant a été suivi par des spécialistes des hôpitaux externes. Ainsi, à titre d’exemple, le 28 novembre 2005, le 4 avril et le 16 juin 2006, il a été examiné par les médecins à l’extérieur de la prison et a été hospitalisé à deux reprises dans une clinique civile spécialisée dans les soins cardiovasculaires. Après avoir quitté ladite clinique, le requérant a été accueilli à l’hôpital pénitentiaire.

    Le Gouvernement indique qu’à plusieurs reprises, le requérant a refusé de se soumettre aux examens médicaux recommandés par les spécialistes (scintigraphie myocardique, gastroscopie et colonoscopie), au motif qu’il n’avait pas confiance dans la qualité des soins dispensés en milieu carcéral.

    132.  Selon le Gouvernement, le requérant est resté en défaut d’établir la détérioration de son état de santé consécutive à l’incarcération litigieuse. Au contraire, estime-t-il, son état de santé, notamment son diabète, s’est stabilisé grâce au suivi médical dont il avait fait l’objet en milieu carcéral. Le Gouvernement se réfère ici à divers éléments du dossier médical du requérant faisant apparaître, selon lui, l’absence de suivi médical approprié de l’intéressé antérieurement à son incarcération et la stabilité de son état de santé à sa libération.

    133.  Le Gouvernement souligne que les conditions matérielles d’incarcération du requérant respectaient les normes d’hygiène et celles en matière d’espace habitable dans les cellules. Il affirme que sa santé et son bien-être ont été assurés, compte tenu des exigences pratiques de l’emprisonnement.

    134.  Pour autant que le requérant se plaint d’avoir été surveillé par des gardiens lors de ses transfèrements à la clinique extérieure à la prison et de son hospitalisation dans celle-ci, le Gouvernement expose, tout en reconnaissant que cette surveillance a pu être désagréable pour l’intéressé :

    - qu’il s’agissait d’une mesure habituelle en cas d’interventions médicales réalisées hors milieu carcéral ;

    - que la mesure concernée n’était pas disproportionnée, dès lors que les gardiens n’ont jamais assisté aux interventions médicales pratiquées à l’égard du requérant ;

    - qu’à l’époque des faits, le requérant purgeait une peine de prison, et que la clinique dans laquelle il était hospitalisé n’était pourvue d’aucun dispositif de sécurité ;

    - qu’aucun élément du dossier ne fait apparaître que les gardiens auraient eu à l’égard du requérant un comportement irrespectueux ou contraire à sa dignité.

    3.  L’appréciation de la Cour

    135.  La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé d’un requérant (voir, entre autres, Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 24, CEDH 2001-VII, Mouisel c. France, no 67263/01, § 37, CEDH 2002-IX).

    Pour qu’une peine et le traitement dont elle s’accompagne puissent être qualifiés d’« inhumains » ou de « dégradants », la souffrance ou l’humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peines légitimes (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 68, CEDH 2006-IX).

    136.  S’agissant en particulier de personnes privées de liberté, l’article 3 impose à l’État l’obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne le soumettent pas à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI, Rivière c. France, no 33834/03, § 62, 11 juillet 2006).

    137.  Les autorités nationales doivent faire en sorte que les diagnostics et les soins médicaux dans les lieux de détention, y compris les hôpitaux de prison, répondent à l’urgence et soit effectués de manière fiable. En outre, lorsque l’état de santé l’exige, le suivi médical doit se faire à des intervalles régulières et comporter un traitement adapté, destiné à le guérir ou du moins empêcher la dégradation de cet état (Khatayev c. Russie, no 56994/09, § 85, 11 octobre 2011 ; Sakhvadze c. Russie, no 15492/09, § 83, 10 janvier 2012).

    De manière générale, la Cour se reconnaît une grande souplesse pour définir le niveau requis des soins médicaux, en procédant à une appréciation au cas par cas (Lavrentiadis c. Grèce, no 29896/13, § 67, 22 décembre 2015). Ce niveau devrait être « compatible avec la dignité humaine » de chaque détenu (Papastavrou c. Grèce, no 63054/13, § 88, 16 avril 2015), mais devrait aussi prendre en considération « les exigences pratiques de l’incarcération » (Aleksanyan c. Russie, no 46468/06, § 140, 22 décembre 2008). La Cour se doit de rechercher si les autorités nationales ont fait ce que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles vu la gravité de la maladie du requérant (Kotsaftis c. Grèce, no 39780/06, § 53, 12 juin 2008).

    138.  Les conditions de détention d’une personne malade doivent garantir la protection de la santé du prisonnier, eu égard aux contingences ordinaires et raisonnables de l’emprisonnement. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de remettre en liberté ou bien de transférer dans un hôpital civil un détenu, même si ce dernier souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner (Mouisel, précité, § 40), l’article 3 de la Convention impose en tout cas à l’État de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté. La Cour ne saurait exclure que, dans des conditions particulièrement graves, l’on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale exige que des mesures de nature humanitaire soient prises pour y parer (Matencio c. France, no 58749/00, § 76, 15 janvier 2004, Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, § 38, 15 janvier 2004).

    139.  La Cour rappelle que dans l’affaire Sakkopoulos, elle a tenu compte de trois éléments pour examiner la compatibilité d’un état de santé préoccupant avec le maintien en détention du requérant : a) l’état de l’intéressé, b) la qualité des soins dispensés et c) l’opportunité de maintenir la détention dans ce contexte.

    La Cour estime que ces critères sont pertinents dans la présente affaire.

    140.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que l’incarcération du requérant, intervenue à la suite de sa condamnation par la cour d’appel de Varsovie à une peine de deux ans d’emprisonnement, se divise en deux périodes, à savoir celle du 18 avril au 31 mai 2005, d’environ un mois et demi, et celle du 2 novembre 2005 au 14 novembre 2006, d’environ une année.

    141.  La Cour note que, selon les rapports et certificats médicaux recueillis par les autorités, le requérant souffrait des pathologies suivantes : hypertension artérielle improprement suivie, diabète de type 2, maladie cardiaque ischémique stable (stabilna choroba wieńcowa), hernie discale, troubles du métabolisme, avec une importante obésité.

    Tout au long de son incarcération, le requérant a été suivi par des médecins. À aucun moment ceux-ci n’ont suggéré que son état de santé était durablement incompatible avec la vie carcérale.

    Sur la base de ces éléments, la Cour n’estime pas que les problèmes de santé susmentionnés, quoique préoccupants, fussent par principe incompatibles avec l’incarcération (Shishmanov c. Bulgarie, no 37449/02, § 44, 8 janvier 2009).

    142.  Quant à l’opportunité du maintien en détention, compte tenu notamment de son état de santé, la Cour note qu’à la suite des recours exercés par l’intéressé au sujet de l’application de sa peine, cette question a été examinée à plusieurs occasions par les autorités nationales. Les décisions en la matière ont été rendues sur la base des rapports médicolégaux et des certificats médicaux établis par les spécialistes extérieurs à la prison et par les membres du personnel de santé pénitentiaire.

    143.  La Cour observe à cet égard que, avant sa mise sous écrou, le requérant avait formulé une demande de report de peine, au motif que son incarcération présentait un risque pour sa vie et sa santé. Sa demande a été rejetée par le tribunal régional de Varsovie, au motif qu’un rapport d’expertise constatait qu’il pouvait être incarcéré dans un établissement pénitentiaire doté d’une unité hospitalière. Environ un mois et demi plus tard, la cour d’appel de Varsovie a annulé cette décision, au motif que, au vu des interventions médicales réalisées dans l’intervalle, une nouvelle évaluation de son état de santé s’imposait. La cour d’appel a ordonné que le requérant soit libéré dans l’attente de l’évaluation en cause.

    Or, la Cour note qu’environ cinq mois plus tard, le requérant a été réincarcéré sans que l’on eût procédé à l’évaluation préalable, exigée par la cour d’appel, de la compatibilité de son état avec l’incarcération. Les experts appelés à se prononcer en la matière ont estimé ne pas pouvoir le faire sans coronarographie préalable. Malgré les reports subséquents par les tribunaux du délai imparti au requérant pour la présentation des résultats dudit examen, les éléments en cause n’ont pas été versés au dossier. Le requérant étant resté à plusieurs reprises en défaut de produire les éléments médicaux demandés, les juridictions ont estimé qu’il cherchait à entraver la procédure relative à l’établissement de la compatibilité de son état avec l’incarcération. Pour ordonner sa réincarcération, le tribunal a mis l’accent sur le fait que la prise en charge du requérant par les services de santé pénitentiaires permettrait l’évaluation de son état de santé.

    144.  La Cour relève que les rapports d’expertise et les avis médicaux recueillis par les autorités après la réincarcération du requérant indiquaient tous de façon concordante que son état de santé n’était pas incompatible avec la détention. En outre, après être initialement parvenus à la conclusion inverse, les membres du collège ont estimé qu’un examen coronarographique n’était pas nécessaire à l’évaluation de la compatibilité de son état avec l’incarcération. Les médecins pénitentiaires ont également confirmé que des soins adaptés à son état de santé lui étaient prodigués en prison.

    Force est de constater que le requérant n’a produit aucun élément médical laissant apparaître une détérioration de son état de santé consécutive aux défaillances alléguées de son suivi et des soins qui lui étaient dispensés en milieu carcéral.

    La Cour relève par ailleurs qu’après avoir purgé une partie de sa peine, le requérant a été admis au bénéfice de la libération anticipée.

    145.  Quant aux soins dispensés au requérant, la Cour note qu’en milieu carcéral, il a fait l’objet d’un suivi par le personnel de santé pénitentiaire, y compris par des spécialistes. Rien dans le dossier ne fait apparaître que les soins prodigués au requérant dans le cadre du réseau de santé pénitentiaire auraient été inadaptés à son état de santé. La Cour note plus particulièrement qu’il a subi divers examens médicaux dans le cadre du suivi de ses problèmes cardiovasculaires et de son diabète, et qu’il a été traité conformément aux prescriptions médicales des spécialistes de la clinique civile.

    146.  La Cour relève que, outre le traitement lui ayant été administré dans le réseau de santé pénitentiaire, le requérant a bénéficié d’un suivi par des spécialistes extérieurs à la prison. Dans ce cadre, il a subi des interventions médicales dans une clinique spécialisée dans les soins cardiovasculaires. Après son hospitalisation dans une structure de soins externe pour son angioplastie coronaire, le requérant a été admis à l’hôpital pénitentiaire.

    147.  Pour autant que le requérant se plaint d’avoir été surveillé par les gardiens pendant son hospitalisation hors milieu carcéral, il n’apparaît pas que ce grief ait été soulevé auprès des autorités internes.

    148.  En définitive, les éléments du dossier permettent de conclure que les autorités ont été attentives à l’état du requérant et que les conditions générales de sa détention ne prêtent pas à critique.

    149.  Compte tenu des éléments susmentionnés, la Cour rappelle qu’elle ne peut pas substituer son point de vue à celui des juridictions internes quant au maintien ou non de la détention, en particulier lorsque, comme en l’espèce, leurs décisions ont été rendues sur le fondement d’avis d’experts et que les autorités nationales ont satisfait en général à leur obligation de protéger l’intégrité physique du requérant (Sakkopoulos, précité, § 44, Hajoł, précité, § 68).

    150.  Après s’être livrée à l’appréciation globale de la situation du requérant sur la base des éléments produits devant elle, la Cour conclut que les conditions de son incarcération n’ont pas constitué un traitement inhumain ou dégradant.

    151.  Partant, l’article 3 de la Convention n’a pas été violé.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 et 2 DE LA CONVENTION CONCERNANT LA PRÉSOMPTION DINNOCENCE ET LE DROIT D’ÊTRE JUGÉ PAR UN TRIBUNAL INDÉPENDANT ET IMPARTIAL

    152.  Le requérant se plaint que les conditions dans lesquelles son procès a eu lieu ont rendu celui-ci inéquitable.

    Plus particulièrement, il allègue une violation du principe de la présomption d’innocence et de son droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial, du fait des travaux menés parallèlement à son procès par la commission d’enquête parlementaire, qui portaient sur les mêmes faits et circonstances et mobilisaient les mêmes moyens de preuve que la procédure pénale. Le requérant estime notamment que sa présomption d’innocence a été malmenée par certains « constats » du rapport de la commission, voire par le libellé même de la résolution du Parlement portant création de celle-ci. La campagne de presse autour des procédures susmentionnées a par ailleurs aggravé, à ses yeux, le caractère inéquitable de la procédure pénale engagée à son encontre.

    Le requérant invoque l’article 6 §§ 1, 2 et 3 b), c) et d) de la Convention. Ces dispositions se lisent ainsi dans leurs parties pertinentes :

    « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

    2.  Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

    3.  Tout accusé a droit notamment à : (...)

    b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

    c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix (...) ;

    d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. »

    A.  Sur la recevabilité

    153.  La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Les thèses des parties

    a)  Le requérant

    154.  Considérant que son cas soulève des questions sur lesquelles la Cour n’a jamais eu l’occasion de se prononcer, le requérant soutient que compte tenu de la jurisprudence développée dans les affaires Saunders c. Royaume-Uni (17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI) et Gillow c. Royaume-Uni (24 novembre 1986, série A no 109), il ne saurait être exclu qu’un problème puisse se poser sur le terrain de l’article 6 de la Convention du fait de la concomitance entre des procédures de nature différente mais portant sur les mêmes faits et circonstances.

    155.  Le requérant fait observer dans ce contexte que son procès a eu lieu en parallèle des travaux d’une commission parlementaire d’enquête, composée de députés et suivant mutatis mutandis les dispositions pertinentes du code de procédure pénale.

    En l’espèce, les travaux de la commission ont été menés publiquement et ont été retransmis en direct par plusieurs médias, dont deux chaînes nationales de télévision. L’objet de ces travaux et les faits examinés dans ce cadre se confondaient, estime le requérant, avec ceux de la procédure pénale engagée à son encontre. La commission s’est particulièrement intéressée, explique-t-il, à sa présumée tentative de se procurer des avantages financiers et politiques en échange d’une loi sur l’audiovisuel favorable aux médias privés, soit à des faits identiques à ceux couverts par le principal chef d’inculpation retenu à son encontre et qui ont ensuite constitué le principal motif de sa condamnation pénale.

    Le requérant considère de surcroît que, en enquêtant sur son comportement, la commission a violé le principe posé par la Cour constitutionnelle, selon lequel la conduite des particuliers n’exerçant pas de fonctions officielles échappait au contrôle du Parlement.

    156.  Estimant que le rapport de la commission l’a présenté comme coupable des faits qui lui étaient reprochés par les autorités pénales alors que sa culpabilité n’était pas légalement établie, le requérant estime que sa présomption d’innocence a été violée. Il souligne que l’adoption et la diffusion de ce rapport sont intervenues avant l’achèvement de la procédure pénale engagée à son encontre.

    Aux yeux du requérant, une première violation de sa présomption d’innocence avait déjà eu lieu à travers le libellé même de la résolution du Parlement portant création de la commission d’enquête : selon ladite résolution, explique-t-il, la commission devait enquêter sur sa « tentative » - sans que le mot fût suivi de l’épithète « présumée » - d’extorsion d’avantages financiers et politiques. Cette résolution, précise-t-il, avait été adoptée à l’époque où l’enquête pénale le concernant en était au stade in rem.

    157.  Qui plus est, selon le requérant, la violation de sa présomption d’innocence a été aggravée par la campagne de presse autour des procédures concernées, campagne qu’il décrit comme virulente, dépourvue d’objectivité et hostile à son égard. Mais, à ses yeux, cette campagne de presse avait bien été attisée par une autorité de l’État, en l’occurrence la commission elle-même. Pour étayer ses affirmations, le requérant se référait aux publications de l’hebdomadaire Wprost et de la Gazeta Wyborcza (paragraphes 14 et 28 ci-dessus) ainsi qu’aux déclarations prononcées lors des entretiens avec les médias par certains membres de la commission.

    158.  Le requérant estime que, du fait de leur envergure et de leur importance, les travaux de la commission et leur couverture médiatique ont influencé le déroulement et la solution de son procès. Sur ce point, il fait observer que le président de la formation de jugement du tribunal régional de Varsovie a lui-même déclaré que les membres de ce tribunal avaient été soumis à des pressions en raison des commentaires médiatiques des journalistes et des hommes politiques au sujet de l’affaire.

    159.  Pour le requérant, le fait que l’instruction de son procès ait été prise en charge uniquement par des magistrats professionnels n’a pas suffi à préserver son caractère équitable. Selon lui, les magistrats n’ont pas pris les mesures qui eussent été nécessaires pour réduire l’incidence de la campagne de presse sur l’équité du procès. Au contraire, selon lui, en autorisant la retransmission des débats, au lieu de restreindre leur publicité, le tribunal régional a encouragé la campagne de presse hostile à son encontre.

    160.  Le requérant soutient que le jugement rendu dans la procédure qu’il a engagée contre l’hebdomadaire Wprost fait apparaître que les tribunaux se sont ralliés à l’opinion véhiculée par les médias selon laquelle il était coupable des faits qui lui étaient reprochés par les autorités pénales.

    161.  Reconnaissant que l’intérêt des médias pour une affaire comme la sienne était justifié, le requérant estime en revanche que les autorités auraient dû veiller davantage, dans la conduite de l’instruction, au respect des principes du procès équitable.

    162.  Le requérant soutient qu’en l’espèce, l’équité de la procédure pénale a été viciée par la coopération particulièrement poussée de la commission parlementaire avec les autorités pénales. Il expose qu’à la suite d’échanges entre lesdites autorités, des éléments d’information que la commission avait acquis en violation des règles processuelles pénales ont été incorporés au dossier de la procédure pénale et utilisés en tant que moyens de preuve à l’appui de sa condamnation. Le requérant ajoute que la publicité des travaux de la commission a conduit à la divulgation d’éléments protégés par le secret de l’instruction.

    163.  Pour le requérant, la concomitance entre la procédure pénale et les travaux de la commission a nui à la fiabilité des témoignages sur lesquels sa condamnation pénale a été fondée. Selon lui, certains membres de la commission ont, lors de séances publiques et retransmises par la télévision, mis à profit leur connaissance préalable du dossier de l’enquête pénale pour poser aux témoins, qui ne s’y attendaient pas, des questions pièges. Ils auraient en outre émis verbalement des commentaires susceptibles de fausser le sens des témoignages ou d’amener les témoins à déposer dans un sens donné.

    Le requérant ajoute que, après avoir été interrogés par la commission, certains témoins ont été entendus sur les mêmes circonstances par le tribunal. Or, affirme-t-il, en raison de la publicité des auditions de la commission, les déclarations des premiers témoins étaient connues des suivants au moment où ceux-ci furent appelés à comparaître. Certains témoins, insiste le requérant, auraient reconnu avoir été influencés de la sorte. Pour lui, les circonstances susmentionnées ont entravé l’exercice des droits de la défense et l’établissement de la vérité objective par les juges.

    164.  Le requérant soutient qu’en l’espèce, du fait de leur coopération très étroite, la commission parlementaire et les autorités pénales ont été perçues par l’opinion publique comme travaillant de concert. Cette impression, explique-t-il, a été amplifiée par les auditions à huis clos, devant la commission, du membre du parquet ayant mené l’instruction pénale ; mais aussi par la participation aux travaux de la commission, en tant qu’experts, de deux hauts magistrats de la Cour suprême, jusqu’à leur récusation consécutive à l’intervention du président de la haute juridiction.

    165.  En dernier lieu, le requérant expose que les recours qu’il a exercés auprès des juridictions internes se sont révélés inefficaces pour remédier aux violations de son droit à un procès équitable.

    b)  Le Gouvernement

    166.  Le Gouvernement soutient que l’article 6 de la Convention n’a pas été violé.

    À titre liminaire il fait observer que la concomitance éventuelle entre les travaux d’une commission et une autre procédure, notamment pénale, portant sur les mêmes faits et circonstances, est permise en droit polonais - en l’occurrence, par l’article 8 alinéa 1 de la loi sur les commissions d’enquête parlementaires.

    Il souligne que si l’article 8 alinéa 4 de ladite loi envisage certes la possibilité pour la commission de suspendre ses travaux, dans le cas où les éléments d’information recueillis dans la procédure en cours devant une autre instance lui seraient utiles à l’examen de l’affaire dont elle est saisie (paragraphe 83 ci-dessus), cette suspension n’est pas pour la commission une obligation, mais une simple faculté.

    167.  Le Gouvernement fait remarquer que, selon l’article 14 alinéas 1 et 3 de la loi sur les commissions d’enquête parlementaires, les autorités instruisant les procédures susmentionnées peuvent, voire doivent coopérer. Ainsi, la commission peut exiger de l’autre autorité publique des explications écrites, et peut consulter le dossier de l’affaire instruite par elle. En sens inverse, si les éléments recueillis par la commission sont utiles à la résolution d’une affaire examinée par le parquet ou par un tribunal, la commission leur y donne accès. La commission peut également demander l’aide des autorités de poursuite pour réaliser certains actes d’instruction, auxquels son président ou l’un de ses membres pourront assister.

    168.  Pour le Gouvernement, on ne saurait raisonnablement critiquer la législation susmentionnée comme permettant indûment à la commission de « s’immiscer » dans la procédure conduite simultanément sur les mêmes faits par une autre autorité publique ; en effet, explique-t-il :

    - les actes d’instruction réalisés par le parquet à la demande de la commission ne sont pas considérés comme faisant partie des actes de l’enquête pénale ;

    - leur portée est limitée aux travaux de la commission ;

    - quant aux éléments d’information obtenus à l’issue des actes réalisés par le parquet à la demande de la commission, leur utilisation éventuelle dans la procédure pénale suit les mêmes règles que celles concernant l’utilisation par les autorités pénales d’autres éléments réunis par la commission.

    169.  L’utilisation des éléments réunis par la commission, explique le Gouvernement, est expressément autorisée par le droit interne. L’article 2 § 2 du code de procédure pénale en fait même obligation aux autorités pénales lorsque les éléments concernés leur sont utiles à l’établissement de la vérité « objective ». Cette obligation a pour corollaire celle, incombant au président de la formation de jugement en vertu de l’article 366 § 1 du code de procédure pénale (paragraphe 84 ci-dessus), de veiller à l’élucidation de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’affaire.

    170.  L’utilisation en tant que moyens de preuve dans la procédure pénale des témoignages recueillis dans le cadre d’une autre procédure, indique le Gouvernement, est légalement encadrée et a lieu dans le respect des principes directeurs du procès pénal. Dans la mesure où, selon les règles applicables, chaque preuve doit en principe être produite à l’audience, le tribunal ne peut sans motif valable renoncer à entendre un témoin pour substituer à son audition directe la simple lecture de dépositions faites antérieurement par lui dans le cadre d’une autre procédure. De telles déclarations ne peuvent constituer des moyens de preuve dans la procédure pénale que dans la mesure permise par la loi, à savoir par les articles 391 § 1 et 392 § 1 du code de procédure pénale (paragraphe 84 ci-dessus).

    171.  Lorsque les autorités pénales se servent d’éléments recueillis par une autre autorité publique, explique le Gouvernement, elles ne sont pas liées par les conclusions auxquelles l’autorité en question est parvenue sur leur base. Dans l’hypothèse de leur admission en tant que moyens de preuve dans l’affaire pénale, les éléments concernés sont appréciés par le juge de la même manière que les preuves en général.

    172.  Le Gouvernement fait valoir que l’objet et la finalité des travaux de la commission parlementaire se distinguaient de ceux de la procédure pénale dirigée contre le requérant, et qu’en outre, les procédures concernées n’étaient pas interdépendantes.

    En vertu de la Constitution polonaise, la justice est rendue par la Cour suprême et les juridictions de l’ordre judiciaire. Or, dans l’exercice des attributions qui leur sont dévolues, insiste le Gouvernement, les magistrats sont indépendants et ne sont soumis qu’à la Constitution et aux lois. Ces dernières prévoient des garanties spécifiques en matière d’indépendance et d’impartialité des magistrats. Et, naturellement, en cas de doute justifié quant à son impartialité, un magistrat sera récusé, d’office ou à la demande d’une partie.

    173.  Aux termes des dispositions pertinentes de la Constitution (paragraphe 82 ci-dessus), une commission d’enquête est créée pour examiner une affaire donnée selon les modalités prévues par la loi sur les commissions d’enquête parlementaires, tandis que la procédure pénale tend à la détermination de l’identité de l’auteur d’une infraction et à la mise en jeu de sa responsabilité pénale dans le respect des principes tels que la présomption d’innocence, l’autonomie juridictionnelle du tribunal, la recherche de la vérité objective et le respect des droits de la défense.

    174.  Bien qu’une commission parlementaire d’enquête d’un côté et une juridiction pénale de l’autre puissent être appelées à examiner les mêmes faits et circonstances, elles les apprécieront chacune sous un angle différent. En particulier, la commission elle-même ne peut engager la responsabilité pénale de qui que ce soit : elle peut uniquement formuler un avis sur l’opportunité de la mise en jeu de la responsabilité sur le plan constitutionnel de certains responsables politiques. En d’autres termes, la commission peut uniquement enquêter sur la conduite de personnes investies d’une parcelle de l’autorité publique, au regard de leur éventuelle responsabilité politique ou constitutionnelle ; elle ne peut en aucune façon se prononcer sur la responsabilité pénale de quiconque, et ce à plus forte raison pour des personnes n’exerçant pas de fonctions officielles au sein des organes soumis au contrôle du Parlement.

    175.  Le Gouvernement expose que les éléments réunis par la commission et les conclusions de son rapport ne lient pas les autorités pénales et n’ont aucune incidence sur l’activité juridictionnelle des tribunaux. Les constats du rapport de la commission au sujet de l’éventuelle responsabilité pénale des personnes visées par ses travaux peuvent être regardés, tout au plus, comme un signalement aux autorités de poursuite qu’une infraction pourrait avoir été commise (article 304 paragraphe 2 du code de procédure pénale). Toutefois, l’opportunité des poursuites relève toujours de l’appréciation indépendante des autorités pénales.

    Le Gouvernement ajoute que la commission ne peut se constituer partie à la procédure pénale ni en influencer d’aucune manière le déroulement - comme si elle pouvait, par exemple, suggérer aux autorités poursuivantes d’accomplir tel ou tel acte d’instruction.

    176.  Le Gouvernement fait remarquer qu’en l’espèce, l’examen par la commission et par les juridictions pénales de leurs affaires respectives sur le fond n’a pas eu lieu en même temps. En particulier, seules quatre séances consacrées aux questions purement techniques ont été tenues par la commission après l’ouverture des débats dans le procès du requérant. Dans le même temps, les débats judiciaires ont été ajournés dans l’attente de la clôture des auditions des témoins effectuées par la commission. Enfin, la condamnation du requérant par le tribunal de première instance est intervenue avant le vote du Parlement entérinant le rapport de la commission.

    177.  Sans contester qu’en l’espèce, les autorités pénales et la commission ont coopéré étroitement, notamment en matière de preuves, le Gouvernement soutient que, compte tenu des dispositions réglementant la concomitance entre les procédures - pénale et parlementaire -, cette coopération n’a eu aucune incidence sur l’équité du procès du requérant.

    De même, compte tenu de l’absence d’identité d’objet des procédures en cause, le Gouvernement estime que l’adoption et la diffusion du rapport de la commission avant le terme du procès du requérant n’ont eu aucune incidence sur l’impartialité des juges.

    De l’avis du Gouvernement, le requérant ne peut valablement soutenir que les juges ayant instruit le procès ont été influencés par les constats du rapport de la commission, dès lors que les motifs du jugement du tribunal régional de Varsovie font apparaître que sa culpabilité a été retenue après un examen approfondi et rigoureux par les juges de l’ensemble des moyens de preuve. D’ailleurs, souligne-t-il, le contrôle du jugement du tribunal de première instance par la cour d’appel n’a révélé aucune irrégularité en matière d’appréciation des moyens de preuve.

    178.  Bien que le rapport de la commission contienne des références aux actes du requérant, expose le Gouvernement, il ne porte à leur égard aucune appréciation quant à son éventuelle responsabilité pénale ni ne formule aucun constat permettant d’engager celle-ci : la conclusion du rapport concerne uniquement les personnes exerçant des fonctions officielles.

    179.  Le Gouvernement rejette l’idée que l’audition successive de certains témoins par la commission et par le tribunal ait pu favoriser une « collusion » entre eux.

    Certes, expose-t-il, les règles de procédure pénale ayant pour finalité d’empêcher la collusion des témoins ne jouent que pour ceux d’entre eux qui sont entendus le même jour. Il est évident qu’un témoin peut sans difficulté prendre connaissance des déclarations d’un autre témoin effectuées à une date différente, voire même s’entendre avec lui sur le contenu de leurs déclarations respectives. Néanmoins, la loi prévoit des mesures permettant d’empêcher de tels comportements.

    Ainsi, par exemple, le code de procédure pénale - qui s’applique aussi à la procédure devant la commission - rend tout faux témoignage passible de poursuites pénales.

    Par ailleurs, avant de les admettre comme moyens de preuve, le juge est légalement tenu de procéder à l’examen des témoignages selon les principes énoncés à l’article 7 du code de procédure pénale et à la lumière de l’ensemble des moyens de preuve.

    180.  Se référant au grief du requérant portant sur la campagne de presse autour des procédures le concernant, le Gouvernement fait observer que l’intérêt de la presse envers les procédures judiciaires peut se justifier dans la mesure où il contribue à l’information de l’opinion publique sur les affaires examinées par la justice et au contrôle civique à l’égard de la justice.

    181.  Pour le Gouvernement, la médiatisation des procédures juridictionnelles est, à notre époque, tellement habituelle que l’on doit présumer que des magistrats professionnels sont aptes à résister aux pressions susceptibles d’en découler. En d’autres termes, une procédure juridictionnelle ne saurait être regardée comme étant inéquitable du seul fait qu’elle suscite un grand intérêt médiatique. Afin d’établir qu’une violation de la Convention a eu lieu, le requérant doit être en mesure de prouver l’existence de circonstances concrètes, en rapport avec le déroulement ou l’issue de la procédure, de nature à révéler un risque réel d’influence négative sur l’équité de la procédure en question.

    182.  Pour que la responsabilité des autorités puisse être engagée du fait de déclarations médiatiques qui, le cas échéant, auraient abusivement présenté un accusé comme coupable avant toute condamnation, explique le Gouvernement, il faut qu’il ait été établi que ces déclarations ont été inspirées, alimentées ou soutenues par lesdites autorités. Or, estime-t-il, tel n’est pas le cas en l’espèce. Même à supposer que les déclarations médiatiques de certains membres de la commission puissent prêter à controverse au regard de la présomption d’innocence du requérant, le Gouvernement fait valoir que l’article 6 ne s’applique pas à la procédure devant la commission.

    Le Gouvernement souligne que les travaux de la commission sur le « fond »  de l’affaire ont été clôturés avant l’ouverture des débats devant le tribunal régional de Varsovie. Partant, estime-t-il, les déclarations médiatiques dont pouvait s’accompagner le déroulement des travaux de la commission n’ont pas pu avoir d’incidence sur l’équité du procès, qui n’était pas encore ouvert. En l’espèce, à ses yeux, le requérant ne démontre pas dans quelle mesure les déclarations effectuées dans la presse ont attisé la campagne médiatique le concernant et n’indique pas non plus précisément les déclarations visées par sa critique.

    183.  Invoquant la jurisprudence Craxi c. Italie (no 1) (no 34896/97, 5 décembre 2002), et Garaudy c. France (déc.) (no 65831/01, CEDH 2003-IX), le Gouvernement fait observer que l’intérêt des médias et de l’opinion publique pour l’affaire à laquelle le requérant avait été mêlé s’explique par le fait qu’elle avait pour toile de fond le problème de la corruption et de l’immixtion irrégulière de personnalités politiques de haut rang dans la procédure parlementaire. Cet intérêt tenait au contexte très politisé de l’affaire ainsi qu’à l’implication présumée de membres du gouvernement, dont le Premier ministre. Dans ce contexte, il était inévitable que des commentaires sévères soient exprimés par les journalistes au sujet des personnes soupçonnées d’être impliquées dans l’affaire.

    184.  Le Gouvernement fait observer qu’en l’espèce, le requérant ne conteste pas l’impartialité « subjective » des juges mais soutient que le tribunal qu’ils ont constitué a été influencé par les travaux menés par la commission et par la campagne de presse autour de ceux-ci.

    Selon le Gouvernement, même à supposer que les principes du procès équitable n’aient pas été respectés par la commission dans la procédure devant elle, cela n’implique pas que les éventuelles irrégularités ayant pu affecter l’enquête parlementaire se soient nécessairement et automatiquement répercutées sur l’instruction du procès du requérant.

    185.  Le Gouvernement souligne à cet égard que les juges ayant examiné la cause du requérant jouissaient de l’ensemble des garanties d’impartialité et d’indépendance des magistrats prévues par l’ordre juridique polonais. Le tribunal, composé des magistrats désignés en application des dispositions pertinentes de la loi interne, était entièrement indépendant du Parlement : la commission d’enquête ou les parlementaires individuellement ne disposaient d’aucune attribution leur permettant d’influencer la composition de la formation de jugement, le déroulement ou la résolution du procès pénal. Bien que les éléments d’information recueillis par la commission aient été examinés par les juges, cet examen a eu lieu selon les mêmes règles que celles qui s’appliquent aux procédures pénales en général, à savoir en toute indépendance et dans le respect de l’article 7 du code de procédure pénale.

    186.  Dans la mesure où le requérant affirme que, pour l’équité de son procès, les travaux de la commission auraient dû être suspendus dans l’attente de son issue, le Gouvernement rappelle que, d’après la Cour constitutionnelle polonaise, le fait que les travaux de la commission puissent avoir lieu parallèlement à une procédure pénale portant sur les mêmes faits et circonstances n’est pas contraire à la Constitution, et en particulier ne porte aucune atteinte à l’impartialité et à l’indépendance des juges.

    187.  Le Gouvernement fait valoir par ailleurs que les travaux menés par la commission et la campagne de presse ne dispensaient pas le tribunal du devoir de se prononcer dans un délai raisonnable. L’utilisation par les autorités pénales des éléments d’information recueillis par la commission a eu pour but de faciliter la résolution du procès du requérant. Avant leur admission en tant que moyens de preuve dans la procédure pénale, les témoignages recueillis par la commission ont fait l’objet d’un examen en profondeur par les juges. Du reste, expose le Gouvernement, la défense elle-même a demandé au tribunal que les procès-verbaux des séances tenues par la commission soient versés au dossier de la procédure pénale.

    188.  Reconnaissant que la campagne de presse autour des procédures susmentionnées n’était pas de nature à faciliter l’instruction du procès du requérant, le Gouvernement fait toutefois observer que l’intéressé est resté en défaut de démontrer que ses juges auraient failli à l’obligation de rester à l’abri de l’influence des commentaires médiatiques au sujet de l’affaire. Selon lui, la déclaration faite par le président de la formation de jugement du tribunal régional de Varsovie après le prononcé du jugement rendu à son encontre fait apparaître au contraire que les magistrats ont veillé à ce que l’affaire soit instruite de telle sorte qu’aucun grief quant à leur éventuelle partialité ne soit formulé.

    189.  Le Gouvernement souligne que les autorités ont pris des mesures supplémentaires pour empêcher toute incidence néfaste des circonstances particulières de l’espèce sur le caractère équitable de la procédure pénale : d’une part, l’affaire a été transférée à une juridiction supérieure parmi les plus expérimentées en matière de dossiers à forte médiatisation ; d’autre part, la formation de jugement a été élargie à trois magistrats, au lieu d’un seul.

    c)  La tierce intervention de la Commission de Venise

    190.  Dans ses observations, la Commission européenne pour la démocratie par le droit, dite Commission de Venise, souligne le caractère essentiellement politique de la procédure menée par les commissions parlementaires d’enquête, qui ne saurait constituer une enquête ou une procédure pénales : une commission de ce type ne doit pas porter d’appréciation ni se prononcer elle-même sur des questions de responsabilité pénale des personnes soumises à ses investigations, cette compétence étant réservée au ministère public et aux tribunaux.

    Simultanément, il est dans la nature des « scandales » politiques - fondés ou non - qu’ils puissent donner lieu à des procédures parallèles : une affaire peut tout à la fois faire l’objet d’une enquête parlementaire et d’enquêtes et de procédures administratives ou judiciaires. Toutefois, pareille situation impose à toutes les parties de veiller à maintenir la distance requise entre d’un côté l’enquête parlementaire (politique), et de l’autre les enquêtes ou procédures judiciaires à caractère pénal.

    191.  La Commission de Venise considère qu’en cas de découverte à l’occasion de ses travaux d’éléments suggérant qu’une infraction pénale pourrait avoir été commise, il est normal que la commission d’enquête le signale au ministère public et lui remette les informations et documents correspondants, pour autant que la législation nationale l’y autorise.

    Une telle découverte ne devrait pas en elle-même mettre un terme à une enquête parlementaire par ailleurs légitime. D’ailleurs, le droit international ou européen ne prévoit aucune obligation légale en ce sens. En vertu du principe selon lequel nul ne peut empêcher le parlement - institution autonome distincte de la justice - de mener sa propre enquête, la commission devrait poursuivre ses investigations et procéder à sa propre évaluation (politique) sur la base de son propre examen. Elle devrait en particulier avoir toute latitude pour continuer à examiner les faits, même s’ils peuvent être retenus dans d’éventuelles poursuites.

    192.  La Commission de Venise souligne que, même si son enquête l’amène à examiner la conduite d’individus pouvant avoir commis des infractions pénales, la commission parlementaire possède une nature essentiellement politique, et que son office ne saurait être assimilé à une enquête ou une procédure pénale. Les résultats d’une enquête parlementaire sont sans effet sur l’ordre juridique. Le rapport qui la conclut n’est en soi qu’une incitation au débat parlementaire. Le but ultime de l’enquête de la commission est la transparence : elle vise à ce que le public soit informé des questions touchant à la chose publique.

    193.  Selon la Commission de Venise, la recherche d’infractions ne peut être le but unique, ni même le but principal de la création d’une commission d’enquête. Il y aurait là un comportement inconstitutionnel, même si le droit interne ne prévoit aucune sanction. Les moyens conférés à la commission d’enquête doivent toujours servir à ce qui relève de la compétence du parlement dans un régime de séparation des pouvoirs, à savoir : mettre en œuvre la responsabilité du gouvernement et des ministres, acquérir des informations utiles pour une législation plus efficace, ou encore présenter des recommandations politiques au gouvernement.

    Même si des éléments identiques peuvent être l’objet à la fois d’une procédure pénale et d’une enquête parlementaire, le but des deux procédures doit toujours être différent. L’enquête pénale a vocation à déboucher sur une mesure juridique individuelle : la condamnation ou l’acquittement du prévenu. La commission d’enquête, de son côté, n’a aucun pouvoir sur les personnes, sauf celui de les appeler à témoigner.

    194.  La Commission de Venise insiste sur le fait que des procédures adéquates devraient être mises en place en ce qui concerne la coopération et les échanges d’informations et d’éléments de preuve entre la commission d’enquête et le parquet, dans le respect des différences entre les deux procédures ainsi que des garanties procédurales dont peuvent se prévaloir la personne visée par les poursuites pénales ou les autres personnes comparaissant devant la commission.

    195.  Lors de ses investigations, de ses auditions et de ses délibérations, la commission parlementaire devrait tenir dûment compte de l’enquête ou de la procédure pénale en cours ; ses membres devraient se garder d’exprimer tout avis ou de faire toute déclaration sur les questions de culpabilité, ou d’enfreindre de quelque autre façon que ce soit le principe de la présomption d’innocence. La commission devrait tout particulièrement veiller à ne pas faire obstacle par sa propre enquête à l’instruction ou à la procédure pénales, et à ne pas les compromettre de quelque autre façon que ce soit.

    Dans la formulation de son rapport, la commission parlementaire devrait éviter d’exprimer tout avis sur l’aspect pénal des questions abordées, et en particulier ne se prononcer en aucune façon sur la responsabilité pénale des personnes concernées. Elle devrait toutefois rester libre de décrire et d’analyser tous les faits de l’espèce, et de porter sur eux une appréciation politique.

    196.  L’implication d’une personne n’exerçant pas de fonctions officielles ne devrait pas empêcher une commission parlementaire d’enquête d’examiner sa conduite, pour autant que cela soit pertinent. Si l’enquête porte sur un scandale public, un particulier n’exerçant pas de fonctions publiques ne devrait aucunement être dispensé de comparaître devant la commission.

    197.  La Commission de Venise considère que la question de savoir si et dans quelle mesure les auditions d’une commission parlementaire d’enquête doivent être publiques relève d’abord et avant tout du droit national ; et ce, que les témoins cités soient des particuliers ou des personnes investies de fonctions officielles (ministres ou fonctionnaires).

    Selon elle, du point de vue juridique, il n’y a problème que si des informations classifiées ou des secrets peuvent s’en trouver divulgués, ou si des personnes comparaissant pour témoigner peuvent se voir contraintes de donner en public des informations dont la confidentialité est protégée par la loi, ou encore si leur droit à la vie privée garanti en droit national ou européen peut s’en trouver méconnu.

    Pour ce qui est de la comparution devant la commission d’enquête de personnes investies de l’autorité publique, toute restriction à la publicité de leur audition devrait être exceptionnelle et être justifiée par des objectifs spécifiques, comme la sécurité nationale ou la protection du secret ou d’une information confidentielle.

    198.  Lorsque des particuliers comparaissent devant une commission parlementaire, il leur est habituellement demandé de fournir des renseignements sur les rapports qu’ils entretiennent avec des membres du gouvernement ; il existera alors probablement un intérêt public légitime à une ouverture et à une transparence totale. En même temps, le droit des particuliers au respect de leur vie privée et familiale peut plus aisément justifier ou rendre nécessaire le huis clos. Il peut exister des circonstances dans lesquelles il est nécessaire de garantir la conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier son article 8. Par ailleurs, le huis clos peut contribuer à l’efficacité du travail au cours de certaines séances de la commission d’enquête, si le couvert du secret rend des témoins plus libres de parler.

    199.  Selon la Commission de Venise, le meilleur modèle en la matière sera celui qui laisse les membres de la commission arbitrer au mieux entre ces intérêts dans chaque cas. Il serait souhaitable que la chose soit explicitement prévue dans les procédures d’enquête, et que les dispositions correspondantes soient inscrites dans la loi ou dans le règlement du parlement.

    2.  L’appréciation de la Cour

    200.  Le requérant se plaint que les conditions dans lesquelles son procès s’est déroulé ont porté atteinte à son équité.

    201.  Eu égard à la nature des allégations formulées, la Cour estime approprié de faire porter son examen sur le respect du principe de la présomption d’innocence du requérant et de son droit à être jugé par un tribunal indépendant et impartial. Elle entend se placer sur le terrain de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention.

    202.  La Cour examinera d’abord le point de savoir si les circonstances de l’espèce emportent violation de la présomption d’innocence du requérant.

    a)  Sur le respect du principe de la présomption d’innocence

    203.  La Cour rappelle que la présomption d’innocence consacrée par le deuxième paragraphe de l’article 6 figure parmi les éléments d’un procès pénal équitable (voir, entre autres, Allen c. Royaume-Uni [GC], no 25424/09, § 93, CEDH 2013). Elle se trouve méconnue si une déclaration officielle concernant un prévenu reflète le sentiment qu’il est coupable, alors que sa culpabilité n’a pas été légalement établie au préalable. Il suffit pour cela, même en l’absence de constat formel, d’une motivation donnant à penser que le magistrat considère l’intéressé comme coupable.

    Dans ce contexte, le choix des termes employés par les agents de l’État dans les déclarations qu’ils formulent avant qu’une personne n’ait été jugée et reconnue coupable d’une infraction revêt une importance particulière (voir, parmi beaucoup d’autres, Daktaras c. Lituanie, no 42095/98, § 41, CEDH 2000-X).

    204.  Ce qui importe, néanmoins, c’est le sens réel des déclarations litigieuses, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles elles ont été formulées (Y.B. et autres c. Turquie, nos 48173/99 et 48319/99, § 44, 28 octobre 2004).

    205.  Une distinction doit être faite entre les décisions ou les déclarations qui reflètent le sentiment que la personne concernée est coupable et celles qui se bornent à décrire un état de suspicion. Les premières violent la présomption d’innocence, tandis que les deuxièmes n’ont normalement rien d’incompatible avec l’esprit de l’article 6 de la Convention (voir, entre autres, Marziano c. Italie, no 45313/99, § 31, 28 novembre 2002).

    206.  L’atteinte à la présomption d’innocence peut émaner non seulement d’un juge, mais également d’autres autorités publiques : le chef de l’état (Peša c. Croatie, no 40523/08, § 149, 8 avril 2000), le président du parlement (Butkevičius c. Lituanie, no 48297/99, §§ 49, 50, 53, CEDH 2002-II), le premier ministre (Gutsanovi c. Bulgarie, n34529/10, §§ 194-196, CEDH 2013), le procureur (voir l’arrêt Daktaras, précité, § 44), le ministre de l’Intérieur ou les fonctionnaires de police (Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, série A no 308, §§ 37 et 41) ainsi que le ministre de la Justice (Konstas c. Grèce, no 53466/07, § 16, 24 mai 2011).

    207.  Cependant, eu égard à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention, qui comprend celle de recevoir ou de communiquer des informations, l’article 6 § 2 ne saurait interdire aux autorités de renseigner le public sur des enquêtes pénales en cours ou empêcher que ces questions fassent l’objet d’un débat parlementaire ou soient discutées dans les médias (Konstas, précité, § 34). Toutefois, il requiert que cela soit fait avec toute la discrétion et toute la réserve que commande le respect de la présomption d’innocence (Allenet de Ribemont, précité, § 38). En particulier, les déclarations d’un fonctionnaire quant à la culpabilité d’un requérant ne peuvent avoir pour effet d’inciter le public à croire à sa culpabilité et de préjuger de l’appréciation des faits à laquelle devra procéder l’autorité judiciaire compétente (Peša, précité, § 141, Konstas, précité, §§ 34-35).

    208.  Dans la présente affaire, la Cour observe que le requérant se plaint à la fois des termes de la résolution de la Diète portant création de la commission d’enquête en cause et des constats présentés dans son rapport.

    Notant que les assertions que le requérant dénonce ont été émises avant sa condamnation définitive par la cour d’appel de Varsovie pour complicité de trafic d’influence, la Cour considère que les autorités concernées étaient tenues par l’obligation de respecter le principe de la présomption d’innocence (Y.B., précité, § 43). Dès lors, elle constate que l’article 6 § 2 s’applique en l’espèce (Konstas, précité, § 36).

    209.  La Cour observe que les assertions critiquées ont été formulées au stade de la création de la commission et au cours de la procédure devant celle-ci. Elle relève à cet égard que la législation interne pertinente, telle qu’interprétée par la Cour constitutionnelle polonaise, fait apparaître que le travail d’une commission parlementaire d’enquête revêt un caractère politique. Le rapport de la commission a vocation à servir de point de départ ou à nourrir un éventuel débat des assemblées sur les irrégularités constatées dans la sphère des autorités et institutions publiques soumises au contrôle du Parlement.

    210.  Selon la législation susmentionnée, telle qu’interprétée par la Cour constitutionnelle polonaise dans son arrêt du 14 avril 1999 (paragraphes 87-96 ci-dessus), la conduite de particuliers n’exerçant pas de fonctions officielles ne peut être examinée par la commission que dans la mesure où cela apparaîtrait nécessaire à la découverte de dysfonctionnements au niveau des institutions et des autorités publiques. Il en ressort en outre que la commission doit s’abstenir de se prononcer sur la question de la responsabilité pénale de personnes n’exerçant pas de fonctions officielles. La formulation de tout « constat » en la matière dans une résolution du Parlement ou dans le rapport d’une commission d’enquête parlementaire serait contraire à la Constitution polonaise.

    211.  La Cour observe également que les dispositions du droit interne pertinent et la jurisprudence y relative de la Cour constitutionnelle permettent que les investigations de la commission soient conduites en même temps qu’une éventuelle procédure pénale portant sur les mêmes faits et circonstances : en pareil cas, la commission est tenue de veiller à ne pas porter atteinte - par ses éventuels constats ou par ses conclusions - aux droits des personnes visées par la procédure pénale conduite simultanément, en particulier à leur présomption d’innocence.

    212.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que les travaux de la commission parlementaire d’enquête dans le cadre desquels les énoncés litigieux ont été formulés se déroulaient en parallèle du procès pénal du requérant. L’une et l’autre de ces deux procédures avaient été engagées à la suite de publications de la presse suggérant que des irrégularités pouvaient avoir été commises par des personnes exerçant des fonctions officielles lors de la procédure parlementaire tendant à la révision de la loi sur l’audiovisuel. Ces publications laissaient entendre que le requérant avait été commandité par les personnes en cause pour proposer son aide aux représentants des médias privés pour amender la loi sur l’audiovisuel dans un sens favorable à leurs intérêts en échange d’avantages financiers, politiques et personnels.

    213.  La Cour observe que les énoncés litigieux ont été émis dans le contexte de large couverture médiatique de l’affaire qui était précisément à l’origine de la création de la commission, appelée à enquêter sur des allégations de corruption et d’immixtion irrégulière de hautes personnalités de l’État dans le déroulement de la procédure législative. Il y avait donc des raisons d’intérêt public majeur pour que la procédure devant la commission soit conduite publiquement, de façon transparente, et que l’opinion publique soit informée des constats de son rapport (voir, Montera c. Italie (déc.), no 6471/01, 9 juillet 2002, Hoon c. Royaume-Uni (déc.), no 14832/11, 13 novembre 2014).

    214.  La Cour note que le requérant dénonce certaines expressions utilisées dans la résolution du Parlement portant création de la commission d’enquête, en particulier la référence y étant faite à une « tentative d’extorsion d’avantages financiers et politiques » de sa part. Selon lui, pareil libellé révèlerait l’existence d’une idée préconçue des membres du Parlement quant à sa culpabilité.

    La Cour ne peut suivre le requérant. Elle estime que les propos litigieux, considérés à la lumière de la résolution dans son entier, doivent se lire comme une manière pour le Parlement d’indiquer à la commission les circonstances factuelles sur lesquelles elle devait enquêter. Le libellé de la résolution en cause fait apparaître que la conduite du requérant n’avait lieu d’être abordée que dans la mesure où cela serait nécessaire à l’établissement d’irrégularités au niveau des autorités et des personnes exerçant des fonctions officielles. La Cour considère que, pour autant qu’elle se réfère à la conduite du requérant telle que l’avaient présentée certaines publications de la presse à l’époque, la résolution en cause ne referme aucun énoncé assimilable à un constat de culpabilité du requérant.

    215.  Quant au rapport de la commission d’enquête parlementaire, la Cour relève qu’il a été entériné par la Diète le 24 septembre 2004, soit après condamnation du requérant en première instance et pendant la litispendance de l’affaire en appel.

    Elle note que la conclusion du rapport de la commission constatait que les hautes personnalités de l’État qui s’y trouvaient désignées :

    « ont commis (...) le délit de corruption active, au sens de l’article 228 § 5 du code pénal combiné avec l’article 13 § 1 de ce code, en ce sens que (...) ils ont (...) par le truchement de Lew Rywin agissant en tant que commandité du « groupe détenant le pouvoir », adressé aux représentants d’Agora S.A. une proposition corruptrice (...) »

    La Cour doit examiner si les constats du rapport de la commission étaient susceptibles de porter atteinte à la présomption d’innocence du requérant.

    216.  Elle rappelle dans ce contexte que dans l’affaire susmentionnée Gutsanovi la question s’est posée de savoir si les déclarations effectuées à propos du requérant, homme politique connu, par certains hauts fonctionnaires en rapport avec les poursuites pénales engagées à son encontre pour détournement de fonds publics ont respecté sa présomption d’innocence. Elle a constaté que les propos tenus par le premier ministre et par le procureur régional à l’occasion de leurs interventions médiatiques à propos de l’affaire n’ont pas violé l’article 6 § 2 de la Convention. Pour parvenir à son constat en la matière, la Cour a tenu compte du caractère spontané de leurs propos, du fait qu’ils ne contenaient pas de référence à la procédure pénale contre le requérant ni à ses complices présumés avec lesquels il était poursuivi dans le cadre de celle-ci et du fait qu’ils se limitaient à décrire un état de suspicion (Gutsanovi, paragraphes 195-197).

    En revanche, s’agissant des propos tenus par le ministre de l’intérieur lors d’une interview publiée par la presse, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 2 de la Convention. Elle prit appui sur le fait que le ministre avait divulgué les éléments concrets sur l’affaire pénale contre le requérant et qu’il l’avait expressément visé en laissant entendre que l’intéressé était parmi les principaux auteurs de l’infraction reprochée. En outre, l’accent a été mis sur la position occupée par le ministre et sur le fait que ses déclarations ont été faites au moment où le public manifestait un vif intérêt à l’affaire (Gutsanovi, paragraphes 198-201).

    La Cour estime que les critères susmentionnés sont pertinents pour le présent cas d’espèce.

    217.  En les prenant en compte, la Cour estime que, lus à la lumière du rapport entier et du contexte dans lequel ils ont été prononcés, les constats formulés par la commission devaient se comprendre comme une manière pour elle d’informer le Parlement qu’au regard des éléments recueillis, les hautes personnalités de l’État qui s’y trouvaient désignées étaient fortement soupçonnées d’avoir commis le délit de corruption. Bien que le rapport mentionnât le requérant comme « commandité » des personnes en cause, il ne le visait pas directement ni ne portait d’appréciation quelconque sur sa conduite. La conclusion du rapport ne formulait aucun constat en matière d’opportunité des poursuites pénales à l’encontre du requérant et ne se prononçait d’aucune manière sur son éventuelle responsabilité pénale pour complicité de corruption. Le rapport de la commission ne contenait aucune référence à la procédure pénale engagée à l’encontre du requérant ni aux infractions pour lesquelles il était poursuivi à l’époque par les juridictions pénales compétentes (voir, mutatis mutandis, a contrario, Gutsanovi, précité, § 200).

    218.  La Cour constate que, compte tenu de leur sens réel et de leur contexte, les termes litigieux de la résolution du Parlement portant création de la commission d’enquête parlementaire et les constats du rapport de cette dernière ne concernaient pas la question de la culpabilité du requérant - question qui échappait clairement à la compétence d’une telle commission (Daktaras, précité, § 44).

    219.  Partant, la Cour conclut que les déclarations litigieuses n’ont pas porté atteinte à la présomption d’innocence du requérant et que l’article 6 § 2 de la Convention n’a pas été violé.

    b)  Sur le respect du droit du requérant à être jugé par un tribunal indépendant et impartial

    220.  La Cour rappelle que le terme « indépendant » figurant à l’article 6 § 1 de la Convention a été interprété comme visant l’indépendance des tribunaux vis-à-vis du pouvoir exécutif aussi bien que des parties ou encore du Parlement (Crociani c. Italie, nos 8603/79, 8722/79, 8723/79 et 8729/79, décision de la Commission européenne des droits de l’homme du 18 décembre 1980, Décisions et rapports 22, p. 147).

    Pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux fins de l’article 6 § 1, il faut notamment prendre en compte le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non « apparence » d’indépendance (voir, parmi beaucoup d’autres, Findlay c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1997, § 73, Recueil des arrêts et décisions 1997-I).

    221.  Quant à la condition d’« impartialité » au sens de cette disposition, elle s’apprécie selon une double démarche : la première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel ou tel juge en telle occasion ; la seconde amène à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, par exemple, Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, Recueil 1998-III).

    222.  L’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (Daktaras, précité, § 30).

    La seconde démarche conduit à se demander, lorsqu’une juridiction collégiale est en cause, si, indépendamment de l’attitude personnelle de tel de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à mettre en cause l’impartialité de celle-ci. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il en résulte que pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de craindre d’une juridiction un défaut d’impartialité, le point de vue du ou des intéressés entre en ligne de compte, mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de ceux-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (Gautrin et autres, précité, loc. cit., Werner c. Pologne, no 26760/95, § 39, 15 novembre 2001).

    223.  Les notions d’indépendance et d’impartialité objective étant étroitement liées, la Cour examinera ces deux questions conjointement (voir, mutatis mutandis, Findlay, précité, § 73, Hirschorn c. Roumanie, no 29294/02, § 72, 26 juillet 2007).

    224.  En l’espèce, la Cour constate qu’il n’a pas été reproché à l’un ou l’autre des juges du requérant d’avoir manifesté un quelconque parti-pris ou préjugé personnel à son encontre. L’impartialité subjective du tribunal n’est donc pas en cause.

    Reste à savoir si les doutes exprimés par le requérant à l’égard de l’indépendance et de l’impartialité objective des tribunaux peuvent passer pour objectivement justifiés, dans la mesure où son procès a eu lieu en parallèle des travaux de la commission parlementaire d’enquête et où les procédures en question ont donné lieu à une importante campagne de presse.

    225.  La Cour relève dans ce contexte que le droit interne pertinent, et notamment l’article 8 de la loi sur les commissions d’enquête parlementaires, permet que les travaux d’une telle commission se déroulent en même temps que la procédure éventuellement conduite par une autre autorité publique sur les mêmes faits et circonstances. Dans son arrêt de principe en la matière (paragraphes 87-96, ci-dessus), la Cour constitutionnelle a jugé que la possibilité laissée à une commission parlementaire d’examiner des faits et circonstances faisant par ailleurs l’objet d’une procédure pénale ne rendait pas l’article 8 de la loi sur les commissions d’enquête parlementaires contraire à la Constitution ; et que, en particulier, cette possibilité ne portait aucune atteinte à l’impartialité et à l’indépendance des juges. La Cour constitutionnelle a mis l’accent sur le fait que l’objet et la finalité de l’enquête parlementaire et de la procédure pénale sont distincts.

    La Cour observe que le principe de la séparation des pouvoirs interdit à la commission de s’immiscer dans l’exercice des attributions dévolues à la justice. Ainsi, en cas d’ouverture d’une procédure juridictionnelle portant sur les mêmes faits que ceux qu’elle-même examine, la commission doit maintenir la distance requise entre ses propres investigations et la procédure juridictionnelle ; en particulier elle doit se garder de toute assertion au sujet du bien-fondé des décisions prises par la justice ou de la manière dont la procédure est instruite par les tribunaux.

    La Cour relève qu’en pareil cas, la commission n’est pas légalement tenue de suspendre ses travaux dans l’attente de l’issue de la procédure juridictionnelle, mais en a néanmoins la faculté.

    226.  En l’espèce, les éléments dont la Cour dispose font apparaître que, bien que les faits sur lesquels enquêtait la commission parlementaire fussent les mêmes que ceux examinés dans le cadre du procès du requérant, les objectifs sous-tendant les procédures concernées étaient différents. La commission avait été créée pour enquêter sur des dysfonctionnements supposés au niveau des autorités publiques ou de personnes occupant des fonctions officielles à l’occasion de la procédure de révision de la loi sur l’audiovisuel. La Cour renvoie à son observation aux paragraphes 214 et 218 ci-dessus, selon laquelle la commission parlementaire ne s’est pas prononcée sur la responsabilité pénale du requérant et n’a formulé aucun constat qui fût contraire à sa présomption d’innocence.

    227.  La Cour prend note des observations du Gouvernement selon lesquelles les juges du requérant jouissaient de l’ensemble des garanties prévues en droit polonais en matière d’impartialité et d’indépendance des magistrats.

    228.  Les éléments dont la Cour dispose font apparaître qu’une commission parlementaire, en droit polonais, ne bénéficie d’aucune attribution lui permettant d’influencer la procédure pénale éventuellement menée parallèlement à ses travaux sur les mêmes faits et circonstances : d’une part, les déclarations des membres de la commission et les constats de son rapport n’ont aucun effet juridique à l’égard des tribunaux appelés à connaître des aspects pénaux de l’affaire ; d’autre part, la commission ne peut ni se constituer partie intervenante dans la procédure pénale ni peser sur son issue ou influencer la mise en œuvre des règles processuelles ou la composition de la formation de jugement.

    229.  Pour autant que le requérant voit dans la coopération entre la commission et les autorités judiciaires en charge de la procédure pénale dirigée contre lui une raison légitime de redouter un défaut d’indépendance et d’impartialité des tribunaux, la Cour note certes qu’une telle coopération est permise, voire dans certaines circonstances exigée par le droit interne ; cependant, cette coopération doit respecter le cadre juridique interne applicable destiné, précisément, à préserver lesdites indépendance et impartialité.

    230.  En l’espèce, la Cour observe que les échanges ayant eu lieu entre la commission parlementaire et les autorités pénales ont conduit la commission à porter à la connaissance du parquet et des tribunaux les éléments d’information qu’elle avait réunis. Les pièces dont la Cour dispose font du reste apparaître que la défense elle-même a demandé que les procès-verbaux des travaux de la commission soient versés au dossier de la procédure pénale. En l’espèce, rien ne permet de croire que l’utilisation des éléments concernés en tant que moyens de preuve dans la procédure pénale ait eu lieu dans des conditions contraires aux règles légales pertinentes, et notamment à celles posées par l’article 7 du code de procédure pénale (paragraphe 84 ci-dessus).

    231.  La Cour rappelle ici que l’appréciation des preuves relève, au premier chef, de la responsabilité de la juridiction de jugement. C’est, en effet, aux juridictions nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter les faits et la législation interne (voir, mutatis mutandis, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 31, Recueil 1997-VIII, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 33, Recueil 1999-I), et la Cour ne substituera pas sa propre appréciation des faits et du droit à la leur en l’absence d’arbitraire (voir, entre autres, Tejedor García c. Espagne, 16 décembre 1997, § 31, Recueil 1997-VIII), les juridictions internes ayant, en principe, la responsabilité de veiller au bon déroulement de leurs propres procédures.

    232.  Pour autant que le requérant se plaint de la campagne de presse autour des procédures susmentionnées, la Cour rappelle que la circonstance qu’un procès ait été accompagné d’une campagne de presse virulente est dans certains cas susceptible de nuire à l’équité de celui-ci, par l’influence que peut avoir semblable campagne sur l’opinion publique et, par là même, sur le jury populaire éventuellement appelé à se prononcer sur la culpabilité d’un accusé (voir Akay c. Turquie (déc.), no 34501/97, 19 février 2002 ; Priebke c. Italie (déc.), no 48799/99, 5 avril 2001 ; Abdulla Ali c. Royaume-Uni, no 30971/12, § 87 et suiv., 30 juin 2015).

    En même temps, les autorités nationales ne sauraient être tenues pour responsables des actes de la presse (voir, mutatis mutandis, Y.B. et autres, précité, § 48).

    233.  On s’accorde en général à penser que les tribunaux ne sauraient fonctionner dans le vide : bien qu’ils aient seuls compétence pour se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence quant à une accusation en matière pénale, il n’en résulte point qu’auparavant ou simultanément, les questions dont ils connaissent ne puissent donner lieu à discussion, que ce soit dans des revues spécialisées, dans la grande presse ou le public en général (voir, mutatis mutandis, Sunday Times (no1) c. Royaume-Uni, 26 avril 1979, § 65, série A no 30, et Papon c. France (no 2) (déc.), no 54210/00, CEDH 2001-XII).

    234.  À condition de ne pas franchir les bornes fixées aux fins d’une bonne administration de la justice, les comptes rendus de procédures judiciaires, y compris les commentaires, contribuent à faire connaître lesdites procédures et sont donc compatibles avec l’exigence de publicité de l’audience énoncée à l’article 6 § 1 de la Convention. À la fonction des médias consistant à communiquer de telles informations et idées s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir (ibidem). Cela est d’autant plus vrai lorsque le procès est, comme en l’espèce, celui d’un personnage connu. Ces personnes s’exposent inévitablement et consciemment à un contrôle attentif tant par les journalistes que par la masse des citoyens (voir notamment Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103). Partant, les limites du commentaire admissible sont plus larges à l’égard d’une personnalité publique, visée en cette qualité, que d’un simple particulier (ibidem).

    235.  En l’espèce, la Cour relève que l’intérêt des médias pour l’affaire du requérant s’expliquait par le fait qu’elle avait pour toile de fond des faits de corruption que l’on soupçonnait de la part de hautes personnalités de l’État et dont la révélation avait déclenché un scandale politique de grande envergure. Il s’agissait sans conteste d’une importante question d’intérêt général sur laquelle la presse avait le droit, voire l’obligation, de communiquer les informations en sa possession. L’importance que l’affaire revêtait aux yeux de l’opinion publique s’expliquait par son caractère inédit et par la gravité des faits dans lequel le requérant, jouissant lui-même par ailleurs d’une grande notoriété, était soupçonné d’être impliqué.

    La Cour estime qu’il était inévitable, dans une société démocratique, que des commentaires sévères soient exprimés par la presse sur une affaire aussi sensible que celle de l’espèce, qui mettait en cause la moralité de hautes personnalités de l’État et les rapports entre le monde politique et le milieu des affaires (voir Craxi, précité, § 103, ou Jiga c. Roumanie, no 14352/04, § 93, 16 mars 2010).

    236.  La Cour note qu’en l’espèce, pour étayer son grief au sujet de la campagne de presse autour des procédures le concernant, le requérant se réfère, notamment, aux publications de presse mentionnées aux paragraphes 13 et 28 ci-dessus. Ayant analysé leur contenu, la Cour constate que les opinions exprimées n’émanaient pas des autorités de l’État et n’étaient en aucune manière inspirées ou alimentées par les représentants des autorités internes : ces opinions étaient seulement celles des journalistes (Jiga, précité, § 94).

    La Cour observe également que l’action engagée par le requérant contre l’hebdomadaire Wprost a été rejetée par un jugement du tribunal régional de Varsovie contre lequel l’intéressé n’a formé aucun recours (paragraphe 14 ci-dessus). En outre, bien qu’il en eût la faculté, le requérant ne s’est pas plaint devant les autorités internes de la publication de la Gazeta Wyborcza ni des assertions formulées par les membres de la commission.

    237.  La Cour observe qu’en l’espèce, les juridictions appelées à connaître de l’affaire étaient entièrement composées de juges professionnels, lesquels possèdent normalement une expérience et une formation leur permettant d’écarter toute suggestion d’origine extérieure au procès. Qui plus est, le requérant n’a indiqué à la Cour aucun élément démontrant que les déclarations de presse aient pu influencer la formation de l’opinion des juges ou l’issue du délibéré dans la procédure pénale à son encontre (Jiga, précité, § 95, Rosa Stanesçu c. Roumanie (déc.) no 49357/08, § 39, 28 janvier 2014).

    La Cour note au demeurant que, compte tenu du contexte très médiatisé de l’affaire, des mesures supplémentaires ont été prises par les autorités pour pallier le risque d’atteinte à l’équité du procès (paragraphe 189 ci-dessus). Concernant la déclaration du président de la formation de jugement du tribunal régional de Varsovie effectuée après le prononcé de sa condamnation, la Cour estime qu’elle témoigne du souci d’objectivité et d’impartialité des magistrats et ne vient aucunement étayer, bien au contraire, les allégations du requérant.

    238.  La Cour observe par ailleurs que le grief du requérant selon lequel le tribunal régional de Varsovie avait été influencé par les travaux menés par la commission parlementaire et par la campagne de presse autour des procédures a été rejeté par la cour d’appel de Varsovie, au motif qu’aucun élément tangible en ce sens n’avait été fourni.

    239.  La Cour note que la condamnation du requérant a été prononcée à l’issue d’une procédure contradictoire, au cours de laquelle l’intéressé a eu la possibilité de soumettre aux juridictions compétentes les arguments qu’il estimait utiles à sa défense. La motivation des jugements rendus par les juridictions pénales à l’encontre du requérant ne fait apparaître aucun élément de nature à laisser penser que, dans leur interprétation du droit national ou dans l’évaluation des arguments des parties et des éléments à charge, les juges qui se sont prononcés sur le fond aient pu être influencés par les affirmations des membres de la commission ou les constats qui figuraient dans son rapport (Craxi, précité, § 104.)

    240.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour ne décèle, en l’espèce, aucune atteinte à l’équité de la procédure pénale dirigée contre le requérant, et en particulier à son droit à être jugé par un tribunal indépendant et impartial.

    241.  Partant, l’article 6 § 1 de la Convention n’a pas été violé.

    III.  SUR LES AUTRES GRIEFS

    242.  Invoquant l’article 5 § 4 combiné avec l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint de n’avoir pu obtenir de contrôle juridictionnel de la décision du 31 octobre 2005 ordonnant sa réincarcération à la maison d’arrêt.

    243.  La Cour rappelle que pour autant qu’est contestée, en elle-même, une peine d’emprisonnement de durée déterminée prononcée par une juridiction nationale à titre de condamnation, pour sanctionner une infraction, le contrôle voulu par l’article 5 § 4 se trouve incorporé au jugement (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, § 76, série A no 12). Tel n’est pas le cas lorsque la détention qui s’ensuit vient à faire l’objet de nouvelles questions de légalité survenues ultérieurement (Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, § 65, 24 mars 2005).

    244.  La Cour note qu’en l’espèce, le requérant, condamné à purger une peine d’emprisonnement en vertu de l’arrêt de la cour d’appel de Varsovie du 10 décembre 2004, était bien « régulièrement détenu après condamnation par un tribunal compétent », au sens de l’article 5 § 1 a) de la Convention. Le contrôle voulu par l’article 5 § 4 était donc en principe incorporé au jugement de condamnation rendu à son encontre.

    Pour autant que le requérant affirme que sa réincarcération en novembre 2005 a eu lieu sans que le tribunal eût statué sur sa légalité au regard des circonstances nouvellement invoquées tenant à son état de santé, la Cour observe que la question de la compatibilité du maintien en détention avec la détérioration alléguée de son état de santé devait être examinée dans la procédure relative à la demande de report de peine présentée par lui, à ce titre, en mars 2005 ; la cour d’appel avait, d’ailleurs, ordonné sa libération provisoire, dans l’attente de l’évaluation de son état de santé par les experts. La réincarcération du requérant environ six mois plus tard est intervenue au motif que malgré plusieurs convocations, il était resté en défaut de se présenter à l’examen médical dont dépendait l’évaluation de son état de santé, ce qui apparaissait comme une attitude dilatoire. Il en résulte qu’en l’espèce, c’est le requérant qui s’est lui-même privé de l’opportunité de voir un juge statuer, avant sa réincarcération, sur la compatibilité de cette mesure d’application de sa peine avec son état de santé.

    La Cour relève qu’en tout état de cause, la question susmentionnée a été examinée dans la décision du 8 février 2006 (paragraphe 78 ci-dessus), constatant que l’état de santé du requérant n’était pas incompatible avec l’incarcération.

    245.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le grief est manifestement mal fondé et qu’il y a donc lieu de le rejeter, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    246.  Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention, le requérant se plaint de n’avoir pas été informé par les tribunaux d’une manière suffisamment précise des raisons pour lesquelles, à deux reprises, la qualification juridique des faits qui lui étaient imputés a été modifiée. En outre, selon lui, les délais impartis à ses avocats pour adapter leur stratégie de défense aux qualifications nouvelles étaient trop courts. Le requérant y voit une violation de son droit à se défendre.

    247.  La Cour note qu’il n’apparaît pas que le requérant ait soulevé ce grief devant les autorités internes. Partant, il y a lieu de le rejeter pour non-épuisement des voies de recours internes en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

    248.  Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention, le requérant dénonce le refus du tribunal régional de Varsovie d’administrer certains moyens de preuve sollicités par la défense.

    249.  La Cour rappelle que la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles de droit interne et qu’il revient, en principe, aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles.

    En l’espèce, les juridictions nationales ont estimé que les éléments sollicités par le requérant étaient sans intérêt pour la procédure, en se fondant sur des arguments circonstanciés et logiques. Les motifs retenus pour écarter les offres de preuves en question n’apparaissent donc pas arbitraires.

    La Cour observe ensuite que la condamnation du requérant repose sur des preuves nombreuses recueillies dans le cadre d’une procédure où le requérant était représenté par des avocats, et ne décèle en conséquence aucun manquement imputable aux juridictions internes à cet égard (voir, notamment, Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000-V, P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, no 44787/98, § 76, CEDH 2001-IX, et Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 42, CEDH 2002-IX).

    De surcroît, le requérant a pu contester le refus opposé par la juridiction de première instance dans le cadre de la procédure d’appel, laquelle s’est déroulée dans le respect du principe du contradictoire ; or la cour d’appel a confirmé la solution retenue en la matière par le tribunal régional.

    250.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le présent grief est manifestement mal fondé et doit donc être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    251.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la motivation, qu’il estime insuffisante, des jugements prononcés à son encontre.

    252.  La Cour rappelle que l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, mais qu’il ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, § 29, série A no 303-A, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, § 90, 28 juin 2007).

    253.  En l’espèce, la Cour relève que, dans son arrêt du 10 décembre 2004, la cour d’appel de Varsovie a jugé que, nonobstant les lacunes contenues dans la motivation du jugement du tribunal régional de Varsovie, celui-ci avait respecté la loi.

    Elle observe que, selon la cour d’appel, les motifs du jugement en question faisaient apparaître que le tribunal régional a examiné l’ensemble des circonstances pertinentes de l’affaire et que son appréciation de celles-ci était fondée.

    La Cour observe que par une décision comportant cent douze pages de motifs, la Cour suprême a conclu que la cour d’appel avait motivé de manière exhaustive la condamnation du requérant, et remédié ainsi aux lacunes de motivation du jugement du tribunal régional.

    254.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le présent grief est manifestement mal fondé et doit donc être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    255.  Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention combinés avec l’article 2 § 1 du Protocole no 7 à la Convention, le requérant se plaint de n’avoir pu faire contrôler par la Cour suprême l’arrêt d’appel, en tant que la cour d’appel s’y livrait à une nouvelle évaluation des faits et en tant qu’il concernait la peine.

    256.  La Cour rappelle que les États contractants disposent en principe d’un large pouvoir d’appréciation pour décider des modalités d’exercice du droit prévu par l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention. Ainsi, l’examen d’une déclaration de culpabilité ou d’une condamnation par une juridiction supérieure peut soit porter aussi bien sur des questions de fait que sur des questions de droit, soit se limiter aux seuls points de droit (...) (Krombach c. France, no 29731/96, § 96, CEDH 2001-II).

    La Cour observe que le requérant, condamné en première instance à une peine d’emprisonnement de deux ans et six mois et à une peine d’amende, a vu sa culpabilité confirmée en appel - avec, toutefois, une peine ramenée à deux ans d’emprisonnement et à une amende -, et que la juridiction de cassation a écarté tous ses moyens de pourvoi.

    Le fait que le contrôle de la Cour suprême n’ait porté que sur les questions de légalité n’est pas incompatible avec les exigences de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention (voir, Näss c. Suède, no 18066/91, décision de la Commission du 6 avril 1994, Décisions et rapports 77, p. 37-40, E.M. c. Norvège, no 20087/92, décision de la Commission du 26 octobre 1995, Décisions et rapports 83- B, p. 5, Bastone c. Italie (déc.), no 59638/00, 21 octobre 2003).

    257.  Partant, la Cour estime que le grief est manifestement mal fondé et doit donc être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR,

    1.  Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables quant aux griefs tirés de l’article 3 ainsi que de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention concernant le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial et la présomption d’innocence, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit, par quatre voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention ;

     

    4.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

     

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 février 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    André Wampach                                                  Mirjana Lazarova Trajkovska
      Greffier adjoint                                                                  Présidente

     

     

    Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges M. Lazarova Trajkovska, L. Bianku et L.A. Sicilianos.

    M.L.T.
    A.M.W.

     

     

     

     

     

     

     


     


    OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DES JUGES LAZAROVA-TRAJKOVSKA, BIANKU ET SICILIANOS

    1.  À notre regret, nous ne sommes pas en mesure de nous rallier à l’opinion de la majorité, selon laquelle le principe de la présomption d’innocence n’a pas été enfreint dans cette affaire. Nous sommes en désaccord avec elle d’une part quant à l’application de ce principe au cas d’espèce, et d’autre part quant à la méthode qu’elle a adoptée pour l’interpréter.

    a)  L’application de la présomption d’innocence au cas d’espèce

    2.  Comme indiqué au paragraphe 200 de l’arrêt, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que la présomption d’innocence consacrée au paragraphe 2 de l’article 6 se trouve méconnue si une déclaration officielle concernant un prévenu reflète le sentiment qu’il est coupable, alors que sa culpabilité n’a pas été légalement établie au préalable. Il suffit pour cela, même en l’absence de constat formel, d’une motivation donnant à penser que le magistrat considère l’intéressé comme coupable.

    3.  Il ne fait aucun doute que les avis donnés par une commission parlementaire d’enquête, sous la forme de conclusions ou de propos exprimés pendant les débats, relèvent du champ d’application de l’article 6 § 2. Le cas des propos tenus par une commission parlementaire doit donc s’ajouter à ceux des propos tenus par d’autres autorités publiques énumérés au paragraphe 203 de l’arrêt. L’arrêt Corbet et autres c. France (nos 7494/11, 7493/11 et 7989/11, §§ 35 et 38, 19 mars 2015) confirme cette analyse.

    4.  La Cour a souligné à plusieurs reprises que le choix des termes employés par les agents de l’État dans les déclarations qu’ils formulent avant qu’une personne n’ait été jugée et reconnue coupable d’une infraction revêt une importance particulière (voir, parmi beaucoup d’autres, Daktaras, no 42095/98, § 41, 10 octobre 2000, Arrigo et Vieille c. Malte (déc.), no 6569/04, 10 mai 2005, et Khoujine et autres c Russie, no 13470/02, § 94, 23 octobre 2008). Dans l’affaire Huseyn et autres c. Azerbaïdjan (no 35485/05, 45553/05, 35680/05 et 36085/05, § 232, 26 juillet 2011), la Cour a dit que les autorités devaient se montrer particulièrement prudentes dans le choix des mots qu’elles faisaient pour décrire les procédures pénales pendantes et les événements qui avaient conduit à la poursuite des accusés. Elle a également rappelé, dans l’affaire Konstas c. Grèce (no 53466/07, § 36, 24 mai 2011), que la Convention doit être interprétée de manière à garantir des droits concrets et effectifs, et non théoriques et illusoires, et que dès lors, la présomption d’innocence est encore applicable aux déclarations faites après la condamnation du requérant en première instance, tant que la procédure d’appel est pendante.

    5.  Plus concrètement et de manière directement pertinente par rapport aux faits de la présente affaire, la Commission de Venise, dans sa tierce intervention, a dit ceci : « [d]ans la formulation de son rapport, la commission parlementaire devrait éviter d’exprimer tout avis sur l’aspect pénal des questions abordées, et en particulier de se prononcer [de quelque façon que ce soit] sur la responsabilité pénale des personnes concernées. Elle devrait toutefois rester libre de décrire et d’analyser tous les faits de l’espèce, et de porter sur eux une appréciation politique » (voir le paragraphe 192 de l’arrêt).

    6.  Pour ces raisons, les mots utilisés par la commission parlementaire d’enquête sont la clef pour déterminer s’il y a eu ou non violation dans cette affaire.

    7.  On relèvera tout d’abord que le titre de la résolution de la chambre basse du Parlement polonais (la Diète) créant la commission parlementaire d’enquête avait été formulé en des termes qui sont pour le moins connotés : ce titre indiquait que la Commission était constituée, notamment, pour :

      « 1)  enquêter sur les circonstances [ayant entouré] la tentative d’extorsion par Lew Rywin d’avantages financiers et politiques ... »

    Dans le titre de cette résolution, la Diète ne prenait donc aucune précaution de langage, puisqu’il y était question de « tentative d’extorsion » - une infraction pénale - de la part du requérant et non d’une tentative « supposée » ou « alléguée ». Il en résulte que le point de départ des travaux de la commission parlementaire d’enquête semblait être un fait déjà établi. Si la Commission de Venise et la Cour constitutionnelle polonaise indiquent que « le travail d’une commission parlementaire d’enquête revêt un caractère politique », les buts pour lesquelles cette commission a été mandatée en l’espèce nous semblent dépasser ce cadre strictement politique.

    8.  Cependant, ce qui nous paraît plus important encore est le rapport final de la Diète en date du 24 septembre 2004. Les propos litigieux de ce rapport sont reproduits au paragraphe 32 de l’arrêt. Ils résident dans la conclusion que les personnes politiques faisant l’objet de l’investigation parlementaire « ont commis par leur action délibérée et concertée en juillet 2002 le délit de corruption active, au sens de l’article 228 § 5 du code pénal combiné avec l’article 13 § 1 de ce code, en ce sens que [tout] en influençant le contenu de la loi sur l’audiovisuel en cours de révision et les travaux parlementaires y afférents, ils ont, en juillet 2002, par le truchement de Lew Rywin agissant en tant que commandité du “groupe détenant le pouvoir”, adressé une proposition corruptrice aux représentants d’Agora S.A. (...) »

    9.  La nature éminemment juridique des termes employés par la commission parlementaire d’investigation est évidente. Il y a lieu à ce stade de rappeler les termes en lesquels étaient formulées les conclusions de la cour d’appel de Varsovie. Celle-ci a jugé que l’accusé Lew Rywin avait « (...) de façon préméditée et avec l’intention de faciliter la commission par d’autres personnes du délit de trafic d’influence, facilité par son comportement la commission de ce délit, [c’est-à-dire] commis les faits remplissant les conditions énoncées à l’article 18 § 3 du code pénal combiné avec les articles 230 et 12 de ce code (...) », et l’a condamné « pour les faits ainsi décrits et qualifiés en application de l’article 19 § 1 du code pénal combiné avec l’article 230 de ce code » à « une peine d’emprisonnement de deux ans et, en application de l’article 33 § 1, 2 et 3 du code pénal, une peine de 50 jours-amende à 2 000 PLN ».

    10.  Une simple comparaison des conclusions de la commission parlementaire d’enquête avec celles de la cour d’appel de Varsovie suffit à démontrer que le sens des termes utilisés par la première ne diffère pas substantiellement des constats de culpabilité pénale auxquels est arrivée la seconde.

    11.  Nous trouvons qu’en l’espèce, les propos litigieux sont beaucoup plus explicites et plus graves que les termes employés, par exemple, par le ministre de l’Intérieur dans l’affaire Gutsanovi » (Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, §§ 200-201, CEDH 2013). Dans cette affaire, le ministre avait seulement parlé de « machination ». Dans la présente affaire, les propos sont beaucoup plus précis, et ils renvoient aux dispositions pénales qui prévoyaient et condamnaient les agissements mentionnés par la commission parlementaire, dont le rapport qualifie expressément le requérant de « commandité » ayant permis la commission du délit de trafic d’influence. Par conséquent, nous ne sommes pas d’accord avec les conclusions énoncées au paragraphe 214 de l’arrêt.

    12.  Les propos litigieux étaient formulés en des termes catégoriques et empruntés à la loi pénale ; or ils ont été émis avant que le requérant ne soit définitivement reconnu coupable de complicité de trafic d’influence. De plus, le libellé des conclusions du rapport de la commission parlementaire montre (voir les paragraphes 31 et 211 de l’arrêt) que leurs auteurs se référaient à la procédure pénale engagée à l’encontre du requérant et aux infractions pour lesquelles il était poursuivi à l’époque par les juridictions pénales compétentes. La seule différence entre de telles constatations, formulées de cette manière et avec des références aussi précises à la législation pénale, et une décision de condamnation rendue par un tribunal réside tout simplement dans la détermination de la peine à purger.

    13.  Compte tenu de leur teneur et du contexte dans lequel ils ont été formulés, ces propos étaient, à notre avis, de nature à créer chez le grand public l’impression que la commission considérait le requérant comme coupable de complicité de corruption (voir, par analogie, Gutsanovi, paragraphe 200).

    14.  Qui plus est, les conclusions litigieuses du rapport de la commission ont été formulées à l’issue d’une procédure formelle menée devant l’organe constitutionnel du Parlement. Cet organe était composé de députés et appliquait les règles pertinentes du code de procédure pénale. Il se prononçait sur la base des éléments d’information recueillis par la commission et sur ceux que lui avaient transmis les autorités qui avaient instruit la procédure pénale dirigée contre le requérant (voir, par analogie, Gutsanovi, paragraphe 199).

    15.  Il faut rappeler que le rapport de la commission a été adopté dans le contexte d’une large couverture médiatique, à un moment où le public manifestait un vif intérêt pour l’affaire (voir le paragraphe 210 de l’arrêt et, par analogie, Gutsanovi, paragraphe 200).

    16.  Nous admettons sans hésitation que l’enquête parlementaire revêtait un caractère légitime et qu’en l’espèce, la nature des soupçons dont un certain nombre d’individus faisaient l’objet mettait la commission dans l’obligation d’élucider l’affaire et d’informer l’opinion publique de ses conclusions. Nous reconnaissons aussi que les conclusions du rapport doivent être interprétées dans leur contexte, qui est celui d’une procédure à caractère politique concernant un groupe de hauts fonctionnaires dont le requérant lui-même n’a jamais fait partie.

    17.  Néanmoins, nous estimons qu’en raison de son autorité, de la portée de ses conclusions, des circonstances particulières ayant entouré la procédure - qui était conduite parallèlement au procès pénal du requérant - et de la forte médiatisation de l’affaire, la commission aurait dû en l’espèce être particulièrement attentive à l’emploi de termes susceptibles d’être interprétés comme mettant en cause la présomption d’innocence du requérant (en cela les propos en cause se distinguent des propos et conclusions de la commission d’enquête de l’assemblée nationale française dans l’affaire Corbet et autres (précitée, §§ 15-16)).

    18.  Comme la Commission de Venise l’indique au paragraphe 20 de sa tierce intervention, « (...) il est dans la nature des « scandales » politiques, fondés ou non, qu’ils puissent donner lieu à des procédures parallèles : une affaire faisant l’objet d’une enquête parlementaire peut en même temps faire l’objet d’enquêtes et de procédures administratives et/ou judiciaires. Cela n’a rien d’inhabituel ni d’illégitime. Toutefois, pareille situation impose à toutes les parties de veiller plus que jamais à maintenir la distance requise entre l’enquête parlementaire (politique) et les enquêtes pénales et procédures judiciaires [menées] devant les tribunaux. ». Nous pensons que la distance requise n’a pas été maintenue dans le cas d’espèce.

    19.  Compte tenu des éléments susmentionnés, en particulier de la formulation des conclusions du rapport de la commission d’enquête parlementaire et du contexte dans lequel elles s’inscrivent, nous estimons que la présomption d’innocence du requérant a été violée. Partant, nous sommes d’avis qu’il y a eu, dans cette mesure, violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

    b)  Les problèmes de l’approche méthodologique adoptée par la majorité

    20.  Pour parvenir à sa conclusion, la majorité applique un critère consistant à envisager les propos litigieux dans leur globalité (au paragraphe 211 pour ce qui est de la lecture de la résolution portant création de la commission d’enquête, puis au paragraphe 214 au moment d’analyser les conclusions du rapport du la commission).

    21.  Il faut rappeler encore une fois que la Cour a toujours dit que ce qui importe, c’est le sens réel des déclarations litigieuses, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles elles ont été formulées (Y.B. et autres c. Turquie, nos 48173/99 et 48319/99, § 44, 28 octobre 2004). Dans des affaires similaires à celle de la présente espèce où l’État défendeur souhaitait diluer l’effet des propos litigieux en les englobant dans le contexte des informations, elle a rejeté cette thèse pour se référer au sens et au contenu des propos en cause (voir Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, série A no 308, §§ 40 et 41, Khoujine et autres c. Russie, no13470/02, § 96, 23 octobre 2008, et, plus particulièrement, Gutsanovi, précité, § 196, où elle a tenu compte pour parvenir à sa conclusion du « sens littéral et figuré des expressions employées »).

    22.  Malgré tout le respect que nous avons pour la majorité, nous pensons que l’approche qu’elle adopte risque d’amoindrir en pratique la protection apportée par l’article 6 § 2 de la Convention. Cette disposition vise à empêcher que l’on donne l’impression qu’un individu est coupable avant qu’il n’ait été condamné par une décision de justice définitive. Si le public devait procéder à une analyse globale des propos tenus, ce qui est parfois très difficile et en tout cas toujours subjectif, même en présence de propos clairs et précis, et a fortiori lorsque ceux-ci sont formulés en des termes catégoriques empruntés à la loi pénale et indiquent que le requérant s’est fait le complice d’une infraction pénale, l’effet utile et pratique de l’article 6 § 2 risquerait d’être sérieusement compromis.


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