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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> REBEGEA v. ROMANIA - 77444/13 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section)) French Text [2016] ECHR 264 (15 March 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/264.html
Cite as: [2016] ECHR 264

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE REBEGEA c. ROUMANIE

     

    (Requête no 77444/13)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    15 mars 2016

     

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Rebegea c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

              András Sajó, président,
              Boštjan M. Zupančič,
              Nona Tsotsoria,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Krzysztof Wojtyczek,
              Egidijus Kūris,
              Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 février 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 77444/13) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Dumitru Rebegea (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 novembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me D.A. Patrichi, avocat à Ploieşti. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

    3.  Le requérant allègue en particulier une violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions de sa détention dans la prison de Mărgineni. Sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, le requérant se plaint en outre de ce que la cour d’appel de Bucarest, lors de son placement en détention le 5 novembre 2009 et le parquet, dans son communiqué de presse du même jour, l’ont déclaré coupable alors que sa culpabilité n’avait pas encore été établie conformément à la loi.

    4.  Le 2 avril 2014, les griefs susmentionnés ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.

    5.  À la suite du déport de Mme Iulia Antoanella Motoc, juge élue au titre de la Roumanie (article 28 du Règlement de la Cour), M. Krzysztof Wojtyczek a été désigné pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du Règlement).

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    6.  Le requérant est né en 1975. Il est actuellement détenu à la prison de Ploieşti.

    A.  L’arrestation du requérant et la procédure pénale engagée à son encontre

    7.  Le 4 novembre 2009, des poursuites pénales furent ouvertes à l’encontre du requérant, chef de la section pénale du tribunal départemental de Prahova. Il était soupçonné de corruption passive et de recel de malfaiteurs pour avoir ordonné la libération de deux personnes placées en détention provisoire contre d’importantes sommes d’argent qu’il avait demandées et reçues en septembre et octobre 2009, par l’intermédiaire de l’avocate V.I.P. Dans la nuit, après avoir été entendu, le requérant fut placé en garde à vue.

    8.  Le 5 novembre 2009, la direction nationale anti-corruption (« DNA ») mit le requérant en examen.

    9.  Le même jour, il fut placé en détention provisoire par la cour d’appel de Bucarest, siégeant en formation de juge unique. En ce qui concerne l’application en l’espèce de l’article 143 du code de procédure pénale (« CPP »), qui exige que le dossier contienne des éléments permettant de soupçonner l’intéressé d’avoir commis les délits reprochés, le juge s’exprima dans les termes suivants :

    « Comme déjà exposé, la culpabilité de l’inculpé ressort des enregistrements [des conversations] téléphoniques, des enregistrements audio-vidéo, ainsi que des déclarations de V.I.P, de I.S. et de E.M.

    (...)

    Bien que l’inculpé Rebegea Dumitru n’ait pas reconnu les accusations et ait nié avoir touché une quelconque somme d’argent, ces allégations sont manifestement mal fondées et elles sont infirmées par les autres preuves, notamment par la déclaration de V.I.P. qui a exposé de manière détaillée ses actions et quelles sommes d’argent ont été versées à Rebegea Dumitru.

    Les conversations téléphoniques et les rencontres fréquentes de l’inculpé avec V.I.P. qui ne peuvent être aucunement contestées, étant prouvées de manière objective par les enregistrements réalisés, montrent qu’ils avaient un certain intérêt à voir résolue favorablement la situation des inculpés Z.S. et F.N.P.

    Il est vrai que l’inculpé n’a pas été interpelé lors d’un flagrant délit, mais son honnêteté est sérieusement mise en cause par le fait qu’après le prononcé des décisions en cause [par l’inculpé], celui-ci a téléphoné à ou rencontré V.I.P. »

    10.  Le juge constata en outre que les conditions prévues par l’article 148 f) du CPP étaient réunies, le maintien en liberté du requérant constituant un danger pour l’ordre public.

    11.  Le même jour, la DNA publia un communiqué de presse, ainsi libellé :

    « Les procureurs de la direction nationale anti-corruption effectuent des poursuites pénales à l’encontre de Rebegea Dumitru, juge au tribunal départemental de Prahova, président de la section pénale, contre lequel on a retenu (în sarcina căruia s-au reţinut) deux infractions de corruption passive et deux infractions de recel de malfaiteurs.

    De la décision de mise en examen des procureurs, ressort la situation de fait
    ci-dessous.

    Au cours du mois de septembre 2009, l’inculpé Rebegea Dumitru, en sa qualité de juge au tribunal départemental de Prahova, a réclamé la somme de 25 000 euros et a accepté la promesse de se voir offrir 3 000 euros afin de remettre en liberté un inculpé placé en détention provisoire. Sur la somme réclamée, le juge a touché, par un intermédiaire, dans l’intervalle juillet-octobre 2009, la somme totale de 21 000 euros, en deux fois.

    De même, au cours du mois d’octobre 2009, Rebegea Dumitru, en sa qualité de juge au tribunal départemental de Prahova, a réclamé la somme de 20 000 euros, dont il a touché, par un intermédiaire, 9 000 euros, afin de remettre en liberté un autre inculpé placé en détention provisoire.

    Les deux personnes ont été remises en liberté par le juge Rebegea Dumitru.

    L’inculpé a été informé des accusations portées contre lui, conformément à l’article 6 § 3 du code de procédure pénale. Eu égard au fait que, en vertu des dispositions de l’article 95 § 1 de la loi no 303/2004 portant sur le Statut des juges et des procureurs, republiée, la Section pour les juges du Conseil supérieur de la magistrature a approuvé le placement en garde à vue et en détention provisoire, le 5 novembre 2009, les procureurs ont ordonné la mise en garde à vue de l’inculpé Rebegea Dumitru pour 24 heures et, le 5 novembre 2009, la cour d’appel de Bucarest a ordonné le placement en détention provisoire de celui-ci pour 29 jours.

    Lors de l’enquête, les procureurs ont collaboré avec des officiers de la direction générale d’information et de protection interne du MAI (ministère de l’Intérieur).

    Nous entendons préciser que la mise en examen est une étape du procès pénal prévue par le code de procédure pénale et nécessaire en vue d’une proposition de placement en détention provisoire, action qui ne peut aucunement aller à l’encontre du principe de la présomption d’innocence. »

    12.  Le 8 novembre 2009, la Haute Cour de cassation et de justice confirma définitivement la décision du 5 novembre 2009 de la cour d’appel de Bucarest.

    13.  Par réquisitoire du parquet du 26 novembre 2009, le requérant fut renvoyé en jugement du chef des accusations retenues par le parquet le 4 novembre 2009.

    14.  Par un jugement du 23 février 2012, la cour d’appel de Bucarest condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de sept ans pour corruption passive et le relaxa du chef de recel de malfaiteurs.

    15.  Le requérant forma un pourvoi contre ce jugement.

    16.  Dans son arrêt du 27 mai 2013, la Haute Cour de cassation et de justice condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de cinq ans et demi du chef de corruption passive et de recel de malfaiteurs.

    B.  Les conditions de détention du requérant à la prison de Mărgineni

    17.  Du 28 mai 2013 au 18 mars 2014, le requérant fut incarcéré à la prison de Mărgineni. Il fut transféré ultérieurement à la prison de Jilava, puis à la prison de Ploieşti.

    1.  Les conditions de détention telles que décrites par le requérant

    18.  Le requérant fut placé dans une cellule de 10 m² avec trois autres codétenus, dont certains fumeurs. Selon ses dires, la cellule ne bénéficiait pas d’un éclairage naturel adéquat en raison des dimensions et de l’emplacement de la fenêtre.

    19.  Par ailleurs, il conteste, sans plus de précisions, les allégations des représentants de l’administration nationale des prisons (« ANP ») qui soutiennent que la nourriture offerte aux détenus était de bonne qualité et qu’il n’y avait pas de problèmes concernant le chauffage.

    2.  Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement

    20.  Le Gouvernement, renvoyant à une lettre envoyée par l’ANP, indique que, le 28 mai 2013, le requérant a été incarcéré à la prison de Mărgineni. Il précise que, du 28 mai au 12 juillet 2013, il a été placé dans la cellule no 55 de l’aile E5 qui a une superficie de 13, 18 m², soit seul, soit avec un autre détenu.

    21.  Du 12 au 19 juillet 2013, il a été transféré dans la cellule no 31 de l’aile E3 qui avait une superficie de 39, 98 m², était dotée de 13 lits et dans laquelle étaient placés en moyenne onze détenus.

    22.  Du 19 juillet au 2 septembre 2013, il a été placé à nouveau dans la cellule no 55.

    23.  Du 2 au 6 septembre 2013, le requérant a été placé dans la cellule no 18 de l’aile E2 qui avait une superficie de 43, 30 m², était dotée de trente lits et dans laquelle étaient placés en moyenne vingt-cinq détenus.

    24.  Du 6 septembre 2013 au 18 mars 2014, il a été placé dans la cellule no 16 de l’aile E qui avait une superficie de 53, 65 m², était dotée de trente lits et dans laquelle étaient placés en moyenne vingt-cinq détenus.

    25.  Les cellules dans lesquelles le requérant a été incarcéré étaient pourvues d’éclairage artificiel, d’un système qui assurait correctement le chauffage, de toilettes, de rangements pour les effets personnels et de tables et chaises pour prendre les repas, et d’eau potable.

    26.  L’intéressé a eu accès aux douches deux fois par semaine.

    27.  Des actions de désinsectisation et de dératisation étaient menées une fois par trimestre ou suivant les besoins.

    28.  La nourriture était de bonne qualité et vérifiée quotidiennement par les responsables de la prison et un représentant des détenus.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

    29.  Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines ainsi que la jurisprudence fournie par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).

    30.  Les conclusions du rapport établi par l’Association pour la défense de droits de l’homme - le comité Helsinki (« Apador - CH ») à la suite d’une visite effectuée le 28 août 2013 à la prison de Mărgineni sont décrites dans l’affaire Necula c. Roumanie (no 33003/11, § 30, 18 février 2014). Le rapport fait état en particulier du problème de surpeuplement carcéral, de l’absence d’eau courante qui n’était fournie que trois fois par jour pendant une ou deux heures, absence qui engendrait des conditions d’hygiène précaires, ainsi que la dégradation des cellules et de la cuisine de la prison.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    31.  Le requérant se plaint des conditions matérielles de sa détention qu’il aurait subies dans la prison de Mărgineni, qu’il qualifie de traitements inhumains et dégradants. Il invoque à cet égard l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    32.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    33.  Le requérant maintient que les conditions matérielles de sa détention dans la prison de Mărgineni, et plus particulièrement la surpopulation carcérale qui y aurait régné, ont constitué un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

    34.  Le Gouvernement soutient que les autorités roumaines ont fait preuve d’une diligence raisonnable afin d’offrir au requérant des conditions de détention conformes à la jurisprudence de la Cour et qu’elles continuent à déployer des efforts pour améliorer les conditions de détention.

    35.  La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d’exécution de la mesure en cause ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI et Enășoaie c. Roumanie, no 36513/12, § 46, 4 novembre 2014).

    S’agissant des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Bahnă c. Roumanie, no 75985/12, § 44, 13 novembre 2014 et Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, § 46, CEDH 2001-II). Lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, la Cour considère que le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 39, 7 avril 2005).

    36.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que le requérant dénonce plusieurs aspects de sa détention, dont notamment le surpeuplement carcéral, l’éclairage insuffisant, la mauvaise qualité de la nourriture, l’absence de chauffage adéquat ou la cohabitation avec des détenus fumeurs (paragraphes 17-18 ci-dessus).

    37.  S’agissant de l’espace de vie dont il a bénéficié, la Cour note que le requérant allègue avoir été confronté à des situations de surpeuplement dans la prison où il a été détenu. À cet égard, elle rappelle qu’elle a déjà constaté que les conditions de détention dans les prisons roumaines, notamment le surpeuplement et les conditions d’hygiène précaires, relèvent d’un problème de nature structurelle (Iacov Stanciu, précité, § 195). Les allégations du requérant tirées du surpeuplement carcéral sont donc plausibles et la Cour note que le Gouvernement ne les conteste pas expressément. En effet, les informations qu’il fournit au sujet de la prison de Mărgineni confirment les allégations du requérant (paragraphes 20 et 22-23 ci-dessus). Qui plus est, la Cour relève qu’elle a déjà observé des situations de surpeuplement pour des périodes qui coïncident avec la détention du requérant dans la présente affaire à la prison de Mărgineni (Necula, précité, §§ 57 et 59, et Mihai Laurenţiu Marin c. Roumanie, no 79857/12, § 31, 10 juin 2014).

    38.  De surcroît, la Cour note que les allégations du requérant relatives à l’absence de chauffage adéquat ou à la mauvaise qualité de la nourriture sont également plausibles et reflètent des réalités soit qu’elle-même a constatées par le passé (Mihai Laurenţiu Marin, précité, § 32) soit qui sont confirmées par les conclusions de l’Apador - CH  dans son rapport établi après sa visite du 28 août 2013 dans cette prison (paragraphe 30 ci-dessus).

    39.  La Cour estime que les conditions de détention en cause ont soumis le requérant à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 49, 27 juillet 2006, Tadevossian c. Arménie, no 41698/04, § 55, 2 décembre 2008, et Florin Andrei c. Roumanie, no 33228/05, § 46, 15 avril 2014).

    40.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

    41.  Compte tenu de ce constat, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner plus avant les allégations du requérant relatives à l’éclairage insuffisant ou à la présence de détenus fumeurs dans sa cellule (Cucolaş c. Roumanie, no 17044/03, § 99, 26 octobre 2010, et Florin Andrei, précité, § 49).

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

    42.  Le requérant se plaint de ce que la cour d’appel de Bucarest, lors de son placement en détention le 5 novembre 2009, et le parquet, dans son communiqué de presse du même jour, l’ont déclaré coupable alors que sa culpabilité n’avait pas encore été établie conformément à la loi. Il invoque l’article 6 § 2 de la Convention, ainsi libellé :

    « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

    43.  Le Gouvernement considère que le grief du requérant pour autant qu’il porte sur le communiqué de presse du parquet du 5 novembre 2011 est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme qu’en tout état de cause, les deux branches du grief sont irrecevables pour tardivité. La Cour examinera ces deux exceptions séparément.

    A.  L’exception de non-épuisement des voies de recours internes

    44.  Le Gouvernement allègue à cet égard, sans plus de précisions, que le requérant pouvait, d’une part, engager une action sur le fondement des dispositions du code civil régissant la responsabilité civile délictuelle ou, d’autre part, soulever les arguments tirés de la prétendue violation de sa présomption d’innocence devant les juridiction examinant les accusations portées contre lui.

    45.  Le requérant réplique en premier lieu que le Gouvernement n’indique aucune disposition nationale qui lui aurait permis d’invoquer soit la méconnaissance des règles de la responsabilité délictuelle civile pour le cas spécifique concernant un communiqué de presse du parquet, soit directement la méconnaissance de la présomption d’innocence devant les juridictions ayant examiné le fond des accusations portées contre lui. En deuxième lieu, il argue que le Gouvernement n’a envoyé aucune décision des tribunaux internes démontrant l’efficacité des voies de recours susmentionnées.

    46.  La Cour rappelle que l’article 35 de la Convention n’exige l’épuisement que des recours accessibles, adéquats et relatifs aux violations incriminées (Tsomtsos et autres c. Grèce, 15 novembre 1996, § 32, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, et Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 140, CEDH 2012).

    47.  Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour qu’un recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant la réparation de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 57, CEDH 1999-IX, et D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 115, CEDH 2007-IV).

    48.  La Cour rappelle que la protection de l’article 6 § 2 de la Convention entre en jeu avant même la condamnation de l’accusé et peut s’étendre
    au-delà de la fin de la procédure pénale en cas d’acquittement ou d’abandon des poursuites (voir, avec les références,
    Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, § 35, série A no 308). Au vu de la nature même du droit consacré à l’article 6 § 2 de la Convention, tout recours interne effectif visant au redressement d’une violation alléguée de la présomption d’innocence qui serait survenue au cours de poursuites pénales pendantes doit être immédiatement ouvert au justiciable et ne doit pas être tributaire de l’issue de son procès. Admettre le contraire reviendrait à anéantir le principe même du respect de la présomption d’innocence (Gutsanovi c. Bulgarie, n34529/10, § 176, CEDH 2013 (extraits), et Toni Kostadinov c. Bulgarie, no 37124/10, § 108, 27 janvier 2015).

    49.  En l’espèce, la Cour note que, selon le Gouvernement, le requérant aurait pu exercer deux voies de recours avant de la saisir. S’agissant de la première voie de recours civile suggérée par le Gouvernement, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé qu’elle n’est pas de nature à remédier pleinement à l’atteinte alléguée à la présomption d’innocence (Konstas c. Grèce, no 53466/07, § 29, 24 mai 2011, et Igars c. Lettonie (déc.), no 11682/03, § 92, 5 février 2013). De plus, en l’occurrence, le Gouvernement ne donne pas de précision quant aux dispositions légales applicables ou à la pratique éventuelle des tribunaux nationaux à cet égard.

    50.  Pour ce qui est de la seconde voie de recours indiquée par le Gouvernement, qui aurait consisté pour le requérant à soulever lors de la procédure au fond devant les tribunaux nationaux des arguments tirés d’une violation de sa présomption d’innocence, la Cour rappelle que tout recours interne effectif visant au redressement d’une telle violation prétendument survenue au cours de poursuites pénales pendantes doit être immédiatement ouvert au justiciable et ne doit pas être tributaire de l’issue de son procès (paragraphe 48 ci-dessus). Or, tel n’est pas le cas pour le recours invoqué par le Gouvernement. Pour cette raison, il convient de rejeter le deuxième volet de l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement (Gutsanovi précité, § 176).

    51.  Dès lors, la Cour estime que le requérant n’avait pas de voie de recours à sa disposition au sens de l’article 35 § 1 de la Convention et qu’il convient de rejeter l’exception du Gouvernement.

    B.  L’exception de tardivité

    52.  À titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que, en l’absence de voies de recours internes, le délai de six mois prévu à l’article 35 de la Convention a commencé à courir à la date de l’acte incriminé, en l’espèce le 5 novembre 2009, date du communiqué de presse du parquet. S’agissant des termes employés par la cour d’appel de Bucarest à l’occasion de son placement en détention provisoire, le délai de six mois a commencé à courir le 8 novembre 2009, date à laquelle la Haute Cour de cassation et de justice a confirmé définitivement la décision de la cour d’appel. Le requérant ayant saisi la Cour le 12 novembre 2013, ce grief serait tardif.

    53.  Le requérant estime que le délai de six mois a commencé à courir en l’espèce à compter du 27 mai 2013, date de l’arrêt définitif de la Haute Cour de cassation et de justice ayant tranché définitivement les accusations pénales portées à son encontre.

    54.  La Cour rappelle avoir dit par le passé que, là où aucun recours interne n’est disponible pour dénoncer un acte supposé violer la Convention, le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention commence en principe à courir le jour où l’acte incriminé a été pris ou le jour auquel un requérant a eu à pâtir directement de cet acte, en a pris connaissance ou aurait pu en prendre connaissance (Aydın c. Turquie (déc.), nos 28293/95, 29494/95 et 30219/96, CEDH 2000-III (extraits)).

    55.  En l’espèce, la Cour a déjà noté que, s’agissant du communiqué de presse de la DNA, la violation alléguée n’était pas tributaire de l’issue de la procédure et a conclu que le requérant n’avait pas de voie de recours à sa disposition (paragraphe 50 ci-dessus). Il s’ensuit que le délai de six mois a commencé à courir en l’occurrence à la date du 5 novembre 2009. Pour ce qui est de la décision ordonnant le placement en détention provisoire, la Cour juge également le délai a commencé à courir le 8 novembre 2009, date à laquelle la décision litigieuse de la cour d’appel de Bucarest est devenue définitive.

    56.  Or, la Cour note que le requérant ne l’a saisie que le 12 novembre 2013, en dehors du délai de six mois prescrit par l’article 35 § 1 de la Convention. Dès lors, il convient d’accueillir l’exception de tardivité du Gouvernement et de déclarer ce grief irrecevable dans son ensemble, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    57.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    58.  Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi en raison des conditions matérielles de détention à la prison de Mărgineni. Il sollicite en outre 15 000 EUR du chef de chaque atteinte à la présomption d’innocence alléguée. Enfin, il réclame différentes sommes au titre des griefs déclarés irrecevables (paragraphe 4 ci-dessus).

    59.  Le Gouvernement, renvoyant à la jurisprudence de la Cour en matière de conditions de détention, estime que le montant sollicité par le requérant à ce titre est excessif. Il allègue en outre que le montant réclamé sur le terrain de l’article 6 § 2 de la Convention est exorbitant.

    60.  La Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation du seul article 3 de la Convention en raison des conditions de détention subies à la prison de Mărgineni. Elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    61.  Le requérant ne demande pas le remboursement des frais et dépens.

    C.  Intérêts moratoires

    62.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 3 000 EUR (trois mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 mars 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Françoise Elens-Passos                                                            András Sajó
           Greffière                                                                              Président

     


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