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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PINTO COELHO v. PORTUGAL (No. 2) - 48718/11 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section)) French Text [2016] ECHR 296 (22 March 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/296.html
Cite as: [2016] ECHR 296

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE PINTO COELHO c. PORTUGAL (No 2)

     

    (Requête no 48718/11)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    22 mars 2016

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Pinto Coelho c. Portugal (no 2),

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

              András Sajó, président,
              Vincent A. De Gaetano,
              Boštjan M. Zupančič,
              Nona Tsotsoria,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Egidijus Kūris,
              Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 février 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 48718/11) dirigée contre la République portugaise et dont une ressortissante, Mme Sofia Pinto Coelho (« la requérante »), a saisi la Cour le 14 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  La requérante a été représentée par Me R. S. Fernandes, avocat à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

    3.  La requérante allègue que sa condamnation du chef de désobéissance a porté atteinte à l’article 10 de la Convention.

    4.  Le 11 mars 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  La requérante est née en 1963 et réside à Lisbonne.

    6.  Elle est journaliste et chroniqueuse judiciaire pour la chaîne de télévision portugaise SIC (Sociedade Independente de Comunicação, S.A.).

    A.  Le reportage à l’origine de l’affaire

    7.  Le 12 novembre 2005, le journal télévisé de 20 heures diffusa un reportage réalisé par la requérante sur une affaire judiciaire. Ce reportage concernait la condamnation par le tribunal de Sintra de monsieur E., un homme d’origine capverdienne âgé de 18 ans à l’époque des faits, à quatre ans et demi de prison pour le vol aggravé d’un portable dans le cadre d’une procédure pénale qui avait été ouverte contre plusieurs individus (procédure interne no 1044/04.9PCSNT).

    8.  Dans son reportage, la requérante défendait l’innocence du jeune homme et dénonçait l’erreur judiciaire que constituait sa condamnation. Pour appuyer sa thèse, elle y interrogeait plusieurs juristes et des personnes qui étaient intervenues au cours de la procédure.

    9.  Couvrant des prises de vue de la salle du tribunal de Sintra où l’audience publique avait eu lieu, des extraits de l’enregistrement sonore de l’audience réalisé par le tribunal lui-même, accompagnés d’un sous-titrage, étaient également diffusés dans le reportage, notamment l’interrogatoire d’un témoin à charge et de deux témoins à décharge. Pour la retransmission de ces extraits, les voix des trois juges qui composaient la chambre du tribunal, ainsi que celles des témoins, avaient été déformées. Ces séquences étaient suivies de commentaires de la requérante cherchant à démontrer que monsieur E. avait été condamné en dépit du fait qu’il n’avait été reconnu par aucune des victimes au cours du procès et qu’il soutenait qu’il travaillait au moment où le vol en question avait été commis.

    10.  Pour le reportage, la requérante avait cherché à obtenir des déclarations des juges qui étaient intervenus au cours du jugement mais ceux-ci n’avaient pas souhaité s’exprimer.

    11.  Après la diffusion du reportage, le président de la chambre qui avait jugé l’affaire saisit le parquet dénonçant l’absence d’autorisation pour la transmission des extraits de l’enregistrement sonore de l’audience et des prises de vues qui avaient été faites dans la salle d’audience.

    12.  Les personnes dont les voix furent retransmises ne saisirent pas les tribunaux pour dénoncer une atteinte à leurs droits à la parole.

    B.  La procédure pénale (procédure interne no 198505.6TAOER)

    13.  À une date non précisée, le parquet près le tribunal d’Oeiras entama des poursuites pour désobéissance (desobediência) contre la requérante et trois responsables du journal de 20 heures de la chaîne de télévision SIC.

    14.  Par une ordonnance du 4 septembre 2007, le parquet présenta ses réquisitions à leur encontre. Il considéra que les accusés avaient diffusé l’enregistrement sonore de l’audience qui avait eu lieu dans le cadre de la procédure devant le tribunal de Sintra, sans l’autorisation de celui-ci, enfreignant l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale et l’article 348 § 1 a) du code pénal.

    15.  La requérante et les trois autres accusés sollicitèrent l’ouverture de l’instruction devant le tribunal d’instruction criminelle d’Oeiras, demandant une décision de non-lieu (despacho de não pronúncia). Dans son mémoire, la requérante soutenait, entre autres, que la divulgation de l’enregistrement sonore d’une audience effectué par les services du tribunal n’était pas punie par l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale et que seules l’étaient les prises d’images ou de sons en direct d’une audience et leur diffusion ultérieure. Par une décision du 14 décembre 2007, le tribunal d’instruction d’Oeiras rejeta la demande de la requérante, confirmant les charges du parquet à son égard du parquet à son égard.

    16.  L’affaire fut renvoyée devant le tribunal d’Oeiras. À une date non précisée, la requérante présenta son mémoire en défense (contestação). Elle réfutait avoir procédé à l’enregistrement de l’audience et alléguait que son reportage avait eu pour objectif de dénoncer une erreur judiciaire grave ce qui primait, eu égard à la liberté de l’individu, sur tout acte illicite qui aurait pu être commis. Elle estimait aussi que l’interprétation de l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale faite par les juridictions avait porté atteinte à la liberté de la presse.

    17.  Par un jugement du 6 août 2008, le tribunal d’Oeiras jugea la requérante coupable de désobéissance considérant que cette dernière avait violé l’interdiction légale de diffuser sans autorisation du tribunal, l’enregistrement sonore de l’audience qui avait eu lieu au tribunal de Sintra. Il estima que les extraits qui avaient été divulgués n’apparaissaient pas comme des éléments indispensables au reportage, que la liberté de la presse n’était pas absolue et que, dans la mesure où elle était juriste de formation et journaliste spécialisée dans les affaires judiciaires, la requérante savait que leur transmission était interdite par la loi. Le tribunal condamna ainsi cette dernière à une peine de 60 jours-amende au taux journalier de 25 euros (EUR), soit un total de 1 500 EUR, ainsi qu’au paiement des frais de justice. Pour fixer sa peine, il tint compte du fait que la requérante avait déjà fait l’objet d’une condamnation pour désobéissance dans le cadre d’une autre affaire.

    18.  À une date non précisée, la requérante attaqua le jugement devant la cour d’appel de Lisbonne. Elle contestait les faits qui avaient été considérés comme établis par le tribunal d’Oeiras et son interprétation de l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale en réitérant que l’interdiction de diffuser des prises de sons ou d’images d’une audience ne se pose que lorsque la procédure est pendante et non après qu’elle ait été conclue.

    19.  Le 26 mai 2009, la cour d’appel de Lisbonne prononça son arrêt, confirmant le jugement du tribunal d’Oeiras. Quant aux faits, elle estima que la requérante savait que la transmission des extraits était soumise à une autorisation du tribunal. Elle considéra ensuite qu’il n’y avait pas eu violation de la liberté de la presse et qu’il s’agissait, en l’occurrence, de protéger les droits à la parole (direito à palavra) et à l’image d’autrui.

    20.  À une date non précisée, la requérante saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours en inconstitutionnalité, objectant l’inconstitutionnalité de l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale.

    21.  Par un arrêt du 15 février 2011, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours de la requérante, en concluant ainsi :

    « (...) pour la diffusion de l’enregistrement sonore par la voie de la presse, l’exigence d’une autorisation s’explique, tant pour la protection du droit à la parole que pour la sauvegarde des objectifs légitimes visant la réalisation de la justice qui sont poursuivis avec l’enregistrement sonore. Ainsi, les conditions ayant déterminé l’enregistrement étant remplies, les intérêts en cause se concentrent, d’un côté, et en particulier, sur la sphère privée de l’auteur des déclarations, lequel contrôle ses propos et leur utilisation et, d’un autre côté, sur l’intérêt de la bonne administration de la justice qui doit garantir à celui qui, par obligation légale, a vu ses paroles enregistrées dans le cadre d’une procédure, que le titulaire de celle-ci empêche leur diffusion à des fins autres que celles prévues par la loi. C’est aussi pour cette raison que se justifient l’autorisation du juge et la prévision du crime de désobéissance.

    Partant, il n’est pas excessif que celui qui a été obligé de témoigner en vertu de la loi et dont les déclarations ont été enregistrées, sans pouvoir s’y soustraire, confiant sa parole au tribunal au cours d’une audience, puisse s’attendre à une protection renforcée. Il n’est pas disproportionné que celui qui s’est vu confier des déclarations au cours d’un procès puisse dûment suivre les déclarations recueillies en vertu d’une imposition légale, vérifiant la fin qui leur est donnée.

    L’exigence d’une autorisation judiciaire pour la diffusion de l’enregistrement sonore des déclarations faites au cours d’une audience, sans aucune limite temporelle, demeurant au-delà du terme de la procédure dans le cadre de laquelle l’audience a été réalisée, ne constitue pas une solution non conforme et excessive. Elle est justifiée au nom de la protection du droit à la parole et pour des raisons de bonne administration de la justice, ce qui légitime l’intervention venant contraindre la liberté d’expression.

    L’obligation d’une autorisation judiciaire, dans les circonstances du cas d’espèce, ne viole pas le principe de la proportionnalité, étant donné qu’elle se limite à ce qui est nécessaire pour préserver le droit à la parole et à la bonne administration de la justice. »

    22.  Le Tribunal en déduisit que l’interprétation de l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale selon laquelle il est interdit de diffuser l’enregistrement sonore d’une audience d’un tribunal, sans son autorisation, était conforme à la Constitution et ne violait pas, en particulier, l’article 38 de la Constitution garantissant la liberté de la presse.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    23.  Les dispositions internes pertinentes en l’espèce se lisaient ainsi au moment des faits :

    Article 38 de la Constitution

    « 1. La liberté de la presse est garantie.

    2. La liberté de la presse a les corollaires suivants :

    a) la liberté d’expression et de création pour les journalistes et leurs collaborateurs, ainsi que la participation des premiers à l’orientation éditoriale des organes de communication pour lesquels ils travaillent, à moins que ces derniers ne soient de nature doctrinale ;

    b) tout journaliste a accès aux sources d’information, dans les conditions prévues par la loi. Son indépendance et le secret professionnel sont protégés. Il a également le droit d’élire les membres des conseils de rédaction ;

    (...) »

    Article 88 du code de procédure pénale

    « 1. Les organes de presse peuvent, dans les limites de la loi, rapporter la teneur des actes de procédure non couverts par le secret de l’instruction (segredo de justiça) (...)

    2. Il n’est toutefois pas autorisé, sous peine de désobéissance simple, de :

    a) reproduire des pièces de procédure ou des documents versés au dossier d’une procédure jusqu’au jugement en première instance, excepté si ces pièces ont été obtenues par le biais d’une requête mentionnant le but d’une telle demande ou si l’autorité judiciaire en charge de la phase de procédure en cause a expressément autorisé une telle reproduction ;

    b) transmettre ou enregistrer des images ou des prises de sons concernant la pratique de tout acte de procédure, notamment de l’audience, sauf si l’autorité judiciaire indiquée à l’alinéa précédent l’autorise par ordonnance ; cela étant, il n’est pas autorisé de transmettre ou d’enregistrer des images ou des prises de sons concernant une personne qui s’y oppose ;

    (...) »

    Article 348 du code pénal

    « 1. Quiconque ne respecte pas un ordre ou un mandat légitimes, régulièrement communiqués ou émanant des autorités ou d’un fonctionnaire compétents, sera puni d’une peine d’emprisonnement pouvant atteindre un an ou d’une peine pouvant atteindre 120 jours-amende :

    a) si une disposition légale sanctionne en l’espèce la désobéissance simple

    (...) »

    III.  LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT

    24.  La Recommandation Rec(2003)13 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres, sur la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales, se lit ainsi :

    « (...)

    Rappelant que les médias ont le droit d’informer le public eu égard au droit de ce dernier à recevoir des informations, y compris des informations sur des questions d’intérêt public, en application de l’article 10 de la Convention, et qu’ils ont le devoir professionnel de le faire ;

    Rappelant que les droits à la présomption d’innocence, à un procès équitable et au respect de la vie privée et familiale, garantis par les articles 6 et 8 de la Convention, constituent des exigences fondamentales qui doivent être respectées dans toute société démocratique ;

    Soulignant l’importance des reportages réalisés par les médias sur les procédures pénales pour informer le public, rendre visible la fonction dissuasive du droit pénal et permettre au public d’exercer un droit de regard sur le fonctionnement du système judiciaire pénal ;

    Considérant les intérêts éventuellement conflictuels protégés par les articles 6, 8 et 10 de la Convention et la nécessité d’assurer un équilibre entre ces droits au regard des circonstances de chaque cas individuel, en tenant dûment compte du rôle de contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme pour garantir le respect des engagements contractés au titre de la Convention ;

     (...)

    Désireux de promouvoir un débat éclairé sur la protection des droits et intérêts en jeu dans le cadre des reportages effectués par les médias sur les procédures pénales, ainsi que de favoriser de bonnes pratiques à travers l’Europe, tout en assurant l’accès des médias aux procédures pénales ;

     (...)

    Recommande, tout en reconnaissant la diversité des systèmes juridiques nationaux en ce qui concerne les procédures pénales, aux gouvernements des États membres :

    1. de prendre ou de renforcer, le cas échéant, toutes mesures qu’ils considèrent nécessaires en vue de la mise en œuvre des principes annexés à la présente recommandation, dans les limites de leurs dispositions constitutionnelles respectives,

    2. de diffuser largement cette recommandation et les principes qui y sont annexés, en les accompagnant le cas échéant d’une traduction, et

    3. de les porter notamment à l’attention des autorités judiciaires et des services de police, et de les mettre à la disposition des organisations représentatives des juristes praticiens et des professionnels des médias.

    Annexe à la Recommandation Rec(2003)13 - Principes concernant la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales

    Principe 1 - Information du public par les médias

    Le public doit pouvoir recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police à travers les médias. Les journalistes doivent en conséquence pouvoir librement rendre compte et effectuer des commentaires sur le fonctionnement du système judiciaire pénal, sous réserve des seules limitations prévues en application des principes qui suivent.

    Principe 2 - Présomption d’innocence

    Le respect du principe de la présomption d’innocence fait partie intégrante du droit à un procès équitable.

    En conséquence, des opinions et des informations concernant les procédures pénales en cours ne devraient être communiquées ou diffusées à travers les médias que si cela ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence du suspect ou de l’accusé.

     (...)

    Principe 6 - Information régulière pendant les procédures pénales

    Dans le cadre des procédures pénales d’intérêt public ou d’autres procédures pénales attirant particulièrement l’attention du public, les autorités judiciaires et les services de police devraient informer les médias de leurs actes essentiels, sous réserve que cela ne porte pas atteinte au secret de l’instruction et aux enquêtes de police et que cela ne retarde pas ou ne gêne pas les résultats des procédures. Dans le cas des procédures pénales qui se poursuivent pendant une longue période, l’information devrait être fournie régulièrement.

     (...)

    Principe 8 - Protection de la vie privée dans le contexte de procédures pénales en cours

    La fourniture d’informations sur les personnes suspectées, accusées ou condamnées, ainsi que sur les autres parties aux procédures pénales devrait respecter leur droit à la protection de la vie privée conformément à l’article 8 de la Convention. Une protection particulière devrait être offerte aux parties qui sont des mineurs ou d’autres personnes vulnérables, aux victimes, aux témoins et aux familles des personnes suspectées, accusées ou condamnées. Dans tous les cas, une attention particulière devrait être portée à l’effet préjudiciable que la divulgation d’informations permettant leur identification peut avoir à l’égard des personnes visées dans ce Principe. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

    25.  La requérante allègue que sa condamnation au pénal pour utilisation non autorisée de l’enregistrement d’une audience a violé son droit à la liberté d’expression tel que prévu par l’article 10 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes :

    « 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...)

    2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

    26.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    27.  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte, par ailleurs, à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties

    28.  La requérante allègue que sa condamnation pour avoir diffusé des parties de l’enregistrement audio d’une audience a constitué une atteinte à sa liberté d’expression. À titre liminaire, elle précise que les voix des témoins et des juges avaient été déformées et que ces derniers n’étaient en outre pas identifiés. Elle expose ensuite que l’article 88 du code de procédure pénale soumet l’utilisation d’un enregistrement d’une audience à l’autorisation du juge en charge de l’affaire seulement si cette utilisation a lieu avant le prononcé du jugement. Elle met en avant que l’utilisation des extraits de l’enregistrement en l’espèce visait à dénoncer une erreur judiciaire, un fait grave et d’intérêt général, commis par la juridiction même qui était compétente pour la demande d’autorisation préalable. Pour elle, sa condamnation au pénal pour ne pas avoir demandé d’autorisation préalable est disproportionnée. La requérante en déduit qu’en dépit du but légitime invoqué, sa condamnation fondée sur une motivation formelle, en faisant prévaloir le droit à la parole des intervenants sur son droit à la liberté d’expression, n’a pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu. Selon elle, le droit d’informer prévalait sur les autres intérêts en jeu.

    29.  Le Gouvernement reconnaît qu’il y a une ingérence dans le droit à la liberté d’expression de la requérante. Selon lui, celle-ci était prévue par la loi et poursuivait des buts légitimes, à savoir la protection des droits des personnes qui étaient intervenues au cours de l’audience, notamment leur droit à la parole et leur droit au respect de leur vie privée. Il s’agissait aussi de préserver la bonne administration de la justice.

    30.  Il relève néanmoins que la requérante, s’étant abstenue de demander l’autorisation préalable au juge en charge de l’affaire pour transmettre des extraits de l’enregistrement de l’audience, n’a pas donné au juge la possibilité de mettre en balance, d’une part, le droit à la liberté d’expression avec d’autre part, la protection du droit à la parole des auteurs des dépositions et l’intérêt de la bonne administration de la justice. Le Gouvernement reconnaît la possibilité qu’aucun des témoins entendus à l’audience n’a porté plainte contre l’utilisation (sans autorisation) de l’enregistrement. Il considère cependant que, au vu du caractère obligatoire de la prise de sons à des fins d’un éventuel recours, les autorités judiciaires sont tenues de protéger le contenu de ces enregistrements d’une utilisation hors de la procédure, justifiant la nécessité des autorisations de diffusion préalables même après que le jugement ait été rendu. Le Gouvernement estime en outre que la requérante aurait pu présenter son reportage rendant compte des dépositions au cours de l’audience, sans avoir à utiliser les enregistrements sonores. Pour le Gouvernement, il s’ensuit qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 10 de la Convention.

    2.  Appréciation de la Cour

    31.  La Cour rappelle que la requérante a été condamnée au paiement d’une amende, en raison de l’utilisation d’extraits d’un enregistrement d’une audience dans son reportage. Il y a donc lieu de déterminer si cette condamnation au pénal constituait une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression qui était « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention et « nécessaire, dans une société démocratique ».

    a)  Sur l’existence d’une ingérence

    32.  Les parties s’accordent à considérer que la condamnation de la requérante a constitué une ingérence dans le droit de cette dernière à la liberté d’expression, tel que garanti par l’article 10 § 1 de la Convention. La Cour estime également que l’ingérence dans le droit de la requérante à la liberté d’expression est incontestable.

    b)  « Prévue par la loi »

    33.  Il n’est pas contesté par les parties que l’ingérence était prévue par la loi, à savoir à l’article 88 du code de procédure pénale portugais. La Cour ne voit pas de raison de conclure autrement.

    c)  But légitime

    34.  La requérante ne conteste pas que la condamnation litigieuse poursuivait des buts légitimes. Le Gouvernement précise, quant à lui, qu’il s’agissait de protéger la bonne administration de la justice et les droits d’autrui. La Cour, quant à elle, relève que les juridictions internes ont estimé que la condamnation de la requérante était justifiée en vue de la protection du droit à la parole d’autrui. Le Tribunal constitutionnel a considéré que la bonne administration de la justice était également en jeu dans la mesure où l’enregistrement d’une audience contient des déclarations faites par des personnes contraintes par la loi à témoigner devant un tribunal, celui-ci étant garant de ces déclarations. Ces buts correspondent à la garantie de « l’autorité et (de) l’impartialité du pouvoir judiciaire » et à la protection de « la réputation (et) des droits d’autrui » (voir Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, § 98, 15 juillet 2003, et Dupuis et autres c. France, no 1914/02, § 32, 7 juin 2007). La Cour les considère donc légitimes.

    35.  Il reste à vérifier si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».

    d)  « Nécessaire dans une société démocratique »

    i.  Rappel des principes généraux

    36.  La Cour rappelle que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et que les garanties à accorder à la presse revêtent donc une importance particulière (voir, entre autres, Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 31, série A no 298, Worm c. Autriche, 29 août 1997, § 47, Recueil des arrêts et décisions 1997-V, et Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 45, CEDH 1999-I).

    37.  La presse joue un rôle éminent dans une société démocratique : si elle ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d’autrui ainsi qu’à la nécessité d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, § 37, Recueil 1997-I, Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 62, CEDH 1999-III, Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, §§ 43-45, CEDH 2001-III, et Tourancheau et July c. France, no 53886/00, § 65, 24 novembre 2005).

    38.  En particulier, on ne saurait penser que les questions dont connaissent les tribunaux ne puissent, auparavant ou en même temps, donner lieu à discussion ailleurs, que ce soit dans des revues spécialisées, la grande presse ou le public en général. À la fonction des médias consistant à communiquer de telles informations et idées s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir. Toutefois, il convient de tenir compte du droit de chacun de bénéficier d’un procès équitable tel que garanti à l’article 6 § 1 de la Convention, ce qui, en matière pénale, comprend le droit à un tribunal impartial (Tourancheau et July, précité, § 66). Comme la Cour l’a déjà souligné, « les journalistes qui rédigent des articles sur des procédures pénales en cours doivent s’en souvenir, car les limites du commentaire admissible peuvent ne pas englober des déclarations qui risqueraient, intentionnellement ou non, de réduire les chances d’une personne de bénéficier d’un procès équitable ou de saper la confiance du public dans le rôle tenu par les tribunaux dans l’administration de la justice pénale » (ibidem, Worm, précité, § 50, Campos Dâmaso c. Portugal, no 17107/05, § 31, 24 avril 2008, Pinto Coelho c. Portugal, no 28439/08, § 33, 28 juin 2011, et Ageyevy c. Russie, no 7075/10, §§ 224-225, 18 avril 2013).

    39.  Par ailleurs, la Cour rappelle que sur le terrain de l’article 10 de la Convention, les États contractants disposent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de la nécessité et de l’ampleur d’une ingérence dans la liberté d’expression protégée par cette disposition (Tammer c. Estonie, no 41205/98, § 60, CEDH 2001-I, Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 68, CEDH 2004-XI, et Haldimann et autres c. Suisse, no 21830/09, § 53, CEDH 2015).

    40.  La Cour rappelle que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine des questions d’intérêt général (Wingrove c. Royaume-Uni, 25 novembre 1996, § 58, Recueil 1996-V, Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no 26682/95, § 61, CEDH 1999-IV, Dupuis et autres, précité, § 40, et Stoll c. Suisse [GC], no 69698/01, § 106, CEDH 2007-V).

    ii.  Application de ces principes au cas d’espèce

    41.  En l’espèce, le droit de la requérante d’informer le public et le droit du public de recevoir des informations se heurtent au droit des personnes ayant témoigné au respect de leur vie privée ainsi qu’à l’autorité et l’impartialité de l’appareil judiciaire. Dans des affaires comme la présente espèce, qui nécessitent une mise en balance du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté d’expression, la Cour considère que l’issue de la requête ne saurait en principe varier selon qu’elle a été portée devant elle sous l’angle de l’article 8 de la Convention, par la personne faisant l’objet du reportage ou, sous l’angle de l’article 10 par l’auteur du reportage. En effet, ces droits méritent a priori un égal respect (Hachette Filipacchi Associés (ICI PARIS) c. France, no 12268/03, § 41, 23 juillet 2009, Timciuc c. Roumanie (déc.), no 28999/03, § 144, 12 octobre 2010, et Mosley c. Royaume-Uni, no 48009/08, § 111, 10 mai 2011, Haldimann et autres, précité, § 54, Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, § 106, CEDH 2012, et Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no 39954/08, § 87, 7 février 2012). Dès lors, la marge d’appréciation devrait en principe être la même dans les deux cas. La Cour doit plus particulièrement déterminer si les objectifs de préservation du droit à la parole d’autrui et de sauvegarde de la bonne administration de la justice offraient une justification « pertinente et suffisante » à l’ingérence.

    42.  Si la mise en balance de ces deux droits par les autorités nationales s’est faite dans le respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes (Palomo Sánchez et autres c. Espagne [GC], nos 28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06, § 57, CEDH 2011, MGN Limited c. Royaume-Uni, no 39401/04, §§ 150 et 155, 18 janvier 2011, et Haldimann et autres, précité, § 55).

    α)  Sur la contribution du reportage à un débat d’intérêt général

    43.  La Cour doit d’abord établir si le reportage en cause concernait un sujet d’intérêt général. À cet égard, la Cour note que le public a, de manière générale, un intérêt légitime à être informé sur les procès en matière pénale (Dupuis et autres c. France, précité, § 42). Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a, quant à lui, adopté la Recommandation Rec(2003)13 sur la diffusion d’informations par les médias en relation avec des procédures pénales. La Recommandation rappelle que les médias ont le droit d’informer le public eu égard au droit de ce dernier à recevoir des informations et souligne l’importance des reportages réalisés sur les procédures pénales pour informer le public et permettre à celui-ci d’exercer un droit de regard sur le fonctionnement du système de justice pénale. Parmi les principes posés par cette Recommandation figure notamment le droit du public à recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police à travers les médias, ce qui implique pour les journalistes le droit de pouvoir librement rendre compte du fonctionnement du système de justice pénale.

    44.  La Cour note qu’à l’origine du reportage litigieux se trouvait une procédure judiciaire dont l’issue avait été la condamnation au pénal de plusieurs prévenus. La démarche de la requérante visait à dénoncer une erreur judiciaire qui, de son avis, s’était produite à l’égard de l’une des personnes condamnées. La Cour accepte dès lors qu’un tel reportage abordait un sujet relevant de l’intérêt général.

    β)  Sur le comportement de la requérante

    45.  La Cour considère que quiconque, y compris des journalistes, exerce sa liberté d’expression assume des « devoirs et responsabilités » dont l’étendue dépend de sa situation et du procédé technique utilisé (voir, mutatis mutandis, Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49 in fine, série A no 24). En l’occurrence, les juges internes ont considéré que l’auteur, journaliste expérimentée et par surcroît avec des connaissances en droit, ne pouvait ignorer que la diffusion de la séquence enregistrée de l’audience était soumise à une autorisation judiciaire préalable. Tout en reconnaissant le rôle essentiel qui revient à la presse dans une société démocratique, la Cour souligne que les journalistes ne sauraient en principe être déliés par la protection que leur offre l’article 10 de leur devoir de respecter les lois pénales de droit commun.

    46.  L’absence de comportement illicite de la part de la requérante dans l’obtention de l’enregistrement n’est pas nécessairement déterminante dans l’appréciation de la question de savoir si elle a respecté ses devoirs et responsabilités (Stoll, précité, § 144). En tout état de cause, elle était à même de prévoir, en tant que journaliste, que la divulgation du reportage litigieux était réprimée par l’article 348 du code pénal. Quant au comportement de la requérante en l’espèce, la Cour relève que le mode d’obtention par celle-ci des enregistrements de l’audience n’a pas été illicite, et que, s’agissant de la forme du reportage, les voix des juges et des témoins avaient été déformées afin d’empêcher leur identification par le public. S’agissant des critiques du Gouvernement à l’encontre de la forme du reportage incriminé, il y a lieu de rappeler qu’outre la substance des idées et informations exprimées, l’article 10 protège aussi leur mode d’expression. En conséquence, il n’appartient pas à la Cour, ni aux juridictions internes d’ailleurs, de se substituer à la presse pour dire quelle technique de compte rendu les journalistes doivent adopter (voir, par exemple, Jersild, précité, § 31, et De Haes et Gijsels, précité, § 48).

    47.  La Cour est consciente de la volonté des plus hautes juridictions nationales des États membres du Conseil de l’Europe, de réagir, avec force, à la pression néfaste que pourraient exercer des médias sur les parties civiles et les prévenus, amoindrissant ainsi la garantie de la présomption d’innocence. Le paragraphe 2 de l’article 10 pose d’ailleurs des limites à l’exercice de la liberté d’expression. Il échet de déterminer si, dans les circonstances particulières de l’affaire, l’intérêt d’informer le public l’emportait sur les « devoirs et responsabilités » pesant sur la requérante en raison de l’absence d’autorisation pour la diffusion de l’enregistrement.

    γ)  Sur le contrôle exercé par les juridictions internes

    48.  La Cour doit, dès lors, analyser la manière dont le Tribunal constitutionnel s’est livré à la mise en balance des intérêts en litige dans le cas d’espèce. Il apparaît que le Tribunal constitutionnel a considéré que l’exigence d’une autorisation judiciaire pour la diffusion de l’enregistrement sonore des déclarations tenues au cours d’une audience, sans aucune limite temporelle, demeurant au-delà du terme de la procédure dans le cadre de laquelle l’audience a été réalisée, ne constituait pas une solution non conforme et excessive. Pour la haute juridiction, elle se justifierait au nom de la protection du droit à la parole d’autrui et de la bonne administration de la justice, ce qui légitimerait l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression de la requérante. Pour le Tribunal constitutionnel, une restriction à l’exercice de la liberté de la presse n’était pas en cause en l’espèce, mais uniquement une certaine modalité de cet exercice : la transmission de l’enregistrement audio d’une audience. La Cour note par ailleurs que les juridictions ont justifié la condamnation de la requérante sans invoquer le besoin de garantir l’autorité du pouvoir judiciaire et sans considérer les limites de l’exercice de cette autorité, en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention.

    49.  Or, la Cour souligne qu’au moment de la diffusion du reportage litigieux l’affaire interne avait déjà été tranchée, comme l’a par ailleurs reconnu le Tribunal constitutionnel. Ainsi, la Cour conclut, à l’instar de l’affaire Dupuis et autres c. France (précitée), que le Gouvernement n’établit pas en quoi, dans les circonstances de l’espèce, la divulgation des extraits sonores aurait pu avoir une influence négative sur l’intérêt de la bonne administration de la justice.

    50.  Lors de l’examen de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique en vue de la « protection de la réputation ou des droits d’autrui », la Cour peut être amenée à vérifier si les autorités nationales ont ménagé un juste équilibre dans la protection de deux valeurs garanties par la Convention et qui peuvent apparaître en conflit dans certaines affaires : à savoir, d’une part, la liberté d’expression telle que protégée par l’article 10 et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée tel que garanti par les dispositions de l’article 8 (Hachette Filipacchi Associés c. France, no 71111/01, § 43, 14 juin 2007, MGN Limited, précité, § 142, et Axel Springer AG, précité, § 84). Sur ce point, la Cour note que l’audience tenue dans le cadre de l’affaire a été publique et qu’aucun des intéressés n’a porté plainte à l’égard d’une alléguée atteinte à leur droit à la parole. Dans la mesure où le Gouvernement a allégué que la diffusion non autorisée des extraits sonores pouvait constituer une violation au droit à la parole d’autrui, la Cour note que les personnes concernées disposaient de recours en droit portugais pour faire réparer l’atteinte dont ils n’ont cependant pas fait usage. Or, c’est à eux qu’il incombait au premier chef de faire respecter ce droit. La Cour relève par ailleurs que les voix des participants à l’audience ont fait l’objet d’une déformation empêchant leur identification. Elle considère par ailleurs que l’article 10 § 2 de la Convention ne prévoit pas de restrictions à la liberté d’expression fondées sur le droit à la parole, celui-ci ne bénéficiant pas d’une protection similaire au droit à la réputation. Ainsi, le second but légitime invoqué par le Gouvernement perd nécessairement de la force dans les circonstances de l’espèce. En outre, la Cour voit mal pourquoi le droit à la parole devrait empêcher la diffusion des extraits sonores de l’audience quand, en l’occurrence, l’audience a été publique. Elle conclut que le Gouvernement n’a donc pas suffisamment justifié la sanction infligée à la requérante en raison de la diffusion des enregistrements de l’audience et que les juridictions n’ont pas justifié la restriction au droit à la liberté d’expression de la requérante à la lumière du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention.

    δ)  Sur la proportionnalité de la sanction appliquée

    51.  La Cour rappelle enfin que la nature et la lourdeur des sanctions infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité d’une ingérence (voir, par exemple, Sürek, précité, § 64, deuxième alinéa, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France [GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 59, CEDH 2007-IV, et Stoll, précité, § 153).

    52.  Elle doit en effet veiller à ce que la sanction ne constitue pas une espèce de censure tendant à inciter la presse à s’abstenir d’exprimer des critiques. Dans le contexte de débats sur des sujets d’intérêt général, pareille sanction risquerait de dissuader les journalistes de contribuer à la discussion publique qui intéresse (la vie de) la collectivité. Par là même, elle serait de nature à entraver les médias dans l’accomplissement de leur tâche d’information et de contrôle (voir, mutatis mutandis, Barthold c. Allemagne, 25 mars 1985, § 58, série A no 90 ; Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 44, série A no 103 ; Monnat c. Suisse, no 73604/01, § 70, CEDH 2006-X ; et Stoll, précité, § 154).

    53.  La Cour note qu’en l’espèce la requérante a été condamnée à une amende de 1 500 euros et au paiement des frais de justice. Même si le montant peut paraître modéré, elle considère que cela n’enlève en rien l’effet dissuasif, vu la lourdeur de la sanction encourue (Campos Dâmaso, précité, § 39). À cet égard, il peut arriver que le fait même de la condamnation importe plus que le caractère mineur de la peine infligée (voir, par exemple, Jersild, précité, § 35, premier alinéa, Lopes Gomes da Silva c. Portugal, no 37698/97, § 36, CEDH 2000-X, Dammann c. Suisse, no 77551/01, § 57, 25 avril 2006, et Stoll, précité, § 154).

    54.  Eu égard à l’ensemble de ces considérations, la Cour considère l’amende infligée en l’espèce comme disproportionnée au but poursuivi.

    iii.  Conclusion

    55.  Compte tenu de ce qui précède, il apparaît que la condamnation de la requérante ne répondait pas à « un besoin social impérieux ». Si les motifs de la condamnation étaient « pertinents », ils n’étaient pas « suffisants » pour justifier une telle ingérence dans le droit à la liberté d’expression de la requérante.

    56.  Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    57.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    58.  La requérante réclame pour préjudice matériel le remboursement des sommes qu’elle a été condamnée à payer, soit 1 500 EUR, pour l’amende pénale et les frais de justice. Elle demande, sans la chiffrer, une indemnité en réparation du préjudice moral que lui aurait causé la décision des juridictions nationales.

    59.  S’agissant du préjudice moral, le Gouvernement soutient qu’en l’espèce le constat d’une violation fournit en lui-même une satisfaction équitable ; s’agissant du préjudice matériel, il s’en remet à la sagesse de la Cour.

    60.  La Cour constate qu’il n’est pas contesté que, suite à sa condamnation au pénal, la requérante a dû s’acquitter de la somme qu’elle réclame. Elle décide donc qu’il y a lieu de lui octroyer le montant en cause. Quant au dommage moral, la Cour considère que le constat de la violation de l’article 10 de la Convention est suffisant pour réparer le dommage moral subi par la requérante.

    B.  Frais et dépens

    61.  La requérante demande également 4 623,84 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes.

    62.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

    63.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 4 623,84 EUR au titre des frais et dépens de la procédure nationale et l’accorde à la requérante.

    C.  Intérêts moratoires

    64.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR

    1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

     

    2.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

     

    3.  Dit, par six voix contre une,

    a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i)  1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

    ii)  4 623,84 EUR (quatre mille six cent vingt-trois euros et quatre-vingt-quatre centimes), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Dit, par six voix contre une, que le constat de la violation de l’article 10 de la Convention est suffisant pour la réparation du dommage moral subi par la requérante ;

     

    5.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 mars 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Françoise Elens-Passos                                                              András Sajó
           Greffière                                                                                Président

     

    Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

    -  opinion concordante du juge De Gaetano ;

    -  opinion dissidente du juge Zupančič.

    A.S.
    F.E.P.

     


    OPINION concordante du juge De Gaetano

    (Traduction)

     

    1.  La présente affaire et le constat de violation de l’article 10 de la Convention auquel la Cour est parvenue rappellent de façon poignante que les interdictions et restrictions légales dont la fonction est uniquement « symbolique » (et non « utilitaire ») sont difficiles à concilier avec les principes qui sous-tendent la Convention et les libertés que celle-ci garantit. S’agissant en particulier de l’article 10 § 2, « l’autorité du pouvoir judiciaire » ne saurait être interprété comme un principe autocentré détaché de la réalité des faits.

    2.  En l’espèce, rien ne donne à penser que les enregistrements des voix des personnes concernées aient été réalisés subrepticement ou en violation du règlement des tribunaux destiné à assurer la police de l’audience et le respect des règles de bienséance dans l’enceinte judiciaire, ou qu’ils aient été obtenus par d’autres moyens illégaux. En effet, ces enregistrements revêtaient un caractère officiel et étaient normalement à la disposition des parties à la procédure. En tout état de cause, même s’ils avaient été obtenus par des moyens illégaux - ce qui n’était pas le cas - le fait qu’un journaliste a enfreint la loi doit être pris en compte, mais il n’est pas déterminant pour établir s’il a agi de manière responsable aux fins de l’article 10 (Pentikäinen c. Finlande [GC], no 11822/10, § 90). Le Tribunal constitutionnel a conclu que la disposition de la législation qui exigeait l’autorisation préalable du tribunal dans lequel l’enregistrement avait été officiellement effectué ne violait pas la liberté de la requérante garantie par l’article 38 § 2 b) de la Constitution. Il a justifié l’interdiction générale de diffusion sans autorisation préalable par la nécessité de protéger le droit à la parole - vraisemblablement le direito à palavra des trois juges du tribunal de Sintra et des témoins qu’ils avaient entendus - et par la préservation de la « bonne administration de la justice ». Le fait que les voix avaient été déformées, que les dépositions avaient été faites en audience publique et qu’elles auraient donc pu être sténographiées et reproduites par des acteurs sans autorisation judiciaire, et que le procès était terminé au moment de la diffusion télévisée du documentaire, ne semble avoir eu aucun poids sur la décision du Tribunal constitutionnel.

    3.  Comme la Cour l’a souligné au paragraphe 48 du présent arrêt, les autorités internes n’ont pas expressément invoqué la nécessité de garantir l’autorité du pouvoir judiciaire, mais si elles l’avaient fait, elles auraient dû démontrer que la nécessité de garantir « l’autorité » en question servait un intérêt concret lié à la bonne administration de la justice dans les circonstances de la cause. En d’autres termes, il aurait fallu prouver que l’autorisation préalable que la requérante n’a pas obtenue ne favorisait pas seulement la notion abstraite de l’« autorité » des tribunaux ou de la justice, mais qu’elle était raisonnablement nécessaire à la bonne administration de la justice dans la présente affaire. Cela n’a pas été démontré en l’espèce.

     


     

    OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ

     

    (Traduction)

     

    À mon grand regret, je ne puis me rallier à la majorité dans cette affaire, c’est-à-dire conclure à la violation.

     

    I

     

    Je n’ai pas l’habitude de commencer par une interprétation très littérale de la Convention européenne des droits de l’homme, mais dans la présente affaire la référence aux derniers termes de l’article 10 § 2 est tout à fait pertinente. Elle renvoie à la limitation de la liberté d’expression (la liberté de la presse) lorsqu’il s’agit de « garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

     

    Le schéma factuel de cette affaire découle de l’article 88 § 2 b) du code de procédure pénale portugais, qui interdit expressément de transmettre ou d’enregistrer des images ou des prises de son concernant la pratique de tout acte de procédure, notamment de l’audience, sans autorisation préalable de l’autorité judiciaire concernée. Je ne vois guère comment l’interdiction en pareille situation pourrait être plus directe.

     

    Les actes de la journaliste en l’espèce constituent une atteinte directe à cette condition de l’autorisation préalable. Elle n’a même pas tenté de l’obtenir et a diffusé à la télévision ce qui s’était passé lors de l’audience publique tenue dans l’affaire, dans laquelle elle était ardemment et manifestement partiale. Du reste, ce type de reportage traditionnel est franchement dénué de professionnalisme. Prendre parti dans une procédure judiciaire en cours, sans s’être pleinement familiarisé avec le dossier de l’affaire, est en soi incompatible avec la déontologie journalistique. Si la journaliste peut avoir ses propres convictions privées quant à la culpabilité ou à l’innocence de tel ou tel prévenu, il est parfaitement inacceptable qu’elle incorpore de manière si manifestement partiale ses inclinations privées dans le compte rendu de l’affaire. Voilà pour ce qui est des motivations de la requérante.

     

    II

     

    L’article 348 du code pénal portugais érige en infraction le fait de ne pas respecter un ordre légitime émanant d’un fonctionnaire compétent pour une question particulière - ce que l’on qualifie au Portugal de « désobéissance ». La peine est modérée ; néanmoins, la sanction pénale est obligatoire et doit, selon le principe de légalité qui s’impose au parquet et au tribunal, faire l’objet d’une procédure et être appliquée par la juridiction interne.

     

    De plus, nous apprenons au paragraphe 17 de l’arrêt que ce n’était pas la première fois que la journaliste en question commettait une telle infraction. Avant les faits litigieux, elle avait déjà été condamnée pour une faute identique dans le cadre d’une autre affaire jugée au Portugal. Cet élément a été dûment pris en compte, comme circonstance aggravante, au moment de la fixation de la peine. Cela en dit long sur l’attitude irrespectueuse de la journaliste en cause à l’égard des tribunaux.

     

    Ensuite, l’intéressée a été dûment condamnée le 6 août 2008, et la cour d’appel de Lisbonne a confirmé ce jugement le 26 mai 2009. Ladite juridiction a confirmé que la requérante savait fort bien qu’il lui fallait obtenir une autorisation du tribunal, et ce d’autant plus qu’elle était juriste de formation. L’arrêt de la cour d’appel, qui est intéressant, souligne les droits de la personnalité en jeu, à savoir le droit à la protection de la parole et de l’image des participants qui ont été rendus publics à la télévision.

     

    Plus tard, le 15 février 2011, le Tribunal constitutionnel portugais a statué sur l’affaire. Il a lui aussi insisté sur les droits de la personnalité concernant la parole et la protection de la sphère privée de l’auteur des déclarations en question, publiées par la requérante avec une motivation différente de celles envisagées par la loi.

     

    Le Tribunal constitutionnel a souligné un aspect fort intéressant de la situation : les personnes qui ont témoigné dans cette affaire étaient, sous peine de sanctions, obligées de le faire (poena inobedientiae) et n’avaient donc pas la liberté de retirer leurs déclarations, ici illégalement publiées à l’intention de tous les téléspectateurs du Portugal. Le Tribunal constitutionnel, à l’avis duquel je souscris, s’est également penché sur la proportionnalité de l’atteinte potentielle à la liberté de la presse. Il a déclaré que la condamnation pénale prononcée contre la journaliste n’était pas disproportionnée compte tenu de la nécessité de protéger à la fois, d’une part, le droit de la personnalité des individus concernant la parole et l’image, et, d’autre part, la bonne administration de la justice.

     

    III

     

    Avant d’en venir à la relativement simple exégèse - pour ainsi dire - de l’article 10 § 2 in fine de la Convention européenne des droits de l’homme, j’aimerais mentionner une distinction pleine de sens établie par H.L.A. Hart dans son ouvrage intitulé Le concept de droit. Il s’agit de la distinction entre règles prescriptives et règles instrumentales.

     

    Concernant les règles prescriptives, il s’agit des instructions impératives qui se trouvent au sommet de la pyramide des lois. Ces règles sont semblables à l’impératif catégorique d’Emmanuel Kant. Il faut les prendre littéralement ; l’interprétation théologique, ici, n’est pas possible. Ces règles sont les commandements suprêmes dans l’ordre juridique ; elles représentent les valeurs suprêmes et les buts auxquels adhère le législateur. Tout autre élément de l’ordre juridique doit leur être subordonné.

     

    D’autre part, il y a les règles instrumentales. Ces règles, littéralement, servent les règles prescriptives, sont instrumentales à celles-ci, et doivent être interprétées de la sorte. Ici, l’interprétation théologique est acceptable, à condition que le résultat ultime de cet exercice serve les buts proclamés par les règles prescriptives susmentionnées.

     

    Il va sans dire que la Convention européenne des droits de l’homme se trouve non seulement au sommet des juridictions internationales, mais également au-dessus des juridictions nationales, en l’occurrence des 47 États parties à la Convention. En principe, on ne peut rien trouver de plus « prescriptif » en Europe. C’est pourquoi il est à mon avis totalement inacceptable de négliger les derniers termes du paragraphe 2 de l’article 10 consacré à la liberté d’expression. Les termes sont évidents et limpides ; l’autorité du pouvoir judiciaire doit être protégée et cette disposition prescriptive de la Convention ne doit pas être relativisée.

     

    IV

     

    Cela nous amène à notre fameuse « analyse de proportionnalité », analogue aux « critères de rationalité » américains. Nul besoin de pousser plus loin la comparaison entre les deux doctrines, si ce n’est pour dire que les critères de rationalité sont nuancés et diffèrent suivant les « classifications suspectes », ce qui n’est pas le cas de l’analyse de proportionnalité européenne. Au-delà de cela, la question est ici de savoir si la Convention a en fait prévu le recours au critère de proportionnalité. En examinant le libellé du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention, nous reconnaissons les termes classiques qui renvoient à la « prévision par la loi » et à la « nécessité dans une société démocratique ».

     

    Or, l’analyse de proportionnalité que nous trouvons aux paragraphes 48, 49 et 50 de l’arrêt traite la question en cause de manière exclusivement instrumentale. Au paragraphe 49, la majorité évoque l’influence négative de la divulgation en question sur la bonne administration de la justice, comme si ce but proclamé par la Convention était d’une manière ou d’une autre secondaire par rapport à la liberté d’expression (en l’occurrence la liberté de la presse) postulée.

     

    Au paragraphe 50, la Cour se livre à une mise en balance explicite des valeurs. D’un côté de la balance, elle place la liberté d’expression et, de l’autre, le droit à la protection de la vie privée.

     

    Dans ce contexte, la majorité souligne qu’aucun des participants à l’audience n’a jamais soulevé la question de la protection de sa vie privée. Ce qui est ici présumé - de manière assez incomplète -, c’est qu’il n’y a pas eu atteinte à la vie privée desdits participants (témoins et autres personnes présentes à l’audience). Or il s’agit là d’une erreur de tir, un aberratio ictus intellectuel, car devant la Cour européenne des droits de l’homme la question soulevée n’est pas, comme devant la juridiction interne au Portugal, celle de la protection des droits de la personnalité.

     

    Le libellé du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention est - comme nous l’avons souligné - prescriptif. La Convention prévoit l’analyse de proportionnalité et semblerait donc traiter la question de la garantie de l’autorité du pouvoir judiciaire comme quelque chose de relatif et d’instrumental plutôt que de prescriptif. C’est là un piège séduisant, dans lequel est tombé le raisonnement de la majorité.

     

    Bien que le libellé du paragraphe 2 de l’article 10 renvoie apparemment à la proportionnalité et à la mise en balance des valeurs, la référence des derniers termes à la protection de l’autorité et de l’impartialité du pouvoir judiciaire est d’ordre prescriptif. Il faut garder à l’esprit que la Convention ne contient aucune référence à la proportionnalité. La Cour a tiré cette notion du libellé des paragraphes 2 respectifs des articles 9, 10 et 11 -paragraphes qui traitent des dérogations aux paragraphes 1 desdits articles. La formulation de ces dispositions ne doit pas être prise pour argent comptant. L’esprit de la Convention n’était assurément pas de relativiser le contenu des paragraphes 1 desdits articles.

     

    L’intention était de décrire « prescriptivement » - comme l’aurait dit H.L.A. Hart - les dérogations de manière totalement impérative. Autrement dit, nous ne sommes pas libres d’interpréter un quelconque élément de la Convention comme étant purement instrumental, pas même les termes des paragraphes 2 en question. Il s’ensuit logiquement que la référence à la protection de l’autorité du pouvoir judiciaire, comme cela ressort clairement de l’affaire ici examinée, ne doit pas être interprétée comme quelque chose de secondaire. La Convention rend absolument obligatoire la protection de l’autorité et de l’impartialité du pouvoir judiciaire, et ce de manière prescriptive et non instrumentale, comme une dérogation prescriptive à la liberté de la presse, et plus généralement à la liberté d’expression.

     

    En ce sens, l’analyse de proportionnalité que nous trouvons aux paragraphes 51 à 54 de l’arrêt a été inversée, puisqu’on l’a fait paraître instrumentale comme si la protection du droit de la personnalité était la seule question à relativiser par rapport à la liberté d’expression.

     

    Cela ne correspond vraiment pas à l’esprit de la Convention. Quelle que soit l’analyse constitutionnelle faite au Portugal, au sein de cette Cour les valeurs à mettre en balance auraient dû être la liberté d’expression et la protection de l’autorité du pouvoir judiciaire.

     

    Si tel avait été le cas, je pense que le résultat de cette équation eût été différent.

     

     


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