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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> DERUNGS v. SWITZERLAND - 52089/09 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Third Section)) French Text [2016] ECHR 415 (10 May 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/415.html
Cite as: [2016] ECHR 415

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE DERUNGS c. SUISSE

     

    (Requête no 52089/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    10 mai 2016

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Derungs c. Suisse,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Luis López Guerra, président,
              Helena Jäderblom,
              Helen Keller,
              Johannes Silvis,
              Branko Lubarda,
              Pere Pastor Vilanova,
              Alena Poláčková, juges,
    et de Stephen Phillips, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 avril 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 52089/09) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet État, M. Rudolf Derungs (« le requérant »), a saisi la Cour le 2 septembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me M. Brunner, avocat à Zurich. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, F. Schürmann.

    3.  Invoquant l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant se plaint de ce que la période écoulée entre sa demande du 21 août 2008 visant à obtenir qu’il soit mis fin à son internement et la décision rendue par le tribunal administratif le 15 juillet 2009 est excessive et ne satisfait pas à l’exigence du « bref délai ». Il dénonce une deuxième violation de cette disposition pour le motif que le tribunal administratif a refusé de tenir une audience, en dépit de sa demande.

    4.  Le 18 janvier 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1961.

    A.  La condamnation et l’internement du requérant

    6.  Le 6 novembre 2002, le tribunal de district (Bezirksgericht) de Zurich condamna le requérant à cinq mois d’emprisonnement pour conduite en état d’ivresse. Toutefois, sur la base d’une expertise des Services psychiatriques (Psychiatrische Dienste) du canton des Grisons du 10 juin 2002, il prononça également son internement en application de l’ancien article 43 ch. 1 al. 2 du Code pénal suisse (« CP ») et suspendit l’exécution de la peine (article 43 ch. 2 al. 1 CPS ; paragraphe 23 ci-dessous). L’expertise constatait l’échec des thérapies antérieures, l’absence d’évolution favorable des caractéristiques psychopathologiques, une forte dépendance à l’alcool et en déduisait un risque élevé de récidive faisant courir un grave danger pour la sécurité publique. Le tribunal de district souligna que les antécédents du requérant, qui avait fait l’objet de nombreuses poursuites depuis 1982, de mesures ambulatoire puis stationnaire restées sans résultats, justifiaient le prononcé de la mesure la plus incisive, à savoir l’internement.

    7.  Par jugement du 9 mars 2004, après avoir entendu le requérant, la cour d’appel (Obergericht) du canton de Zurich réduisit la peine à quatre mois et demi d’emprisonnement et confirma pour le surplus le jugement de l’instance précédente. Il considéra l’internement du requérant justifié à la lumière du danger qu’il représentait pour la sécurité publique. La cour se fonda sur l’expertise du 10 juin 2002 et demanda une deuxième expertise, rendue le 5 décembre 2003. Celle-ci confirma largement les conclusions de la première expertise, en particulier l’échec des thérapies antérieures et l’absence d’évolution positive auprès du requérant. Elle estima que le risque que le requérant commette une nouvelle infraction grave était relativement faible. Compte tenu de qui précède, elle considéra qu’une nouvelle mesure n’était pas indispensable.

    8.  Depuis le 30 novembre 2004, le requérant était interné au sein du pénitencier de Pöschwies, à Regensdorf, jusqu’à sa libération, le 17 janvier 2012.

    9.  L’Office de l’exécution judiciaire (Amt für Justizvollzug) du canton du Zurich refusa sa libération les 22 décembre 2005 et 20 décembre 2006. Le recours dirigé contre cette deuxième décision fut rejeté par la direction de la justice et de l’intérieur (Direktion der Justiz und des Innern) du canton de Zurich le 7 juin 2007.

    B.  La procédure devant la cour d’appel et la Cour de cassation, aboutissant au premier arrêt du Tribunal fédéral

    10.  Le 21 mai 2008, le requérant adressa une demande de libération à la cour d’appel. S’estimant incompétente, elle n’entra pas en matière et renvoya la demande à l’office de l’exécution judiciaire. La cour d’appel, qui examinait par ailleurs la conformité de l’internement au nouveau droit des sanctions entré en vigueur au 1er janvier 2007 (art. 64 al. 1 CPS ; paragraphe 23 ci-dessous), suspendit cette procédure jusqu’à la décision de l’office de l’exécution judiciaire.

    11.  Le 1er juillet 2008, l’office de l’exécution judiciaire rejeta la demande de libération.

    12.  Le 9 septembre 2008, le requérant adressa une seconde demande de libération à la cour d’appel, rendant attentif au caractère urgent de sa demande. Par décision du 1er octobre 2008, elle se déclara à nouveau incompétente. Ayant repris l’examen de la conformité de l’internement au nouveau droit après la décision du 1er juillet 2008, elle ordonna la poursuite de cette mesure sur la base du nouveau droit.

    13.  Par arrêt du 15 décembre 2008, la Cour de cassation (Kassationsgericht) du canton de Zurich rejeta le recours en nullité (Nichtigkeitsbeschwerde) du requérant. Elle estima que le requérant ne pouvait pas se prévaloir d’un droit à obtenir en tout temps un contrôle directement judiciaire de la légalité de l’internement. La procédure en vigueur, d’abord interne à l’administration via un recours auprès de l’autorité supérieure, dont la décision peut dans un second temps être portée devant le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) du canton de Zurich, était conforme à l’article 5 § 4 de la Convention, si bien que c’était à bon droit que la cour d’appel avait décliné sa compétence.

    14.  Le requérant déposa un recours auprès du Tribunal fédéral. Il fit valoir que le système zurichois, reposant sur les articles 64a et suivant CPS (l’examen de la libération doit être conduit par l’« autorité compétente »), rendait « illusoire » toute possibilité d’obtenir une décision judiciaire dans un « bref délai », conformément à l’article 5 § 4 de la Convention. Il devait pouvoir accéder directement à un tribunal.

    15.  Par arrêt du 25 février 2009, le Tribunal fédéral débouta le requérant, considérant qu’il n’y avait pas lieu de modifier sa jurisprudence relative aux articles 64a et suivant CPS, jugés conformes à la Convention. Sous l’ancien comme sous le nouveau code, il n’existait pas de droit à saisir en tout temps un juge afin de faire contrôler la légalité d’un internement prononcé à l’origine par un tribunal. La procédure introduite en parallèle par le requérant et se déroulant d’abord devant une autorité interne à l’administration cantonale garantissait une protection suffisante au regard de l’article 5 § 4 de la Convention.

    C.  La procédure devant l’office de l’exécution judiciaire, la direction de la justice et de l’intérieur et le tribunal administratif, aboutissant au second arrêt du Tribunal fédéral

    16.  Le 21 août 2008, l’office de l’exécution judiciaire auditionna le requérant personnellement en présence de son avocat dans le cadre de l’examen annuel d’office de la légalité de l’internement. Le même jour, le requérant formula une demande de libération ainsi que l’octroi d’un assouplissement de l’exécution de son internement, notamment l’octroi de vacances non-accompagnées, le passage à un régime de semi-liberté et l’octroi de l’assistance judiciaire. Il conclut son acte de recours en demandant un traitement particulièrement accéléré de ses griefs (« besonders beförderliche Behandlung »).

    17.  Le 7 octobre 2008, tenant compte de l’audition du requérant du 21 août 2008 ainsi que d’un rapport de thérapie du 22 juillet 2008 et d’un rapport du service psychiatrique-psychologique du 30 juillet 2008, l’office de l’exécution judiciaire refusa la libération du requérant au terme de l’examen annuel d’office. Quant à la demande de libération et aux autres griefs formulés par le requérant, ils furent rejetés le 5 décembre 2008.

    18.  Contre chacune des deux décisions, le requérant interjeta un recours auprès de la direction de la justice et de l’intérieur. Elle rejeta le recours contre la première décision le 22 janvier 2009, et le second le 5 mars 2009. Par cette dernière décision, l’assistance judiciaire lui fut accordée.

    19.  Le requérant porta les deux décisions devant le tribunal administratif, demandant d’être entendu. Ce tribunal décida de joindre les deux procédures. Par arrêt du 15 juillet 2009, il rejeta les recours. Le tribunal administratif fit siens les considérants de l’arrêt du Tribunal fédéral du 25 février 2009. Il ajouta que s’il était vrai que le système mis en place dans le canton de Zurich entraînait forcément une durée globale de la procédure plus longue, elle restait « raisonnable » (« angemessen »), notant qu’un mois et demi s’étaient écoulés entre l’audition du requérant dans le cadre de l’examen annuel d’office le 21 août 2008 et la décision de l’office de l’exécution judiciaire du 7 octobre 2008. Ensuite, deux mois et demi s’écoulèrent entre le recours du requérant déposé le 10 novembre 2008 et la décision de la direction de la Justice et de l’Intérieur du 22 janvier 2009. Il souligna que le requérant avait saisi plusieurs autorités en parallèle et qu’il avait fallu attendre certaines décisions. Le principe de célérité n’aurait en sus pas la même portée dans le cadre de l’examen d’office qu’en cas de demande de libération s’appuyant sur une modification des circonstances, et il vaudrait en réalité essentiellement pour le prononcé, à l’origine, de la sanction par un tribunal.

    20.  Le tribunal administratif estima par ailleurs que l’établissement d’une nouvelle expertise n’était pas nécessaire, notant que le requérant ne le demandait pas. Il renonça aussi à tenir une audience, rejetant la demande expresse du requérant, en considérant comme suffisant le fait qu’il avait été entendu personnellement en présence de son avocat dans le cadre de l’examen annuel d’office le 21 août 2008 (paragraphe 16 ci-dessus). Il ajouta que les articles 5 § 4 et 6 § 1 de la Convention ne conféraient pas un tel droit au cours d’une procédure concernant une demande de libération d’une mesure d’internement.

    Il confirma au demeurant la légalité de l’internement, considérant que les circonstances n’avaient pas évolué depuis les dernières décisions rejetant les demandes de libération du requérant. Il estima que, depuis l’arrêt de la cour d’appel du 9 mars 2004, il n’y aurait pas eu de développement significatif dans la situation du requérant, ce que le requérant ne prétendait par ailleurs pas non plus (« Diesbezüglich belegt der Beschwerdeführer keine wesentlichen Veränderungen bei sich seit dem obergerichtlichen Urteil vom März 2004, welshalb auf die bestehenden Berichte und Gutachten abgestellt werden darf »).

    Enfin, le tribunal administratif accueillit favorablement la demande d’allègements dans l’exécution de l’internement et renvoya la cause à l’office de l’exécution judiciaire pour nouvelle décision.

    21.   Le requérant déposa un recours auprès du Tribunal fédéral. Il fut débouté par arrêt du 25 janvier 2010. Le Tribunal fédéral approuva les calculs des délais opérés par le tribunal administratif. Il constata en outre que quatre mois et demi s’étaient écoulés entre le recours au tribunal administratif et l’arrêt de ce dernier (2 mars - 15 juillet 2009). Dans l’ensemble, la procédure avait duré 11 mois jusqu’à la première décision judiciaire. Il fallait tenir compte de la jonction des deux procédures par le tribunal administratif, et du fait que les juridictions précédentes se seraient basées sur des expertises antérieures (« haben auf frühere Gutachten abgestellt »). En conclusion, selon le Tribunal fédéral, une telle durée était « longue, mais pas injustifiable » (« lange, aber nicht [...] unvertretbar »). Il confirma pour le surplus l’arrêt du tribunal administratif, soulignant que l’article 5 § 4 de la Convention ne conférait aucun droit à une audience.

    D.  Libération conditionnelle du requérant

    22.  Le requérant fut libéré de manière conditionnelle par une décision de l’exécution judiciaire en date du 17 janvier 2012.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    23.  Les articles 43 et 45 du code pénal (CP) du 21 décembre 1937 (version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006) sont libellés comme il suit :

    Article 43

    « 1. Lorsque l’état mental d’un délinquant ayant commis, en rapport avec cet état, un acte punissable de réclusion ou d’emprisonnement en vertu du présent code, exige un traitement médical ou des soins spéciaux et à l’effet d’éliminer ou d’atténuer le danger de voir le délinquant commettre d’autres actes punissables, le juge pourra ordonner le renvoi dans un hôpital ou un hospice. Il pourra ordonner un traitement ambulatoire si le délinquant n’est pas dangereux pour autrui.

    Si, en raison de son état mental, le délinquant compromet gravement la sécurité publique et si cette mesure est nécessaire pour prévenir la mise en danger d’autrui, le juge ordonnera l’internement. Celui-ci sera exécuté dans un établissement approprié.

    Le juge rendra son jugement au vu d’une expertise sur l’état physique et mental du délinquant, ainsi que sur la nécessité d’un internement, d’un traitement ou de soins.

    2. En cas d’internement ou de placement dans un hôpital ou un hospice, le juge suspendra l’exécution d’une peine privative de liberté. (...) »

    Article 45

    « 1. L’autorité compétente examinera d’office si et quand la libération conditionnelle ou à l’essai doit être ordonnée.

    En matière de libération conditionnelle ou à l’essai de l’un des établissements prévus à l’art. 42 ou 43, l’autorité compétente prendra une décision au moins une fois par an, en cas d’internement selon l’art. 42 pour la première fois à l’expiration de la durée minimum légale de la mesure. (...) »

    24.  Les articles 64 et 64b du CP du 21 décembre 1937 (version en vigueur dès le 1er janvier 2007) sont libellés comme il suit :

    Article 64

    « 1. Le juge ordonne l’internement si l’auteur a commis un assassinat, un meurtre, une lésion corporelle grave, un viol, un brigandage, une prise d’otage, un incendie, une mise en danger de la vie d’autrui, ou une autre infraction passible d’une peine privative de liberté maximale de cinq ans au moins, par laquelle il a porté ou voulu porter gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui et si :

    a. en raison des caractéristiques de la personnalité de l’auteur, des circonstances dans lesquelles il a commis l’infraction et de son vécu, il est sérieusement à craindre qu’il ne commette d’autres infractions du même genre, ou

    b. en raison d’un grave trouble mental chronique ou récurrent en relation avec l’infraction, il est sérieusement à craindre que l’auteur ne commette d’autres infractions du même genre et que la mesure prévue à l’art. 59 semble vouée à l’échec. (...) »

    Article 64b

    « 1. L’autorité compétente examine, d’office ou sur demande :

    a. au moins une fois par an et pour la première fois après une période de deux ans, si l’auteur peut être libéré conditionnellement de l’internement et, si tel est le cas, quand il peut l’être (art. 64a, al. 1) ; (...) »

     

    25.  L’article 100 de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF) du 17 juin 2005 est libellé comme il suit :

    Article 100

    « 7. Le recours pour déni de justice ou retard injustifié peut être formé en tout temps. »

  1. .  L’article 59 de loi sur la procédure administrative du canton de Zurich du 24 mai 1959 est libellé comme il suit (traduction de l’allemand non officielle de la Cour) :
  2. « § 59. Le tribunal administratif, ses présidents ou ses juges uniques peuvent, d’office ou sur requête d’une partie, ordonner une audience orale. Celle-ci peut avoir lieu en parallèle à l’instruction écrite ou la remplacer (...). »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION TIRÉE DE L’EXIGENCE DU « BREF DÉLAI »

    27.  Le requérant allègue que la période écoulée entre sa demande du 21 août 2008 visant à obtenir qu’il soit mis fin à son internement et la décision rendue par le tribunal administratif le 15 juillet 2009 est excessive et ne satisfait pas à l’exigence du « bref délai ». Il invoque à cet égard l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

    « 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

    a)  s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

    (...)

    e)  s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

    4.  Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

    (...). »

    28.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    29.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Les thèses des parties

    a)  Le requérant

    30.  Le requérant soutient que l’argumentation du Gouvernement n’est pas convaincante. Le fait que le requérant ait demandé non seulement sa libération, mais également des mesures d’assouplissement, ne soulevait en effet pas de difficultés supplémentaires. Il rappelle que l’office de l’exécution judiciaire a statué justement sur ces mesures dans une décision distincte, à savoir le 5 décembre 2008.

    31.  Il estime que le traitement de sa demande du 21 août 2008 n’occasionnait que très peu de travail. Il rappelle que, le 21 août 2008, C.S., juriste, l’a auditionné pour le compte de l’office de l’exécution judiciaire. Le même C.S. a par la suite rédigé la décision du 7 octobre 2008, par laquelle l’office a rejeté la demande de libération ; il connaissait donc très bien son cas et y était parfaitement préparé lorsqu’il a reçu sa demande du 21 août 2008.

    32.  Le requérant ajoute qu’entre le 21 août 2008 et la décision du tribunal administratif du 15 juillet 2009, il n’a jamais été auditionné personnellement et, entre le 21 août 2008 et le 15 juillet 2009, aucune instruction n’aurait eu lieu. Selon le requérant, les consultations internes ne constituent pas des actes d’instruction, contrairement à ce que prétend le Gouvernement. Il précise qu’à la différence de l’affaire Fuchser c. Suisse (no 55894/00, 13 juillet 2006), aucune expertise psychiatrique n’a été établie.

    33.  Le requérant considère que l’attente d’environ onze mois jusqu’à la première décision d’un tribunal, le 15 juillet 2009, a été trop longue, rappelant que dans le cas Fuchser, précité, il n’a fallu que 128 jours, l’expertise psychiatrique y comprise, pour obtenir la décision du tribunal sur la demande de libération du requérant - délai jugé excessif par la Cour.

    34.  En ce qui concerne l’argument du Gouvernement selon lequel il n’aurait pas cherché à obtenir une décision plus rapidement, il prétend que, dans chaque mémoire, il aurait insisté sur l’urgence de la procédure.

    35.  Selon le requérant, la procédure comme elle est prévue dans le canton de Zurich était incompatible avec le principe de l’habeas corpus, concrétisé par l’article 5 § 4 de la Convention, parce que la personne privée de liberté doit adresser sa demande de libération aux autorités - qui normalement portent elles-mêmes la responsabilité de la poursuite de sa détention -, puis doit recourir aux autorités supérieures en cas de rejet de sa demande, et doit franchir une étape supplémentaire pour avoir enfin la chance de comparaître devant un juge.

    36.  Il ajoute que la procédure du canton de Zurich contrevient à l’exigence de célérité requise par l’article 5 § 4 car le juge - en raison de la complexité de la procédure administrative - est confronté bien trop tard à la demande de libération. Il estime que, lorsqu’une procédure implique une attente d’environ six mois pour accéder à un tribunal, elle est incompatible avec l’article 5 § 4.

    37.  Le requérant soutient encore que le Gouvernement n’est pas parvenu à invoquer un seul élément inhabituel ni le moindre aspect qui aurait consommé beaucoup de temps.

    38.  Le requérant rappelle qu’il a adressé, le 9 septembre 2008, une demande de libération à la cour d’appel. Celle-ci s’est déclarée incompétente et n’est pas entrée en matière, ce que le requérant considère comme contraire au regard de l’article 5 § 4.

    b)  Le Gouvernement

    39.  Le Gouvernement constate que la procédure administrative initiée le 21 août 2008 par l’audition annuelle du requérant et par laquelle celui-ci a cherché à contester la légalité de sa détention a duré un peu moins de onze mois. Il estime que cette durée n’est pas excessive au vu des circonstances particulières de l’affaire. Il ajoute à cet égard que l’existence de deux procédures examinant de manière parallèle la légalité et les conditions de la détention du requérant a eu pour effet de rallonger la procédure d’une façon générale, notamment du fait qu’il devait parfois attendre la décision d’une autre instance.

    40.  Le Gouvernement rappelle que, par la suite, le tribunal administratif cantonal du canton de Zurich a procédé à une jonction de ces deux affaires, car elles concernaient l’internement de la même personne et posaient des questions juridiques essentiellement similaires. La décision du tribunal administratif concernant la légalité de la détention du requérant aurait été retardée du fait de cette jonction de causes. En effet, le fait d’avoir dû statuer non seulement sur une demande de libération, mais également sur les mesures d’assouplissement demandées par le requérant aurait eu pour effet de rallonger encore la procédure.

    41.  Le Gouvernement soutient, par ailleurs, que l’exigence de célérité de la procédure n’est pas la même dans une procédure administrative déclenchée par l’examen d’office annuel de la détention du requérant que dans une procédure qui aurait été initiée par le requérant lui-même pour cause d’une modification des circonstances de sa détention.

    42.  Le Gouvernement considère par ailleurs que la condition de « bref délai » a également été respectée dans chaque phase de la procédure initiée par l’audition annuelle du requérant du 21 août 2008. La durée d’un mois et demi entre la date de l’audition et la décision de l’office de l’exécution judiciaire du 7 octobre 2008 ne serait pas excessive au vu des deux procédures traitées en parallèle par l’office de l’exécution judiciaire. Le Gouvernement soutient que, pour la même raison, la durée de deux mois et demi entre le recours formulé par le requérant, le 10 novembre 2008, et la décision rendue par la direction de la justice et de l’intérieur le 22 janvier 2009 n’apparait pas non plus comme excessive, d’autant plus que cette procédure a engendré une procédure de consultation interne au sein de l’office de l’exécution judiciaire qui nécessitant trois semaines supplémentaires. Par ailleurs, la durée de quatre mois et demi entre le recours formé par le requérant, le 2 mars 2009, et la décision du tribunal administratif du 15 juillet 2009, n’est pas non plus excessive au vu de la jonction de deux procédures.

    43.  En ce qui concerne la procédure devant le Tribunal fédéral, le Gouvernement rappelle qu’elle a duré un peu plus de quatre mois. En effet, selon le Gouvernement, le requérant ne conteste pas cette durée. En tout état de cause, au vu des circonstances de l’espèce, elle ne s’avère pas excessive, ajoute-il.

    44.  Le Gouvernement estime également que le requérant n’a pas cherché à obtenir une décision plus rapidement. De l’avis du Gouvernement, le requérant avait une obligation minimale d’agir pour faire accélérer la procédure, s’il estimait qu’elle était manifestement trop longue. Il soulève qu’en vertu de l’article 100, alinéa 7, de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF), un « recours pour déni de justice ou retard injustifié peut être formulé en tout temps. » (paragraphe 25 ci-dessus). Le requérant n’ayant pas, en l’espèce, fait usage de cette possibilité et n’ayant pas non plus contesté la jonction des procédures par le tribunal administratif, propre à rallonger la procédure, le Gouvernement y voit une raison de plus d’affirmer que le principe de célérité n’a pas été violé dans le cas d’espèce.

    2.  L’appréciation de la Cour

    a)  Principes applicables

    45.  La Cour note qu’il ressort de sa jurisprudence que les procédures relatives à des questions de privation de liberté, au sens de l’article 5 § 4, requièrent une diligence particulière, et que les exceptions à l’exigence de contrôle « à bref délai » de la légalité de la détention appellent une interprétation stricte (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003-IV). La question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté s’apprécie non pas dans l’abstrait mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 64, série A no 181-A ; Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002 ; et Luberti c. Italie, 23 février 1984, §§ 33-37, série A no 75), en particulier à la lumière de la complexité de l’affaire, des particularités éventuelles de la procédure interne ainsi que du comportement du requérant au cours de celle-ci (Boucheras et Groupe Information Asiles c. France, no 14438/88, décision de la Commission du 11 avril 1991, Décisions et rapports (DR) 69, p. 242). En principe, cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’État doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Fuchser c. Suisse, no 55894/00, § 43, 13 juillet 2006).

    46.  La Cour note par ailleurs que dans l’affaire Herz c. Allemagne (no 44672/98, § 72, 12 juin 2003), elle a considéré que l’exigence de célérité devait également être respectée lorsque les États signataires ont instauré des voies de recours contre les décisions contrôlant la régularité de la privation de liberté.

    47.  Par rapport au critère de la complexité du dossier médical, plus spécifiquement, la Cour a statué que même un degré de complexité exceptionnel ne dégage pas les autorités nationales de leurs obligations essentielles sous l’article 5 § 4 de la Convention et que la responsabilité primaire pour les retards provoqués par l’ordonnance d’une expertise pèse sur l’État défendeur (Musiał v. Poland [GC], no 24557/94, §§ 46 et suiv., ECHR 1999-II ; et Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 72, CEDH 2000-III).

    b)  Application des principes mentionnés ci-dessus au cas d’espèce

    48.  La Cour estime d’emblée que l’affaire Fuchser, précitée, revêt une pertinence toute particulière pour la présente affaire, dans la mesure où est à nouveau en cause la durée d’une procédure relative à une demande de libération dans le canton de Zurich. Elle rappelle que dans cet arrêt (paragraphes 46 et suiv.), un délai de quatre mois et six jours entre le moment où le requérant a demandé sa libération et celui où elle a été octroyée par le tribunal de district de Zurich, au terme de la procédure de recours contre une décision de l’office de l’exécution judiciaire, a été jugé excessif par la Cour.

    49.  La Cour rappelle que, dans le cas d’espèce, un délai de presque onze mois s’est écoulé entre la demande de libération du requérant du 21 août 2008 et la première décision judiciaire, du tribunal administratif, intervenue le 15 juillet 2009. De prime abord, une telle durée, plus de deux fois supérieure à celle de l’affaire Fuchser, précitée, paraît difficilement compatible avec l’exigence de « bref délai » de l’article 5 § 4 de la Convention. Le Tribunal fédéral, quant à lui, a estimé que la durée de la procédure devant le tribunal administratif était « longue, mais pas injustifiable ».

    50.  La Cour note, à ce sujet, que le Gouvernement allègue que l’exigence de célérité de la procédure n’est pas la même dans une procédure administrative déclenchée par l’examen d’office annuel de la détention du requérant que dans une procédure qui aurait été initiée par le requérant lui-même pour cause d’une modification des circonstances de sa détention. Elle constate cependant qu’il ne s’agissait en l’espèce pas d’une simple procédure d’examen annuel d’office, comme le soutient le Gouvernement, mais également d’une demande formelle de libération, déposée par le requérant le jour de son audition dans le cadre de l’examen annuel mené d’office, à savoir le 21 août 2008.

    51.  Cela étant, il faut examiner si, en l’espèce, on se trouve en présence de motifs exceptionnels propres à justifier un retard pour statuer sur la demande de libération du requérant (Musiał, précité, § 44, et Hutchison Reid, précité, § 81). La Cour note, à ce sujet, que les motifs principaux invoqués par le Gouvernement résident dans le fait que le requérant a exercé différents recours, ce qui aurait mené à des procédures parallèles, ainsi que dans l’obligation des autorités cantonales de statuer non seulement sur une demande de libération, mais également sur les mesures d’assouplissement requises par le requérant.

    52.  La Cour constate que la partie la plus importante du retard à statuer a été causée par l’exigence, dans le canton de Zurich, d’épuiser une voie de recours hiérarchique ne présentant pas en soi les garanties propres à celles d’un « tribunal » au sens de la Convention. Or, la complexité de la procédure interne ne saurait servir de motif apte à justifier un retard dans la procédure, étant donné que la Convention oblige les États contractants à organiser leurs juridictions de manière à leur permettre de répondre aux exigences de cette disposition, notamment quant au délai raisonnable (voir, mutatis mutandis, Werz c. Suisse, no 22015/05, § 44, 17 décembre 2009, § 44 ; Salesi c. Italie, 26 février 1993, § 24, série A no 257-E ; Bottazzi c.  Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999-V ; et Scordino c. Italie (n1) [GC], no 36813/97, § 183, CEDH 2006-V).

    53.  La Cour note que le Gouvernement ne prétend pas non plus que le cas du requérant aurait été particulièrement complexe du point de vue matériel, notamment s’agissant de sa dimension médicale.

    54.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour, constatant que le retard le plus important dans la présente affaire ne peut s’expliquer ni par la complexité de l’affaire ni par les particularités de la procédure interne ou le comportement du requérant, ne décèle aucun motif exceptionnel propre à justifier le retard à statuer sur la demande de libération (Musiał, précité, § 44, Hutchison Reid, § 81, Fuchser, précité, §52). Dans ces circonstances, la Cour estime pouvoir laisser ouverte la question de savoir s’il y a eu des retards injustifiés dans les autres stades des procédures, constatant que le requérant, dans ses observations devant la Cour, ne le prétend pas.

    55.  Dès lors, la décision du tribunal administratif, confirmant la légalité de l’internement, n’est pas intervenue « à bref délai » comme le prescrit l’article 5 § 4. La Cour constate que le requérant se plaint également de la conformité à la Convention du « système » en vigueur dans le canton de Zurich en tant que tel. Le grief du requérant se confond largement avec le grief relatif au « bref délai », de sorte qu’il ne se justifie pas de l’examiner séparément.

    56.  Compte tenu de ce qui précède, il y a eu violation de l’article 5 § 4.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 CONCERNANT LA TENUE D’UNE AUDIENCE

    57.  Le requérant dénonce une deuxième violation de l’article 5 § 4 pour le motif que le tribunal administratif a refusé de tenir une audience, en dépit de sa demande.

    58.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    59.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Les thèses des parties

    a)  Le requérant

    60.  Le requérant considère que la nécessité d’une audience dépend des circonstances de chaque cas particulier, ajoutant que les éléments suivants plaident en faveur d’une audience : le requérant n’a plus jamais été entendu par un tribunal depuis le 9 mars 2004 (cour d’appel) ; s’agissant d’un internement, la libération dépend essentiellement de l’évolution de la personnalité de la personne ; par ailleurs, l’internement est une mesure sans perspectives et l’interné se sent particulièrement impuissant ; enfin, il avait été condamné à quatre mois et demi de prison pour état d’ivresse au volant mais, au moment de sa demande de libération, il avait déjà été interné depuis plusieurs années.

    61.  Le requérant estime également que l’audition par un tribunal est une question de dignité humaine et qu’elle peut en quelque sorte compenser les sentiments d’angoisse et d’absence de perspectives.

    62.  Enfin, il soutient que le Gouvernement ne cite aucune raison allant à l’encontre d’une audience.

    b)  Le Gouvernement

    63.  Le Gouvernement rappelle que, selon l’article 59 de la loi sur la procédure administrative du canton de Zurich (paragraphe 26 ci-dessus), le tribunal administratif peut ordonner une audience d’office ou sur requête d’une partie. Cet article ne confère donc pas de droit au requérant à la mise en œuvre d’une audience orale, ajoute-il.

    64.  Le Gouvernement précise que si les échanges d’écritures constituent une base suffisante pour la prise de décision, une audition orale n’est pas ordonnée. Il estime qu’une telle pratique n’est pas contraire aux exigences de l’article 5 § 4, disposition qui n’offre pas de droit absolu à être entendu oralement.

    65.  Le Gouvernement soutient par ailleurs que le droit du requérant à être entendu d’une manière adaptée à sa situation a été respecté dans le cas d’espèce, le requérant ayant eu accès à tous les éléments de la procédure et ayant pu s’exprimer, avec l’aide de son représentant, lors des différentes étapes de la procédure. Il a pu faire valoir son point de vue sans aucune restriction et, en particulier, il a pu prendre position sur les arguments de l’autre partie. Le principe de l’égalité des armes aurait donc été respecté en l’espèce.

    66.  Le Gouvernement rappelle également que le requérant a d’ores et déjà eu l’occasion de s’exprimer oralement lors de l’audition qui s’est tenue le 21 août 2008 devant l’office de l’exécution judiciaire. Il ajoute que, à la suite de cette première audition du requérant, aucun fait nouveau n’est intervenu qui aurait justifié la tenue d’une audience devant le tribunal administratif du canton de Zurich.

    67.  Enfin, en ce qui concerne la tenue d’une audience publique, droit qui n’est pas garanti par l’article 5 § 4, aucun élément ne tend à la faire apparaître comme appropriée dans le cas d’espèce.

    68.  Pour toutes ces raisons, le Gouvernement conclut que la décision du tribunal administratif, confirmée par le Tribunal fédéral, de ne pas accorder d’audience au requérant ne contrevient pas aux garanties minimales de procédure de l’article 5 § 4.

    2.  L’appréciation de la Cour

    a)  Principes applicables

    69.  La Cour rappelle que l’article 5 § 4 reconnaît aux personnes détenues le droit d’introduire un recours pour faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de la Convention, de leur privation de liberté. Le concept de « légalité » doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler la « légalité » de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas un droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal compétent à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la « légalité » de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 171, 17 janvier 2012 ; et Ruiz Rivera c. Suisse, no 8300/06, § 67, 18 février 2014).

    70.  Un aliéné interné dans un établissement psychiatrique pour une durée illimitée ou prolongée a donc, en principe, le droit, au moins en l’absence de contrôle juridictionnel périodique et automatique, d’introduire à des intervalles raisonnables un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » - au sens de la Convention - de son internement (Ruiz Rivera, précité, § 68 ; Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 31, Série A no 75 ; Rakevitch c. Russie, no 58973/00, §§ 43 et suivants, 28 octobre 2003). Il n’en va pas autrement lorsque la détention avait à l’origine été validée par une autorité judiciaire (X c. Royaume-Uni, 5 novembre 1981, § 52, Série A no 46).

    71.  En outre, si une procédure relevant de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 prescrit pour les litiges civils ou pénaux (Ruiz Rivera, précité, § 69, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 203, CEDH 2009), elle doit revêtir un caractère judiciaire et offrir à l’individu mis en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 57, série A no 33 ; Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, §§ 57 et 60, série A no 129 ; Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 125, CEDH 2000-XI ; Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005-XII ; Allen c. Royaume-Uni, no 18837/06, §§ 40-48, 30 mars 2010). Pour déterminer si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (Winterwerp, précité, § 57; Hertz, précité, § 64).

    72.  En particulier, la personne internée doit avoir accès à un tribunal et l’occasion d’être entendue elle-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation (Ruiz Rivera, précité, § 70, Winterwerp, précité, § 60 ; Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, série A no 237-A ; Stanev, précité, § 171). La procédure doit être contradictoire et respecter « l’égalité des armes » entre les parties (Sanchez-Reisse c. Suisse, 21 octobre 1986, § 51, Série A no 107 ; Toth c. Autriche, 12 décembre 1991, § 84, Série A no 224 ; Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, § 47, Série A no 318-B ; Schöps c. Allemagne, no 25116/94, § 44, CEDH 2001-I ; Reinprecht, précité, § 31). À cet égard, la Cour rappelle que la tenue d’une audience, dans le cadre d’une procédure contradictoire prévoyant la possibilité d’être représenté et d’interroger des témoins, est nécessaire, lorsqu’il s’agit pour l’autorité judiciaire d’examiner la personnalité et le degré de maturité de la personne concernée, en vue d’en mesurer la dangerosité (Waite c. Royaume-Uni, no 53236/99, § 59, 10 décembre 2002).

    b)  Application des principes susmentionnés au cas d’espèce

    73.  La Cour relève que le requérant avait demandé explicitement la tenue d’une audience devant le tribunal administratif. Le Gouvernement note que le requérant a déjà eu l’occasion de s’exprimer oralement lors de l’audition qui s’est tenue le 21 août 2008 devant l’office de l’exécution judiciaire (paragraphe 16 ci-dessus). Il prétend qu’aucun fait nouveau de nature à justifier la tenue d’une audience devant le tribunal administratif du canton de Zurich n’est intervenue par la suite.

    74.  La Cour constate que dans la présente affaire, le requérant se trouvait détenu depuis plus de quatre ans, ce qui constitue une durée conséquente, d’autant plus qu’il avait été soumis préalablement à d’autres mesures et notamment à une mesure thérapeutique institutionnelle.

    75.  Par contre, il découle de la jurisprudence citée ci-dessus qu’une procédure relevant de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles de l’article 6 § 1. Par ailleurs, la Cour estime qu’une audience n’est pas indispensable dans toutes les circonstances, notamment si aucune clarification additionnelle n’est censée en résulter.

    76.  La Cour estime également que la présente affaire se distingue sensiblement de l’affaire Ruiz Rivera, précitée, qui a soulevé des questions d’interprétation importantes relatives à des expertises psychiatriques et des rapports de thérapie (§§ 71-76). Dans ladite affaire, l’essence même du grief principal visait à mettre en doutes les opinions des experts et de demander une nouvelle expertise. C’est seulement à titre subsidiaire que le requérant souhaitait la tenue d’une audience, devant le tribunal administratif, au cours de laquelle il aurait pu présenter oralement ses observations et poser toutes questions utiles à l’auteur du rapport d’expertise psychiatrique de 2001. En effet, le requérant avait toujours contesté la validité scientifique des expertises psychiatriques sur lesquelles se fondaient les décisions litigieuses et soutenait qu’il n’y avait aucun lien de confiance avec l’équipe chargée de son suivi.

    Comparée à cette affaire-là, la situation du requérant semble moins litigieuse. Il est vrai que les dernières expertises concernant le requérant ont été établies en 2002 et 2003 (paragraphes 6 et 7 ci-dessus). En même temps, le tribunal administratif a constaté, dans son arrêt du 15 juillet 2009, que la situation du requérant n’avait plus évolué de manière significative depuis l’arrêt de la cour d’appel du 9 mars 2004 (paragraphe 20 ci-dessus), ce que le requérant ne prétendait par ailleurs pas. Il n’apparaît pas non plus qu’il ait demandé l’établissement d’une nouvelle expertise. Ce dernier arrêt s’appuyait par ailleurs sur les deux expertises mentionnées, constatant en particulier l’échec des thérapies antérieures et l’absence d’évolution positive chez le requérant.

    Compte tenu des différences à la fois factuelles et résidant dans les griefs présentés par les requérants dans ces deux affaires, la Cour estime qu’elle a suffisamment de motifs pour s’écarter en l’espèce des conclusions auxquelles elle est parvenue dans l’affaire Ruiz Rivera, précitée.

    77.  Par ailleurs, dans une affaire examinée par la Cour sous l’angle de l’article 5 § 1 de la Convention, la question de la durée excessive entre la condamnation du requérant et le moment où le tribunal cantonal a été amené à examiner le maintien de la mesure institutionnelle, le 19 avril 2010, s’est posée de manière similaire que dans l’affaire Ruiz-Rivera, précitée (C.W. c. Suisse, no 67725/10, §§ 45-51, 23 septembre 2014). Dans ladite affaire, la Cour a conclu que le tribunal cantonal avait pu valablement s’appuyer sur un avis du 16 mars 2010 et les rapports d’expertise psychiatrique de 2008 et 2009 afin d’établir quelle devait être la durée de la thérapie en milieu fermé la mieux à même de limiter les risques de récidive liés à l’état de santé du requérant.

    78.  La Cour rappelle également que le requérant a été entendu personnellement en présence de son avocat par l’administration pénitentiaire, le 21 août 2008, dans le cadre de l’examen annuel d’office, soit seulement quelques mois avant sa demande d’être entendu. Le 7 octobre 2008, tenant compte de cette audition ainsi que d’un rapport de thérapie du 22 juillet 2008 et d’un rapport du service psychiatrique-psychologique du 30 juillet 2008, l’office a refusé la libération du requérant. La Cour partage l’avis du Gouvernement selon lequel le requérant n’a invoqué aucun élément pertinent survenu après l’audition susmentionnée ni aucun aspect relatif à sa personnalité qui aurait rendu une nouvelle audition nécessaire.

    79.  Par ailleurs, la Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel le droit du requérant à être entendu a été respecté dans le cas d’espèce, celui-ci ayant eu accès à tous les éléments de la procédure et ayant pu s’exprimer, avec l’aide de son représentant, lors des différentes étapes de la procédure. Il a en effet pu faire valoir son point de vue de manière adéquate et a en particulier pu prendre position sur les arguments de l’autre partie. Le principe de l’égalité des armes a donc été respecté en l’espèce. Dès lors, la Cour conclut que le requérant a bénéficié d’une procédure judiciaire qui, considérée dans sa globalité, était adaptée à la nature de sa privation de liberté. Le requérant ne conteste par ailleurs pas cet état de fait.

    80.  Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que, dans les circonstances particulières du présent cas et bien que l’audience du 21 août 2008 ait eu lieu devant une autorité qui n’est pas un tribunal au sens de la Convention, le tribunal administratif pouvait se dispenser de tenir une audience afin d’entendre le requérant en personne.

    81.  Par conséquent, la Cour conclut que l’article 5 § 4 de la Convention n’a pas été violé en raison de l’absence d’audience devant le tribunal administratif.

     III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    82.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    83.  Le requérant réclame 25 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi à cause du retard de statuer par le tribunal administratif. Il estime qu’il aurait dû être libéré neuf à dix mois plus tôt. Par contre, il ne fait pas valoir qu’il ait subi un dommage matériel.

    84.  Le Gouvernement soutient que la publication de l’arrêt de la Cour fournirait une satisfaction équitable suffisante pour le dommage subi. À titre subsidiaire, il estime qu’un montant de 3 000 euros (EUR) serait approprié.

    85.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 7 000 EUR au titre du préjudice moral pour la violation de l’exigence du « bref délai » au sens de l’article 5 § 4.

    B.  Frais et dépens

    86.  Le requérant demande également 3 893,40 francs suisses (CHF ; environ 3 567 EUR) pour les frais et dépens engagés devant le Tribunal fédéral et 6 541,60 CHF (5 993 EUR) pour ceux engagés devant la Cour.

    87.  Le Gouvernement considère comme équitable d’accorder au requérant le montant de 3 893 CHF pour couvrir les frais et dépens liés à la procédure devant le Tribunal fédéral. Il soutient par ailleurs que le montant de 3 000 CHF (2 748 EUR) couvrirait les frais et dépens pour la procédure devant la Cour.

    88.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais confondus au titre des frais et dépens de la procédure nationale pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

    C.  Intérêts moratoires

    89.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention relative à l’exigence du bref délai ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention relative à l’exigence d’une audience ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en francs suisses (CHF), au taux applicable à la date du règlement :

    i)  7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 mai 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

      Stephen Phillips                                                                 Luis López Guerra
            Greffier                                                                               Président

     

     


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