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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SURER v. TURKEY - 20184/06 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Second Section)) French Text [2016] ECHR 469 (31 May 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/469.html Cite as: [2016] ECHR 469 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE SÜRER c. TURQUIE
(Requête no 20184/06)
ARRÊT
STRASBOURG
31 mai 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Sürer c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Julia Laffranque,
présidente,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 mai 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 20184/06) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet État, M. Ahmet Sürer et Mme Gülbeyaz Sürer (« les requérants »), ont saisi la Cour le 17 avril 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Me E. Akyol, avocat à Denizli. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Les requérants allèguent la responsabilité des autorités dans le décès de leur fils alors que celui-ci accomplissait son service militaire, ainsi qu’un manque d’indépendance du tribunal qui a examiné leur demande d’indemnité.
4. Le 15 septembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les requérants sont nés respectivement en 1955 et 1961 et résident à Denizli. Ils sont le père et la mère d’Ömer Sürer, décédé le 29 février 2004 alors qu’il effectuait son service militaire.
A. L’enquête pénale menée sur le décès d’Ömer Sürer
6. Les 10 juillet 2001, 22 août 2001 et 22 novembre 2002, Ömer Sürer, se vit notifier des appels pour effectuer son service militaire. Ces lettres indiquaient, entre autres :
« Veuillez apporter (...) votre rapport d’examen sur la tuberculose (...). Afin que votre état de santé puisse être exactement établi, veuillez présenter (...) vos rapports médicaux et documents sur vos traitements antérieurs aux médecins qui vous examineront. »
Elles mentionnaient aussi un numéro de téléphone pour contacter les services concernés en cas de besoin.
7. À une date non précisée, Ömer Sürer se présenta aux bureaux de l’armée à Denizli. Il ne communiqua aucun rapport médical. À l’issue d’un examen médical, le bureau conclut à son aptitude au service militaire.
8. Après avoir effectué sa formation de base, Ömer Sürer fut placé dans les effectifs du 17e bataillon d’Adaklı, à Bingöl.
9. Le 29 février 2004, alors qu’il se rendait à son poste de garde vers 3 heures du matin, Ömer Sürer eut une crise cardiaque. Les premiers secours lui furent prodigués aussitôt à l’infirmerie de la caserne par un médecin, mais cela ne permit pas de lui sauver la vie.
10. Le rapport du médecin militaire qui effectua les interventions indique ce qui suit :
- L’intéressé a été amené à l’infirmerie à 3 h 05, la prise de pouls ne permettait pas de sentir un battement de cœur, les pupilles étaient fixes et dilatées. Un massage cardiaque a aussitôt été entamé, l’intéressé a été intubé, une injection d’un milligramme d’adrénaline a été administrée par voie intraveineuse directe. Vu l’absence de réaction du corps, un milligramme d’adrénaline supplémentaire a été administré par voie sous-cutanée, la tentative de réanimation par un massage cardiovasculaire a été poursuivie pendant 45 minutes environ et le décès a été constaté à 3 h 50.
11. Le rapport de l’autopsie réalisée à 11 heures indique que :
- le décès était imputable à une insuffisance cardiaque due à une coarctation (rétrécissement) de l’aorte et à une hypertrophie du cœur, qui avait atteint 710 grammes ;
- cette anomalie de l’aorte était congénitale ;
- c’était cette affection de naissance qui avait entraîné l’hypertrophie du cœur et l’insuffisance cardiaque fatale.
12. Le procureur militaire d’Elazığ recueillit les dépositions des camarades d’Ömer Sürer :
- deux d’entre eux affirmèrent qu’Ömer Sürer se trouvait dans la salle de coiffure de la caserne, dont il était le responsable, et qu’il était allé récupérer ses armes et vêtements pour monter la garde de 3 heures à 5 heures, qu’il allait bien et qu’ils ne lui connaissaient pas d’antécédents sur le plan de la santé ;
- son camarade de garde, qui l’accompagnait pour aller sur les lieux de la garde, expliqua qu’Ömer Sürer avait monté plusieurs marches d’escalier en courant, puis que, après avoir marché quelques mètres, il s’était effondré ; que lui-même avait appelé à l’aide, puis qu’Ömer Sürer avait été transporté à l’infirmerie ;
- deux autres personnes qui étaient arrivées sur les lieux confirmèrent cette dernière partie des faits et expliquèrent qu’Ömer Sürer ne leur répondait pas et que son pouls était très faible.
13. Le procureur militaire consulta également le registre de visites médicales de l’intéressé : il constata qu’Ömer Sürer s’était rendu à l’infirmerie les 19, 24 et 26 décembre 2002, ainsi que les 23 octobre, 3 novembre et 24 décembre 2003 pour une myalgie (douleurs musculaires), une dermite de contact, une pyodermite (problèmes épidermiques) et une grippe.
14. Le 4 mars 2004, le procureur militaire d’Elazığ se référa aux éléments susmentionnés et rendit un non-lieu, au motif notamment :
- qu’aucune faute attribuable à une tierce personne n’avait été établie dans le décès ;
- qu’à l’examen du dossier personnel du soldat, il apparaissait que celui-ci n’avait jamais consulté les médecins de l’infirmerie pour un problème cardiovasculaire.
15. Les requérants n’ont pas fait opposition à cette décision.
B. L’action en dommages-intérêts devant la Haute Cour administrative militaire
16. À une date non précisée, les requérants s’adressèrent au ministère de la Défense pour réclamer des indemnités à raison du décès de leur fils durant son service militaire obligatoire. Ils demandèrent l’application de la loi no 2330 sur l’allocation d’une indemnité ou d’un salaire pour les proches des personnes blessées ou décédées lors de l’exercice d’une fonction de sûreté. Le 21 février 2005, le ministère rejeta cette demande.
17. Le 20 mai 2005, les requérants intentèrent devant la Haute Cour administrative militaire un recours en annulation de cette décision.
18. Par un arrêt du 24 novembre 2005, la Haute Cour débouta les requérants de leur action, en concluant à l’absence d’un lien de causalité entre le décès d’Ömer Sürer et ses fonctions lors de son service militaire.
19. Le 16 février 2006, cette instance rejeta également le recours en rectification d’arrêt formé par les requérants.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
20. S’agissant du mécanisme prévu pour la protection de l’intégrité physique et psychique des appelés, la Cour renvoie à son arrêt Abdullah Yılmaz c. Turquie (no 21899/02, §§ 32-39, 17 juin 2008).
21. Le règlement des forces armées turques sur l’aptitude au service militaire du point de vue de la santé (règlement no 86/11092 du 24 novembre 1986 - TSK Sağlık Yeteneği Yönetmeliği) précise notamment que, dans le cas où une maladie ou une invalidité est constatée chez un appelé, des mesures d’exemption, d’ajournement du service ou mesures de mise en congé sont prises.
22. Pour la législation concernant la Haute Cour administrative militaire et la composition de cette instance, la Cour renvoie à son arrêt Tanışma c. Turquie (no 32219/05, §§ 29-50, 17 novembre 2015).
EN DROIT
I. SUR LA RECEVABILITÉ
23. Sans invoquer une quelconque disposition de la Convention, les requérants se plaignent du décès de leur fils lors de son service militaire. Ils reprochent aux autorités :
- d’avoir failli à établir correctement l’état de santé d’Ömer Sürer avant de l’affecter au service, car eux-mêmes ne connaissaient pas son problème cardiaque ;
- d’être responsables du décès, en ce que, même si l’anomalie du cœur de leur fils était de naissance, c’est selon eux le froid qui régnait dans la région où il était affecté et la charge de travail qui lui avait été imposée qui ont déclenché la crise cardiaque fatale ;
- de les avoir exclus du bénéfice d’un certain nombre de droits sociaux et économiques attachés ipso jure pour les proches au statut de personne décédée « durant un service de sûreté », du fait que cette qualité n’a pas été reconnue à leur fils, alors que le drame était survenu durant l’accomplissement d’un service militaire obligatoire ;
- de ne pas leur avoir offert une juridiction répondant aux critères d’indépendance et d’impartialité requis, du fait de la présence de deux juges militaires de carrière au sein de la Haute Cour administrative militaire qui a examiné leur cause.
24. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité pour non-épuisement des voies de recours internes : il fait valoir que les requérants n’ont pas fait opposition au non-lieu rendu par le procureur militaire.
25. Sur cette exception de non-épuisement des voies de recours internes, la Cour observe que les requérants se plaignent du refus des autorités de reconnaître le décès de leur fils comme de nature à leur ouvrir droit à une indemnité ou à des prestations sociales dans le cadre d’une loi qui accordait ou aurait dû accorder selon eux ce type de bénéfices aux proches d’un soldat décédé durant le service militaire.
26. Par ailleurs, s’agissant des obligations positives de l’État dans le domaine du service militaire obligatoire, le cadre législatif et administratif doit exiger l’adoption de mesures d’ordre pratique visant à la protection effective des appelés qui pourraient se voir exposés aux dangers inhérents à la vie militaire et prévoir des procédures adéquates permettant de déterminer les défaillances ainsi que les fautes qui pourraient être commises en la matière par les responsables à différents échelons. Dans ce contexte s’inscrit aussi la mise en place par les établissements sanitaires concernés de mesures réglementaires propres à assurer la protection des appelés, étant entendu que les actes et omissions du corps médical militaire dans le cadre des politiques de santé les concernant peuvent, dans certaines circonstances, engager leur responsabilité sous l’angle du volet matériel de l’article 2 (Powell c. Royaume-Uni (déc.), no 45305/99, CEDH 2000-V, et Kılınç et autres c. Turquie, no 40145/98, §§ 40-42, 7 juin 2005).
27. Enfin, l’obligation positive de mettre en place « un système judiciaire efficace » peut en principe être remplie si des voies de droit civiles, administratives ou même disciplinaires sont ouvertes aux intéressés lorsque l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas intentionnelle (voir, par exemple, Vo c. France [GC], no 53924/00, § 90, CEDH 2004-VIII). Dans ces conditions, il n’apparaît pas que la voie pénale constituât le recours adéquat que les requérants auraient été tenus d’épuiser quant à ce grief.
28. La Cour constate également que cette exception préliminaire ne répond pas au grief tiré de la composition de la Haute Cour militaire administrative.
29. Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter l’exception du Gouvernement.
30. La Cour constate par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
31. Les requérants soutiennent :
- que les autorités auraient dû détecter la maladie de leur fils avant de l’affecter au service militaire ;
- que ce sont les conditions météorologiques très froides et les tâches assignées à leur fils qui ont provoqué la crise cardiaque fatale.
32. Le Gouvernement conteste ces thèses. Il indique :
- que l’intéressé n’avait présenté aucun rapport médical concernant sa maladie, bien qu’il y eût été invité avant d’être engagé ;
- qu’il est à cet égard normal que, pour que des examens médicaux approfondis soient effectués afin d’établir leur aptitude à un service militaire, les appelés doivent présenter les justificatifs de leurs antécédents ; qu’en effet, exiger de procéder systématiquement à des examens plus avancés pour tous les appelés imposerait aux autorités un fardeau excessif ;
- que, durant son service, Ömer Sürer n’a consulté les médecins de sa caserne que pour des problèmes de santé mineurs, sans jamais signaler une gêne liée à son cœur.
33. La Cour rappelle qu’elle a compétence pour apprécier au regard de l’ensemble des exigences de la Convention les circonstances dont se plaint un requérant. Dans l’accomplissement de cette tâche, il lui incombe de donner une qualification juridique aux faits (voir, mutatis mutandis, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 63, CEDH 2000-XII, et mutatis mutandis, Remzi Aydın c. Turquie, no 30911/04, § 44, 20 février 2007). Aussi la Cour décide-t-elle d’examiner les griefs en question sous l’angle de l’article 2 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...). »
34. La Cour rappelle que les obligations positives découlant de cette disposition (voir par exemple Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, § 115, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, et Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, §§ 89-93, CEDH 2001-III) s’appliquent également dans le domaine du service militaire obligatoire (Kılınç, précité, §§ 40-42, Lütfi Demirci et autres c. Turquie, no 28809/05, §§ 30-31, 2 mars 2010, et Csiki c. Roumanie, no 11273/05, §§ 71-72, 5 juillet 2011).
35. Pour le restant des principes généraux applicables, la Cour renvoie à ses arrêts Calvelli et Ciglio c. Italie ([GC], no 32967/96, §§ 48-51, CEDH 2002-I) et Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie ([GC], no 24014/05, §§ 169-182, 14 avril 2015).
36. Bien que l’enquête pénale menée sur le décès ne soit pas la procédure pertinente vis-à-vis des griefs des requérants (voir aussi les paragraphes 25 et suivants ci-dessus), la Cour prendra en considération les éléments obtenues durant cette enquête afin d’établir le fondement de son examen. Ainsi, le procureur militaire a :
- recueilli les dépositions des camarades d’Ömer Sürer, et notamment de celui qui l’accompagnait en dernier, pour faire la lumière sur les circonstances du décès ;
- examiné le dossier médical de l’intéressé afin d’envisager d’éventuelles négligences ;
- pris en considération le rapport du médecin qui a tenté de le ranimer ;
- par ailleurs ordonné une autopsie pour établir la cause du décès.
Ainsi, la Cour ne peut que constater que l’enquête a été menée d’une manière adéquate en vue d’établir les responsabilités éventuelles.
37. Par ailleurs, la Cour observe que le fils des requérants n’avait aucun antécédent connu avant de s’engager dans l’armée, ce qui explique sans doute qu’il n’ait présenté aucun rapport médical lors de son incorporation. Les requérants n’allèguent pas non plus que leurs fils avait une santé fragile ou des antécédents médicaux connus avant de commencer son service militaire, et ne contestent pas non plus le rapport d’autopsie indiquant une anomalie au niveau du cœur. Leur reproche sur ce point se limite au fait que l’anomalie en question n’ait pas été diagnostiquée au moment de l’incorporation d’Ömer Sürer.
38. Or, la Cour ne s’estime pas en mesure de dire que les autorités devraient, de façon générale et sans exception, mener au stade de l’incorporation dans les armées des investigations médicales plus poussées que les examens usuels, même pour les recrues n’ayant jamais présenté jusqu’alors les signes d’une maladie quelconque ou fourni des informations adéquates à cet égard (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Gavriliţă c. Roumanie (no 10921/03, § 33, 22 juin 2010) à propos de l’absence de contrôles de dépistage systématique de la tuberculose lors de l’entrée des détenus en prison). La Cour note en effet que les appelés sont invités à communiquer une copie des rapports médicaux qui pourraient, le cas échéant, justifier leur exemption du service militaire obligatoire (à ce sujet, voir les faits dans la décision Özel et autres c. Turquie (déc.), nos 37626/02, 28 septembre 2006).
39. À supposer que l’intéressé se soit vu imposer des entraînements sportifs ou militaires d’une intensité particulière, bien qu’aucune indication ne figure au dossier quant au niveau de tels entraînements et que les requérants n’allèguent rien de particulier à ce sujet, la Cour relève qu’Ömer Sürer n’avait pas été sélectionné pour être affecté dans les forces spéciales ou autres troupes d’élite imposant des efforts physiques d’une intensité hors norme. Au demeurant, l’événement tragique n’a pas eu lieu lors d’entraînements ou d’une situation stressante ; la Cour note que celui-ci s’est produit alors que l’intéressé avait simplement monté des escaliers pour se rendre sur les lieux où il devait monter la garde. Dans ce contexte, contrairement à l’allégation des requérants, la Cour ne dispose pas non plus d’informations qui suggéreraient que le froid ait joué un rôle dans la survenance de l’incident.
40. Ensuite, la Cour relève aussi que l’intervention médicale qui eut lieu aussitôt ne permet pas de dire qu’il y ait eu une négligence quelconque à l’égard d’Ömer Sürer. En effet, celui-ci fut transporté immédiatement à l’infirmerie où un médecin lui administra des injections d’adrénaline et effectua un massage cardiovasculaire durant environ 45 minutes.
41. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
42. Les requérants se plaignent également :
- du manque d’indépendance et d’impartialité des deux juges de carrière militaire au sein de la Haute Cour administrative militaire qui a examiné leur demande d’indemnité ;
- du refus des autorités de leur accorder des indemnités alors que la loi no 2330 sur l’allocation d’une indemnité ou d’un salaire pour les proches des personnes blessées ou décédées lors de l’exercice d’une fonction de sûreté couvrait selon eux leur situation.
43. La Cour examinera ces griefs sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
44. Le Gouvernement récuse ces griefs.
45. En ce qui concerne la composition de la Haute Cour administrative militaire, la Cour rappelle qu’elle a déjà examiné un grief semblable dans son arrêt Tanışma précité, et qu’elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention au motif qu’y siègent entre autres des officiers de carrière, qui ne bénéficient pas des garanties d’indépendance adéquates (§§ 76-84).
46. En l’espèce, la Cour ne relève aucun élément ou argument qui nécessiterait de se départir de ladite conclusion. Dès lors, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
47. Concernant le grief des requérants sur le fait que leur demande d’indemnité ou de bénéfices sociaux n’ait pas été admise, la Cour rappelle avoir déjà jugé dans des affaires similaires qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès équitable aux personnes soumises à sa juridiction (voir mutatis mutandis, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 20, 23 octobre 2003). Eu égard au constat de violation de l’article 6 § 1 auquel elle parvient ci-dessus, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner ce dernier grief.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
48. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
49. Les requérants demandent à la Cour de « leur accorder un montant raisonnable à titre de compensation ».
50. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette demande, car elle n’est pas chiffrée.
51. Statuant en équité, la Cour accorde 6 000 euros (EUR) au titre du dommage moral subi par les requérants.
B. Frais et dépens
52. Les requérants n’ont présenté aucune demande au titre des frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
53. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention ;
3. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du manque d’indépendance et d’impartialité de la Haute Cour administrative militaire ;
4. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief concernant le rejet de la demande d’indemnité des requérants par les autorités internes ;
5. Dit, par six voix contre une,
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 mai 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley Naismith Julia Laffranque
Greffier Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge P. Lemmens.
J.L.
S.H.N.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DU JUGE LEMMENS
Je regrette de ne pouvoir souscrire au vote de mes collègues dans le sens d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la présence de deux officiers militaires dans la composition de la Haute Cour administrative militaire (paragraphes 44-45 de l’arrêt).
Sur ce point, je me rallie à l’opinion dissidente du juge Sajó dans l’affaire Tanışma c. Turquie (no 32219/05, 17 novembre 2015).
Je suis conscient du fait que la majorité suit fidèlement l’arrêt rendu dans cette dernière affaire, et que ledit arrêt est devenu définitif. J’estime néanmoins que, n’ayant pas fait partie de la chambre qui a examiné l’affaire Tanışma, je peux encore saisir l’occasion pour indiquer ma position sur la question qui lui fut soumise, tout en espérant que les arrêts rendus dans l’affaire Tanışma et dans la présente affaire demeureront des arrêts exceptionnels.