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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SISMANIDIS AND SITARIDIS v. GREECE - 66602/09 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section)) French Text [2016] ECHR 502 (09 June 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/502.html Cite as: [2016] ECHR 502 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SISMANIDIS ET SITARIDIS c. GRÈCE
(Requêtes nos 66602/09 et 71879/12)
ARRÊT
STRASBOURG
9 juin 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Sismanidis et Sitaridis c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mirjana Lazarova Trajkovska,
présidente,
Ledi Bianku,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 mai 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 66602/09 et 71879/12) dirigées contre la République hellénique et dont deux ressortissants de cet État, MM. Christoforos Theofilos Sismanidis (« le premier requérant ») et Spyridon Sitaridis (« le second requérant ») ont saisi la Cour les 16 novembre 2009 et 2 novembre 2012, respectivement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le premier requérant a été représenté par Me I. Markoulakos, avocat au barreau d’Athènes. Le second requérant a été représenté par Me S. Konstantopoulos, avocat au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les représentantes de son agent, Mmes K. Paraskevopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État, et Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.
3. Les requérants allèguent en particulier des violations des articles 6 § 2 de la Convention et 4 du Protocole no 7.
4. Les 6 novembre 2012 et 22 février 2013, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La requête no 66602/09
1. La procédure pénale
5. Le premier requérant est né en 1962 et réside à Acharnai. Jusqu’en 1989, il résidait dans l’ex-Union des républiques soviétiques socialistes. La même année, il transféra sa résidence principale en Grèce et bénéficia des dispositions fiscales de la législation interne sur les émigrants et rapatriés pour importer une voiture avec exonération du paiement des droits et taxes normalement exigibles. Le 29 janvier 1990, le premier requérant transféra le véhicule à N.T. sur la base d’un contrat de prêt qui conférait à N.T. le droit de vendre la voiture en cause à un tiers ou à lui-même en cas d’omission du requérant de lui rembourser en temps utile l’emprunt.
6. Le 27 décembre 1994, des poursuites pénales furent exercées contre le premier requérant et N.T. du chef de contrebande. Le 4 juillet 1995, le tribunal correctionnel de Corinthe les condamna à une peine de seize mois d’emprisonnement (jugement no 2553/1995).
7. À une date non précisée, le premier requérant et N.T. interjetèrent appel. Le 15 avril 1997, la cour d’appel de Nauplie les acquitta. Elle estima que suite à l’administration des preuves, notamment l’examen des documents soumis devant le tribunal correctionnel et ladite juridiction ainsi que l’examen des témoins, la culpabilité des accusés ne pouvait pas être établie (arrêt no 540/1997). Cet arrêt devint définitif.
2. La procédure administrative
8. Entretemps, le 17 septembre 1996, suite à une enquête des services douaniers sur la nature de la transaction entre le premier requérant et N.T., le directeur des services douaniers considéra que la transaction entre eux était fictive et visait uniquement à contourner la législation fiscale et permettre à N.T. de se soustraire au paiement des taxes dues pour l’achat de la voiture en cause. Le directeur des services douaniers leur imposa le paiement d’une somme de 24 000 000 de drachmes (70 433 euros environ) à titre de taxes de douanes non payées, y compris une majoration (deux fois environ la somme due à titre de taxes de douanes) pour contrebande, aux termes du Code des douanes (acte no 550/94/1996).
9. Le 25 octobre 1996, le premier requérant saisit le tribunal administratif du Pirée contre l’acte no 550/94/1996 du directeur des services douaniers. Le 30 octobre 1998, le tribunal administratif du Pirée fit droit au recours et annula l’acte attaqué. Il considéra, entre autres, que les services douaniers avaient présumé la commission de contrebande par le premier requérant et N.T., puisque leurs conclusions ne se fondaient pas sur des actes ou des omissions concrets des intéressés. Le tribunal administratif prit en compte en ce sens l’arrêt no 540/1997 de la cour d’appel de Nauplie ayant acquitté le premier requérant et N.T. du délit de contrebande (décision no 3476/1998).
10. Le 8 février 1999, l’État interjeta appel. Le 5 février 2003, la cour administrative d’appel du Pirée infirma la décision no 3476/1998 et confirma partiellement, dans le cas du premier requérant, la somme imposée par le directeur des services douaniers à la hauteur de 5 000 000 drachmes (14 674 euros environ). En particulier, la cour administrative d’appel admit que les pièces du dossier établissaient que le premier requérant et N.T. avaient procédé à une transaction fictive dans le but de se soustraire à l’obligation de s’acquitter des taxes de douanes prévues pour l’importation de la voiture en cause. S’agissant de l’arrêt no 540/1997 de la cour d’appel de Nauplie, produit par le premier requérant, la cour administrative d’appel considéra que la juridiction pénale n’avait pas pris en compte des éléments qui démontraient l’intention du premier requérant et de N.T. d’importer la voiture en cause sans s’acquitter des taxes de douanes. La cour administrative d’appel admit aussi que les dépositions des témoins à décharge devant la cour d’appel de Nauplie contredisaient les pièces du dossier et conclut que le premier requérant et N.T. avaient commis le délit de contrebande (arrêt no 208/2003).
11. Le 17 juillet 2003, le premier requérant se pourvut en cassation. Il affirma, entre autres, devant le Conseil d’État que les autorités fiscales lui avaient infligé une peine pour contrebande alors que les juridictions pénales l’avaient déjà irrévocablement acquitté à l’égard du même délit.
12. Le 20 mai 2009, le Conseil d’État rejeta le pourvoi et confirma l’arrêt no 208/2003 de la cour administrative d’appel. La haute juridiction administrative considéra que la procédure administrative relative à l’infliction d’une sanction administrative pour contrebande était autonome par rapport à la procédure pénale sur le même délit. Il admit aussi, à la majorité, que les juridictions administratives n’étaient pas liées par les jugements d’acquittement des juridictions pénales mais devaient simplement les prendre en compte dans l’appréciation des faits du litige, ce qui n’était pas contraire à l’article 4 du Protocole no 7. De surcroît, le Conseil d’État jugea, à la majorité, que la cour administrative d’appel avait suffisamment pris en compte le verdict des juridictions pénales. Il estima, enfin, que ladite juridiction avait justement jugé que des documents importants n’avaient pas été soumis devant la cour d’appel de Nauplie et que la juridiction pénale avait principalement fondé son appréciation sur les témoignages à décharge, ce qui contredisait les autres pièces du dossier. Un juge soutint que si la procédure devant les juridictions pénales avait été achevée par un jugement d’acquittement devenu définitif, le principe ne bis in idem imposait à la juridiction administrative de clôturer la procédure devant elle soit en annulant l’amende administrative imposée soit en confirmant l’arrêt de la juridiction administrative inférieure ayant déjà annulé l’amende en cause (arrêt no 1734/2009).
B. La requête no 71879/12
1. La procédure pénale
13. En 1998, des poursuites pénales pour contrebande furent déclenchées contre le second requérant. En particulier, il fut accusé d’avoir importé en 1993 quatre-vingt-seize motocyclettes du Japon en Grèce et d’avoir déclaré aux douanes une somme inférieure que celle réellement payée pour les acquérir.
14. En vertu de la décision no 6424/1998 du tribunal correctionnel d’Athènes, le second requérant fut acquitté du chef d’accusation précitée d’importation de trente-deux motocyclettes et condamné à quatorze mois d’emprisonnement pour le prix déclaré lors de l’importation des soixante-quatre restantes.
15. Après avoir interjeté appel, le 10 février 1999, la cour d’appel de Thessalonique infirma la décision no 6424/1998. Elle acquitta le second requérant du chef de contrebande après avoir exprimé des doutes quant à sa culpabilité (arrêt no 501/1999). Cet arrêt est devenu définitif.
2. La procédure administrative
16. Entre-temps, le 29 novembre 1996, le directeur des services des douanes de Macédoine centrale et de l’ouest imposa au second requérant une amende fiscale de 8 485 368 drachmes au total (24 902 euros environ) -deux fois environ la somme due à titre de taxes de douanes- pour avoir commis le délit fiscal de contrebande en raison de l’importation des marchandises précitées à un prix inférieur à celui réellement payé pour leur acquisition. Le fisc imposa aussi au second requérant le paiement de taxes de douanes supplémentaires pour la même cause (acte no 56/94/29.11.1996).
17. Le 19 décembre 1996, le second requérant saisit le tribunal administratif de Thessalonique d’un recours visant à l’annulation de l’acte no 56/94/29.11.1996.
18. Le 30 juin 2000, le tribunal administratif de Thessalonique annula partiellement l’acte attaqué (décision no 2608/2000).
19. Les 1er et 16 mars 2001, le second requérant et l’État grec interjetèrent appel de la décision no 2608/2000. Le 8 octobre 2003, la cour administrative d’appel de Thessalonique rejeta l’appel du second requérant, fit droit à celui de l’État grec, réexamina le recours en cause et le rejeta comme infondé. En particulier, la cour administrative d’appel de Thessalonique releva que l’acquittement du second requérant in dubio pro reo en vertu de l’arrêt no 501/1999 était exclusivement fondé sur les dépositions des témoins convoqués. Pour sa part, la cour administrative d’appel considéra comme preuve prépondérante une télécopie (fax) repérée, lors d’une inspection du service des douanes, dans le coffre-fort de l’entreprise du requérant. Ladite juridiction considéra que les tarifs inscrits sur cette télécopie correspondaient aux sommes dont le second requérant s’était en réalité acquitté pour l’achat des marchandises en cause et prouvaient la commission du délit fiscal de contrebande (arrêt no 1907/2003).
20. Le 11 novembre 2004, le second requérant se pourvut en cassation.
21. Le 29 février 2012, le Conseil d’État rejeta son recours. En particulier, après avoir fait référence à l’arrêt de la Cour Vassilios Stavropoulos c. Grèce (no 35522/04, 27 septembre 2007), il considéra entre autres que l’article 6 § 2 de la Convention ne saurait être interprété comme interdisant à la juridiction administrative de parvenir à une position différente de celle précédemment adoptée par la juridiction pénale, en cas d’acquittement de l’intéressé. Selon la haute juridiction administrative, une telle position contredirait les articles 94 et 96 de la Constitution hellénique, déterminant, entre autres, la compétence des juridictions administratives. Se tournant vers les faits du litige, le Conseil d’État confirma l’arrêt attaqué de la cour administrative d’appel. Il considéra qu’elle n’était pas liée par les conclusions des juridictions pénales, mais devait uniquement les prendre en compte dans l’examen du recours introduit par le second requérant (arrêt no 735/2012). Il ressort du dossier que cet arrêt fut mis au net et certifié conforme en mai 2012.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET EUROPÉENS PERTINENTS
22. En ce qui concerne le droit et la pratique internes pertinents ainsi que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne relative au principe ne bis in idem, la Cour renvoie à la partie pertinente de l’arrêt Kapetanios et autres c. Grèce, (nos 3453/12, 42941/12 et 9028/13, §§ 36-47, 30 avril 2015).
23. L’article 473 du Code de procédure pénale prévoit ce qui suit :
« 1. Lorsqu’une loi ne prévoit pas un délai spécifique, le délai d’exercice des voies de recours internes est de dix jours à compter du prononcé du jugement. Si la personne concernée n’est pas présente au prononcé du jugement, le délai susmentionné est également de dix jours, sauf si elle réside à l’étranger ou si son domicile n’est pas connu ; dans ce cas, le délai est de trente jours et court à compter de la notification du jugement (...).
2. Le pourvoi en cassation contre une décision portant condamnation peut être formé par la personne condamnée (...) dans un délai de vingt jours qui débute selon le paragraphe 1 (...).
3. Le délai de pourvoi en cassation court à partir de la transcription de la décision définitive, mise au net, au registre spécial tenu au greffe de la juridiction pénale. La décision doit être mise au net dans un délai de quinze jours, sans quoi le président de la juridiction pénale encourt des sanctions disciplinaires. »
24. La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose:
« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive. (...) »
EN DROIT
I. JONCTION DES REQUÊTES
25. Compte tenu de la similitude des présentes requêtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles posent, la Cour décide de les joindre et de les examiner conjointement dans un seul arrêt.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 4 DU PROTOCOLE No 7 ET 6 § 2 DE LA CONVENTION
26. Dans les deux requêtes, les requérants se plaignent, le premier de manière explicite et le second en substance, qu’en n’ayant pas de fait pris en compte leurs acquittements par les juridictions pénales, les juridictions administratives ont enfreint le principe ne bis in idem. Ils se plaignent aussi d’une violation de la présomption d’innocence. Ils invoquent les articles 4 du Protocole no 7 ainsi que 6 § 2 de la Convention, dispositions qui se lisent comme suit :
Article 4 du Protocole no 7
« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.
2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.
3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »
Article 6 § 2
« (...)
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
(...) »
A. Sur la violation alléguée de l’article 4 du Protocole no 7
1. Sur la recevabilité
a) Les thèses des parties
27. En ce qui concerne la deuxième requête, le Gouvernement fait référence à une note soumise par le Conseil d’État dans le cadre de la présente affaire auprès du Conseil juridique de l’État. Dans cette note, la haute juridiction administrative affirme que l’argument du second requérant afférent à son acquittement préalable par les juridictions pénales est irrecevable car il n’a pas été suffisamment examiné par les juridictions internes.
28. D’une manière générale, le Gouvernement pointe l’autonomie de la procédure administrative par rapport au procès pénal pour infraction de contrebande et affirme que le but de la première n’est pas la répression pénale de cette infraction. En revanche, l’imposition d’une amende administrative vise, selon le droit grec, à garantir l’encaissement par l’État des sommes dues à titre de droits de douane et à avoir un effet dissuasif sur le délit de contrebande. Il conclut que la procédure devant les juridictions administratives ne portait pas sur une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention.
29. Les requérants se réfèrent à la jurisprudence pertinente de la Cour sur la notion « accusation en matière pénale » et affirment que l’article 4 du Protocole no 7 était applicable en l’espèce du fait que les procédures devant les juridictions administratives étaient de nature pénale.
b) L’appréciation de la Cour
30. S’agissant tout d’abord de l’objection du Gouvernement implicitement tirée du non-épuisement des voies de recours internes, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière quant à l’application de cette règle (voir notamment Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-69, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, et Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, §§ 69-77, 25 mars 2014). En l’espèce, la Cour constate que, comme il ressort de l’arrêt no 735/2012 du Conseil d’État, la haute juridiction administrative ne s’est pas directement penchée sur le respect du principe ne bis in idem lors de la procédure administrative. Certes, elle s’est prononcée sur la question de savoir si elle était liée par l’arrêt d’acquittement no 501/1999 de la cour d’appel de Thessalonique mais uniquement quant au grief explicitement soulevé devant elle par le second requérant sur la violation de l’article 6 § 2 de la Convention. Partant, le requérant dans la deuxième requête n’a pas soulevé, même en substance, devant les juridictions compétentes le grief tiré de l’article 4 du Protocole no 7 dont il se plaint en l’espèce. Au vu de ce qui précède, ledit grief, pour autant que la deuxième requête est concernée, doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention (Roberts c. Royaume-Uni (déc.), no 59703/13, 5 janvier 2016 ; Peacock c. Royaume-Uni (déc.), no 52335/12, 5 janvier 2016).
31. Quant à l’exception du Gouvernement relative à l’existence d’une « accusation en matière pénale » devant les juridictions administratives, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il faut, afin de déterminer l’existence d’une telle accusation avoir égard à trois critères : la qualification juridique de la mesure litigieuse en droit national, la nature même de celle-ci, et la nature et le degré de sévérité de la « sanction » (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82, série A no 22). Ces critères sont par ailleurs alternatifs et non cumulatifs : pour déterminer l’existence d’une « accusation en matière pénale », il suffit que l’infraction en cause soit, par nature, « pénale » au regard de la Convention, ou ait exposé l’intéressé à une sanction qui, par sa nature et son degré de gravité, ressortit en général à la « matière pénale ». Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une « accusation en matière pénale » (Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, §§ 30 et 31, CEDH 2006-XIII, et Zaicevs c. Lettonie, no 65022/01, § 31, CEDH 2007-IX (extraits)).
32. En outre, la Cour note que dans l’affaire Mamidakis c. Grèce (no 35533/04, arrêt du 11 janvier 2007) qui portait sur l’imposition au requérant d’une amende administrative pour infraction du Code des douanes lors d’une vente de produits pétroliers, elle a admis comme établie l’existence d’une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention. En particulier, la Cour a considéré ce qui suit :
« (...) l’amende infligée au requérant était prévue par le Code des douanes et n’était pas qualifiée, en droit interne, de sanction pénale. Toutefois, eu égard à la nature grave de l’infraction de contrebande, au caractère dissuasif et répressif de la sanction infligée, ainsi qu’au montant très élevé de l’amende, la Cour considère que les enjeux pour le requérant étaient en l’espèce suffisamment importants pour justifier que le volet pénal de l’article 6 soit applicable en l’espèce. » (Mamidakis, précité, § 21)
33. La Cour constate que, à l’instar de la présente affaire, l’arrêt Mamidakis avait trait à l’application des dispositions du Code des douanes prévoyant l’imposition d’amendes pouvant aller du double au décuple des taxes frappant l’objet de l’infraction administrative (voir Mamidakis, précité, § 7). La Cour ne décèle donc aucune raison pour s’éloigner de ses conclusions précitées dans l’arrêt Mamidakis, à savoir que la sanction administrative en cause ressortait de la matière pénale.
34. La Cour estime utile sur ce point de noter que l’amende en cause imposée au premier requérant correspondait au double des taxes et droits de douane dues et s’élevait à l’équivalent de plusieurs milliers d’euros. Partant, l’amende était, par son montant, d’une sévérité indéniable, entraînant pour le premier requérant des conséquences patrimoniales importantes. Au demeurant, la Cour rappelle que la coloration pénale d’une instance est subordonnée au degré de gravité de la sanction dont est a priori passible la personne concernée (Engel et autres, précité, § 82), et non à la gravité de la sanction finalement infligée (Dubus S.A. c. France, no 5242/04, § 37, 11 juin 2009). En l’occurrence, la disposition pertinente du Code des douanes prévoyait que l’amende imposée pouvait atteindre le décuple de la somme faisant l’objet de la taxe fiscale ou douanière due. Si tel avait été le cas en l’espèce, il est évident que les répercussions sur la situation patrimoniale du premier requérant auraient été encore plus graves (voir Kapetanios et autres, précité, § 55).
35. À la lumière de ce qui précède et compte tenu du montant élevé de l’amende infligée et de celle que le premier requérant encourait, la Cour estime que la sanction en cause relève, par sa sévérité et son caractère dissuasif, de la matière pénale (voir, Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, § 99, 4 mars 2014, et, a contrario, Inocêncio c. Portugal (déc.), no 43862/98, CEDH 2001-I). Il convient donc de rejeter l’exception du Gouvernement sur ce point en ce qui concerne la première requête.
36. Par ailleurs, la Cour constate que le grief tiré du principe ne bis in idem et concernant la première requête n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
a) Les thèses des parties
37. Le premier requérant relève que le principe ne bis in idem a été clairement enfreint en l’espèce. En faisant référence notamment à l’arrêt Sergueï Zolotoukhine c. Russie [GC] (no 14939/03, CEDH 2009), il affirme en ce sens qu’il a été « condamné » par les juridictions administratives pour l’infraction prévue par le Code des douanes, malgré son acquittement préalable par les juridictions pénales se rapportant à des faits et qualification identiques. Il ajoute que bien que le jugement d’acquittement ait été produit devant les juridictions administratives, celles-ci l’ont ignoré en le condamnant de fait une seconde fois pour exactement les mêmes faits litigieux.
38. Le Gouvernement allègue principalement que s’agissant de la contrebande, les questions relatives à l’existence d’une procédure administrative qui se déroule en parallèle de la procédure pénale ne doivent pas être dissociées de l’intérêt servi par chaque procédure distincte. Selon lui, en droit grec, la procédure pénale vise à l’examen de la responsabilité pénale de l’auteur présumé de la contrebande, tandis que la procédure administrative n’assure que le paiement des impôts, taxes ou droits de douane dus. En faisant référence à la jurisprudence de la Cour et, en particulier, à l’arrêt Segame SA c. France (no 4837/06, CEDH 2012 (extraits)), le Gouvernement met l’accent sur le caractère particulier du contentieux fiscal impliquant une exigence d’efficacité nécessaire pour préserver les intérêts de l’État.
39. Le Gouvernement fait aussi référence à l’arrêt no 2067/2011 du Conseil d’État ayant, entre autres, admis que l’application du principe ne bis in idem, selon l’article 4 du Protocole no 7, contredirait l’autonomie de la procédure administrative par rapport au procès pénal, ce qui est prévu par les articles 94 § 1 et 96 § 1 de la Constitution. Ledit arrêt a aussi considéré que l’État grec n’aurait pas pu envisager qu’en raison de la jurisprudence évolutive de la Cour sur l’article 4 du Protocole no 7, s’engageait à respecter des obligations internationales contraires à ses traditions juridiques bien ancrées et à la Constitution elle-même. Tout en soulignant qu’il revient aux États de choisir les moyens les plus efficaces pour la répression de la contrebande au sein de leurs ordres internes, le Gouvernement estime que la question de savoir si la peine encourue en cas de contrebande sera imposée par une ou deux juridictions distinctes est artificielle, puisque la juridiction pénale impose une peine privative de liberté tandis que, pour sa part, la juridiction administrative peut réduire l’amende imposée par l’autorité douanière. Il conclut que la procédure administrative dans le cas de la contrebande ne contredit pas l’article 4 du Protocole no 7, du moment qu’elle permet d’examiner la responsabilité administrative de l’auteur de l’infraction.
b) L’appréciation de la Cour
i. Principes généraux
40. La Cour renvoie à cet égard aux paragraphes 62-64 de l’arrêt Kapetanios et autres (précité).
ii. Application en l’espèce des principes susmentionnés
41. La Cour note, en premier lieu, qu’elle vient de conclure qu’il y avait bien lieu de considérer que la procédure engagée par le premier requérant devant les juridictions administratives portait sur une « accusation en matière pénale » contre lui (paragraphe 35 ci-dessus).
42. En deuxième lieu, la Cour observe que le premier requérant a été acquitté au pénal le 15 avril 1997 par l’arrêt no 540/1997 de la cour d’appel de Nauplie. Étant donné que, comme il ressort du dossier, aucun recours n’a été exercé contre cet arrêt, celui-ci est devenu définitif conformément à l’article 473 du Code de procédure pénale en 1997 et passé donc en force de chose jugée (voir paragraphe 23 ci-dessus). La Cour note aussi à cet égard que le Gouvernement ne conteste pas le fait que l’arrêt no 540/1997 était devenu irrévocable au cours de la procédure administrative qui s’est ensuivie.
43. Sur ce point, la Cour constate que l’acquittement du premier requérant au pénal a eu lieu plusieurs années avant l’examen de l’affaire en cause par le Conseil d’État et la confirmation par celui-ci de l’amende administrative imposée. Même si au départ de la procédure administrative on aurait pu y voir un lien temporaire entre les deux procédures, compte tenu de la tournure ultérieure de cette procédure, on ne saurait raisonnablement considérer en l’espèce que des procédures entretenant un lien substantiel entre elles ont été conduites contre le premier requérant par des autorités appartenant à différents ordres juridictionnels (voir en ce sens Glantz c. Finlande, no 37394/11, § 60, 20 mai 2014 ; Häkkä c. Finlande, no 758/11, § 49, 20 mai 2014, et Nykänen c. Finlande, no 11828/11, § 50, 20 mai 2014).
44. Il reste à déterminer si ces nouvelles poursuites avaient pour origine des faits qui étaient en substance les mêmes que ceux ayant fait l’objet de l’acquittement définitif. À cet égard, la Cour note que, comme il ressort des éléments du dossier, en ce qui concerne la première requête, l’objet des deux « procédures pénales » a été l’importation d’une voiture par le premier requérant avec exonération du paiement des droits et taxes exigibles selon la législation. Par conséquent, les faits reprochés au premier requérant devant les tribunaux pénaux et les juridictions administratives se référaient exactement à la même conduite ayant eu lieu pendant la même période de temps. Cet élément n’est d’ailleurs pas contesté par le Gouvernement dans ses observations.
45. Au vu de ce qui précède, la Cour considère qu’à partir du moment où le jugement d’acquittement dans la procédure pénale initiale a obtenu l’autorité de la chose jugée en 1997, le premier requérant devait être considéré comme ayant été « déjà acquitté par un jugement définitif » au sens de l’article 4 du Protocole no 7. En dépit de cela, la nouvelle « procédure pénale » qui a été ouverte à son encontre n’a pas été arrêtée après que les juridictions saisies en aient eu connaissance. Au contraire, elle a continué et abouti, plusieurs années après la clôture de la procédure pénale, au prononcé de l’arrêt no 1734/2009 du Conseil d’État en dernière instance.
46. Au vu de ce qui précède, et en se référant aussi à ses considérations supplémentaires dans l’arrêt Kapetanios et autres (précité, §§ 69-73), la Cour estime que la procédure administrative en cause concernait une seconde « infraction » ayant pour origine des faits identiques à ceux ayant fait l’objet de l’acquittement initial devenu irrévocable.
47. Ce constat suffit pour conclure à la violation de l’article 4 du Protocole no 7 quant au requérant dans la première requête.
B. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 2
1. Sur la recevabilité
a) Les thèses des parties
48. En ce qui concerne la première requête, le Gouvernement excipe l’irrecevabilité du grief tiré de l’article 6 § 2 de la Convention, faute pour le premier requérant de l’avoir soulevé, ne serait-ce qu’en substance, devant les juridictions internes. Au demeurant, en ce qui concerne les deux requêtes, le Gouvernement réitère son argument selon lequel la procédure devant les juridictions administratives ne concernait pas une accusation en matière pénale, au sens de l’article 6 de la Convention.
49. Le requérant dans la première requête rétorque sur l’objection d’absence d’épuisement des voies de recours internes qu’il a porté en substance son allégation fondée sur la présomption d’innocence devant la cour administrative d’appel et le Conseil d’État, en leur soumettant l’arrêt d’acquittement no 540/1997 de la cour d’appel de Nauplie. En outre, les deux requérants affirment qu’ils étaient « accusés d’une infraction » devant les juridictions administratives et, partant, le principe de la présomption d’innocence entrait automatiquement en jeu en l’espèce.
b) L’appréciation de la Cour
50. S’agissant de l’objection de non-épuisement des voies de recours internes dans le cas du premier requérant, la Cour note que, comme il ressort du dossier, ce grief n’a pas été invoqué devant le Conseil d’État. Il est vrai que, comme le soulève le premier requérant, l’arrêt no 540/1997 a été soumis auprès des juridictions administratives et invoqué, en dernière instance, devant le Conseil d’État. Néanmoins, ce fait ne pourrait pas dispenser l’intéressé de son obligation d’invoquer, ne serait-ce qu’en substance, devant les juridictions administratives l’atteinte alléguée à l’article 6 § 2 de la Convention. Il s’ensuit que le présent grief, pour autant que la première requête est concernée, doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
51. S’agissant de la deuxième exception soulevée par le Gouvernement, la Cour rappelle que comme l’indique expressément son libellé même, l’article 6 § 2 s’applique lorsqu’une personne est « accusée d’une infraction ». La Cour renvoie à son analyse ci-dessus sur les critères employés pour déterminer si la procédure litigieuse portait sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale, au sens de la jurisprudence de la Cour (voir paragraphe 31 ci-dessus).
52. En l’occurrence, la Cour a déjà considéré, dans le cadre de l’examen du grief tiré de l’article 4 du Protocole no 7, que la procédure administrative consécutive à la clôture de la procédure pénale engagée contre le premier requérant a donné lieu à une nouvelle accusation en matière pénale. Faisant référence à son analyse précédente (voir paragraphes 32-35 ci-dessus) et constatant que dans le cas du second requérant l’amende administrative en cause correspondait au double des taxes et droits de douane dues, la Cour conclut que l’article 6 § 2 trouve à s’appliquer dans la procédure administrative relative à la deuxième requête. Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable en ce qui concerne la deuxième requête.
2. Sur le fond
a) Les thèses des parties
53. Le second requérant soutient que les décisions des juridictions administratives ayant confirmé l’amende administrative imposée en raison des infractions du Code des douanes en cause ont directement enfreint le principe de la présomption d’innocence découlant de l’arrêt no 501/1999 de la cour d’appel de Thessalonique.
54. Le Gouvernement allègue notamment que l’article 6 § 2 n’interdit pas la sanction de la même conduite sur la base de deux procédures judiciaires, une pénale et une administrative. En se référant notamment à la jurisprudence de la Cour relative au chevauchement d’une procédure pénale et d’une procédure disciplinaire dans le cadre de l’article 6 § 2 (Vanjak c. Croatie, no 29889/04, 14 janvier 2010 ; Hrdalo c. Croatie, no 23272/07, 27 septembre 2011), il soutient que l’élément prépondérant dans ces cas pouvant enfreindre le principe de la présomption d’innocence c’est le choix des termes employés par les autorités compétentes.
b) L’appréciation de la Cour
i. Principes généraux
55. La Cour renvoie à cet égard aux paragraphes 82-85 de l’arrêt Kapetanios et autres (précité).
ii. Application en l’espèce des principes susmentionnés
56. La Cour note d’emblée qu’en ce qui concerne la nature de la procédure administrative en cause et le contexte dans lequel les décisions des juridictions administratives ont été adoptées, ceux-ci se rapportaient à la matière pénale (voir paragraphe 52 ci-dessus). En d’autres termes, à travers la procédure consécutive à l’acquittement du second requérant par l’arrêt no 501/1999 de la cour d’appel de Thessalonique, les juridictions administratives ont examiné, au sens de la Convention, le « bien-fondé » d’une accusation en matière pénale ; dans les deux séries de procédures, pénale et administrative, les sanctions prévues présentaient un caractère punitif. De surcroît, comme il ressort du dossier, les faits imputés au second requérant étaient identiques et les éléments constitutifs des infractions en cause étaient les mêmes.
57. La présente affaire se distingue ainsi clairement des affaires déjà examinées par la Cour où l’autorité administrative investie d’un pouvoir disciplinaire avait sanctionné des faits reprochés à un agent public suite à son acquittement au pénal (voir Moullet c. France (no 2) (déc.), no 27521/04, CEDH 2007-X). Dans ces cas, la procédure disciplinaire présentait une certaine autonomie par rapport à la procédure pénale notamment dans les conditions de sa mise en œuvre et son objectif non répressif (voir, en ce sens, Vagenas c. Grèce (déc.), no 53372/07, 23 août 2011). En raison de cette autonomie, l’imposition d’une sanction administrative à l’agent concerné n’avait pas été considérée comme méconnaissant elle-même le principe de la présomption d’innocence, dans la mesure où la décision de la juridiction administrative ne renfermait pas une déclaration imputant une responsabilité pénale au requérant (voir Vanjak, précité, §§ 69-72; Hrdalo, précité, §§ 54-55).
58. En l’occurrence, les juridictions administratives du fond ont considéré, après avoir procédé à une appréciation des éléments du dossier différente de celle de la cour d’appel de Thessalonique, que le second requérant avait commis la même infraction de contrebande pour laquelle il avait précédemment été acquitté par la juridiction pénale précitée. Ces considérations ont par la suite été confirmées, en dernière instance, par le Conseil d’État dans son arrêt no 735/2012. Étant donné l’identité de la nature des deux séries de procédures en cause, des faits litigieux et des éléments constitutifs des infractions concernées, la Cour considère que la conclusion précitée des juridictions administratives a méconnu le principe de la présomption d’innocence du second requérant déjà établi par l’arrêt d’acquittement de la cour d’appel de Thessalonique (voir Kapetanios et autres, précité, § 88). Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention quant au requérant dans la deuxième requête.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ΕΝ CE QUI CONCERNE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
59. Dans la deuxième requête, le requérant se plaint que la durée de la procédure devant les juridictions administratives a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention. Les parties pertinentes de cette disposition sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
A. Sur la recevabilité
1. En ce qui concerne la procédure devant le Conseil d’État
60. La Cour note que la procédure devant le Conseil d’État s’est terminée le 29 février 2012 avec l’arrêt no 735/2012. Dès lors, ladite procédure entrait dans le champ d’application de la loi no 4055/2012 sur la satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable d’une procédure devant les juridictions administratives (voir paragraphe 24 ci-dessus).
61. Il s’ensuit que le second requérant pouvait exercer le recours prévu par ladite loi pour se plaindre de la durée de la procédure en cause (voir Techniki Olympiaki c. Grèce (déc.), no 40547/10, §§ 64-67, 1er octobre 2013). Il convient donc de rejeter cette partie du grief pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2. En ce qui concerne le restant de la procédure
62. La Cour constate que le recours indemnitaire introduit en 2012 ne couvrait en l’espèce que la procédure devant le Conseil d’État du fait de son application limitée à un seul degré de juridiction et du délai de six mois de la publication qui y est attaché (voir paragraphe 24 ci-dessus). Partant, le grief relatif au restant de la procédure, c’est-à-dire celle devant le tribunal administratif et la cour d’appel de Thessalonique, ne saurait pour sa part être rejeté pour non-épuisement. En outre, la partie du grief concernant la procédure devant lesdites juridictions, qui a commencé à la fin de 1996 et s’est terminée en octobre 2003, n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Période à prendre en considération
63. La période à considérer a débuté le 19 décembre 1996, avec la saisine du tribunal administratif de première instance de Thessalonique et s’est terminée le 8 octobre 2003, date à laquelle l’arrêt no 1907/2003 de la cour administrative d’appel de Thessalonique a été publié. Elle a donc duré six ans et dix mois environ pour deux instances.
2. Durée raisonnable de la procédure
64. Le second requérant estime que la durée de la procédure a été excessive. Le Gouvernement le conteste.
65. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, 21 décembre 2010).
66. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Vassilios Athanasiou, précité).
67. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle prend notamment en compte que la procédure devant le tribunal administratif de Thessalonique s’est étalée sur une période de trois ans et demi environ. Elle note que l’affaire ne présentait aucune complexité particulière. Qui plus est, il n’y a pas d’élément de nature à mettre en cause la responsabilité du second requérant dans l’allongement de la procédure devant le tribunal administratif. La durée de six ans et dix mois environ pour deux degrés de juridiction a donc été excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
68. Partant, en ce qui concerne la deuxième requête, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
69. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
70. Le premier requérant réclame l’annulation de l’arrêt no 1734/2009 du Conseil d’État et le versement de 30 000 euros (EUR) à titre de dommage moral. Le second requérant sollicite le versement de 38 969,27 EUR au titre du dommage matériel subi ainsi que 100 000 EUR pour dommage moral.
71. Le Gouvernement soutient que ces sommes sont excessives et non justifiées par les circonstances de la cause. Il affirme qu’il n’existe pas de lien de causalité entre les sommes réclamées et les violations de la Convention alléguées. De l’avis du Gouvernement, le constat de violation de la Convention constituerait lui-même une satisfaction équitable en l’espèce au sens de l’article 41 de la Convention.
72. À l’instar du Gouvernement, la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la somme demandée par le second requérant à titre de dommage matériel et les violations constatées de la Convention. En revanche, elle estime que les requérants doivent percevoir une indemnité pour le dommage moral subi, eu égard à la souffrance ressentie en raison des violations de la Convention en cause. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au premier requérant 3 500 EUR et au second requérant 4 500 EUR au titre du dommage moral subi.
73. Enfin, quant au souhait du premier requérant que l’arrêt no 1734/2009 du Conseil d’État soit annulé, la Cour rappelle qu’un constat de violation dans ses arrêts est essentiellement déclaratoire et que, par l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution (Sampani et autres c. Grèce, no 59608/09, § 124, 11 décembre 2012). Elle note aussi que l’État défendeur reste libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Scozzari et Giunta c. Italie [GC] no 39221/98 et 41963/98, ECHR 2000-VIII ; Zafranas c. Grèce, no 4056/08, § 50, 4 octobre 2011). Au vu de ce qui précède, la Cour n’est pas compétente pour ordonner l’annulation de l’arrêt no 1734/2009 du Conseil d’État.
B. Frais et dépens
74. Le second requérant demande 1 230 EUR, facture à l’appui, pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
75. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
76. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 130, 23 février 2012). Compte tenu du document en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour considère qu’il y a lieu d’accorder au second requérant la somme sollicitée.
C. Intérêts moratoires
77. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare la requête no 66602/09 recevable quant au grief tiré de l’article 4 du Protocole no 7, et irrecevable pour le surplus ;
3. Déclare la requête no 71879/12 recevable quant aux griefs tirés des articles 6 § 1, en ce qui concerne la durée de la procédure devant le tribunal administratif et la cour d’appel de Thessalonique, et 6 § 2 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
4. Dit, en ce qui concerne la requête no 66602/09, qu’il y a eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 de la Convention ;
5. Dit, en ce qui concerne la requête no 71879/12, qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention ;
6. Dit
a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i) 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) au premier requérant et 4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros) au second requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 1 230 EUR (mille deux cent trente euros) au second requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par lui, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Abel Campos Mirjana Lazarova Trajkovska
Greffier Présidente