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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> F.E. v. GREECE - 31614/11 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section Committee)) French Text [2016] ECHR 566 (23 June 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/566.html Cite as: [2016] ECHR 566 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE F.E. c. GRÈCE
(Requête no 31614/11)
ARRÊT
STRASBOURG
23 juin 2016
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire F.E. c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Ledi Bianku, président,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section f.f.,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 mai 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31614/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant iranien, M. F.E. (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 avril 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).
2. Le requérant a été représenté par Mes I.-M. Tzeferakou et N. Strahini, avocates au barreau d’Athènes et de Chios respectivement. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme K. Karavasili, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.
3. Le requérant allègue en particulier une violation des articles 3, 5 et 13 de la Convention.
4. Le 3 juin 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1980.
A. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant
6. Le 2 août 2010, le requérant arriva en Grèce. Il fut arrêté par les autorités et transféré dans les locaux du poste frontière de Soufli. Le requérant soutient qu’il demanda l’asile, mais que les autorités n’enregistrèrent pas sa demande.
7. Le requérant fut présenté devant le procureur près le tribunal correctionnel d’Alexandroupoli. Le 4 août 2010, ce dernier décida de ne pas exercer de poursuites pénales afin de renvoyer le requérant vers son pays d’origine. Toutefois, ce renvoi ne fut pas effectué.
8. Le 5 août 2010, le directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli décida de placer le requérant en détention provisoire jusqu’à ce qu’une décision concernant son expulsion soit prise, dans un délai de trois jours (décision no 9760/20-3224/2-α’).
9. Par une décision du 8 août 2010, le directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli ordonna l’expulsion du requérant pour infraction à l’article 83 de la loi no 3386/2005. Il ordonna aussi son maintien en détention pour une période ne pouvant pas dépasser six mois, au motif qu’il risquait de fuir. La décision précisait que le requérant avait été informé, dans une langue qu’il comprenait bien (l’anglais), de ses droits et des raisons de sa détention. Enfin, elle prévoyait que l’expulsion pouvait être suspendue au cas où le requérant introduirait un recours (décision 9760/20-3224/2-β’).
10. Le 12 août 2010, le requérant fut transféré au centre de rétention de Venna.
11. Le même jour, le Directeur du Conseil grec pour les réfugiés envoya un fax adressé, entre autres, au ministère de la Protection du citoyen et à la Direction de police d’Alexandroupoli. Il réitérait le souhait du requérant que sa demande d’asile soit enregistrée, précisait que les conditions de détention étaient contraires à l’article 3 de la Convention et demandait l’amélioration de ces conditions et la libération du requérant.
12. À une date non précisée, le requérant fut transféré au poste frontière de Kipoi afin d’être expulsé vers la Turquie mais son expulsion fut finalement reportée.
13. À une date non précisée, le requérant réitéra sa demande d’asile auprès des autorités grecques.
14. Le 23 août 2010, le Conseil grec pour les réfugiés demanda de nouveau par fax à la Direction de police de Rodopi d’enregistrer la demande d’asile du requérant.
15. Le 25 août 2010, le requérant fut transféré dans les locaux du poste frontière de Soufli. Le même jour, le Conseil grec pour les réfugiés envoya un fax à la Direction de police d’Alexandroupoli, réitérant que le requérant leur avait exprimé à plusieurs reprises le souhait de déposer une demande d’asile et que celle-ci n’avait pas encore été enregistrée.
16. Le 26 août 2010, le requérant déposa par écrit une nouvelle demande d’asile que les autorités enregistrèrent. Le même jour, il demanda au ministère de la Solidarité sociale de lui trouver une structure d’accueil conformément au décret présidentiel no 220/2007.
17. Le 30 août 2010, le requérant formula des objections contre sa détention devant le tribunal administratif d’Alexandroupoli. Il demandait l’examen de la légalité de celle-ci, eu égard à la demande d’asile et aux conditions de détention insupportables.
18. Le 3 septembre 2010, la présidente du tribunal administratif d’Alexandroupoli considéra que la détention était légale et rejeta les objections. Elle admit, notamment, que l’introduction d’une demande d’asile de la part du requérant ne rendait pas automatiquement illégale la continuation de la détention en vue de son expulsion. Elle releva que sa détention était imposée pour des raisons d’intérêt public, notamment la lutte contre l’immigration illégale. Elle affirma qu’il ne ressortait pas du dossier que le requérant avait été empêché d’introduire sa demande d’asile. Enfin, elle considéra que le requérant n’avait pas démontré, avec des allégations « suffisamment sérieuses », que les autorités avaient refusé de traiter le problème des conditions de détention et souligna que la pratique administrative révélait une « volonté d’améliorer les conditions de détention dans les lieux de détention » (décision no P80/2010).
19. Le 6 octobre 2010, le requérant présenta de nouvelles objections contre sa détention devant le président du tribunal administratif. Il releva notamment qu’il pouvait être hébergé à Athènes par son compatriote M.H., que son expulsion ne pouvait pas être effectuée du fait que sa demande d’asile était toujours pendante et que ses conditions de détention se dégradaient. Il décrivit à cet effet le surpeuplement, le manque d’hygiène et d’accès à la lumière naturelle et produisit, entre autres, une lettre du représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés qui faisait état des constats d’une visite au poste frontière de Soufli, effectuée du 29 septembre au 1er octobre 2010.
20. Le 8 octobre 2010, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli examina les nouvelles objections et y fit droit. Il fit notamment référence à la demande d’asile soumise par le requérant, qui était pendante, et au fait que celui-ci n’était pas détenu dans des « locaux appropriés » (σε χώρο κατάλληλο) pour une détention s’étalant sur une période de six mois (décision no P106/2010).
21. Le même jour, la détention du requérant fut levée en vertu de la décision 9760/20-3224/2-ε’ du directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli. Selon cette décision, le requérant devait quitter le territoire grec dans un délai de trente jours.
22. Le 19 octobre 2010, le requérant eut un entretien en vue de l’obtention de l’asile devant la Commission consultative pour les réfugiés siégeant à Alexandroupoli.
23. Le 2 novembre 2010, la demande d’asile du requérant fut rejetée.
24. Le 22 novembre 2010 fut publié le décret 114/2010 relatif au statut du réfugié. Ce décret réintroduisit le droit des demandeurs d’asile de solliciter le réexamen de leur demande par l’administration (une commission composée d’un représentant du ministère de l’Intérieur ou du ministère de la Justice, d’un représentant du HCR et d’un juriste expert en droits de l’homme ou en droit des réfugiés). En vertu de l’article 32 du décret, le requérant disposait d’un délai de trois mois pour solliciter ce réexamen.
25. À une date non précisée, le requérant fut arrêté par la police de Thessalonique et mis en détention en vue de son expulsion.
26. Le 19 janvier 2011, la décision rejetant sa demande d’asile lui fut notifiée. Le même jour, il fut libéré.
27. Le 16 février 2011, le requérant introduisit un recours contre la décision rejetant sa demande d’asile.
28. Le 12 septembre 2014, le requérant se présenta devant la Département d’asile de la Direction des étrangers de l’Attique et exprima son souhait de retirer sa demande d’asile.
29. À une date non précisée, le requérant quitta la Grèce et s’installa en Turquie, où, selon ses dires, il demanda la protection internationale.
30. Le 25 mai 2015, le directeur de la Direction de la police d’Orestiada décida de classer la demande d’asile du requérant, au motif que l’intéressé avait exprimé le souhait de la retirer (décision no 5401/1-A/3610-β).
B. Les conditions de détention du requérant
1. La version du requérant
31. Le requérant fut détenu dans les locaux du poste frontière de Soufli et du centre de rétention de Venna. En particulier, lors de son arrestation, il fut détenu au poste frontière de Soufli et, ensuite, transféré au centre de rétention de Venna ; une semaine après, il fut renvoyé à Soufli. Il souligne que les conditions de détention dans ces endroits rendaient impossible même une détention de courte durée. Il prétend que pendant sa détention, il ne sortit jamais des bâtiments et ne vit jamais le ciel, ce qui eut une influence néfaste sur sa santé physique et psychologique.
32. La plupart du temps, le poste frontière de Soufli accueillait entre 100-150 hommes, femmes et enfants dans un espace d’une capacité de 25 personnes. Certains détenus, dont lui-même, étaient obligés de dormir à même le sol, à proximité des eaux sales des toilettes, ou même assis. L’accès au téléphone était très limité et il fallait se procurer une télécarte, ce qui dépendait de la volonté des gardiens. Dans les espaces de détention, il n’y avait ni chaises, ni tables. Le requérant n’eut aucun produit de toilette ou d’hygiène. Les quelques couvertures étaient sales, l’eau n’était pas potable (les détenus devaient acheter des bouteilles d’eau minérale) et la nourriture était de mauvaise qualité.
33. Enfin, aucun interprète n’était présent et les détenus, comme le requérant, n’étaient pas informés des raisons et de la durée de leur détention. Aucune information n’était donnée concernant les droits des détenus et la procédure d’asile.
2. La version du Gouvernement
34. Le Gouvernement décrit les centres de rétention dans lesquelles le requérant a séjourné comme suit.
35. À l’époque des faits, le centre de rétention de Soufli était d’une capacité de 25 personnes. La nourriture des détenus était excellente et était fournie trois fois par jour par la préfecture d’Evros. Le nettoyage des espaces de détention était effectué quotidiennement par une société privée. Chaque dortoir disposait d’un système de chauffage qui fonctionnait en permanence pendant l’hiver. Les détenus recevaient régulièrement des produits d’hygiène personnelle distribués soit par les autorités des postes-frontières, soit par l’organisation « Médecins sans frontières ». Des soins médicaux et des médicaments étaient dispensés par des médecins de l’administration sanitaire de la région. Pour les cas qui ne pouvaient être traités sur place, les détenus étaient transférés dans les centres de santé régionaux ou à l’hôpital universitaire d’Alexandroupoli. Un téléphone public à cartes fonctionnait au sein du poste-frontière de Soufli et la communication des détenus avec les avocats s’effectuait sans entraves. Des organisations non gouvernementales se rendaient régulièrement au poste-frontière de Soufli pour informer les détenus de leurs droits.
36. Le centre de rétention de Venna, d’une capacité de 220 personnes, en accueillait 150 à l’époque du séjour du requérant dans ce centre (du 12 au 25 août 2010). Les dortoirs étaient chauffés pendant l’hiver et suffisamment aérés et éclairés. Dans chaque dortoir, il y avait une toilette séparée et une douche avec de l’eau chaude. La préfecture fournissait des produits d’hygiène aux détenus. Les locaux étaient régulièrement désinfectés, désinsectisés et repeints. Chaque détenu disposait d’un lit, d’un matelas, d’un oreiller, de deux draps et de deux ou trois couvertures. Des vêtements étaient donnés aux détenus qui n’en avaient pas suffisamment.
37. Le centre employait un médecin et une infirmière. Des mesures étaient prises pour faire face aux urgences médicales.
38. L’alimentation des détenus était assurée par divers restaurants avec lesquels les autorités avaient conclu des contrats. Les restaurants fournissaient des repas pour un montant de 5,87 euros par jour et pour chaque détenu. Les repas ne contenaient pas d’aliments interdits par la religion des détenus.
39. Une promenade avait lieu quotidiennement en fonction du nombre de détenus et de la saison. Il était possible de faire sortir en une journée les détenus de deux ou trois dortoirs.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
40. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013) et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013).
III. LES RAPPORTS DES INSTANCES INTERNATIONALES
A. Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)
1. Dans le rapport du 17 novembre 2010, établi suite à la visite du 17 au 29 septembre 2009
41. Les locaux du centre de rétention de Venna avaient une capacité officielle de 222 personnes et, au moment de la visite, accueillaient 201 détenus de sexe masculin dans cinq grands dortoirs. Le centre était dans le même état que celui observé en 2007 : mal éclairé, sale et mal entretenu, avec des vitres cassées. Le 8 août 2009, le syndicat de la police locale a envoyé une lettre aux autorités régionales de Rodopi sollicitant des mesures urgentes afin d’améliorer les conditions matérielles et d’hygiène, y compris le nettoyage régulier des dortoirs et l’installation d’une aire pour personnes malades. Les autorités n’ont cependant procédé à aucune démarche en raison du manque de moyens financiers.
42. Malgré l’existence de deux grandes cours, les détenus n’étaient autorisés à sortir que tous les deux jours pendant deux heures.
2. Dans le rapport du 10 janvier 2012, établi suite à la visite du 19 au 27 janvier 2011
43. Le commissariat de police et le poste frontière de Soufli consistaient en un bâtiment d’un étage destiné à la détention. Le bâtiment incluait deux dortoirs étroits séparés par un paravent ; chacun d’eux avait une plateforme surélevée sur laquelle les détenus dormaient. Il y avait aussi un espace commun donnant accès à une salle de douche et une toilette. La superficie totale de l’espace de détention était 110 m². Le jour de la visite de la délégation du CPT, 146 hommes y étaient détenus. Pour accéder aux dortoirs, il fallait enjamber des corps car chaque centimètre carré du sol était occupé. Certains détenus dormaient même dans l’espace entre le plafond de la douche et le toit. L’odeur des corps était accablante. Une seule toilette fonctionnait ainsi qu’une douche à l’eau froide. Plusieurs personnes ont rapporté à la délégation qu’elles urinaient le matin dans des bouteilles ou des sacs en plastique. L’éclairage et la ventilation étaient insuffisants. Il n’y avait pas de possibilité d’exercice physique à l’extérieur. La nourriture était aussi insuffisante et il y avait des plaintes que les plus forts parmi les détenus empêchaient les autres de manger leur ration. Environ 65 personnes avaient été détenues dans le centre pour plus de quatre semaines et 13 pour plus de trois mois et demi.
B. Le représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés
44. Par une lettre adressée au Conseil grec pour les réfugiés, le représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés faisait état des constats d’une visite au poste frontière de Soufli, effectuée du 29 septembre au 1er octobre 2010.
45. Le représentant constatait que l’espace de détention était composé de deux dortoirs, sans séparation, avec des lits en ciment et des matelas en série. À côté de ceux-ci, dans des couloirs étroits, il y avait des sommiers en bois, couverts de cartons et des couvertures qui servaient de lits pour les détenus en surnombre. L’espace était bondé en raison du grand nombre de détenus et le passage d’un dortoir à l’autre était impossible. L’atmosphère du dortoir était étouffante car insuffisamment ventilé. Les fenêtres étaient en hauteur et n’assuraient ni aération ni éclairage suffisants. Les matelas et les couvertures étaient sales. Les deux toilettes et les deux douches se trouvaient dans l’espace de détention et étaient sales et pleines de détritus. La plupart des détenus étaient couchés car il n’y avait pas d’espace pour circuler. Aucune brochure d’information concernant le statut légal des détenus et leurs droits n’était disponible.
46. Les femmes détenues avait exprimé leur désarroi et leur désespoir pour leurs conditions de détention lesquelles, d’après leurs allégations, étaient insupportables : matelas et couvertures sales, espace commun de détention avec les hommes, toilettes communes sales, impossibilité d’être propre, manque de produits de toilette (savon, shampooing, papier toilette, serviettes hygiéniques, brosse à dents et dentifrice), impossibilité de laver les vêtements et les sous-vêtements et impossibilité de faire de l’exercice physique.
47. Plusieurs détenus se plaignaient de maladies dermatologiques et gastriques ainsi que du fait que le médecin ne rendait pas de visite dans le dortoir pour examiner les détenus, mais distribuait des analgésiques à travers les barreaux de la porte. Si des détenus avaient besoin d’un autre type de soins médicaux, ils devaient en assumer les frais. Les détenus devaient aussi payer pour les photos d’identité prises par les autorités pour les apposer sur les différents documents.
48. La lettre concluait que la situation qui régnait au poste frontière portait atteinte à la dignité humaine et mettait en péril non seulement les droits fondamentaux de l’homme mais leur vie même.
EN DROIT
I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT TIRÉ DU NON-RESPECT DU DÉLAI DE SIX MOIS
49. Le Gouvernement excipe du non-respect du délai de six mois, en soutenant notamment que la requête a été introduite le 2 mai 2011, date figurant sur le tampon d’accusé de réception apposé par le greffe de la Cour, soit plus de six mois après mise en liberté du requérant, le 8 octobre 2010.
50. La Cour rappelle que, selon la pratique en vigueur ainsi que sa jurisprudence constante à l’époque des faits, sauf l’existence de circonstances justifiant de décider autrement, la date à prendre en considération pour déterminer quand la Cour est saisie au sens de l’article 34 de la Convention était la date de la communication de la première lettre du requérant exposant - fût-ce sommairement - l’objet des griefs qu’il entendait soulever (article 48 § 5 du règlement de la Cour - voir, parmi beaucoup d’autres, Papageorgiou c. Grèce, 22 octobre 1997, § 32, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, et Richard Roy Allan c. Royaume-Uni (déc.), no 48539/99, 28 août 2001), et non la date figurant sur le tampon d’accusé de réception apposé par le greffe de la Cour sur le formulaire de la requête (Korkmaz c. Turquie (déc.), no 42589/98, 5 septembre 2002).
51. En l’occurrence, la Cour note, d’une part, que le requérant a été libéré le 8 octobre 2010, et, d’autre part, qu’il a exposé ses griefs dans sa première lettre, transmise à la Cour le 7 avril 2011, donc dans le délai prévu par l’article 35 § 1 de la Convention. Il s’ensuit que l’exception soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION DU FAIT DES CONDITIONS DE dÉtention DU REQUÉRANT
52. Le requérant se plaint des conditions de détention dans les locaux de la police des frontières de Soufli et du centre de rétention de Venna. Il invoque l’article 3 de la Convention, disposition ainsi libellée :
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
53. Dans ses observations sur les demandes de satisfaction équitable formulés par le requérant, le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes car il a omis d’introduire une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.
54. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle un recours indemnitaire sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil pour cause de conditions de détention inhumaines et dégradantes dans les centres de rétention pour étrangers aurait une chance raisonnable de succès et offrirait au moment des faits un redressement approprié (A.F. c. Grèce, précité, §§ 59-62). Elle rappelle aussi avoir déjà conclu que, nonobstant le fait qu’un requérant n’a pas fait usage de la voie suggérée par le gouvernement défendeur, en l’état actuel de la jurisprudence nationale, le grief de l’intéressé ne saurait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes (de los Santos et de la Cruz c. Grèce, précité, § 37). Elle rejette donc l’exception du Gouvernement sur ce point.
55. La Cour constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
56. Le requérant se réfère à sa version concernant les conditions de détention (voir paragraphes 31-33 ci-dessus).
57. Le Gouvernement renvoie à sa version concernant les conditions de détention dans les différents centres en cause (voir paragraphes 34-39 ci-dessus). Il soutient que le requérant soulève des griefs et des allégations de caractère général, et ce sans apporter de précisions quant à l’existence de faits concrets qui permettraient d’établir qu’il a subi une pression physique ou psychologique d’une ampleur telle que l’on pourrait la qualifier de traitement dégradant.
58. En ce qui concerne les principes généraux concernant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 90-94, CEDH 2000-XI ; Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67-68, CEDH 2001-III ; Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002-VI ; Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 97, 24 janvier 2008 ; Tabesh, no 8256/07, §§ 34-37 26 novembre 2009 ; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, §§ 59-62, 5 avril 2011 ; R.U. c. Grèce, no 2237/08, §§ 54-56, 7 juin 2011 ; A.F. c. Grèce, no 53709/11, §§ 68-70, 13 juin 2013 ; et de los Santos et de la Cruz c. Grèce, nos 2134/12 et 2161/12, § 43, 26 juin 2014).
59. La Cour rappelle de même qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention, à plusieurs reprises, dans des affaires contre la Grèce relatives aux conditions de détention d’étrangers dans les centres de rétention de Soufli et Venna (S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009, R.U. c. Grèce, précité, B.M. c. Grèce, précité, C.D. et autres c. Grèce, nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, 19 décembre 2013, F.H. c. Grèce, no 78456/11, 31 juillet 2014 et E.A. c. Grèce, no 74308/10, 30 juillet 2015).
60. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été détenu du 2 août au 8 octobre 2010 dans les centres de rétention de Soufli et Venna, soit pendant une période de deux mois.
61. La Cour
observe que le Gouvernement n’a fait aucun commentaire concernant les rapports
du CPT (voir paragraphes 41-43 ci-dessus). Elle rappelle que dans l’affaire E.A.
c. Grèce, qui concernait les conditions de détention dans les deux centres
de rétention ci-dessus pendant la même période qu’en l’espèce, soit du 2 août
2010 au 8 octobre 2010, le Gouvernement avait soulevé des arguments identiques
à ceux présentés dans la présente affaire concernant notamment le centre de
rétention de Venna et la Cour avait conclu à la violation de l’article 3 de la
Convention. Il en va de même que pour l’affaire B.M. c. Grèce, qui
concernait la période entre 31 août 2010 et 3 janvier 2011. Compte
tenu des constats auxquels elle est parvenue dans les arrêts précités et de
ceux contenus dans les rapports des différentes institutions internationales
qui se sont rendues dans ces centres pendant ou peu après la période en cause (paragraphes
41-48
ci-dessus), la Cour considère que le requérant a été détenu dans des conditions
de surpopulation et d’hygiène, incompatibles avec l’article 3 de la Convention
et qui ont constitué à son endroit un traitement dégradant.
62. Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention à cet égard.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION DU FAIT DES DÉFAILLANCES DE LA PROCÉDURE D’ASILE
63. Invoquant les articles 3 et 13 de la Convention, le requérant se plaint des défaillances du système d’examen par les autorités de sa demande d’asile et du risque qu’il encourt d’être expulsé en Turquie puis en Iran.
A. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties
64. Le Gouvernement soutient que ces griefs doivent être rejetés comme abusifs, notamment en raison du fait que le Conseil grec pour les réfugiés avait assisté le requérant lors de la procédure d’asile, dans le cadre d’un programme du Fonds Européen pour les réfugiés. Il affirme, en outre, qu’avant de saisir la Cour, le requérant n’a pas introduit de recours en annulation devant le Conseil d’État, ou fait usage de la possibilité que lui offrait le décret présidentiel no 114/2011 de déposer un recours devant les commissions de recours. Dès lors, le Gouvernement estime que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes.
65. Le requérant rétorque qu’en cas de renvoi en Iran, il encourt un risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il souligne le refus initial des autorités d’enregistrer sa demande d’asile ainsi que le manque de garanties procédurales, tels que l’information sur ses droits. En ce qui concerne les recours mentionnés par le Gouvernement, le requérant soutient qu’ils n’étaient pas effectifs contre un renvoi éventuel en Iran et affirme qu’il a fait tout ce qui pouvait être raisonnablement exigé de lui pour satisfaire à la condition de l’épuisement des voies de recours internes. Il ajoute que le décret présidentiel no 114/2011 a été publié un mois après le rejet de sa demande d’asile et deux mois après sa mise en liberté. Dès lors, pendant cette période, il encourait le risque d’être expulsé vers l’Iran. En tout état de cause, quand ledit décret lui a donné la possibilité, il a introduit un recours devant la commission de recours, qui est encore pendant avec de nombreuses autres affaires.
2. Appréciation de la Cour
66. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après épuisement des voies de recours internes et dans un délai de six mois à compter de la décision interne définitive.
67. La Cour observe que même s’il y a eu un certain retard dans l’enregistrement de la demande d’asile du requérant, ce fait n’a pas eu une incidence quelconque sur sa situation. Elle note, en outre, que le 12 septembre 2014 le requérant s’est présenté devant le Département d’asile de la Direction des étrangers de l’Attique et a exprimé son souhait de retirer sa demande d’asile. Il n’a ainsi pas donné la possibilité aux juridictions internes, à savoir la commission de recours, de se prononcer sur le risque qu’il encourait de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi en Iran (voir, B.M. c. Grèce, no 53608/11, §§ 82-84, 19 décembre 2013).
68. Il s’ensuit que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne l’article 3. Cette partie de la requête doit à cet égard être alors rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention. Dans ces conditions, le grief tiré de l’article 13 doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 5 §§ 1 ET 4 AINSI QUE 13 DE LA CONVENTION
69. Invoquant les articles 5 §§ 1 et 4 de la Convention, ainsi que les articles 13 et 3 combinés de la Convention, le requérant se plaint de l’irrégularité de sa détention ainsi que de l’inefficacité du contrôle juridictionnel de celle-ci.
A. Sur la recevabilité
70. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
B. Sur le fond
1. Sur le grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention relatif à la irrégularité de la détention
a) Arguments des parties
71. Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, le requérant se plaint que sa détention depuis son arrestation était arbitraire, car elle était le résultat du refus initial des autorités d’enregistrer sa demande d’asile, qu’elle s’était poursuivie après cet enregistrement alors que l’expulsion n’était plus possible, qu’elle n’était pas nécessaire pour contrôler son identité et ne servait en rien au bon déroulement de la procédure d’asile. Il affirme que sa situation et son statut en tant que demandeur d’asile n’ont pas été pris en considération et que la décision de lui imposer une mesure de détention avait été prise automatiquement. La loi no 3386/2005 n’étant pas applicable aux demandeurs d’asile, sa détention n’était pas justifiée. En outre, après l’enregistrement de sa demande d’asile, le 26 août 2010, la décision de son expulsion avait été suspendue. Les autorités n’ont toutefois pas délivré une nouvelle décision de détention, cette dernière continuant à avoir comme seul but d’assurer son expulsion. Le requérant soutient enfin que sa détention était arbitraire en raison de sa durée, combinée avec les conditions de celle-ci.
72. Le Gouvernement rétorque que la détention du requérant était prévue par la loi, à savoir l’article 76 de la loi no 3386/2005 et que sa légalité a été examinée par un tribunal. Il affirme que lorsque le requérant a déposé sa demande d’asile, il se trouvait déjà en détention en vue de son expulsion. L’article 13 du décret no 90/2008 prévoyait, à l’époque des faits, que la personne ayant introduit une demande d’asile et à l’encontre de laquelle une procédure d’expulsion était pendante, restait en détention et que sa demande était examinée en priorité. Le 22 novembre 2010, cet article a été remplacé par l’article 13 du décret présidentiel no 114/2010, qui prévoyait la continuation de détention d’un étranger si les conditions mentionnées dans cet article étaient remplies. Le Gouvernement ajoute que, dès son arrestation, le requérant avait la possibilité de formuler des objections contre l’adoption imminente d’une décision d’expulsion, ainsi que des objections sur sa détention, sans qu’il ne soit nécessaire d’attendre la notification de la décision d’expulsion.
b) Appréciation de la Cour
73. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 1 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 64 et 74, CEDH 2008, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, §§ 72-81, CEDH 2009, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil 1996-V, Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III, Barjamaj c. Grèce, précité, §§ 36-38, et Khuroshvili c. Grèce, précité, §§ 107-108).
74. En l’occurrence, la Cour note, en premier lieu, que la privation de liberté du requérant était fondée sur l’article 76 de la loi no 3386/2005. Partant, la Cour estime que la situation litigieuse tombe sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 de la Convention et trouve un fondement en droit interne. La Cour considère que la détention du requérant servait à l’empêcher de séjourner irrégulièrement sur le territoire grec et à garantir son éventuelle expulsion. Par conséquent, elle estime que la bonne foi des autorités compétentes ne peut pas être mise en question en l’espèce.
75. En second lieu, s’agissant de la durée de la détention, la Cour relève tout d’abord que le requérant a été détenu pour une période d’environ deux mois environ, à savoir du 2 août au 8 octobre 2010, date à laquelle il a été remis en liberté suite à la décision du tribunal administratif. La Cour estime qu’un tel délai ne doit pas en principe être considéré comme excessif pour l’accomplissement des formalités administratives en vue de la matérialisation de son expulsion.
76. Quant à la demande d’asile, la Cour relève qu’il ressort du droit interne que si une demande suspend l’exécution de la mesure d’expulsion, elle ne suspend pas celle de la détention ; le droit interne impose seulement que la demande d’asile soit examinée « en priorité absolue » (voir paragraphe 40 ci-dessus). Or, en l’espèce, le requérant a été libéré un mois et treize jours après l’enregistrement de sa demande d’asile, le 26 août 2010.
77. En dernier lieu, ayant conclu à une violation de l’article 3 en raison des conditions de détention dans les centres de rétention dans lesquels le requérant a été détenu (paragraphe 62 ci-dessus), la Cour n’estime pas nécessaire de se placer une fois de plus sur ce terrain sous l’angle de l’article 5 § 1 f) (voir Horshill c. Grèce, précité, § 65).
78. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant n’était pas arbitraire et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.
2. Sur les griefs tirés des articles 5 § 4 et 13 de la Convention relatifs à l’ineffectivité du contrôle juridictionnel de la détention
a) Thèses des parties
79. Le requérant se plaint de l’inefficacité du contrôle juridictionnel de la détention, et notamment du fait qu’au début de sa détention il lui a été impossible, faute d’information et d’assistance, de saisir une juridiction qui se serait prononcée sur la légalité de cette détention. Il soutient que, même après l’amendement de la loi no 3386/2005, le tribunal administratif d’Alexandroupoli a continué à fonder ses décisions sur la résidence connue de l’intéressé, sur ses problèmes de santé et ses liens avec la Grèce, et qu’il n’a jamais pris en considération d’autres motifs tel que la notion d’arbitraire au sens de l’article 5 § 1 de la Convention. Il affirme en outre que la législation grecque ne prévoit pas de voie de recours permettant à un étranger détenu de se plaindre de ses conditions de détention. Il soutient que le juge administratif n’est pas en mesure d’ordonner l’amélioration des conditions de détention et que les jugements mentionnés par le Gouvernement ont tous été pris par le même juge. À cet égard, il cite d’autres décisions de la même juridiction qui établiraient que le recours par voie d’objections est dépourvu d’effectivité, car il existe - à ses dires - une pratique claire consistant à ne pas examiner les conditions de détention. Le requérant affirme en outre que lors de l’examen du recours en cause, le juge administratif n’est pas en mesure d’octroyer un redressement approprié pour le dommage subi à cause des conditions de détention.
80. Le Gouvernement rétorque qu’en vertu de la loi no 3900/2010, l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifiée et le juge administratif a dorénavant expressément le pouvoir de contrôler la légalité de la détention des personnes qui se trouvent sous écrou en vue de leur expulsion. En ce sens, le Gouvernement soumet à la Cour des décisions adoptées par des présidents de tribunaux administratifs qui acceptent des objections. Le Gouvernement affirme que le recours prévu par l’article 76 de la loi no 3386/2005 est effectif au sens de l’article 5 § 4 et que des griefs tirés des conditions de détention pouvaient être soulevés au travers de ce recours. Il soutient que l’effectivité de ce recours ne prête pas à controverse car, par sa décision no P106/2010, le tribunal administratif d’Alexandroupoli a accueilli les objections du requérant du 8 octobre 2010, et a levé sa détention.
b) Appréciation de la Cour
81. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001-II, S.D. c. Grèce, précité, 11 juin 2009, A.A. c. Grèce, précité, et Herman et Serazadishvili c. Grèce, no 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014).
82. En l’espèce, la Cour note, tout d’abord, qu’en ce qui concerne les objections qu’un étranger peut former à l’encontre de la décision ordonnant sa détention en vue de son expulsion, l’article 76 § 4 de la loi no 3386/2005 prévoyait, à l’époque des faits, que le tribunal administratif pouvait examiner la décision de la détention uniquement sur le terrain du risque de fuite ou de danger pour l’ordre public. La Cour a, à plusieurs reprises, considéré que cette formulation était empreinte d’ambiguïté dans la mesure où, tel qu’il était rédigé, l’article 76 § 4 n’accordait pas expressément au juge le pouvoir d’examiner la légalité du renvoi qui constituait, selon le droit grec, le fondement juridique de la détention (R.U. c. Grèce, précité, § 103 ; A.A. c. Grèce, précité, § 73 ; Tabesh, précité, § 62 ; et S.D. c. Grèce, précité, § 73).
83. Il est vrai qu’en vertu de la loi no 3900/2010 le paragraphe 4 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié et prévoit désormais que le juge compétent « se prononce aussi sur la légalité de la détention ou de sa prolongation », ce qui inclut aussi les conditions matérielles de détention. Or, la Cour note que la loi no 3900/2010 est entrée en vigueur le 1er janvier 2011, tandis qu’en l’occurrence les faits litigieux quant au grief tiré de l’article 5 § 4, ont eu lieu entre les mois d’août et octobre 2010. Partant, les conclusions auxquelles la Cour est déjà parvenue dans la jurisprudence précitée quant à l’effectivité des objections devant le président du tribunal administratif sont aussi valables dans la présente affaire (voir Herman et Serazadishvili, précité, § 72). En se penchant sur les circonstances particulières de l’espèce, la Cour observe que la décision no P80/2010 de la présidente du tribunal administratif d’Alexandroupoli a rejeté les objections du requérant à l’égard de sa détention sans tirer de conséquences du fait que celui-ci avait déjà formellement demandé l’asile et sans examiner les conditions de détention. Elle s’est limitée à constater la volonté des autorités d’améliorer les conditions de détention à l’avenir. Le fait que le tribunal administratif a accueilli les secondes objections déposées par le requérant, en ne s’exprimant d’ailleurs pas sur la légalité de la détention antérieure, ne saurait pour autant influer sur le caractère ineffectif du premier recours.
84. La Cour considère que les insuffisances du droit interne à l’époque des faits quant à l’effectivité du contrôle juridictionnel de la mise en détention aux fins d’expulsion ne peuvent se concilier avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle conclut donc qu’il y a eu violation de cette disposition.
85. Enfin, eu égard aux faits de l’espèce, aux thèses des parties et aux conclusions formulées sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour estime qu’elle a examiné les principales questions juridiques soulevées par la présente requête quant à l’effectivité des recours internes disponibles et qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le grief tiré de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention dénonçant les conditions de détention, l’article 5 § 4 constituant une lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l’article 13 (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 69, CEDH 1999-II).
V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 2 DE LA CONVENTION
86. Invoquant l’article 5 § 2 de la Convention, le requérant se plaint n’avoir pas été informé dans une langue qu’il comprenait des motifs de sa détention et des recours existants contre la décision le plaçant en détention.
87. Eu égard au constat relatif à l’article 5 § 4 (paragraphe 84 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de cette disposition (voir, entre autres, Rahimi, précité).
VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
88. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
89. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
90. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et arbitraire et affirme que le constat de violation constituerait une satisfaction suffisante.
91. La Cour considère que le requérant a souffert un préjudice moral, du fait de la violation de ses droits garantis par les articles 3 et 5 § 4 de la Convention. Ce préjudice moral ne se trouve pas suffisamment compensé par le constat de violation. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 6 500 EUR pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
92. Le requérant demande également 3 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, sans produire de copies des factures y relatives.
93. Le Gouvernement soutient que les sommes réclamées ne sont pas raisonnables et que le requérant ne produit aucun élément établissant le paiement d’un montant quelconque.
94. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
95. Compte tenu de l’absence de tout justificatif valable de la part du requérant et de sa jurisprudence en la matière, la Cour rejette la demande au titre des frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
96. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant, de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention en ce qui concerne l’absence d’un recours effectif offert au requérant pour se plaindre de ses conditions de détention, de l’article 5 §§ 1, 2 et 4 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention dans les locaux du poste frontière de Soufli et du centre de rétention de Venna ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
5. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 5 § 2 de la Convention, ainsi que celui tiré de l’article 13, combiné avec l’article 3, visant l’effectivité du recours dénonçant les conditions de détention ;
6. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Milan Blaško Ledi Bianku
Greffier adjoint f.f. Président