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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BOBIRNAC v. ROMANIA - 61715/11 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section)) French Text [2016] ECHR 656 (12 July 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/656.html Cite as: [2016] ECHR 656 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE BOBÎRNAC c. ROUMANIE
(Requête no 61715/11)
ARRÊT
STRASBOURG
12 juillet 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Bobîrnac c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
András Sajó, président,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Iulia Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Marko Bošnjak, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 juin 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 61715/11) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Bogdan Ştefan Bobîrnac (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 septembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Mes E. Oancea et A. Bălăşoiu, avocats à Craiova. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant, atteint d’un handicap grave, dénonçait le rejet par les tribunaux de sa demande de dédommagement du préjudice moral qu’il estimait avoir subi à la suite du refus par une institution publique de conclure un contrat avec lui. Il indiquait que ce refus était contraire à la loi.
4. Le 18 mars 2014, le grief susmentionné a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus, conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1997 et réside à Craiova.
6. Le 24 mars 2009, la commission départementale de protection de l’enfance délivra au requérant, atteint de dystrophie musculaire progressive de Duchenne (myopathie de Duchenne), un certificat attestant qu’il souffrait d’un handicap grave de premier degré.
7. Sur la base de ce certificat et en application des dispositions de la loi no 448/2006 relative à la protection et la promotion des droits des personnes handicapées (« la loi no 448/2006 »), la mère du requérant entama des démarches auprès de l’Autorité nationale pour la protection des personnes handicapées (l’« ANPH ») afin d’obtenir, au nom du requérant, le remboursement des intérêts afférents à un prêt bancaire pris en vue de l’aménagement de l’habitation imposé par la maladie de ce dernier. Par une lettre du 28 mai 2009, l’ANPH confirma que tous les documents exigés par la loi avaient été déposés et qu’elle pourrait rembourser les intérêts légaux si un contrat de prêt bancaire était conclu.
8. Le 15 décembre 2009, le requérant, par l’intermédiaire de sa mère, signa un contrat de prêt auprès d’une banque.
9. Les attributions de l’ANPH ayant, entre-temps, été transférées aux services sociaux départementaux (Direcţia Generală de Asistenţă Socială şi Protecţia Copilului Dolj, « la DGASPC »), la mère du requérant demanda à cet organisme de signer un contrat de remboursement des intérêts afférents au prêt bancaire. Par deux lettres des 13 octobre et 15 novembre 2010, la DGASPC refusa de signer ce contrat aux motifs que le requérant avait omis de joindre plusieurs documents à sa demande et que le projet de travaux serait irrégulier.
10. Le 23 novembre 2010, le requérant, par l’intermédiaire de sa mère, assigna la DGASPC devant les tribunaux internes, en dénonçant le refus par cet organisme de conclure le contrat susmentionné. Il soutenait que tous les documents avaient été déposés auprès de l’ANPH, ce que celle-ci avait d’ailleurs confirmé le 28 mai 2009. Il réclamait 40 139 lei roumains (RON), soit environ 9 000 euros selon le taux de change de la Banque nationale roumaine, à titre de réparation du préjudice moral qu’il estimait avoir subi en raison du refus par la DGASPC de conclure le contrat. Il alléguait que ce refus lui avait causé des difficultés financières qui auraient contraint sa mère à conclure des prêts supplémentaires.
11. Dans un mémoire déposé en vue de l’audience du tribunal du 2 février 2011, la mère du requérant reprochait à la DGASPC d’avoir fait preuve de mauvaise foi. Elle estimait avoir subi de ce fait un préjudice moral et en demandait réparation. À l’appui de sa demande, elle plaidait que la méconnaissance illégale de la loi par la partie défenderesse avait été pour elle une source de stress. Un certificat médical délivré le 1er février 2011 et concernant la mère du requérant fut versé au dossier.
12. Par un jugement du 23 février 2011, le tribunal départemental de Dolj, se fondant sur les dispositions de la loi no 554/2004 relative au contentieux administratif, fit en partie droit à la demande du requérant et ordonna à la DGASPC de conclure le contrat prévoyant le remboursement des intérêts afférents au prêt bancaire. Il constatait que le requérant avait fourni tous les documents prévus par les dispositions légales, ainsi que l’ANPH l’avait déjà exposé dans sa la lettre du 28 mai 2009, et que le projet de travaux était régulier. En conséquence, il jugeait que l’intéressé était en droit de conclure un tel contrat. En revanche, il le déboutait de sa demande de dédommagement pour préjudice moral au motif qu’il n’avait pas apporté, comme l’exigeait l’article 1169 du code civil, la preuve qu’il avait subi une quelconque souffrance psychique. Il ajoutait que le certificat médical délivré le 1er février 2011 concernait la mère du requérant et non ce dernier.
13. Le 5 avril 2011, le requérant forma un recours contre ce jugement, reprochant au tribunal son interprétation restrictive en matière de preuve. Il plaidait qu’une démonstration supplémentaire de son traumatisme psychique était inutile. Il arguait notamment que les preuves exigées par le tribunal ayant statué en premier ressort pour étayer sa demande de dédommagement au titre du préjudice moral pouvaient être logiquement déduites du refus injustifié et illégal de la DGASPC de conclure ledit contrat. Il assurait que tout retard dans la conclusion de ce contrat générait automatiquement pour lui des souffrances tant physiques que psychiques, puisqu’il était atteint d’une maladie incurable et que la seule possibilité de prolonger son espérance de vie était d’améliorer la qualité de son environnement, ce à quoi devaient contribuer les aménagements envisagés pour sa nouvelle habitation, par exemple un espace d’hydrothérapie. En outre, il avançait que les souffrances physiques ou psychiques de sa mère, seule adulte de la famille, avaient une influence sur sa qualité de vie. Le requérant déclarait que le retard dans la signature du contrat avec la DGASPC avait conduit sa mère à conclure un nouveau prêt pour le paiement des intérêts, que cela avait provoqué l’arrêt des travaux dans le nouveau logement et rendu impossible l’amélioration de sa qualité de vie. Il estimait que le montant des dommages-intérêts pour préjudice moral devait être fixé en fonction du retard pris par la conclusion du contrat avec la DGASPC et de l’importance que cette procédure revêtait pour lui.
14. Le requérant versa au dossier trois déclarations, écrites par différentes personnes de son entourage, attestant des conséquences négatives, notamment sur son état psychique, du refus de la DGASPC de conclure le contrat litigieux.
Ainsi, son médecin traitant exposait en détail la maladie dont souffrait le requérant et l’importance de l’amélioration du milieu environnant pour sa situation médicale. Il attestait que l’état psychique et physique du requérant avait, dans les derniers mois, souffert de l’impossibilité de déménager dans un logement adapté, de nature à contribuer à l’amélioration de sa qualité de vie.
Son kinésithérapeute écrivait que, certains jours, le requérant était triste car il ne comprenait pas pourquoi :
- il lui était toujours impossible de déménager dans la nouvelle maison censée être adaptée à son état et pourquoi il devait continuer à habiter un appartement de deux pièces situé au dixième étage d’une résidence avec sa mère, sa sœur et sa grand-mère gravement malade ;
- sa famille et lui devaient continuer à dormir à quatre dans un canapé et deux lits superposés dans l’appartement alors que dans sa nouvelle maison il aurait pu avoir sa chambre à lui et plusieurs animaux que sa mère lui aurait achetés ;
- il ne pouvait pas bénéficier de sa « piscine », seul endroit où il aurait pu se déplacer seul ;
- sa sœur de quatorze ans devait encore le porter pour l’emmener aux toilettes ce qui l’attristait et la fatiguait ;
- sa mère, qui parfois pleurait, avait dû engager un procès contre un organisme public qui était censé défendre les droits des enfants et notamment les droits de ceux ayant des problèmes de santé.
Enfin, la psychopédagogue scolaire du requérant décrivait l’impasse émotionnelle et l’état d’anxiété dans lesquels celui-ci se serait trouvé au cours des années scolaires 2009-2010 et 2010-2011. Selon elle, cette souffrance était la conséquence, d’une part, du retard dans l’accomplissement d’un rêve, à savoir la finalisation par la mère du requérant d’une maison où ce dernier pourrait se déplacer avec aisance, jouer avec sa sœur ou inviter ses camarades de classe ou ses amis et, d’autre part, de la tension qui serait éprouvée par la mère et qui affecterait l’intéressé en raison de son empathie pour elle et du lien fort existant entre eux.
15. Par un arrêt définitif du 4 mai 2011, la cour d’appel de Craiova rejeta le recours du requérant. Elle jugeait que la demande visant à l’octroi d’un dédommagement au titre de préjudice moral n’était pas étayée. L’arrêt de la cour d’appel est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :
« (...) Ainsi que la juridiction ayant statué en premier ressort l’a correctement jugé, les éléments de preuve présentés dans l’affaire n’ont pas permis d’établir que les conditions de la responsabilité civile délictuelle, à savoir les souffrances psychiques du requérant et leur lien de causalité avec le refus de la partie défenderesse d’accepter la documentation en vue de la conclusion du contrat portant engagement de versement des intérêts, étaient réunies en l’espèce.
Les documents produits par le requérant devant la juridiction de recours comportent des déclarations extrajudiciaires qui ne peuvent pas constituer la preuve de [ses] souffrances psychiques, étant donné qu’elles n’ont pas été administrées de manière directe devant la juridiction ayant statué en premier ressort, ce qui leur confère un caractère extrajudiciaire. »
16. Le 7 juillet 2011, un contrat portant sur le remboursement des intérêts afférents au prêt bancaire fut conclu entre le requérant, représenté par sa mère, et la DGASPC.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le code civil
17. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code civil, en vigueur à l’époque des faits, se lisent ainsi :
Article 998
« Toute personne qui a commis un acte causant un dommage à autrui est tenue de réparer ce dommage. »
Article 999
« Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par ses actes, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
Article 1169
« Toute personne qui présente une demande en justice est tenue d’apporter des preuves à l’appui de cette demande. »
Article 1170
« La preuve peut être apportée sous forme d’actes, de témoignages, de présomptions, de déclarations d’une partie ou de serments. »
Article 1199
« Les présomptions sont des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à l’égard d’un fait inconnu. »
18. La jurisprudence et la doctrine roumaines considèrent de façon unanime que l’engagement de la responsabilité civile délictuelle requiert la réunion de plusieurs conditions, à savoir un préjudice, un fait illicite, une faute et un lien de causalité entre le fait et le préjudice.
19. Les dispositions du droit interne n’établissent pas de hiérarchie entre les différents moyens de preuve. Les tribunaux apprécient librement la valeur de chacun d’entre eux selon leur intime conviction et leur conscience, à la lumière de l’ensemble des preuves du dossier. La doctrine assimile les présomptions aux éléments de preuves indirects (Gabriel Boroi et Mirela Stancu, Drept procesual civil, éditions Hamangiu, 2015, p. 490).
B. Le code de procédure civile
20. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure civile, en vigueur à l’époque des faits, se lisent ainsi :
Article 112
« La demande introductive d’instance doit contenir : (...)
5. les moyens de preuve invoqués à l’appui de chaque grief (...)»
C. Les dispositions pertinentes de la loi no 554/2004 sur le contentieux administratif
21. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 554/2004 sur le contentieux administratif sont libellées comme suit :
Article 1 § 1
« Quiconque estime qu’une autorité publique a porté atteinte à ses droits ou à ses intérêts légitimes par un acte administratif ou par une absence de réponse dans le délai légal à une requête dont il l’a saisie peut demander à la juridiction administrative compétente l’annulation de l’acte, la reconnaissance du droit ou de l’intérêt légitime en question et la réparation du préjudice qu’il a subi. L’intérêt légitime peut être tant public que privé. »
Article 8
« 1. Quiconque estime qu’un acte administratif porte atteinte à ses droits légaux ou à ses intérêts légitimes, n’est pas satisfait de la suite donnée à une plainte portée par lui [devant les autorités compétentes], ou ne reçoit pas de réponse à une demande dans le délai visé à l’article 2 § 1 h) [30 jours à compter de l’enregistrement de la demande si la loi ne prévoit pas un autre délai], peut saisir les juridictions administratives pour demander l’annulation totale ou partielle de l’acte, la réparation du préjudice causé et, le cas échéant, une réparation pour préjudice moral. Quiconque estime que le défaut de réponse à une demande dans le délai légal, le refus injustifié de répondre à la demande ou le refus de procéder à une opération administrative nécessaire à l’exercice ou à la protection d’un droit ou d’un intérêt légitime porte atteinte à ses droits ou à ses intérêts légitimes peut saisir les juridictions administratives. »
D. La pratique des tribunaux internes en matière d’octroi de dommages-intérêts
22. Dans l’affaire Manuela Ştefănescu c. Roumanie ((déc.), no 11774/04, §§ 19-22, 12 avril 2011) figure un résumé de jurisprudence interne, à jour en 2009, dans le domaine des dommages-intérêts pour préjudice moral réclamés en cas de méconnaissance du droit d’obtenir des informations d’intérêt public, droit garanti par la loi no 544/2001 sur l’accès aux informations d’intérêt public. Ainsi, selon la majorité des tribunaux, l’article 22 de la loi no 544/2001 ne dispensait pas les personnes lésées demandant des dommages-intérêts pour préjudice moral d’en apporter la preuve conformément à l’article 1169 du code civil ; à défaut, leurs demandes de dommages-intérêts étaient rejetées comme non prouvées.
23. Dans le cadre de la présente requête, le Gouvernement a fourni plusieurs exemples récents de jurisprudence interne portant sur l’octroi de dommages-intérêts dans différents domaines. Il ressort en premier lieu des exemples produits que, en principe, les juridictions nationales soumettent les demandes de réparation des dommages à des règles de recevabilité distinctes : des preuves directes doivent être rapportées pour démontrer l’existence d’un dommage matériel mais ne sont pas exigées pour démontrer l’existence d’un dommage moral qui est appréciée par la juridiction chargée de l’affaire (jugement no 392 du 24 septembre 2013 du tribunal départemental de Bihor et jugement définitif no 422 du 5 décembre 2013 du tribunal de première instance de Reşiţa).
24. En deuxième lieu, plusieurs des décisions produites par le Gouvernement indiquent que les juridictions nationales ne requièrent pas des intéressés qu’ils apportent la preuve de leurs souffrances psychiques lorsqu’elles sont causées par les faits illicites d’autrui. De telles décisions ont notamment été prises dans les domaines suivants :
- en matière d’atteinte à l’intégrité corporelle ou de décès de la victime, dans des procédures pénales, et des procédures civiles engagées après la clôture d’une procédure pénale (jugement définitif no 83 du 1er février 2011 du tribunal de première instance d’Oneşti, jugement no 4181 du 23 juin 2011 du tribunal de première instance de Botoşani, jugements no 210 du 28 mars 2012 et no 392 du 24 septembre 2013 du tribunal départemental de Bihor, jugements définitifs no 194 du 11 mai 2012, no 246 du 20 juin 2013, no 31 du 5 février 2013, no 422 du 5 décembre 2013, no 461 du 19 décembre 2013 du tribunal de première instance de Reşiţa, jugement définitif no 9666 du 25 octobre 2012 du tribunal de première instance d’Arad, jugement no 561 du 26 novembre 2013 du tribunal de première instance de Caransebeş, et jugements no 8 du 22 janvier 2014, no 13 du 23 janvier 2014 et no 25 du 5 mars 2014 du tribunal de première instance de Podu Turcului) ;
- en matière d’erreur judiciaire (jugements no 1666/D du 5 décembre 2008 et no 238/D du 25 février 2010 du tribunal départemental de Satu Mare et arrêt no 394 du 22 mars 2013 de la cour d’appel de Iaşi) ;
- en matière de condamnation politique pendant le régime communiste (jugements no 110 du 7 juin 2010 et no 238 du 18 octobre 2010 du tribunal départemental de Teleorman) ;
- en matière de responsabilité contractuelle dans le domaine de l’assurance automobile (jugements no 1170 du 17 mai 2012, no 1901 du 18 septembre 2012, no 336 du 21 janvier 2013 du tribunal départemental d’Arad) ;
- en matière de responsabilité civile délictuelle des personnes physiques ou morales privées en raison de l’atteinte portée au droit à l’image, à la réputation à la dignité ou à l’honneur (jugement no 3360 du 25 septembre 2007 du tribunal de première instance de Piatra-Neamţ, jugements no 22213 du 20 décembre 2011, et no 3751 du 8 mars 2013 du tribunal de première instance de Iaşi, jugement no 1460 du 1er avril 2014 du tribunal de première instance de Suceava, jugement no 1203 du 25 mars 2013 du tribunal de première instance de Rădăuţi, jugement no 7796 du 21 mai 2013 du tribunal de première instance de Iaşi, jugement no 895 du 4 décembre 2013 du tribunal de première instance de Lieşti, et jugement no 1115 du 21 mai 2014 du tribunal de première instance de Caransebeş) ou pour diverses autres raisons, comme, par exemple, la négligence médicale, la méconnaissance des droits des personnes atteintes d’un handicap, ou l’accident du travail (jugement no 6004 du 27 septembre 2007 du tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest, jugements no 504 du 12 février 2010 et no 2495 du 4 mars 2014 du tribunal départemental de Bucarest, jugement no 7447 du 30 novembre 2010 du tribunal de première instance de Botoşani, jugement no 5989 du 4 juillet 2012 du tribunal de première instance du 5e arrondissement de Bucarest, jugement no 15172 du 26 septembre 2012 du tribunal de première instance de Iaşi, jugement no 13640 du 13 juin 2013 du tribunal de première instance du 1er arrondissement de Bucarest, jugement no 74 du 5 juillet 2013 de la cour d’appel de Iaşi, et jugement no 4064 du 1er avril 2014 du tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest) ;
25. S’agissant plus spécifiquement des faits illicites commis par des autorités publiques, les juridictions internes ont présumé dans plusieurs affaires que ces faits avaient causé aux intéressés un préjudice moral, sans demander la production de preuves directes à cet égard (jugement définitif no 3350 du 22 septembre 2010 du tribunal départemental de Maramureş, jugement définitif no 678 du 28 mai 2013 du tribunal départemental de Neamţ, jugements définitifs no 73 du 14 mai 2012 et no 1535 du 22 octobre 2012 de la cour d’appel de Iaşi, jugements définitifs no 38 du 20 juin 2013 et no 99 du 30 janvier 2014 du tribunal départemental de Covasna, jugement définitif no 4750 du 20 novembre 2012 de la cour d’appel de Cluj, jugement définitif no 31 mars 2014 du tribunal départemental de Brăila, jugements définitifs no 1163 du 26 juin 2008 et no 1507 du 14 mai 2014 du tribunal départemental de Bucarest).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
26. Le requérant allègue que le refus des juridictions nationales de lui octroyer un dédommagement pour le préjudice moral qu’il estime avoir subi à la suite du comportement fautif des autorités nationales constitue une violation de son droit à un procès équitable. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
27. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
28. Le requérant dénonce le refus des tribunaux nationaux de lui accorder des dommages-intérêts pour préjudice moral en dépit des souffrances qu’il estime avoir subies en raison du refus initial de l’autorité publique d’appliquer les dispositions de la loi no 448/2006 sur la protection et la promotion des droits des personnes handicapées. Dans ses observations écrites, le requérant souligne sa situation particulière de personne atteinte d’un handicap grave.
29. Le Gouvernement, renvoyant aux exemples fournis (paragraphes 24-25 ci-dessus), expose que, en matière d’octroi de dommages-intérêts pour préjudice moral, les tribunaux nationaux tendent désormais à déduire l’existence d’un dommage moral de la simple existence d’un fait illicite si celui-ci est de nature à causer un tel préjudice. Il s’agirait d’une jurisprudence constante, qui prend en compte « le caractère intérieur » du préjudice, ainsi que l’impossibilité d’en apporter des preuves directes.
30. Le Gouvernement dit que l’approche adoptée par la cour d’appel de Craiova dans le cas du requérant peut paraître restrictive par rapport à la jurisprudence des tribunaux nationaux et s’en remet à la sagesse de la Cour pour l’examen de la compatibilité de la procédure civile engagée par le requérant avec les exigences du droit à un procès équitable. Il entend toutefois attirer l’attention de la Cour sur les éléments suivants :
- la demande de réparation du préjudice moral faisait référence à l’impasse financière dans laquelle se trouvaient le requérant et sa famille, tandis que le certificat médical produit en première instance concernait l’état de santé de la mère du requérant, ce qui était de nature à soulever des doutes quant à l’existence et à la nature du préjudice moral à réparer ;
- la motivation de la demande du requérant faisait notamment référence à des difficultés financières, or les sommes accordées au titre de réparation du dommage moral ne sont pas censées couvrir indirectement le préjudice matériel ou toute autre dépense avancée ;
- les demandes de réparation des dommages sont, selon la pratique des tribunaux roumains, soumises à des règles de recevabilité distinctes : des preuves directes doivent être rapportées pour démontrer l’existence d’un dommage matériel, mais elles ne sont pas exigées pour démontrer l’existence d’un dommage moral qui est appréciée par la juridiction chargée de l’affaire statuant en équité et sur la base d’indices (paragraphe 23 ci-dessus) ;
- la question du préjudice subi a été clarifiée par le requérant devant la juridiction de recours, ce que le Gouvernement ne conteste pas. Il n’en demeure pas moins que, en produisant au dossier des déclarations extrajudiciaires, le requérant ne sollicitait pas seulement le contrôle de la décision du tribunal ayant statué en premier ressort, mais demandait en réalité à la cour d’appel de procéder à un nouvel examen de l’affaire sur la base de nouvelles preuves qui n’avaient pas été présentées au juge du fond.
2. Appréciation de la Cour
31. En l’espèce, la Cour observe d’emblée que le requérant ne fournit pas plus de précisions quant à la nature de la violation alléguée. Elle relève toutefois que cette affaire porte essentiellement sur l’obligation mise à la charge de celui-ci par les tribunaux nationaux d’apporter la preuve du préjudice moral dont il demande réparation.
32. À cet égard, la Cour rappelle que la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne et que, en principe, il revient aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles. En outre, c’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII). La mission qui est confiée à la Cour par la Convention consiste à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres, Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 66, CEDH 2000-VIII). Elle se penchera donc uniquement sur la question de savoir si la procédure engagée par le requérant dans l’ordre juridique interne a revêtu un caractère équitable.
33. Dans la présente affaire, force est de constater que le droit interne permettait l’octroi d’un dédommagement pour une personne qui, comme le requérant, avait subi un retard dans l’exercice de ses droits prévus par la loi no 448/2006. Or, comme l’indique le Gouvernement, les juridictions nationales avaient la faculté et non l’obligation d’accorder une indemnité pour préjudice moral. En effet, rien ne les empêchait de conclure, par exemple, que, à la suite de l’examen de l’affaire dont elles avaient été saisies, leur conviction était que le requérant n’avait pas subi de dommage moral ou que la conclusion du contrat litigieux, ordonnée par le tribunal, effaçait les conséquences d’un refus contraire à la loi. En l’occurrence, il ressort de la motivation des décisions rendues que c’est l’absence d’éléments de preuve qui avait empêché le tribunal départemental de Dolj et la cour d’appel de Craiova d’établir que les conditions de la responsabilité délictuelle civile se trouvaient réunies.
34. La Cour estime que la réglementation relative à la charge de la preuve, qui exige que toute personne qui présente une demande en justice apporte des preuves à l’appui de sa demande (voir l’article 1169 du code civil roumain), ainsi que son applicabilité en matière de réparation du préjudice moral, ne saurait être considérée comme étant problématique. L’intéressé devait d’ailleurs s’attendre à ce que cette règlementation fût appliquée.
35. S’agissant de la jurisprudence des tribunaux nationaux invoquée par le Gouvernement (paragraphes 23-25 ci-dessus), la Cour souligne en premier lieu qu’elle ne saurait être interprétée comme établissant une obligation absolue d’octroyer une réparation pour un préjudice moral prétendument subi en raison de la méconnaissance de leurs obligations par les autorités publiques ou du retard mis par celles-ci pour accomplir lesdites obligations. En deuxième lieu, les exemples cités, antérieurs aux décisions prises dans la présente affaire (paragraphe 25 ci-dessus), ne révèlent pas non plus une obligation impérative pour les tribunaux internes d’appliquer des présomptions dans ce type de litige. En conséquence, le requérant ne saurait affirmer qu’il s’agit en l’espèce d’un revirement de la jurisprudence constante des tribunaux roumains dans la présente affaire. Force est d’ailleurs de constater à cet égard que le requérant n’a fourni aucune précision quant à la jurisprudence nationale. Au demeurant, l’application de tout principe à un litige concret dépend par sa nature même des circonstances du cas soumis devant les juridictions internes qui sont les mieux placées pour interpréter et appliquer le droit national. En tout état de cause, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier l’opportunité des choix de politique jurisprudentielle opérés par les juridictions internes ; son rôle se limite à vérifier la conformité à la Convention des conséquences qui en découlent (Brualla Gómez de la Torre, précité, § 32 in fine). En somme, à la lumière de la jurisprudence à laquelle se réfère le Gouvernement, les décisions des tribunaux internes n’apparaissent pas arbitraires.
36. La Cour est sensible à la situation particulière du requérant qui est atteint d’un handicap grave. Toutefois, les circonstances de la présente requête ne révèlent pas de difficulté insurmontable pour le requérant à poursuivre son action en justice. En effet, il n’y a aucun indice donnant à penser que son accès effectif à la justice a été entravé d’une quelconque manière.
37. À la lumière de ce qui précède et notamment des éléments pertinents soumis par les parties, et eu égard à l’ensemble du procès, la Cour estime que le fait que les juridictions nationales aient exigé des éléments de preuve et qu’elles aient débouté le requérant de sa demande en réparation, en dépit de la violation constatée d’un droit qui lui était reconnu en droit interne, commise par une entité publique, n’a pas porté atteinte au caractère équitable de la procédure.
38. Partant, il n’y a pas eu en espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare , à l’unanimité, la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 juillet 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Marialena Tsirli András Sajó
Greffière Président