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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CIUCIOIU v. ROMANIA - 22327/13 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section Committee)) French Text [2016] ECHR 820 (04 October 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/820.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2016:1004JUD002232713, CE:ECHR:2016:1004JUD002232713, [2016] ECHR 820 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE CIUCIOIU c. ROUMANIE
(Requête no 22327/13)
ARRÊT
STRASBOURG
4 octobre 2016
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ciucioiu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Paulo Pinto de Albuquerque,
président,
Iulia Motoc,
Marko Bošnjak, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 septembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22327/13) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Marius Ciucioiu (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 mars 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me M. Houam, avocate à Nice. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 14 février 2014, les griefs tirés des articles 3 et 6 de la Convention concernant les conditions de détention du requérant et sa condamnation par défaut ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour (« le règlement »).
4. Le Gouvernement s’est opposé à l’examen de la requête par un comité. Après avoir examiné cette objection, la Cour l’a rejetée.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1976 et réside à Topraisar.
A. La première procédure pénale à l’encontre du requérant
6. Le 4 mars 2009, des policiers arrêtèrent le requérant au volant d’une voiture. Après vérification, ils constatèrent que les plaques d’immatriculation du véhicule étaient fausses. Le requérant fut conduit au poste de police, où il signa un procès-verbal dans lequel il reconnaissait les faits. La police transmit le dossier au parquet, qui renvoya le requérant devant le tribunal de première instance de Constanţa pour répondre de l’infraction de mise en circulation d’un véhicule avec de fausses plaques d’immatriculation.
7. À l’audience du 13 janvier 2011 devant le tribunal de première instance, le requérant, qui était présent, nia les faits qui lui étaient reprochés. Par un jugement du 2 février 2011, le tribunal le condamna à une peine d’un an d’emprisonnement. Le tribunal nota également que le requérant avait bénéficié d’une libération conditionnelle qui lui avait permis la mise en liberté avant la date d’expiration normale d’une précédente peine d’emprisonnement de treize ans. Compte tenu de la nouvelle peine infligée pour l’infraction au code de la route, le tribunal révoqua la libération conditionnelle.
8. Par un arrêt définitif prononcé le 10 juin 2011 en l’absence du requérant, la cour d’appel de Constanţa rejeta le pourvoi formé par ce dernier.
9. Entre-temps, le 6 juin 2011, le requérant était parti à l’étranger.
10. Le 14 juin 2011, le tribunal de première instance de Constanţa délivra un mandat d’arrêt à l’encontre du requérant. Ce dernier étant introuvable, la police diffusa un avis de recherche, le 20 juin 2011, en vue de son arrestation.
B. La seconde procédure pénale à l’encontre du requérant
11. Le 27 mars 2009, le requérant fut à nouveau arrêté au volant de la même voiture. Après vérification, les policiers constatèrent que les nouvelles plaques d’immatriculation apposées sur le véhicule étaient fausses. En outre, ils relevèrent que le requérant conduisait la voiture sans permis dès lors que ce dernier avait été suspendu dans le cadre de la première procédure pénale.
12. La police ouvrit une enquête de flagrance et conduisit le requérant au poste de police. L’intéressé y signa un procès-verbal dans lequel il déclarait reconnaître les faits, et il indiqua également l’adresse de son domicile. Le 15 avril 2009, la police transmit le dossier au parquet près le tribunal de première instance de Mangalia.
13. Le 21 juin 2011, la police demanda à la préfecture, à l’Administration nationale des prisons, au service local de l’état civil, à l’agence locale pour l’emploi et au ministère de la Défense des renseignements concernant le requérant et son domicile. D’après les réponses fournies par ces institutions, l’adresse du requérant était toujours celle indiquée dans la déclaration faite par l’intéressé le 27 mars 2009 (paragraphe 12 ci-dessus). La police se déplaça également au domicile des parents du requérant et de la compagne de ce dernier, qui déclarèrent que leur proche était parti à l’étranger sans indiquer d’adresse ni de numéro de contact.
14. Par un réquisitoire du 10 octobre 2011, le parquet renvoya le requérant devant le tribunal de première instance de Mangalia des chefs d’accusation de conduite sans permis et d’utilisation de fausses plaques d’immatriculation.
15. Le requérant ne fut présent à aucune audience. Le tribunal désigna un avocat commis d’office et demanda au service local de l’état civil et au ministère de l’Intérieur des informations concernant l’adresse du requérant. Aucun changement de domicile n’ayant été enregistré auprès des autorités administratives ou judiciaires, le tribunal envoya les citations à comparaître à l’adresse indiquée par le requérant dans sa déclaration du 27 mars 2009 et à celle de la mairie de son domicile.
16. Par un jugement du 23 novembre 2011, le tribunal de première instance condamna le requérant à une peine d’emprisonnement d’un an et deux mois pour les infractions susmentionnées. En l’absence de pourvoi, ce jugement devint définitif.
17. Le 24 décembre 2012, le requérant fut arrêté en France sur la base d’un mandat d’arrêt européen et extradé vers la Roumanie. En février 2013, il fut transféré à la prison de Poarta Albă.
C. La demande de réouverture de la procédure
18. Le 8 mars 2013, le requérant introduisit une action devant le tribunal de première instance de Mangalia par laquelle il dénonçait sa condamnation par défaut prononcée le 23 novembre 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) et demandait la réouverture de la procédure engagée à son encontre. Il exposait qu’il n’était pas au courant de l’existence de cette procédure et qu’il n’avait jamais été entendu par le parquet et le tribunal au sujet des infractions qui lui étaient reprochées.
19. Par un jugement du 28 mai 2013, le tribunal rejeta cette action. Il estimait, eu égard aux pièces du dossier de la procédure qui avait abouti à la condamnation du requérant par défaut, que les conditions pour la réouverture de cette procédure n’étaient pas réunies. Le tribunal soulignait que la procédure de citation à comparaître avait été respectée et que les autorités judiciaires avaient déployé de multiples efforts pour signifier les citations au requérant. Il relevait que ce dernier avait fait des déclarations reconnaissant les faits dans le cadre de la procédure de flagrance le visant, et il considérait par conséquent que l’intéressé était au courant de l’existence des poursuites. Il concluait que le requérant s’était volontairement soustrait à la justice.
20. Par un arrêt définitif du 1er octobre 2013, la cour d’appel de Constanţa rejeta le pourvoi du requérant.
D. Les conditions de détention du requérant
21. Le requérant fut détenu à la prison de Poarta Albă du 28 février 2013 au 26 janvier 2016, date à laquelle il bénéficia d’une mesure de liberté conditionnelle.
1. La version du requérant
22. Le requérant indique qu’il a partagé une cellule insalubre et mal aérée avec plus de trente détenus. Il ajoute que l’eau potable n’était fournie que quatre fois par jour pour des durées allant de trente minutes à une heure maximum.
23. Il affirme également que la cellule était uniquement pourvue de deux toilettes et de cinq lavabos défectueux et qu’aucune intimité pour l’hygiène personnelle et les besoins physiologiques n’était possible.
2. La version du Gouvernement
24. Le Gouvernement indique que le requérant a été détenu successivement dans des cellules de 57 m2, 50 m2 et 56 m2, qu’il aurait partagées avec quarante, trente-trois et trente-neuf détenus respectivement.
25. Il précise que, en raison de l’absence de raccordement au réseau de distribution d’eau potable, la prison disposait d’une pompe à eau et que l’administration pénitentiaire a dû ponctuellement recourir à l’instauration d’un programme de distribution d’eau. Quant à l’eau chaude, elle aurait été fournie deux fois par semaine. Toutes les cellules auraient disposé de fenêtres et de sanitaires en état de fonctionnement.
26. Le Gouvernement indique aussi que l’administration de la prison a fourni aux détenus du matériel et des produits de nettoyage. Il ajoute que les matelas et les autres éléments mobiliers étaient nettoyés et désinfectés régulièrement.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
27. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale (le « CPP ») en vigueur à l’époque des faits étaient ainsi libellées :
Article 70 § 4
« L’accusé ou l’inculpé est informé de l’obligation de prévenir par écrit, au maximum dans les trois jours, les autorités judiciaires de tout changement d’adresse. »
Article 5221
« En cas d’extradition d’une personne jugée et condamnée par défaut, l’affaire pourra être réexaminée par le tribunal de première instance, à la demande de la personne condamnée. »
28. Les dispositions générales de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines (« la loi no 275/2006 ») en vigueur au moment des faits sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).
29. Les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») émises à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, ainsi que ses observations à caractère général, sont résumées dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 125-127, 24 juillet 2012).
30. Dans son dernier rapport concernant la Roumanie, publié le 24 septembre 2015, le CPT a souligné que la surpopulation demeurait un problème important dans les établissements pénitentiaires du pays. Il a relevé que, au moment de sa visite, la population carcérale s’élevait à 32 428 détenus pour 19 427 places, et il a demandé aux autorités roumaines, pour deux des trois prisons visitées, de prendre les mesures qui s’imposaient pour faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
31. Le requérant dénonce ses conditions de détention à la prison de Poarta Albă. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
32. Sans invoquer expressément d’exception préliminaire, le Gouvernement indique que le requérant ne s’est pas plaint de la surpopulation carcérale devant les juridictions internes.
33. Pour autant que le Gouvernement reproche au requérant de ne pas s’être plaint de l’état de surpopulation carcérale devant les juridictions internes, la Cour rappelle avoir déjà jugé dans des affaires similaires relatives à de mauvaises conditions de détention et dirigées contre la Roumanie que les requérants n’avaient pas une voie de recours effective à leur disposition (Marin Vasilescu c. Roumanie, no 62353/09, § 27, 11 juin 2013 ; Bulea c. Roumanie, no 27804/10, §§ 41-42, 3 décembre 2013 ; Stoleriu c. Roumanie, no 5002/05, § 60, 16 juillet 2013, et Ţicu c. Roumanie, no 24575/10, § 47, 1er octobre 2013).
34. Par ailleurs, constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
35. Le requérant dénonce la surpopulation carcérale qu’il dit avoir subie à la prison de Poarta Albă, d’autant plus que, à ses dires, celle-ci a été aggravée par une absence d’eau qui aurait empêché le maintien d’une hygiène corporelle convenable et aurait favorisé l’apparition de maladies.
36. Le Gouvernement, tout en reconnaissant l’existence d’un état de surpopulation carcérale à la prison de Poarta Albă, renvoie aux données présentées par l’Administration nationale des prisons, qui aurait fait des efforts continus pour améliorer les conditions de détention des prisonniers.
37. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d’exécution de la mesure en cause ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000‑XI, et Enășoaie c. Roumanie, no 36513/12, § 46, 4 novembre 2014).
38. S’agissant des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques de la personne détenue (Bahnă c. Roumanie, no 75985/12, § 44, 13 novembre 2014, et Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, § 46, CEDH 2001–II). Lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, la Cour considère que le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 39, 7 avril 2005).
39. Faisant application des principes susmentionnés à la présente affaire, la Cour se penchera sur le facteur qui est primordial en l’espèce, à savoir l’espace personnel mis à la disposition du requérant dans les différentes cellules occupées par lui. Elle note que l’intéressé a disposé d’un espace personnel allant de 1,42 m² à 1,51 m² – ce qui est d’ailleurs conforté par les données communiquées par le Gouvernement (paragraphe 24 ci-dessus). Elle constate donc que le requérant a disposé en permanence d’un espace personnel inférieur à celui exigé par sa jurisprudence. Elle relève en outre que la présence du mobilier a contribué à réduire davantage l’espace personnel du requérant. Dès lors, ces éléments lui suffisent pour considérer que les conditions de détention de ce dernier s’analysent en un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.
40. Par ailleurs, la Cour n’est pas convaincue que le requérant ait bénéficié de conditions d’hygiène adéquates. À cet égard, elle note que, selon les allégations du requérant (paragraphe 22 ci-dessus), la fourniture d’eau était réduite – ce qui est confirmé par les indications fournies par le Gouvernement dans sa version des conditions de détention, selon lesquelles l’eau froide était distribuée selon un horaire restreint et l’eau chaude n’était fournie que deux fois par semaine (paragraphe 25 ci-dessus).
41. La Cour rappelle également qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention à raison des mauvaises conditions de détention à la prison de Poarta Albă (Cucolaş c. Roumanie, no 17044/03, §§ 89-94, 26 octobre 2010).
42. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
43. Le requérant se plaint que la condamnation pénale prononcée à son encontre par défaut, le 23 novembre 2011, par le tribunal de première instance de Mangalia, a enfreint son droit à un procès équitable. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
44. Le Gouvernement indique que, en application de l’article 365 du CPP en vigueur à l’époque des faits, le requérant avait la possibilité de demander, dans un délai de 10 jours suivant le début de l’exécution de la peine, la réouverture du délai légal de recours contre le jugement de condamnation par défaut, mais qu’il n’a pas fait usage de cette possibilité.
45. En tout état de cause, le Gouvernement considère que l’absence du requérant à son procès est imputable à un manque de diligence de l’intéressé, puisque celui-ci aurait manqué à son obligation de notifier son changement d’adresse aux organes de poursuite. Il estime que, en partant à l’étranger, le requérant a voulu se soustraire à la justice.
46. Le requérant maintient qu’il n’a pas été informé de l’existence de la procédure judiciaire qui a abouti à sa condamnation par défaut.
47. La Cour note que le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes puisqu’il reproche au requérant d’avoir omis de demander la réouverture du délai d’appel (paragraphe 44 ci-dessus). Toutefois, elle estime qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur ce point car cette partie de la requête est de toute manière irrecevable pour les raisons suivantes.
48. La Cour rappelle qu’une procédure se déroulant en l’absence du prévenu n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention. Il demeure néanmoins qu’un déni de justice est constitué lorsqu’une personne condamnée par défaut ne peut obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendue, sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit, alors qu’il n’est pas établi qu’elle a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre ou qu’elle a eu l’intention de se soustraire à la justice (Colozza c. Italie, 12 février 1985, § 29, série A no 89, Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 66, CEDH 2004-IV, Medenica c. Suisse, no 20491/92, § 55, CEDH 2001‑VI, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 82, CEDH 2006‑II).
49. Par ailleurs, il ne saurait incomber à l’accusé de prouver qu’il n’entendait pas se dérober à la justice ni que son absence s’expliquait par un cas de force majeure. En même temps, il est loisible aux autorités nationales d’évaluer si les excuses fournies par l’accusé pour justifier son absence étaient valables ou si les éléments versés au dossier permettaient de conclure que l’absence en question était indépendante de la volonté de l’intéressé (Sejdovic, précité, § 88).
50. En l’espèce, la Cour note que le requérant faisait l’objet de poursuites pour plusieurs infractions au code de la route constatées les 4 et 27 mars 2009 : s’agissant des premiers faits qui lui étaient reprochés, il a été renvoyé devant le tribunal de première de Constanta (paragraphe 6 ci‑dessus) et, s’agissant des seconds, il a fait l’objet d’une enquête de flagrance (paragraphe 12 ci-dessus).
51. La Cour constate que le requérant était avisé du déroulement des poursuites menées à son encontre : en effet, il avait participé à l’audience du tribunal de Constanţa du 13 janvier 2011 (paragraphe 7 ci-dessus) et fait des déclarations dans le cadre de la procédure de flagrance (paragraphe 12 ci‑dessus). La Cour observe aussi que, le 6 juin 2011, le requérant était parti à l’étranger sans prévenir les autorités judiciaires et administratives de ce départ et sans leur indiquer sa nouvelle adresse (paragraphes 9 et 13 ci‑dessus). En procédant ainsi, l’intéressé a méconnu l’obligation prévue à l’article 70 § 4 du CPP en vigueur à l’époque des faits (paragraphe 27 ci‑dessus), à savoir celle d’informer les autorités judiciaires de tout changement d’adresse au cours de la procédure.
52. La Cour observe ensuite que le requérant a été régulièrement cité à l’adresse qu’il avait indiquée comme étant la sienne et que les citations ont également été faites à la mairie de son domicile. Sur ce point, elle relève que la police et le tribunal de première instance de Mangalia ont effectué de nombreuses démarches auprès des autorités locales et des membres de la famille du requérant pour faire parvenir à ce dernier les citations à comparaître (paragraphes 15 et 19 ci-dessus), mais que ces tentatives se sont soldées par un échec dès lors que le requérant avait quitté le pays sans informer personne de sa nouvelle adresse.
53. Par conséquent, la Cour estime que les autorités judiciaires internes ont utilisé tous les moyens dont elles disposaient pour s’assurer de la comparution du requérant devant elles.
54. Eu égard à ces éléments, la Cour considère que le requérant a contribué dans une mesure déterminante à créer une situation l’empêchant de comparaître devant les juridictions internes. Par ailleurs, elle est d’avis que, en se rendant à l’étranger sans indiquer sa nouvelle adresse, l’intéressé aurait pu raisonnablement prévoir que son comportement aurait conduit à la tenue du procès en son absence. Il peut donc être considéré comme ayant renoncé, de manière implicite, mais non-équivoque, à son droit à comparaître à l’audience (voir, mutatis mutandis, Craxi c. Italie (no 1), no 34896/97, § 70, 5 décembre 2002).
55. Dans ces conditions, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, comme étant manifestement mal fondé au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
56. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
57. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi en raison de ses conditions de détention, qu’il qualifie de mauvaises.
58. Le Gouvernement considère que la somme sollicitée est excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour.
59. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour décide d’octroyer au requérant la somme de 6 500 EUR au titre du préjudice moral pour les mauvaises conditions de détention subies à la prison de Poarta Albă.
B. Frais et dépens
60. Le requérant, qui a bénéficié de l’aide juridictionnelle versée par le Conseil de l’Europe pour la présentation de ses observations et commentaires, demande le remboursement de 4 000 EUR pour les frais et dépens qui auraient été engagés pour la traduction des pièces du dossier.
61. Le Gouvernement indique que le requérant n’a pas présenté de justificatifs pour la somme réclamée.
62. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
En l’espèce, en l’absence de justificatifs présentés par le requérant, la Cour décide de n’allouer à ce dernier aucune somme à ce titre.
C. Intérêts moratoires
63. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, la somme de 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement,
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Andrea Tamietti Paulo
Pinto de Albuquerque
Greffier adjoint Président