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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ALEXOPOULOS AND OTHERS v. GREECE - 41804/13 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section)) French Text [2016] ECHR 825 (06 October 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/825.html
Cite as: CE:ECHR:2016:1006JUD004180413, ECLI:CE:ECHR:2016:1006JUD004180413, [2016] ECHR 825

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ALEXOPOULOS ET AUTRES c. GRÈCE

     

    (Requête no 41804/13)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    6 octobre 2016

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Alexopoulos et autres c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
              Ledi Bianku,
              Kristina Pardalos,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Robert Spano,
              Armen Harutyunyan,
              Pauliine Koskelo, juges,
    et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 août 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 41804/13) dirigée contre la République hellénique et dont dix ressortissants de cet État, un ressortissant serbe et un ressortissant turc (« les requérants », dont la liste figure en annexe), ont saisi la Cour le 24 juin 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérants ont été représentés par Mes K. Tsitselikis et A. Spathis, avocats à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. I. Bakopoulos, assesseur au Conseil juridique de l’Etat. Les gouvernements serbe et turc n’ont pas usé de leur droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).

    3.  Les requérants allèguent en particulier une violation de l’article 3, en raison de leurs conditions de détention à la prison de Komotini.

    4.  Le 30 août 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Certains des requérants furent détenus à la prison de Komotini et d’autres le sont encore. Plus précisément, les requérants nos 1, 6, 8 et 11 furent libérés respectivement les 22 avril, 19 avril, 9 septembre et 19 avril 2013. Les requérants nos 9, 10 et 12 furent transférés, le premier le 21 août 2013 à la prison de Trikala, les deux autres respectivement les 26 octobre et 7 décembre 2013 à la prison de Kassandra.

    A.  Les conditions de détention dans la prison de Komotini selon les requérants

    6.  Selon les requérants, la prison, d’une capacité de 96 détenus, en accueillait 345 au début de l’année 2013. Chacune des neuf chambrées de 30 m² accueillait 25 détenus et chacune des vingt cellules de 6 m² accueillait 4 détenus. Six autres cellules de 5 m² accueillaient chacune 3 à 4 détenus. L’espace personnel de chaque détenu ne dépassait pas 1,2 m² à 1,7 m², le lit inclus. Les cellules étaient mal aérées et avaient peu de lumière naturelle. Toutes les cellules ne disposaient pas de toilettes et les détenus étaient obligés d’utiliser les toilettes communes en nombre insuffisant. Un certain nombre d’entre elles n’étaient pas nettoyées par les autorités de la prison et les détenus ne disposaient pas de produits pour les nettoyer. Les toilettes ne fermaient pas.

    7.  La prison était dépourvue de réfectoire et les détenus prenaient leurs repas sur leurs lits. La nourriture était pauvre en quantité et en qualité nutritive.

    8.  Le système de chauffage ne fonctionnait que pendant une à deux heures par jour. Il n’y avait aucune assistance psychologique ou psychiatrique et les soins médicaux offerts aux détenus étaient sommaires.

    9.  Enfin, le nombre insuffisant des effectifs pénitentiaires (45 gardiens au lieu des 96 prévus) ne suffisait pas à assurer la sécurité des détenus.

    10.  Les requérants affirment que tant le ministère de la Justice que la direction de la prison sont conscients de la situation dans la prison de Komotini. À cet égard, ils produisent une lettre, datée du 7 février 2013, et adressée au ministre de la Justice par l’association du personnel pénitentiaire de la prison. Dans cette lettre, l’association se référait spécifiquement au problème de surpopulation régnant dans la prison et notait qu’elle accueillait à cette date 340 détenus et que des chambrées prévues pour 8 à 10 personnes en accueillaient 30 voire plus. L’association demandait le désengorgement immédiat de la prison.

    11.  Par ailleurs, la première semaine de décembre 2012, le personnel pénitentiaire de la prison fit grève pour deux raisons principales : la diminution à un seuil critique des effectifs et l’aggravation des conditions de détention, situation qui se répercutait sur les conditions de travail du personnel.

    B.  Les conditions de détention dans la prison de Komotini selon le Gouvernement

    12.  Le Gouvernement affirme que les détenus ont la possibilité de se promener dans la cour de la prison deux fois par jour (de 8 h 30 à 11 h 30 et de 14 h 45 à jusqu’à 15 minutes avant le coucher du soleil). Pendant ce temps, ils peuvent participer à des sports collectifs (basketball, football et volleyball) ou faire de l’exercice dans la salle de sport moderne qui existe au sein de la prison. Il existe aussi une bibliothèque avec des livres en grec ou dans d’autres langues ainsi que cent postes de travail.

    13.  Les cellules sont chauffées par un système de chauffage central. À certaines heures de la journée, il y a fourniture d’eau chaude. Les chambrées et cellules sont équipées de postes de télévision. Des vêtements et des chaussures sont distribués aux détenus indigents. Les détenus prennent leurs repas dans leurs cellules qui disposent de tables et de chaises. Les repas (trois par jour), préparés dans les cuisines de la prison, incluent de la viande et de la volaille, du poisson et des fruits. Il existe aussi des repas spéciaux pour les détenus pratiquants d’autres confessions. Les détenus peuvent aussi acheter des aliments dans la petite épicerie qui fonctionne au sein de la prison.

    14.  Le médecin généraliste de la prison examine quotidiennement les détenus qui en font la demande. En outre, un psychologue effectue des sessions individuelles ou collectives.

    15.  Deux fois par an, une entreprise procède à la désinsectisation des cellules.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    16.  Pour le droit et la pratique internes pertinents, se référer à la décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, §§ 17-21, 26 novembre 2013).

    III.  LES CONSTATS DU COMITÉ POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DEGRADANTS (CPT)

    17.  Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT relevait que la prison de Komotini, comportant deux ailes d’une capacité officielle de 96 détenus, en accueillait 336 à la date de la visite. La première aile était composée de neuf chambrées, mesurant chacune 60 m² (toilette incluse) et accueillant 25 à 30 détenus. Certains détenus partageaient un lit et certains dormaient sur des matelas posés par terre. Le plafond et les murs de certaines chambrées étaient couverts de moisissure. La deuxième aile était composée de vingt cellules de 8 m² chacune, toilette et lavabo inclus (qui n’étaient pas totalement séparés du reste de la cellule). Les cellules étaient équipées de deux séries de lits superposés et, à la date de la visite, quinze d’entre eux accueillaient chacune quatre détenus. Les cinq cellules restantes accueillaient six détenus chacune, ce qui constituait un niveau de surpeuplement intolérable. Le besoin en espace était tel que les cinq cellules disciplinaires étaient utilisées pour accueillir des détenus qui devaient être protégés.

    18.  Les détenus se sont plaints aux représentants du CPT que les autorités de la prison aspergeaient les cellules d’insecticide sans prendre aucune précaution, ce qui provoquait des malaises chez certains détenus. Toutefois, malgré l’usage d’insecticides, il n’était pas possible d’éliminer la présence des cafards.

    19.  Un médecin visiteur venait à la prison de 8 h à 11 h 30 et plus occasionnellement un dentiste. Il y avait deux infirmières qui travaillaient à plein temps. Ce niveau de présence médical serait suffisant si la prison fonctionnait dans les limites de sa capacité officielle, mais il était totalement inadéquat pour une population de 336 détenus.

    20.  En raison des coupures dans le budget, l’école ne fonctionnait plus dans la prison faute de crédits pour le recrutement de professeurs.

    EN DROIT

    I.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION

    21.  Les requérants se plaignent de leurs conditions de détention dans la prison de Komotini. Ils allèguent une violation de l’article 3 de la Convention à cet égard. Invoquant l’article 13, les requérants dénoncent également l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de leurs conditions de détention. Ces articles sont ainsi libellés :

    Article 3

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    Article 13

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    A.  Sur la recevabilité

    22.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes faute pour les requérants nos 1, 6, 8, 9, 10, 11 et 12, qui avaient été libérés ou transférés à d’autres prisons à la date de l’introduction de la requête, d’avoir introduit une action sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil. Il invite aussi la Cour à rejeter la requête pour non épuisement des voies de recours internes faute pour tous les requérants d’avoir utilisé certains recours qui leur permettent de se plaindre de leurs conditions de détention : la saisine du procureur chargé de l’exécution des peines et de l’application des mesures de sécurité prévues par l’article 572 du code de procédure pénale ; la saisine du conseil disciplinaire de la prison prévu par l’article 6 du code pénitentiaire ; la saisine du tribunal d’exécution des peines ou de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel prévues par les articles 86 et 87 du même code.

    23.  Se référant à l’arrêt Kanakis c. Grèce (no 40146/11, § 88, 12 décembre 2013), les requérants nos 1, 6 et 11 déclarent souhaiter se désister de leur requête. Les autres requérants soulignent qu’à la date de la saisine de la Cour, ils étaient tous en détention. Les requérants nos 8, 9, 10, 12 étaient libérés ou transférés après la saisine de la Cour et donc on ne saurait prétendre qu’ils n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Quant aux recours prévus aux articles 6, 86 et 87 du code pénitentiaire et 572 du code de procédure pénale, tous les requérants soulignent qu’ils sont dépourvus de toute efficacité car jamais dans le passé ils n’ont servi à améliorer le problème structurel des conditions de détention dans les prisons.

    1.  En ce qui concerne les requérants nos 1, 6 et 11

    24.  Au vu de la position exprimée par ces requérants, et en l’absence de circonstances particulières touchant au respect des droits garantis par la Convention ou ses Protocoles, la Cour considère qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de ces griefs, au sens de l’article 37 § 1 a) de la Convention. Il convient donc de rayer l’affaire du rôle en ce qui concerne les requérants nos 1, 6 et 11.

    2.  En ce qui concerne les autres requérants nos 8, 9, 10 et 12

    25.  La Cour rappelle que, s’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, la situation d’une personne qui a été détenue dans des conditions qu’elle estime contraires à l’article 3 de la Convention et qui saisit la Cour après sa mise en liberté diffère de celle d’un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce (Christodoulou et autres c. Grèce, no 80452/12, § 57, 5 juin 2014). En outre, l’obligation pour le requérant d’épuiser les voies de recours internes s’apprécie en principe à la date de l’introduction de la requête devant la Cour (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, 22 mai 2001 et Koutalidis c. Grèce, no 18785/13, § 61, 27 novembre 2014).

    26.  La Cour réitère que l’action de l’article 105 précité constitue un recours purement indemnitaire qui permettrait à une personne de demander et d’obtenir réparation lorsque celle-ci une fois mise en liberté souhaiterait se plaindre de ses conditions de détention dans la prison où elle était détenue. Toutefois, ce recours ne permet pas à l’intéressé d’obtenir une amélioration de ses conditions de détention. Il lui manque donc le caractère préventif dans le sens de l’arrêt Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012).

    27.  En l’espèce, la Cour observe que les requérants nos 9, 10 et 12 ont été transférés vers d’autres prisons pour purger leur peines les 21 août, 26 octobre et 7 décembre 2013 respectivement. Quant au requérant no 8, il a été mis en liberté le 9 septembre 2013. Or, lorsqu’ils ont saisi la Cour le 24 juin 2013, en même temps que les requérants nos 2, 3, 4, 5 et 7, ils ne se trouvaient pas en liberté. L’action de l’article 105 ne leur serait donc d’aucune utilité, au vu notamment de la surpopulation carcérale existant couramment en Grèce (voir aussi Adiele et autres c. Grèce, no 29769/13, §§ 33-34, 25 février 2016).

    28.  Il s’ensuit que la requête ne doit pas être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour autant qu’elle concerne les requérants précités.

    3.  En ce qui concerne les requérants nos 2, 3, 4, 5 et 7

    29.  S’agissant des conditions de détention, la Cour a conclu dans certaines affaires (Vaden c. Grèce, no 35115/03, §§ 30-33, 29 mars 2007 et Tsivis c. Grèce, no 11553/05, §§ 18-20, 6 décembre 2007) que les requérants n’avaient pas épuisé les voies de recours internes, faute d’avoir utilisé les recours prévus à l’article 572 du code de procédure pénale et à l’article 6 de la loi no 2776/1999. Dans ces affaires, les requérants se plaignaient de circonstances particulières qui les affectaient personnellement en tant qu’individus et auxquelles ils estimaient que les autorités pénitentiaires pouvaient mettre un terme en prenant les mesures appropriées. En revanche, elle a affirmé à plusieurs reprises que, dans la mesure où le requérant allègue être personnellement affecté par les conditions générales de détention dans la prison, comme en l’occurrence, les recours prévus aux articles 6 et 572 précités ne seraient d’aucune utilité (voir, parmi beaucoup d’autres, Papakonstantinou c. Grèce, no 50765/11, § 51, 13 novembre 2014).

    30.  La Cour ne voit aucune raison de s’écarter dans la présente affaire de sa jurisprudence constante à cet égard et rejette donc l’exception du Gouvernement.

    4.  Conclusion

    31.  La Cour observe que les griefs des requérants nos 2-5, 7-10 et 12 ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.

    B.  Sur le bien-fondé de la requête en ce qui concerne les requérants nos 2-5, 7-10 et 12

    32.  Les requérants se réfèrent à leur version des conditions de détention dans la prison de Komotini et produisent à l’appui de leurs dires des photos prises à l’intérieur des chambrées et des cellules.

    33.  Le Gouvernement se réfère à sa propre version et souligne qu’indépendamment du nombre de détenus qui varie dans le temps, la période pendant laquelle les détenus se trouvent dans la cour de la prison attenue les effets de la surpopulation alléguée par les requérants. Quant à lettre du 7 février 2013 adressée au ministre de la Justice par l’association du personnel pénitentiaire de la prison, elle n’avait pas pour but de donner un aperçu des conditions de détention mais de faire connaître les problèmes de sécurité existant dans la prison et les besoins de renforcer les effectifs de ce personnel.

    34.  En ce qui concerne les principes généraux de l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, parmi beaucoup d’autres, Filippopoulos c. Grèce, no41800/13, §§ 64-67, 12 novembre 2015).

    35.  En l’espèce, la Cour note que les requérants ne précisent pas dans quelle cellule ou dans quelle chambrée ils étaient détenus. Elle relève cependant que la prison de Komotini, d’une capacité officielle de 96 détenus, elle en accueillait 340 environ le premier semestre 2013, période pendant laquelle les requérants ont saisi la Cour. Les requérants affirment que chacune des neuf chambrées de 30 m² accueillait 25 détenus et chacune de vingt cellules de 6 m² en accueillait 4, que leur espace personnel ne dépassait pas 1,2 m² à 1,7 m² et qu’un certain nombre de détenus dormait par terre. L’état de surpeuplement dans la prison était d’ailleurs dénoncé par le personnel pénitentiaire dans leur lettre du 7 février 2013 au ministre de la Justice dans laquelle ils demandaient le désengorgement immédiat de la prison. Il était aussi constaté par le CPT dans son rapport du 5 juillet 2013 qui qualifiait d’ « intolérable » la situation dans certaines cellules.

    36.  La Cour note aussi que le Gouvernement ne conteste pas ces chiffres. Il soutient seulement que cette situation était atténuée par le fait que les détenus, dont les requérants, pouvaient passer plusieurs heures de la journée dans la cour de la prison. Toutefois, la Cour observe que les heures de la promenade étaient fixées de 8 h 30 à 11 h 30 et de 14 h 45 jusqu’à 15 minutes avant le coucher de soleil, ce qui implique que les requérants étaient obligés de passer une moyenne de 17 heures par jour (le coucher du soleil variant en fonction de la saison de l’année) dans leurs chambrées et cellules.

    37.  De l’avis de la Cour, le fait pour les requérants de pouvoir rester une moyenne de six heures dans la cour de la prison ne saurait compenser le fait que pour le reste du jour ils étaient en réalité confinés sur leurs lits dans des conditions avec un manque total d’intimité, le surpeuplement précité de la prison, clairement visible sur les photos envoyées par les requérants, ne leur laissant aucun autre choix. À cela s’ajoute l’absence de réfectoire dans la prison obligeant les détenus à prendre leurs repas sur leurs lits, la moisissure sur les plafonds et les murs, ainsi que l’absence de porte devant certaines toilettes des cellules, relevé par le CPT et visible aussi sur les photos fournies par le requérant.

    38.  Eu égard à l’effet cumulatif des conditions de détention des requérants, la Cour estime que celles-ci ont atteint le seuil de gravité requis pour qualifier leur détention de traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.

    39.  Il y a donc eu violation de cette disposition.

    40.  Compte tenu de ses conclusions aux paragraphes 29-30, elle conclut qu’il y a eu aussi violation de l’article 13 combiné avec l’article 3.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    41.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    42.  En fonction de la durée de leur détention, les requérants réclament au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi les sommes suivantes à verser directement au compte bancaire indiqué par leurs représentants : le requérant no 2 13 000 euros (EUR) ; le requérant no 3 10 000 EUR ; le requérant no 4 10 000 EUR ; le requérant no 5 10 000 EUR ; le requérant no 7 10 000 EUR ; le requérant no 8 7 000 EUR ; le requérant no 9 7 000 EUR ; le requérant no 10 13 000 EUR et le requérant no 12 13 000 EUR.

    43.  Le Gouvernement soutient que la durée de la détention des requérants ne devrait pas constituer le seul critère pour la fixation du montant de l’indemnité et qu’il faudrait tenir compte d’autres critères tels les mesures prises en vue de l’amélioration des conditions de détention et du désengorgement de la prison comme le transfert des détenus vers d’autres prisons. Il considère qu’une somme de 1 000 EUR à ceux qui étaient détenus à la date de la saisine de la Cour, et à condition qu’ils y soient encore détenus, constituerait une satisfaction suffisante. Enfin, il affirme que rien ne justifie que le paiement soit fait sur le compte bancaire des représentants.

    44.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au titre du préjudice moral, 5 000 EUR aux requérants nos 5, 8 et 9 et 7 000 EUR aux requérants nos 2, 3, 4, 7, 10 et 12. Ces sommes seront versées directement sur le compte bancaire indiqué par leurs représentants (voir, parmi beaucoup d’autres et en dernier lieu, Adiele et autres, précité, § 65).

    B.  Frais et dépens

    45.  Les requérants demandent également conjointement 2 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, en affirmant qu’ils ont conclu avec leurs conseils un accord concernant les honoraires de ceux-ci, qui se rapprocherait d’un accord de quota litis. Ils demandent aussi que ces sommes soient versées directement sur le compte bancaire indiqué par leurs conseils.

    46.  La Cour observe que les prétentions au titre des frais et dépens ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires. Il convient donc d’écarter la demande.

    C.  Intérêts moratoires

    47.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Décide de rayer la requête du rôle en ce qui concerne les requérants nos 1, 6 et 11 ;

     

    2.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention en ce qui concerne les requérants nos 2-5, 7-10 et 12 ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 5 000 EUR (cinq mille euros) à chacun des requérants nos 5, 8 et 9, et 7 000 EUR (sept mille euros) à chacun des requérants nos 2, 3, 4, 7, 10 et 12, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à verser directement sur le compte bancaire indiqué par leurs avocats :

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

      Renata Degener                                                   Mirjana Lazarova Trajkovska
    Greffière adjointe                                                                 Présidente


     

    ANNEXE

     

    1.      Marios ALEXOPOULOS est un ressortissant grec né en 1969.

    2.      Hasim EFE est un ressortissant turc né le 19/05/1962

    3.      Yasar ERGUN est un ressortissant grec né le 28/04/1965

    4.      Athanasios HATZIPARASKEVAS est un ressortissant grec né en 1965.

    5.      Napoloeon KARADEDOS est un ressortissant grec né en 1953.

    6.      Vasilios KOUSOGLOU est un ressortissant grec né en 1981.

    7.      Lazaros LAZARIDIS est un ressortissant grec né en 1984.

    8.      Anthimos PAVLIDIS est un ressortissant grec né en 1949.

    9.      Konstantinos POLYZAS est un ressortissant grec né en 1976.

    10.  Kristian SVETKOVIC est un ressortissant serbe né en 1986.

    11.  Marios TERLEPANIS est un ressortissant grec né en 1978.

    12.  Savvas TSAPAKIDIS est un ressortissant grec né en 1958.


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