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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KALANDIA v. GREECE - 48684/15 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section)) French Text [2016] ECHR 826 (06 October 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/826.html Cite as: [2016] ECHR 826, CE:ECHR:2016:1006JUD004868415, ECLI:CE:ECHR:2016:1006JUD004868415 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE KALANDIA c. GRÈCE
(Requête no 48684/15)
ARRÊT
STRASBOURG
6 octobre 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kalandia c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mirjana Lazarova Trajkovska,
présidente,
Ledi Bianku,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 septembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 48684/15) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant géorgien, M. Dato Kalandia (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 octobre 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me E.-L. Koutra, avocate à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’État, et Mme K. Karavasili, auditrice au Conseil juridique de l’État. Le gouvernement géorgien n’a pas usé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).
3. Le requérant se plaint en particulier d’une violation de l’article 3 de la Convention (en raison de ses conditions de détention et des soins reçus pendant son incarcération) et de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3.
4. Le 7 octobre 2015, la Cour a fait droit à la demande du requérant d’appliquer l’article 39 de son règlement (« le règlement »), et elle a invité le Gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir à l’intéressé les soins médicaux requis par son état de santé ainsi que des conditions de détention et de transfert appropriées à celui-ci. Le 10 novembre 2015, à la suite d’une nouvelle demande du requérant, la Cour a décidé de maintenir l’application de l’article 39 du règlement, et elle a invité le gouvernement grec à prendre des mesures plus concrètes à l’égard du requérant, à savoir : transférer l’intéressé dans un hôpital ; assurer son hospitalisation jusqu’à ce que des soins soient mis en place pour la tuberculose résistant au traitement et les problèmes psychiatriques dont il disait souffrir, ainsi que jusqu’à ce que des examens soient ordonnés s’agissant de sa tumeur à la poitrine ; envisager, à la suite de la mise en place d’un traitement adéquat couvrant toutes ses pathologies, son transfert dans un hôpital pénitentiaire ou dans une prison où les conditions de détention seraient compatibles avec son état.
5. Le 19 novembre 2015, les griefs concernant les articles 3 et 13 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Le requérant est né en 1986.
7. Incarcéré depuis le 27 juillet 2012 dans différentes prisons, il est actuellement détenu à la prison d’Alikarnassos. Il fut condamné à quatre reprises à la réclusion criminelle à perpétuité et à sept ans d’emprisonnement. Porteur du VIH, sa santé se serait détériorée depuis son incarcération : il aurait développé le syndrome d’immunodéficience acquise (le sida) et serait en phase terminale (stade C de la maladie). Ayant été en contact avec des détenus porteurs de la tuberculose, le requérant serait également atteint d’une tuberculose hautement contagieuse et résistant au traitement. Il aurait aussi des tendances suicidaires et souffrirait de dépression sévère et de crises de panique.
8. D’après deux certificats médicaux, l’un établi par l’hôpital de la prison de Korydallos le 27 mai 2014 et l’autre par l’hôpital général des maladies du thorax d’Athènes, le requérant était atteint du VIH et il semblait avoir développé la maladie du sida (νοσεί) ainsi qu’une tuberculose résistant au traitement.
A. Le recours du requérant tendant à sa mise en liberté en raison de son état de santé
9. Au cours de sa détention à la prison de Grevena, le 10 juin 2014, alors qu’il avait été admis à l’hôpital de la prison de Korydallos, le requérant introduisit une demande de mise en liberté sous condition sur le fondement de l’article 110A du code pénal (CP).
10. Par une décision no 626/2014, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée ordonna une expertise, conformément à l’article 110A § 2 du CP, afin de vérifier si le requérant avait ou non développé le sida. Le 12 septembre 2014, le médecin expert, généraliste au service des maladies vénériennes et dermatologiques de l’hôpital Andreas Syggros, présenta son rapport dans lequel il affirmait que le requérant avait effectivement développé (νοσεί) le syndrome d’immunodéficience acquise et souffrait aussi d’une tuberculose résistant au traitement.
11. Par une décision du 20 octobre 2014, la chambre d’accusation ordonna la rectification du rapport précité afin qu’il y fût inclus un certificat établi par le directeur de l’hôpital Andreas Syggros, où le requérant avait été admis.
12. Dans son certificat daté du 8 janvier 2015, ledit directeur concluait lui aussi que le requérant avait développé (νοσεί) le syndrome d’immunodéficience acquise et souffrait d’une tuberculose résistant au traitement.
13. Par une décision no 52/2015, après avoir constaté que le requérant avait été transféré à la prison de Corfou le 27 janvier 2015, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée se déclara incompétente et transmit la demande de l’intéressé à la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Corfou.
14. Par une décision du 8 avril 2015, la chambre d’accusation de cette juridiction rejeta la demande du requérant.
Elle notait que l’expert susmentionné avait rapporté que l’infection VIH était divisée en trois stades de gravité et que le stade C’était le plus grave. Elle relevait toutefois qu’il n’avait fait aucune référence aux critères qui permettaient de distinguer un porteur du virus d’une personne qui avait développé la maladie. Elle observait aussi qu’il ressortait de différents certificats médicaux concernant le requérant que celui-ci avait été diagnostiqué séropositif et qu’il était soumis à un traitement médicamenteux pour cette raison. Elle notait en outre que, selon le rapport, tel que complété le 8 janvier 2015, la coexistence de la tuberculose et de l’infection VIH conduisait à la conclusion que le requérant avait développé le syndrome d’immunodéficience acquise et était atteint d’une tuberculose résistant au traitement. Pour autant, elle considérait que le contenu de ce document n’ébranlait pas sa conviction selon laquelle le requérant était seulement séropositif et n’avait pas développé le sida. À cet égard, elle constatait que les symptômes cliniques qui caractérisaient cette maladie étaient, d’après la littérature médicale internationale, la toxoplasmose du cerveau, la mycose de l’œsophage, de la trachée et des bronches et le sarcome de Kaposi, que le requérant ne présentait pas ces symptômes et que, par conséquent, la conclusion susmentionnée ne trouvait pas de fondement dans cette littérature. Elle estimait ainsi que les conditions substantielles pour accorder la mise en liberté sous condition ne se trouvaient pas réunies dans le cas du requérant.
15. La chambre d’accusation se référait aussi à l’avis rendu par le procureur sur la demande du requérant.
Selon cet avis, le rapport d’expertise, qualifié de lacunaire par le procureur, ne contenait ni une description suffisante de la maladie, du stade auquel le requérant se serait trouvé, des symptômes qu’il aurait présentés et du traitement médicamenteux qu’il aurait reçu, ni un exposé détaillé des examens auxquels l’intéressé aurait été soumis et sur lesquels le rapport aurait été fondé, ni une explication des résultats - alors que, d’après le procureur, ces éléments auraient pu permettre d’établir si le requérant était simple porteur du virus ou s’il avait développé le sida.
Également d’après cet avis, il avait été procédé à une appréciation globale des documents déposés par le requérant et il en ressortait clairement que ce dernier était simple porteur du virus et bénéficiait pour cette raison d’un aménagement de sa peine. Enfin, toujours selon cet avis, pour que le dispositif humanitaire prévu à l’article 110A du CP pût s’appliquer, il eût fallu que le contenu du rapport précité eût été plus circonstancié, eu égard au fait que le requérant purgeait une peine de réclusion pour des infractions d’une extrême gravité.
16. La décision de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Corfou était insusceptible de recours.
17. Le 13 janvier 2016, le requérant fut transféré à la prison de Larissa. Initialement détenu dans une cellule du quartier disciplinaire, il fut placé dans une autre cellule, située dans l’aile centrale de la prison, à la suite de protestations de sa part. Le 22 janvier 2016, le conseil de la prison de Larissa demanda le transfert immédiat du requérant dans un autre établissement pénitentiaire, aux motifs qu’il existait « un grand risque de transmission de maladie contagieuse (le sida) » et que la prison ne disposait pas d’un lieu spécial de détention où les prisonniers atteints du sida pouvaient bénéficier des mêmes conditions de détention que les autres détenus. Le 5 février 2016, la Commission spéciale des transferts se prononça sur cette demande et autorisa le transfert.
18. Le 10 février 2016, le requérant fut transféré à la prison d’Alikarnassos, située en Crète.
19. À une date non précisée en 2016, le requérant déposa une nouvelle demande de mise en liberté sur le fondement de l’article 110A du CP. Le 11 avril 2016, le procureur près le tribunal correctionnel de Héraklion ordonna une expertise et désigna comme expert un professeur en médecine, directeur de l’unité des infections spéciales de l’hôpital universitaire de Héraklion. Celui-ci remit son rapport le 25 mai 2016.
B. La requête du requérant au procureur superviseur de la prison de Grevena
20. Par une lettre du 28 octobre 2015, et alors que le Gouvernement s’était déjà vu indiquer une mesure provisoire par la Cour en application de l’article 39 du règlement, le requérant saisit le procureur superviseur de la prison de Grevena sur le fondement de l’article 572 du code de procédure pénale (CPP). Dans cette lettre, il informait ledit procureur que sa situation n’avait pas changé depuis l’intervention de la Cour. Il ajoutait qu’il n’avait pas reçu de traitement alors qu’il aurait pris froid et aurait été fiévreux, qu’il continuait à mettre la santé de ses codétenus en danger en raison de la tuberculose dont il disait souffrir et, enfin, que son maintien en prison diminuait davantage son espérance de vie, précisant que celle-ci était déjà courte eu égard à son état de santé. Il invitait le procureur superviseur à organiser son transfert à l’hôpital dans les vingt-quatre heures et à prendre toutes les mesures appropriées afin que ses conditions de détention fussent compatibles avec les articles 2, 3, 5, 8, 10, 13 et 14 de la Convention ainsi qu’avec la mesure provisoire indiquée par la Cour.
21. Le requérant ne reçut aucune réponse du procureur.
22. Le 15 décembre 2015, le requérant demanda au ministre de la Justice de le transférer dans « n’importe quel établissement où sa santé serait préservée, y compris à l’hôpital de la prison de Korydallos ».
C. La détention du requérant à la prison de Grevena
1. La version du requérant
23. Le requérant indique qu’il a été incarcéré à la prison de Grevena le 3 avril 2014.
Il affirme avoir été placé dans une cellule du quartier disciplinaire où il aurait bénéficié d’un espace personnel inférieur à 2 m² et où il n’aurait disposé ni d’un lit (il aurait dormi par terre) ni d’une chaise, alors que, à ses dires, il ne pouvait pas se tenir debout pendant plus de quelques minutes ni être autonome. Par conséquent, il n’aurait pas eu la possibilité de s’asseoir pendant toute la journée et il aurait également été obligé de manger par terre. Le requérant ajoute qu’il n’y avait pas de bancs, ni même d’endroits à l’ombre, dans la cour du quartier disciplinaire et que son état de santé le contraignait à y rester assis à même le sol en ciment.
24. La cellule susmentionnée n’aurait pas été aérée, faute d’accès à l’air frais. Le requérant indique qu’il y a été placé avec un autre détenu séropositif et que, de ce fait, ce dernier a été exposé à un risque accru de se faire contaminer par la tuberculose dont lui-même aurait souffert.
25. La cellule aurait été équipée d’une salle d’eau dépourvue d’une tuyauterie adéquate, et les détenus auraient ainsi été obligés de se laver en se servant de tasses. La salle d’eau n’aurait pas disposé de fenêtre et n’aurait pas été ventilée, et les odeurs des toilettes auraient été nauséabondes. Les vêtements et le linge auraient été lavés dans un seau et mis à sécher dans une petite cour adjacente. La cellule aurait été froide en hiver et chaude en été. Aucune activité récréative n’aurait été proposée dans la prison.
26. Le requérant qualifie la nourriture reçue comme étant « impossible à sentir et à avaler ». Il aurait été sous-alimenté et « ses os [seraient devenus] visibles à l’œil nu ». Le budget consacré à la nourriture se serait élevé à 1 euro (EUR) par jour et par détenu.
27. Le requérant affirme qu’il ne recevait rien pour la tuberculose résistant au traitement et les troubles psychiatriques dont il disait souffrir et que, de surcroît, il n’avait été soumis à aucun examen pour sa tumeur à la poitrine.
28. Le requérant indique aussi que la présence continue d’un médecin n’était pas assurée au sein de la prison. Il précise qu’un médecin généraliste visitait celle-ci une fois par mois environ et que, eu égard au nombre de détenus dans cette prison, qu’il qualifie d’élevé, sa présence était symbolique. Il ajoute que la prison avait passé un contrat avec un médecin de Grevena, pour que celui-ci visitât la prison deux fois par semaine, uniquement à partir de septembre 2015. Il affirme aussi que les détenus ne pouvaient d’ailleurs pas se prévaloir des demandes d’examen médical faites par eux car celles-ci n’auraient pas été enregistrées.
29. Le requérant soutient également que l’employé de l’infirmerie chargé de lui administrer son traitement antiviral dans sa cellule était un simple agent pénitentiaire dépourvu de toute formation en la matière.
30. Il indique par ailleurs que, à l’occasion de son transfert à l’hôpital de Thessalonique, il a été contraint de passer plusieurs jours dans une cellule surpeuplée du centre de transfert dans des conditions qui auraient été très dures (à ses dires, sans lit, sans chaise, sans lumière naturelle et sans promenade) et qu’en outre l’hôpital n’a pas examiné sa tumeur à la poitrine au motif qu’il « ne se trouvait pas dans le service compétent ». Qui plus est, lors de ses transferts aux hôpitaux de Thessalonique et de Korydallos, la durée des trajets aurait été très longue, les transferts auraient toujours été réalisés au moyen de véhicules cellulaires bondés et l’intéressé aurait toujours été transporté menotté et sans précaution particulière au regard de son état de santé.
31. Le requérant affirme enfin que, à l’occasion d’un transfert à l’hôpital de Grevena, un médecin lui avait dit que l’hôpital n’était pas équipé pour traiter des cas de cancer et qu’il devait être hospitalisé dans une unité de soins spécialisée. Il soutient que c’est pour cette raison qu’il avait refusé de se rendre à nouveau à l’hôpital de Grevena, le 6 août 2015, pour un contrôle de sa tumeur.
2. La version du Gouvernement
32. À la suite de la décision de la Cour d’appliquer l’article 39 du règlement dans le cas du requérant, le Gouvernement a informé celle-ci que l’intéressé avait bénéficié de conditions de détention appropriées à la prison de Grevena, qu’il décrit comme suit : deux fois par jour un employé de l’infirmerie de la prison se rendait dans la cellule du requérant et prodiguait à ce dernier le traitement pharmaceutique prescrit ; le requérant se faisait examiner par le médecin de la prison chaque fois qu’il le demandait et, en cas de besoin, il était transféré en urgence à l’hôpital de Grevena ; tous les transferts s’effectuaient dans des conditions adéquates.
33. Le Gouvernement fournit par ailleurs un rapport établi par le directeur de la prison de Grevena, selon lequel : le requérant était placé dans une cellule de 11,04 m² (qui incluait les toilettes, une table, deux chaises et deux lits), équipée d’une fenêtre de 1 m x 1,10 m ; la cellule était située dans le quartier disciplinaire de la prison et était spécialement aménagée pour les détenus présentant de graves problèmes de santé ; le quartier disciplinaire accueillait des détenus qui devaient être protégés, et non des détenus sanctionnés disciplinairement ; le requérant avait été placé dans la cellule en question à sa demande, avec un autre détenu qui avait la même nationalité que lui et qui souffrait du même problème médical que lui.
34. Le Gouvernement expose également ce qui suit : la cellule disposait du chauffage central et était chauffée par un deuxième radiateur électrique, et celui-ci fonctionnait toute la journée ; l’eau chaude était fournie pendant une heure le matin et une heure le soir ; le requérant avait la possibilité de confier son linge à la laverie de la prison, mais il préférait laver lui-même ses vêtements dans sa cellule et les faire sécher dans la cour.
35. Le Gouvernement indique aussi que la cour du quartier disciplinaire était de dimension réduite mais adaptée au nombre de détenus amenés à se trouver dans cet espace - nombre qu’il qualifie de peu élevé. Cette cour aurait été équipée de chaises et il y aurait toujours eu de l’ombre au moins à l’un de ses quatre côtés en raison de la hauteur des murs (qui aurait été de six mètres).
36. Le Gouvernement affirme que le requérant devait suivre un régime particulier en fonction des instructions des médecins. Il estime que les assertions de l’intéressé selon lesquelles celui-ci était sous-alimenté et avait perdu du poids au point de ne plus pouvoir se tenir debout sont non fondées.
37. Le Gouvernement considère aussi que l’état de santé du requérant n’était pas inquiétant. Il est d’avis que le comportement du requérant est significatif à cet égard, et il se réfère en cela au refus de celui-ci de se rendre à l’hôpital de Grevena le 6 août 2015 et à une déclaration sur l’honneur signée par l’intéressé quant à une mastographie et une échographie de la poitrine qui auraient été prévues ce jour-là.
38. De plus, d’après le Gouvernement, il ressort du dossier médical du requérant que, à l’époque des faits, ce dernier ne souffrait plus de tuberculose et, par conséquent, n’avait plus besoin d’être traité pour cette maladie et ne risquait plus de contaminer ses codétenus. En ce sens, un certificat médical établi par l’unité des infections spéciales de l’hôpital universitaire de Héraklion aurait attesté de la fin du traitement contre la tuberculose en 2014.
39. Par ailleurs, selon le Gouvernement, deux psychologues de la prison de Grevena ont eu un entretien avec le requérant et n’ont pas constaté à cette occasion l’existence de problèmes psychologiques ou le besoin d’un suivi psychologique. Ces spécialistes auraient été quotidiennement présents à la prison, mais le requérant n’aurait jamais sollicité leur assistance.
40. Quant aux suivi et soins médicaux assurés au requérant, le Gouvernement expose ce qui suit, en se fondant sur une note d’information émise par le dispensaire de la prison de Grevena :
- du 10 au 14 mai 2015, le requérant a été hospitalisé à l’hôpital de Thessalonique ;
- le 28 mai 2015, il a été examiné par le médecin de la prison, qui a établi la présence d’une douleur à la poitrine, du côté droit, et à l’hypocondre droit ;
- du 5 au 8 juin 2015, il a été hospitalisé à l’hôpital de la prison de Korydallos ;
- le 18 juin 2015, il a été examiné par le médecin de la prison, qui lui a prescrit un médicament (Lonarid) et a diminué le dosage d’un autre médicament (Lyrica) ;
- le 8 juillet 2015, il s’est vu prescrire un nouveau traitement (2 BT Atripla) par l’hôpital ACHEPA ;
- le 9 juillet 2015, il a été examiné par le médecin de la prison, qui lui a prescrit des contrôles mastologique et hématologique. Il s’est rendu à l’hôpital de Grevena le 22 juillet 2015 pour le deuxième examen, puis à l’hôpital Papanikolaou le 23 juillet 2015 pour le premier. Il est reparti de cet établissement le 30 juillet 2015 avec une prescription pour une mastographie et une échographie de la poitrine ;
- le 6 août 2015, il a refusé d’aller à l’hôpital de Grevena pour subir ces examens ;
- du 24 septembre au 1er octobre 2015, il a été hospitalisé à la clinique des infections spéciales de Thessalonique ;
- le 11 novembre 2015, il a été examiné par le médecin de la prison, qui lui a prescrit une mastographie et une échographie de la poitrine, auxquelles il s’est soumis le 18 novembre 2015 ;
- du 26 novembre au 2 décembre 2015, il a été hospitalisé à l’hôpital de Thessalonique.
41. Le Gouvernement indique également que le médecin de la prison de Grevena était présent dans cet établissement deux à trois fois par semaine, et ce plus de huit heures chaque jour, et qu’il était possible de prendre contact avec lui les autres jours de la semaine. Il ajoute que ce médecin suivait régulièrement le requérant. Il indique aussi que, en cas d’urgence ou lorsque le requérant déclarait ne pas se sentir bien pendant les périodes d’absence du médecin, l’intéressé était transféré immédiatement à l’hôpital de Grevena. Enfin, il affirme que l’infirmier chargé d’administrer son traitement au requérant avait une formation en la matière et qu’il ne s’agissait pas d’un simple employé de la prison.
D. La détention du requérant dans les prisons de Larissa et d’Alikarnassos
1. La version du requérant
42. Le requérant se plaint qu’aucune des mesures indiquées par la Cour au Gouvernement n’ait été mise en œuvre et que les autorités aient procédé à son transfert à la prison de Larissa dans des circonstances critiquables puisque ledit transfert aurait été effectué au moyen d’un fourgon cellulaire bondé et qu’il aurait été menotté à cette occasion. Par ailleurs, indiquant qu’il a vécu pendant environ un mois à la prison de Larissa, il dénonce les conditions de détention dans cet établissement, au sujet desquelles la Cour aurait dans plusieurs cas conclu à des violations de l’article 3 de la Convention. Il se plaint notamment de l’état de surpopulation auquel il aurait été confronté : à ses dires, il séjournait dans une cellule de 25 m², occupée par dix à douze autres détenus, qui aurait de surcroît été enfumée.
43. Le requérant affirme que, après avoir passé quelques jours dans le centre de transfert d’Athènes dans une cellule qui aurait été surpeuplée, il a été transféré le 10 février 2016 à la prison d’Alikarnassos, après avoir été menotté, dans des conditions qui auraient été éprouvantes. Il indique que, dans cet établissement, les conditions de détention étaient encore plus humiliantes et dégradantes. Il expose qu’il y a été placé dans le quartier disciplinaire, dans une cellule qui aurait été sombre, qui aurait mesuré un peu plus de 6 m² (avec, à ses dires, des toilettes non séparées) et qu’il aurait partagée avec un autre détenu séropositif. Il précise que les lits et les toilettes occupaient des surfaces respectives de 2 m² et de 3 m², que son codétenu et lui disposaient ensemble d’un espace personnel de 1 m² et que l’odeur de la cellule était insupportable. Il ajoute avoir eu le sentiment que les autorités le laisseraient « mourir dans ses excréments », et ce en dépit de l’indication des mesures provisoires à deux reprises par la Cour.
2. La version du Gouvernement
44. Le Gouvernement réplique que l’intéressé était placé dans un espace spécialement aménagé au rez-de-chaussée de la prison d’Alikarnassos, sortait dans la cour avec les autres détenus, s’alimentait normalement et vivait comme tous les autres prisonniers.
45. S’agissant des allégations du requérant concernant une insuffisance d’éclairage et de ventilation, le Gouvernement estime qu’elles sont contredites par les constats du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). Il précise que celui-ci a visité la prison en cause en avril 2015 et qu’il a conclu que les cellules étaient suffisamment éclairées par la lumière naturelle et artificielle, qu’elles étaient suffisamment aérées et que les espaces communs et les toilettes étaient propres.
46. Le Gouvernement indique que le CPT a visité les cellules du quartier disciplinaire de la prison d’Alikarnassos (occupées à l’époque de cette visite par d’autres détenus), et non l’aile centrale de la prison, où, à ses dires, le requérant a séjourné.
47. Quant à l’allégation du requérant selon laquelle celui-ci a fait l’objet de soins médicaux insuffisants, le Gouvernement affirme que, depuis son transfert à la prison d’Alikarnassos, le requérant est suivi systématiquement par l’unité des infections spéciales de l’hôpital universitaire de Héraklion, dont les médecins lui auraient prescrit un traitement. Il précise que l’intéressé a été transféré dans cette unité à plusieurs reprises, notamment les 19, 21 et 26 février 2016, le 1er mars 2016, le 15 avril 2016, les 11, 13 et 25 mai 2016 et le 20 juillet 2016. Il ajoute que, dans un rapport du 1er mars 2016, un médecin de cette unité concluait que la numération des cellules CD4 classait le requérant au stade C2 de la maladie. Il indique aussi que, dans un autre rapport, daté du 25 mai 2016 et ordonné dans le cadre de la nouvelle demande du requérant fondée sur l’article 110A du CP, l’expert désigné par le procureur près le tribunal correctionnel de Héraklion concluait que l’examen clinique ne démontrait pas de persistance de la tuberculose et relevait, s’agissant du VIH, que la numération des cellules CD4 classait le requérant au stade C3 de la maladie et que celui-ci réagissait bien au traitement antiviral.
48. Enfin, d’après le Gouvernement, le requérant n’a jamais informé les autorités qu’il était fiévreux ou qu’il vomissait plusieurs fois dans la journée ou qu’il ne pouvait pas rester debout, comme il le soutiendrait maintenant devant la Cour.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
49. L’article 110A du CP dispose ce qui suit :
« 1. La libération conditionnelle est accordée, indépendamment de la réalisation des conditions énoncées aux articles 105 et 106, si le condamné a développé (νοσεί) le syndrome d’immunodéficience acquise, s’il souffre d’une insuffisance rénale chronique nécessitant une hémodialyse à intervalles réguliers ou d’une tuberculose résistant au traitement, s’il est tétraplégique, s’il est atteint d’une cirrhose du foie ayant entraîné une invalidité d’un taux supérieur à 67 %, si, ayant dépassé l’âge de quatre-vingts ans, il souffre de démence sénile, ou s’il est atteint de néoplasmes malins en phase terminale.
2. La vérification des conditions du premier paragraphe est faite, à la demande du condamné, par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel compétent, qui ordonne une expertise spéciale dont le déroulement est fixé par une décision commune du ministre de la Justice et du ministre de la Santé, de la Prévoyance et de la Sécurité sociale.
3. La libération conditionnelle décidée en vertu du premier paragraphe du présent article est inscrite au casier judiciaire du condamné, est accordée une seule fois et s’étend d’office à toutes les peines prononcées si une peine globale peut être fixée en application de l’article 551 du code de procédure pénale.
4. La condamnation prononcée pendant la période de sursis avec mise à l’épreuve pour une infraction qui a été commise avant le début de l’exécution de la peine et pour laquelle la libération conditionnelle a été décidée n’entraîne pas l’annulation de cette libération. »
50. La procédure prévue à l’article 110A du CP est engagée lorsque la personne condamnée décide de déposer une demande à cet effet. Dans ce cas, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel compétent désigne un expert, qui est appelé à vérifier que les conditions de cette disposition se trouvent réunies.
La procédure prévoit : a) le dépôt auprès du directeur de la prison d’une demande de transfert immédiat du détenu à un hôpital public ou, si cela n’est pas possible, à l’hôpital de la prison de Korydallos ; b) l’examen clinique et biologique du détenu selon les instructions du directeur de l’hôpital ; c) la rédaction d’un rapport et la délivrance d’un certificat médical par ce même directeur ; d) la transmission du dossier médical du détenu à l’expert désigné, lequel rédige son rapport d’expertise en tenant compte de l’ensemble du dossier (décision ministérielle no 164484/2010 du 25 janvier 2010).
III. LES CONSTATS DU COMITÉ POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS
51. Dans son rapport relatif à sa visite en Grèce du 14 au 23 avril 2015, le CPT a procédé aux constats suivants dans la prison d’Alikarnassos.
À la date de la visite, la prison, d’une capacité officielle de 105 détenus, en accueillait 233. Les semaines précédant la visite avaient vu le nombre de prisonniers diminuer de cinquante. La grande majorité des détenus purgeaient de longues peines.
52. Les bâtiments de la prison, construite en 1932, étaient dans un stade de décrépitude avancé malgré les efforts déployés pour les maintenir dans un état décent. L’espace de détention était réparti sur trois étages, comprenant chacun trente-cinq cellules. Les cellules, conçues pour accueillir une personne, étaient occupées par trois voire quatre détenus. Chaque cellule mesurait 8 m² et était équipée de deux ou trois lits superposés et d’un lit supplémentaire, d’un évier, d’une table et de chaises, ainsi que de toilettes partiellement séparées. La lumière naturelle et artificielle ainsi que l’aération étaient satisfaisantes. Les espaces communs, y compris les douches et les toilettes, étaient propres.
53. La prison bénéficiait de la présence à plein temps d’un médecin généraliste et d’une infirmière, qui était assistée par un employé de la prison. Un dentiste visitait la prison tous les mercredis, et un psychiatre faisait de même tous les samedis matin. Eu égard au nombre de détenus, le CPT préconisait l’augmentation du nombre d’infirmières à au moins quatre.
54. La délégation du CPT avait rencontré deux détenus séropositifs. Ceux-ci étaient placés depuis six mois dans une cellule de 7 m² située dans le quartier disciplinaire. Pendant les trois premières semaines de leur séjour dans cette cellule, ils avaient dormi sur des matelas par terre avant que des lits superposés ne fussent installés. Pendant la journée, ils étaient confinés dans un couloir étroit longeant le quartier disciplinaire. Ils n’avaient été autorisés à sortir dans la petite cour de ce quartier que pendant trois jours avant la visite de la délégation. La cellule n’avait pas d’accès à la lumière naturelle, l’aération y était insuffisante et la lumière artificielle (éclairage par une ampoule nue) y était permanente. Les toilettes, qui se trouvaient dans la cellule, n’étaient pas séparées et les détenus utilisaient en journée la douche et les toilettes situées dans le couloir ; la nuit, les détenus ne pouvaient pas être en contact avec les gardiens et ne pouvaient donc pas demander à sortir de leurs cellules.
55. Dans ses constats, le CPT soulignait que la séparation des détenus séropositifs des autres prisonniers était une pratique bien établie dans les prisons grecques. Il indiquait que, à la prison d’Alikarnassos, il aurait été possible pour les deux détenus séropositifs susmentionnés de partager une cellule dans l’aile principale de la prison et de bénéficier du même régime de détention que les autres prisonniers. Il relevait cependant que ces deux détenus étaient séparés des autres prisonniers et vivaient dans des conditions bien plus dures que ceux-ci en raison de préjugés existant à leur encontre. Le CPT recommandait aux autorités grecques de ne plus mettre de détenus séropositifs dans le quartier disciplinaire de la prison dans la mesure où les cellules de ce quartier ne permettaient pas à ces détenus de bénéficier des mêmes conditions de vie que celles offertes aux autres prisonniers dans les cellules ordinaires.
IV. LES CONSTATS DU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE
56. À la suite d’une plainte collective portant sur les conditions de détention déposée par trente et un détenus par l’intermédiaire de l’organisation non gouvernementale « Action grecque pour les droits de l’homme », le médiateur de la République a effectué une inspection de la prison de Grevena le 1er juillet 2013.
57. Dans son rapport du 16 décembre 2013, le médiateur notait que cette prison avait une capacité officielle de 600 détenus, qu’elle accueillait 732 personnes à la date de son inspection et que ce nombre s’était élevé par le passé à 800 personnes.
58. Le médiateur observait que le plus grand problème rencontré dans cette prison consistait en la surpopulation. Il constatait en effet que les détenus en surnombre dormaient sur des matelas par terre et que les cellules disciplinaires et la cellule d’accueil des nouveaux admis étaient transformées en lieux de détention ordinaire. Il précisait ainsi que dix cellules disciplinaires accueillaient trente détenus qui n’étaient pas soumis à une peine disciplinaire. Il estimait que l’utilisation des cellules disciplinaires pour le séjour continu des détenus constituait un point qui devait être revu.
59. Le médiateur soulignait en outre que l’alimentation des détenus était problématique en raison du montant insuffisant du budget accordé (2,20 EUR par détenu). Il indiquait que le menu comprenait un petit-déjeuner (thé ou lait), un déjeuner (pâtes, légumes secs et viande : deux fois par semaine ; légumes frais et salade : une fois par semaine) et un dîner. Il notait aussi que les cuisines de la prison étaient propres et bien équipées.
60. Par ailleurs, le médiateur observait que le réseau d’approvisionnement en eau du secteur de la prison présentait des problèmes, de sorte que l’eau froide n’était pas fournie en continu, et que, en revanche, il n’y avait pas de problème pour la fourniture d’eau chaude.
61. Le médiateur concluait que le nombre élevé de détenus rendait difficile la cohabitation dans la prison et que, de ce point de vue-là, les exigences du droit interne et du droit international n’étaient pas respectées en ce qui concernait l’espace personnel minimal requis pour chaque détenu.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
62. Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans les prisons de Grevena, de Larissa et d’Alikarnassos, des conditions de ses transferts d’une prison à l’autre et vers les hôpitaux, ainsi que de ses conditions de vie dans les centres de transfert des détenus. Il se plaint aussi d’une insuffisance des soins administrés pendant sa détention dans ces prisons, déplorant que les mesures provisoires détaillées indiquées par la Cour n’aient pas été suivies d’effets. Il allègue une violation de l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
63. Dans sa requête à la Cour, le requérant se plaignait sur le fondement de l’article 3 de la Convention de ses conditions de détention à la prison de Grevena et d’une insuffisance des soins médicaux reçus dans cette prison. Par la suite, le requérant a été transféré à la prison de Larissa, puis à celle d’Alikarnassos. La Cour note qu’à la différence d’autres affaires grecques, il y a en l’espèce « situation continue », les mauvaises conditions de détention alléguées étant similaires dans les prisons dans lesquelles le requérant a été transféré après avoir quitté la prison de Grevena. La Cour examinera donc les griefs de celui-ci par rapport à l’ensemble de ces établissements pénitentiaires, d’autant que les parties consacrent de longs développements à ce sujet dans leurs observations.
64. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
65. Le requérant renvoie à sa version concernant ses conditions de détention et aux constats du CPT relatifs à la prison d’Alikarnassos. Il soutient que les conditions en cause ont porté, et portent encore, atteinte à sa dignité humaine. Il ajoute que le Gouvernement les a qualifiées d’appropriées et que, en outre, il a passé outre les mesures provisoires indiquées par la Cour et a ainsi fait en sorte de dégrader encore plus ces conditions - ce qui révélerait sa volonté de le punir pour avoir saisi la Cour.
66. En ce qui concerne les conditions de détention subies par le requérant avant son incarcération à la prison d’Alikarnassos, le Gouvernement soutient que ces conditions étaient adaptées à l’état de santé de l’intéressé, et il renvoie à cet égard à sa version sur celles-ci (paragraphes 32-41 ci-dessus). S’agissant de la prison de Grevena, il affirme que le requérant était détenu dans des structures modernes permettant une bonne prise en charge médicale, qu’il faisait l’objet de soins médicaux et hospitaliers adéquats et qu’il était régulièrement examiné par le médecin de la prison. Il précise que, dans le cadre de son suivi médical, l’intéressé a été transféré à plusieurs reprises dans différents hôpitaux (ceux de Grevena, de Thessalonique et de Korydallos), qu’il y a subi tous les examens nécessaires et que, lors de ses transferts à l’intérieur du département de Grevena, il était seul dans le fourgon cellulaire et n’était pas menotté. Il ajoute que, le 13 janvier 2016, l’intéressé a fait l’objet d’un transfert à la prison de Larissa afin de lui permettre d’être plus près d’un hôpital. Quant à la question de l’opportunité de la mise en liberté du requérant, le Gouvernement indique que celui-ci était condamné pour des infractions particulièrement graves, commises individuellement et en bande (il précise que ces infractions étaient les suivantes : homicide, vol à main armée et dommages corporels graves).
67. S’agissant des conditions de détention à la prison d’Alikarnassos, le Gouvernement renvoie à sa version sur celles-ci (paragraphes 44-48 ci-dessus).
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
68. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente cause, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, parmi beaucoup d’autres, Filippopoulos c. Grèce, no41800/13, §§ 64-67, 12 novembre 2015, et les références qui s’y trouvent citées).
69. Plus particulièrement, la Cour rappelle que, lorsqu’elle examine le caractère adéquat des soins médicaux en prison, elle se doit en principe de faire preuve d’une souplesse suffisante pour déterminer le standard requis pour ces soins. S’il doit satisfaire aux exigences légitimes de la détention, ce standard doit aussi être compatible avec la dignité humaine et permettre à l’État de s’acquitter de ses obligations positives. À cet égard, il appartient aux autorités nationales d’assurer que le diagnostic et les soins soient prompts et précis et que le suivi par un personnel médical compétent soit régulier et systématique et inclue une stratégie thérapeutique complète. Le simple fait que l’état de santé du requérant s’est détérioré - bien que cette circonstance puisse, dans un premier stade, amener à douter du caractère approprié du traitement reçu en prison - ne saurait suffire en lui-même pour conclure à une violation de l’obligation positive de l’État sous l’angle de l’article 3 de la Convention, surtout lorsqu’il est établi que les autorités ont administré à temps tous les soins raisonnablement disponibles dans un effort consciencieux fourni en vue d’empêcher l’évolution de la maladie en question (Jashi c. Géorgie, no 10799/06, § 61, 8 janvier 2013 ; Fedosejevs c. Lettonie (déc.), no 37546/06, § 47, 19 novembre 2013 ; Lavrentiadis c. Grèce, no 29896/13, §§ 66-69, 22 septembre 2015 et Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, § 137, CEDH 2016).
b) Application des principes précités à la présente espèce
70. La Cour note d’emblée que, en l’espèce, le requérant se plaint tant d’une insuffisance des soins reçus dans les prisons de Grevena et d’Alikarnassos, où il a séjourné pendant la plus grande partie de sa détention, que de ses conditions de détention dans ces établissements et à la prison de Larissa, lesquelles auraient agi comme un facteur aggravant sur son état de santé. Ces conditions se seraient même dégradées après le transfert de l’intéressé à la prison d’Alikarnassos, nonobstant l’application à deux reprises de l’article 39 du règlement (paragraphe 4 ci-dessus).
La Cour note aussi que les thèses des parties sur la réalité des conditions de vie dans les prisons susmentionnées et sur le type de cellules occupées par le requérant à la prison d’Alikarnassos, sur les conditions de transfert de l’intéressé et même sur l’état de santé de ce dernier diffèrent considérablement.
i. Les conditions de détention dans les prisons
71. La Cour constate que, dans leurs rapports établis respectivement sur les conditions de détention à la prison de Grevena et sur celles à la prison d’Alikarnassos, le médiateur de la République et le CPT ont fait état de problèmes récurrents, régulièrement observés dans les établissements pénitentiaires grecs, à savoir notamment l’état de surpopulation carcérale, ainsi que la pratique consistant à séparer les détenus séropositifs des autres prisonniers et à placer les premiers dans les cellules des quartiers disciplinaires. Sur ce point, la Cour ne doute pas de l’existence de cette pratique. Elle relève en l’espèce que, lors de son transfert à la prison de Larissa, le requérant a immédiatement été placé dans une cellule disciplinaire et qu’il n’en est sorti qu’à la suite de protestations de sa part (paragraphe 17 ci-dessus). En outre, elle note que le Gouvernement conteste que requérant ait séjourné dans le quartier disciplinaire de la prison d’Alikarnassos, mais qu’il admet que l’intéressé a été placé dans un tel quartier à la prison de Grevena.
72. Par ailleurs, la Cour prend note des informations fournies par le Gouvernement - qui se base sur un rapport établi par le directeur de la prison de Grevena -, selon lesquelles : dans cet établissement, le requérant était placé, avec un autre codétenu, dans une cellule mesurant 11,04 m² (incluant les toilettes, une table, deux chaises et deux lits), équipée d’une fenêtre de 1 m x 1,10 m ; la cour du quartier disciplinaire, quoique de dimension réduite, était adaptée au nombre de détenus amenés à se trouver dans cet espace (nombre qualifié de peu élevé par le Gouvernement) ; cette cour était équipée de chaises et il y avait toujours de l’ombre au moins à l’un de ses quatre côtés en raison de la hauteur des murs (qui aurait été de six mètres).
De l’avis de la Cour, les conditions ainsi décrites, relatives à la seule prison de Grevena, semblent raisonnables au regard des exigences de l’article 3 de la Convention.
73. En revanche, s’agissant de la prison d’Alikarnassos, eu égard aux constats du CPT concernant celle-ci et à la pratique susmentionnée existant dans plusieurs prisons grecques, et en l’absence en l’espèce d’un registre tenu par les autorités pénitentiaires sur l’occupation des cellules, la Cour ne saurait accepter l’assertion du Gouvernement selon laquelle le requérant était placé dans une aile ordinaire de cette prison. Elle observe que la description faite par le requérant de la cellule occupée par lui coïncide avec celle faite par le CPT (cellule mesurant un peu plus de 6 m², dont 2 m² occupés par les lits et 3 m² par les toilettes). Elle prend aussi note des constats suivants du CPT : la cellule n’avait pas d’accès à la lumière naturelle, l’aération était insuffisante et une ampoule était allumée en permanence ; les toilettes, qui se trouvaient dans la cellule, n’étaient pas séparées et les détenus utilisaient en journée la douche et les toilettes situées dans le couloir ; la nuit, les détenus ne pouvaient pas être en contact avec les gardiens et ne pouvaient donc pas demander à sortir de leurs cellules.
Le requérant étant confiné dans l’espace ainsi décrit, la Cour ne doute pas qu’il était obligé, comme il le soutient, de prendre ses repas dans sa cellule. De telles conditions constituent, à n’en pas douter, un traitement dépassant le seuil de gravité toléré par l’article 3 de la Convention.
74. Quant aux conditions de détention à la prison de Larissa, la Cour note que le requérant y a séjourné pendant une période d’un mois environ. Eu égard à sa jurisprudence sur cette prison (voir, en dernier lieu, Ali Cheema et autres c. Grèce, no 7059/14, 7 avril 2016, et Kalamiotis et autres c. Grèce, no 53098/13, 29 octobre 2015) et au fait que le Gouvernement ne réfute pas les allégations du requérant concernant notamment l’état de surpopulation dans lequel celui-ci a vécu, la Cour conclut que les conditions de détention dans cet établissement n’étaient pas compatibles avec les exigences de l’article 3 de la Convention.
ii. Les conditions de transfert du requérant et les conditions de sa détention dans les centres de transfert
75. En ce qui concerne les conditions de transfert dans les hôpitaux de Thessalonique et de Korydallos ainsi que d’une prison à l’autre et les conditions de détention dans les centres de transfert de Thessalonique et d’Athènes, la Cour rappelle que le port de menottes ne pose normalement pas de problème au regard de l’article 3 de la Convention lorsqu’il est lié à une détention légale et n’entraîne pas l’usage de la force ni l’exposition publique, au-delà de ce qui est raisonnablement considéré comme nécessaire (voir, mutatis mutandis, Mouisel c. France, no 67263/01, § 47, CEDH 2002-IX, et Avcı et autres c. Turquie, no 70417/01, § 37, 27 juin 2006). Toutefois, elle n’exclut pas que le port d’entraves lors du transfert d’un détenu puisse poser problème sous l’angle de cette disposition dans des circonstances particulières liées notamment à l’état de santé de l’intéressé (Mouisel, précité). En outre, la Cour a considéré que la détention de prévenus ou de condamnés dans des commissariats de police pour de courtes périodes ne saurait conduire automatiquement à un constat de violation de l’article 3 de la Convention (Chazaryan et autres c. Grèce, no 76951/12, § 55, 16 juillet 2015).
76. S’agissant des conditions dans lesquelles le requérant a été transféré de la prison de Grevena aux hôpitaux de Thessalonique et d’Athènes, ainsi que de cette prison à la prison de Larissa et de cette dernière à la prison d’Alikarnassos, eu égard à la gravité de l’état de santé du détenu et à la durée du transport - ces lieux se trouvant à des centaines de kilomètres l’un de l’autre - , la Cour estime que les transferts effectués au moyen de fourgons cellulaires ordinaires, souvent bondés, n’ont pu que largement contribuer aux souffrances de l’intéressé, qui, de surcroît, se trouvait menotté lors de ceux-ci. Le Gouvernement n’a pas démontré devant la Cour que les autorités pénitentiaires ont ménagé un juste équilibre entre les impératifs de sécurité et l’exigence d’assurer au requérant des conditions humaines de transfert.
77. En revanche, en ce qui concerne les séjours du requérant dans les centres de transfert de Thessalonique et d’Athènes, d’une durée de quelques jours - dont le nombre n’est du reste pas précisé par l’intéressé -, la Cour relève qu’ils étaient nécessaires seulement pour les besoins du transfert de ce dernier aux hôpitaux ou à d’autres prisons. Dès lors, on ne saurait considérer que le seuil de gravité requis pour que la détention soit qualifiée de traitement dégradant a été atteint.
iii. Les soins médicaux
78. La Cour note que les doléances du requérant relatives aux soins médicaux reçus en détention se fondent sur un prétendu manque de traitement adéquat des diverses pathologies présentées par l’intéressé. Elle tient à souligner qu’elle ne peut toutefois se prononcer sur des questions qui relèvent de l’expertise médicale. Afin de déterminer si l’article 3 de la Convention a été respecté, la Cour ne peut examiner que la seule question de savoir si les autorités nationales ont assuré au requérant un suivi médical approprié et mis en place un protocole thérapeutique adapté à la nature de ses pathologies. Eu égard à la nature et à la gravité de ses maladies, la Cour considère que le requérant avait besoin d’un suivi médical régulier de nature à faire mesurer la progression de celles-ci et à permettre l’établissement d’un diagnostic rapide des infections y afférentes ainsi que la prescription de traitements adaptés.
79. À ce sujet, la Cour constate que, d’après le dossier, pendant sa détention à la prison de Grevena, le requérant a été transféré et hospitalisé dans les établissements suivants : du 10 au 14 mai 2015, à l’hôpital de Thessalonique ; du 5 au 8 juin 2015, à l’hôpital de la prison de Korydallos ; le 22 juillet 2015, à l’hôpital de Grevena ; du 23 au 30 juillet 2015, à l’hôpital Papanikolaou ; du 24 septembre au 1er octobre 2015, à la clinique des infections spéciales de Thessalonique ; du 26 novembre au 2 décembre 2015, à l’hôpital de Thessalonique. En outre, il ressort du dossier que l’intéressé a été examiné par le médecin de la prison de Grevena les 28 mai, 18 juin, 9 juillet et 11 novembre 2015, qu’un nouveau traitement lui a été prescrit par l’hôpital ACHEPA le 8 juillet 2015 et qu’il s’est soumis à une mastographie et une échographie de la poitrine le 11 novembre 2015.
80. Par ailleurs, la Cour observe que, depuis son incarcération à la prison d’Alikarnassos, le requérant est suivi systématiquement par l’unité des infections spéciales de l’hôpital universitaire de Héraklion, où il a été transféré à plusieurs reprises - notamment les 19, 21 et 26 février 2016, le 1er mars 2016, le 15 avril 2016, les 11, 13 et 25 mai 2016 et le 20 juillet 2016 -, et que les médecins de cette unité lui ont prescrit un traitement. La Cour note aussi que, dans un rapport du 1er mars 2016, un médecin de cette unité concluait que la numération des cellules CD4 classait le requérant au stade C2 de la maladie. Elle note également que, dans un autre rapport, daté du 25 mai 2016, le médecin expert désigné dans le cadre de la nouvelle demande de mise en liberté fondée sur l’article 110A du CP (paragraphes 19 et 47 ci-dessus) concluait que l’examen clinique ne démontrait pas de persistance de la tuberculose et relevait, s’agissant du VIH, que la numération des cellules CD4 classait le requérant au stade C3 de la maladie et que celui-ci réagissait bien au traitement antiviral.
81. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait conclure que les autorités nationales ont failli à leur devoir d’assurer un suivi médical au requérant en ce qui concerne l’infection VIH et la tumeur à la poitrine présentées par celui-ci.
82. Quant à la tuberculose dont le requérant souffrait, la Cour prend note du certificat médical établi par l’unité des infections spéciales de l’hôpital universitaire de Héraklion, attestant que le traitement de l’intéressé contre cette maladie avait déjà pris fin en 2014.
83. Enfin, en ce qui concerne les problèmes psychiatriques allégués par le requérant, la Cour relève qu’il ne ressort pas du dossier que celui-ci en a fait mention lors de ses nombreuses visites aux différents hôpitaux précités ou lors de ses examens par les médecins des prisons de Grevena et d’Alikarnassos. Par ailleurs, elle observe que l’intéressé ne conteste pas l’assertion du Gouvernement selon laquelle deux psychologues de la prison de Grevena ont eu un entretien avec lui et n’ont pas constaté à cette occasion l’existence de problèmes psychologiques ou le besoin d’un suivi psychologique.
84. Dès lors, la Cour estime que les autorités ont satisfait à leur obligation positive de fournir au requérant une assistance médicale adéquate.
iv. Conclusion
85. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention du requérant dans les prisons de Larissa et d’Alikarnassos, ainsi que de ses conditions de transfert dans les véhicules cellulaires. En revanche, il n’y a pas eu violation de cette disposition s’agissant tant des soins médicaux reçus en détention que des conditions de détention à la prison de Grevena et dans les centres de transfert de Thessalonique et d’Athènes.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 3
86. Invoquant l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3, le requérant se plaint de ne pas avoir disposé d’un recours effectif pour dénoncer ses conditions de détention et obtenir sa libération dans de brefs délais. Il soutient que le Gouvernement n’apporte pas, et n’a jamais apporté jusqu’à présent, un seul exemple de jurisprudence dans lequel un détenu s’étant plaint au procureur compétent de problèmes systémiques dans un établissement pénitentiaire, sur le fondement de l’article 572 du CPP, a obtenu satisfaction. Il considère que les procureurs ne peuvent pas modifier les situations dénoncées devant eux et qu’ils se contentent de faire des appels « dramatiques » au ministre de la Justice, ce qui démontrerait leur embarras en la matière. Il estime que, en l’espèce, l’absence de réponse à sa demande (paragraphe 21 ci-dessus) est significative à cet égard.
87. Le requérant soutient, en outre, que sa demande de mise en liberté sur le fondement de l’article 110A du CP a été rejetée sans base légale suffisante et en raison de la nature des infractions commises par lui. Il reproche aux juges de la chambre d’accusation, qui auraient été totalement dépourvus de connaissances médicales, d’avoir ignoré les certificats des médecins désignés par les autorités judiciaires pour effectuer une expertise. Il considère aussi que le délai dans lequel les autorités ont statué sur sa demande fondée sur l’article 110A du CP était particulièrement long. Il estime que, pour que le recours prévu par cette disposition puisse être considéré comme effectif au sens de l’article 13 de la Convention, le délai de son examen par les autorités devrait être encore plus court que le « bref délai » de l’article 5 § 4 de la Convention, tel qu’interprété par la Cour dans sa jurisprudence. Précisant que l’exercice de cette voie de droit concerne le plus souvent des détenus en phase terminale de cancer dont le décès serait imminent, il est d’avis que l’examen de ce recours ne devrait pas dépasser une semaine.
88. Quant au Gouvernement, il considère tout d’abord que le grief portant sur les conditions de détention doit être rejeté au motif que le requérant n’a pas prouvé qu’il s’agissait d’un grief défendable au regard de l’article 3 de la Convention. À titre subsidiaire, il affirme que l’intéressé avait à sa disposition plusieurs voies de recours, dont il n’aurait pas fait usage, pour se plaindre de ses conditions de détention, à savoir : le recours devant le conseil de la prison (article 6 du code pénitentiaire) et le recours devant le procureur chargé de la tutelle des prisons (article 25 du code des tribunaux). Le Gouvernement ajoute que le requérant a formulé une seule demande au conseil de la prison et que cette demande, qui aurait visé à son transfert à l’hôpital de la prison de Korydallos, a été immédiatement satisfaite. Il soutient aussi que le requérant n’a adressé aucune demande écrite au directeur de la prison pour se plaindre de ses conditions de détention, qu’il a verbalement sollicité une audience une seule fois et que cette requête tendait à une réitération de la demande de transfert susmentionnée.
89. Enfin, le Gouvernement estime que la durée de la procédure engagée en vertu de l’article 110A du CP était raisonnable, puisqu’il aurait fallu rédiger deux rapports d’expertise et que l’affaire aurait été renvoyée de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée à celle du tribunal correctionnel de Corfou.
A. Sur la recevabilité
90. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
B. Sur le fond
91. S’agissant des conditions de détention, la Cour a conclu dans certaines affaires (Vaden c. Grèce, no 35115/03, §§ 30-33, 29 mars 2007, et Tsivis c. Grèce, no 11553/05, §§ 18-20, 6 décembre 2007) que les requérants n’avaient pas épuisé les voies de recours internes, faute d’avoir utilisé les recours prévus à l’article 572 du CPP (saisine du procureur chargé de l’exécution des peines et de l’application des mesures de sécurité) et à l’article 6 de la loi no 2776/1999 (saisine du procureur superviseur de la prison et saisine du conseil disciplinaire de la prison). Dans ces affaires, les requérants se plaignaient de circonstances particulières qui les affectaient personnellement en tant qu’individus et auxquelles les autorités pénitentiaires auraient selon eux pu mettre un terme en prenant les mesures appropriées. En revanche, la Cour a affirmé à plusieurs reprises que, pour autant qu’un requérant allègue être personnellement affecté par les conditions générales de détention en prison, les recours prévus aux articles 6 et 572 précités ne seraient d’aucune utilité (voir, parmi beaucoup d’autres, Papakonstantinou c. Grèce, no 50765/11, § 51, 13 novembre 2014, et, récemment, Ali Cheema et autres, précité, § 66). En l’espèce, la Cour ne peut que constater que la requête du requérant au procureur superviseur de la prison de Grevena n’a donné lieu à aucune réponse de la part de ce dernier (paragraphes 20-21 ci-dessus). Elle ne voit aucune raison de s’écarter dans la présente affaire de sa jurisprudence constante à cet égard. Il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 sur ce point.
92. S’agissant de la demande de mise en liberté fondée sur l’article 110A du CP, la Cour note que le requérant l’a introduite le 10 juin 2014, alors qu’il se trouvait détenu à la prison de Grevena.
93. S’agissant de l’issue de cette demande, elle constate que la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Corfou a estimé que le requérant était simple porteur du VIH et n’avait pas développé la maladie du sida. En effet, la chambre d’accusation a observé que le requérant ne présentait pas les symptômes cliniques caractérisant le sida tels qu’établis par la littérature médicale internationale- à savoir la toxoplasmose du cerveau, la mycose de l’œsophage, de la trachée et des bronches et le sarcome de Kaposi -, et elle a jugé que le rapport d’expertise était lacunaire et que ses conclusions ne trouvaient pas de fondement dans la littérature en question (paragraphes 14-15 ci-dessus).
94. La Cour considère que les motifs retenus par la chambre d’accusation pour écarter la demande de mise en liberté du requérant étaient raisonnables et, en tout état de cause, n’étaient pas entachés d’arbitraire. En l’absence de données convaincantes pouvant l’amener à s’écarter des constatations sur cette question, la Cour ne saurait substituer son interprétation à celle des juges internes. Par conséquent, il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 s’agissant de l’issue de la procédure relative à la demande de mise en liberté.
95. En revanche, la Cour estime que la durée de l’examen de cette demande ne saurait être considérée comme raisonnable - et ce nonobstant les éléments ayant contribué à sa prolongation, notamment la décision d’incompétence de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée motivée par le fait que le requérant avait entretemps été transféré à la prison de Corfou. Plus particulièrement, la Cour note ce qui suit : le requérant a introduit sa demande de mise en liberté le 10 juin 2014 ; l’expert a déposé son rapport le 12 septembre 2014 ; la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée a ordonné la rectification du rapport le 20 octobre 2014 - rapport dont une nouvelle version a été soumise le 8 janvier 2015 -, puis elle a envoyé le dossier à la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Corfou, laquelle a statué le 8 avril 2015.
96. De l’avis de la Cour, une voie de recours destinée à permettre la mise en liberté sous condition des détenus souffrant d’un handicap ou d’une maladie graves et permanents devrait faire l’objet, de la part des autorités, d’un examen dans des délais à même de prendre en compte la dignité et les besoins spécifiques de ceux-ci et de mettre, le cas échéant, le plus rapidement possible un terme aux souffrances endurées par eux, d’autant plus que la détention de ces prisonniers se déroule souvent dans des conditions incompatibles avec l’article 3 de la Convention.
97. Eu égard à ces considérations, la Cour estime que, dans la présente affaire, l’effectivité du recours prévu par l’article 110A du CP a été affectée par la durée de l’examen de cette voie de droit, en l’occurrence dix mois environ. Elle conclut donc qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 de ce chef.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
98. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
99. Au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi, le requérant réclame 42 000 euros (EUR) pour la violation de l’article 3 de la Convention et 24 000 EUR pour la violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3. Il demande que ces sommes soient versées directement sur le compte bancaire de son avocate.
Il déclare aussi qu’il renoncera à sa deuxième prétention au cas où la Cour accepterait de préciser dans son arrêt que les autorités devront modifier l’article 110A du CP afin de prévoir un délai de quelques jours pour l’examen des demandes faites en vertu de cette disposition.
100. Le Gouvernement estime que les sommes réclamées sont excessives et injustifiées et que, en cas de constat de violation, celui-ci constituerait une satisfaction suffisante.
101. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 8 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
102. Se référant à l’affaire Tsokas et autres c. Grèce (no 41513/12, § 124, 28 mai 2014), dans laquelle la partie requérante était également représentée devant la Cour par Me E.-L. Koutra, le requérant sollicite 6 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, et il demande que cette somme soit versée directement sur le compte bancaire de son avocate. Il produit le texte d’un accord signé avec cette dernière, qui aurait été déposé auprès des autorités fiscales de l’État défendeur, selon lequel il s’engagerait à verser à celle-ci la somme susmentionnée en cas d’issue favorable de sa requête devant la Cour.
103. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et que la réalité des frais et honoraires dont le requérant exige le remboursement n’est pas établie. Selon lui, si la Cour décidait d’accorder à l’intéressé une somme au titre des frais et dépens, celle-ci ne devrait pas dépasser 1 000 EUR.
104. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
Par ailleurs, les accords conclus entre les avocats et les requérants ne font naître des obligations qu’entre eux et ne sauraient lier la Cour, qui doit évaluer le niveau des frais et dépens à rembourser non seulement par rapport à la réalité des frais allégués, mais aussi par rapport à leur caractère raisonnable (Iatridis c. Grèce (article 41) [GC], no 31107/96, § 55, 19 octobre 2000). En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 2 000 EUR tous frais confondus. Cette somme sera versée directement sur le compte bancaire de son avocate.
C. Intérêts moratoires
105. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
106. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43 de la Convention.
107. Elle considère que, en l’espèce, les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (paragraphe 4 ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou qu’elle rende une autre décision à cet égard (voir le dispositif).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention du requérant dans les prisons de Larissa et d’Alikarnassos, ainsi que des conditions de transfert de l’intéressé d’une prison à l’autre ou vers les hôpitaux ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne tant les soins médicaux reçus au cours de la détention que les conditions de détention du requérant à la prison de Grevena et dans les centres de transfert de Thessalonique et d’Athènes ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 à raison de la durée de la procédure relative à l’examen de la demande de mise en liberté fondée sur l’article 110A du CP ;
5. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 s’agissant de l’issue de la procédure relative à la demande de mise en liberté susmentionnée ;
6. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, somme à verser directement sur le compte bancaire de son avocate ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus ;
8. Décide de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable d’assurer au requérant de bonnes conditions de détention et des soins médicaux adéquats jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou qu’elle rende une autre décision à cet égard.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Abel Campos Mirjana Lazarova Trajkovska
Greffier Présidente