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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SAYAN v. TURKEY - 81277/12 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Second Section)) French Text [2016] ECHR 867 (11 October 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/867.html Cite as: CE:ECHR:2016:1011JUD008127712, [2016] ECHR 867, ECLI:CE:ECHR:2016:1011JUD008127712 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE SAYAN c. TURQUIE
(Requête no 81277/12)
ARRÊT
STRASBOURG
11 octobre 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Sayan c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Julia Laffranque,
présidente,
Işıl Karakaş,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier
adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 septembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 81277/12) dirigée contre la République de Turquie et dont quatre ressortissants de cet État, M. Davut Sayan (« le requérant ») et Mmes Eylem Sayan, Devrim Sayan et Bahar Sayan (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 20 septembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Davut Sayan agit en son nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de ses filles Eylem, Devrim et Bahar Sayan, qui étaient mineures à la date d’introduction de la requête.
3. Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, ont été représentés par Me N. Osmanoğlu, avocat à İzmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
4. Les requérants allèguent en particulier une violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel et procédural en raison du décès de leur compagne et mère, respectivement, ainsi que de l’enfant qu’elle portait. Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, ils se plaignent également du défaut d’équité de la procédure devant les juridictions internes et de la durée excessive de celle-ci ainsi que de l’absence d’une voie de recours effective.
5. Le 6 septembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Les requérants sont nés respectivement en 1970, 1996, 1998 et 1999 et résident à İzmir.
7. Le 27 décembre 2001, à 8 h 55, Leyla Karataş, enceinte de neuf mois, compagne du requérant et mère d’Eylem, de Devrim et de Bahar Sayan, décéda à l’âge de 21 ans à l’hôpital d’enseignement et de recherche Yeşilyurt Atatürk d’İzmir (« l’hôpital Yeşilyurt Atatürk »), où elle s’était rendue pour être soignée.
A. Les circonstances du décès de Leyla Karataş
8. D’après un document hospitalier établi le 27 décembre 2001 à 7 h 15 décrivant le résultat de l’examen obstétrique de Mme Karataş, ses contractions avaient débuté le jour même, à 6 h 30, de manière spontanée. Ce document porte notamment la mention « ÇKS[1] (+) » et indique que la patiente était venue à l’hôpital parce qu’elle ressentait de légères contractions irrégulières.
9. À 8 h 30, un formulaire d’hospitalisation de la patiente au service d’obstétrique des urgences de l’hôpital fut établi. Ce formulaire porte la mention « avec engagement écrit ».
10. Le jour même, le requérant signa un document par lequel il s’engageait à payer les frais médicaux afférents aux soins prodigués à sa compagne. Cet engagement écrit n’indique ni le nom de l’hôpital où il a été établi ni le montant d’une somme quelconque. Il comporte cependant un cachet mentionnant « chef de garde du service des urgences » assorti d’une signature. Cet engagement se présente sous la forme d’un formulaire préétabli pouvant notamment se lire comme suit :
« J’ai été accepté à votre hôpital le ... Je n’ai aucune couverture sociale [ni]... au-delà de ... TL[2] je n’ai pas les moyens matériels de faire face aux frais d’hôpital. Je [demande] à ce que tous mes frais médicaux, au terme des vérifications de la préfecture / du gouvernorat, soient pris en charge par le système d’avance fait au ministère de la Santé du fonds d’aide sociale et de solidarité du Premier ministre. À défaut, j’accepte et m’engage à rapporter à votre [service] de médecine en chef, au plus tard dans les 15 jours, le document qui sera établi par le fonds pour le recouvrement de tous les frais relatifs aux soins (...) »
11. Au cours de la même journée, une fiche d’admission à l’hôpital fut établie au nom de Leyla Karataş. Cette fiche porte la mention manuscrite « qu’un engagement soit pris pour le reste » (« kalana taahhütname yapılsın ») suivi du nom et de la signature du docteur M.S., ainsi qu’un tampon indiquant « que le coût fasse l’objet d’un suivi » et une série de chiffres manuscrits.
12. Le même jour, l’anesthésiste H.İ. écrivit ce qui suit sur une fiche de consultation :
« 8 h 35, Anesthésie
La patiente a été examinée dans la salle d’accouchement (...) [elle] a été intubée, la CPR[3] a débuté. 4 mg d’adrénaline lui ont été administrés. Le bébé a été retiré par césarienne (battements de cœur ø, respiration spontanée ø (...) le bébé a été intubé, la CPR a débuté, de l’Aminocardol lui a été administré, et, faute de réponse à la CPR, il a été considéré comme ex. à 8 h 55. La mère a également été considérée comme ex. à 8 h 55. »
13. Toujours le même jour, trois médecins établirent un procès-verbal de décès aux termes duquel Leyla Karataş avait été admise dans leur service à 7 heures, avait fait un arrêt cardiopulmonaire à 8 h 30 et, faute de réaction à la réanimation pratiquée, avait été déclarée morte à 8 h 55.
14. Le dossier de suivi des naissances établi à la clinique de gynécologie et d’obstétrique indique que l’intéressée était arrivée à 7 h 05 et qu’une césarienne post mortem avait été pratiquée sur elle à 8 h 40. Le tableau des soins prodigués à la patiente mentionne également que celle-ci avait fait l’objet d’une césarienne post mortem et qu’elle était décédée. Sur ce tableau, la case « catégorie payante », relative au caractère payant ou non de l’hospitalisation, avait été cochée.
15. Parmi les documents hospitaliers versés au dossier se trouve une note pouvant notamment se lire comme suit :
« Le 27 décembre 2001, à 7 heures, [l’état de] la patiente a été évalué (...) ÇKS (+), deux contractions toutes les dix minutes (...), une consultation en médecine interne d’urgence a été demandée (...) L’interniste de garde arrivé à 7 h 15 a apprécié [l’état de] la patiente. Il a estimé qu’il pouvait s’agir d’une pneumonie ou d’une attaque d’asthme et a ordonné les examens et soins requis (...) à 8 h 15, lors de l’auscultation obstétrique, ÇKS (+) (...) à 8 h 25, parce que les ÇKS n’étaient plus détectables (...) on a voulu emmener la patiente faire une échographie et, lorsqu’elle a été placée sur une civière, elle a fait un arrêt cardiopulmonaire (...) [passage illisible]. [Le service] d’anesthésie et de réanimation a été prévenu. À 8 h 35, l’équipe d’anesthésie a intubé la patiente et a commencé la CPR. Dans ces conditions, une césarienne d’urgence a été pratiquée sur la mère [pour] faire naître le bébé à 8 h 40 avec un APGAR 0 (zéro)[4]. Le pédiatre a pratiqué une réanimation sur le bébé. Faute de réaction de la mère et du bébé à la CPR, ils ont tous les deux été considérés comme ex. à 8 h 55. »
B. Les poursuites pénales diligentées contre le personnel hospitalier
16. Le 27 décembre 2001, le requérant déposa plainte auprès de la direction départementale de la santé d’İzmir et du procureur de la République d’İzmir (« le procureur de la République »). Dans les deux formulaires de plainte qu’il déposa devant ces instances, il dénonçait les conditions de prise en charge médicale de sa compagne. Il affirmait qu’on lui avait réclamé une somme de 50 millions de livres turques (TRL, - environ 30 euros (EUR), selon le taux d’échange d’époque), dont il ne disposait pas, de sorte que sa compagne avait attendu sans recevoir de soins pendant plusieurs heures. Il alléguait que les médecins étaient responsables de sa mort parce qu’ils l’avaient laissée attendre sans la soigner, qu’ils avaient commis une erreur de diagnostic, qu’ils lui avaient administré un mauvais médicament et une dose de narcotique trop puissante compte tenu de son état. Il argua en outre que les médecins avaient méconnu leur serment d’Hippocrate et avaient traité sa compagne non comme un être humain mais comme une source de revenus.
17. Le même jour, le procureur de la République recueillit la déposition du requérant. Celui-ci déclara notamment ce qui suit :
« Je suis marié de manière non officielle avec Leyla (...) Mon épouse était enceinte de neuf mois (...) La nuit dernière, c’est-à-dire le 26 décembre 2001, elle s’est sentie mal. Elle m’a dit qu’elle avait mal à la gorge et des difficultés à respirer. Nous avons d’abord attendu un peu en espérant que ce mal-être allait passer. Mais cela s’est aggravé. Je l’ai alors conduite (...) au service des urgences de l’hôpital Yeşilyurt. Aux urgences, une femme et un homme médecins étaient de service (...) Il était environ 23 heures. Ces deux médecins ont ausculté mon épouse aux urgences. La femme médecin a rempli une ordonnance. Avec cette ordonnance, je me suis rendu dans une pharmacie située en face de l’hôpital (...) J’ai acheté l’un des médicaments. Il n’y avait pas le deuxième. Je suis revenu au service des urgences (...) [La femme médecin] m’a alors dit que, en fait, elle avait prescrit par erreur le médicament que j’avais acheté et qu’il allait falloir que je le change. Elle a rayé le nom de ce médicament sur l’ordonnance et en a écrit un autre. Je suis retourné à la pharmacie (...) J’ai acheté le médicament nouvellement prescrit (...) J’ai apporté les deux médicaments à l’hôpital (...) Dans l’intervalle, mon épouse était restée au service des urgences sous la surveillance de ces deux médecins. Lorsque je suis retourné à l’hôpital, ces deux médecins ont fait deux piqûres à mon épouse (...) Ils lui ont également donné un narcotique. Ils lui ont aussi administré les deux médicaments que j’avais achetés (...) Ensuite, ils ont transféré mon épouse au service d’obstétrique situé au deuxième étage (...) Je suis resté dans le couloir. Par la suite, ils m’ont envoyé au service des urgences où devaient être pratiqués des examens (...) Mon épouse m’a dit qu’elle allait mieux et « allez, partons ». Je l’ai conduite à la maison (...) Peu de temps après, elle s’est à nouveau sentie mal. Elle n’arrivait pas à respirer. Je l’ai conduite à la maternité de l’hôpital Konak (...) Ils m’ont demandé où elle avait été précédemment soignée. Je leur ai dit (...) Ils m’ont alors dit d’aller à l’hôpital Yeşilyurt. J’ai à nouveau conduit mon épouse à l’hôpital public Yeşilyurt. Ils l’ont admise aux urgences. Ils m’ont demandé de verser 50 millions de livres turques à la caisse. Je suis allé à la caisse. J’ai dit au caissier que je n’avais pas d’argent, que je pouvais laisser ma pièce d’identité. Cependant, le caissier a dit que sans le versement il ne ferait pas de quittance (...) Les agents en fonction au service d’obstétrique disaient que sans le versement de 50 millions ils ne pouvaient pas agir. Le temps passait. C’est pourquoi mon épouse est morte (...) »
Le requérant conclut sa déposition en déclarant porter plainte contre les deux médecins du service des urgences, le caissier de l’hôpital et le personnel du service d’obstétrique.
18. Au cours de cette même journée, le requérant remit au procureur de la République les deux ordonnances établies par les médecins de garde de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, la carte de demande de soins d’urgence établie dans cet hôpital ainsi que les boîtes des médicaments prescrits à sa compagne.
19. Le 28 décembre 2001, un procès-verbal fut établi après la mort de Leyla Karataş. Il concluait à la nécessité d’autopsier les corps de la mère et de l’enfant mort-né. Ce procès-verbal comporte notamment les informations suivantes :
« À l’examen des [rapports consécutifs à l’] auscultation (...) [de] Leyla Karataş à la clinique de gynécologie de l’hôpital (...) Atatürk (...) Leyla Karataş est arrivée le 27 décembre 2001 aux environs de 6 h 30, (...) dyspnéique (...) [et] tachycarde (...). Il a été établi qu’elle se plaignait depuis environ deux jours d’une infection des voies respiratoires, (...) ÇKS (+), deux contractions utérines constatées en dix minutes, au toucher vaginal ouverture cervicale de 3-4 cm (...) pas de saignements vaginaux (...) Des inhalations d’oxygène (...) ont été pratiquées, un NST[5] a été conduit (...), une consultation d’urgence a été demandée en médecine interne. À 7 h 15, le médecin de garde en médecine interne a examiné la patiente et a estimé qu’il pouvait s’agir d’une crise de pneumonie (...) ou d’asthme. Il a ordonné les examens et les soins requis. Sur instruction du docteur en médecine interne, les inhalations d’oxygène ont été poursuivies, une ampoule (...) a été administrée, les gaz du sang ont été analysés et une échographie [a été réalisée], qui n’a permis de déceler aucune pathologie obstétrique. À 8 h 25, alors que la patiente était installée sur une civière pour être emmenée faire une échographie afin d’évaluer la situation du fœtus car les ÇKS n’étaient plus perceptibles, elle a fait un arrêt cardiopulmonaire. Sur ce, la réanimation cardiopulmonaire a débuté et le service d’anesthésie et de réanimation a été informé. À 8 h 35, l’équipe d’anesthésie a intubé la patiente et commencé la CPR (...) Une césarienne d’urgence a été pratiquée sur la mère et l’enfant a été mis au monde à 8 h 40 avec un APGAR « 0 » (zéro). L’équipe pédiatrique a pratiqué une réanimation sur l’enfant. En l’absence de réaction de la mère et du bébé à la CPR, ils ont tous deux été considérés comme morts à 8 h 55. Un garçon mort-né a été mis au monde par césarienne post-mortem (...)
(...) À 8 h 40, le nouveau-né mis au monde en urgence par S.K. n’avait pas de respiration spontanée, son pouls cardiaque n’a pas été décelé, il a été immédiatement intubé, un massage cardiaque a été pratiqué et de l’adrénaline intratrachéale a été administrée. Le patient, [toujours intubé et sur lequel était toujours pratiqué un] massage cardiaque, ne présentait pas de pouls, et de l’adrénaline intratrachéale lui a été administrée. Cinq minutes plus tard, de l’adrénaline intratrachéale et de l’aminophylline lui ont de nouveau été administrés. Cependant, à 8 h 55, il a été considéré comme mort et il a été mis fin à la réanimation (...) »
20. Le jour même, le procureur de la République transmit à la présidence de l’institut médicolégal d’İzmir le procès-verbal d’examen post-mortem, les photocopies des ordonnances et les fiches d’observations en demandant l’établissement d’un rapport d’autopsie.
21. Toujours le même jour, l’institut médicolégal d’İzmir établit un procès-verbal d’autopsie de l’enfant constatant que ce dernier était mort-né. Il rédigea un autre procès-verbal d’autopsie mentionnant que des prélèvements de sang et d’organes avaient été effectués sur la défunte.
22. Le 10 janvier 2002, le procureur de la République écrivit au gouverneur du district de Konak pour solliciter l’autorisation d’engager des poursuites contre les médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk en vertu de l’article 4/1 de la loi no 4483 relative aux poursuites dirigées contre les fonctionnaires et autres agents publics (« la loi no 4483 »).
23. Le 23 janvier 2002, le préfet d’İzmir saisit le ministère de la Santé d’une demande tendant à ce que la question afférente à l’engagement éventuel de poursuites en vertu de la loi no 4483 fasse l’objet d’un examen préliminaire par l’inspection en chef du ministère de la Santé.
24. Le 5 mars 2002, l’institut médicolégal d’İzmir établit un rapport d’autopsie qui concluait à l’impossibilité d’établir la cause définitive de la mort de Leyla Karataş et à la nécessité de transférer le dossier à l’institut médicolégal d’Istanbul pour avis.
25. Le même jour, l’institut médicolégal d’İzmir établit un nouveau rapport d’autopsie concernant l’enfant, concluant qu’il était mort-né à terme.
26. Le 12 mars 2002, l’inspecteur en chef du ministère de la Santé recueillit la déposition du requérant.
27. Le 13 mars 2002, l’inspecteur en chef du ministère de la Santé recueillit la déposition d’une partie du personnel médical de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk ayant soigné Leyla Karataş, à savoir A.P., H.S., C.T., Se. Ç., Sa. Ç. et A.K.
A.P., médecin assistant au service de médecine interne, fit la déclaration suivante :
« (...) j’étais de garde au service des urgences en médecine interne le 26 décembre 2001 avec le docteur T.K. (...) [La patiente] nous a été envoyée vers minuit trente par le service des urgences externes [qui suspectaient de l’]asthme et des difficultés respiratoires (...) J’ai ausculté la patiente. Je lui ai administré de l’oxygène (...) Je lui ai administré de la Ventoline. Comme il n’y en avait pas à l’hôpital, j’ai prescrit par ordonnance un inhalateur de Ventoline et un inhalateur de Combivent et j’ai dit au proche de la patiente de les acheter. J’ai accompli toutes ces tâches en consultant notre spécialiste de garde, le docteur A.K. J’ai également prescrit ces médicaments en consultant par téléphone notre spécialiste (...) J’ai fait faire un ECG[6] à la patiente (...) J’ai placé la patiente sous surveillance au service des urgences de médecine interne et je lui ai administré les médicaments. (...) sa respiration est redevenue normale mais elle avait tout de même un peu de difficulté à respirer. J’ai moi-même inscrit tout cela sur la carte rose (...) Comme la patiente était enceinte de neuf mois, je l’ai orientée vers le service de gynécologie. Le proche de la patiente a pris la carte rose et s’est rendu au service de gynécologie. La patiente est restée approximativement 2 heures - 2 h 30 au service des urgences de médecine interne (...) Il aurait fallu, une fois les démarches requises effectuées au service de gynécologie, que cela fût mentionné sur la carte rose et que la patiente revienne au service des urgences en médecine interne (...) »
H.S., médecin assistant au service de gynécologie, s’exprima en ces termes :
« (...) Leyla Karataş est venue depuis les urgences en salle d’accouchement, vers 3 heures, la nuit du 27 décembre 2001, déclarant être enceinte de neuf mois. Je faisais partie des médecins de garde (...) La patiente a été conduite dans notre salle d’accouchement à 3 h 45 avec la carte rose du service des urgences (la patiente est venue elle-même en marchant). Mon collègue, l’assistant de garde C.T. et moi l’avons auscultée (...) La patiente a dit qu’elle était enceinte de neuf mois et qu’on lui avait administré du sérum aux urgences. À l’examen, ÇKS (+) (...), pas de contractions, pas de perte de liquide amniotique. Nous avons inscrit sur la carte rose qu’il fallait pratiquer un NST[7] et un UCG[8] et l’avons remise au proche de la patiente pour qu’il procède aux formalités nécessaires à la caisse. Cette personne, dont j’ai appris plus tard qu’il s’agissait du mari de la patiente, a crié qu’il n’avait pas d’argent, (...) qu’il ne pouvait faire [ces examens] et est parti avec la patiente. Le matin, vers 7 heures, elle est revenue en salle d’accouchement en marchant, avec une nouvelle carte rose vierge des urgences (...) L’assistant de garde, le docteur Sa.Ç. et moi l’avons auscultée (...) nous avons constaté qu’elle avait des contractions, qu’on percevait les ÇKS, qu’elle perdait du liquide amniotique, (...) qu’il y avait une ouverture cervicale de 3 cm, une tension de 110/80. Nous l’avons hospitalisée dans le service. Elle avait quelques difficultés à respirer. Nous [avons procédé à une échographie] (...) et, parce qu’elle avait des difficultés à respirer, nous [l’avons installée pour procéder au] NST. J’ai téléphoné à 7 h 05 au service de médecine interne et j’ai demandé une consultation d’urgence. Cinq à dix minutes plus tard, le spécialiste de garde de médecine interne est venu et a procédé à une consultation. En plus des examens de routine, il a demandé une vérification des gaz du sang. Nous avons fait tout cela selon les instructions du spécialiste de garde, le docteur O.T. J’ai quitté le service à 8 heures (...) Ce sont alors les médecins C.T. et Se.Ç. qui ont continué à s’occuper de la patiente (...) »
C.T., médecin assistant au service de gynécologie, déclara :
« (...) Leyla Karataş s’est présentée en salle d’accouchement du service d’obstétrique vers 3 h 45 (...) L’autre médecin assistant de garde, H.S., et moi l’avons auscultée (...) la patiente nous a dit être venue aux urgences pour des problèmes respiratoires, qu’elle avait été soignée et qu’on lui avait administré des médicaments (...) La patiente n’avait pas de contractions, il n’y avait pas d’ouverture cervicale (...) La tension était normale, on entendait les battements de cœur de l’enfant. On a [prescrit] un NST et un UCG sur la carte rose des urgences. On a donné la carte au proche de la patiente pour [qu’il fasse les démarches nécessaires à la caisse] (...) une sage-femme m’a appris que la patiente était sortie de la salle d’accouchement (...) Lorsqu’elle est partie, nous n’avions plus aucune trace écrite. Le docteur H. et moi avons cherché la patiente et ne l’avons pas trouvée. Sur la carte rose, seuls les soins pratiqués aux urgences avaient été inscrits, le nom des médicaments administrés n’avait pas été mentionné. (...) nous n’avons pas pu faire d’échographie à la patiente. (...) Mes collègues m’apprirent que, vers 7 heures - 7 h 30, alors que j’étais occupée à d’autres tâches (...), la patiente était revenue en salle d’accouchement (...) Vers 8 h 15, je suis revenue dans la salle d’accouchement avec le docteur Se.Ç. (...) J’ai vu que la patiente avait des difficultés respiratoires, que son état général était mauvais, qu’elle avait commencé à bleuir. J’ai vérifié les battements de cœur du bébé et je n’ai pas pu percevoir de ÇKS. J’ai averti le docteur Se.Ç. Jusque-là, notre médecin spécialiste n’était pas à nos côtés. Alors qu’on transférait rapidement la patiente pour une échographie, elle a subitement perdu connaissance et j’ai remarqué qu’elle ne respirait plus. On a demandé à ce que notre médecin spécialiste et notre chef soient informés. Nous avons transporté à nouveau la patiente en salle d’accouchement et informé le [service] d’anesthésie et la médecine interne. Notre médecin spécialiste, L.H., est arrivé. Il a recherché les battements de cœur, a vérifié la respiration et la tension. Notre chef adjoint, le docteur L.Ç., et notre spécialiste, L.E., sont arrivés. Le docteur L.H. a pratiqué un massage cardiaque, l’assistant anesthésiste a commencé l’intubation, ils ont tenté de faire revenir la patiente mais elle n’a pas [réagi]. Notre chef adjoint L.Ç. et notre chef, le médecin F.S., ont décidé de pratiquer une césarienne sur la patiente, leur but étant de sauver le bébé (...) Par la suite, j’ai appris que la patiente était morte (...) »
28. Le 14 mars 2002, l’inspecteur en chef du ministère de la Santé recueillit la déposition de cinq autres médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk ayant également soigné la patiente, à savoir O.T., L.H., L.E., L.Ç. et H.İ. À cette occasion, O.T., obstétricien, déclara ceci :
« (...) J’étais le spécialiste de garde au service de gynécologie le mercredi 26 décembre 2001 (...) le 27 décembre 2001, vers 7 heures - 7 h 30, le médecin assistant Se.Ç. m’a téléphoné (...) et m’a dit qu’ils avaient besoin de conseils concernant la patiente qui était en salle d’accouchement. Je me suis immédiatement rendu en salle d’accouchement. Le médecin assistant Se.Ç. m’a dit « c’est la deuxième admission de la patiente, lors de sa première venue elle n’a pas fait les examens prescrits, elle s’est enfuie avec la carte rose (...) parce qu’elle n’avait pas de protection sociale prenant en charge un NST et une échographie (...) ». J’ai ausculté la patiente (...) j’ai constaté une dilatation de 3 cm (...) et que les ÇKS étaient normaux. Pour le bien de l’enfant, j’ai demandé un NST. J’ai également demandé que ce qu’avait prescrit le docteur en médecine interne [ayant examiné la patiente] soit fait. Rien ne justifiait une intervention chirurgicale d’urgence. Vers 8 heures, j’ai décrit le cas de la patiente au chef-adjoint et à mes autres collègues qui reprenaient leur service (...) Vers 8 h 10, Se.Ç. nous a annoncé à tous que l’état de la patiente s’était dégradé. Le chef-adjoint L.Ç., les docteurs L.H., L.E. et moi-même nous sommes rendus au chevet de Leyla Karataş (...) À notre arrivée, elle était morte. Les techniciens anesthésistes et les spécialistes anesthésistes étaient arrivés. Une réanimation a été tentée mais comme Leyla Karataş ne réagissait pas, les médecins L.H. et L.E. ont pratiqué, sous la coordination du chef-adjoint L.Ç., une césarienne post-mortem pour tenter de sauver le bébé. Le bébé était mort-né (...) »
29. Le 15 mars 2002, l’inspecteur en chef du ministère de la Santé recueillit la déposition du personnel médical de l’hôpital de gynécologie et d’obstétrique Dr. Ekrem Hayri Üstündağ de Konak/İzmir.
S.A., sage-femme au sein de cet hôpital, fit la déclaration suivante :
« (...) J’étais de garde au service des urgences de notre hôpital la nuit du 26 décembre 2001 au 27 décembre 2001 (...) Je me souviens de (...) Leyla Karataş, enceinte de neuf mois, arrivée vers 5 h 55 dans notre polyclinique. J’ai ausculté la patiente (...) Comme je n’arrivais pas à percevoir les ÇKS et que l’accouchement avait commencé, j’ai informé le spécialiste et, sur ses directives, j’ai envoyé [la patiente] en salle d’accouchement. J’ai porté les mentions requises sur le registre de la polyclinique. J’ai été appelée par une sage-femme de la maternité dont, pour l’heure, je ne me souviens pas du nom, qui a dit « la patiente a des difficultés respiratoires, elle a été envoyée à l’hôpital public Yeşilyurt et son hospitalisation a été annulée ». (...) Je n’ai pas vu la patiente partir. Dans un tel cas, nous recueillons la signature de la patiente. Je ne sais pas si les spécialistes de garde ont vu la patiente et s’ils l’ont auscultée ou non. Toutefois, il n’est pas possible pour les sages-femmes travaillant à la maternité de décider elles-mêmes de transférer des patientes vers un autre hôpital (...) »
R.B., gynécologue-obstétricien, déclara ne pas se souvenir de Leyla Karataş mais que, d’après le registre des urgences, son collègue D.İ. et lui étaient de garde le jour où elle s’était présentée à l’hôpital. Il expliqua que, parfois, les patientes qui présentaient certaines complications étaient transférées à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk avec un rapport d’épicrise se présentant sous la forme d’un formulaire standard, dès lors que son hôpital ne disposait pas de l’équipe ou des moyens pour les soigner. Ce fut, selon lui, également le cas de Leyla Karataş, sauf que les formalités à remplir pour ce transfert semblaient ne pas avoir été complétées comme il se devait. Il dit ne pas comprendre comment cela avait pu être possible.
D.İ., gynécologue-obstétricien, affirma quant à lui ne pas se souvenir de la patiente et ne pas avoir été informé de sa présence à l’hôpital.
30. Le 18 mars 2002, un procès-verbal de désignation d’un expert fut établi par l’inspecteur en chef du ministère de la Santé et deux professeurs du département de gynécologie et d’obstétrique de l’université Ege. Ce procès-verbal porte mention d’une note selon laquelle la carte rose, remise lors de l’admission de l’intéressée aux urgences de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, n’avait pas été retrouvée.
31. Le 22 mars 2002, les deux professeurs du département de gynécologie et d’obstétrique de l’université Ege, qui avaient signé le procès-verbal de désignation d’un expert, écrivirent un courrier au doyen de la faculté de médecine, dans lequel ils spécifièrent que, après examen du dossier de Leyla Karataş, il leur semblait préférable d’attendre le rapport de l’institut médicolégal avant de se prononcer sur les causes du décès. Ce courrier mentionne notamment ceci :
« (...) les symptômes de la patiente, tant lors de sa première [venue] à l’hôpital que de la seconde, font penser que le décès peut être dû à une pathologie du système respiratoire et circulatoire.
Quant au décès du bébé, dans les cas de césarienne post-mortem (après le décès de la mère), la mort du bébé est inévitable lorsque le temps entre la mort de la mère et l’intervention chirurgicale augmente (...) »
32. Le 26 mars 2002, l’inspecteur principal rattaché au ministère de la Santé établit un rapport d’enquête préliminaire concernant les médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk et les médecins de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ. Ce rapport concluait que le dossier médical de la patiente à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, les témoignages, les rapports d’autopsie de l’institut médicolégal d’İzmir et les rapports d’expertise n’avaient pas permis de déterminer les causes de la mort de la patiente et qu’il fallait donc attendre le rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul pour savoir s’il y avait eu négligence ou faute de la part du personnel soignant. L’inspecteur estima que, sans ce rapport, il n’était pas possible de déterminer avec certitude les causes du décès. Il releva également qu’il n’y avait pas, en l’espèce, de preuves en faveur ou en défaveur des médecins ayant ausculté et soigné la patiente permettant de savoir s’ils avaient commis, par inexpérience ou incompétence, une négligence ou une faute. Soulignant que, en vertu de la loi no 4483, la durée de l’enquête préliminaire était de 45 jours et que l’obtention du rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul allait dépasser ce délai, il conclut à la nécessité d’autoriser l’engagement de poursuites pour parvenir à une conclusion objective quant aux circonstances litigieuses et prendre ensuite les mesures nécessaires au regard des conclusions du rapport d’autopsie.
33. Le 9 avril 2002, le gouvernorat de Konak estima que les médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk et les médecins de la maternité de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ avaient causé la mort de Leyla Karataş et étaient responsables du fait que le bébé était mort-né car ils ne leur avaient pas procuré, à temps, une assistance médicale suffisante. Il autorisa donc l’engagement de poursuites à leur encontre en vertu de l’article 6 de la loi no 4483.
34. Les médecins D.İ., R.B. et A.P. formèrent opposition contre cette décision devant le tribunal administratif régional d’İzmir (« le tribunal administratif régional »). Dans son mémoire en opposition, A.P. déclara que Leyla Karataş était arrivée aux urgences de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk le 27 décembre 2001, souffrant de la gorge et respirant difficilement. Elle ajouta que, après avoir été auscultée et soignée au service des urgences, la patiente avait été envoyée au service d’obstétrique car elle était enceinte. Elle soutint que des difficultés étaient survenues lorsque la question du règlement des frais médicaux s’était posée et que les proches de la patiente l’avaient reconduite à son domicile. Elle avança que la responsabilité dans la survenance des faits litigieux incombait aux proches de Leyla Karataş, qui avaient interrompu son traitement pour la reconduire chez elle, et aux médecins de la maternité de Konak, qui avaient fait perdre du temps en refusant son admission dans leur hôpital.
35. Le 12 juin 2002, le tribunal administratif régional releva que la présidence de la commission d’enquête rattachée au ministère de la Santé avait désigné un enquêteur pour procéder à une enquête préliminaire quant à la responsabilité des médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk. Il constata que l’enquêteur avait inclus dans son enquête préliminaire les médecins R.B. et D.İ., de la maternité de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ, alors qu’ils ne figuraient pas dans le cadre de la mission d’enquête qui lui avait été confiée, et que le gouvernorat de Konak s’était fondé sur le rapport de l’enquêteur pour autoriser les poursuites à l’encontre des médecins susmentionnés. Il estima qu’il fallait en conséquence annuler la décision concernant lesdits médecins et que le gouvernorat pourrait adopter ultérieurement une décision de cet ordre sur le fondement d’un rapport d’enquête préliminaire qui serait établi, cette fois, dans le respect de la procédure. En revanche, le tribunal rejeta le recours d’A.P. après avoir relevé qu’il existait suffisamment d’éléments de preuve justifiant l’ouverture de poursuites à l’encontre des médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk.
36. Le 15 octobre 2002, trois experts, désignés par l’inspecteur en chef du ministère de la Santé pour établir si des négligences ou des fautes du personnel de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ avaient pu être à l’origine du décès de Leyla Karataş et de son enfant établirent un rapport d’expertise. D’après ce rapport, les médecins R.B. et D.İ., de la maternité de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ, n’avaient commis aucune faute ni négligence ayant pu causer les décès litigieux.
37. Le 16 octobre 2002, la commission d’enquête rattachée au ministère de la Santé établit un nouveau rapport d’enquête préliminaire concernant les médecins R.B. et D.İ. de la maternité de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ. Les conclusions de ce rapport sont les suivantes :
« Le docteur R.B. a vu la patiente dans la salle d’accouchement, elle a été auscultée, elle venait de commencer le travail, la dilatation était de 2 cm, son état général était bon (...). [Parce qu’] elle avait des problèmes aux poumons et qu’il n’y avait pas de spécialistes en médecine interne et d’anesthésistes de garde à l’hôpital - les médecins de ces services exerçant leur garde par astreinte -, [il fut décidé] qu’elle serait transférée à l’hôpital Atatürk, doté de [davantage de] moyens et où elle avait précédemment reçu des soins. Toutefois, en ne remplissant pas comme il se devait le formulaire de transfert d’urgence existant dans l’institution, [R.B.] n’a pas respecté la procédure, donnant l’impression que la patiente avait été transférée après avoir été examinée seulement par une sage-femme et non par un médecin (...) Le docteur D.İ., de garde à l’hôpital le même jour, n’a pas été informé de [l’admission] de la patiente, de son auscultation ni des autres démarches, il n’a pas été impliqué (...)
Pour les raisons exposées ci-dessus, les docteurs R.B. et D.İ. n’ont commis aucune négligence ni aucune faute (...) aucun soin n’a été prodigué par ces personnes et ce qu’ils ont fait était correct (...) »
38. Le 30 octobre 2002, le gouvernorat de Konak adopta une décision par laquelle il refusa d’autoriser l’engagement de poursuites contre les médecins R.B. et D.İ. eu égard à la décision du tribunal administratif régional du 12 juin 2002.
39. Le 19 mars 2003, l’institut médicolégal d’Istanbul établit un rapport d’expertise concluant qu’il fallait considérer que le décès de Leyla Karataş était dû à sa maladie des poumons préexistante et que les médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk n’avaient pas commis de faute, les soins lui ayant été prodigués étant conformes aux règles médicales. Les passages pertinents de ce rapport se lisent comme suit :
« 1. Au regard des documents hospitaliers et des constats de l’autopsie, il faut accepter que le décès de la personne résulte de la maladie pulmonaire [dont elle souffrait déjà] ;
2. L’intéressée a bénéficié des soins et du traitement requis lors de ses deux admissions à l’hôpital (...) Atatürk. Le traitement pratiqué était conforme aux règles médicales. Aucune faute [n’est] imputable aux médecins L.Ç., O.T., L.H., L.E., A.K., A.P., H.S., Se.Ç., C.T., Şa.Ç. (...) »
40. Le 8 mai 2003, se fondant notamment sur ce rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul, le procureur de la République adopta une décision de non-lieu à poursuivre les médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk ainsi que les médecins R.B. et D.İ. Il releva pour ce faire que le gouvernorat de Konak n’avait pas autorisé les poursuites contre R.B. et D.İ. et qu’il avait été établi que les autres médecins n’avaient commis aucune faute de nature à causer le décès de Leyla Karataş et de son bébé.
41. Le 21 août 2003, le requérant forma opposition contre cette décision. Dans son mémoire en opposition, son avocat critiqua le fait que le procureur ne puisse directement engager des poursuites contre les fonctionnaires en question. Il estima que l’obligation pour le procureur de recueillir une autorisation administrative pour engager des poursuites était contraire au principe d’égalité inscrit dans la Constitution, au droit à la vie protégé par la Convention et au droit à un procès équitable. Il critiqua le rapport d’autopsie sur lequel reposait la décision de non-lieu et souligna ses carences, relevant notamment qu’aucune appréciation n’avait été émise concernant l’absence alléguée de prise en charge de la patiente pendant trois heures. Invoquant les articles 2, 6 et 13 de la Convention à l’appui de son argumentation, il soutint que ce rapport était insuffisant et qu’il fallait rouvrir l’enquête. Il reprocha en outre au rapport de l’institut médicolégal de ne pas mentionner que le requérant s’était vu réclamer une somme de 500 millions de TRL, passée ensuite à 50 millions, dont celui-ci n’avait pu s’acquitter faute de moyens financiers. Il argua que les médecins n’étaient intervenus auprès de Leyla Karataş qu’après que le requérant eut brisé la vitre de la caisse pour qu’on accepte de lui faire signer un engagement et que cette intervention des médecins avait été tardive, puisque ni la mère ni l’enfant n’avaient pu être sauvés. Il ajouta que la sœur de la défunte et ses autres proches, présents à l’hôpital, avaient été témoins de ce qui s’était passé mais n’avaient pas été entendus. L’enquête présentait donc, selon lui, des carences. Il questionna en outre le fait qu’une femme âgée de 21 ans et son bébé aient pu trouver la mort alors qu’une dizaine de médecins présents sur place les avaient soi-disant bien soignés.
42. Le 25 février 2004, la cour d’assises de Karşıyaka fit droit à ce recours et décida de déclencher des poursuites contre les médecins mis en cause, à l’exception de D.İ. et de R.B. La motivation de la cour d’assises, en ses passages pertinents en l’espèce, peut se lire comme suit :
« Eu égard à l’ensemble des pièces du dossier, l’institut médicolégal ne s’est pas prononcé sur la question des soins prodigués à la patiente entre le moment où elle avait été admise à l’hôpital et son décès, sur la façon dont ces soins avaient été administrés par les médecins ni sur le lien de causalité entre son décès et ceux qui avaient prodigué des soins. Au demeurant, relève de la commission supérieure de la Santé l’établissement des actes et des soins prescrits ou non par les médecins et la faute. Ici, il est constaté qu’un rapport n’a pas été établi [par celle-ci]. La décision de non-lieu a été adoptée uniquement sur la base du rapport de l’institut médicolégal, de sorte que la faute des médecins ayant pris part aux soins n’a pas été recherchée par l’organe compétent (...) Il n’est pas possible de se prononcer s’agissant de la décision de non-lieu concernant les médecins D.İ. et R.B., le gouvernorat de Konak n’ayant pas autorisé l’engagement de poursuites à leur encontre. »
43. Le 8 mars 2004, le procureur de la République écrivit au ministère de la Justice pour demander la levée de cette décision par voie d’injonction écrite. Il fit valoir que, en vertu de sa décision no 9628 des 25 et 26 décembre 1997, la commission supérieure de la Santé ne donnait d’avis qu’au moment du procès et non dans la phase d’instruction, de sorte qu’il n’existait pas, dans la phase de l’enquête préliminaire, d’experts plus compétents que ceux de l’institut médicolégal pour établir l’existence d’un lien de causalité et d’une faute éventuelle des médecins. Il ajouta que le rapport de l’institut médicolégal ayant conclu que les médecins n’étaient pas fautifs, une décision de non-lieu avait été adoptée. Il soutint que l’obligation de recueillir l’avis de la commission supérieure de la Santé signifierait l’engagement automatique de poursuites contre tous les médecins dont la responsabilité serait un jour éventuellement mise en cause.
44. Le 29 mars 2004, la direction générale des affaires pénales du ministère de la Justice répondit qu’elle estimait que la question en litige pouvait être réglée par la voie judiciaire et refusa d’adopter la mesure demandée par le procureur de la République.
45. Sur ce, le 20 avril 2004, le procureur de la République adopta un acte d’accusation à l’encontre des dix médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk mis en cause et requit leur condamnation pour homicide par imprudence et négligence, en vertu de l’article 455 § 1 du code pénal. Il mentionna cependant qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre leurs agissements et le décès litigieux et qu’ils n’avaient pas commis de faute. Les médecins furent poursuivis devant le tribunal correctionnel d’İzmir (« le tribunal correctionnel »).
46. Le jour même, le procureur de la République adopta une décision additionnelle de non-lieu à poursuivre les médecins D.İ. et R.B., relevant que l’autorité compétente n’avait pas autorisé l’engagement de poursuites à leur encontre, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de le faire.
47. Le 8 novembre 2004, le tribunal correctionnel fit droit à la demande de constitution de partie intervenante du requérant.
48. Lors de l’audience du 6 juin 2005, le tribunal correctionnel procéda à l’audition des témoins. Au cours de cette audience, Y.T., sœur de la défunte, fit la déclaration suivante :
« [Le mari de ma sœur,] Davut Sayan, et moi l’avons conduite à l’hôpital Atatürk (...) Ils ont dit qu’il fallait d’abord obtenir une fiche. Nous n’avions pas d’argent pour obtenir cette fiche. Nous l’avons dit à la personne qui était responsable de la délivrance des fiches. Ils ne nous ont pas écoutés, ils ont dit : « Apportez l’argent, que nous établissions la fiche ». Nous avons attendu longtemps. Puis, mon mari Z.T. a trouvé l’argent quelque part. Nous avons versé l’argent, pris la fiche (...) Nous avons conduit à pied la patiente à la maternité au 3e étage et là, nous avons encore attendu une demi-heure (...) »
Z.T. s’exprima quant à lui en ces termes :
« Nous avons conduit Leyla Karataş (...) à l’hôpital Atatürk (...) Alors que [les autres] étaient à l’intérieur au chevet de la malade, j’étais dehors (...) À un moment ils m’ont dit qu’on leur demandait de l’argent. Je sais qu’en raison de ce problème d’argent, ils ont attendu une demi-heure, peut-être une heure. Une heure après, je suis parti. Je ne sais pas ce qui s’est passé après (...) »
K.K. fit la déclaration suivante :
« [Le jour de l’incident], la nuit, vers 3 h 30, Leyla Karataş a eu des contractions c’est pourquoi Y.T., Z.T., son époux Davut Sayan et moi avons conduit Leyla à l’hôpital (...) Yeşilyurt Atatürk (...) Là, ils ont demandé 500 TRY[9]. Le temps de trouver cet argent, la patiente et nous avons attendu, je ne sais pas, environ 2 heures. Je ne sais pas où l’argent a été trouvé et [à qui il a été] versé (...) »
49. Dans un mémoire du 10 octobre 2005 déposé devant le tribunal correctionnel, l’avocat du requérant argua que l’enquête menée par le procureur de la République présentait des carences dès lors que ses conclusions et celles de l’institut médicolégal d’Istanbul avaient été rendues sans que ces derniers n’eussent pu examiner la carte des soins délivrée par le service des urgences ni l’ordonnance qui mentionnait le nom des médicaments administrés à la patiente. Il demanda que le dossier de l’affaire fût transmis à la commission supérieure de la Santé pour que celle-ci se prononçât sur les circonstances de l’incident.
50. Le 27 mars 2007, le tribunal correctionnel acquitta les médecins poursuivis en se fondant sur les conclusions du rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul (paragraphe 39 ci-dessus). Dans sa motivation, il relevait que, contrairement à ce que la cour d’assises lui avait reproché dans son jugement du 25 février 2004 (paragraphe 42 ci-dessus), ce rapport donnait un avis sur l’existence d’un lien de causalité. Il estima en outre que la commission supérieure de la Santé n’était pas l’instance de dernier recours en l’espèce.
51. Le 10 avril 2007, le requérant se pourvut en cassation. Dans son mémoire en pourvoi, son avocat mentionna que son client s’était vu réclamer une somme d’argent à l’hôpital. Celui-ci n’étant pas parvenu à rassembler celle-ci, son épouse n’aurait pas été prise en charge pendant plusieurs heures. Ce n’était qu’après avoir convaincu le chef-adjoint du service et signé un engagement écrit que son épouse aurait été soignée. Il contesta le fait que la décision reposât sur un rapport de l’institut médicolégal établi en l’absence de documents importants, tels que les ordonnances et la carte des soins d’urgence. Il soutint qu’il eût fallu un rapport de la commission supérieure de la Santé et que le procureur n’avait pas pris en compte les témoignages des proches de la victime. Invoquant les articles 2 et 6 de la Convention, il souligna l’obligation pour les autorités de mener une enquête efficace et effective sur les causes d’une mort suspecte. Il fit également référence à l’article 75 de la loi no 1219 en vertu duquel, dans les affaires pénales relatives à la pratique de la profession médicale, il faut recueillir l’avis de la commission supérieure de la Santé puisqu’un rapport d’un institut médicolégal n’est pas de nature à faire la lumière sur les circonstances d’un décès.
52. Le 1er octobre 2007, le procureur général près la Cour de cassation demanda à cette juridiction d’infirmer le jugement de première instance aux motifs, d’une part, qu’il avait été prononcé au terme d’une enquête insuffisante alors qu’il aurait fallu, selon lui, apprécier le cas des accusés après avoir obtenu un rapport de la commission supérieure de la Santé portant sur les causes de la mort de Leyla Karataş et sur la responsabilité des médecins et, d’autre part, en raison de l’absence d’audition de deux des accusés.
53. Le 11 juin 2008, la Cour de cassation infirma le jugement attaqué après avoir relevé que deux des accusés n’avaient pas été interrogés et n’avaient pas présenté leur défense.
54. Le 23 juillet 2009, le tribunal correctionnel mit un terme à la procédure pénale pour cause de prescription, en vertu des articles 102/4 et 104/2 de la loi pénale no 765.
55. Le 2 septembre 2009, le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement, alléguant que cette décision était contraire à la procédure et à l’équité. Faisant valoir que la juridiction de première instance avait agi comme s’il n’y avait eu qu’un seul mort, en ignorant le décès de l’enfant, il contesta la prescription. Selon lui, en application de l’article 455/2 de la loi pénale, la peine à infliger en l’occurrence pouvait être de cinq ans, mais lorsqu’était en cause la mort de plusieurs personnes, cette peine pouvait être portée à dix ans. En application des articles 102/3 et 104/2 de la loi pénale, la prescription devrait être portée à quinze ans. Il réitéra en outre les arguments qu’il avait soumis dans son précédent mémoire en pourvoi (paragraphe 51 ci-dessus).
56. Le 10 février 2011, dans son avis sur le pourvoi, le procureur général près la Cour de cassation invita cette dernière à confirmer le jugement de première instance estimant que le délai de prescription était échu.
57. Le 30 mai 2012, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance après rectification d’une erreur matérielle, remplaçant l’expression « levée de l’action pénale » par « fin de l’action pénale » puisque, en vertu de l’article 223/8 de la loi sur la procédure pénale no 5271, le délai de prescription était écoulé.
C. L’action en indemnisation devant les juridictions administratives
58. Le 8 avril 2003, le requérant saisit en son nom et au nom et pour le compte de ses enfants le tribunal administratif d’İzmir d’une action en indemnisation contre le ministère de la Santé en faisant valoir que sa compagne et mère de ses enfants ainsi que l’enfant qu’elle portait étaient morts des suites de fautes de service et de fonction commises par le personnel soignant de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk. Il réclamait 50 milliards TRL au titre du préjudice matériel et de la perte de soutien qu’il aurait subis et 40 milliards TRL pour préjudice moral. Dans son mémoire introductif d’instance, il invoquait l’article 2 de la Convention.
59. Le 8 décembre 2004, le tribunal administratif rejeta l’action en indemnisation du requérant en se fondant sur le rapport de l’institut médicolégal qui avait conclu que le décès de Leyla Karataş était dû à la maladie des poumons dont elle souffrait déjà et que les médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk avaient agi selon les règles médicales, sans commettre de faute. Il décida que, par conséquent, il n’y avait pas eu de faute de service de l’administration et qu’il fallait rejeter la demande.
60. Le 6 avril 2005, le requérant se pourvut devant le Conseil d’État. Dans son mémoire en pourvoi, il reprochait à la juridiction de première instance d’avoir statué uniquement à la lumière du rapport de l’institut médicolégal versé au dossier de la procédure pénale sans mener d’autres recherches et de ne pas avoir attendu l’issue de la procédure menée par l’ordre des médecins d’İzmir sur les circonstances de l’incident (paragraphes 64-66 ci-après). Il y arguait également que le rapport de l’institut médicolégal était insuffisant pour clarifier les circonstances litigieuses et il faisait valoir que la carte d’admission aux urgences de Leyla Karataş avait disparu du dossier d’instruction alors qu’il s’agissait, selon lui, d’un élément de preuve très important. Enfin, il reprochait au tribunal administratif de s’être prononcé alors que l’action pénale contre les médecins était pendante.
61. Le 17 mars 2008, statuant à la lumière de l’avis du procureur général près le Conseil d’État qui estimait que le pourvoi devait être rejeté, le Conseil d’État confirma le jugement de première instance. Il releva pour ce faire que le tribunal correctionnel d’İzmir avait, par un jugement du 27 mars 2007 (paragraphe 50 ci-dessus), acquitté le personnel médical poursuivi, et que la décision contestée était conforme à la procédure et au droit.
62. Le 9 juin 2008, le requérant saisit le Conseil d’État d’un recours en rectification contre ce jugement soutenant qu’il était contraire à l’équité de la procédure et au droit. Citant l’article 6 de la Convention, il allégua que le jugement n’était pas motivé et réitéra les arguments qu’il avait soumis au Conseil d’État lors de son pourvoi en cassation (paragraphe 60 ci-dessus).
63. Le 15 juin 2009, le Conseil d’État rejeta ce recours.
D. L’action devant les instances disciplinaires
64. Le 16 octobre 2003, le requérant agissant en son nom et au nom et pour le compte de ses enfants saisit l’ordre des médecins d’İzmir pour demander l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre les médecins L.Ç., O.T., L.H., L.E., A.K., A.P., H.S., Se. Ç., C.T. et Sa. Ç.
65. À une date non précisée, l’ordre des médecins d’İzmir adopta une décision par laquelle il estima, au vu du rapport de l’institut médicolégal, du rapport d’expertise de l’université Ege et du dossier médical de Leyla Karataş, qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites contre ces médecins.
66. Le 11 octobre 2005, saisie d’un recours en opposition, la haute assemblée d’honneur de l’ordre des médecins d’İzmir considéra qu’il n’y avait pas lieu d’annuler la décision contestée. Elle estima notamment :
« (...) [qu’]il ressort[ait] du résumé que les médecins [n’étaient] pas responsables, que les négociations relatives aux frais d’hospitalisation avaient eu lieu [sans que] les médecins poursuivis [fussent impliqués] (...) »
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
67. Le droit interne pertinent, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, est décrit, en partie, dans la décision Sevim Güngör c. Turquie ((déc.), no 75173/01, 14 avril 2009).
68. Le 15 décembre 2011, la direction générale des services de soins du ministère de la Santé adopta une circulaire (2011/62) aux termes de laquelle elle rappelait que le ministère de la Santé avait interdit de manière définitive, par la circulaire no 5089 (2004/47) du 30 mars 2004, que les administrations des hôpitaux demandent des documents tels que des engagements écrits aux patients ou à leurs proches au motif que ces derniers ne pouvaient assumer les frais d’auscultation, d’examen, d’analyses et/ou de soins.
Elle réitéra que, en vertu des circulaires du cabinet du Premier ministre des 26 juin 2008 (2008/13) et 10 août 2010 (2010/16) relatives aux services d’urgence, il convenait de dispenser à toute personne se présentant aux urgences - sans rechercher si elle était ou non bénéficiaire d’une protection sociale - les soins d’urgence et les interventions chirurgicales requises, en priorité et sans conditions préalables. Enfin, elle mentionna que, en vertu de la circulaire no 4601 du ministère de la Santé du 31 janvier 2011 (2011/6), les caisses dans les services d’urgence des hôpitaux relevant du ministère avaient été supprimées pour empêcher que de l’argent puisse être réclamé à des patients.
La direction générale releva enfin que, si des améliorations avaient été apportées dans ces domaines, elle avait appris par voie de presse et par le biais de plaintes déposées auprès du ministère que certaines administrations hospitalières demandaient encore des titres ou engagements écrits à leurs patients ou aux proches de ces derniers. Elle réclama en conséquence le respect des circulaires susmentionnées sous peine de sanctions administratives à l’endroit des contrevenants et demanda que les directions départementales de la santé et les directions des établissements hospitaliers surveillent attentivement la pratique en vigueur dans leur hôpital et prennent les mesures préventives requises.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
69. Les requérants soutiennent que Leyla Karataş et son bébé sont morts en raison d’un défaut d’attention des médecins au moment de l’auscultation, d’une erreur de diagnostic, de l’administration d’un mauvais médicament puis d’un défaut de soins faute de paiement comptant des frais médicaux. Ils arguent à cet égard que l’État n’a pas satisfait à son obligation positive de protéger le droit à la vie.
Ils allèguent que la raison pour laquelle Leyla Karataş n’a pas reçu de soins pendant plusieurs heures lorsqu’elle était à l’hôpital est que le personnel hospitalier avait posé comme condition préalable à son examen le paiement de frais médicaux. Ils renvoient à cet égard à la circulaire du ministère de la Santé du 15 décembre 2011 (2011/62) (paragraphe 68 ci-dessus) qui démontre, selon eux, l’existence d’une telle pratique.
Ils arguent également que l’État a manqué à son obligation positive d’instaurer un système judiciaire efficace permettant d’établir la cause d’un décès survenu en milieu hospitalier et éventuellement la responsabilité des médecins traitants. Ils invoquent à cet égard l’article 2 de la Convention.
70. De plus, les requérants se plaignent du défaut d’équité de la procédure devant les instances nationales. Ils contestent à ce sujet la prise en compte comme fondement unique à la décision des juridictions internes du rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul et se plaignent que leur demande d’expertise par la commission supérieure de la Santé ait été ignorée. Ils arguent que les instances nationales ont manqué d’impartialité en entravant l’obtention d’une telle expertise. Ils dénoncent en outre la durée excessive de la procédure pénale qui, ayant duré plus de dix ans et cinq mois, a abouti à la prescription de l’action. Ils estiment contraire à l’équité que la procédure ait pu prendre fin par prescription. Ils reprochent enfin aux autorités internes d’avoir perdu l’une des preuves les plus importantes relatives à la procédure, à savoir la carte rose établie aux urgences. Ils invoquent l’article 6 de la Convention à l’appui de leurs dires.
71. Se fondant sur l’article 13 de la Convention, les requérants allèguent par ailleurs ne pas avoir bénéficié d’une voie de recours effective pour faire valoir leurs demandes compte tenu de la disparition de certains éléments de preuve, du refus des instances nationales de demander une expertise à la commission supérieure de la Santé et de la prescription de l’infraction. Enfin, ils se plaignent de l’attitude du procureur de la République qui, dès l’acte d’accusation, s’est prononcé contre les poursuites et a fait preuve, selon eux, de préjugés et de contradictions qui ont rendu la procédure ineffective.
72. Le Gouvernement rejette ces allégations.
73. La Cour rappelle que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements. Eu égard aux circonstances dénoncées par la requérante et à la formulation de ses griefs, la Cour examinera ces derniers sous l’angle de l’article 2 de la Convention sous ses aspects substantiel et procédural. Cet article énonce en ses passages pertinents en l’espèce que :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »
A. Sur la recevabilité
1. L’exception préliminaire du Gouvernement
74. Citant les affaires Calvelli et Ciglio c. Italie ([GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002-I), Mastromatteo c. Italie ([GC], no 37703/97, §§ 90, 94 et 95, CEDH 2002-VIII), et Vo c. France ([GC], no 53924/00, § 90, CEDH 2004-VIII), le Gouvernement argue que lorsque l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité de la personne n’est pas causée intentionnellement, l’obligation positive de mettre en place « un système judiciaire efficace » ne requiert pas nécessairement un recours de nature pénale dans tous les cas. Offrir aux victimes un recours civil, administratif ou disciplinaire pourrait suffire.
75. Il soutient que, en l’espèce, le requérant agissant en son nom et au nom et pour le compte de ses enfants mineurs a introduit une action en réparation devant les juridictions administratives contre le ministère de la Santé. Cette procédure aurait pris fin le 15 juin 2009 par une décision notifiée au requérant le 3 août 2009. Renvoyant à la jurisprudence précitée (paragraphe 74 ci-dessus), le Gouvernement affirme que l’introduction d’un recours « civil » contre les prétendus responsables, dans le contexte de négligences médicales, est en principe suffisant, de sorte que les requérants auraient dû saisir la Cour dans les six mois suivant le 3 août 2009. La requête ayant été introduite le 21 septembre 2012, elle devrait être rejetée pour tardiveté.
2. Les arguments des requérants
76. Les requérants soutiennent que les précédents jurisprudentiels invoqués par le Gouvernement ne sont pas adaptés au cas d’espèce. Pour eux, les agissements du personnel hospitalier constituent un crime ; leur requête tendait également à obtenir la punition des responsables. Ils affirment par ailleurs que la procédure contre le ministère de la Santé n’était pas une procédure civile mais une procédure administrative. À cet égard, ils soutiennent avoir invoqué une violation des articles 2, 6 et 13 de la Convention aussi bien concernant la procédure pénale que la procédure administrative. Ils reprochent aux juridictions administratives d’avoir abouti à une solution sans mener d’investigations ni avoir attendu l’aboutissement de la procédure pénale. À supposer même que les juridictions administratives aient abouti à un constat de responsabilité, les médecins n’auraient reçu aucune punition. Les requérants soutiennent que, dans les cas de morts survenues en milieu hospitalier, la procédure pénale est une procédure plus efficace que dans d’autres types d’affaires.
77. Pour les requérants, le Gouvernement n’est pas fondé à invoquer une prétendue méconnaissance du délai de six mois. Ils assurent en effet avoir agi devant la Cour dans les délais et formes prescrits pour ce faire.
3. Appréciation de la Cour
78. La Cour rappelle que, pour être compatible avec l’article 35 de la Convention, une requête doit être introduite dans un délai de six mois à compter de la date de la décision interne définitive, cette dernière étant comprise comme la date ayant épuisé les voies de recours internes offertes dans l’ordre juridique interne. Par ailleurs, le délai de six mois constitue une règle autonome qui doit être interprétée et appliquée dans une affaire donnée de manière à assurer l’exercice efficace du droit de recours individuel (Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 55, 29 juin 2012).
79. En l’espèce, la Cour observe que les requérants ont introduit différentes procédures devant les instances nationales - aussi bien pénale, administrative que disciplinaire - aux fins d’obtenir l’établissement des responsabilités en cause dans la survenance du décès litigieux. À cet égard, la Cour rappelle avoir déjà dit que, dans l’hypothèse d’un décès imputable à une négligence médicale, le système juridique turc prévoit, d’une part, le déclenchement d’une action pénale et, d’autre part, la possibilité pour la partie lésée d’engager une action devant la juridiction civile compétente, ainsi que la possibilité d’une action disciplinaire au cas où la responsabilité civile serait établie (Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk c. Turquie, no 13423/09, § 103, CEDH 2013).
80. À cet égard, elle rappelle en outre avoir déjà admis qu’en principe, lorsqu’un requérant se plaint d’une négligence médicale, la voie de recours à exercer en droit interne est un recours en indemnisation de nature civile et/ou administratif (Karakoca c. Turquie (déc.), no 46156/11, 21 mai 2013). Cela étant, amenée à se prononcer sur l’absence de prise en charge médicale d’un patient par un service hospitalier ayant abouti à une mise en danger de la vie de l’intéressé, la Cour a en outre eu l’occasion d’affirmer que l’absence d’incrimination et de poursuites à l’encontre des personnes responsables d’atteintes à la vie pouvait entraîner une violation de l’article 2, abstraction faite de toute autre forme de recours à exercer de leur propre initiative (Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, précité, §§ 103-106).
81. En l’espèce, elle observe que les requérants ont engagé trois procédures en droit interne pour obtenir des explications quant aux circonstances du décès de leur proche et obtenir que les médecins qu’ils rendaient responsables de ce décès répondent de leurs actes. Elle constate en outre qu’ils se plaignent d’un défaut de prise en charge médicale à temps de leur proche. Partant, la Cour estime qu’on ne saurait leur reprocher d’avoir exercé le recours pénal dont ils se prévalent. À cet égard, la Cour souligne en particulier qu’en l’espèce, contrairement aux circonstances en cause dans l’affaire Karakoca (décision précité), les instances nationales compétentes ont estimé que l’appréciation des faits litigieux relevait du droit pénal et requérait l’engagement d’une procédure pénale contre les responsables présumés. Dès lors, elle estime que les requérants ont fait l’essai loyal des voies de recours disponibles en droit interne pour tenter d’obtenir l’établissement des responsabilités en cause dans le décès de leur proche. La Cour considère donc que la décision interne définitive à prendre en compte pour le calcul du délai de six mois est la décision de la Cour de cassation du 30 mai 2012. La présente requête ayant été introduite le 20 septembre 2012, il convient de rejeter l’exception de tardiveté de la requête soulevée par le Gouvernement.
82. Constatant par ailleurs que ce grief des requérants n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des requérants
83. Les requérants contestent la version des faits exposée par le Gouvernement (paragraphes 88-99 ci-après), lui reprochant en outre d’avoir tenté de dissimuler la réalité de ceux-ci. Ils affirment à cet égard que le Gouvernement ne peut prétendre que toutes les interventions que requéraient les circonstances avaient été menées ni qu’il avait satisfait à ses obligations positives. Ils ajoutent qu’ils ne font pas grief d’une mort causée de manière intentionnelle.
84. Les requérants affirment qu’on leur a demandé le paiement d’une somme d’argent. Se référant au règlement cité par le Gouvernement (paragraphe 90 ci-après), ils soutiennent que les patients se trouvant dans le même état que Leyla Karataş devraient être soignés sans frais. Ils arguent que le Gouvernement a admis que les autorités internes leur avaient réclamé de l’argent et un engagement écrit. Parce qu’il n’avait pas les moyens de payer, le requérant aurait été contraint de signer cet engagement, en violation des dispositions réglementaires applicables.
85. Les requérants exposent en outre qu’au cours de la procédure pénale, seul fut pris en compte le cas de la mère décédée et non celui de l’enfant ; circonstance qui aurait eu une incidence sur la prescription. Ils affirment que si la mort de l’enfant avait été prise en compte dans le cadre des poursuites pénales, la prescription aurait été de 15 ans et non de 10 ans. Les requérants reprochent l’absence de poursuites du fait du décès de l’enfant.
86. Ils affirment qu’au regard du droit en vigueur à l’époque des faits (article 75 de la loi no 1219 relative aux modalités d’exercice de l’art médical et de ses branches), tout acte criminel résultant d’une pratique professionnelle des médecins devait être sujet à l’avis de la commission supérieure de la Santé. Les requérants citent à cet égard des décisions de la Cour de cassation qui auraient conclu en ce sens. Ils affirment, au regard des arguments du Gouvernement quant à l’abrogation de cette obligation par la Cour constitutionnelle (paragraphe 97 ci-après), que jusqu’à cette date, les juridictions internes étaient tenues de requérir l’avis de cette commission. Le non-respect de cette obligation était, selon les requérants, contraire au droit interne.
87. Ils réitèrent que la procédure relative au décès de Leyla Karataş et de son enfant constitue une violation de l’article 2 de la Convention.
2. Arguments du Gouvernement
88. Citant certains passages des affaires Powell c. Royaume-Uni ((déc.), no 45305/99, CEDH 2000-V), Calvelli et Ciglio (précité, § 49), Byrzykowski c. Pologne (no 11562/05, § 117, 27 juin 2006), Šilih c. Slovénie ([GC], no 71463/01, § 195, 9 avril 2009) et Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk (précité § 80), le Gouvernement soutient que, en l’espèce, n’est pas en cause une mort provoquée intentionnellement et que toutes les interventions nécessaires ont été menées dès le moment où Leyla Karataş a été admise en consultation à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk. À cet égard, il affirme qu’elle n’a pas été privée de soins au motif qu’elle n’aurait pas pu payer les frais médicaux mais que, au contraire, elle avait bénéficié des soins requis après un diagnostic qui avait établi qu’elle souffrait d’asthme.
89. Le Gouvernement argue que l’état de la patiente s’était détérioré après son départ volontaire de l’hôpital, sans prévenir personne, et que, lors de sa seconde admission à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, le traitement médical que son état nécessitait lui aurait été administré en vain.
90. Quant aux critères relatifs aux conditions d’initiation d’un traitement médical, le Gouvernement renvoie au règlement relatif au fonctionnement des établissements de soins alités, publié au journal officiel (« le JO ») le 13 janvier 1983, en vigueur à l’époque des faits. Il se réfère également aux amendements apportés à ce règlement par décision du Conseil des ministres no 2005/8720 du 1er avril 2005, publié au JO le 5 mai 2005. Enfin, il renvoie au règlement relatif aux services d’urgence publié le 11 mai 2000 au JO.
91. Selon le Gouvernement, la patiente a été examinée au service des urgences de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk et a bénéficié des soins requis, les deux fois où elle s’y est rendue, conformément au règlement relatif aux services d’urgence.
92. Le Gouvernement expose que, lorsqu’il fut établi que la patiente avait besoin d’être hospitalisée, lors de sa seconde consultation à l’hôpital, on lui demanda de payer pour les frais médicaux. Les proches de la patiente déposèrent ainsi 50 000 000 TRL et signèrent une reconnaissance pour le reste des frais. À cet égard, le Gouvernement souligne que, dès lors qu’un certificat de pauvreté n’avait pas été remis lors de l’hospitalisation de la patiente, tel que l’exigeait le règlement susmentionné, un engagement avait été signé aux termes duquel ce certificat serait soumis ultérieurement. Il s’agissait d’un moyen de s’assurer que tous les frais médicaux seraient payés si un certificat de pauvreté n’était pas délivré par la suite.
93. En conséquence, tout en indiquant être désolé pour le décès ainsi survenu, le Gouvernement considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet substantiel.
94. Quant au statut de l’enfant à naître, le Gouvernement cite le droit interne ainsi que la jurisprudence de la Cour (Vo, précité § 82 et A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 237, CEDH 2010). Il expose notamment que, en vertu de l’article 28 du code civil, la personnalité juridique est attribuée à l’enfant né vivant et viable.
95. S’agissant de l’aspect procédural de l’article 2 de la Convention, le Gouvernement argue que l’enquête relative au décès de Leyla Karataş a été menée par le procureur de la République d’İzmir qui est une autorité indépendante et impartiale. L’enquête pénale aurait en outre été menée de façon transparente : les requérants auraient été en mesure d’accéder au dossier et ils auraient pu formuler diverses demandes. Dans le cadre de la procédure pénale, les étapes suivantes auraient eu lieu : un examen post-mortem et une autopsie auraient été effectués, la cause exacte de la mort de Leyla Karataş aurait été établie et il aurait été démontré que l’enfant était à terme et mort-né. De nombreuses dépositions auraient en outre été recueillies et les requérants auraient activement participé à la procédure, de sorte qu’une enquête adéquate susceptible de conduire à la détermination et la punition des responsables, s’il y en avait, aurait été conduite par les autorités internes.
96. De plus, eu égard aux informations dont il disposait, aux documents du dossier et au rapport de l’institut médicolégal du 19 mars 2003 (paragraphe 39 ci-dessus), le tribunal administratif d’İzmir a estimé qu’il était établi que l’administration n’avait pas commis de négligences dans ses devoirs et a rejeté la demande d’indemnité des requérants. Néanmoins, le Gouvernement souligne être conscient de la longueur de la procédure et laisse à la discrétion de la Cour l’appréciation du grief des requérants à cet égard.
97. Enfin, le Gouvernement transmet les informations relatives aux conditions de saisine de la commission supérieure de la Santé. À cet égard, il précise que ces conditions ont été établies par la décision no 9628 de cette même commission, datée des 25 et 26 décembre 1997, au regard de laquelle il fut considéré que le procureur de la République n’avait pas la possibilité de solliciter un avis. Il souligne en outre que, par une décision du 3 juin 2010, la Cour constitutionnelle a révoqué l’article 75 de la loi no 1219 qui imposait la consultation de la commission lorsqu’était en cause la détermination de la responsabilité dans le domaine médical. Il expose à cet égard que la Cour constitutionnelle, tenant compte des différentes possibilités d’obtenir une expertise, avait estimé qu’exiger en sus l’avis de la commission, sans qu’un délai pour l’obtention de celui-ci ne soit défini, entraînait des retards inutiles dans le déroulement des procédures.
98. Le Gouvernement soutient par ailleurs qu’il n’appartient pas à la Cour de se substituer aux juridictions internes. Il argue que les erreurs de qualification des faits prétendument commises par les autorités internes seraient exclues du champ d’examen de la Cour. Dès lors, dans le cas d’espèce, selon le Gouvernement, la décision des juridictions internes de n’avoir recours qu’à un seul rapport d’expertise doit être appréciée comme relevant de la seule discrétion des juridictions nationales. Au demeurant, au regard de l’ensemble de la procédure, les décisions des juridictions internes n’auraient rien d’arbitraire. Citant les affaires Tysiąc c. Pologne (no 5410/03, § 119, CEDH 2007-I) et Yardımcı c. Turquie, (no 25266/05, § 59, 5 janvier 2010), le Gouvernement soutient en outre qu’il n’appartient aucunement à la Cour de spéculer sur la base des documents médicaux dont elle dispose quant aux conclusions auxquelles les experts parviennent.
99. Enfin, le Gouvernement argue que les procédures pénale et administrative étaient en mesure de permettre l’établissement de la responsabilité des autorités dans le décès litigieux.
3. Appréciation de la Cour
a) Quant à la protection du droit à la vie de Leyla Karataş
100. La Cour rappelle tout d’abord les principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence en ce qui concerne les obligations des États au regard de l’article 2 de la Convention lorsque sont en cause des cas de négligences médicale (Calvelli et Ciglio, précité, §§ 48-53, Byrzykowski précité § 117, et Powell, décision précitée). Elle examinera la présente affaire à la lumière de ces principes.
101. La Cour souligne ensuite que les requérants n’allèguent pas que la mort de Leyla Karataş a été provoquée intentionnellement. Ils soutiennent toutefois, sous l’angle du volet matériel de l’article 2, qu’elle a été victime à la fois d’une erreur de diagnostic et d’une erreur dans l’administration d’un médicament ainsi que d’un défaut de soins, faute d’avoir été en mesure de régler rapidement les frais auxquels sa prise en charge médicale était subordonnée.
102. À cet égard, la Cour rappelle qu’une question peut se poser sous l’angle de l’article 2 de la Convention lorsqu’il est prouvé que les autorités d’un État contractant ont mis la vie d’une personne en danger en lui refusant les soins médicaux qu’elles se sont engagées à fournir à l’ensemble de la population (Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 219, CEDH 2001-IV, et Nitecki c. Pologne (déc.), no 65653/01, 21 mars 2002).
103. De même, un dysfonctionnement flagrant des services hospitaliers privant un patient de la possibilité d’avoir accès à des soins d’urgence appropriés peut constituer un manquement de l’État à son obligation de protéger l’intégrité physique de la personne (Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, précité, § 97).
104. Dans les circonstances de la présente affaire, il incombe donc à la Cour de rechercher si les autorités nationales ont fait ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles et en particulier si elles ont satisfait, de manière générale, à leur obligation de protéger l’intégrité physique de la patiente, notamment par l’administration de soins médicaux appropriés. Pour ce faire, la Cour accorde de l’importance à la chronologie, telle qu’elle ressort des éléments du dossier, des événements qui ont conduit à la mort tragique de la patiente, ainsi qu’aux données médicales concernant cette dernière. Elle estime en outre nécessaire, eu égard à la formulation du grief par les requérants, de s’intéresser aussi bien aux événements survenus la veille de son décès qu’à ceux qui se sont déroulés le jour de sa mort.
105. À cet égard, la Cour constate que, la veille de son décès, Leyla Karataş s’était rendue à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, se plaignant de difficultés respiratoires (paragraphes 17, 27-28 ci-dessus). Elle avait été prise en charge au service des urgences où un traitement médical lui avait été administré. Elle avait cependant quitté cet hôpital vers 4 h, d’elle-même, sans que les examens complémentaires prescrits ne fussent pratiqués, faute de moyens financiers (paragraphes 27 et 34 ci-dessus).
106. Le 27 décembre 2001, prise de contractions, elle se présenta tout d’abord à l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ mais du fait qu’il n’y avait pas de spécialistes en médecine interne et d’anesthésiste présents à l’hôpital, elle fut envoyée à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk (paragraphe 37 ci-dessus). À cet égard, la Cour constate que les versions des parties diffèrent quant aux conditions de prise en charge de la requérante dans cet hôpital. En effet, alors que les requérants affirment que la défunte n’a bénéficié d’aucun soin avant que les frais afférents à son admission à l’hôpital n’aient été payés et que la signature d’un engagement écrit n’ait été obtenue, ce qui aurait duré plusieurs heures, le Gouvernement nie quant à lui tout délai d’attente et affirme que Leyla Karataş a été prise en charge dès son arrivée à l’hôpital.
107. La Cour observe tout d’abord que, eu égard aux pièces du dossier, les témoignages des médecins et les documents hospitaliers situent l’arrivée de la patiente à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, le 27 décembre 2001, entre 7 heures et 7 h 30 (paragraphes 15 et 27 ci-dessus). Le procès-verbal établi après la mort de Leyla Karataş fixe quant à lui l’arrivée de cette dernière à l’hôpital à 6 h 30 et fait mention d’un premier examen par un médecin de garde à 7 h 15 (paragraphe 19 ci-dessus). Les différents documents versés au dossier établissent que l’état de la patiente s’est détérioré à compter de 8 heures et que, à partir de ce moment, plusieurs médecins sont intervenus.
108. La Cour relève ensuite les disparités existant entre les différents témoignages des proches des requérants ayant accompagné Leyla Karataş à l’hôpital le jour de son décès quant au temps d’attente avant que celle-ci n’ait été prise en charge (paragraphe 48 ci-dessus).
109. En l’espèce, la chronologie des faits, telle qu’elle résulte des documents versés au dossier de l’affaire, permet cependant à la Cour de constater que la patiente, faute de moyens financiers suffisants, a renoncé à des examens médicaux complémentaires lors de son premier déplacement à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, le 26 décembre 2001 (paragraphes 17, 27 et 34 ci-dessus). L’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ, où elle se présenta le matin du 27 décembre 2001, vers 5 h 55 (paragraphe 27 ci-dessus), ne disposant pas d’internistes ni d’anesthésistes présents sur place, lui demanda d’aller à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk (paragraphe 29 ci-dessus), de sorte que sa prise en charge médicale fut différée. La patiente se rendit dans cet hôpital par ses propres moyens, sans accompagnement médical (paragraphe 17 ci-dessus). Sa prise en charge dans cet hôpital, sans avoir été retardée de plusieurs heures comme le soutiennent les requérants, apparaît en tout état de cause avoir connu un temps de latence et avoir été soumise à la satisfaction d’une exigence financière préalable (voir, en ce sens, les observations du Gouvernement au paragraphe 92 ci-dessus).
110. Eu égard à ce constat, la Cour souligne toutefois qu’elle ne peut aucunement spéculer quant à l’incidence de l’enchaînement des circonstances susdécrites sur la vie de Leyla Karataş ni aboutir à aucune conclusion à cet égard sous l’angle du volet matériel de l’article 2 (comparer avec les circonstances de l’affaire Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, précité, §§ 96-97).
111. De plus, si les requérants soutiennent que, dans les circonstances de la présente affaire, une erreur médicale et des manquements imputables au service hospitalier sont susceptibles de fonder directement la responsabilité de l’État sur le terrain de l’article 2, la Cour constate que, quelle que soit la réponse à apporter à cette question, les conclusions de l’institut médicolégal d’Istanbul (paragraphe 39 ci-dessus) ainsi que les conclusions des juridictions internes ne vont pas dans ce sens.
112. Elle rappelle qu’elle ne peut apprécier les circonstances soumises à son examen qu’au regard des informations et des moyens dont elle dispose. Il ne lui appartient pas de remettre en cause les conclusions des expertises établies en droit interne ni de se livrer à des conjectures à partir des renseignements médicaux dont elle dispose, sur le caractère correct des conclusions auxquelles sont parvenus les experts (Tysiąc, précité, § 119). De même, en l’espèce, elle ne peut se prononcer ni sur une éventuelle erreur de diagnostic des médecins ni sur l’adéquation de la prescription médicamenteuse à l’état de santé de la patiente, ces circonstances n’ayant pas été établies en droit interne.
113. Par conséquent, la Cour conclut, au vu des éléments dont elle dispose, à la non-violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel.
114. Quant à l’aspect procédural de l’article 2 de la Convention, comme il a été précédemment observé, outre la procédure devant les instances disciplinaires, les requérants ont fait usage de deux voies de recours différentes afin que fussent établies les circonstances de la mort de leur proche et les responsabilités en cause (paragraphe 81 ci-dessus). Il convient dès lors d’examiner le déroulement de ces procédures dans leur ensemble afin de déterminer si l’État a satisfait à son obligation d’instaurer un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du décès de Leyla Karataş, qui se trouvait alors sous la responsabilité de professionnels de la santé, et, le cas échéant d’obliger ceux-ci à répondre de leurs actes (voir notamment Calvelli et Ciglio, précité, § 49).
115. À cet égard, la Cour constate que le requérant déposa plainte devant le procureur de la République le 27 décembre 2002. Sur ce, afin de déterminer si le personnel médical mis en cause pouvait être pénalement poursuivi, le procureur saisit le préfet d’Izmir, qui à son tour saisit le ministère de la Santé. Un inspecteur en chef de ce ministère diligenta une enquête quant aux circonstances litigieuses. Au cours de cette enquête, l’inspecteur en chef recueillit les témoignages du personnel médical des deux hôpitaux où Leyla Karataş s’était rendue et demanda qu’un rapport d’expertise fût établi (paragraphes 30 et 31 ci-dessus). Le 26 mars 2002, le rapport d’enquête préliminaire du ministère de la Santé conclut à l’impossibilité de déterminer les causes de la mort de la patiente et indiqua qu’il fallait attendre les conclusions du rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul (paragraphe 32 ci-dessus). Estimant que la durée légale de l’enquête préliminaire arriverait à expiration avant l’obtention dudit rapport, l’inspecteur en chef jugea nécessaire d’autoriser l’engagement de poursuites pénales contre le personnel hospitalier mis en cause, ce qui fut fait le 9 avril 2002 (paragraphe 33 ci-dessus).
116. Pour autant, la Cour observe que par la suite, la procédure pénale fut limitée à la seule recherche de la responsabilité des médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, faute d’autorisation administrative de poursuites contre le personnel hospitalier de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ. Dès lors, aucune recherche n’apparaît avoir été menée quant à l’état dans lequel se trouvait la patiente à son arrivée dans cet hôpital, aux raisons pour lesquelles l’interniste et l’anesthésiste d’astreinte n’avaient pas été contactés, à l’incidence de sa non-admission dans cet hôpital et de son départ, sans accompagnement médical, vers un autre hôpital, et notamment si ces circonstances avaient pu être de nature à mettre sa vie en danger.
117. La Cour relève en outre que les requérants se plaignent de la durée excessive de la procédure pénale qui fut telle que les faits reprochés au personnel médical tombèrent sous le coup de la prescription. En l’espèce, elle constate que le tribunal correctionnel mit un terme à la procédure le 23 juillet 2009, soit plus de huit ans après la plainte du requérant, par une décision confirmée par la Cour de cassation le 30 mai 2012.
118. Or la Cour rappelle que, s’il peut arriver que des obstacles ou des difficultés empêchent une enquête de progresser dans une situation particulière, il reste que la prompte réaction des autorités est capitale pour maintenir la confiance du public et son adhésion à l’état de droit, et pour prévenir toute apparence de tolérance d’actes illégaux ou de collusion dans leur perpétration (Silih, précité, § 196). En l’occurrence, la Cour ne peut que constater que la durée de la procédure litigieuse ne satisfait aucunement à l’exigence d’un examen prompt et sans retard inutile de l’affaire (voir, pour une approche similaire, Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, § 101).
119. Quant à la procédure administrative, la Cour observe que le tribunal administratif a rejeté la demande en indemnisation des requérants en se fondant sur le rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul d’après lequel la mort de Leyla Karataş était due à une maladie pulmonaire préexistante (paragraphe 39 ci-dessus). Certes, elle reconnaît l’importance que peut revêtir une expertise dans le cadre du régime de la responsabilité médicale lorsqu’un patient est décédé et que se pose la question de la causalité entre ce décès et sa prise en charge médicale. Elle estime essentiel que les juges puissent se référer aux avis d’experts médicaux afin de rechercher s’il existe une relation de cause à effet entre une éventuelle négligence ou faute médicale et un dommage.
120. Cela étant, la Cour observe que dans les circonstances de la présente affaire, les conclusions de l’institut médicolégal d’Istanbul ont eu une influence déterminante sur les instances administratives. Or, si l’existence d’une prédisposition pathologique revêtait une importance certaine pour l’appréciation du lien de causalité, reste que, dans ses conclusions, l’institut médicolégal ne semble pas avoir apprécié l’incidence des conditions de prise en charge de la patiente sur cette prédisposition ni cherché à évaluer son état de santé au moment de sa première admission à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk.
121. À cet égard, la Cour observe que les juridictions administratives n’ont pas cherché à éclaircir l’enchaînement des circonstances litigieuses ni leurs incidences éventuelles sur la dégradation de l’état de santé de Leyla Karataş entre sa première admission à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, où elle présentait déjà des difficultés respiratoires, et la seconde. De même, elles ne se sont pas prononcées sur les circonstances ayant pu conduire la défunte à renoncer à des examens complémentaires lors de sa première admission ni sur l’incidence d’un tel renoncement aux soins sur son état de santé.
122. Au vu de tout ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural.
b) Quant à la protection du droit à la vie de l’enfant mort-né
123. La Cour rappelle que dans son arrêt Vo c. France (précité, § 82), la Grande Chambre a considéré que, en l’absence d’un consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie, le point de départ du droit à la vie relevait de la marge d’appréciation que la Cour estime généralement devoir être reconnue aux États dans ce domaine. La Grande Chambre a ainsi estimé qu’ « il n’est ni souhaitable, ni même possible actuellement de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une « personne » au sens de l’article 2 de la Convention (idem, § 85).
124. Depuis lors, la Grande Chambre a eu l’occasion de réaffirmer l’importance de ce principe dans l’affaire A, B et C précité § 237 dans laquelle elle a rappelé que les droits revendiqués au nom du fœtus et ceux de la future mère sont inextricablement liés (voir, en ce sens, l’analyse de la jurisprudence issue de la Convention exposée aux paragraphes 75-80 de l’arrêt Vo, précité).
125. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de s’éloigner de l’approche ainsi adoptée et estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le point de savoir si le grief des requérants formulé en ce qui concerne le fœtus entre ou non dans le champ d’application de l’article 2 de la Convention (voir, pour une approche similaire, Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, précité, § 109). Elle estime en effet que la vie du fœtus en question était intimement liée à celle de Mme Leyla Karataş et dépendait des soins prodigués à celle-ci. Or cette circonstance a été examinée sous l’angle de l’atteinte au droit à la vie de cette dernière. Partant, la Cour estime que le grief des requérants à cet égard n’appelle pas un examen séparé.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
126. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
127. Le requérant Davut Sayan réclame 40 000 EUR au titre du préjudice matériel et 40 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subis du fait de la mort de Leyla Karataş. Il réclame également 20 000 EUR pour préjudice matériel et 20 000 EUR pour préjudice moral en raison de la perte de son enfant mort-né. Les requérantes Eylem, Devrim et Bahar Sayan réclament 30 000 EUR chacune au titre du préjudice matériel et 30 000 EUR chacune au titre du préjudice moral qu’elles prétendent avoir subis du fait de la mort de leur mère. Elles réclament également 10 000 EUR chacune pour préjudice moral en raison de la perte de l’enfant mort-né.
128. Le Gouvernement conteste ces prétentions et argue de l’absence de lien de causalité entre la violation qui pourrait être constatée par la Cour et le préjudice matériel allégué. Il soutient en outre que les réclamations au titre du préjudice moral sont excessives et ne correspondent pas à la jurisprudence de la Cour.
129. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer 20 000 EUR conjointement au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
130. Les requérants demandent également 20 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et pour ceux engagés devant la Cour. Ils soumettent à titre de justificatif une convention d’honoraires d’avocat portant sur une somme correspondant à 25 % du montant des indemnités à allouer par les instances nationales et ne pouvant être inférieure à 30 millions de livres turques (TRL), des factures et un relevé de virement bancaire.
131. Le Gouvernement conteste ces prétentions et fait valoir que le montant des frais d’avocat exposé est incertain et que les requérants n’ont pas fourni de documents à l’appui de leurs prétentions au titre des frais et dépens.
132. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 4 000 EUR tous frais confondus, moins les 850 EUR déjà versés à l’avocat des requérants au titre de l’assistance judiciaire. Elle accorde donc 3 150 EUR aux requérants conjointement.
C. Intérêts moratoires
133. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i) 20 000 EUR (vingt mille euros) conjointement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 3 150 EUR (trois mille cent cinquante euros) conjointement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Hasan Bakırcı Julia
Laffranque
Greffier adjoint Présidente
[1] Çocuk Kalp Sesleri : battements de cœur de l’enfant.
[2] Livres turques.
[3] CPR : réanimation cardio-pulmonaire.
[4] État de mort apparente : le score d’Apgar permet de mesurer l’état des fonctions vitales d’un nouveau-né.
[5] NST : Non Stress Test (examen de réactivité fœtale)
[6] Électrocardiogramme.
[7] Non Stress Test
[8] Urine Chorionic Gonadotropin (dosage de l’hormone HCG dans l’urine)
[9] Le 1er janvier 2005, la livre turque (TRY), qui remplace l’ancienne livre turque (TRL), est entrée en vigueur. 1 TRY vaut un million TRL.