BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PULYAYEV v. RUSSIA - 43603/09 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Third Section Committee)) French Text [2016] ECHR 868 (11 October 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/868.html Cite as: CE:ECHR:2016:1011JUD004360309, ECLI:CE:ECHR:2016:1011JUD004360309, [2016] ECHR 868 |
[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE PULYAYEV c. RUSSIE
(Requête no 43603/09)
ARRÊT
STRASBOURG
11 octobre 2016
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Pulyayev c. Russie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composée de :
Helena Jäderblom,
présidente,
Dmitry Dedov,
Branko Lubarda, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 septembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43603/09) dirigée contre la Fédération de Russie dont un ressortissant de cet État, M. Aleksandr Ivanovich Pulyayev (« le requérant »), a saisi la Cour le 25 mai 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») est représenté par M. G. Matiouchkine, représentant de la Fédération de Russie devant la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour »).
3. Le 3 mai 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1959 et réside à Severomorsk, région de Mourmansk.
5. Les faits, tels que présentés par les parties, peuvent être résumés comme suit.
6. En janvier 2007, le requérant, juge d’un tribunal militaire, assigna la Direction régionale du département judiciaire auprès de la Cour Suprême (ci-après la « Direction régionale ») devant le juge de paix de la cinquième circonscription judiciaire du district administratif Oktyabrskiy de Mourmansk (ci-après le « juge de paix »), contestant la diminution de sa prime de pénibilité.
7. Le 8 juin 2007, le juge de paix rejeta la demande du requérant.
8. Le 21 novembre 2007, le tribunal du district Oktyabrskiy de la ville de Mourmansk (ci-après le « tribunal de district ») mit fin à la procédure d’appel introduite par le requérant, faute pour celui-ci d’avoir comparu à la suite des deux convocations successives ou d’avoir justifié d’un motif d’absence valable.
9. Le 26 juin 2008, le présidium de la cour régionale de Mourmansk, saisi par le requérant d’une demande en supervision, annula cette décision au motif que ce dernier n’avait pas été dûment convoqué à l’audience et renvoya l’affaire pour un nouvel examen devant le tribunal de district.
10. Le 14 août 2008, le tribunal de district annula le jugement du juge de paix du 8 juin 2007 et rendit un arrêt accueillant la demande du requérant.
11. Le 4 septembre 2008, le défendeur forma une demande en supervision.
12. Le 5 septembre 2008, le juge de la cour régionale décida de suspendre l’exécution du jugement du 14 août 2008 en attendant l’issue de la procédure de supervision.
13. Le 27 novembre 2008, le présidium de la cour régionale de Mourmansk annula le jugement du 14 août 2008 pour le non-respect des règles d’attribution de compétence. Le présidium considéra que le litige opposant le requérant à la Direction régionale ne relevait pas du droit du travail mais d’une réglementation spéciale concernant le statut des juges et celle concernant les tribunaux militaires et que, par conséquent, le juge de paix aurait dû se déclarer incompétent au profit du tribunal de district, qui avait seul compétence pour en connaître en tant que juge de première instance. L’affaire fut donc renvoyée devant celui-ci.
14. Le 13 janvier 2009, le tribunal de district débouta le requérant de l’ensemble de ses demandes.
15. Le 13 avril 2009, le juge de la cour régionale rejeta sa demande en supervision.
16. Le 23 décembre 2009, la Cour Suprême retourna au requérant sa demande en supervision.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
17. Les dispositions du code de procédure civile (« CPC ») applicables à la procédure de supervision sont résumées dans l’affaire Martynets c. Russie (déc.), no 29612/09, 5 novembre 2009.
18. Selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, le non-respect des règles de compétence des juridictions constitue un vice substantiel ayant une incidence sur l’issue de la procédure et dénaturant l’essence même de la justice (décisions no 623-О-П du 3 juillet 2007 et no 144-О-П du 15 janvier 2009).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
19. Le requérant soutient que l’annulation par voie de supervision d’une décision de justice définitive rendue en sa faveur était contraire à l’article 6 de la Convention. Il reproche en particulier à la juridiction de supervision d’avoir prononcé l’annulation, sur un moyen relevé d’office, d’un arrêt rendu après le premier renvoi. Il voit ensuite dans les mêmes faits une violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Les deux articles sont libellés comme suit en leurs parties pertinentes :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ».
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
20. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
21. Le Gouvernement soutient que le recours en supervision a été formé dans les délais par une partie à la procédure qui avait auparavant utilisé la voie d’appel ordinaire. Il indique que, en l’espèce, la juridiction de supervision n’a pas usé de ses pouvoirs pour procéder à un nouvel examen de l’affaire mais pour corriger un vice substantiel qui entachait la procédure conduite devant les juridictions inférieures.
22. Le requérant conteste la position du Gouvernement. Il soutient que le jugement du 14 août 2008 rendu par le tribunal de district ne pouvait être entaché d’un vice substantiel puisque le présidium de la cour régionale de Mourmansk ne l’avait pas relevé lors de son premier examen de l’affaire le 26 juin 2008 sur le recours en supervision formé par le requérant. Il relève ensuite que, à la suite de cette décision, l’affaire a été renvoyée devant le même tribunal de district qui avait eu déjà à en connaître en tant qu’instance d’appel.
2. Appréciation de la Cour
23. La Cour relève d’emblée que la procédure de supervision litigieuse s’est déroulée conformément aux dispositions du CPC, telles que résultant de la réforme entrée en vigueur le 7 janvier 2008.
24. La Cour rappelle le principe bien établi dans sa jurisprudence selon lequel la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires mais, à l’inverse, des droits concrets et effectifs (voir Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37). Le rôle qui est le sien est donc non pas d’examiner in abstracto la technique de contrôle juridictionnel en cause mais de rechercher, concrètement, si la manière dont elle a été appliquée au requérant a enfreint la Convention (Kaufmann c. Italie, no 14021/02, § 33, 19 mai 2005).
25. En l’espèce, l’arrêt d’appel rendu en faveur du requérant a été annulé par une juridiction supérieure à la suite d’un recours formé par une autre partie à la procédure, dans un délai relativement bref prévu à cet effet par le CPC, au motif qu’il était entaché d’une erreur de droit. La procédure de supervision a donc opéré en l’espèce comme un recours ordinaire (voir Yanakiev c. Bulgarie, no 40476/98, § 65, 10 août 2006), et non pas comme un moyen extraordinaire de révision (voir, a contrario, Riabykh c. Russie, no 52854/99, §§ 54-56, CEDH 2003-IX, Prissiajnikova et Dolgopolov c. Russie, no 24247/04, § 25, 28 septembre 2006, Sobelin et autres c. Russie, nos 30672/03 et al., §§ 56-61, 3 mai 2007, et Koulkov et autres c. Russie, nos 25114/03 et al., § 31, 8 janvier 2009).
26. Dans ces conditions, le grief tiré par le requérant de l’annulation d’une décision de justice exécutoire rendue en sa faveur revient à contester l’application de la législation procédurale par les juridictions internes. La Cour rappelle que c’est d’abord aux autorités nationales, et spécialement aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter le droit interne et qu’elle ne substituera pas sa propre interprétation du droit à la leur en l’absence d’arbitraire (voir Van Kück c. Allemagne, no 35968/97, § 46, CEDH 2003-VII avec d’autres références). Or, elle ne décèle dans le dossier, tel que présenté devant elle, aucun élément qui donnerait à penser que la juridiction de supervision a pêché d’arbitraire en annulant sur un moyen relevé d’office un arrêt d’appel rendu en faveur du requérant par le tribunal de district après le premier renvoi.
27. La Cour ne perd pas de vue qu’il s’agissait d’un vice déjà présent dans la procédure au moment où la juridiction de supervision s’est prononcée sur le recours formé par le requérant. Cependant, elle n’avait pas examiné à ce moment-là le moyen tiré de l’incompétence du juge de paix mais celui soulevé par le requérant, qui avait alors suffi pour prononcer l’annulation de l’arrêt attaqué et le renvoi de l’affaire pour un nouvel examen. Rien ne s’opposait donc a priori à ce qu’une juridiction de supervision, statuant sur un recours formé à l’encontre d’une décision rendue par la juridiction de renvoi, puisse examiner un autre point de droit qui n’avait pas été précédemment tranché par elle.
28. La Cour note que les règles d’attribution de compétence sont en principe considérées comme étant d’ordre public en ce qu’elles touchent l’organisation même du service public de la justice (voir paragraphe 15 ci-dessus et, quoique dans un autre contexte, Loutchkina c. Russie, no 3548/04, § 21, 10 avril 2008). Aucun élément dans le dossier n’indique qu’un moyen considéré comme étant d’ordre public ne pouvait être relevé d’office à tout moment de la procédure. En tout état de cause, le requérant ne soutient pas le contraire devant la Cour.
29. Par conséquent, et puisque le requérant ne plaide pas le non-respect du principe du contradictoire qui résulterait de l’impossibilité pour les parties d’échanger sur un moyen relevé d’office par la juridiction de supervision (comparer avec Prikyan et Angelova c. Bulgarie, no 44624/98, § 42, 16 février 2006, et les affaires qui y sont citées), la Cour ne dispose d’aucun élément lui permettant de conclure que l’utilisation de la procédure de supervision dans la présente affaire a été contraire à l’article 6 de la Convention.
30. Partant, elle conclut à l’absence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
31. La Cour note ensuite que le grief tiré par le requérant d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention se limite aux mêmes faits que le grief précédent, à la simple annulation par voie de supervision d’un arrêt rendu en sa faveur. Dans ces conditions et compte tenu de ses constats au titre de l’article 6 § 1 de la Convention, elle considère que ce grief n’appelle pas d’examen séparé de sa part.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION A RAISON DE LA DURÉE EXCESSIVE DE LA PROCÉDURE
32. Le requérant se plaint également d’une violation de son droit à voir sa cause jugée dans un délai raisonnable. La Cour note que l’ensemble de la procédure a duré moins de trois ans, pour trois degrés de juridiction (voir, parmi d’autres, Biryukov c. Russie (déc.), no 63972/00, 9 décembre 2004), ce qui n’apparaît pas déraisonnable. Le requérant se plaint enfin de l’inexécution d’une décision de justice en sa faveur pendant quatre mois. La Cour estime qu’une telle durée n’est pas de nature à poser problème sur le terrain de la Convention (voir Portnova c. Russie, no 34428/04, § 15, 29 avril 2008, et les affaires qui y sont citées).
33. Il s’ensuit que ce volet de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés, sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, de l’annulation d’une décision de justice interne définitive favorable au requérant, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Fatoş Aracı Helena
Jäderblom
Greffière Adjointe Présidente