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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> M.D. AND M.A. v. BELGIUM - 58689/12 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Second Section)) French Text [2016] ECHR 90 (19 January 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/90.html
Cite as: [2016] ECHR 90

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE M.D. ET M.A. c. BELGIQUE

     

    (Requête no 58689/12)

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    19 janvier 2016

     

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire M.D. et M.A. c. Belgique,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Işıl Karakaş, présidente,
              András Sajó,
              Nebojša Vučinić,
              Helen Keller,
              Paul Lemmens,
              Robert Spano,
              Jon Fridrik Kjølbro, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 58689/12) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont deux ressortissants russes, M.D. et M.A. (« les requérants »), ont saisi la Cour le 11 septembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de leur identité formulée par les requérants (article 47 § 3 du règlement).

    2.  Les requérants ont été représentés par Me H. de Ponthiere, avocat à Ypres. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

    3.  Les requérants allèguent que leur renvoi vers la Fédération de Russie les exposerait à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention et qu’ils n’ont pas disposé d’un recours conforme à l’article 13 de la Convention pour faire valoir ce grief devant les instances d’asile belges.

    4.  Le 14 septembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    5.  Eu égard aux conclusions de la Cour dans l’affaire I. c. Suède (no 61204/09, §§ 40-46, 5 septembre 2013), la présente requête n’a pas été communiquée à la Fédération de Russie.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    6.  Les requérants sont nés respectivement en 1974 et 1976 et résident à Bruxelles.

    A.  Sur les faits survenus en Russie selon les requérants

    7.  Les requérants sont un couple russe, originaire de la ville de Grozny en Tchétchénie. Le premier requérant dit avoir vécu en Ingouchie entre la fin de l’année 1999 et 2005. D’après lui, son père avait été élevé avec Djokhar Doudaïev, qui exerça les fonctions de président de la Tchétchénie lorsqu’elle déclara son indépendance en 1991, et l’avait toujours soutenu politiquement. Doudaïev fut assassiné en 1996 par l’armée russe.

    8.  Le premier requérant rapporte avoir été arrêté, détenu et maltraité à plusieurs reprises parce qu’il n’était pas en mesure de présenter son passeport au passage des postes de contrôle. Il évoque notamment une détention d’une vingtaine de jours en décembre 1999.

    9.  D’après le premier requérant, le 18 août 2006, son père fut assassiné par des partisans de Ramzan Kadyrov, l’actuel président de la République de Tchétchénie. En octobre 2006, le frère aîné du requérant tua alors un des membres de la famille Kadyrov pour venger la mort de leur père. Les requérants rapportent que deux mois plus tard, lors d’une fête d’anniversaire, ils furent attaqués par des membres de la famille Kadyrov. Ils s’enfuirent alors en Ingouchie chez la sœur du premier requérant. Le lendemain, la mère du premier requérant l’informa que plusieurs hommes étaient entrés chez elle pour chercher le requérant.

    10.  Les requérants racontent qu’ils sont alors partis chez un ami où ils restèrent jusqu’au 27 janvier 2007, lorsque la sœur du premier requérant les informa que plusieurs hommes avaient obligé son mari à leur dire où ils se trouvaient.

    11.  En raison des craintes de représailles, les requérants quittèrent la Russie le 29 janvier 2007.

    12.  Le beau-frère du premier requérant resta en Tchétchénie et aurait été assassiné le 24 août 2007 par des partisans de Kadyrov. Le requérant est en possession du rapport de police concernant le meurtre qui mentionne le fait que son beau-frère fut tué par kalachnikov et qu’une enquête pénale est en cours à ce sujet.

    B.  Sur les faits tels qu’ils se sont déroulés en Belgique

    1.  Les procédures d’asile

    a)  La première demande d’asile

    13.  Les requérants arrivèrent en Belgique le 31 janvier 2007. Ils introduisirent une demande d’asile le lendemain.

    14.  Le 8 février 2007, l’Office des étrangers (« OE ») déclara leur demande d’asile irrecevable et leur notifia un ordre de quitter le territoire. L’OE considéra que la spirale de vengeance personnelle dans laquelle les requérants alléguaient se trouver ne constituait pas un motif d’asile et qu’ils n’avaient pas invoqué de motifs sérieux qui prouvaient qu’ils encouraient le risque réel d’un préjudice grave en cas de renvoi vers leur pays d’origine.

    15.  Le 27 mars 2007, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (« CGRA ») confirma le rejet de la demande d’asile. Il considéra que le récit des requérants manquait de crédibilité du fait des contradictions dans leurs déclarations respectives, en particulier concernant leur mariage et leur rencontre, et qu’il n’était dès lors pas possible de se fier à leur récit. De plus, les requérants avaient des connaissances insuffisantes de la ville et de la région de Grozny.

    16.  Le 6 décembre 2010, le Conseil d’État rejeta les recours en annulation introduits par les requérants au motif que les requérants firent défaut à l’audience du 10 novembre 2010.

    17.  Le 1er février 2012, les requérants furent notifiés d’un ordre de quitter le territoire contre lequel ils n’introduisirent pas de recours.

    18.  Le 18 avril 2012, la deuxième requérante fut appréhendée en séjour illégal. Elle fut alors notifiée d’un ordre de quitter le territoire avec décision de privation de liberté en vue de l’éloignement. Elle fut placée au centre fermé 127bis de Steenokkerzeel.

    b)  La deuxième demande d’asile

    19.  Le 29 mai 2012, la deuxième requérante introduisit une deuxième demande d’asile. Le premier requérant fit de même le lendemain. À l’appui de leur demande d’asile, les requérants déposèrent un avis paru dans le journal Terskaya Pravda le 17 avril 2007 et deux avis similaires parus dans le journal Groznensky Rabochiy respectivement le 17 avril 2007 et le 11 mai 2012, desquels il ressortait que le premier requérant serait recherché par des personnes non identifiées qui offraient une récompense pour toute information relative à son adresse. Les requérants déposèrent également l’acte de décès du beau-frère du premier requérant ainsi que le rapport concernant l’enquête relative au décès de celui-ci.

    20.  Le 31 mai 2012, les requérants furent notifiés d’un ordre de quitter le territoire avec décision de maintien en un lieu déterminé en vue de l’éloignement. Le premier requérant fut à son tour placé au centre fermé 127bis de Steenokkerzeel.

    21.  Le 1er juin 2012, l’OE refusa de prendre en considération la demande au motif qu’il n’y avait pas d’éléments nouveaux au sens de l’article 51/8 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, au séjour, à l’établissement et à l’éloignement des étrangers (« loi sur les étrangers ») par rapport à la précédente demande d’asile. S’agissant des annonces parues dans des journaux, l’OE considéra qu’il ne s’agissait pas d’une source objective ou d’un document rédigé par une autorité mais que ceux-ci avaient un caractère sollicité puisqu’il pouvait être demandé à ce qu’un tel article soit publié. S’agissant de l’acte de décès du beau-frère du premier requérant, celui-ci ne précisait pas les causes du décès. S’agissant du rapport concernant l’enquête relative au décès du beau-frère, le rapport ne mentionnait pas le requérant et ne le concernait pas. Enfin, concernant les déclarations du requérant relatives au décès de ses parents et frères, il ne s’agissait que de déclarations sans lien avec les motifs de fuite du requérant. Par conséquent, l’OE conclut que les requérants n’avaient pas produit d’éléments nouveaux montrant qu’il y avait des indices sérieux d’une crainte fondée de persécution.

    22.  Le 5 juin 2012, les requérants introduisirent une demande en suspension d’extrême urgence des ordres de quitter le territoire du 31 mai 2012 ainsi que des décisions de refus de prise en considération du 1er juin 2012. Ils firent notamment valoir qu’il n’était pas raisonnable de penser que les requérants avaient eux-mêmes placé les avis dans des journaux locaux.

    23.  Le 6 juin 2012, le Conseil du contentieux des étrangers (« CCE ») rejeta la demande en suspension d’extrême urgence. En tant que le recours était dirigé contre les décisions de privation de liberté, il était irrecevable, cette compétence relevant de la chambre du conseil. Le recours était également irrecevable en tant que dirigé contre les ordres de quitter le territoire compte tenu du fait que les requérants n’avaient pas d’intérêt à agir puisqu’ils n’avaient pas contesté le premier ordre de quitter le territoire délivré le 1er février 2012. S’agissant du refus de prise en considération de leur demande d’asile par l’OE, le CCE releva que les requérants essayaient en fait de démontrer la crédibilité de leur première demande d’asile par les documents fournis à l’appui de leur deuxième demande. Ils basaient leur deuxième demande d’asile sur les faits et déclarations développés lors de leur première demande d’asile ; ils n’avaient donc pas démontré fournir des éléments nouveaux relatifs à des faits ou des situations qui se seraient déroulés après la dernière phase de leur précédente demande d’asile. L’OE avait donc à bon droit estimé qu’ils n’avaient pas apporté d’éléments nouveaux au sens de l’article 51/8 de la loi sur les étrangers. De plus, le CCE souligna que les requérants avaient choisi de déposer des documents en russe sans traduction alors qu’il leur revenait de fournir une traduction de ces documents.

    24.  Le 12 juin 2012, les requérants introduisirent un recours en annulation des ordres de quitter le territoire ainsi qu’un recours en annulation des décisions de refus de prise en considération de leur deuxième demande d’asile.

    25.  Ce recours en annulation fut rejeté par un arrêt du CCE du 13 septembre 2012. Les requérants ne pouvaient pas alléguer la violation de la Convention de Genève car celle-ci ne relevait pas de la compétence de l’OE qui ne pouvait examiner que s’il existait des éléments nouveaux à l’appui de la nouvelle demande d’asile. La charge de la preuve des éléments nouveaux revenait aux requérants, et il leur revenait donc également de faire traduire les documents en russe. Dans leur demande d’asile, les requérants n’avaient pas fait part de leur impossibilité financière de faire traduire lesdits documents. Les requérants ne démontraient pas que l’appréciation faite par l’OE desdits documents était inconciliable avec leurs propres déclarations concernant le contenu desdits documents ou avec le texte même de ces documents, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’annuler les décisions de l’OE de ce fait. De surcroît, l’appréciation faite par l’OE des avis de recherche n’était pas manifestement déraisonnable, eu égard notamment au fait que ces avis émanaient d’une personne inconnue et avaient un contenu vague. Par ailleurs, les avis de recherche concernaient une vengeance familiale, qui avait déjà été invoquée à l’appui de la première demande d’asile. Or, il n’était pas possible de rouvrir le débat sur une décision de refus de reconnaissance du statut de réfugié devenue définitive. Les requérants n’avaient pas démontré le lien entre eux et le meurtre du beau-frère du premier requérant puisque ce dernier n’était pas mentionné dans le rapport de police ou dans l’acte de décès du beau-frère. Enfin, le principe de non-refoulement et le fait qu’une demande d’asile était pendante n’empêchait pas l’OE de délivrer un ordre de quitter le territoire mais seulement d’en procéder à l’expulsion forcée.

    c)  La troisième demande d’asile

    26.  Le 29 juin 2012, les requérants introduisirent une troisième demande d’asile sur la base d’un document reçu le 27 juin 2012 par l’intermédiaire d’A.C. Il s’agissait d’une copie d’une convocation datée du 5 avril 2012 par laquelle le premier requérant était invité à se présenter à la police locale de Grozny en qualité de suspect dans le cadre d’une enquête contre lui pour port illégal d’armes (article 222 du code pénal) et organisation ou appartenance à une organisation armée illégale (article 208 du code pénal).

    27.  Le 3 juillet 2012, l’OE refusa de prendre en considération la demande au motif qu’il n’y avait pas d’élément nouveau par rapport à la précédente demande d’asile : la convocation datée du 5 avril 2012 aurait pu être déposée à l’appui de la deuxième demande d’asile introduite le 29 mai 2012. Un ordre de quitter le territoire fut notifié aux requérants ainsi qu’une décision de maintien dans un lieu déterminé en vue de l’éloignement.

    28.  Le 1er août 2012, les requérants déposèrent un recours en annulation et en suspension des décisions de refus de prise en considération de leur troisième demande d’asile ainsi que des ordres de quitter le territoire. Ils firent valoir qu’ils avaient reçu la convocation du 5 avril 2012 seulement le 27 juin 2012 par l’intermédiaire d’A.C. et qu’ils avaient donc été dans l’impossibilité de la fournir lors de leur deuxième demande d’asile clôturée le 1er juin 2012 par l’OE.

    29.  Ce recours fut déclaré irrecevable par le CCE par un arrêt du 22 octobre 2012 au motif qu’il était tardif. Le CCE rejeta notamment les arguments invoqués par les requérants selon lesquels le constat de l’irrecevabilité du recours pour tardiveté violerait les articles 3 et 13 de la Convention.

    30.  Par un arrêt du 11 décembre 2012, le Conseil d’État déclara non-admissible le pourvoi introduit par les requérants, compte tenu du fait, d’une part, que le CCE avait répondu aux arguments invoqués par les requérants, et, d’autre part, que le Conseil d’État, en tant que juge de cassation, n’était pas compétent pour entrer dans l’appréciation des faits.

    d)  La quatrième demande d’asile

    31.  Le 29 août 2012, les requérants introduisirent une quatrième demande d’asile en soumettant les originaux de deux convocations du premier requérant à la police de Grozny. La première était l’original de la convocation datée du 5 avril 2012 fournie à l’appui de la troisième demande d’asile ; la deuxième convocation était datée du 11 juin 2012. Cette dernière ne précisait pas le motif pour lequel le premier requérant était convoqué. Les requérants déposèrent également l’avis paru au journal Groznenskiy Rabochiy daté du 11 mai 2012, déjà fourni à l’appui de la deuxième demande d’asile. Ils précisèrent avoir reçu les originaux de ces documents le 24 août 2012 et ils déposèrent une enveloppe estampillée le 22 août 2012 et qui, selon les requérants, contenait les documents déposés à l’appui de cette quatrième demande d’asile. Enfin, les requérants présentèrent une déclaration écrite d’A.C. datée du 20 juillet 2012, qui confirmait que le 27 juin 2012, ce dernier avait remis aux requérants, par l’intermédiaire d’une autre personne visitant le centre fermé où résidaient les requérants, une copie de la convocation datée du 5 avril 2012.

    32.  Le 31 août 2012, les requérants furent notifiés d’un nouvel ordre de quitter le territoire avec maintien dans un lieu déterminé en vue de l’éloignement.

    33.  Le 4 septembre 2012, l’OE refusa de prendre en considération la demande au motif qu’il n’y avait pas d’éléments nouveaux au sens de l’article 51/8 de la loi sur les étrangers. D’une part, s’agissant des deux convocations datées des 5 avril et 11 juin 2012 et de l’avis de recherche du 11 mai 2012, ils auraient pu être présentés lors de la précédente demande d’asile. D’autre part, l’enveloppe déposée par les requérants n’était qu’une indication que quelque chose avait été envoyé aux requérants mais pas du contenu de celle-ci. S’agissant de la lettre d’A.C., l’OE rappela que les requérants étaient libres de recevoir du courrier au centre fermé.

    34.  Le 7 septembre 2012, les requérants introduisirent une demande en suspension d’extrême urgence devant le CCE à l’encontre des décisions de privation de liberté, des ordres de quitter le territoire ainsi que des décisions de refus de prise en considération de leur nouvelle demande d’asile. Ils firent valoir que, contrairement à ce que prétendait l’OE, ils n’étaient pas en possession des documents lors de leur troisième demande d’asile et n’avaient dès lors pas pu les déposer à ce moment-là. Ils estimèrent que les instances belges ne pouvaient pas, sur ce seul fondement, ne pas examiner ces documents, qui démontraient un risque de persécution en cas de retour en Russie. En effet, les requérants firent valoir qu’ils seraient sans aucun doute arrêtés et détenus dès leur arrivée sur le territoire russe dès lors que le premier requérant était recherché par les autorités policières pour des faits d’appartenance à une organisation illégale. Ceci était attesté par plusieurs rapports d’organisations non gouvernementales fournis par les requérants à l’appui de leur recours. De plus, ils firent valoir que les ordres de quitter le territoire violaient le principe de non-refoulement compte tenu du fait qu’ils avaient été délivrés alors même qu’une procédure d’asile était encore pendante.

    35.  Le 10 septembre 2012, le CCE rejeta la demande en suspension d’extrême urgence. S’agissant du recours contre les décisions de privation de liberté, il était irrecevable, eu égard à l’incompétence du CCE. S’agissant du recours contre le refus de prise en considération de la nouvelle demande d’asile, le CCE rappela en premier lieu ce qui suit s’agissant de la notion d’éléments nouveaux :

    [traduction]

    « [Il ressort de l’article 51/8 de la loi sur les étrangers] que ces éléments :

    -  doivent être nouveaux, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas déjà fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une demande d’asile antérieure,

    -  doivent avoir trait à des faits ou des situations qui se sont produits après la dernière phase de la procédure au cours de laquelle l’étranger aurait pu les fournir,

    - doivent être pertinents, c’est-à-dire contenir de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève, telle que définie à l’article 48/3 [de la loi des étrangers], ou un risque réel qu’il subisse une atteinte grave telle que définie à l’article 48/4 de la loi sur les étrangers,

    et ces conditions doivent être réunies de manière cumulative.

    L’[OE] ne se prononce pas sur le contenu ou la portée de ces nouveaux éléments. Il peut uniquement constater qu’il y a de nouveaux éléments, ou qu’il n’y a pas de nouveaux éléments. Dans les deux cas, sa compétence en est épuisée :

    -  dans le cas où il est décidé que l’étranger a effectivement fourni de nouveaux éléments par rapport à une demande d’asile antérieure, le dossier est transmis au [CGRA]. Celui-ci soumettra ensuite la nouvelle demande d’asile, après l’avoir confrontée à l’article 52 de la loi sur les étrangers, à un contrôle au sens des articles 48/3 et 48/4 de la loi sur les étrangers. Cela signifie que l’[OE] ne peut pas vérifier lui-même si les conditions des articles 48/3 et 48/4 de la loi sur les étrangers sont remplies. Il n’est pas compétent pour ce faire. Il n’est pas non plus compétent pour se prononcer sur l’article 52 de la loi sur les étrangers, car cette disposition est exclusivement réservée au [CGRA] (Documents parlementaires, Chambre 2005-2006, no 2478/001, 100) ;

    -  dans le cas où il est décidé qu’il n’est pas fourni de nouveaux éléments, la nouvelle demande d’asile n’est pas prise en considération (annexe 13quater). Cela signifie que cette demande d’asile ne sera pas soumise à un examen sur le fond, au sens des articles 48/3 et 48/4 de la loi sur les étrangers, par le [CGRA].

    L’article 51/8 de la loi sur les étrangers ne permet certes pas de soumettre les éléments fournis à un examen substantiel poussé - un examen sur le fond -, mais n’exclut pas que la force probante des éléments fournis soit évaluée prima facie (Conseil d’État 8 novembre 2002, no 112.420). L’article 51/8 de la loi sur les étrangers ne permet en effet de prendre en considération une demande réitérée que s’il existe de « sérieuses indications » d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève ou d’un risque réel d’atteinte grave conformément à l’article 48/4 de la loi sur les étrangers.

    La question de savoir si un élément fourni comporte de « sérieuses indications » est naturellement liée à la force probante de cet élément. La possibilité d’évaluer prima facie les éléments nouvellement fournis doit être considérée à la lumière de l’objectif de l’article 50, alinéas 3 et 4, inséré à l’époque dans la loi sur les étrangers, à savoir réaliser un équilibre entre, d’une part, une procédure rapide visant à écarter rapidement les étrangers qui se présentent manifestement à tort comme des réfugiés et, d’autre part, le souci d’offrir néanmoins aux demandeurs d’asile une protection juridique suffisante (Cour d’arbitrage 14 juillet 1994, no 61/94, considérant B.5.6). Dans cette optique, la compétence de la partie défenderesse se limite à évaluer que le nouvel élément n’est manifestement pas de nature à conclure qu’il peut exister de sérieuses indications dans le sens précité. »

    En l’espèce, le CCE estima que l’OE avait pu considérer qu’il n’y avait pas d’éléments nouveaux par rapport à la précédente demande d’asile étant donné que les requérants auraient pu soumettre les deux convocations lors de leurs précédentes demandes d’asile, compte tenu de la date mentionnée sur lesdits documents. À cet égard, le CCE considéra tout d’abord que la charge de la preuve reposait sur les requérants de démontrer ce que contenait l’enveloppe et que cette charge ne reposait pas sur l’OE. L’OE avait à juste titre conclu qu’il n’y avait pas d’éléments nouveaux dans la quatrième demande d’asile puisque les documents fournis dataient d’avant l’introduction de leur précédente demande d’asile. La déclaration d’A.C. selon laquelle les requérants auraient été mis en possession de l’enveloppe le 27 juin 2012 ne portait pas préjudice à cette constatation dès lors que les requérants n’expliquaient pas pour quelle raison ils n’avaient pas pu soumettre lesdits documents lors de leur troisième demande d’asile introduite le 29 juin 2012. Ainsi, les requérants n’avaient pas démontré qu’ils avaient fourni de nouveaux éléments relatifs à des faits qui se seraient produits après la dernière phase de leur précédente demande d’asile. S’agissant du recours introduit contre les ordres de quitter le territoire du 31 août 2012, il était irrecevable compte tenu du fait que les requérants n’avaient pas d’intérêt à agir puisqu’ils n’avaient pas contesté le premier ordre de quitter le territoire délivré le 1er février 2012, qui dès lors était devenu définitif et était toujours exécutoire.

    36.  Le 11 septembre 2012, les requérants saisirent la Cour d’une demande de mesures provisoires en application de l’article 39 du règlement de la Cour. Le 14 septembre 2012, le juge faisant fonction de président de la section à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au Gouvernement belge de ne pas expulser les requérants vers la Fédération de Russie pour la durée de la procédure devant la Cour. Suite à cette mesure, les requérants demandèrent leur remise en liberté. Leurs demandes furent accueillies, en appel, par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Gand, le 9 octobre 2012.

    37.  Entretemps, le 15 septembre 2012, les requérants avaient introduit un recours en annulation des ordres de quitter le territoire du 31 août 2012, des deux dernières décisions de privation de liberté et des refus de prise en considération de leur quatrième demande d’asile. Ils firent valoir qu’ils n’avaient pu soumettre le fax reçu par A.C. et daté du 20 juillet 2012 qui confirmait que les documents remis lors de la troisième demande d’asile furent remis aux requérants le 27 juin 2012. Les requérants soulignèrent que les documents fournis lors de leur troisième demande d’asile n’étaient pas les mêmes que ceux qu’ils reçurent le 24 août 2012. Ils alléguaient que le CCE avait fait une erreur matérielle dans son arrêt du 10 septembre 2012 en considérant que les documents remis par A.C. le 27 juin 2012 étaient les mêmes que ceux reçus par les requérants le 24 août 2012. Les requérants estimaient avoir présenté des éléments qui démontraient un risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi vers la Russie et qui exigeaient un examen au fond.

    38.  Ce recours en annulation fut rejeté par le CCE par un arrêt du 10 décembre 2012. En tant qu’il était dirigé contre les décisions de privation de liberté, le CCE reprenait en substance les motifs de son arrêt du 10 septembre 2012 (voir paragraphe 35, ci-dessus). En tant que le recours était dirigé contre le refus de prise en considération de la nouvelle demande d’asile et contre les ordres de quitter le territoire, le CCE considéra tout d’abord, en reprenant en substance les motifs de son arrêt du 10 septembre 2012, que l’OE avait à juste titre conclu que les requérants n’avaient pas soumis des éléments nouveaux. Il considéra en outre, en se référant à la décision du CGRA du 27 mars 2007 (voir paragraphe 15, ci-dessus), que les requérants n’avaient pas démontré un risque réel de violation de l’article 3 de la Convention en cas de retour vers leur pays d’origine.

    2.  Les autres demandes de régularisation

    39.  Au cours de leur séjour sur le territoire belge, les requérants introduisirent également plusieurs demandes de régularisation de leur séjour sur base des articles 9bis et 9ter de la loi sur les étrangers, respectivement pour des motifs exceptionnels et des motifs médicaux. Ces demandes furent toutes rejetées par les autorités compétentes.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    40.  La procédure d’asile et les recours ouverts aux demandeurs d’asile contre les décisions de l’OE en matière de séjour et d’éloignement, tels qu’ils existaient au moment des faits litigieux, sont décrits dans l’arrêt Singh et autres c. Belgique (no 33210/11, §§ 25-39, 2 octobre 2012). Cette procédure a été modifiée notamment par la loi du 14 avril 2014 portant des dispositions diverses concernant la procédure devant le CCE et devant le Conseil d’État, entrée en vigueur le 31 mai 2014.

    A.  Le droit relatif aux demandes d’asile successives

    41.  Dans le cas de demandes d’asile successives, l’article 51/8 de la loi sur les étrangers prévoyait, à l’époque des faits, ce qui suit :

    « Le ministre ou son délégué [c’est-à-dire l’OE] peut décider de ne pas prendre la demande d’asile en considération lorsque l’étranger a déjà introduit auparavant la même demande d’asile auprès une des autorités désignées par le Roi en exécution de l’article 50, alinéa 1er, et qu’il ne fournit pas de nouveaux éléments qu’il existe, en ce qui le concerne, de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève, tel que définie à l’article 48/3 ou de sérieuses indications d’un risque réel d’atteintes graves tels que définis à l’article 48/4. Les nouveaux éléments doivent avoir trait à des faits ou des situations qui se sont produits après la dernière phase de la procédure au cours de laquelle l’étranger aurait pu les fournir. Toutefois, le ministre ou son délégué doit prendre en considération la demande d’asile si l’étranger a auparavant fait l’objet d’une décision de refus prise en application des articles 52, §2, 3o, 4o et 5o, § 3, 3o et § 4, 3o, ou 57/10.

    Une décision de ne pas prendre la déclaration en considération n’est susceptible que d’un recours en annulation devant le [CCE]. Aucune demande de suspension ne peut être introduite contre cette décision. »

    B.  Les éléments pertinents de la loi du 8 mai 2013

    42.  L’article 9 de la loi du 8 mai 2013 modifiant la loi sur les étrangers a modifié l’article 51/8 de la loi sur les étrangers en attribuant au CGRA la compétence de l’examen des éléments nouveaux dans le cadre de demandes d’asile successives. Il prévoit également une nouvelle définition de la notion d’élément nouveau. Le nouvel article 51/8 de la loi sur les étrangers, entré en vigueur le 1er septembre 2013, se lit désormais comme suit :

    « Si l’étranger introduit une demande d’asile subséquente auprès de l’une des autorités désignées par le Roi en exécution de l’article 50, alinéa 1er, le ministre ou son délégué consigne les déclarations du demandeur d’asile concernant les nouveaux éléments qui augmentent de manière significative la probabilité qu’il puisse prétendre à la reconnaissance comme réfugié au sens de l’article 48/3 ou à la protection subsidiaire au sens de l’article 48/4, ainsi que les raisons pour lesquelles le demandeur d’asile n’a pas pu produire ces éléments auparavant.

    Cette déclaration est signée par le demandeur d’asile. S’il refuse de signer, il en est fait mention sur la déclaration, et, le cas échéant, il est également fait mention des raisons pour lesquelles il refuse de signer. Cette déclaration est transmise sans délai au Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides. »

    III.  LE DROIT PERTINENT DE L’UNION EUROPÉENNE

    43.  L’article 32 de la directive 2005/85 du Conseil de l’Union européenne du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (dite « Directive Procédure »), tel qu’en vigueur au moment des faits, et tel que transposé en droit belge, était ainsi libellé :

    « 1.  Lorsqu’une personne qui a demandé l’asile dans un État membre fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure dans ledit État membre, ce dernier peut examiner ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure dans le cadre de l’examen de la demande antérieure ou de l’examen de la décision faisant l’objet d’un recours juridictionnel ou administratif, pour autant que les autorités compétentes puissent, dans ce cadre, prendre en compte et examiner tous les éléments étayant les nouvelles déclarations ou la demande ultérieure.

    2.  En outre, les États membres peuvent appliquer une procédure spéciale, prévue au paragraphe 3, lorsqu’une personne dépose une demande d’asile ultérieure :

    a)  après le retrait de sa demande antérieure ou la renonciation à celle-ci en vertu de l’article 19 ou 20 ;

    b)  après qu’une décision a été prise sur la demande antérieure. Les États membres peuvent également décider d’appliquer cette procédure uniquement après qu’une décision finale a été prise.

    3.  Une demande d’asile ultérieure est tout d’abord soumise à un examen préliminaire visant à déterminer si, après le retrait de la demande antérieure ou après la prise d’une décision visée au paragraphe 2, point b), du présent article sur cette demande, de nouveaux éléments ou de nouvelles données se rapportant à l’examen visant à déterminer si le demandeur d’asile remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE sont apparus ou ont été présentés par le demandeur.

    4.  Si, après l’examen préliminaire visé au paragraphe 3 du présent article, des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE, l’examen de la demande est poursuivi conformément aux dispositions du chapitre II.

    5.  Les États membres peuvent, conformément à la législation nationale, poursuivre l’examen d’une demande ultérieure, à condition qu’il existe d’autres raisons motivant la réouverture d’une procédure.

    6.  Les États membres ne peuvent décider de poursuivre l’examen de la demande que si le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de faire valoir, au cours de la précédente procédure, les situations exposées aux paragraphes 3, 4 et 5 du présent article, en particulier en exerçant son droit à un recours effectif en vertu de l’article 39.

    7.  La procédure visée au présent article peut également être appliquée dans le cas d’une personne à charge déposant une demande après avoir, conformément à l’article 6, paragraphe 3 du présent article, consenti à ce que son cas soit traité dans le cadre d’une demande faite en son nom. Dans une telle hypothèse, l’examen préliminaire visé au paragraphe 3 du présent article consistera à déterminer s’il existe des éléments de fait se rapportant à la situation de la personne à charge de nature à justifier une demande distincte. »

    44.  Actuellement, l’article 40 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, dont le délai de transposition a expiré le 20 juillet 2015, est rédigé comme suit :

    « 1.  Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale dans un État membre fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure dans ledit État membre, ce dernier examine ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure dans le cadre de l’examen de la demande antérieure ou de l’examen de la décision faisant l’objet d’un recours juridictionnel ou administratif, pour autant que les autorités compétentes puissent, dans ce cadre, prendre en compte et examiner tous les éléments étayant les nouvelles déclarations ou la demande ultérieure.

    2.  Afin de prendre une décision sur la recevabilité d’une demande de protection internationale en vertu de l’article 33, paragraphe 2, point d), une demande de protection internationale ultérieure est tout d’abord soumise à un examen préliminaire visant à déterminer si des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur, qui se rapportent à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE.

    3.  Si l’examen préliminaire visé au paragraphe 2 aboutit à la conclusion que des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE, l’examen de la demande est poursuivi conformément au chapitre II. Les États membres peuvent également prévoir d’autres raisons de poursuivre l’examen d’une demande ultérieure.

    4.  Les États membres peuvent prévoir de ne poursuivre l’examen de la demande que si le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de faire valoir, au cours de la précédente procédure, les situations exposées aux paragraphes 2 et 3 du présent article, en particulier en exerçant son droit à un recours effectif en vertu de l’article 46.

    5.  Lorsque l’examen d’une demande ultérieure n’est pas poursuivi en vertu du présent article, ladite demande est considérée comme irrecevable conformément à l’article 33, paragraphe 2, point d).

    6.  La procédure visée au présent article peut également être appliquée dans le cas :

    a)  d’une personne à charge qui introduit une demande après avoir, conformément à l’article 7, paragraphe 2, consenti à ce que son cas soit traité dans le cadre d’une demande introduite en son nom ; et/ou

    b)  d’un mineur non marié qui introduit une demande après qu’une demande a été introduite en son nom conformément à l’article 7, paragraphe 5, point c).

    En pareil cas, l’examen préliminaire visé au paragraphe 2 consistera à déterminer s’il existe des éléments de fait se rapportant à la situation de la personne à charge ou du mineur non marié de nature à justifier une demande distincte.

    7.  Lorsqu’une personne à l’égard de laquelle une décision de transfert doit être exécutée en vertu du règlement (UE) no 604/2013 fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure dans l’État membre procédant au transfert, ces déclarations ou demandes ultérieures sont examinées par l’État membre responsable au sens dudit règlement, conformément à la présente directive. »

    IV.  INFORMATIONS RELATIVES À LA SITUATION DANS LA RÉGION DU NORD CAUCASE

    45.  Les principaux documents internationaux concernant la situation dans la région du Caucase du Nord sont présentés dans les arrêts Aslakhanova et autres c. Russie (no 2944/06, 8300/07, 50184/07, 332/08 et 42509/10, §§ 43-59, 18 décembre 2012), I. c. Suède (précité, §§ 27-39), M.V. et M.T. c. France (no 17897/09, §§ 23-25, 4 septembre 2014), et R.K. c. France (no 61264/11, § 33, 9 juillet 2015).

    EN DROIT

    I.  SUR L’EXCEPTION SOULEVÉE PAR LE GOUVERNEMENT

    46.  Le Gouvernement estime que la requête est abusive au motif que les faits tels qu’exposés par les requérants ne correspondaient pas à la réalité. D’après le Gouvernement, la requête était basée sur des informations erronées s’agissant notamment de la date à laquelle les requérants auraient reçu les convocations à la police de Grozny, des infractions pour lesquelles le premier requérant serait poursuivi en Russie ainsi que s’agissant de leur interprétation du contenu de l’arrêt du CCE du 10 septembre 2012. Par ailleurs, le Gouvernement rappelle qu’il n’appartient pas à la Cour d’examiner les erreurs de fait ou de droit prétendument commises par les juridictions nationales. En l’espèce, il n’y aurait en tout cas pas d’erreur commise par le CCE.

    47.  Les requérants font valoir que le Gouvernement a mal compris les faits tels que relatés par eux et qu’ils n’ont en aucun cas désinformé la Cour ou exposé des faits qui ne correspondaient pas à la réalité. Les requérants estiment que, en tout état de cause, ils ont présenté à l’appui de leurs troisième et quatrième demandes d’asile des pièces de nature à démontrer un risque en cas de renvoi vers leur pays d’origine, documents dont l’authenticité n’est pas contestée. De ce fait, et compte tenu du caractère défendable de leur grief, ces documents auraient dû être examinés au fond par les instances d’asile belges.

    48.  La Cour considère, sur la base des documents auxquels elle peut avoir égard, qu’il n’est pas établi que les requérants aient donné de fausses informations concernant la procédure telle qu’elle s’est déroulée en Belgique ou concernant les convocations à la police russe reçues par eux. La requête ne saurait donc passer pour être abusive. Pour le reste, les questions posées par le Gouvernement doivent être examinées par la Cour lors de son appréciation sur le fond de l’affaire. Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

    49.  Par ailleurs, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et elle relève qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    50.  Les requérants allèguent que leur renvoi vers la Russie les exposerait à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    51.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    A.  Thèses des parties

    1.  Les requérants

    52.  Les requérants font valoir que le CCE s’est trompé dans son arrêt du 10 septembre 2012 en confondant les pièces présentées par les requérants lors de leur troisième demande d’asile avec celles présentées lors de la quatrième demande d’asile, ce qui démontrerait que le CCE n’a pas examiné leur affaire avec la précision requise. Les requérants font valoir que lors de leur troisième demande d’asile, ils n’ont soumis qu’une copie de la convocation à la police de Grozny du 5 avril 2012, alors que lors de leur quatrième demande d’asile ils ont fourni l’original de cette convocation, une nouvelle convocation, datée du 11 juin 2012, et l’avis de recherche paru dans le journal Groznenskiy Rabochiy le 11 mai 2012. Aussi, l’authenticité des pièces présentées par les requérants lors de leur quatrième demande d’asile n’est pas contestée par les autorités belges. Dès lors, les requérants estiment que ces pièces auraient dû faire l’objet d’un examen au fond du risque allégué en cas de renvoi vers la Russie au regard de l’article 3 de la Convention. Tel n’a pas été le cas puisque tant l’OE que le CCE se sont retranchés derrière des règles procédurales relatives à la définition des « éléments nouveaux » pour échapper à leur obligation d’examiner le risque allégué tiré de l’article 3 de la Convention et étayé par les nouveaux documents. Ceci pose problème au regard de la Convention compte tenu de l’effet cumulatif de plusieurs éléments : la situation générale connue en Tchétchénie, la situation de vengeance personnelle avec la famille Kadyrov dans laquelle la famille du premier requérant serait impliquée, le fait que la famille du premier requérant serait connue comme étant proche de la famille Doudaïev, opposant politique de Kadyrov, ainsi que les convocations à la police et l’avis de recherche concernant le premier requérant datant de 2012. Ces convocations et cet avis de journal seraient la preuve que le premier requérant serait toujours recherché par les autorités russes et qu’il est donc sans aucun doute arrêté et détenu s’il était renvoyé vers son pays d’origine. En outre, les requérants sont d’avis que le Gouvernement n’a développé aucun argument convaincant démontrant qu’ils pourraient être renvoyés vers la Russie sains et saufs.

    2.  Le Gouvernement

    53.  Le Gouvernement fait valoir que la crainte des requérants de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi vers la Russie a déjà été examiné par les autorités nationales lors de la première demande d’asile des requérants. Les instances nationales considérèrent que la demande d’asile des requérants était frauduleuse et qu’ils ne couraient aucun risque pour leur vie ou leur intégrité physique dans leur pays d’origine. Par la suite, dans leurs demandes d’asile postérieures, les requérants n’ont, selon le Gouvernement, à aucun moment fourni de nouveaux éléments au sens de l’article 51/8 de la loi sur les étrangers. Les autorités nationales ont simplement appliqué la loi et la pratique nationales en vigueur en considérant que les documents présentés n’étaient pas des éléments nouveaux étant donné qu’ils étaient datés d’avant la dernière phase de la procédure au cours de laquelle les requérants auraient pu les fournir. Or, les requérants n’ont pas expliqué le retard avec lequel ils avaient fait parvenir les convocations à la police de Grozny aux autorités belges. Ainsi, les requérants n’ont pas démontré qu’il existait de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution et l’autorité administrative n’était tenue, en application de la loi en vigueur, que de se prononcer sur l’existence ou l’absence d’éléments nouveaux. Le Gouvernement remet également en cause le fait que les requérants n’avaient pas été en possession des documents présentés lors de leur quatrième demande d’asile avant le 22 août 2012. Le Gouvernement est d’avis que les demandes d’asile des requérants ne sont motivées que par des raisons socio-économiques et il met en cause le sérieux de ces demandes.

    B.  Appréciation de la Cour

    1.  Principes généraux

    54.  La Cour rappelle que les États contractants ont, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Cependant, l’expulsion par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 124-125, CEDH 2008, N. c. Royaume-Uni [GC], no 26565/05, § 30, CEDH 2008, et Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, §§ 113-114, CEDH 2012).

    55.  Aussi, la Cour considère qu’eu égard au fait que l’article 3 consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques et proscrit en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, il faut impérativement soumettre à un contrôle attentif (Sultani c. France, no 45223/05, § 63, CEDH 2007-IV (extraits)) et à un examen indépendant et rigoureux tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention (Jabari c. Turquie, no 40035/98, § 50, CEDH 2000-VIII).

    56.  Toutefois, la Cour rappelle qu’il est légitime pour les États de vouloir réduire les demandes d’asile répétitives et manifestement abusives ou mal fondées et de prévoir par conséquent des règles spécifiques pour le traitement de telles demandes (voir, dans le même sens, Mohammed c. Autriche, no 2283/12, § 80, 6 juin 2013). Ainsi, la Cour a déjà estimé que le simple fait qu’une demande d’asile successive soit traitée selon une procédure accélérée ne saurait, à lui seul, permettre de conclure à l’ineffectivité de l’examen mené par les instances d’asile (Sultani, précité, § 65).

    2.  Application au cas d’espèce

    57.  Les requérants ont introduit successivement quatre demandes d’asile après leur arrivée sur le territoire belge. Ainsi, lorsqu’ils déposèrent une quatrième demande d’asile, les requérants avaient déjà bénéficié d’un examen complet de leur première demande d’asile introduite lors de leur arrivée en janvier 2007.

    58.  La Cour constate que les requérants n’ont pas contesté devant elle les décisions prises par les instances d’asile nationales dans le cadre des trois premières demandes d’asile. Dès lors, la Cour estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la conformité de ces décisions avec la Convention. En revanche, il revient à la Cour d’apprécier si les décisions prises par les instances d’asile sur la quatrième demande d’asile pourraient exposer les requérants à une violation de l’article 3 de la Convention.

    59.  Selon les requérants, le risque allégué par eux n’a pas été examiné par les instances nationales à la lumière des documents qu’ils ont présentés à l’appui de leur quatrième demande d’asile.

    60.  À cet égard, la Cour constate que la quatrième demande d’asile à l’appui de laquelle les requérants ont présenté les deux convocations de 2012 qu’ils avaient reçues ainsi que l’avis de recherche paru dans un journal daté de 2012 (voir paragraphe 31, ci-dessus), a été rejetée par les instances d’asile belges au motif que les documents produits par les requérants étaient datés d’avant la dernière phase de leur précédente demande d’asile au cours de laquelle ils auraient pu les présenter et que, par conséquent, ils ne constituaient pas des « éléments nouveaux » au sens de l’article 51/8 de la loi sur les étrangers. La Cour relève que, pour ce faire, était prise en compte par les autorités belges la date mentionnée sur les documents en question, et non pas la date à laquelle les requérants allèguent avoir été mis en possession desdits documents. En effet, les instances d’asile ne furent pas convaincues par l’allégation des requérants selon laquelle ils n’avaient pas eu connaissance du contenu des documents à une date antérieure à celle à laquelle ils les avaient présentés aux autorités belges et qu’ils avaient donc été dans l’impossibilité de les présenter auparavant.

    61. La Cour constate que la conséquence de la considération que ces documents ne constituaient pas des « éléments nouveaux » était le refus de prise en considération de la quatrième demande d’asile des requérants et, de facto, l’absence d’examen du risque prétendument encouru par les requérants en cas de renvoi vers la Russie, tel que ce risque avait été décrit lors de cette demande. En effet, comme le CCE le rappela, la compétence de l’OE se limitait à déterminer la présence ou l’absence d’éléments nouveaux fournis par les demandeurs d’asile multiples et l’OE n’effectuait en aucun cas un examen sur le fond desdits éléments (voir paragraphe 35, ci-dessus).

    62.  Il en résulte que l’interprétation faite par les instances d’asile belges de la notion « d’éléments nouveaux » a, en l’espèce, occulté l’évaluation du risque que les requérants prétendent courir en cas de renvoi vers la Fédération de Russie puisque ni l’OE ni le CCE ne se sont interrogés, même à titre accessoire, sur cette question. Tout au plus le CCE a, dans son arrêt du 10 décembre 2012, rappelé, en se référant à la décision du CGRA du 27 mars 2007, que les requérants n’avaient pas démontré un risque réel de violation de l’article 3 de la Convention en cas de retour vers leur pays d’origine (voir paragraphe 38, ci-dessus).

    63.  La Cour relève que cette approche adoptée par les instances d’asile belges en l’espèce était conforme à l’article 51/8 de la loi sur les étrangers tel qu’en vigueur au moment des faits et tel qu’interprété par les juridictions nationales (voir paragraphe 41, ci-dessus). Aussi, la Cour estime que le fait que la quatrième demande d’asile des requérants ait été traitée selon la procédure prévue à l’article 51/8 de la loi sur les étrangers ne saurait, à lui seul, permettre à la Cour de conclure à l’ineffectivité de l’examen mené par les instances nationales (mutatis mutandis, Sultani, précité, § 65).

    64.  Toutefois, la Cour est d’avis que la démarche opérée en l’espèce qui a consisté tant pour l’OE que pour le CCE à écarter les nouvelles pièces produites par les requérants qui étaient au cœur de leur demande de protection, sans aucune évaluation préalable de leur pertinence, de leur authenticité et de leur caractère probant, ne peut être considérée comme l’examen attentif et rigoureux attendu des autorités nationales et ne procède pas d’une protection effective contre tout traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

    65.  En effet, la Cour considère que l’existence d’un élément nouveau a, en l’espèce, été examinée de manière trop restrictive par l’OE. L’OE s’est borné à constater que les documents étaient datés d’avant la dernière phase de la précédente demande d’asile au cours de laquelle les requérants auraient pu les présenter. Des documents auxquels elle peut avoir égard, la Cour constate que les requérants pourraient avoir été dans l’impossibilité de produire les documents litigieux au cours d’une précédente demande d’asile. Dans l’état actuel du dossier, elle n’aperçoit aucun élément concret permettant de douter de la bonne foi des requérants sur ce point. Ceux-ci ont d’ailleurs tout mis en œuvre pour démontrer aux instances d’asile qu’ils n’avaient pas pu fournir les documents plus tôt, notamment en déposant la déclaration d’A.C. En rejetant l’argumentation des requérants sur ce point, l’OE a imposé une charge de la preuve déraisonnable sur les requérants. Ensuite, le CCE, dans son arrêt du 10 septembre 2012, s’est contenté de valider l’approche restrictive adoptée par l’OE.

    66.  Or, la Cour insiste sur le fait que, compte tenu de l’importance qui doit être attachée à l’article 3, du caractère absolu de cette disposition et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de mauvais traitement, il appartient aux autorités nationales de se montrer aussi rigoureuses que possible et de procéder à un examen attentif des griefs tirés de l’article 3 sans quoi les recours perdent de leur effectivité (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 388, CEDH 2011). Un tel examen doit permettre d’écarter tout doute, aussi légitime soit-il, quant au caractère mal fondé d’une demande de protection et ce, quelle que soit l’étendue des compétences de l’autorité chargée du contrôle (Singh et autres, précité, § 103).

    67.  La Cour estime qu’en l’absence de réexamen par les instances nationales du risque encouru par les requérants à la lumière des documents produits à l’appui de leur quatrième demande d’asile, ces instances ne disposaient pas d’éléments suffisants pour être assurées qu’en cas de renvoi vers la Russie, les requérants ne couraient pas de risque concret et réel de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Il s’ensuit que, si les requérants devaient être envoyés vers la Russie sans examen desdits documents, il y aurait violation de l’article 3 (voir, mutatis mutandis, Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, §§ 121-122, CEDH 2014 (extraits).

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    68.  Sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention, les requérants estiment ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif pour faire valoir leur grief tiré de l’article 3 compte tenu du fait que les instances d’asile ont refusé de réexaminer le risque encouru en cas de renvoi dans leur pays d’origine à la lumière des nouveaux documents fournis par eux, et ce pour des raisons purement formelles.

    69.  Le Gouvernement estime que le grief du requérant n’est pas fondé.

    70.  Eu égard au raisonnement l’ayant conduite à conclure à la violation de l’article 3 de la Convention, la Cour ne voit rien qui justifierait un examen séparé des mêmes faits sous l’angle de l’article 13 de la Convention.

    IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

    71.  La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.

    72.  Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (voir paragraphe 36, ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.

    V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    73.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    1.  Dommage matériel

    74.  Au titre du préjudice matériel, les requérants réclament chacun 40 euros (EUR) par jour de détention ainsi que 80 EUR par jour depuis leur mise en liberté suite à l’application de l’article 39 du règlement de la Cour. Cette somme est calculée sur la base d’un salaire qu’ils auraient pu percevoir pendant toute cette période si les autorités belges ne les en avaient pas empêchés. Ils réclament un total de 5 280 EUR pour le premier requérant et 7 000 EUR pour la deuxième requérante s’agissant de la période de détention, ainsi qu’un total de 20 000 EUR pour la période suivant leur mise en liberté jusqu’au jour de la présentation de leurs observations.

    75.  Le Gouvernement demande le rejet de cette demande.

    76.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande.

    2.  Dommage moral

    77.  Au titre du préjudice moral, les requérants demandent chacun 50 000 EUR pour les souffrances morales et physiques qu’ils auraient subies.

    78.  Le Gouvernement estime que les requérants n’ont pas fait valoir que le droit interne ne permettrait pas d’effacer les conséquences des prétendues violations et qu’en tout cas, un constat de violation suffirait à réparer tout dommage causé.

    79.  La Cour considère qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, le constat d’une violation de l’article 3 de la Convention constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par les requérants (voir, dans le même sens, Tarakhel, précité, § 137).

    B.  Frais et dépens

    80.  Les requérants demandent également 350 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, dans le cas où leur avocat devrait se déplacer à Strasbourg pour la défense de leurs intérêts.

    81.  Le Gouvernement rappelle que l’avocat des requérants n’a pas dû se déplacer à Strasbourg et qu’il n’y a donc pas lieu à leur allouer une somme au titre des frais et dépens.

    82.  La Cour constate qu’aucun déplacement à Strasbourg n’a eu lieu dans le cadre de la procédure devant la Cour. Par ailleurs, les requérants n’ont présenté aucune demande de remboursement d’autres frais engagés par eux. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de leur accorder de somme à ce titre.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR,

    1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

     

    2.  Dit, par six voix contre une, qu’il y aurait violation de l’article 3 de la Convention si les requérants devaient être renvoyés en Russie sans que les autorités belges aient au préalable réexaminé le risque encouru par eux à la lumière des documents produits à l’appui de leur quatrième demande d’asile ;

     

    3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ;

     

    4.  Décide, à l’unanimité, que la mesure provisoire indiquée par la Cour en application de l’article 39 de son règlement reste en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard ;

     

    5.  Dit, par six voix contre une, que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérants ;

     

    6.  Rejette, par six voix contre une, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 janvier 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Stanley Naismith                                                                     Işıl Karakaş
            Greffier                                                                              Présidente

     

     

    Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Sajó.

    A.I.K.
    S.H.N.

     


    OPINION DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ

    (Traduction)

     

    Je considère comme mes collègues que, s’il se produit à l’avenir, un défaut d’examen attentif de la demande d’asile des requérants emportera violation des droits protégés par l’article 3, car il créera une situation dans laquelle les requérants deviendront expulsables en Russie sans autre forme de procès.

    Toutefois, la Cour considère que cette violation est conditionnelle et ne peut se matérialiser qu’à l’avenir. Pourtant, cette conclusion repose sur le fait que, comme l’affirment les requérants, un tel défaut d’examen attentif a déjà eu lieu par le passé.

    À mon avis, la violation réside dans l’approche déraisonnablement rigide et extrêmement formaliste qu’ont suivie les autorités internes dans le traitement des éléments de preuve joints aux demandes d’asile. Ce mode de traitement des demandes d’asile a donné lieu à la prise d’ordonnances de reconduite à la frontière et a ainsi mis en grand danger la vie et l’intégrité physique des demandeurs déboutés. (À ce stade, il me faut admettre que je ne suis pas convaincu que la séparation mécanique faite par la Cour des quatre demandes d’asile ne soit pas elle aussi formaliste, mais elle n’est du moins pas déraisonnable.)

    La Cour estime qu’un examen futur de la demande d’asile répété avec la même négligence que lors de la quatrième procédure emporterait violation des droits protégés par la Convention, car il ne permettrait pas de protéger effectivement les demandeurs contre de futures violations de l’article 3. Il en va de même de l’examen réalisé lors de la quatrième procédure, et ce n’est que l’application de l’article 39 du règlement de la Cour qui a empêché la survenue des événements craints. Ce qui serait considéré comme une négligence si cela se produisait à l’avenir doit aussi l’être lorsque cela s’est produit dans le passé.

    La violation a bien eu lieu, et la Cour ne peut statuer sur la demande de satisfaction équitable des requérants en vertu de la logique Tarakhel. C’est pour cette raison que je ne peux pas souscrire aux conclusions de la majorité.


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