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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KANAGINIS v. GREECE - 27662/09 (Judgment (Merits) : Court (First Section)) French Text [2016] ECHR 943 (27 October 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/943.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2016:1027JUD002766209, CE:ECHR:2016:1027JUD002766209, [2016] ECHR 943 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE KANAGINIS c. GRÈCE
(Requête no 27662/09)
ARRÊT
STRASBOURG
27 octobre 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kanaginis c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mirjana Lazarova Trajkovska,
présidente,
Ledi Bianku,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 septembre 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27662/09) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Themistoklis Kanaginis (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 mai 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me S. Tsakyrakis, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, Mme F. Dedousi, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État et M. Ch. Poulakos, auditeur auprès du Conseil juridique de l’État.
3. Le requérant allègue en particulier une violation de son droit à la protection de ses biens.
4. Le 29 avril 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La genèse de l’affaire
5. Le requérant réside à Athènes. Le 14 avril 1976, par décision commune des ministres des Finances et de la Culture, l’État procéda à l’expropriation d’un terrain appartenant au requérant, sis dans le quartier historique de Plaka à Athènes, afin de procéder à des fouilles archéologiques. Le requérant louait ledit terrain comme parking extérieur, ce qui lui apportait un revenu mensuel de 7 000 drachmes (20,50 euros environ). Le 31 octobre 1977, il reçut à titre d’indemnité la somme de 7 727 500 drachmes (22 678 euros). L’expropriation fut ainsi réalisée.
B. Les procédures tendant à la révocation de l’expropriation litigieuse
6. Les 23 décembre 1992 et 7 janvier 1994, le requérant demanda la révocation de l’expropriation litigieuse, faute d’accomplissement du but d’utilité publique retenu par l’administration comme raison de l’expropriation. Débouté par l’administration, le requérant saisit par la suite le Conseil d’État qui rejeta ses recours en annulation contre le refus de l’administration de révoquer l’expropriation (arrêts nos 2242/1997 et 2243/1997).
7. Le 21 février 2002, le requérant demanda à nouveau la révocation de l’expropriation litigieuse. Débouté par l’administration, il saisit le Conseil d’État qui, cette fois, fit droit à son recours et annula le refus de l’administration de révoquer l’expropriation, jugeant que le but de celle-ci avait été abandonné (arrêt no 2319/2004).
C. La procédure litigieuse
8. Le 17 octobre 2005, la chef de la direction des biens publics (Διεύθυνση Δημόσιας Περιουσίας) du ministère de l’Économie et des Finances, se fondant sur l’article 12 du code d’expropriation des biens immobiliers (loi no 2882/2001), réajusta l’indemnité d’expropriation en fonction de l’indice annuel moyen des prix à la consommation (τιμαριθμική αναπροσαρμογή) et fixa à 601 705,67 euros le montant que le requérant devait rembourser à l’État afin de récupérer son terrain (décision no 1087631/6632/Δ0010).
9. Le 23 décembre 2005, le requérant saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation de cette décision. Il affirmait que le but de l’expropriation avait été abandonné et qu’en raison de l’inertie des autorités compétentes à procéder aux fouilles archéologiques, il avait été privé de sa propriété pendant plus de trente ans sans aucune raison valable. Lui demander de rembourser le montant qu’il avait perçu à titre d’indemnité après réajustement sur la base de l’indice des prix à la consommation équivalait à ses yeux à récompenser l’État pour cette expropriation abusive et lui imposait une charge exorbitante qui portait atteinte à ses droits garantis par l’article 17 de la Constitution et l’article 1 du Protocole no 1.
10. Le 12 juin 2008, le requérant saisit de nouveau l’autorité compétente et l’invita à procéder à un nouveau calcul du montant dû. Il relevait dans sa demande que celle-ci se faisait sans préjudice à ses droits reconnus par le droit interne, et tout particulièrement ceux résultant de son recours pendant devant le Conseil d’État ou son droit de contester le résultat de la procédure interne devant les instances internationales compétentes. Le 24 juillet 2008, l’autorité compétente fixa à 665 645,42 euros le montant que le requérant devait rembourser à l’État afin de récupérer son terrain (décision no 1064217/4182/Δ0010).
11. Le 22 septembre 2008, le Conseil d’État se prononça comme suit sur le recours en annulation du requérant :
« La révocation d’une expropriation réalisée ne constitue pas un cas de révocation authentique, à savoir de levée rétroactive des effets d’une décision d’expropriation en raison des erreurs matérielles ou légales commises au moment de sa mise en application, ce qui aurait créé l’obligation pour l’administration de rétablir les choses en l’état, selon le status quo juridique et factuel de l’époque. En revanche, la révocation d’une expropriation réalisée constitue un acte administratif nouveau et indépendant, dont les conditions de prise, y compris le remboursement de l’indemnité versée, sont considérées et appréciées selon le status quo actuel. »
12. Basée sur cette constatation, la haute juridiction conclut que nulle atteinte aux droits garantis par la Constitution et l’article 1 du Protocole no 1 ne se trouvait établie en l’espèce et rejeta le recours (arrêt no 2492/2008). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 5 février 2009.
D. Document fourni par le requérant relatif à la détermination de la valeur objective de son bien
13. Le requérant déposa à la Cour un document, établi par la notaire V.M. et spécialement prévu pour le calcul de la valeur objective de son terrain. Le calcul effectué sur un formulaire pré-imprimé, se fondait sur les prix en vigueur en 2016. Le calcul tenait compte de différents éléments (surface, façade et profondeur du terrain ainsi que certains autres critères). Sur la base de ce calcul, la notaire précisait que la valeur objective actuelle s’élevait à 254 856,03 euros.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Constitution
14. L’article 17 de la Constitution dispose :
« 1. La propriété est placée sous la protection de l’État. Les droits qui en dérivent ne peuvent toutefois s’exercer au détriment de l’intérêt général.
2. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur que possède la propriété expropriée le jour de l’audience sur l’affaire concernant la fixation provisoire de l’indemnité par le tribunal. Dans le cas d’une demande visant à la fixation immédiate de l’indemnité définitive, est prise en considération la valeur que la propriété expropriée possède au jour de l’audience du tribunal sur cette demande.
(...) »
B. La loi no 2882/2001 et sa modification par la loi no 4070/2012
15. L’article 12 de la loi no 2882/2001 tel qu’appliqué à l’époque des faits disposait :
Article 12- Révocation de l’expropriation accomplie
« 1. Une expropriation accomplie qui a été déclarée en faveur : a) de l’État, b) de personnes morales de droit public, c) de collectivités locales de 1er et 2ème degré, d) des entreprises appartenant à l’État ou à de personnes morales de droit public, et e) d’organismes d’utilité publique, peut être révoquée, entièrement ou partiellement, si le service compétent estime qu’elle n’est pas nécessaire pour atteindre le but initial ou autre, qualifié par la loi d’utilité publique, et si le propriétaire contre lequel l’expropriation a été déclarée, accepte la révocation. Le bien exproprié peut être mis à disposition librement si la personne dont la propriété a été expropriée déclare ne pas souhaiter sa révocation ou ne réagit pas dans un délai de trois mois à l’invitation y relative. Si le bien concerné a été utilisé dans le but pour lequel il avait été exproprié et qu’il a cessé par la suite d’être utilisé dans ce sens, l’expropriation est considérée comme accomplie et sa révocation n’est pas possible. Dans ce cas, le bien peut être mis à disposition librement.
2. (...)
3. La révocation entière ou partielle de l’expropriation, selon les dispositions du présent article, est effectuée par décision de l’autorité qui l’avait déclarée (...) après restitution de l’indemnité payée à celui qui s’est chargé de son paiement, réajustée selon ce qui suit.
(...)
Le réajustement de l’indemnité à restituer est calculé sur la base de l’indice annuel moyen des prix à la consommation, établi par le service national de statistiques de Grèce, en multipliant l’indemnité perçue avec le rapport (T2/T1) entre l’indice annuel moyen des prix à la consommation de l’année de fixation de l’indemnité à payer (T2) et celui de la date d’encaissement de l’indemnité par son titulaire (T1).
(...)
4. L’indemnité est payée au comptant dans les six mois qui suivent la notification de la décision mentionnée au paragraphe précédent. Si l’indemnité à restituer dépasse au total 2 000 000 drachmes (soit 5 869,4 euros) elle peut être restituée, à la demande de la personne concernée, en quatre versements semestriels de la même somme, dont le premier est payé dans les six mois qui suivent la notification de la décision susmentionnée au redevable. Si les délais précités arrivent à échéance sans effet, l’autorité compétente pour la fixation de l’indemnité peut rendre à la demande du requérant une nouvelle décision comportant un nouveau réajustement de la somme due ou une nouvelle décision déclarant l’annulation de la révocation de l’expropriation. Par la décision déclarant l’annulation [de la révocation] est aussi ordonnée la restitution des sommes qui ont été éventuellement payées par l’intéressé.
(...) »
16. L’article 3 de l’article 12 de la loi no 2882/2001 a été modifié par l’article 127 § 1 de la loi no 4070/2012, entrée en vigueur le 10 avril 2012. La nouvelle disposition prévoit ce qui suit :
« (...)
Le Comité [administratif] prévu par l’article 15 § 1 de la présente loi ou un expert certifié indépendant, selon le choix de l’autorité compétente, émettent un avis sur le montant de l’indemnité dans un délai de deux mois à partir de la réception du dossier. Sont notamment pris en compte comme critères pour l’évaluation de la valeur du terrain en cause, la valeur des terrains adjacents ou similaires ainsi que le possible revenu résultant de l’exploitation du terrain. La valeur proposée ne peut être inférieure à celle de la valeur objective [fixée par l’autorité fiscale] du terrain. En cas de désaccord sur le montant de l’indemnité due, sa détermination est faite, suite à la demande de l’intéressé, par les juridictions compétentes dans un délai de soixante jours à compter de la notification de la décision en cause.
(...) »
17. Selon le Conseil d’État, les dispositions pertinentes de la loi no 4070/2012 sur la révocation de l’expropriation accomplie s’appliquent uniquement aux affaires dans lesquelles l’acte administratif portant sur la détermination de l’indemnité due pour la récupération du terrain exproprié n’a pas été adopté à la date d’entrée en vigueur de ladite loi (arrêt no 559/2014).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
18. Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit au respect de ses biens. Il affirme que la somme qu’il doit rembourser afin de récupérer son bien n’est pas raisonnablement en rapport avec la somme qu’il avait perçue à titre d’indemnité d’expropriation. Il se plaint à cet égard aussi de la motivation de l’arrêt no 2492/2008 du Conseil d’État. Il considère que la haute juridiction administrative ne s’est pas prononcée sur l’essence des arguments qu’il avait soumis à son examen. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties
a) Le Gouvernement
19. Le Gouvernement plaide, tout d’abord, l’irrecevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme qu’après la saisine du Conseil d’État, le requérant a soumis auprès de l’administration une nouvelle demande de calcul du montant dû afin de se voir restituer le terrain litigieux. Bien que l’administration ne se trouvât pas dans l’obligation de recalculer le montant dû, elle a fait droit à cette demande du requérant et a réajusté le montant dû.
20. De l’avis du Gouvernement, par cette action le requérant a tacitement accepté le calcul de l’indemnité due selon la décision no 1087631/6632/Δ0010 du 17 octobre 2005. Tout en estimant que ce comportement est abusif de la part du requérant et qu’il a ainsi perdu la qualité de victime, le Gouvernement relève qu’il a omis de contester la décision no 1064217/4182/Δ0010 devant le Conseil d’État. Il n’a pas ainsi épuisé les voies de recours internes à l’égard du grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1.
b) Le requérant
21. Le requérant rétorque que l’allégation du Gouvernement selon laquelle sa nouvelle demande de fixation de l’indemnité due pour le rachat du terrain exproprié équivalait à une acceptation du montant déjà calculé en vertu de la décision no 1087631/6632/Δ0010 est infondée et pourrait induire la Cour en erreur. En effet, il relève que sa nouvelle demande auprès de l’administration avait été faite sous réserve explicite de ses droits selon le droit national, du fait qu’une procédure était pendante devant la haute juridiction administrative sur la constitutionnalité de l’article 12 de la loi no 2882/2001 et de la possibilité de saisir les instances internationales compétentes à cet égard.
22. Le requérant affirme que sa nouvelle demande déposée en 2008 n’avait pour objectif que de « geler » le montant nécessaire pour la récupération de son bien ; la première estimation des services compétents datait déjà de 2005 et le requérant savait que, selon la méthode de calcul prévue par l’article 12 de la loi no 2882/2001, ladite somme ne cessait d’augmenter. En tout état de cause, il affirme que par son recours en annulation devant le Conseil d’État, il avait mis en cause la constitutionnalité de la disposition litigieuse et sa compatibilité avec l’article 1 du Protocole no 1. Partant, du moment que son recours avait été rejeté par la haute juridiction administrative, un nouveau recours sur les mêmes questions qui font aussi l’objet de l’affaire devant la Cour, serait dépourvu d’objet et d’intérêt.
2. Appréciation de la Cour
23. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 35 § 3 a) une requête peut être déclarée abusive notamment si elle se fonde délibérément sur des faits controuvés. Une information incomplète et donc trompeuse peut également s’analyser en un abus du droit de recours individuel, particulièrement lorsqu’elle concerne le cœur de l’affaire et que le requérant n’explique pas de façon suffisante pourquoi il n’a pas divulgué les informations pertinentes (Gross c. Suisse [GC], no 67810/10, § 28, 30 septembre 2014).
24. La Cour n’aperçoit dans le dossier de la présente requête aucun élément qui permettrait de qualifier le comportement du requérant d’abusif, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La question de savoir si la seconde demande du requérant à l’administration sur le calcul de la somme due devait être suivie d’un nouveau recours en annulation relève plutôt de l’objection tirée du non-épuisement des recours internes qui sera examinée ci-dessous. Par ailleurs, le même constat vaut pour l’objection du Gouvernement tirée de la perte de la qualité de victime du requérant qui se rapporte de fait également au sujet de l’épuisement des voies de recours internes.
25. En ce qui concerne la règle de l’épuisement des voies de recours internes, énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour rappelle qu’elle se fonde sur l’hypothèse, incorporée dans l’article 13, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif, en pratique comme en droit quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI ; Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, §§ 96-98, CEDH 2000-XI). Elle rappelle qu’en vertu de la règle de l’épuisement des voies de recours internes le requérant doit, avant de saisir la Cour, avoir donné à l’État responsable, en utilisant les ressources judiciaires pouvant être considérées comme effectives et suffisantes offertes par la législation nationale, la faculté de remédier par des moyens internes aux violations alléguées (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999-I).
26. L’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’État défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, entre autres, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010). Le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 71, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV). Enfin, celui qui a exercé un recours de nature à remédier directement - et non de façon détournée - à la situation litigieuse n’est pas tenu d’en épuiser d’autres éventuellement ouverts mais à l’efficacité improbable (Manoussakis et autres c. Grèce, 26 septembre 1996, § 33, Recueil 1996-IV ; Anakomba Yula c. Belgique, no 45413/07, § 22, 10 mars 2009).
27. En l’occurrence, à travers son recours en annulation devant le Conseil d’État, le requérant ne s’est pas plaint du montant précis de l’indemnité due à l’État, comme celle-ci avait été fixée en vertu de la décision no 1087631/6632/Δ0010. De manière plus générale, son recours a visé le sens même de l’article 12 de la loi no 2882/2001 dont il a contesté tant la constitutionnalité que la compatibilité avec l’article 1 du Protocole no 1. En d’autres termes, le requérant ne s’est pas plaint que les autorités compétentes avaient erronément appliqué la formule prévue par la disposition précitée lors du calcul du montant dû ; il a contesté la ratio legis de cette disposition qui permettait la récupération du terrain exproprié par l’ancien propriétaire à condition de payer à l’État la plus-value de la propriété en cause, calculée selon la formule prévue par l’article 12 de la loi précitée.
28. Il est aussi à noter que la haute juridiction administrative s’est uniquement penchée dans son arrêt no 2492/2008 sur la question de la constitutionnalité de la disposition législative en cause sans examiner le montant spécifique fixé par la décision no 1087631/6632/Δ0010. Enfin, la Cour note que devant elle le requérant s’est tout spécifiquement plaint du principe sur lequel repose l’article 12 de la loi no 2882/2001 en alléguant que l’application de la formule prévue par ladite disposition sur le réajustement de la somme initialement perçue lors de l’expropriation de son terrain avait comme résultat de lui réclamer un montant totalement exorbitant.
29. Il s’ensuit de ce qui précède que par son arrêt no 2492/2008 le Conseil d’État s’est penché sur les questions de droit afférentes à l’article 12 de la loi no 2882/2001 faisant l’objet de la présente requête. Par conséquent, une nouvelle saisine de la haute juridiction administrative par un recours en annulation contre la décision no 1064217/4182/Δ0010 serait sans objet en l’espèce, puisque ladite juridiction serait invitée par le requérant à se prononcer sur des questions relatives au droit à la protection des biens, déjà examinées dans son arrêt no 2492/2008.
30. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le requérant a fait un usage suffisant des voies de recours qu’il avait à sa disposition afin de remédier à la situation dont il se plaint en l’espèce. Il convient donc de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.
31. En outre, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
32. Le requérant affirme qu’il n’y aurait pas d’enrichissement sans cause à son égard s’il était tenu de remettre à l’État uniquement le montant initial reçu à titre d’indemnité d’expropriation. Il accepte que pendant la période où son terrain était exproprié il pouvait tirer profit de cette somme mais il relève que ce principe s’applique aussi à l’État qui pouvait également exploiter le bien en cause. En effet, le requérant estime qu’en lui demandant de retourner le montant initial réajusté selon l’indice annuel moyen des prix à la consommation, c’est l’État qui s’enrichirait sans cause, puisqu’il tirerait profit du comportement illégal qui a donné lieu à la révocation de l’expropriation. En même temps, l’État exigeait de profiter de la plus-value bien qu’il ait eu la possibilité d’exploiter le terrain pour trente ans environ. En tout état de cause, le requérant allègue qu’une question de principe se pose en l’espèce : si quelqu’un devait profiter d’une quelconque augmentation de la valeur de la propriété en cause, c’était lui et non pas l’État, du fait que c’était lui et non pas l’État qui avait subi les conséquences négatives de l’expropriation imposée dont le but n’a jamais été réalisé.
33. Le requérant ajoute que la somme à payer à l’État pour se voir récupérer le bien immobilier en cause était environ vingt-six fois supérieur au montant reçu à titre d’indemnité d’expropriation. De plus, il relève qu’en 1992, lorsqu’il a pour la première fois demandé la révocation de l’expropriation sans succès, il aurait payé selon la formule basée sur l’indice des prix à la consommation, la moitié du montant requis par l’administration en 2005 et 2008. Le requérant estime que l’article 12 de la loi no 2882/2001, tel qu’appliqué à l’époque des faits, prévoyait une formule de réajustement du montant alloué à titre d’indemnité d’expropriation qui rendait impossible toute tentative de récupération du bien concerné. Il soumet à ce titre des avis notariaux faisant ressortir que selon les estimations de l’autorité fiscale, la valeur du bien remontait à 376 958,58 euros en 2012 et à 254 856,03 euros en 2016. Enfin, le requérant relève que le Conseil d’État n’a offert aucune réponse à ses arguments concrets sur l’incompatibilité de la situation litigieuse avec les articles 17 de la Constitution et 1 du Protocole no 1 mais qu’il s’est limité à affirmer qu’il n’y avait aucune atteinte à ces dispositions.
b) Le Gouvernement
34. Le Gouvernement rétorque que le requérant a reçu à l’époque de l’expropriation une indemnité qui correspondait à la valeur du terrain en cause. Il ajoute que l’indice annuel moyen des prix à la consommation est un critère simple et objectif pour procéder au réajustement du montant reçu par l’intéressé à titre d’indemnité d’expropriation. En se basant sur l’évolution des prix à la consommation pendant la période où le terrain restait exproprié, il assurait un juste équilibre entre la protection du droit au respect des biens du requérant et les intérêts financiers de l’État, à savoir qu’il n’y ait pas d’enrichissement sans cause à son détriment lors de la récupération du terrain par son ancien propriétaire.
35. Le Gouvernement affirme que la valeur du bien litigieux s’élevait, en 2012, selon les estimations de l’autorité fiscale compétente à 376 957,65 euros. Il ajoute que les décisions nos 1087631/6632/Δ0010 et 1064217/4182/Δ0010 sont toujours valables aujourd’hui, même si la seconde a en pratique remplacé la première. Le requérant peut ainsi toujours verser à l’administration la somme requise et se voir récupérer son ancienne propriété. Il revient à l’administration, qui dispose selon le Gouvernement d’un large pouvoir discrétionnaire en la matière, d’annuler la révocation de l’expropriation pour qu’une nouvelle procédure entraînant une nouvelle estimation de la somme à payer soit lancée.
36. Enfin, le Gouvernement affirme que l’État n’a pas exploité le terrain pendant la période où il restait exproprié à des fins lucratives. L’objectif initial, à savoir de réaliser des fouilles archéologiques dans le terrain en cause, n’a pas pu être réalisé en raison de problèmes d’urbanisme dans le quartier de Plaka.
2. Appréciation de la Cour
a) Applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1
37. L’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1 n’est pas contestée en l’espèce. La Cour rappelle cependant que la notion de « biens » évoquée à la première partie de l’article 1 du Protocole no1 a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante par rapport aux qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette disposition. Dans chaque affaire, il importe d’examiner si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire d’un intérêt substantiel protégé par l’article 1 du Protocole no1 (voir, parmi d’autres, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 129, CEDH 2000-V et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000-I).
38. La Cour note, d’une part, que l’article 12 de la loi no 2882/2001 prévoyait la révocation d’une expropriation déjà accomplie moyennant la restitution par le propriétaire de l’indemnité qui lui avait été versée, mais réajustée (paragraphe 15 ci-dessus). D’autre part, elle relève que par son arrêt no 2319/2004, le Conseil d’Etat a annulé le refus de l’administration de révoquer l’expropriation, jugeant que le but de celle-ci avait été abandonné (paragraphe 7 ci-dessus).
39. La Cour se déclare convaincue que les éléments susmentionnés montrent que le requérant avait un intérêt patrimonial qui était reconnu en droit grec et qui relevait de la protection de l’article 1 du Protocole no 1.
b) Observation de l’article 1 du Protocole no 1
i. Principes généraux
40. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l’article 1 du Protocole no 1, qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. Les deuxième et troisième normes, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, parmi d’autres, Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 62, CEDH 2007-I).
41. Tant une atteinte au respect des biens qu’une abstention d’agir doivent ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, parmi d’autres, Nastou c. Grèce (no 2), no 16163/02, § 31, 15 juillet 2005). Le souci d’assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 du Protocole no 1 tout entier. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure appliquée par l’Etat, y compris les mesures privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 38, série A no 332). Dans chaque affaire impliquant la violation alléguée de cette disposition, la Cour doit vérifier si, en raison de l’action ou de l’inaction de l’Etat, la personne concernée a dû supporter une charge disproportionnée et excessive (Broniowski, précité, § 150).
42. Pour apprécier la conformité de la conduite de l’Etat à l’article 1 du Protocole no 1, la Cour doit se livrer à un examen global des divers intérêts en jeu, en gardant à l’esprit que la Convention a pour but de sauvegarder des droits qui sont « concrets et effectifs ». Elle doit aller au-delà des apparences et rechercher la réalité de la situation litigieuse. Cette appréciation peut porter non seulement sur les modalités d’indemnisation applicables - si la situation s’apparente à une privation de propriété - mais également sur la conduite des parties, y compris les moyens employés par l’Etat et leur mise en œuvre. À cet égard, il faut souligner que l’incertitude - qu’elle soit législative, administrative, ou tenant aux pratiques appliquées par les autorités - est un facteur qu’il faut prendre en compte pour apprécier la conduite de l’Etat. En effet, lorsqu’une question d’intérêt général est en jeu, les pouvoirs publics sont tenus de réagir en temps utile, de façon correcte et avec la plus grande cohérence (Vasilescu c. Roumanie, arrêt du 22 mai 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-III, § 51 ; Beyeler, précité, §§ 110 in fine, 114 et 120 in fine ; Broniowski, précité, § 151).
43. La Cour estime utile de relever aussi qu’elle jouit d’une compétence limitée pour vérifier le respect du droit interne (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 47, série A no 171-A) et qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999-I). Néanmoins, le rôle de la Cour est de rechercher si les résultats auxquels sont parvenues les juridictions nationales sont compatibles avec les droits garantis par la Convention et ses Protocoles. La Cour relève que, nonobstant le silence de l’article 1 du Protocole no 1 en matière d’exigences procédurales, une procédure judiciaire afférente au droit au respect des biens doit aussi offrir à la personne concernée une occasion adéquate d’exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition. Pour s’assurer du respect de cette condition, il y a lieu de considérer les procédures applicables d’un point de vue général (voir Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, § 134, CEDH 2005-XII (extraits) ; Zafranas c. Grèce, no 4056/08, § 36, 4 octobre 2011).
ii. Application des principes en l’espèce
44. À titre liminaire, la Cour estime opportun de rappeler le libellé précis du grief du requérant devant elle : celui-ci se plaint qu’en raison de la manière dont l’article 12 de la loi no 2882/2001 régissait la détermination de l’indemnité à payer pour le rachat d’un terrain déjà exproprié, la somme qu’il doit rembourser afin de récupérer son bien n’est pas raisonnablement en rapport avec celle qu’il avait perçue à titre d’indemnité d’expropriation. Le requérant estime que l’État fait ainsi peser sur lui une charge disproportionnée et excessive qui ne peut être justifiée par aucune cause générale d’utilité publique.
45. Au vu des spécificités de la présente affaire, la Cour estime que la situation litigieuse ne constitue ni une expropriation ni une réglementation de l’usage des biens, mais relève de la première phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 qui énonce, de manière générale, le principe du respect des biens (voir en ce sens, Almeida Garrett, Mascarenhas Falcao et autres c. Portugal, nos 29813/96 et 30229/96, §§ 43 et 48, CEDH 2000-I).
46. En l’occurrence, l’ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens réside dans son impossibilité de se voir retourner le terrain exproprié suite à la révocation de l’expropriation par l’arrêt no 2319/2004 du Conseil d’État pour non accomplissement de son but en raison du prix prétendument exorbitant qu’il devait payer à l’État. Il n’est contesté ni que l’ingérence était prévue par la loi, à savoir l’article 12 de la loi no 2882/2001, ni qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir s’assurer que le rachat du terrain en cause par le requérant ne se ferait pas au détriment des intérêts financiers de l’État. Il appartient ainsi à la Cour de vérifier, dans le cas d’espèce, que l’équilibre voulu a été préservé de manière compatible avec le droit du requérant au respect de ses biens (voir Saliba c. Malte, no 4251/02, § 45, 8 novembre 2005, et Housing Association of War Disabled et Victims of War of Attica et autres c. Grèce, no 35859/02, § 37, 13 juillet 2006).
47. La Cour rappelle que le requérant avait obtenu, en vertu de l’arrêt no 2319/2004 du Conseil d’État, la révocation de l’expropriation du terrain dont il avait été le propriétaire et qu’il avait au moins l’espérance légitime de récupérer son bien. Sur ce point, la Cour convient avec le Gouvernement que cette récupération n’aurait pas dû s’effectuer au détriment de l’intérêt public. Ainsi, étant donné le fait que le requérant s’était vu allouer une indemnité complète lors de l’expropriation de son terrain, il n’est pas déraisonnable que l’État ait procédé environ trente ans environ plus tard, sur la base de la législation pertinente, à un réajustement du montant perçu par le premier.
48. Se penchant sur la formule de réajustement prévue par l’article 12 de la loi no 2882/2001, la Cour note que ladite disposition ne prévoit qu’une équation qui consiste à multiplier l’indemnité d’expropriation perçue par l’intéressé avec le rapport entre l’indice annuel moyen des prix à la consommation de l’année de fixation de l’indemnité pour la récupération du bien et celui de la date d’encaissement de l’indemnité d’expropriation par son titulaire. En d’autres termes, le système mis en œuvre à l’époque des faits par la législation pertinente reposait sur l’évolution des prix à la consommation pendant la période où le terrain concerné était exproprié ; il permettait l’actualisation du montant correspondant à l’indemnité d’expropriation sur la base du pouvoir d’achat de la même somme à la date où l’intéressé avait demandé la récupération du terrain.
49. La Cour convient avec le Gouvernement que l’indice annuel moyen des prix à la consommation constitue un critère simple et objectif pour le réajustement de la somme à payer à l’État en vue de la récupération du terrain litigieux. Il sert ainsi à l’actualisation de la somme reçue par l’intéressé à titre d’indemnité d’expropriation à l’aune d’un indice économique qui permet d’estimer entre deux périodes données la variation moyenne des prix de produits et donc l’évolution de la valeur de la monnaie.
50. La Cour note cependant, comme l’indique le requérant, que le critère de l’indice annuel moyen des prix à la consommation est de caractère abstrait, se focalise sur la situation économique générale du pays et ne permet pas de tirer de conclusions pertinentes sur l’évolution du marché immobilier de celui-ci pendant une période donnée et, d’autant plus, sur l’évolution de la valeur d’un bien immobilier particulier. Etant l’unique outil à employer pour le réajustement de la somme à payer, ledit critère se caractérise par une certaine rigidité qui peut compromettre sa pertinence lors de son application dans des cas concrets.
51. À cet égard, la Cour rappelle que dans une affaire issue d’une requête individuelle, il lui faut se borner à l’examen du cas concret dont on l’a saisie. Sa tâche ne consiste point à contrôler in abstracto la loi applicable en l’espèce au regard de la Convention, mais à rechercher si la manière dont elle a été appliquée au requérant ou l’a touchée a enfreint la Convention (Olsson c. Suède (no 1), arrêt du 24 mars 1988, série A no 130, § 54). Pour revenir au cas d’espèce, l’application du critère précité n’a pas permis à l’autorité compétente de prendre en compte d’autres éléments qui étaient pertinents, ou même nécessaires, pour un juste calcul de la somme à rembourser à l’État. Ainsi, à titre d’exemple, l’autorité compétente n’a pas pu tenir compte de la valeur vénale du terrain à l’époque des faits ainsi que de la valeur de terrains limitrophes ou d’autres terrains sis au même quartier qui avaient été expropriés à l’époque. La Cour a d’ailleurs affirmé que l’indemnité d’expropriation pour un terrain constructible doit correspondre à la valeur marchande de celui-ci (voir, mutatis mutandis, Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 105, 22 décembre 2009).
52. En outre, la Cour estime qu’il ne lui appartient pas de fixer à quel moment dans le temps l’administration aurait dû se placer pour fixer le montant réajusté de l’indemnité d’expropriation. Toutefois, pour apprécier la proportionnalité entre ce montant et la valeur réelle du bien du requérant, la Cour ne peut pas ignorer l’évolution du marché immobilier en Grèce, telle qu’elle ressort du dossier, et la durée de la procédure de révocation de l’expropriation litigieuse. En effet, si la procédure relative à la fixation de la somme à payer par le requérant pour récupérer son bien a pris fin le 5 février 2009 (avec la mise au net de l’arrêt no 2492/2008 du Conseil d’Etat), la Cour note que le requérant a pour la première fois demandé cette révocation en 1992 et que le Conseil d’Etat s’est prononcé sur celle-ci en 2004, jugeant que le but de l’expropriation avait été abandonné.
53. Il n’appartient pas non plus à la Cour de dire quel est le montant exact que le requérant devait verser à l’Etat au titre de l’indemnité réajustée. Toutefois, compte tenu des considérations ci-dessus, la Cour estime qu’il existe une grande différence entre le montant réclamé par l’Etat (paragraphes 8 et 10 ci-dessus) et la valeur réelle du terrain telle qu’elle ressort des éléments du dossier (voir notamment le paragraphe 13 ci-dessus). Cette différence ne saurait passer pour raisonnable en l’espèce.
54. Par ailleurs, selon la nouvelle formulation de l’article 12 de ladite loi (paragraphe 16 ci-dessus), le Comité administratif ou l’expert indépendant prennent en compte plusieurs éléments pertinents pour évaluer le prix du bien immobilier, tels que la valeur des terrains adjacents ou similaires ainsi que le possible revenu résultant de l’exploitation du terrain. De plus, en cas de désaccord sur le montant de l’indemnité due entre l’État et l’intéressé, les juridictions compétentes tranchent le différend sans être obligées par la loi d’appliquer un critère tel que l’indice annuel moyen des prix à la consommation.
55. En outre, la Cour estime important de relever qu’en l’occurrence les deux décisions administratives nos 1087631/6632/Δ0010 et 1064217/4182/Δ0010, par lesquelles l’autorité compétente a fixé l’indemnité à payer pour la récupération du terrain litigieux, sont toujours valides. Comme il est confirmé par le Gouvernement, c’est à la discrétion totale de l’administration de recalculer l’indemnité à payer au cas où le requérant reviendrait devant elle avec une nouvelle demande de ce type. Or, la valeur actuelle du terrain en cause selon l’estimation de l’autorité fiscale compétente est aujourd’hui de 254 853,03 euros, à savoir bien inférieure à celle fixée par la décision no 1064217/4182/Δ0010 (paragraphe 10 ci-dessus). Il est donc évident que le requérant se trouve devant une situation d’impasse qui rend de fait impossible la récupération de sa propriété.
56. Au demeurant, force est de constater que devant le Conseil d’État le requérant a soulevé des arguments précis tirés de l’article 17 de la Constitution et de l’article 1 du Protocole no 1. Or la haute juridiction administrative s’est bornée à rappeler sa jurisprudence sur la nature administrative de la révocation d’une expropriation accomplie et de considérer, sans autre explication, qu’une atteinte au droit au respect des biens n’était pas établie. La Cour considère alors que le requérant n’a pas eu une occasion adéquate de contester effectivement devant les autorités judiciaires les mesures portant atteinte à son droit garanti par l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphe 43 ci-dessus).
57. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que, dans le cas d’espèce, le critère tel qu’appliqué au requérant à l’époque des faits en vertu de l’article 12 de la loi no 2882/2001, ainsi que le raisonnement du Conseil d’État dans son arrêt no 2492/2008 ont rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt public et les impératifs de la sauvegarde du droit de l’intéressé au respect de ses biens.
58. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
59. Quant au grief du requérant relatif à l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour considère qu’il se confond avec celui qu’elle a examiné sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1. Vu ses conclusions à cet égard (voir paragraphe 58 ci-dessus), la Cour n’estime pas nécessaire de se placer également sur le terrain de l’article 6.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
60. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
61. En ce qui concerne le dommage matériel subi, le requérant réclame 632 976,50 euros (EUR), somme qui résulterait de la déduction du montant de 22 677,92 euros, reçu à titre d’indemnité d’expropriation, du montant de 665 654,42 fixé par la décision no 1064217/4182/Δ0010. Quant au dommage moral, il réclame 10 000 EUR. Enfin, il demande 3 773 EUR pour frais et dépens.
62. Le Gouvernement estime que les prétentions du requérant sont infondées et excessives. Il soutient que, si et dans la mesure où la Cour devait constater une violation de l’article 1 du Protocole no 1, elle devrait donner aux parties la possibilité de présenter des observations complémentaires sur la question de la satisfaction équitable.
63. La Cour estime que la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état. En conséquence, elle la réserve et fixera la procédure ultérieure, compte tenu de la possibilité que le Gouvernement et le requérant parviennent à un accord, tenant compte de la nouvelle procédure prévue par l’article 12 de la loi no 2882/2001, tel que modifié par l’article 127 § 1 de la loi no 4070/2012 (article 75 § 1 du règlement de la Cour).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence,
a) la réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur la question et, en particulier, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue à la présidente de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Abel Campos Mirjana
Lazarova Trajkovska
Greffier Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion concordante du juge Koskelo, à laquelle les juges Spano et Eike déclarent se rallier.
M.L.T.
A.C.
OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE KOSKELO, À LAQUELLE SE RALLIENT LES JUGES SPANO ET EICKE
(Traduction)
64. À l’instar de la majorité, j’ai voté pour le constat d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1 dans la présente affaire. Toutefois, à mon grand regret, je ne puis souscrire au raisonnement qui sous-tend ce constat.
65. Je rappellerai d’abord brièvement les faits pertinents.
66. En 1976, l’État a exproprié le requérant d’un terrain situé dans le quartier de Plaka, à Athènes, dans le but d’y effectuer des fouilles archéologiques. Cette expropriation était légale et le titre de propriété sur le terrain a ainsi été transféré à l’État. Par conséquent, depuis l’accomplissement de l’expropriation, le requérant n’est plus propriétaire du terrain et ne détient plus aucun autre droit sur celui-ci.
67. Le droit grec prévoit qu’il est possible de révoquer une expropriation, entièrement ou partiellement, si le service compétent estime qu’il n’est plus nécessaire que l’État conserve le bien en question dans un but d’utilité publique et si l’ancien propriétaire accepte cette révocation (article 12 § 1 de la loi no 2882/2001). En pareil cas, l’ancien propriétaire contre lequel l’expropriation a été déclarée est en droit de récupérer le bien moyennant le paiement d’une somme. D’après la législation en vigueur à l’époque des faits, cette somme correspondait à l’indemnité que l’ancien propriétaire avait reçue au moment de l’expropriation ajustée par une méthode d’indexation fondée sur l’indice des prix à la consommation. Le droit grec établit qu’une telle révocation n’entraîne pas l’annulation de l’expropriation ex tunc mais constitue un acte administratif nouveau par lequel l’expropriation est révoquée ex nunc (voir à cet égard le paragraphe 11 de l’arrêt de la chambre) à condition que l’ancien propriétaire procède au paiement requis (article 12 § 3 de la loi).
68. En l’espèce, l’expropriation a été révoquée par une décision rendue en 2004. La somme à payer par le requérant a été fixée d’abord par une décision prise en 2005 puis, à la suite d’une seconde demande formulée par le requérant, par une décision prise en 2008 (et devenue définitive le 5 février 2009). Le montant final, ajusté sur la base de l’indice des prix à la consommation, s’établissait à 665 645,42 euros (EUR).
69. Devant la Cour, le requérant se plaint essentiellement d’une violation de ses droits protégés par l’article 1 du Protocole no 1 du fait du caractère selon lui excessif du montant susmentionné. Il pense que ce montant est exagéré au regard de la somme qu’il a reçue au moment de l’expropriation. Il avance également que la valeur du bien en 2012 était nettement inférieure à la somme qui lui a été demandée, et que cette valeur était encore plus faible en 2016.
70. Concernant, en premier lieu, l’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1, il est clair que l’expropriation litigieuse, qui était en elle-même conforme à la loi, a privé le requérant de tout titre de propriété sur le bien en question. En d’autres termes, le requérant ne disposait plus sur le bien d’aucun droit qui lui aurait permis de se prévaloir de la protection garantie par ledit article.
71. La révocation de l’expropriation a modifié la situation. En vertu du droit interne, cette révocation a en effet conféré au requérant, en sa qualité d’ancien propriétaire, un droit de préemption lui permettant de récupérer le terrain moyennant le paiement d’une somme définie par les dispositions légales pertinentes. Même si l’article 1 du Protocole no 1 ne garantit pas le droit d’acquérir des biens, dans les circonstances de l’espèce, la révocation a créé pour le requérant un nouvel intérêt patrimonial entraînant l’applicabilité dudit article.
72. En revanche, compte tenu du caractère discrétionnaire du droit interne régissant cette révocation, tel qu’invoqué par le Gouvernement et tel qu’énoncé dans le libellé même de la disposition pertinente, on ne saurait considérer que, jusqu’à ce que la révocation fût effective, le requérant pouvait nourrir plus qu’un espoir de parvenir à une situation où il serait en droit de récupérer son ancien terrain. C’est la révocation de l’expropriation, qui s’est accompagnée en vertu de la législation grecque du droit de préemption susmentionné, qui fait relever la cause de l’article 1 du Protocole no 1. Selon la jurisprudence constante de la Cour, ni l’espoir que le requérant a pu à une époque nourrir à cet égard ni un grief défendable ne peuvent en effet à eux seuls être considérés comme « un bien » susceptible d’entraîner l’application dudit article (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 49 et 52, CEDH 2004-IX, et Zhigalev c. Russie, no 54891/00, § 146, 6 juillet 2006).
73. Concernant, en second lieu, le point de savoir si l’article 1 du Protocole no 1 a été respecté en l’espèce, le grief soulève la question de la condition qui a été imposée au requérant pour que celui-ci ait le droit de récupérer son ancien terrain, c’est-à-dire l’obligation de payer une somme que le requérant trouve excessive.
74. Il est manifeste que les conditions attachées à l’exercice d’un droit peuvent être d’une nature telle qu’elles constituent une atteinte audit droit. Cela étant, lorsque l’État révoque une expropriation alors que cette expropriation était en elle-même légitime et avait été prononcée longtemps auparavant, il est évident qu’on ne peut pas raisonnablement attendre de lui qu’il accorde à l’ancien propriétaire un droit de préemption qui le privilégierait en lui permettant de récupérer son ancien bien sans lui imposer un certain ajustement de la somme à payer en contrepartie. En pareilles circonstances, le principe d’un ajustement ne saurait en lui-même constituer une atteinte au droit en question.
75. Je conviens en revanche que les faits de la cause, et notamment l’allégation selon laquelle la somme exigée du requérant était exorbitante, commandent de rechercher si les conditions attachées à la possibilité pour l’intéressé de récupérer son ancien terrain satisfont aux exigences matérielles de l’article 1 du Protocole no 1. Je ne suis pas non plus en désaccord avec la majorité lorsqu’elle constate (paragraphe 45 de l’arrêt) que la présente affaire relève de la règle générale énoncée à l’article 1 du Protocole no 1.
76. Partant, il s’agit de déterminer si la fixation du prix à payer par le requérant pour récupérer son bien a ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu, à savoir l’intérêt privé du requérant, qui aspirait à exercer le droit de récupérer son bien prévu par la législation nationale, et l’intérêt général, qui voulait en l’espèce que le terrain détenu par l’État ne fût pas cédé à un prix trop faible.
77. Selon la jurisprudence constante de la Cour, en pareilles circonstances, les États disposent d’une ample marge d’appréciation pour décider des politiques qu’ils entendent mener par le biais de la législation nationale (voir, mutatis mutandis, Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986, §§ 121-122, série A no 102). Non seulement la Convention n’impose aux États ni l’obligation de révoquer des expropriations décidées sur une base légale ni celle d’accorder aux anciens propriétaires le droit de récupérer leurs biens, mais un État qui choisit de se doter d’une législation en ce sens dispose également d’une ample marge d’appréciation pour fixer les conditions dont il souhaite assortir ces mesures, notamment concernant les méthodes de calcul du prix à payer en contrepartie de la récupération des biens. En tant que telle, l’application d’une méthode d’indexation ne saurait soulever d’objection sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, en particulier lorsque le principe ayant présidé à son adoption n’était nullement, comme le souligne le Gouvernement, de pénaliser en général les anciens propriétaires concernés.
78. La Cour est donc appelée à trancher la question de savoir si, dans les circonstances concrètes de l’espèce, l’application du droit interne donne un résultat disproportionné du point de vue du requérant. Si le droit interne, comme en l’espèce, confère à l’ancien propriétaire d’un terrain ayant fait l’objet d’une expropriation un droit de préemption pour la ré-acquisition dudit terrain, ce droit peut dans les faits être entravé lorsque la somme à débourser en contrepartie n’est pas raisonnablement proportionnée à la valeur réelle du terrain en question. En pareilles circonstances, il est possible que l’on atteigne alors les limites de la marge d’appréciation dont jouit l’État.
79. À cet égard, je considère que, pour déterminer si l’État défendeur a ou non honoré ses obligations au titre l’article 1 du Protocole no 1, il convient de comparer le montant que le requérant a dû payer et la valeur réelle du bien à l’époque correspondante.
80. La majorité estime (paragraphe 52 de l’arrêt) que, pour déterminer si le montant demandé était raisonnablement proportionné à la valeur réelle du bien, il y a lieu de tenir compte de l’évolution du marché de l’immobilier en Grèce. Cela suppose de s’intéresser non seulement à l’évolution des prix des biens immobiliers jusqu’au moment où les autorités nationales ont pris les décisions pertinentes concernant le droit du requérant à récupérer son ancien bien, mais également à la manière dont ces prix ont évolué ultérieurement, c’est-à-dire durant les années pendant lesquelles la requête est restée pendante devant la Cour. La majorité considère également que cette analyse doit prendre en compte la durée de la procédure qui a précédé la révocation de l’expropriation et la fixation du montant à payer par le requérant pour récupérer son ancien terrain.
81. Je suis en désaccord avec ce raisonnement, qui pose à mon avis plusieurs problèmes.
82. Premièrement, je pense qu’il n’est pas juste de tenir compte de l’évolution des prix des biens immobiliers postérieurement à l’adoption des décisions pertinentes par les autorités nationales, c’est-à-dire pendant la période où la requête était pendante devant la Cour. La question à trancher est celle de savoir si l’État défendeur a commis une violation de l’article 1 du Protocole no 1, et non celle de l’ampleur du préjudice résultant d’une violation déjà établie. À mon avis, pour dire si l’État défendeur a ou non imposé au requérant une obligation de paiement disproportionnée et, par conséquent, constitutive d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1, on ne peut pas retenir comme critère déterminant la baisse des prix des biens immobiliers qui a été observée depuis l’adoption par les autorités nationales des décisions en question. Selon la même logique, si, après l’adoption desdites décisions, les prix de l’immobilier avaient évolué en sens inverse, ils auraient « effacé » une violation dont l’État défendeur aurait sinon pu être tenu pour responsable.
83. Deuxièmement, lorsqu’elle mentionne la durée de la procédure, la majorité indique que la période pertinente dans ce contexte est celle comprise entre 1992, l’année de la première demande de révocation de l’expropriation formulée par le requérant, et 2004, l’année du prononcé effectif de la révocation. Or le droit qui fait entrer en jeu l’article 1 du Protocole no 1 n’est apparu qu’avec la révocation de l’expropriation. Avant ladite révocation, le requérant ne disposait encore à l’égard du bien en question d’aucun droit subjectif susceptible de relever dudit article. Je ne pense pas que la responsabilité de l’État défendeur au regard de l’article 1 du Protocole no 1 puisse dépendre de circonstances qui concernent une période pendant laquelle l’article en question n’était même pas applicable. Après tout, selon la jurisprudence constante de la Cour, il n’y a lieu de rechercher si un juste équilibre a été ménagé qu’à partir du moment où a été établie l’existence d’une ingérence qui satisfasse à l’exigence de légalité et qui ne soit pas arbitraire (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 110, CEDH 2000-I). Encore faut-il pour cela qu’il existe un droit entrant dans le champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1.
84. Dans le même ordre d’idées, dans les affaires relatives à l’article 1 du Protocole no 1 dans lesquelles l’incertitude a conduit à un constat de violation, l’action ou l’inaction de l’État avait engendré une incertitude prolongée dans l’exercice d’un droit patrimonial déjà existant et ouvrant droit à une protection au titre dudit article (Beyeler, précité, §§ 105 et 110). Tel n’est pas le cas en l’espèce. Comme indiqué plus haut, et comme la majorité semble également l’admettre (paragraphes 38 et 46 de l’arrêt), c’est la révocation de l’expropriation, qui s’est accompagnée pour l’ancien propriétaire du droit de récupérer son terrain, qui entraîne l’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1 en l’espèce.
85. De plus, il ne relève ni des moyens ni des attributions de la Cour de se substituer aux juridictions nationales et de considérer que les autorités nationales auraient dû révoquer l’expropriation plus tôt qu’elles ne l’ont fait, c’est-à-dire qu’elles n’auraient pas dû laisser passer autant de temps avant de conclure que ni le but initial ni aucun autre but d’utilité publique ne justifiait que l’État conservât la propriété du terrain qui avait fait l’objet d’une expropriation légitime.
86. Troisièmement, je vois une contradiction mutuelle entre les deux éléments qui, selon la majorité, influent sur l’appréciation du caractère disproportionné de la somme demandée au requérant au regard de la valeur réelle du terrain.
87. Dans une appréciation sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, une prise en compte de la durée de la procédure implique dans le contexte de l’espèce que la révocation de l’expropriation aurait dû être décidée plus tôt. Comme déjà indiqué, ce point de vue présuppose que ledit article s’appliquait déjà à l’espoir, pour le requérant, d’obtenir une révocation, ce qui contredit la jurisprudence constante de la Cour.
88. En tout état de cause, si l’expropriation avait effectivement été révoquée plus tôt, les deux termes de la comparaison, à savoir le résultat de l’indexation et la valeur réelle du terrain, auraient été différents de ce qu’ils étaient à la date à laquelle les décisions pertinentes ont été prises. De surcroît, et c’est plus important, si l’expropriation avait été révoquée plus tôt et si elle avait permis au requérant de récupérer son ancien terrain, il est évident que celui-ci aurait supporté seul les conséquences de toute baisse ultérieure de la valeur réelle du bien.
89. Or la motivation exposée par la majorité signifie non seulement que l’expropriation aurait dû être révoquée avant 2004, mais aussi que parce que cela n’a pas été le cas, il faudrait aujourd’hui déterminer la responsabilité de l’État défendeur au regard de l’article 1 du Protocole no 1 comme si la révocation avait eu lieu de nombreuses années après 2004, c’est-à-dire en se référant aux prix des biens immobiliers constatés actuellement, qui sont nettement inférieurs à ceux relevés à l’époque où l’obligation de paiement en vue de la récupération du bien a été définie au niveau national. Je ne puis suivre pareil raisonnement. S’il n’appartient pas à la Cour de se livrer à ses propres constatations de fait, notamment concernant les statistiques économiques pertinentes, celle-ci doit toutefois exposer avec suffisamment de clarté la logique sur laquelle elle se fonde pour établir la responsabilité d’un État défendeur au titre de la Convention, en l’occurrence de l’article 1 du Protocole no 1.
90. À mon avis, la question à trancher en l’espèce est celle de savoir si l’État défendeur a subordonné le droit pour le requérant de récupérer son ancien terrain à une obligation de paiement qui était disproportionnée au regard de la valeur réelle du terrain au moment où les autorités ont pris les décisions définitives en la matière.
91. Je rappelle que l’expropriation a été révoquée en 2004 et que le montant à payer par le requérant pour récupérer son ancien bien a été fixé en 2005 à 601 705,67 EUR, puis, à la suite d’une seconde demande formulée par le requérant, en 2008 à 665 645,42 EUR, desquels il convenait de déduire le montant de l’indemnisation initialement reçue par le requérant en compensation de l’expropriation, soit 22 677,92 EUR. Cette dernière décision est devenue définitive le 5 février 2009.
92. Le Gouvernement soutient que la valeur objective du terrain en 2008 s’établissait à 664 565 EUR. Il apparaît toutefois que cette valeur correspond à celle d’un terrain bâti de la même superficie et situé dans la même zone, alors que le terrain en question est une parcelle nue. En d’autres termes, pour exercer son droit à récupérer le terrain, le requérant aurait été contraint de payer une somme correspondant approximativement à la valeur d’un terrain bâti, alors même que la parcelle en cause ne portait aucune construction. Dans les circonstances de l’espèce, cela suffit pour conclure que la somme demandée était disproportionnée à la valeur réelle du terrain à l’époque. C’est sur cette base que je me rallie au constat d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1.