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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> VONICA v. ROMANIA - 78344/14 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section Committee)) French Text [2017] ECHR 212 (28 February 2017)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/212.html
Cite as: [2017] ECHR 212, ECLI:CE:ECHR:2017:0228JUD007834414, CE:ECHR:2017:0228JUD007834414

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE VONICA c. ROUMANIE

     

    (Requête no 78344/14)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    28 février 2017

     

     

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Vonica c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

              Paulo Pinto de Albuquerque, président,
              Iulia Motoc,
              Marko Bošnjak, juges,
    et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 février 2017,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 78344/14) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Daniela Ioana Vonica (« la requérante »), a saisi la Cour le 4 décembre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  La requérante a été représentée par Me E.C. Iordăchescu, avocat à Cluj-Napoca. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

    3.  Le 22 avril 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    4.  Le Gouvernement s’est opposé à l’examen de la requête par un comité. Après avoir examiné l’objection du Gouvernement, la Cour l’a rejetée.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  La requérante est née en 1958 et réside à Sibiu.

    A.  Les conditions matérielles de détention de la requérante

    6.  Le 20 mai 2014, la requérante fut placée en garde à vue pour
    vingt-quatre heures. Elle était accusée d’escroquerie, d’évasion fiscale et de blanchissement d’argent. Elle était soupçonnée d’avoir sciemment enregistré et transmis à la caisse d’assurance maladie, pour remboursement, 1 100 fausses ordonnances médicales prescrivant des traitements oncologiques. Elle aurait commis ces faits entre décembre 2008 et octobre 2010, en sa qualité de gérante d’une chaîne de pharmacies.

    7.  Le 20 mai 2014 vers 3 heures du matin, la requérante fut incarcérée au centre de rétention et de détention provisoire no 1 de la direction générale de la police de Bucarest (« le centre de détention »).

    8.  Le lendemain, le tribunal départemental de Bucarest ordonna son placement en détention provisoire.

    9.  La requérante fut incarcérée jusqu’au 20 juillet 2014, date à laquelle le tribunal décida le remplacement de la mesure de détention provisoire par celle d’assignation à résidence.

    1.  Les conditions de détention telles que décrites par la requérante

    10.  La requérante indique qu’elle a été détenue dans une cellule de 8,7 m² avec trois autres personnes et que, certains jours, en raison du manque de place dans le centre de détention, une personne supplémentaire était placée dans sa cellule pour une à trois nuits. Elle déclare qu’un lit superposé lui avait été attribué et qu’elle dormait sur un matelas en mousse sale et sans draps.

    11.  Elle ajoute que la cellule était dotée de quatre lits superposés, d’une table, d’un lavabo et de toilettes séparées du reste de la pièce par un rideau et que la douche, un simple tuyau, était installée au-dessus des toilettes. Selon la requérante, le nettoyage de la cellule était assuré par les détenues avec des produits fournis par leurs familles.

    12.  La requérante indique que la cellule, éclairée par un tube à néon allumé en permanence, était dotée d’une fenêtre de petites dimensions placée en hauteur et donc, selon elle, difficilement accessible. Elle ajoute que les barreaux métalliques dont cette fenêtre était pourvue empêchaient son ouverture et sa fermeture complètes. En été, la cellule aurait été surchauffée.

    13.  La requérante déclare enfin que les sorties étaient autorisées pendant une heure par jour dans une petite cour. Selon elle, cette cour avait les mêmes dimensions que la cellule et elle était clôturée par des murs en béton très hauts qui auraient créé un effet de serre.

    2.  Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement

    14.  Le Gouvernement indique que la requérante a été détenue dans une cellule de 8,62 m² qu’elle partageait avec trois autres personnes. Il lui aurait été attribué un lit pourvu d’un matelas, d’un oreiller, de draps et d’une couverture, tous en bon état. La cellule aurait disposé d’un lavabo, d’une douche et de toilettes, et l’eau, froide et chaude, y était disponible à tout moment.

    15.  La cellule aurait bénéficié d’un éclairage et d’une ventilation naturels et elle aurait été chauffée.

    16.  Le nettoyage de la cellule aurait été assuré par les détenues avec les produits fournis par leurs familles ou par le centre de détention.

    17.  La requérante aurait bénéficié d’une heure de promenade quotidienne dans l’une des deux cours prévues à cet effet et qui auraient mesuré chacune 20,23 m².

    B.  Les demandes de sortie de la requérante pour assister aux obsèques de son mari

    1.  Procédure administrative

    18.  Le 4 juin 2014, la requérante, par le biais de son avocat, déposa auprès du parquet chargé de l’enquête pénale dirigée à son encontre (« le parquet »), une demande d’autorisation de sortie du centre de détention le 8 juin 2014 afin d’assister aux obsèques de son mari, avec lequel elle avait été mariée pendant 32 ans. Elle fonda sa demande sur l’article 4 de la loi no 254/2013 relative à l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté ordonnées par les autorités judiciaires au cours du procès pénal (« la loi no 254/2013 », paragraphe 32 ci-après), qui prévoit que lesdites peines et mesures sont exécutées dans des conditions assurant le respect de la dignité humaine. Elle fonda également sa demande sur l’article 8 de la Convention.

    19.  Le même jour, le parquet informa la requérante que sa demande avait été transmise au centre de détention, en vertu de l’article 110 §§ 1 et 4 de la loi no 254/2013 (paragraphe 32 ci-après).

    20.  Par une lettre du 5 juin 2014, le directeur du centre de détention informa le parquet que l’article 110 §§ 1 et 4 de la loi no 254/2013 n’était pas applicable aux personnes placées en détention provisoire et que l’avocat de la requérante ne se référait pas à « une autorisation » ou à « une permission » au sens de la loi, mais seulement à une sortie sous escorte pour une période déterminée en vue de la participation aux obsèques. Il demanda au parquet d’exprimer son avis quant à l’effet d’une telle sortie sur l’enquête pénale en cours.

    21.  Par une lettre du même jour, le parquet informa le centre de détention que la sortie sous escorte de la requérante le 6 ou le 7 juin 2014 afin d’assister pendant trois heures à la veillée funèbre de son mari n’entraverait pas l’enquête pénale.

    22.  Les 6 et 7 juin 2014, la requérante réitéra auprès du parquet ses demandes de participation aux obsèques devant se tenir le 8 juin.

    23.  Par une décision du 7 juin 2014, le parquet autorisa la sortie de la requérante sous escorte, le même jour, afin qu’elle puisse assister à la veillée funèbre pendant trois heures. Le parquet fonda sa décision sur l’article 110 § 2 de la loi no 254/2013 (paragraphe 32 ci-après), qui régit le droit de visite des personnes contre lesquelles une mesure provisoire privative de liberté a été prise, sur l’article 8 de la Convention et sur la jurisprudence de la Cour. Il précisa que cette sortie n’entraverait pas l’enquête pénale.

    24.  La requérante put participer à la veillée funèbre dans les conditions précisées par le parquet.

    2.  Procédure judiciaire

    25.  Parallèlement, le 4 juin 2014, la requérante, par le biais de son avocat, demanda au parquet, toujours dans le but de participer aux obsèques de son mari, le remplacement de la mesure de détention provisoire par une mesure de contrôle judiciaire pour une durée de cinq jours. Elle fondait sa demande sur l’article 8 de la Convention, sur la jurisprudence de la Cour en la matière, sur la recommandation du Conseil de l’Europe relative aux règles pénitentiaires européennes (paragraphe 35 ci-après) et sur les dispositions de la loi no 254/2013. Elle se plaignait en outre que les personnes placées en détention provisoire ne bénéficiaient pas des mêmes droits que les détenus condamnés et précisait que, selon l’article 110 de la loi précitée, les personnes placées en détention provisoire, à la différence des détenus condamnés, ne pouvaient pas bénéficier d’autorisations de sortie de prison pour des motifs concernant leurs relations de famille.

    26.  Cette demande fut également transmise par le parquet au tribunal départemental de Bucarest.

    27.  Par une décision du 5 juin 2014, le tribunal départemental de Bucarest accueillit la demande de la requérante. Il estima que le décès du mari de cette dernière constituait une modification de la situation personnelle de celle-ci au sens de l’article 242 § 2 du code de procédure pénale, lequel autorisait dans ce cas le remplacement d’une mesure provisoire par une autre plus légère (paragraphe 33 ci-après). Par ailleurs, il jugea que le refus des juridictions nationales de se prononcer sur la demande de la requérante, indépendamment de l’existence d’une procédure administrative permettant d’atteindre le même résultat, s’analysait en une violation de l’article 8 de la Convention. Il constata en outre que les faits reprochés à la requérante, qui auraient été commis entre 2008 et 2010, ne se déroulaient pas actuellement et n’étaient pas en cours, de sorte qu’ils ne pouvaient être ni modifiés ni cachés par la requérante. Par ailleurs, le tribunal ajouta que, en cas de révocation de la détention provisoire, la loi pénale prévoyait des mesures suffisantes aptes à assurer le bon déroulement du procès pénal.

    En conséquence, le tribunal, estimant que le remplacement temporaire de la détention provisoire n’était pas permis par la loi, décida le remplacement définitif de la mesure de détention provisoire par un contrôle judiciaire assorti de plusieurs obligations à la charge de la requérante afin de garantir que l’enquête pénale ne soit pas entravée.

    28.  Le parquet forma un recours contre cette décision et demanda le maintien de la requérante en détention provisoire. Il versa au dossier une lettre datée du 5 juin 2014 et envoyée au centre de détention dans laquelle il exprimait son accord pour la sortie de la requérante sous escorte. Dans cette lettre, il mentionnait que la sortie de celle-ci le 6 ou le 7 juin 2014 afin qu’elle puisse assister à la veillée funèbre de son mari pendant trois heures n’entraverait pas l’enquête (paragraphe 21 ci-dessus).

    29.  La requérante argua que, la décision du parquet étant intervenue tardivement, sa participation à la veillée funèbre était impossible. Elle réitéra son argument relatif à la différence de traitement entre les personnes placées en détention provisoire et les détenus condamnés quant à la possibilité de sortir du centre de détention pour participer aux funérailles d’un proche.

    30.  Par une décision du 7 juin 2014, la cour d’appel de Bucarest accueillit le recours du parquet et, sur le fond, rejeta la demande de la requérante tendant au remplacement de la mesure de détention provisoire. Pour ce faire, la cour d’appel constata que la mesure était légale et bien fondée. Elle se référa à la gravité des faits reprochés, au grand nombre d’actes matériels en cause, à la hauteur du préjudice en résultant, à l’impact négatif sur l’opinion publique de l’éventuelle mise en liberté de la requérante deux semaines seulement après son arrestation, et au fait qu’elle était suspectée d’avoir commis les faits reprochés en sa qualité de médecin. Elle estima en outre que le maintien de la requérante en détention était justifié par la nécessité d’empêcher des ententes frauduleuses entre les inculpés et les témoins, ententes qui avaient jusqu’alors entravé l’enquête pénale.

    Sans pour autant critiquer l’interprétation que le tribunal de première instance avait faite de l’article 8 de la Convention, la cour d’appel considéra que le document que le parquet venait de verser au dossier (paragraphe 21 ci-dessus) changeait la situation de fait. Elle se référa en ces termes au document du parquet :

    « l’inculpée [pouvait] être conduite sous escorte aux funérailles de son mari décédé et [...] elle avait la possibilité de participer pendant trois heures aux cérémonies organisées pour cet événement.

    Ainsi, on peut noter que l’État, par [le biais de] ses institutions, a pris une mesure positive, apte à garantir le droit de l’inculpée à la vie de famille, permettant à
    celle-ci de [participer à l’adieu à] une personne extrêmement proche [d’elle]. »

    La cour d’appel fit la conclusion suivante :

    « mettant en balance l’intérêt particulier de l’inculpée et l’intérêt public, [à savoir] le bon déroulement du procès pénal, le juge constate que l’intérêt particulier de l’accusée a été assuré et respecté dans la modalité susmentionnée (la possibilité qu’elle soit conduite sous escorte aux funérailles de son mari), de sorte que, à présent, c’est l’intérêt public qui l’emporte. »

    31.  Par conséquent, la requérante ne put pas participer aux funérailles de son mari qui eurent lieu le 8 juin 2014.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    32.  Les dispositions pertinentes de la loi no 254/2013 sont ainsi libellées :

    Article 4 § 1

    « Les peines et les mesures privatives de liberté sont mises à exécution dans le respect de la dignité humaine. »

    Article 98 § 1 (Récompenses)

    « 1. Les personnes condamnées ayant une bonne conduite et fait preuve d’assiduité dans le travail ou dans le cadre d’activités éducatives, morales et religieuses, culturelles, thérapeutiques, de conciliation psychologique ou d’assistance sociale, d’enseignement ou de formation professionnelle, peuvent se voir accorder les récompenses suivantes :

    (...)

    e) une autorisation de sortie de prison pour un jour, mais sans dépasser quinze jours par an ;

    f) une autorisation de sortie de prison pendant une période de cinq jours au maximum, mais sans dépasser vingt-cinq jours par an ;

    g) une autorisation de sortie de prison pour une période de dix jours au maximum, mais sans dépasser trente jours par an. »

    Article 99 §§ 1 et 5 (Autorisation de sortie de prison)

    « 1. Une autorisation de sortie de prison peut être accordée, sur la base de l’article 98, dans les cas suivants :

    (...)

    c) pour le maintien des relations de famille de la personne condamnée ; (...)

    e) pour la participation de la personne condamnée aux obsèques de son mari, de sa femme, de son enfant, de son parent, de son frère, de sa sœur, de son grand-père ou de sa grand-mère.

    (...)

    5. Une autorisation de sortie de prison pour le cas prévu au point e) du premier alinéa peut être accordée pour une durée maximale de cinq jours à toute personne condamnée, à l’exception de[s personnes qui purgent leur] peine sous le régime de haute sécurité, si elle remplit les conditions prévues à l’article 98 § 1. »

    Article 110 §§ 1 et 2

    « 1. Les dispositions du titre I, du titre II ainsi que celles des chapitres II, IV-VI et IX du titre III, pour autant qu’elles ne contreviennent aux dispositions du présent titre [L’exécution des mesures privatives de liberté dans les centres de garde à vue et de détention provisoire], sont également applicables, à l’exception des dispositions relatives à : (...)

    e) l’autorisation de sortie de la prison prévue à (..) l’article 98 § 1 e) à g) ;

    (...)

    2. Le droit de la personne placée en détention provisoire au cours des poursuites pénales de recevoir des visites et de communiquer avec les média peut être mis en application uniquement après accord du procureur chargé d’effectuer ou de surveiller les poursuites pénales.

    (...)

    4. Les récompenses sont accordées et les sanctions disciplinaires sont prises par une commission nommée annuellement par le directeur de l’unité ; elle est formée d’un des directeurs adjoints en tant que président, du directeur du centre de rétention et d’arrêt, d’un officier ayant des connaissances juridiques, en tant que membres de la commission, ainsi que d’un secrétaire. »

    33.  Les dispositions de l’article 242 § 2 du code de procédure pénale sont ainsi libellées :

    « La mesure provisoire est remplacée, d’office ou sur demande, par une mesure provisoire plus clémente si les conditions prévues par la loi pour cette dernière mesure sont remplies et si, après évaluation des circonstances concrètes de la cause et de la conduite de l’inculpé pendant la procédure, il peut être considéré que la mesure plus clémente est suffisante pour la réalisation des buts [généraux] prévus à l’article 202 § 1 [pour toutes les mesures préventives]. »

    34.  D’après les informations fournies par le ministère des Affaires intérieures à l’agent du Gouvernement, pour la période comprise entre le 1er février 2014 et le 12 octobre 2015, les maisons d’arrêt relevant de la direction générale de la police roumaine ont enregistré douze demandes de sortie de personnes placées en détention provisoire afin de participer aux obsèques de proches. Les autorités ont fait droit à seulement deux de ces demandes, dont l’une est celle de la requérante dans la présente affaire.

    III.  LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT

    35.  La Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes (adoptée le 11 janvier 2006) indique notamment ceci :

    Règle 24.7

    « Lorsque les circonstances le permettent, le détenu doit être autorisé à quitter la prison - soit sous escorte, soit librement - pour rendre visite à un parent malade, assister à des obsèques ou pour d’autres raisons humanitaires. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    36.  La requérante se plaint de ses mauvaises conditions de détention dans les locaux de la direction générale de la police de Bucarest. Elle invoque à cet égard l’article 3 de la Convention, qui dispose que :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    37.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    38.  Le Gouvernement soutient que les autorités roumaines ont fait preuve de diligence afin d’offrir à la requérante des conditions de détention conformes à la jurisprudence de la Cour et qu’elles continuent à déployer des efforts pour améliorer les conditions de détention des personnes incarcérées.

    39. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d’exécution de la mesure en cause ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI, et Enășoaie c. Roumanie, no 36513/12, § 46, 4 novembre 2014).

    40.  La Cour a récemment réitéré dans l’arrêt Muršić c. Croatie ([GC], no 7334/13, §§ 96-141, 20 octobre 2016) les principes généraux applicables en la matière et notamment ceux relatifs à la surpopulation carcérale et aux facteurs susceptibles de compenser le manque d’espace personnel. En particulier, lorsque la surface au sol dont dispose un détenu en cellule collective est inférieure à 3 m², le manque d’espace personnel est considéré comme étant grave au point de donner lieu à une forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention. Cette forte présomption ne peut normalement être réfutée par le Gouvernement que si tous les facteurs suivants sont réunis :

    a) les réductions de l’espace personnel par rapport au minimum requis de 3 m² sont courtes, occasionnelles et mineures ;

    b) elles s’accompagnent d’une liberté de circulation suffisante hors de la cellule et d’activités hors cellule adéquates ;

    c) le requérant est incarcéré dans un établissement offrant, de manière générale, des conditions de détention décentes, et il n’est pas soumis à d’autres éléments considérés comme des circonstances aggravantes s’agissant de mauvaises conditions de détention (idem, §§ 137-138).

    41.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que la requérante dénonce plusieurs aspects de sa détention, dont, notamment, la surpopulation carcérale, la mauvaise hygiène et l’insuffisance de l’éclairage et de l’aération (paragraphes 10-12 ci-dessus).

    42.  La Cour rappelle qu’elle a déjà constaté que la surpopulation et les mauvaises conditions d’hygiène dans les prisons relèvent d’un problème récurrent en Roumanie (Iacov Stanciu c. Roumanie, no 35972/05, § 195, 24 juillet 2012). Les allégations de la requérante tirées de la surpopulation carcérale sont donc plausibles et la Cour constate que le Gouvernement ne les conteste pas expressément. En effet, les informations fournies par ce dernier au sujet du centre de rétention et de détention provisoire no 1 de Bucarest confirment que la requérante a bénéficié d’une espace personnel de moins de 3 m² (paragraphes 14 ci-dessus).

    43.  Compte tenu de ce qui précède et des principes pertinents énoncés dans sa jurisprudence (paragraphe 40 ci-dessus), la Cour conclut qu’il y a en l’espèce une forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention. Il lui faut donc vérifier s’il existe des facteurs propres à réfuter cette présomption.

    44.  À cet égard, la Cour rappelle que, dans l’affaire Muršić, elle a jugé que le requérant, qui avait été incarcéré pendant vingt-sept jours dans une prison où il disposait de moins de 3 m² d’espace personnel, a été soumis à des conditions de détention constitutives d’un traitement dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention (Muršić, précité, § 153). Or, en l’espèce, la requérante a été incarcérée pendant deux mois dans un centre où elle a bénéficié d’un espace personnel inférieur à 3 m². La réduction de l’espace personnel dont elle a souffert ne saurait donc être qualifiée de « courte ». Elle ne saurait non plus passer pour « mineure », la requérante ayant disposé d’environ 2,15 m² d’espace. Enfin, la possibilité de sortie pour la promenade pendant une heure par jour ne saurait suffire à réfuter la forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention.

    45.  La Cour juge que la requérante a en l’espèce été détenue dans des conditions qui ont soumis l’intéressée à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

    Ces éléments lui suffisent pour conclure qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

    46.  La requérante se plaint du refus des autorités pénitentiaires de l’autoriser à sortir de prison pour assister aux obsèques de son mari, qui eurent lieu en juin 2014. Elle invoque l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

    « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

    A.  Sur la recevabilité

    47.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Arguments des parties

    a)  La requérante

    48.  La requérante allègue que le refus que les autorités ont opposé à sa demande de sortie afin d’assister aux obsèques de son mari, avec qui elle avait été mariée pendant 32 ans et qui était le père de sa fille unique, constitue une atteinte injustifiée et dépourvue de base légale à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

    49.  Tout en reconnaissant que la pratique des autorités nationales montre qu’un droit de sortir de prison pour assister aux obsèques de proches est assuré aux détenus (paragraphe 34 ci-dessus), elle estime néanmoins que le droit national ne contient pas de garanties suffisantes contre l’arbitraire qui caractérise, selon elle, les motifs justifiant l’octroi dudit droit de sortie, le choix des autorités compétentes pour décider d’une telle demande ou la manière dont lesdites autorités doivent exercer leur droit d’appréciation.

    50.  Elle soutient en outre que le refus opposé à sa demande constitue une restriction qui n’était pas nécessaire dans une société démocratique et que la solution proposée à la place n’était pas adéquate. À cet égard, elle assure qu’aucune des autorités nationales n’a justifié le refus opposé à sa demande ni les raisons pour lesquelles une autre solution lui avait été offerte. Elle remet en question les raisons avancées par la cour d’appel de Bucarest pour la maintenir en détention provisoire, en objectant :

    a) que les faits reprochés concernaient des infractions économiques prétendument perpétrées entre 2008 et 2010 ;

    b) que les autorités avaient déjà saisi tous les documents pertinents pour l’affaire ;

    c) qu’elle avait déjà été entendue par le parquet ;

    d) que son placement en détention provisoire n’avait pas été justifié par une quelconque entente avec les témoins, mais seulement parce que son maintien en liberté aurait constitué un danger pour la société.

    En outre, elle indique que, un mois plus tard, en juillet 2014, la mesure de détention provisoire a été remplacée par une mesure d’assignation à résidence et que, en octobre 2014, elle a été placée sous contrôle judiciaire. Qui plus est, elle estime que les autorités auraient dû prendre en compte, dans la mise en balance des intérêts en jeu, la présomption d’innocence dont elle aurait dû bénéficier compte tenu du stade auquel se trouvait l’enquête.

    51.  Enfin, la requérante s’interroge sur la pertinence des raisons avancées par les autorités pour l’empêcher d’assister aux obsèques et qui, à son avis, auraient été tout aussi valables s’agissant de sa présence à la veillée funèbre.

    b)  Le Gouvernement

    52.  Le Gouvernement argue que l’article 8 de la Convention ne garantit pas un droit absolu pour les personnes incarcérées à obtenir une autorisation de sortie pour participer aux obsèques de leurs proches et que les États disposent d’une grande marge d’appréciation en la matière.

    53.  En l’espèce, il avance en premier lieu que la requérante n’a subi aucune atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale puisqu’elle aurait été conduite sous escorte à la veillée funèbre de son mari, la veille de l’enterrement.

    54.  En deuxième lieu, il soutient que, à supposer même qu’il y ait eu une ingérence dans l’exercice du droit de la requérante au respect de sa vie familiale dans la présente affaire, cette ingérence était prévue par la loi, poursuivait un but légitime et était proportionnée à ce but.

    55.  Pour ce qui est de la légalité de la mesure litigieuse, le Gouvernement indique que l’autorisation de sortie était régie par un cadre législatif spécifique, à savoir les articles 98-99 et 110 de la loi no 254/2013. Il allègue en outre que la mesure visait à la préservation de la sécurité publique et au bon déroulement de l’enquête pénale.

    56.  S’agissant de la nécessité de la mesure en cause dans une société démocratique, le Gouvernement met l’accent sur les raisons avancées par la cour d’appel de Bucarest pour rejeter la demande de la requérante visant au remplacement de la mesure de détention provisoire (paragraphe 30 ci-dessus). Il souligne que, même si la demande de la requérante n’a pas été accueillie sous la forme demandée, à la différence de l’affaire Lind c. Russie (no 25664/05, § 98, 6 décembre 2007), dans le cas d’espèce les autorités ont veillé au respect de la vie familiale de la requérante en lui proposant une autre solution pour faire ses adieux à son mari : elles ont autorisé et organisé le déplacement de l’intéressée sous escorte à la veillée funèbre du 7 juin 2014. Le Gouvernement allègue en outre que l’affaire de la requérante a connu un réel retentissement médiatique et que la réaction de la population aux faits reprochés à la requérante a été très virulente. Il indique que, de plus, les autorités ont estimé que beaucoup de personnes assisteraient aux obsèques du mari de la requérante.

    57.  En somme, le Gouvernement considère que les autorités ont procédé à un examen approfondi de la demande de la requérante, et ont également analysé la compatibilité de la mesure prise à son égard avec l’article 8 de la Convention. Dans ces conditions, la réponse des autorités à la situation n’apparaît pas comme arbitraire.

    2.  Appréciation de la Cour

    58.  La Cour rappelle que la détention, comme toute autre mesure privative de liberté, entraîne par nature des restrictions à la vie privée et familiale de la personne concernée. Il est cependant essentiel au respect de la vie familiale que l’administration pénitentiaire autorise le détenu et l’aide au besoin à maintenir le contact avec sa famille proche (Messina c. Italie (no 2), no 25498/94, § 61, CEDH 2000-X, et Khoroshenko c. Russie [GC], no 41418/04, § 106, CEDH 2015). La Cour reconnaît en même temps qu’un certain contrôle des contacts des détenus avec le monde extérieur est recommandé et qu’il ne se heurte pas en soi à la Convention (Schemkamper c. France, no 75833/01, § 30, 18 octobre 2005).

    59.  En l’espèce, la Cour estime que le refus d’autoriser la requérante à sortir de prison pour assister aux obsèques de son mari s’analyse en une ingérence dans le droit de l’intéressée au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention (Płoski c. Pologne, no 26761/95, § 32, 12 novembre 2002). En effet, elle considère que, dans un domaine aussi intime que celui de la séparation définitive d’avec un proche, elle n’a pas à se prononcer sur la manière dont l’intéressée a choisi les modalités de cette séparation.

    60.  Pareille ingérence n’enfreint pas la Convention si elle est « prévue par la loi », vise au moins un but légitime au regard du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention et peut passer pour une mesure « nécessaire dans une société démocratique » (idem, § 30).

    61.  S’agissant de la légalité du refus opposé par les autorités à la requérante, la Cour note que les parties ont des opinions divergentes à cet égard (paragraphes 49 et 55 ci-dessus). Pour les besoins de la présente affaire, la Cour observe que, bien qu’elles n’aient pas invoqué l’absence de base légale pour le droit réclamé par la requérante (voir, a contrario, Feldman c. Ukraine (no 2), no 42921/09, § 35, 12 janvier 2012), les autorités nationales ont néanmoins beaucoup hésité quant à cette base légale. Ainsi, dans un premier temps, le parquet a invoqué les dispositions de l’article 110 §§ 1 et 4 de la loi no 254/2013 (paragraphe 19 ci-dessus). Après que la direction du centre de détention où la requérante était incarcérée avait écarté ces dispositions, qui ne s’appliquaient pas aux personnes placées en détention provisoire, le parquet a finalement invoqué l’article 110 § 2 de la même loi, qui régit le droit plus général de visite des personnes dans la situation de la requérante (paragraphe 23 ci-dessus). Les tribunaux, pour leur part, n’ont pas invoqué de disposition précise du droit national en tant que base légale, mais ont fait référence à l’article 8 de la Convention et à la jurisprudence de la Cour.

    62. Toutefois, étant donné la marge d’appréciation dont jouissent les autorités internes, et particulièrement les cours et tribunaux, dans l’interprétation et l’application de la loi interne, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de se prononcer catégoriquement sur le point de savoir si la mesure litigieuse était « prévue par la loi », en d’autres termes si la loi interne en la matière répondait aux exigences de prévisibilité et de précision, et si l’interprétation de ce droit en l’espèce était arbitraire ou non. En conséquence, elle partira du principe que l’ingérence en question était « prévue par la loi », d’autant plus que la base légale de la détention de la requérante n’a pas prêté à controverse (voir, mutatis mutandis, Lind, précité, § 93). Néanmoins, la Cour est appelée à vérifier si la manière dont le droit interne est interprété et appliqué, même en cas de respect des exigences légales, produit des effets conformes aux principes de la Convention. Dans cette optique, l’élément d’incertitude présent dans la loi et l’ample latitude que cette dernière confère aux autorités entrent en ligne de compte dans l’examen de la question de savoir si la mesure litigieuse était nécessaire dans une société démocratique (voir, mutatis mutandis et sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, Străin et autres c. Roumanie, no 57001/00, § 49, CEDH 2005-VII).

    63.  De plus, la Cour peut accepter que l’ingérence avait pour but d’empêcher la requérante de troubler l’ordre ou la sécurité publics ou d’éviter que le déroulement de l’enquête pénale ne soit entravé, contribuant ainsi à la prévention des infractions pénales. Cette ingérence poursuivait donc des buts légitimes aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention.

    64.  Il reste à savoir si la mesure en question était nécessaire dans une société démocratique.

    65.  La Cour rappelle que, pour préciser les obligations que les États contractants assument en vertu de l’article 8 de la Convention en la matière, il faut avoir égard aux exigences normales et raisonnables de l’emprisonnement et à l’étendue de la marge d’appréciation à réserver en conséquence aux autorités nationales lorsqu’elles réglementent les contacts d’un détenu avec sa famille (Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 141, 28 novembre 2002). Il appartient néanmoins à l’État de démontrer que les restrictions inhérentes aux droits et libertés du détenu sont nécessaires dans une société démocratique et qu’elles se fondent sur un besoin social impérieux (Płoski, précité, § 35).

    66.  En l’espèce, la Cour note que le parquet a opposé un refus à la demande de la requérante de participer aux obsèques de son mari. Elle relève que le parquet a uniquement autorisé le déplacement de l’intéressée à la veillée funèbre (paragraphe 23-24 ci-dessus). Toutefois, la Cour constate qu’aucun motif n’a été avancé par le parquet pour justifier ce choix. De surcroît, la cour d’appel de Bucarest, dans son arrêt du 7 juin 2014 (paragraphe 30 ci-dessus), n’indique pas non plus les raisons de cette décision. Tout au contraire, la terminologie employée par cette juridiction laisse entendre que celle-ci n’a vu aucune différence dans les modalités de l’exercice du droit réclamé par la requérante.

    Pour ce qui est des arguments du Gouvernement fondés sur le retentissement médiatique de l’affaire et la réaction virulente de l’opinion publique face aux faits reprochés à la requérante ainsi que sur le nombre de personnes qui allaient assister aux obsèques du mari de la requérante (paragraphe 56 in fine ci-dessus), la Cour constate que ceux-ci n’ont pas été mentionnés par les autorités judiciaires internes et que, de ce fait, ils n’appellent pas davantage de considération de sa part.

    67.  Eu égard à ce qui précède, la Cour ne peut que conclure que les autorités nationales n’ont pas procédé à une véritable mise en balance des intérêts en jeu, à savoir, d’une part, le droit de la requérante au respect de sa vie familiale, et, d’autre part, la défense de l’ordre et de la sûreté publics (voir, mutatis mutandis, Császy c. Hongrie, no 14447/11, § 20, 21 octobre 2014).

    68.  La Cour tient à rappeler que le droit de bénéficier d’autorisations de sortie n’est pas garanti en tant que tel par la Convention. Il incombe aux autorités nationales d’examiner le bien-fondé de chaque demande et, lorsqu’elle exerce son contrôle, la Cour se limite à vérifier les mesures prises sous l’angle des droits garantis par la Convention, tout en tenant compte de la marge d’appréciation dont bénéficient les États contractants (Płoski, précité, § 38).

    69.  Dans les circonstances de l’espèce, et nonobstant cette marge d’appréciation, la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas invoqué, pour refuser à la requérante l’autorisation de sortie sollicitée, des raisons suffisantes de nature à démontrer que l’ingérence dénoncée était « nécessaire dans une société démocratique ».

    Dès lors, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

    70.  La requérante dénonce une différence injustifiée de traitement, opérée en vertu de la loi, entre elle-même, en tant que personne placée en détention provisoire, et les détenus condamnés purgeant leur peine d’emprisonnement, quant à la possibilité de sortir du centre de détention afin de participer aux obsèques d’un proche. Elle invoque l’article 8 de la Convention.

    71.  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause et ne s’estimant pas liée par celle attribuée par les requérants, la Cour a communiqué ce grief au Gouvernement sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention. L’article 14 est ainsi libellé :

    « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

    72.  La requérante considère que la différence de traitement subie était injustifiée et déraisonnable, car appliquée de manière générale, indépendamment des raisons de son placement en détention provisoire et de considérations liées à la sécurité publique. Par ailleurs, elle soutient que l’objectif avancé pour justifier l’interdiction de participer aux obsèques de son mari, à savoir le bon déroulement de l’enquête pénale, pouvait être réalisé par d’autres moyens moins restrictifs.

    73.  Le Gouvernement estime que la situation de la requérante n’était pas comparable à celle d’un détenu condamné, étant donné que les objectifs poursuivis par la détention provisoire et la condamnation pénale diffèrent et que l’autorité qui doit trancher une telle demande est différente dans les deux cas : la situation d’un détenu condamné est examinée par les autorités pénitentiaires, alors que celle d’une personne placée en détention provisoire est analysée par les organes judiciaires. À titre subsidiaire, le Gouvernement considère que la différence de traitement litigieuse était prévue par la loi, à savoir l’article 110 de la loi no 254/2013, et justifiée par la nécessité d’assurer le bon déroulement de l’enquête pénale en cours. Il estime qu’un juste équilibre a été respecté entre les intérêts concurrents en l’espèce.

    74.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable. Toutefois, eu égard à ses conclusions sur le terrain de l’article 8 (paragraphe 69
    ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

    IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    75.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    76.  La requérante n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

     

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 février 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Andrea Tamietti                                                          Paulo Pinto de Albuquerque
    Greffier adjoint                                                                         
    Président

     

     


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