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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> YELTEPE v. TURKEY - 24087/07 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Second Section)) French Text [2017] ECHR 240 (14 March 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/240.html Cite as: CE:ECHR:2017:0314JUD002408707, [2017] ECHR 240, ECLI:CE:ECHR:2017:0314JUD002408707 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE YELTEPE c. TURQUIE
(Requête no 24087/07)
ARRÊT
STRASBOURG
14 mars 2017
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Yeltepe c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Julia Laffranque,
présidente,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier
adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 février 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 24087/07) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Gökhan Yeltepe (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 juin 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me H. Coşkun, avocat à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le requérant allègue que la Haute Cour administrative militaire (« la Haute Cour ») qui a connu de son recours de plein contentieux manquait d’indépendance et d’impartialité. Il soutient en outre qu’il a été porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal en raison du rejet de son recours de plein contentieux pour non-respect du délai de saisine ainsi qu’à son droit à un procès équitable en raison de l’absence de communication des conclusions du procureur général près la Haute Cour.
4. Le 19 octobre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Le 13 janvier 2014, la chambre a invité les parties à répondre à des questions supplémentaires.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1984 et réside à Ankara.
6. À l’issue des examens préalables à l’intégration d’un contingent, qui eurent lieu le 21 août 2003, le requérant fut déclaré apte au service militaire obligatoire et enrôlé le 25 novembre 2004.
7. À la suite de plusieurs visites de l’appelé à l’infirmerie pour divers maux au cours de son service militaire, les médecins découvrirent que le requérant avait subi une splénectomie (ablation de la rate) à l’âge de 7 ou 8 ans. Un rapport médical concluant à son inaptitude au service militaire fut établi le 1er novembre 2005 par l’hôpital militaire de Girne. En conséquence, l’intéressé fut démobilisé le même jour.
8. Ce rapport, approuvé par la direction de la santé du ministère de la Défense le 30 décembre 2005, ne fut pas notifié au requérant.
9. Le 24 février 2006, le requérant forma un recours administratif auprès du ministère de la Défense aux fins d’indemnisation. Indiquant qu’il avait été démobilisé en vertu d’un rapport médical établi le 1er novembre 2005, il reprochait aux autorités militaires de l’avoir déclaré apte au service militaire sans avoir réalisé un examen médical complet et de l’avoir ainsi obligé à servir pendant onze mois sous les drapeaux alors que son état de santé ne s’y serait pas prêté. Il présenta à cet égard une attestation relative à l’état de son service militaire. Il produisit également un document relatif à son état de santé qui attestait qu’il avait subi une ablation de la rate.
10. Le 9 mai 2006, face au silence de l’administration, il saisit la Haute Cour administrative militaire (la « Haute Cour ») d’un recours de plein contentieux. Il indiqua avoir été démobilisé le 1er novembre 2005 sur le fondement du rapport médical dressé à la même date. Il soumit également les documents susmentionnés à l’appui de son recours.
11. L’acte introductif d’instance fut reçu par la Haute Cour le 23 mai 2006.
12. Le 31 mai 2006, la Haute Cour, statuant en une formation composée de trois juges militaires et de deux officiers de carrière, rejeta l’acte introductif d’instance au motif qu’il n’était pas accompagné de toutes les précisions pouvant permettre d’apprécier la recevabilité et le bien-fondé de l’action. Elle reprocha plus particulièrement au requérant de ne pas avoir fourni le rapport médical du 1er novembre 2005 et de n’avoir produit aucune information sur le contenu de ce rapport médical ni sur la date à laquelle ce rapport était devenu définitif. En application de l’article 45 B) de la loi no 1602 relative à la Haute Cour administrative militaire, elle fixa au requérant un délai de trente jours à partir de la notification pour qu’il réintroduisît l’instance complétée par les éléments manquants.
13. Le 14 juin 2006, le requérant obtint une copie du rapport médical du 1er novembre 2005 auprès de la direction du service militaire de Keçiören.
14. Le 27 juin 2006, le requérant présenta un nouvel acte introductif d’instance accompagné des éléments demandés, notamment une copie du rapport médical devenu définitif.
15. Avant la délibération de l’affaire, le procureur général près la Haute Cour (le « procureur général ») émit un avis dans lequel il indiquait qu’il convenait d’ordonner une nouvelle expertise médicale pour vérifier si les problèmes de santé qui avaient eu pour effet de rendre le requérant inapte au service militaire existaient bien avant son incorporation. Il indiquait que, si tel était le cas, il y avait lieu de conclure que l’absence de détection de ces problèmes lors des examens médicaux effectués avant l’incorporation du requérant constituait en l’espèce une faute de service et que, par conséquent, il fallait octroyer au requérant une réparation pour les dommages matériel et moral que celui-ci aurait subis durant les onze mois de son service militaire. Cet avis ne fut pas communiqué au requérant.
16. Par une décision du 15 novembre 2006, la Haute Cour, statuant toujours en une formation composée de trois juges militaires et de deux officiers de carrière, rejeta l’action du requérant pour non-respect du délai de saisine. Elle releva que le préjudice dont le requérant demandait l’indemnisation découlait d’un acte administratif, à savoir la décision de l’incorporer pour le service militaire. Elle indiqua que, après avoir été examiné par des médecins puis démobilisé le 1er novembre 2005 sur le fondement du rapport médical établi à cette dernière date, il avait appris qu’il n’aurait pas dû être incorporé en raison de son état de santé. Elle estima que c’était donc en principe à cette date que le délai de saisine de soixante jours, prévu à l’article 40 de la loi no 1602 concernant les actes administratifs, devait commencer à courir. Toutefois, elle considéra, en vertu d’une jurisprudence bien établie et favorable aux recourants, que l’intéressé était réputé avoir pris connaissance du préjudice à la date à laquelle le rapport médical du 1er novembre 2005 avait été approuvé par les autorités et était devenu définitif. Par conséquent, selon la haute juridiction, le requérant était réputé avoir appris au plus tard le 30 décembre 2005 qu’il n’aurait pas dû être enrôlé pour le service militaire obligatoire. La Haute Cour conclut que le dies ad quem du délai de soixante jours était dès lors le 28 février 2006 et que, le requérant n’ayant introduit sa demande que le 27 juin 2006, il n’avait pas respecté le délai.
17. Le 25 décembre 2006, le requérant forma un recours en rectification d’arrêt. Il y indiquait que, étant donné qu’il s’agissait d’un recours de plein contentieux, le délai commençant à courir à la prise de connaissance du préjudice n’était pas le délai de soixante jours mais le délai d’un an, prévu selon lui à l’article 43 de la loi no 1602 relative à la Haute Cour administrative militaire. Il estimait que, ayant formé un recours administratif préalable le 24 février 2006 et ayant introduit ensuite sa demande devant la Haute Cour le 23 mai 2006, il avait respecté le délai imposé par la loi. Il précisait que, à la suite du rejet de son acte introductif d’instance en application de l’article 45 de la loi no 1602, il avait saisi la Haute Cour en respectant le délai de trente jours qu’aurait requis cette disposition. Il ajoutait qu’il avait pris connaissance du préjudice résultant de son enrôlement au service militaire le 1er février 2006 et non pas le 30 décembre 2005.
18. Avant l’examen du recours par la Haute Cour, le procureur général, sans apporter de nouvel argument, émit un avis selon lequel il convenait de rejeter le recours en rectification d’arrêt introduit par le requérant. Cet avis ne fut pas communiqué à ce dernier.
19. Le 31 janvier 2007, la Haute Cour, statuant en la même formation, rejeta le recours, considérant que les motifs invoqués par le requérant n’étaient pas pertinents et que la décision du 15 novembre 2006 était conforme à la loi et à la procédure.
20. Le 8 mars 2007, le requérant introduisit une demande de réouverture de la procédure. Il soutenait qu’il n’avait obtenu le rapport médical et l’attestation de démobilisation que le 14 juin 2006, soit après la décision de rejet de son acte introductif d’instance par la Haute Cour. Il reconnaissait en outre qu’il était au courant de l’existence de ces documents, mais qu’il ne connaissait pas leur contenu.
21. Avant l’examen de la demande par la Haute Cour, le procureur général, sans apporter de nouvel argument, émit un avis selon lequel il convenait de rejeter la demande de réouverture de la procédure formée par le requérant. Cet avis ne fut pas notifié à ce dernier.
22. Le 2 mai 2007, la Haute Cour, statuant en la même formation, rejeta la demande du requérant, estimant que les motifs que celui-ci invoquait ne justifiaient pas la réouverture de la procédure.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
23. Pour la législation concernant la Haute Cour et la composition de cette instance, la Cour renvoie à son arrêt Tanışma c. Turquie (no 32219/05, §§ 29-50, 17 novembre 2015).
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
24. Le requérant se plaint :
- du manque d’indépendance et d’impartialité des deux officiers de carrière au sein de la Haute Cour administrative militaire qui a examiné son recours ;
- du rejet de son recours de plein contentieux pour non-respect du délai de saisine ;
- de l’absence de communication des avis du procureur général lors des différentes procédures devant la Haute Cour ;
- de l’impossibilité de connaître à l’avance la formation appelée à statuer sur les actions introduites devant la Haute Cour ;
- de l’examen de la demande de rectification d’arrêt par la même formation de la Haute Cour qui a connu du recours initial ;
- et de l’absence de motivation de la décision relative au rejet de la demande de rectification d’arrêt.
Il invoque l’article 6 § 1 la Convention qui se lit comme suit en ses passages pertinents en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
25. En ce qui concerne le grief relatif à la composition de la Haute Cour administrative militaire, constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
26. Le Gouvernement récuse le grief du requérant. Il expose que la Haute Cour est établie par la Constitution et qu’elle fonctionne en conformité avec les principes de l’indépendance des tribunaux et de l’inamovibilité des juges, et que son indépendance et son impartialité sont garanties par les dispositions constitutionnelles et légales. Se référant à la jurisprudence de la Cour en la matière, il est d’avis que la présence d’officiers au sein de la Haute Cour ne porte pas préjudice à l’indépendance de cette juridiction.
27. Le Gouvernement indique en outre que la question de savoir si la Haute Cour est un tribunal indépendant et impartial a été portée devant la Cour constitutionnelle à l’occasion d’une requête individuelle, et que, dans son arrêt du 16 mai 2013, qui aurait tenu compte des décisions de la Cour dans les affaires Yavuz et autres c. Turquie ((déc.), no 29870/96, 25 mai 2000), et Bek c. Turquie ((déc.), no 23522/05, 20 avril 2010), la Cour constitutionnelle a conclu que la Haute Cour était un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6 de la Convention.
28. Le Gouvernement soutient par ailleurs que, jusqu’au moment du dépôt de ses observations, aucun membre de la Haute Cour n’a été démis de ses fonctions avant l’expiration de son mandat, que ceux des membres de la Haute Cour qui sont d’anciens officiers de carrière bénéficient de la même inamovibilité que les juges, et qu’ils ne sont pas soumis à la discipline militaire et à une appréciation dans le cadre de leurs fonctions.
29. Pour le Gouvernement, la Haute Cour est ainsi un tribunal indépendant et impartial, et il n’y a pas eu, en l’espèce, violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
30. Le requérant ne se prononce pas sur les arguments du Gouvernement.
31. La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné un grief semblable dans son arrêt Tanışma (précité) et qu’elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention au motif qu’au sein de la Haute Cour siégeaient entre autres des officiers de carrière ne bénéficiant pas des garanties d’indépendance adéquates (Tanışma, précité, §§ 76-84 ; dans le même sens, Sürer c. Turquie, no 20184/06, §§ 45-46, 31 mai 2016).
32. En l’espèce, la Cour ne relève aucun élément ou argument qui la conduirait à s’écarter de cette conclusion. Dès lors, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
33. Quant aux autres griefs du requérant, la Cour rappelle avoir déjà jugé dans des affaires similaires qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès équitable aux personnes soumises à sa juridiction (voir mutatis mutandis, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 20, 23 octobre 2003). Eu égard au constat de violation de l’article 6 § 1 auquel elle parvient ci-dessus, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de les examiner (voir, dans ce sens, Sürer, précité, § 47).
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
34. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
35. Le requérant réclame 17 000 euros (EUR) pour le préjudice matériel qu’il estime avoir subi en raison de son enrôlement dans l’armée en dépit de son inaptitude au service militaire. Il réclame en outre 20 000 EUR pour le dommage moral qu’il aurait subi pour le même motif.
36. Le Gouvernement considère que les prétentions du requérant sont excessives. Il soutient par ailleurs qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et que la prétention relative au dommage moral n’est pas étayée.
37. La Cour rappelle qu’elle a conclu en l’espèce à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention eu égard à la composition de la Haute Cour. En ce qui concerne le dommage matériel, elle réitère sa jurisprudence selon laquelle elle ne saurait spéculer sur le résultat auquel les procédures incriminées auraient abouti si elles avaient respecté la Convention (Tanışma, précité, § 88). Par conséquent elle rejette la demande relative au dommage matériel. Quant au dommage moral, compte tenu de la nature de la violation, la Cour, statuant en équité, accorde 6 000 EUR au requérant.
B. Frais et dépens
38. Le requérant demande également 15 000 EUR pour les frais et dépens exposés devant les juridictions internes et devant la Cour. Il présente à cet égard une convention d’honoraires d’avocat signée entre lui et son représentant devant la Cour, Me H. Coşkun, le 7 février 2006.
39. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a présenté aucun document à l’appui des frais et dépens allégués.
40. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, la Cour ne peut accueillir les demandes pour frais et dépens que si elles se rapportent aux violations constatées par elle : elle doit les écarter si elles concernent des griefs qui n’ont pas débouché sur le constat d’une violation, ou des griefs déclarés irrecevables (Sharifi et autres c. Italie et Grèce, no 16643/09, § 255, 21 octobre 2014). En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR pour les frais de représentation et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
41. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief relatif à l’indépendance et à l’impartialité de la Haute Cour administrative militaire ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention relativement à l’indépendance et à l’impartialité de la Haute Cour administrative militaire ;
3. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs du requérant ;
4. Dit, à l’unanimité,
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i) 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt pour dommage moral ;
ii) 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 mars 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Hasan Bakırcı Julia Laffranque
Greffier adjoint Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Lemmens et Mourou-Vikström.
J.L.
H.B.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES LEMMENS ET MOUROU-VIKSTRÖM
Nous avons voté avec nos collègues pour la violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la composition de la Haute Cour administrative militaire.[1]
En revanche, avec tout le respect dû à la majorité, nous ne pouvons la suivre quand elle décide que, eu égard à ce constat, il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs de violation de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 33 de l’arrêt et, pour l’énumération des autres griefs, paragraphe 24 de l’arrêt).
Nous nous permettons de rappeler que l’article 6 § 1 de la Convention implique notamment, à la charge des tribunaux nationaux, l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre (Kraska c. Suisse, 19 avril 1993, § 49, série A no 254-B, Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 59, série A no 288, et Perez c. France [GC], no 47287/99, § 80, CEDH 2004-I). Un tribunal ne peut donc pas omettre de statuer sur une demande, un grief ou un moyen d’annulation.
Nous estimons que, en tant qu’instance juridictionnelle, la Cour est soumise à la même règle. En principe, elle doit examiner tous les griefs qui lui sont soumis. Il peut y avoir des exceptions à ce principe, par exemple quand un grief est en fait absorbé par un autre ou quand le constat du bien-fondé d’un grief conduit inévitablement à la conclusion que d’autres griefs sont également fondés. Toutefois, en l’espèce, nous avons des difficultés à admettre que, du simple fait qu’une juridiction n’est pas indépendante eu égard à sa composition, elle ne peut, « en toute hypothèse », garantir un procès équitable (voir la tendance dans une certaine jurisprudence - concernant toujours la Turquie -, notamment Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 20, 23 octobre 2003, cité au paragraphe 33 de l’arrêt). À notre avis, l’indépendance structurelle du tribunal est une garantie distincte de celle du droit d’accès à un tribunal ou de l’équité du procès.
Nous aurions donc préféré examiner les autres griefs, d’abord du point de vue de leur recevabilité puis, le cas échéant, du point de vue de leur bien-fondé. La Cour aurait ainsi pu vérifier si, dans les circonstances de la présente espèce, l’absence d’indépendance de la juridiction en cause avait effectivement eu pour conséquence de priver le procès d’équité.
[1]. Le Juge Lemmens estime toujours que la jurisprudence inaugurée par l’arrêt Tanışma c. Turquie (no 32219/05, 17 novembre 2015), poursuivie par l’arrêt Sürer c. Turquie (no 20184/06, 31 mai 2016), et confirmée par le présent arrêt (paragraphe 31 de l’arrêt), est contestable (voir son opinion dissidente jointe à l’affaire Sürer). S’il suivra désormais cette jurisprudence, c’est pour des raisons tenant à l’égalité de traitement des requérants dans des affaires similaires.