BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CAMYAR v. TURKEY - 16899/07 (Judgment : Violation of Article 10 - Freedom of expression-{general} (Article 10-1 - Freedom of expression)) French Text [2017] ECHR 856 (10 October 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/856.html Cite as: [2017] ECHR 856, CE:ECHR:2017:1010JUD001689907, ECLI:CE:ECHR:2017:1010JUD001689907 |
[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ÇAMYAR c. TURQUIE
(Requête no 16899/07)
ARRÊT
STRASBOURG
10 octobre 2017
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Çamyar c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Julia Laffranque,
présidente,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 septembre 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16899/07) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet État, Mme Elif Çamyar (« la requérante »), a saisi la Cour le 28 février 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Mes M. Filorinalı et Y. Filorinalı, avocats à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le 8 septembre 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement.
4. Le Gouvernement s’oppose à l’examen de la requête par un comité. Après avoir examiné l’objection du Gouvernement, la Cour la rejette.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante est née en 1968 et réside à Istanbul. À l’époque des faits, elle était éditrice du magazine Proleter Devrimci Duruş (« Posture révolutionnaire prolétaire ») et propriétaire de la maison d’édition Yediveren. Plusieurs procédures pénales furent diligentées à son encontre en raison du contenu des articles publiés dans le magazine susmentionné et d’un livre publié par la maison d’édition en question.
A. La procédure pénale diligentée en raison des articles publiés dans les éditions d’avril et de mai 2000 du magazine Proleter Devrimci Duruş
6. Par un acte d’accusation du 17 octobre 2000, le procureur de la République d’Istanbul engagea une action pénale contre la requérante en raison du contenu des articles publiés dans les éditions d’avril et de mai 2000 du magazine Proleter Devrimci Duruş. Il inculpa la requérante de dénigrement de la République, des forces armées et du gouvernement et requit sa condamnation en application de l’article 159 § 1 de l’ancien code pénal (CP).
7. Le 15 novembre 2002, la cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises ») reconnut la requérante coupable de dénigrement de la République, des forces armées et du gouvernement et la condamna à trois fois dix mois d’emprisonnement. Ces peines furent commuées en des amendes judiciaires d’un montant total de 2 737 800 000 livres turques (TRL), soit 1 686,03 euros (EUR) à cette date avec sursis.
8. La cour d’assises estima que certains passages des articles litigieux et expressions utilisées dans ceux-ci en cause constituaient des critiques ou des commentaires sous forme d’insultes graves, plutôt que d’informations, et qu’ils ne pouvaient être considérés comme étant protégés par le droit à la liberté de recevoir des informations. À cet égard, elle se référa notamment aux passages suivants des articles en question, qui, selon elle, dénigraient la République, les forces armées et le gouvernement :
« (...) le fait que l’État a fait preuve d’une agressivité téméraire et tué 36 révolutionnaires démocrates visait entièrement à détruire cette confiance en soi » ;
« ce vers quoi les sociétés civiles ont pointé leurs armes a été le socialisme plutôt que le régime fasciste » ;
« la responsabilité d’éveiller la conscience du peuple afin de demander des comptes au régime fasciste » ;
« le terme d’État démocratique a été énoncé comme étant l’une des qualités de l’État fasciste dans les constitutions de 1961 et de 1982 » ;
« le fait que le mouvement national kurde des travailleurs commençait à porter des coups à l’État fasciste et qu’il le faisait en demandant davantage de liberté exigeait d’enrayer ce mouvement » ;
« la constitution de 1982 reflète la force étatique, [la conception sacrée de l’État], son racisme et son hostilité aux libertés » ;
« À bas la dictature fasciste ! Non à l’esclavage impérialiste ! » ; « en attribuant au Hizbullah la responsabilité de la sale guerre et de la terreur subies par les mouvements populaires et les intellectuels libéraux, l’État a été acquitté » ;
« la raison pour laquelle le coup d’État fasciste du 12 septembre s’est inventé une apparence légale est l’institutionnalisation et la légitimation » ;
« l’établissement du gouvernement actuel d’agression ».
9. Le 6 septembre 2005, le procureur général près la Cour de cassation décida de ne pas transférer l’arrêt de la cour d’assises à la Cour de cassation et renvoya l’affaire devant la cour d’assises pour réexamen, en raison de l’entrée en vigueur, le 1er juin 2005, du nouveau code pénal (NCP).
10. Le 9 décembre 2005, la cour d’assises, réitérant les motifs exposés dans son arrêt du 15 novembre 2002, reconnut la requérante coupable des infractions de dénigrement de la République, du gouvernement et des forces armées. Elle la condamna à cinq mois d’emprisonnement pour chacune des trois infractions en application de l’article 159 § 1 du CP, jugé plus favorable à l’intéressée que l’article 301 du NCP. Ces peines furent ensuite commuées en des amendes judiciaires avec sursis d’un montant total de 1 350 livres turques (TRY[1]), soit 848,90 EUR à cette date.
11. Le 12 avril 2007, la Cour de cassation infirma ce jugement pour insuffisance de motivation.
12. Le 26 décembre 2007, la cour d’assises raya l’affaire du rôle en raison de l’expiration du délai légal de prescription.
B. La procédure pénale diligentée en raison des articles publiés dans les éditions d’août 2000 du magazine Proleter Devrimci Duruş
13. Par un acte d’accusation du 27 mars 2001, le procureur de la République d’Istanbul engagea une action pénale contre la requérante en raison du contenu des articles publiés dans l’édition d’août 2000 du magazine Proleter Devrimci Duruş. Il inculpa la requérante de dénigrement de la République, des forces armées, des forces de sécurité et du gouvernement et requit sa condamnation en application de l’article 159 § 1 du CP.
14. Le 14 mai 2004, la cour d’assises condamna la requérante à quatre fois cinq mois d’emprisonnement pour dénigrement de la République, des forces armées, du gouvernement et des forces de sécurité, et commua ces peines en des amendes judiciaires d’un montant total de 1 825 200 000 TRL (999,91 EUR à cette date) assorties d’un sursis. Elle considéra que certains des propos contenus dans les articles litigieux dépassaient les limites de la critique admissible.
15. Le 6 septembre 2005, le procureur général près la Cour de cassation décida de ne pas transférer l’arrêt du 14 mai 2004 à la Cour de cassation et renvoya l’affaire devant la cour d’assises pour réexamen, en raison de l’entrée en vigueur, le 1er juin 2005, du NCP.
16. Le 9 décembre 2005, la cour d’assises, réitérant les motifs exposés dans son arrêt du 14 mai 2004, reconnut la requérante coupable des infractions de dénigrement de la République, des forces armées, des forces de sécurité et du gouvernement. Elle la condamna de nouveau à cinq mois d’emprisonnement pour chacune des infractions susmentionnées, en application de l’article 159 § 1 du CP, jugé plus favorable à l’intéressée que l’article 301 du NCP. Ces peines furent ensuite commuées en des amendes judiciaires d’un montant total de 1 800 TRY (1131,86 EUR à cette date), assorties d’un sursis.
17. Le 14 juin 2007, la Cour de cassation infirma l’arrêt de la cour d’assises au motif que cette dernière n’avait pas indiqué avec précision les expressions par lesquelles la requérante aurait dénigré la République et les forces armées.
18. Le 3 octobre 2007, la cour d’assises condamna la requérante à quatre fois cinq mois d’emprisonnement pour dénigrement de la République, des forces armées, des forces de sécurité et du gouvernement. Elle commua ces peines en des amendes judiciaires d’un montant total de 1 800 TRY (1058,26 EUR à cette date) avec sursis. La cour d’assises considéra que le passage ci-dessous constituait un dénigrement de la République :
« Le régime fasciste, qui ne cesse de se référer aux droits de l’homme et à la démocratie dans le processus d’adhésion à l’Union européenne, cherche à dissimuler ses crimes derrière les critères de Copenhague. Il continue à mettre en œuvre tous les moyens pour soumettre les détenus révolutionnaires et communistes. La résistance militante de ces derniers, qui agace la clique fasciste, a été une gifle donnée au régime fasciste. Que la dictature fasciste commette ce type d’agression n’a rien d’improbable. »
19. La cour d’assises estima en outre que la phrase ci-dessous, tirée du même article, dénigrait les forces armées et les forces de sécurité :
« (...) [le pouvoir] a fait un essai de massacre à la prison de Burdur avec ses milliers de soldats et de policiers féroces armés de bombes et de bulldozers. »
20. La cour d’assises considéra également que la phrase ci-dessous dénigrait le gouvernement :
« [Nous sommes] furieux que le gouvernement fasciste se mette au service de Cottarelli [alors directeur du Fonds monétaire international pour la Turquie]. »
21. Le 25 novembre 2008, la Cour de cassation infirma l’arrêt de la cour d’assises et raya l’affaire du rôle en raison de l’expiration du délai légal de prescription.
C. La procédure pénale diligentée en raison des articles publiés dans l’édition de janvier 2001 du magazine Proleter Devrimci Duruş
22. Par un acte d’accusation du 5 juin 2001, le procureur de la République d’Istanbul engagea une action pénale contre la requérante en raison du contenu de trois articles publiés dans l’édition de janvier 2001 du magazine Proleter Devrimci Duruş. Il inculpa la requérante de dénigrement de la République et des forces armées et requit la condamnation de l’intéressée en application de l’article 159 § 1 du CP.
23. Le 15 novembre 2002, la cour d’assises reconnut la requérante coupable des infractions de dénigrement de la République et des forces armées et la condamna à deux fois dix mois d’emprisonnement, en application de l’article 159 § 1 du CP. Ces peines furent commuées en des amendes judiciaires avec sursis d’un montant total de 2 847 312 000 TRL (1753,41 EUR à cette date).
24. La cour d’assises estima que certains passages et expressions des articles litigieux constituaient des critiques ou des commentaires sous forme d’insultes graves, plutôt que d’informations, et qu’ils ne pouvaient être considérés comme étant protégés par le droit à la liberté de recevoir des informations. Ainsi, elle estima que la République de Turquie et les forces armées avaient été dénigrées par ces articles. Elle se référa notamment aux passages suivants des articles susmentionnés :
« (...) afin de dégainer les armes contre toutes les lois fascistes, il faut mobiliser les travailleurs, les fonctionnaires, la jeunesse, les chômeurs et les paysans dans le sens de leurs demandes. » ;
« la dictature fasciste a, encore une fois, vomi la mort sur les révolutionnaires et les communistes dans ses geôles (...) » ;
« la clique fasciste entre à l’intérieur et commence à nous matraquer et à nous traîner par les cheveux (...) de l’eau est versée sur nous (...) ».
25. Le 6 septembre 2005, le procureur général près la Cour de cassation renvoya l’affaire devant la cour d’assises pour réexamen en raison de l’entrée en vigueur, le 1er juin 2005, du NCP.
26. Le 9 décembre 2005, la cour d’assises, réitérant les motifs qu’elle avait exposés dans son arrêt du 15 novembre 2002, reconnut de nouveau la requérante coupable de dénigrement de la République et des forces armées. Elle la condamna, en application de l’article 159 § 1 du CP, jugé plus favorable à l’intéressée que l’article 301 du NCP, à deux fois cinq mois d’emprisonnement. Ces peines furent commuées en des amendes d’un montant total de 1 200 TRY (754,57 EUR à cette date) avec sursis.
27. Le 20 juin 2007, la Cour de cassation confirma ce jugement.
D. La procédure pénale diligentée en raison des articles publiés dans l’édition de juin 2001 du magazine Proleter Devrimci Duruş
28. Par un acte d’accusation du 25 décembre 2001, le procureur de la République d’Istanbul engagea une action pénale contre la requérante en raison du contenu des articles publiés dans l’édition de juin 2001 du magazine Proleter Devrimci Duruş. Il inculpa la requérante de dénigrement de la République, des forces armées et du gouvernement et requit la condamnation de l’intéressée en application de l’article 159 § 1 du CP.
29. Le 16 octobre 2008, la cour d’assises condamna la requérante à trois fois cinq mois d’emprisonnement pour dénigrement de la République, du gouvernement et des forces armées. Ces peines furent commuées en des amendes judiciaires d’un montant total de 1 800 TRY (950,82 EUR à cette date) avec sursis. La cour d’assises exposa que le passage ci-dessous constituait un dénigrement de la République :
« Ainsi, le régime fasciste a empêché, d’une manière ou d’une autre, la transmission par la classe prolétaire de Turquie de l’héritage des périodes les plus prospères de la révolution et de la politisation. »
30. Elle considéra en outre que le passage ci-dessous dénigrait le gouvernement :
« Comme elles [les forces capitalistes] ne peuvent pas trouver de gouvernement alternatif pour remplacer le gouvernement fasciste d’Ecevit qui essuie partout des échecs, elles le forcent à survivre et cherchent à le maintenir au pouvoir pendant encore un certain temps. »
31. Elle exposa enfin que le passage ci-dessous dénigrait les forces armées :
« La classe ouvrière (...) a produit les exemples de masse les plus vivants de la lutte des classes avant la junte fasciste du 12 septembre. »
32. Le 11 octobre 2010, la Cour de cassation infirma le jugement de la cour d’assises précité et raya l’affaire du rôle en raison de l’expiration du délai légal de prescription.
E. La procédure pénale diligentée en raison des articles publiés dans l’édition de septembre 2001 du magazine Proleter Devrimci Duruş
33. Par un acte d’accusation du 25 décembre 2001, le procureur de la République d’Istanbul engagea une action pénale contre la requérante en raison du contenu des articles publiés dans l’édition de septembre 2001 du magazine Proleter Devrimci Duruş. Il inculpa la requérante de dénigrement de la République, de la Grande Assemblée nationale de Turquie et des forces armées, et requit sa condamnation en application de l’article 159 § 1 du CP.
34. Le 16 mai 2008, la cour d’assises condamna la requérante à trois fois cinq mois d’emprisonnement pour dénigrement de la République, des forces armées et de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Elle commua ces peines en des amendes judiciaires d’un montant total de 1 800 TRY (432,45 EUR à cette date) avec sursis. Elle estima que les passages ci-dessous, contenus dans l’édition en cause du magazine, dénigraient la République :
« (...) après deux cent cinquante jours et bien que soixante prisonniers et proches de prisonniers aient été martyrisés, il n’y a pas encore de réaction du côté du régime fasciste (...) dans des pays comme la Turquie où les dictatures fascistes règnent, les caractéristiques de l’atrocité du fascisme sont visibles (...), la torture dans les hôpitaux constitue un aspect du visage sombre du fascisme (...) ; l’État cherche encore à monter nos familles contre nous (...). Alors, nous allons nous souder sur tous les points ; notre amitié, notre solidarité et notre action contre le fascisme se renforceront (...) »
35. Elle considéra que la phrase ci-dessous constituait un dénigrement des forces armées :
« Les chefs prolétaires turcs se sont chargés de créer un soutien populaire à tous les partis au pouvoir, y compris la junte militaire fasciste du 12 septembre (...) »
36. En outre, elle jugea que le passage ci-dessous dénigrait la Grande Assemblée nationale de Turquie :
« Comme on ne peut attendre des bandes d’assassins aucune réforme législative pour améliorer les conditions des travailleurs, il faut considérer ce fait comme un élément révélant la nature du fascisme hostile à la classe prolétaire et en tirer parti pour organiser les masses exploitées. »
37. Le 26 février 2009, la Cour de cassation infirma l’arrêt du 16 mai 2008 rendu par la cour d’assises.
38. Le 8 juillet 2009, la cour d’assises décida de rayer l’affaire du rôle pour expiration du délai légal de prescription.
39. Le 5 mars 2012, la Cour de cassation confirma ce jugement.
F. La procédure pénale diligentée en raison d’un livre publié par la maison d’édition Yediveren
40. Par un acte d’accusation du 19 juillet 2001, le procureur de la République d’Istanbul engagea une action pénale contre la requérante en sa qualité de propriétaire de la maison d’édition Yediveren, en raison du contenu d’un livre, intitulé Yol Ayrımı (« Bifurcation de la voie »), publié en septembre 2000 par cette maison d’édition. Il inculpa la requérante de dénigrement de la République, des forces armées et des organes judiciaires, et requit la condamnation de l’intéressée en application de l’article 159 § 1 du CP.
41. Le 17 novembre 2006, la cour d’assises, considérant que la requérante était responsable du contenu de cette publication puisque l’auteur de celle-ci, résidant à l’étranger, ne pouvait pas être jugé, la condamna à trois fois cinq mois d’emprisonnement pour dénigrement de la République, des forces armées et des organes judiciaires. Ces peines furent commuées en des amendes judiciaires d’un montant total de 1 350 TRY (735,69 EUR à cette date) avec sursis.
42. La cour d’assises considéra que les passages ci-dessous du livre litigieux « dépassaient les limites de la critique admissible » et dénigraient la République :
« Le régime bourgeois fasciste, avec l’expérience acquise lors de la lutte des classes, ne commettait pas ces attaques seulement par le biais de violences, mais il se servait aussi des sociaux-démocrates, partenaires du pouvoir, et des dirigeants de syndicats, traîtres à titre accessoire (...). Le capital monopoliste effectuait ses attaques (...) contre la classe ouvrière plus facilement, d’une part, en utilisant le pouvoir et les moyens du mécanisme étatique fasciste, et, d’autre part, à l’aide de la coalition qu’il avait formée avec les chefs des syndicats traîtres Türk-İş et Disk, selon des méthodes nouvelles qu’il avait développées dans de nouveaux contextes. »
43. Elle estima aussi que les passages suivants du livre « dépassaient les limites de la critique admissible » et dénigraient les organes judiciaires :
« Ceux qui sont tombés dans la reddition la plus honteuse dès le 12 septembre [le coup d’État du 12 septembre 1980] ont porté leurs idées destructrices jusque dans les tribunaux fascistes. »
44. Elle jugea enfin que la phrase suivante du livre dépassait aussi « les limites de la critique admissible » et dénigrait les forces armées :
« La dictature fasciste et militaire du 12 septembre a prétendu que les tribunaux étaient indépendants. »
45. Le 3 octobre 2007, la Cour de cassation confirma l’arrêt de la cour d’assises s’agissant de l’établissement de la culpabilité du chef de dénigrement de la République, mais elle l’infirma quant à l’établissement de la culpabilité du chef de dénigrement des forces armées et des organes judiciaires, au motif que les éléments constitutifs de ces deux infractions n’étaient pas réunis.
46. Par un arrêt du 19 novembre 2007, la cour d’assises acquitta la requérante des infractions de dénigrement des forces armées et des organes judiciaires au motif que le contenu du livre en cause n’était pas constitutif de ces infractions.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
47. L’article 159 § 1 du CP (loi no 765 du 1er mars 1926), en vigueur jusqu’au 1er juin 2005, disposait ce qui suit en ses parties pertinentes en l’espèce :
« Est passible d’une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement toute personne qui, publiquement, dénigre ou présente comme dénigrés (tahkir ve tezyif edenler) la turcité, la République, la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République de Turquie, les organes judiciaires, les forces armées ou la sûreté de l’État (Devletin askeri veya emniyet muhafaza kuvvetleri).
(...)
L’expression d’opinions critiques, en l’absence d’intention de dénigrer, de présenter comme dénigré ou d’insulter, ne constitue pas un délit. »
48. L’article 301 du NCP (loi no 5237 du 26 septembre 2004 entrée en vigueur le 1er juin 2005), tel qu’amendé par la loi no 5759 du 30 avril 2008, se lit comme suit :
« Est passible d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement quiconque dénigre publiquement la nation turque, la République de Turquie, la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République de Turquie et les organes judiciaires de l’État.
Est sanctionné selon les dispositions du premier paragraphe quiconque dénigre publiquement les forces militaires ou la sûreté de l’État.
L’expression d’opinions critiques ne constitue pas un délit.
La poursuite de ce délit est subordonnée à l’autorisation du ministre de la Justice. »
49. La loi no 6384 relative au règlement, par l’octroi d’une indemnité, de certaines affaires portées devant la Cour européenne des droits de l’homme a été adoptée par la Grande Assemblée nationale de Turquie le 9 janvier 2013 et est entrée en vigueur le 19 janvier 2013 (pour des informations plus détaillées concernant cette loi, voir Turgut et autres c. Turquie (déc.), no 4860/09, §§ 19-26, 26 mars 2013).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
50. Invoquant l’article 10 de la Convention, la requérante dénonce une ingérence dans son droit à la liberté d’expression au motif qu’elle aurait été poursuivie devant les juridictions pénales pendant de très longues périodes en raison des articles qu’elle avait publiés dans le magazine dont elle était l’éditrice et du livre publié par la maison d’édition dont elle était la propriétaire.[A1] Elle se plaint en outre que les procédures pénales engagées contre elle, prises dans leur ensemble, ont été de nature à la dissuader de publier des textes sur des sujets relevant du débat public et reflétant un point de vue particulier. Elle invoque à cet égard l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Sur la recevabilité
51. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée de l’incompatibilité ratione personae du grief tiré de l’article 10 de la Convention. Il soutient que la requérante n’a pas la qualité de victime au motif que, les condamnations à une amende judiciaire à l’issue de deux procédures pénales ayant été assorties d’un sursis et le restant des poursuites pénales déclenchées ayant été abandonnées pour cause de prescription, l’intéressée n’a finalement été condamnée à aucune amende ou peine de prison par les juridictions pénales.
52. La requérante combat cette thèse.
53. La Cour estime que l’exception soulève des questions étroitement liées à l’examen de l’existence d’une ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit à la liberté d’expression, donc à la substance des griefs tirés de l’article 10 de la Convention (Dilipak c. Turquie, no 29680/05, § 38, 15 septembre 2015). Partant, elle décide de la joindre au fond.
54. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Existence d’une ingérence
55. La requérante soutient que les procédures pénales diligentées à son encontre l’ont placée sous pression pendant plus de onze ans.
56. Le Gouvernement rétorque que les poursuites pénales en question ne peuvent être considérées comme ayant eu un effet dissuasif sur l’activité journalistique et éditoriale de la requérante au point de constituer une ingérence dans l’exercice par l’intéressée de son droit à la liberté d’expression. Il indique à cet égard que la requérante n’a pas été condamnée à une peine à l’issue de ces procédures, lesquelles ont soit été abandonnées pour prescription, soit ont abouti à des décisions d’acquittement ou de condamnation à une amende judiciaire avec sursis. Il ajoute qu’aucune mesure répressive sous forme d’arrestation ou de privation de liberté n’a été adoptée à l’égard de la requérante dans le cadre des procédures en cause et que l’intéressée avait été en mesure d’exercer sa profession pendant toute la durée de celles-ci.
57. La Cour renvoie aux principes qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’existence d’une ingérence dans le droit à la liberté d’expression à raison d’une procédure pénale qui n’a pas abouti à un jugement de condamnation (Dilipak, précité, §§ 44-47).
58. Dans la présente affaire, elle observe que plusieurs procédures pénales ont été engagées contre la requérante pour dénigrement de la République, des forces armées, des forces de sécurité, du gouvernement et de la Grande assemblée nationale de Turquie (infractions réprimées par l’article 159 du CP et par l’article 301 du NCP) du fait d’articles, publiés par elle dans un magazine en sa qualité d’éditrice de celui-ci, et d’un livre, publié par une maison d’édition dont elle était propriétaire. Ces articles et ce livre auraient critiqué les opérations menées par les autorités en réaction aux insurrections survenues dans les prisons en particulier, et les politiques du gouvernement et les pratiques des autorités étatiques en général. La Cour note que la requérante a encouru des peines d’emprisonnement pouvant aller de six mois à trois ans. Elle observe aussi que les procédures pénales en cause ont duré de six à dix ans environ, que quatre d’entre elles ont été déclarées éteintes par prescription (paragraphes 12, 21, 32 et 38 ci-dessus), et que deux autres ont abouti à des condamnations à des amendes judiciaires avec sursis (paragraphes 26 et 41 ci-dessus).
59. La Cour estime que les poursuites pénales qui ont été menées contre la requérante pendant six à dix ans environ du chef de crimes sévèrement réprimés ont pu avoir un effet dissuasif et qu’elles ne peuvent s’analyser comme comportant seulement des risques purement hypothétiques pour la requérante ; selon elle, ces poursuites consistaient en elles-mêmes en des contraintes réelles et effectives sur l’activité d’éditrice de l’intéressée. En effet, la Cour estime que le fait que la requérante a été reconnue coupable des infractions précitées et condamnée à des amendes judiciaires à l’issue de deux procédures a exercé une pression sur l’intéressée, même si les condamnations étaient assorties d’un sursis. Par ailleurs, elle juge que le constat de prescription de l’action publique dans quatre autres procédures a seulement mis fin à l’existence des risques susmentionnés mais n’a rien enlevé au fait que ceux-ci ont exercé une pression sur la requérante pendant un certain temps (Dilipak, précité, § 50).
60. Eu égard à ce qui précède, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée de l’absence de qualité de victime de la requérante et conclut que les poursuites pénales diligentées à l’encontre de l’intéressée constituaient une « ingérence » dans l’exercice par cette dernière de son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention.
2. Justification de l’ingérence
61. La requérante estime que, eu égard aux contenus des articles et du livre qu’elle avait publiés et au nombre limité de personnes ayant accès à ces publications, l’ingérence dans son droit à la liberté d’expression n’était pas justifiée.
62. Le Gouvernement soutient que l’article 159 § 1 de la loi no 765 et l’article 301 de la loi no 5237 constituaient la base légale des procédures pénales diligentées à l’encontre de la requérante.
63. Il argue en outre que l’ingérence portée à la liberté d’expression de la requérante poursuivait les buts légitimes de la protection de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de la défense de l’ordre et de la prévention du crime. Il allègue à cet égard que les articles litigieux publiés par la requérante n’exprimaient pas seulement des opinions, mais incitaient aussi clairement le public à la violence.
64. Il avance enfin que les procédures pénales diligentées à l’encontre de la requérante répondaient à un besoin social impérieux et qu’elles étaient nécessaires dans une société démocratique. Indiquant qu’aucune peine n’a été infligée à la requérante à l’issue de ces procédures, exception faite des amendes judiciaires avec sursis décidées dans deux d’entre elles, il soutient que lesdites procédures n’ont pas constitué un obstacle à l’expression par la requérante de ses opinions sur des sujets d’intérêt général et que l’intéressée a pu poursuivre ses activités éditoriales et journalistiques.
65. La Cour rappelle les principes découlant de sa jurisprudence en matière de liberté d’expression, lesquels sont résumés notamment dans les arrêts Karácsony et autres c. Hongrie ([GC], nos 42461/13 et 44357/13, § 132, CEDH 2016 (extraits)), et Dilipak (précité, §§ 60-64).
66. En l’espèce, elle observe qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que l’ingérence litigieuse était prévue par la loi, à savoir l’article 159 § 1 du CP et l’article 301 du NCP, et qu’elle poursuivait des buts légitimes au sens de l’article 10 de la Convention, à savoir la protection de la sécurité nationale, de la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention du crime.
67. Quant à la nécessité de l’ingérence, la Cour constate que les articles et le livre litigieux communiquaient les idées et les opinions de leurs auteurs sur une question relevant incontestablement de l’intérêt général dans une société démocratique, à savoir les opérations effectuées par les autorités contre les insurrections dans les prisons et les politiques générales de l’État ainsi que les pratiques de ses institutions.
68. Procédant à une analyse des passages concernés des articles litigieux (paragraphes 8, 18, 19, 20, 24, 29, 30, 31, 34, 35, 36, 42, 43 et 44 ci-dessus), elle constate qu’un de ces passages se distingue des autres par son contenu. En effet, selon la Cour, seul le passage qui appelle le public à se mobiliser « afin de dégainer les armes contre toutes les lois fascistes » (paragraphe 24 ci-dessus) était susceptible d’être interprété comme un appel à la violence. Elle considère donc que se pose à cet égard les questions de savoir si, compte tenu des termes employés, du contexte de la publication de l’article concerné et des circonstances de l’affaire, ce passage peut être considéré comme une incitation à la violence (Sürek c. Turquie (no 4) [GC], no 24762/94, § 58, 8 juillet 1999) et si la procédure pénale diligentée à l’encontre de la requérante concernant cet article et sa condamnation à une amende judiciaire avec sursis à l’issue de cette procédure (paragraphe 26 ci-dessus) étaient proportionnées aux buts légitimes visés. Toutefois, eu égard à la conclusion à laquelle elle parviendra quant au restant des articles litigieux (paragraphe 71 ci-dessous), la Cour juge qu’il ne s’impose pas de trancher ces questions.
69. S’agissant des autres passages des articles et du livre litigieux, la Cour relève que certaines expressions employées peuvent, certes, être qualifiées de très virulentes, notamment en ce qui concerne la qualification de l’État de « fasciste » et l’imputation aux autorités étatiques de faits tels que des assassinats, des guerres, des massacres et des crimes. Cependant, elle est d’avis que ces passages peuvent être considérés comme une critique acerbe envers les institutions et les politiques de l’État exprimée dans un langage idéologique. Elle estime que, pris dans leur ensemble, les textes litigieux ne contenaient aucun appel à l’usage de la violence, à la résistance armée ou au soulèvement, et qu’ils ne constituaient pas un discours de haine, ce qui est à ses yeux l’élément essentiel à prendre en considération (Sürek (4), précité, § 58, et Belek et Velioğlu c. Turquie, no 44227/04, § 25, 6 octobre 2015).
70. La Cour considère aussi que, en engageant des poursuites pénales en raison de ces publications à l’encontre de la requérante en sa qualité d’éditrice d’un magazine et de propriétaire d’une maison d’édition, dont l’une a abouti à une amende judiciaire avec sursis à l’exécution et les autres sont éteintes pour prescription, les autorités judiciaires ont exercé un effet dissuasif sur la volonté de l’intéressée de s’exprimer sur des sujets relevant de l’intérêt public (voir, mutatis mutandis, Dilipak, précité, § 70).
71. Eu égard à ce qui précède, elle estime que les mesures incriminées ne répondaient pas à un besoin social impérieux, qu’elles n’étaient pas, en tout état de cause, proportionnées aux buts légitimes visés et que, de ce fait, elles n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique.
72. Partant, elle juge qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
A. Sur le grief relatif à la durée de la procédure
73. La requérante se plaint de la durée des procédures pénales engagées à son encontre. Elle invoque à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
74. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il indique qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie par la loi no 6384 et reproche à la requérante de ne pas l’avoir utilisé pour présenter son grief relatif à la durée des procédures devant la commission d’indemnisation.
75. La requérante ne se prononce pas sur ce point.
76. La Cour rappelle, à l’instar du Gouvernement, qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure d’arrêt pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan c. Turquie (no 24240/07, 20 mars 2012). Elle rappelle également que, par la suite, dans sa décision Turgut et autres c. Turquie ((déc.), no 4860/09, 26 mars 2013), elle a déclaré irrecevable une nouvelle requête, faute pour les requérants d’avoir épuisé les voies de recours internes, en l’occurrence le nouveau recours. Pour ce faire, elle a considéré, notamment, que ce nouveau recours était, a priori, accessible et susceptible d’offrir des perspectives raisonnables de redressement pour les griefs relatifs à la durée de la procédure.
77. La Cour rappelle encore que, dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 77), elle a précisé qu’elle pourrait néanmoins poursuivre, par la voie de la procédure normale, l’examen des requêtes de ce type qui avaient été communiquées au Gouvernement avant la date d’adoption de l’arrêt pilote en question.
78. Toutefois, eu égard à l’exception préliminaire du Gouvernement concernant le défaut allégué du requérant de faire usage du recours instauré par la loi no 6384, la Cour réitère la conclusion à laquelle elle est parvenue dans l’affaire Turgut et autres (décision précitée). Elle conclut dès lors que le grief concernant la durée des procédures pénales diligentées à l’encontre de la requérante doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention (Rifat Demir c. Turquie, no 24267/07, § 35, 4 juin 2013, et Yiğitdoğan c. Turquie (no 2), no 72174/10, § 59, 3 juin 2014).
B. Sur le grief relatif au principe de l’égalité des armes
79. La requérante allègue que le renvoi du dossier de l’affaire par le procureur général près la Cour de cassation à la cour d’assises, dans plusieurs procédures, pour un réexamen à la lumière du NCP, et ce sans avoir recueilli ses observations ni lui avoir notifié les décisions de renvoi, a porté atteinte au principe de l’égalité des armes. Elle invoque à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera, (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
80. La Cour note que, en l’espèce, le procureur général près la Cour de cassation a renvoyé le dossier de l’affaire, dans trois procédures, à la cour d’assises pour un réexamen au regard des dispositions du NCP, entré en vigueur le 1er juin 2005 (paragraphes 9, 15 et 25 ci-dessus). Elle relève que le procureur général n’a, à cet égard, présenté aucun avis susceptible d’appeler les commentaires de la requérante.
81. La Cour constate que le renvoi des dossiers en cause visait à assurer que les dispositions pénales les plus favorables à l’intéressée soient appliquées. Elle observe ainsi que la cour d’assises, considérant que les dispositions du CP étaient plus favorables à la requérante, a de nouveau condamné l’intéressée en application de ces dispositions (paragraphes 10, 16 et 26 ci-dessus). Dès lors, la Cour n’identifie aucune circonstance susceptible d’avoir porté atteinte au principe de l’égalité des armes en l’espèce.
82. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
83. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
84. La requérante réclame 20 000 euros (EUR) pour préjudice moral.
85. Le Gouvernement considère que la demande de la requérante est excessive et qu’elle ne correspond pas à la jurisprudence de la Cour.
86. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 2 500 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
87. La requérante demande 3 000 EUR pour les frais d’avocat, de traduction et de poste qu’elle dit avoir engagés. Elle ne fournit aucun document à cet égard.
88. Le Gouvernement indique que la requérante n’a présenté aucun justificatif à l’appui de sa demande.
89. Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
90. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 10 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement,
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 octobre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Hasan Bakırcı Julia
Laffranque
Greffier adjoint Présidente
[1]. Le 1er janvier 2005, la livre turque (TRY), qui remplace l’ancienne livre turque (TRL), est entrée en vigueur. 1 TRY vaut un million TRL.