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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> EKER v. TURKEY - 24016/05 (Judgment : Remainder inadmissible (Art. 35) Admissibility criteria (Art. 35-3-a) Manifestly ill-founded No violation of Righ...) French Text [2017] ECHR 941 (24 October 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/941.html Cite as: [2017] ECHR 941, CE:ECHR:2017:1024JUD002401605, ECLI:CE:ECHR:2017:1024JUD002401605 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE EKER c. TURQUIE
(Requête no 24016/05)
ARRÊT
STRASBOURG
24 octobre 2017
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Eker c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Julia Laffranque,
présidente,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 septembre 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 24016/05) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Mustafa Eker (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 juin 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me B.S. Akpunar, avocat à Sinop. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le requérant allègue en particulier un défaut d’équité de la procédure ainsi qu’une atteinte à son droit à la liberté d’expression.
4. Le 4 novembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1971 et réside à Sinop.
6. À l’époque des faits, il était l’éditeur du quotidien local « Bizim Karadeniz », diffusé à Sinop.
7. Le 23 février 2005, le requérant publia un éditorial intitulé « Yolunuz açık olsun » (« Que votre route soit dégagée ») dont il était l’auteur. Dans cet éditorial, il critiqua l’association des journalistes de Sinop (« l’association »), lui reprochant d’agir en contradiction avec son objectif principal et de ne plus servir le but pour lequel elle avait été créée. Cet éditorial énonçait notamment :
« (...)
Être témoin, lors d’une réunion de l’association (...) de petits calculs (...) m’a plutôt attristé.
La phrase « si vous avez des griefs, vous viendrez [vous en] expliquer », prononcée avec insistance lors des discussions relatives au journalisme (...) est une des dernières phrases que prononceraient les personnes ayant adopté le métier de journaliste (...). Vous (...) êtes d’abord tenus de suivre les journaux qui sont localement édités (...), puis les informations qui paraissent dans la presse nationale, et de manière générale, toute l’actualité relative à la presse. [Ceci] parce que vous êtes le président et les membres du conseil d’administration de l’association (...).
Au cours de la réunion, j’ai constaté que [non seulement] ces sujets n’étaient pas discutés mais que l’association ne pouvait même pas s’entendre sur la voie à suivre (...). Comment et à quel problème une telle association pourrait-elle trouver une solution ? Alors qu’une pluie de sanctions s’abat sur les journalistes de Bartın et que l’association des journalistes de Bartın fait des déclarations sur ce sujet, notre association qui est une structure autonome consulterait la direction générale ! Alors que (...) ceux qui doivent régler mes problèmes se trouvent ici, ils lancent la balle en dehors du terrain et sont épris de la protection de leur propre siège.
(...)
“Ceux qui ne gagnent pas leur vie [en exerçant la profession] de journaliste ne peuvent être membres de l’association”. Tu as raison Monsieur le président... Maintenant je demande : quel membre de votre conseil d’administration gagne-t-il sa vie en tant que journaliste ? Pour quel journal travaillez-vous actuellement ? K.T., qui est membre de votre conseil d’administration, gagne-t-il sa vie seulement en tant que journaliste ou n’est-il pas fonctionnaire (...) ? Et en plus, vous parlez de ma démission ! Oui, c’est vrai, un an plus tôt je vous ai remis une demande de démission. Vous n’y avez donné aucune réponse (...). Pourquoi n’avez-vous pas fait votre devoir ? L’association a-t-elle été mise en conformité avec la nouvelle loi sur les associations ?
À ceux qui se mettent en colère parce que j’écris ainsi : vous êtes la cause [de mes écrits]. La direction pense exactement comme le président de l’association. Le soutenir veut dire partager ses opinions. En qualité de membres du conseil d’administration, quels engagements avez-vous respectés ?
(...) Ceux qui s’accrochent (...) à leur siège (...) alors que les journalistes, y compris de la presse nationale, s’évertuent à éclairer le public sont dans l’inconscience. N’oubliez pas que chaque information que vous pouvez traiter aujourd’hui mais que vous ne pourrez plus traiter demain en raison du nouveau code pénal va entraver le paiement de salaires et de primes par les journaux dont vous êtes les correspondants (...).
Chers lecteurs, tout d’abord, je vous demande pardon pour vous avoir ennuyé en m’attardant sur un sujet qui ne concerne que nous [les journalistes], alors que Sinop et nos [concitoyens] ont tant d’autres problèmes (...). Mais, il est inacceptable (...) que notre adhésion [à l’association] soit considérée comme une faveur (...).
(...). »
8. Le 25 février 2005, le président de l’association, estimant que l’éditorial du requérant portait atteinte à sa dignité et à celle des autres dirigeants de l’association, lui envoya une réponse rectificative pour publication.
9. Le 3 mars 2005, face au refus du requérant de publier celle-ci, il saisit le tribunal de paix de Sinop (Sulh ceza mahkemesi) d’une demande d’injonction de la publication de sa réponse rectificative. À l’appui de sa demande, il argua que l’article litigieux avait porté atteinte à son honneur et à sa dignité de même qu’à celles des membres du conseil d’administration de l’association. Il soutint en outre que l’article contenait des imputations inexactes à leur égard.
10. Le 4 mars 2005, constatant que le texte de la réponse rectificative portait sur l’éditorial du requérant et ne contenait pas d’éléments infractionnels, un juge du tribunal de paix de Sinop, statuant sur dossier, en ordonna la publication, en vertu de l’article 14 de la loi no 5187 sur la presse, dans les trois jours suivant la date où cette décision deviendrait définitive. Il précisa en outre qu’une opposition urgente pouvait être formée contre sa décision dans les trois jours suivant sa notification.
11. Le 15 mars 2005, le requérant forma opposition contre cette décision devant le tribunal correctionnel de Sinop. Il soutint que le texte litigieux n’avait pas trait à son article, contenait des insultes et était contraire à l’esprit de la loi sur la presse. Il exposa tout d’abord les raisons d’être de son éditorial, dans lequel il admit avoir critiqué l’association. Il soutint toutefois que cette critique ne dépassait pas les limites admissibles. Il argua ensuite n’avoir utilisé aucune expression insultante ou dénigrante. Il fit en outre valoir que la réponse rectificative ne portait pas sur des informations factuelles mais rendait compte des opinions de l’association et comportait des expressions outrageantes à son endroit ainsi que des informations erronées. Il soutint que le texte en question ne pouvait s’entendre comme l’exercice d’un droit de réponse conforme à l’article 14 de la loi sur la presse.
12. Le 17 mars 2005, un juge du tribunal correctionnel de Sinop, statuant à titre définitif sur dossier, après avoir pris en considération la décision de publication du tribunal de paix, la pétition d’opposition, le journal, les textes relatifs à l’opposition, l’article 14 de la loi no 5187 et l’avis du procureur de la République, rejeta l’opposition.
13. Par conséquent, le texte de la réponse rectificative fut publié dans le journal du requérant en ces termes :
« (...)
Dans l’éditorial intitulé « Que votre route soit dégagée », signé par Mustafa Eker (...), le président et le conseil d’administration de l’association (...) ont été pris pour cibles et certaines critiques injustes et dénuées de fondement ont été proférées.
Tout d’abord, nous voulons déclarer que l’association (...), qui remplit sa mission de la meilleure façon possible depuis sa fondation en 1981, est le premier organisme de presse de Sinop. Notre association est également un membre respecté du conseil de presse de la fédération des journalistes de Turquie.
Depuis sa fondation, notre association a fait tous les efforts possibles afin de défendre les droits (...) de ses membres. Elle va continuer à le faire.
L’association (...) sert équitablement tous ses membres. Lorsque nos membres ont un quelconque problème, la direction de notre association en est informée (...). En fait, l’association est l’unique endroit où les problèmes sont discutés et où des solutions sont recherchées. Les membres de notre conseil d’administration décident avec leur libre arbitre. Contrairement à ce qui a été allégué, aucun membre de notre conseil d’administration n’est obligé d’accepter sans condition les opinions et pensées de notre président (...).
S’évertuer à nuire à la réputation de notre association aux yeux de l’opinion publique [sans à propos ni maîtrise de sujet] (hariçten gazel okuyarak) ne sied pas à Mustafa Eker.
Le président et les membres du conseil d’administration de l’association (...) ont une expérience du journalisme et du [statut] de dirigeants [qui se compte en] années au moins aussi nombreuses que l’âge de Mustafa Eker. De plus, ils sont arrivés aux fonctions qu’ils assument par voie d’élection. Que Monsieur Eker ne s’avise pas de nous donner des leçons de journalisme et d’administration.
Aucun membre de notre conseil d’administration, y compris le président, n’est épris de son siège. Nous remplissons nos fonctions en faisant tous les sacrifices matériels et moraux nécessaires pour la survie de notre association fondée il y a vingt-quatre ans.
Il est vrai que Mustafa Eker a voulu démissionner de notre association. Toutefois, à l’époque, pensant qu’il renoncerait à certaines attitudes et certains comportements négatifs, nous n’avions pas traité sa requête. D’autre part, il a lui-même été appelé à l’association et informé oralement que sa démission n’avait pas été acceptée.
Celui qui n’a pas [imprimé] sa marque sur un champ ne peut [se présenter] à la récolte ! Les critiques injustes et iniques d’Eker à l’encontre de notre association [alors que] depuis deux ans il n’a pas rempli ses devoirs d’adhérent, y compris s’agissant [de l’acquittement] de ses contributions ne nous empêcheront jamais de dessiner de nouveaux horizons.
D’après notre compréhension du journalisme, un journaliste qui informe la société avec ses articles de manière objective et indépendante, sans porter atteinte à l’honneur et à la dignité des personnes, est un bon journaliste. Partout, il sera respecté. En revanche, les prétendus journalistes qui écrivent (...) au gré des souhaits et des envies de leur patron et font les louanges de certaines catégories [de personnes] sont, dans notre cercle, dénommés des journalistes entretenus ou dépendants. Notre peuple connaît très bien ces derniers. »
II. LE DROIT INTERNE ET EUROPÉEN PERTINENT
14. L’article 32 de la Constitution turque dispose :
« Droit de rectification et de réponse.
Le droit de rectification et de réponse n’est reconnu que dans les cas d’atteinte à la dignité et à l’honneur des personnes ou de publications fausses les concernant, et est réglementé par la loi.
En cas de non publication de la rectification ou de la réponse, le juge statue au sujet de la nécessité de sa publication au plus tard dans les sept jours de la requête de l’intéressé. »
15. L’article 14 de la loi no 5187 sur la presse adoptée le 9 juin 2004 et publiée au Journal officiel le 26 juin 2004 prévoit, dans ses passages pertinents en l’espèce :
« En cas de publication contraire à la réalité ou portant atteinte à l’honneur et à la dignité des personnes dans un périodique, le directeur de la publication doit publier, sans modification et dans les trois jours à partir de sa réception, la réponse rectificative que la personne ayant subi l’atteinte doit lui envoyer dans un délai de deux mois suivant la date de parution de l’article. La réponse rectificative qui ne doit pas comporter d’éléments infractionnels ni porter atteinte aux droits d’autrui, doit figurer à la même page et dans le même format (...) que ledit article (...).
La réponse rectificative indique l’article ayant occasionné la réponse. La réponse ne saurait être plus longue que l’article qu’elle entend rectifier (...).
Dans le cas où la réponse rectificative n’est pas publiée dans le délai fixé au premier paragraphe (...) le demandeur peut introduire une demande d’injonction devant le juge de paix (...) dans un délai de quinze jours à partir de la fin du délai imparti pour la publication (...). Le juge de paix statue sur cette demande, sans tenir d’audience, dans un délai de trois jours.
Il est possible de former un recours en opposition d’urgence contre la décision du juge de paix. L’instance compétente examine l’opposition dans les trois jours et statue. La décision de l’instance compétence est définitive.
(...) »
16. Le droit européen pertinent concernant le droit de réponse est décrit dans l’affaire Melnitchouk c. Ukraine ((déc.), no 28743/03, 5 juillet 2005).
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
17. Invoquant les articles 6, 8 et 13 de la Convention, le requérant allègue le défaut d’équité de la procédure de droit de réponse rectificative et l’absence d’une voie de recours effective. Il dénonce à cet égard, l’absence d’audience et l’insuffisance d’examen devant le tribunal de paix et le tribunal correctionnel et l’impossibilité de se pourvoir contre les décisions de ces derniers devant une juridiction suprême.
18. La Cour rappelle que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements. Eu égard aux circonstances dénoncées par le requérant et à la formulation de ses griefs, elle estime qu’il convient d’examiner les griefs du requérant sous le seul angle de l’article 6 § 1 de la Convention, qui se lit comme suit, en ses passages pertinents en l’espèce:
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A Sur le grief relatif à l’absence d’audience devant le tribunal de paix et le tribunal correctionnel
1) Sur la recevabilité
19. La Cour observe qu’en droit turc la procédure de droit de réponse n’est pas une procédure préliminaire et revêt un caractère autonome. Elle observe en outre que, même si cette procédure se déroule devant les juridictions pénales, vu le contenu matériel et des effets que confère le droit turc au droit en question afin de protéger l’honneur et la dignité des personnes (paragraphes 14 et 15 ci-dessus), elle concerne essentiellement une contestation sur un droit de caractère civil, à savoir le droit de jouir d’une bonne réputation (voir Helmers c. Suède, 29 octobre 1991, § 27, série A no 212-A). Dès lors, la Cour considère que l’article 6 § 1 de la Convention se trouve applicable à la procédure en question dans son volet civil.
20. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
2) Sur le fond
21. Le Gouvernement argue qu’au regard des éléments versés au dossier de l’affaire, il n’était pas nécessaire d’entendre le requérant aux fins d’assurer une procédure équitable. Cependant, il laisse l’appréciation de ce grief à la discrétion de la Cour.
22. Le requérant ne se prononce pas sur les arguments du Gouvernement.
23. La Cour rappelle que la publicité de la procédure judiciaire constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1 de la Convention. Cette publicité protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue ainsi l’un des moyens qui contribuent à la préservation de la confiance dans les tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l’article 6 § 1 de la Convention : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes fondamentaux de toute société démocratique (Diennet c. France, 26 septembre 1995, § 33, série A no 325-A, B. et P. c. Royaume-Uni, nos 36337/97 et 35974/97, § 36, CEDH 2001-III, Martinie c. France [GC], no 58675/00, § 39, CEDH 2006-VI, Olujić c. Croatie, no 22330/05, § 70, 5 février 2009, et Nikolova et Vandova c. Bulgarie, no 20688/04, § 67, 17 décembre 2013).
24. La Cour rappelle aussi que l’obligation de tenir une audience publique n’est pas absolue (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 66, série A no 171-A, et Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, § 41, CEDH 2006-XIII). En effet, selon la jurisprudence établie de la Cour, dans une procédure se déroulant devant un premier et seul tribunal, le droit de chacun à ce que sa cause soit « entendue publiquement », au sens de l’article 6 § 1, implique le droit à une « audience » à moins que des circonstances exceptionnelles ne justifient de s’en dispenser (voir Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 47, CEDH 2002-V, Martinie, précité, § 41 et Pönkä c. Estonie, no 64160/11, § 31, 8 novembre 2016). Lorsque l’absence d’audience est une règle générale et absolue, sans que la possibilité ne soit offerte au requérant de solliciter la tenue de débats publics au regard des particularités de sa cause, alors des circonstances « tout à fait exceptionnelles » (par exemple la technicité d’opérations comptables) sont requises (Martinie, précité, § 42). L’article 6 de la Convention n’exige donc pas nécessairement la tenue d’une audience dans toutes les procédures. Tel est notamment le cas pour les affaires ne soulevant pas de question de crédibilité ou ne suscitant pas de controverse sur les faits qui auraient requis une audience, et pour lesquelles les tribunaux peuvent se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions présentées par les parties et d’autres pièces (voir, par exemple, Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002, Pursiheimo c. Finlande (déc.), no 57795/00, 25 novembre 2003, et Şahin Karakoç c. Turquie, no 19462/04, § 36, 29 avril 2008). Partant, la Cour ne saurait conclure, même dans le cas d’une juridiction investie de la plénitude de juridiction, que l’article 6 précité implique toujours le droit à une audience publique, indépendamment de la nature des questions à trancher. D’autres considérations, dont le droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité en découlant d’un traitement rapide des affaires inscrites au rôle des tribunaux, entrent en ligne de compte pour déterminer si des débats publics sont nécessaires (Varela Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002). La Cour a ainsi déjà considéré que des procédures consacrées exclusivement à des points de droit ou hautement techniques peuvent remplir les conditions de l’article 6 de la Convention même en l’absence de débats publics (Jurisic et Collegium Mehrerau c. Autriche, no 62539/00, § 65, 27 juillet 2006, et Mehmet Emin Şimşek c. Turquie, no 5488/05, §§ 30-31, 28 février 2012).
25. La Cour observe que le droit de réponse fait partie intégrante du système juridique turc (paragraphes 14 et 15 ci-dessus), qui prévoit également une voie d’opposition pour les deux parties au litige, à savoir la presse et l’individu qui entend faire publier sa réponse (Oktar c. Turquie (déc), no 42876/05, 10 mai 2011).
26. En l’espèce, la Cour note que l’association qui avait été mise en cause par le requérant dans un éditorial, a saisi le juge de paix pour obtenir la publication de sa réponse rectificative. Conformément à l’article 14 de la loi no 5187 (paragraphe 15 ci-dessus), le requérant ne pouvait pas prendre part à la procédure qui s’ensuivit devant le juge de paix (paragraphes 9 et 10 ci-dessus). Cela étant, il a eu la possibilité de saisir le tribunal correctionnel d’un recours en opposition contre la décision du juge de paix (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour note en outre que le tribunal de paix et le tribunal correctionnel ont examiné respectivement la demande d’injonction introduite par l’association et le recours en opposition formé par le requérant sur dossier et sans tenir d’audience.
27. La Cour relève que la question qui devait être tranchée par les juridictions internes en l’espèce était celle de savoir si l’honneur et la dignité de l’association avait été entachées et donc si elle était en droit d’obtenir la publication de son droit de réponse. Les tribunaux internes devaient par la suite procéder à un examen portant sur le contenu du texte du droit de réponse pour s’assurer qu’il ne comporte pas d’élément infractionnel ou qu’il ne porte pas atteinte aux droits d’autrui ainsi que sur sa forme pour s’assurer qu’il ne soit plus longue que l’article qu’il entend rectifier (paragraphe 15 ci-dessus).
28. La Cour estime que ces questions, qui nécessitent un examen textuel et technique sur le contenu et la forme de la réponse rectificative, pouvaient être examinées et tranchées de manière adéquate sur la base des observations et pièces présentées par les parties. La Cour considère donc que dans les circonstances de la présente affaire et étant donné la nature de la procédure, aucune question de crédibilité appelant un débat sur les éléments de preuve ou une audition contradictoire de témoins ne se posait en l’espèce. Elle note à cet égard que la procédure de droit de réponse se déroule indépendamment d’un éventuel procès ultérieur en diffamation au cours duquel le contrôle de véracité pourra être effectué dans le strict respect du principe de contradictoire. La procédure de droit de réponse vise, à ce stade, à assurer un équilibre entre la mise en cause d’une personne et le redressement que cette dernière sollicite.
29. La Cour observe par ailleurs que la procédure de droit de réponse, telle qu’elle est prévue par le droit turc, s’inscrit dans le cadre d’une procédure d’urgence exceptionnelle. En effet, selon les dispositions de la loi no 5187, le juge de paix statue sur une demande d’injonction relative à la publication d’un droit de réponse dans un délai de trois jours et le tribunal correctionnel statue sur une opposition formée contre une décision d’injonction encore dans un délai de trois jours (paragraphe 15 ci-dessus). Par ailleurs, en l’espèce, le juge de paix a précisé qu’une opposition contre sa décision d’injonction devait être formée dans les trois jours suivant sa notification (paragraphe 10 ci-dessus). La Cour constate donc que la célérité constitue une caractéristique essentielle de la procédure de droit de réponse rectificative. Elle rappelle à cet égard que pour certaines affaires il est légitime que les autorités nationales tiennent compte d’impératifs d’efficacité et d’économie (arrêt Schuler-Zgraggen c. Suisse du 24 juin 1993, § 58, série A no 263).
30. La Cour estime que cette exigence de traitement rapide imposée aux juridictions internes, à l’endroit de la publication d’un droit de réponse rectificative, peut être considérée nécessaire et justifiable afin de permettre la contestation d’informations fausses parues dans la presse et pour assurer une pluralité d’opinions dans le cadre d’un échange d’idées dans un domaine d’intérêt général. Elle rappelle à cet égard que l’information est un bien périssable et en retarder la publication, même pour une brève période, risque fort de la priver de toute valeur et de tout intérêt (Kaos Gl c. Turquie, no 4982/07, § 50, 22 novembre 2016).
31. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère, qu’en l’espèce, dans le cadre de la procédure du droit de réponse rectificative où les questions de droit ne revêtaient pas de complexité particulière et où les tribunaux internes devaient statuer d’une manière rapide, le fait que les juridictions internes aient forgé leur conviction après examen des pièces du dossier et sans la tenue d’une audience ne porte pas atteinte aux exigences de l’article 6 § 1 en matière d’oralité et de publicité (Varela Assalino, précité).
32. Partant, en l’espèce, il n y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, en raison de l’absence d’audience devant les juridictions internes.
B. Sur les autres griefs
33. Pour ce qui est du grief relatif à l’insuffisance d’examen par les juridictions internes de la demande de publication de la réponse rectificative de l’association des journalistes de Sinop ainsi que de l’opposition formée contre la décision d’opposition, la Cour relève que le requérant se plaint essentiellement de l’appréciation des éléments du dossier par les juridictions internes ainsi que de l’issue de la procédure. Elle rappelle à cet égard que l’administration des preuves relève au premier chef des règles du droit interne et qu’il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles (Edwards c. Royaume-Uni, 16 décembre 1992, § 34, série A no 247-B). Elle rappelle aussi qu’elle n’a pas à s’ériger en juge de quatrième instance et qu’elle ne remet pas en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (voir, par exemple, Khamidov c. Russie, no 72118/01, § 170, 15 novembre 2007, Anđelković c. Serbie, no 1401/08, § 24, 9 avril 2013, et Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61, 5 février 2015).
34. La Cour relève qu’en l’espèce, le requérant a pu présenter ses arguments contre la publication dudit droit de réponse lors de l’opposition qu’il a formée devant le tribunal correctionnel et les juridictions internes ont finalement décidé de la publication de la réponse rectificative de l’association. La Cour note en outre que le requérant ne présente aucun élément pour étayer son allégation selon laquelle les juridictions internes n’ont pas examiné le texte de la réponse rectificative d’une manière adéquate. Ainsi, rien ne permet à la Cour de considérer qu’en l’espèce l’appréciation des éléments de preuve par les juridictions nationales a été arbitraire ou manifestement déraisonnable.
35. Enfin, quant au grief du requérant tiré de l’absence de recours devant une juridiction suprême, la Cour constate qu’aucun recours n’était légalement possible contre la décision du tribunal correctionnel en vertu du droit interne (paragraphes 12 et 15 ci-dessus) et rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention ne garantit pas le droit à un double degré de juridiction (voir, Oktar, précité, s’agissant de la procédure relative au droit de réponse).
36. Au vu de tout ce qui précède, la Cour estime que, ces griefs sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
37. Le requérant se plaint d’avoir été contraint de publier un texte portant atteinte à son honneur et à sa dignité et allègue que cette publication constitue une ingérence dans son droit à la liberté d’expression. Il invoque l’article 15 de la Convention à l’appui de ses dires.
38. La Cour estime opportun d’examiner le grief du requérant sous l’angle de l’article 10 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (...) »
A. Sur la recevabilité
39. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
40. Le Gouvernement argue que l’ingérence litigieuse était prévue par la loi, à savoir l’article 32 de la Constitution et l’article 14 de la loi sur la presse, et poursuivait le but légitime de protection de la réputation et des droits d’autrui. Il soutient de plus que la presse a le devoir de ne pas dépasser certaines limites. Selon lui, la publication du droit de réponse litigieux avait également pour but de permettre que différentes opinions puissent s’exprimer sur une même plateforme et ainsi permettre un juste équilibre entre les différents droits en cause. Il argue que cette publication répondait à un besoin social impérieux, était importante pour assurer une pluralité et pour permettre à l’association des journalistes de Sinop, qui alléguait avoir publiquement été insultée, de se faire entendre dans les mêmes conditions que le requérant.
41. Le requérant ne répond pas aux arguments du Gouvernement.
42. La Cour renvoie aux principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence en matière de liberté d’expression (voir, Morice c. France [GC], no 29369/10, §§ 124-125, 23 avril 2015, et Karácsony et autres c. Hongrie ([GC], nos 42461/13 et 44357/13, § 132, CEDH 2016 (extraits)).
43. Elle rappelle que l’obligation de publier une réponse rectificative est un élément normal du cadre légal régissant l’exercice de la liberté d’expression par la presse écrite et qu’elle ne peut, en tant que telle, être considérée comme excessive ou déraisonnable (Kaperzyński c. Pologne, no 43206/07, § 66, 3 avril 2012, et Rusu c. Roumanie, no 25721/04, § 25, 8 mars 2016). En effet, le droit de réponse, en tant qu’élément important de la liberté d’expression, entre dans le champ d’application de l’article 10 de la Convention. Cela découle de la nécessité non seulement de permettre la contestation d’informations fausses, mais aussi d’assurer une pluralité d’opinions, en particulier dans des domaines d’intérêt général tels que le débat littéraire et politique (Melnitchouk, précité).
44. Toutefois, les restrictions et limitations du second paragraphe de l’article 10 s’appliquent pareillement à l’exercice de ce droit. Il convient de garder à l’esprit que l’obligation incombant à l’État de garantir la liberté d’expression de l’individu ne donne pas aux particuliers ou aux organisations un droit illimité d’accéder aux médias afin de promouvoir leurs opinions (ibidem).
45. La Cour rappelle en outre qu’en règle générale les journaux et autres médias privés doivent jouir d’un pouvoir « rédactionnel » discrétionnaire pour décider de publier ou non des articles, commentaires ou lettres émanant de particuliers. Dans des circonstances exceptionnelles on peut toutefois légitimement exiger d’un journal qu’il publie une rétractation, des excuses ou encore une décision de justice rendue dans une affaire de diffamation. Il existe donc des situations où l’État peut avoir une obligation positive d’assurer la liberté d’expression d’un individu dans de tels médias. En tout état de cause, l’État doit veiller à ce qu’un déni d’accès aux médias ne constitue pas une atteinte arbitraire et disproportionnée à la liberté d’expression d’un individu, et à ce que pareil déni puisse être dénoncé devant les autorités internes compétentes (ibidem).
46. La Cour note qu’en l’espèce l’association des journalistes de Sinop a saisi le tribunal de paix pour obtenir la publication de sa réponse rectificative par le requérant. Elle considère que la publication du texte de la réponse rectificative de cette association avait trait à l’exercice, par celle-ci, de sa liberté d’expression.
47. La Cour estime également que l’obligation faite au requérant de publier une réponse rectificative peut être considérée comme une ingérence dans son droit à la liberté d’expression. Elle observe en outre que cette ingérence était prévue par la loi, à savoir l’article 32 de la Constitution et l’article 14 de la loi sur la presse, et poursuivait le but légitime de protéger la réputation et les droits d’autrui (paragraphes 14 et 15 ci-dessus). En effet, le droit de réponse vise à permettre à tout individu de se protéger contre certaines informations ou opinions diffusées par les moyens de communication de masse qui seraient de nature à porter atteinte à sa vie privée, son honneur et sa dignité (Ediciones Tiempo c. Espagne, no 13010/87, décision de la Commission du 12 juillet 1989, Décisions et rapports 62, p. 247).
48. Quant à la question de savoir si cette ingérence était nécessaire, la Cour rappelle que dans une société démocratique, le droit de réponse constitue une garantie du pluralisme dans l’information dont le respect doit être assuré (Ediciones Tiempo, précité). En l’espèce, elle relève que le requérant a dû publier un texte de l’association des journalistes de Sinop, qui répondait aux critiques formulées contre ses dirigeants. Le texte de ce droit de réponse comportait un exposé du fonctionnement de l’association et du travail effectué par ses membres et apportait des réponses aux questions soulevées par le requérant dans son éditorial. Il contenait également une critique du requérant et des sous-entendus quant à son intégrité professionnelle (paragraphe 13 ci-dessus).
49. Cela étant, la Cour observe que les instances nationales saisies estimèrent que le texte litigieux portait sur l’éditorial du requérant et ne contenait pas d’éléments infractionnels. À cet égard, la Cour rappelle que dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions nationales, mais il lui incombe de vérifier, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation se concilient avec les dispositions de la Convention invoquées (Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France [GC], no 40454/07, § 90, CEDH 2015 (extraits)).
50. Dans les circonstances de la présente affaire, la Cour estime que les juridictions internes peuvent être considérées comme ayant ménagé un juste équilibre entre le droit du requérant à la liberté d’expression et celui de l’association mise en cause à la protection de sa réputation. En effet, si le texte de la réponse rectificative comportait des allusions qui pouvaient être désobligeantes pour le requérant, la Cour considère qu’il ne dépassait pas pour autant les limites de la critique admissible. Le ton employé était par ailleurs sensiblement proche de celui que le requérant avait lui-même utilisé dans son éditorial.
51. La Cour souligne en outre que la mesure de publication incriminée était proportionnée au but poursuivi, le requérant n’ayant pas été obligé de modifier le contenu de son article. Rien ne s’opposait par ailleurs à ce qu’il puisse publier à nouveau sa version des faits.
52. Au vu de tout ce qui précède, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention en l’espèce.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
53. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
54. Le requérant n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention relativement à l’absence d’audience devant les juridictions internes ainsi qu’au grief tiré de l’article 10 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention relativement à l’absence d’audience devant les juridictions internes ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley Naismith Julia Laffranque
Greffier Présidente