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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> VILCHES CORONADO AND OTHERS v. SPAIN - 55517/14 (Judgment : No Article 6 - Right to a fair trial : Third Section) French Text [2018] ECHR 228 (13 March 2018)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/228.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2018:0313JUD005551714, [2018] ECHR 228, CE:ECHR:2018:0313JUD005551714

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TROISIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE VILCHES CORONADO ET AUTRES c. ESPAGNE

 

(Requête no 55517/14)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

STRASBOURG

 

13 mars 2018

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Vilches Coronado et autres c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 février 2018,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 55517/14) dirigée contre le Royaume d'Espagne et dont quatre ressortissants de cet État - dont les noms figurent sur la liste en annexe - (« les requérants »), ont saisi la Cour le 23 juillet 2014 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me M.L. García Blanco, avocate à Madrid. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. R.-A. León Cavero, avocat de l'État et chef du service juridique des droits de l'homme au ministère de la Justice.

3. Les requérants se plaignaient d'une violation de l'article 6 § 1 de la Convention au motif qu'ils n'auraient pas été entendus par la juridiction d'appel.

4. Le 31 août 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Les requérants sont nés entre 1936 et 1967 et résident à Valence.

6. Par une décision du 31 octobre 2012, le juge pénal no 12 de Valence acquitta les requérants du délit à l'encontre du Trésor public dont ils étaient accusés. Au cours de l'audience publique devant ce juge, les requérants furent interrogés, à l'exception de la requérante figurant à l'annexe sous le numéro 2, qui fit usage de son droit de ne pas faire de déclaration. Par ailleurs, le juge entendit des témoins experts - des inspecteurs des finances - ainsi que des experts proposés par les requérants. Il considéra que l'ensemble des éléments de preuve administrés n'avaient pas permis de démontrer l'existence du délit allégué par les parties accusatrices, à savoir le ministère public et l'Agence nationale de l'administration fiscale. Il estima en particulier que les inspecteurs des finances ne pouvaient pas être considérés comme des témoins impartiaux dans la mesure où ils étaient au service du Trésor public.

7. Le ministère public et l'avocat de l'État firent appel de ce jugement et en sollicitèrent la nullité en raison, selon eux, d'une erreur grave dans l'appréciation des preuves relatives aux rapports des inspecteurs des finances.

8. Le 31 janvier 2013 eut lieu une audience publique devant l'Audiencia Provincial de Valence (« l'Audiencia »), au cours de laquelle les requérants eurent l'occasion de présenter leurs arguments.

9. Par un arrêt du 6 février 2013, l'Audiencia déclara la nullité du jugement contesté pour erreur grave dans l'appréciation des preuves. Elle renvoya l'affaire au juge pénal afin qu'il rende un nouveau jugement. Concrètement, elle enjoignit au juge :

« (...) d'apprécier la totalité des moyens de preuve déclarés recevables et de reconnaître l'impartialité des inspecteurs des finances [ayant apporté leur] contribution pendant l'audience publique en tant que témoins experts ».

10. Par un jugement rendu le 27 février 2013 après la tenue d'une audience publique, le juge pénal no 12 de Valence acquitta une nouvelle fois les requérants du délit contre le Trésor public dont ils étaient accusés. Afin de parvenir à sa conclusion, le juge interrogea les requérants au cours de l'audience, à l'exception de la requérante figurant à l'annexe sous le numéro 2, qui fit de nouveau usage de son droit de ne pas faire de déclaration. Par ailleurs, il entendit des experts et des témoins proposés par chacune des parties et examina des documents pertinents pour le dossier. Après l'examen de ces éléments de preuve, il conclut qu'il n'était pas possible de reprocher aux accusés d'avoir créé une simulation pour échapper à leurs obligations fiscales, comme le soutenaient les parties accusatrices. Or l'existence d'une telle simulation était nécessaire pour pouvoir condamner les requérants pour un délit contre le Trésor public. Ainsi, le juge fit les observations suivantes :

« (...) tous les indices sont certes avérés. Cependant, eu égard à l'absence de preuve (...) permettant de conclure que les accusés simulaient leur activité entrepreneuriale, alors qu'une telle preuve était à même d'être établie, [il n'est pas possible de considérer que] ces indices remplissaient les exigences de la jurisprudence pour pouvoir prévaloir sur le principe de la présomption d'innocence (...).

(...) L'ensemble d'indices avérés dans le cas d'espèce permettent aussi d'arriver à une conclusion différente de celle maintenue par les parties accusatrices, à savoir que chacun des accusés exerçait une activité en tant qu'entrepreneur individuel (...) avec comme objectif celui d'économiser des frais et d'obtenir plus de bénéfices, mais sans l'intention de frauder le Trésor public dans ses déclarations d'impôts sur les revenus des sociétés (...) »

11. Le ministère public et l'avocat de l'État firent appel de ce jugement. Alors que le premier se limita à solliciter la nullité du jugement au motif que sa motivation était insuffisante, le deuxième, quant à lui, demanda la condamnation des accusés.

12. La troisième section de l'Audiencia décida de tenir une audience publique le 17 mai 2013, en application de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel à cet égard. Elle rappela en particulier que, conformément à l'arrêt no 88/2013 de la haute juridiction, il serait contraire aux exigences du procès équitable que l'organe judiciaire chargé d'un recours contre un jugement d'acquittement parvienne à une conclusion de culpabilité en l'absence d'une audience publique, dans les cas où il procéderait à une nouvelle appréciation des faits déclarés prouvés se fondant sur des preuves dont la nature exigerait nécessairement le respect du principe d'immédiateté. Tel serait le cas des déclarations des témoins, des experts et des accusés. L'Audiencia rappela également que la jurisprudence constitutionnelle avait admis que l'absence d'audience n'était pas contraire au droit à un procès équitable lorsque la condamnation en appel était intervenue après la modification des faits résultant de l'appréciation de preuves dont la nature ne nécessitait pas de présence physique pour leur administration, telles que les preuves à caractère documentaire, ou encore lorsque la modification factuelle était la conséquence d'une divergence reposant sur l'appréciation de preuves indiciaires, le tribunal d'appel se limitant dans ces cas-là à rectifier l'inférence effectuée par l'organe a quo. En effet, dans cette dernière hypothèse, il s'agissait d'appliquer des « règles de l'expérience », lesquelles ne nécessitaient pas le respect du principe d'immédiateté.

13. L'Audiencia se référa une nouvelle fois à la doctrine du Tribunal constitutionnel pour noter que la présence de l'accusé devant la juridiction d'appel était requise dans tous les cas où il convenait de débattre des questions de fait relatives à sa déclaration d'innocence ou de culpabilité, afin qu'il puisse exposer sa version personnelle sur sa participation aux faits qui lui étaient reprochés.

14. Le président de la troisième section commença l'audience en se référant au matériel écrit dont il disposait et déclara que le dossier était complet, sous réserve des nouvelles informations que les parties souhaiteraient apporter. Tant le ministère public que l'avocat de l'État firent de brefs exposés sur le bien-fondé de leurs recours. Quant à l'avocat des requérants, il se référa à ses mémoires écrits et ajouta que les parties accusatrices se limitaient à contester la motivation du jugement a quo et l'appréciation des preuves administrées, et estima à cet égard que le procès devant le juge pénal no 12 de Valence avait respecté toutes les garanties du droit à un procès équitable. À la fin de l'audience, le juge demanda aux requérants, qui étaient présents, s'ils avaient des arguments additionnels pour leur défense ou bien s'ils préféraient renvoyer aux mémoires déposés par leur avocat. Ils gardèrent le silence et ne furent pas interrogés davantage.

15. Par un arrêt du 29 mai 2013, l'Audiencia rejeta les prétentions du ministère public mais accueillit celles de l'avocat de l'État : elle annula le jugement attaqué et condamna le requérant figurant à l'annexe sous le numéro 1 du chef de trois délits contre le Trésor public prévus à l'article 305 du code pénal et les trois autres requérants en tant que complices de ces trois mêmes délits. Elle infligea aux requérants une peine de trois ans d'emprisonnement chacun. Dans son arrêt, elle nota que le fait d'avoir tenu une audience publique, au cours de laquelle les accusés avaient eu l'opportunité d'être entendus sur les allégations des parties accusatrices, l'autorisait à réviser les faits déclarés prouvés et les preuves à caractère documentaire apportées par les parties demanderesses, ainsi que l'inférence effectuée par le juge a quo à partir de plusieurs indices.

16. Ainsi, après avoir modifié les faits déclarés prouvés par le juge a quo, l'Audiencia considéra que, en l'espèce, la simulation prévue à l'article 305 du code pénal avait bien eu lieu. Pour parvenir à sa conclusion, elle procéda à l'appréciation des preuves à caractère documentaire ainsi que des preuves personnelles administrées devant le juge pénal, à savoir les déclarations des experts intervenues en première instance ainsi que celles des accusés. Sur ce point, elle considéra qu'il n'y avait pas d'obstacle pour une telle réinterprétation au motif que l'appréciation des éléments de preuve à caractère documentaire avait permis, à elle seule, de parvenir à une conclusion de culpabilité vis-à-vis des accusés. Elle estima que, de ce fait, la réappréciation des preuves personnelles serait, quant à elle, utilisée au bénéfice des requérants et leur permettrait éventuellement d'échapper à cette responsabilité pénale initiale.

17. L'Audiencia rappela par la suite que, conformément à une jurisprudence bien établie, le délit contre le Trésor public se composait de deux éléments :

« (...) d'une part, le non-respect d'une obligation exigible juridiquement, à savoir celle de déclarer les revenus (...) et [d'autre part] (...) l'intention de cacher les revenus à l'administration fiscale. [Puisqu'il s'agit d'un] délit intentionnel, le désir de ne pas payer l'impôt doit être présent. »

18. En l'espèce, l'Audiencia considéra que l'élément objectif du délit était présent puisque, après examen de la déclaration de l'impôt sur les sociétés de 2002 et de celle concernant l'impôt sur la valeur ajoutée de 2002 et de 2004, une dette fiscale d'un montant supérieur à 120 000 euros avait été constatée.

19. Afin de conclure à l'existence de l'élément subjectif, l'Audiencia se référa à la jurisprudence du Tribunal suprême selon laquelle l'existence de cet élément devait être déduite de faits externes et objectifs prouvés. Elle observa que, en l'espèce, le représentant des requérants avait soutenu qu'il n'y avait pas dol au motif que les intéressés avaient déjà fait l'objet d'inspections fiscales auparavant et qu'ils n'avaient jamais été condamnés. Selon elle, cet argument ne pouvait pas être accepté, pour les raisons suivantes :

« 1. Il découlait de la documentation existante [dans le dossier], fournie par la défense que, lors des inspections précédentes, les faits examinés n'avaient pas été les mêmes [qu'en l'espèce].

(...)

2. À la différence de ce qui s'est produit lors de la présente inspection, au cours des inspections précédentes, les requérants avaient fourni des justificatifs des factures (...).

3. L'invocation de l'absence d'un dol est frappante dans la mesure où celui qui l'invoque avait signé, lors des inspections précédentes, un document constatant les irrégularités dans la déclaration de la TVA, et [cette même personne] commet à nouveau la même infraction (...).

4. En tout état de cause, celui qui [comme en l'espèce] reçoit la propriété de véhicules (...) sans payer le moindre centime ne peut prétendre ignorer que [ce comportement] est constitutif [d'un délit fiscal].

(...) »

20. Les requérants sollicitèrent la nullité de la procédure. Leur demande fut rejetée par une décision du 23 juillet 2013, au motif que, contrairement à ce qu'ils avaient avancé :

« (...) [les seuls éléments] qui ont été appréciés pour parvenir à la conclusion de condamnation étaient les moyens de preuve à caractère documentaire (...), les allégations de la partie accusatrice et de la défense quant à ces moyens de preuve, les données factuelles (et non pas des appréciations ou des évaluations) figurant dans les rapports du dossier et, encore une fois, l'absence de preuves apportées par les accusés quant aux questions dont la charge de la preuve leur incombait.

En réalité, l'arrêt [contesté] n'a pas apprécié les expertises en tant que telles, mais la documentation apportée au dossier à la lumière des allégations de l'une et l'autre partie, et en a tiré les conséquences qu'il a considérées comme conformes à la loi.

(...) La preuve à charge [dans la présente affaire] possède essentiellement un caractère documentaire. Les expertises, en réalité, n'ont permis d'effectuer qu'une appréciation de cette preuve à caractère documentaire, ce que ce tribunal a pu également réaliser lui-même. »

21. Invoquant l'article 24 de la Constitution, consacrant le droit à un procès équitable et à la présomption d'innocence, les requérants formèrent un recours d'amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision du 6 mars 2014, la haute juridiction déclara le recours irrecevable en raison de l'absence de violation d'un droit fondamental.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

22. La disposition pertinente en l'espèce du code pénal se lit ainsi :

Article 305 § 1

« Celui qui, par action ou omission, commet une fraude contre le Trésor public (...) sera puni d'une peine d'emprisonnement de un à quatre ans et au paiement d'une amende (...) »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

23. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants reprochent à l'Audiencia d'avoir modifié les faits déclarés prouvés en première instance après une appréciation des preuves à caractère personnel qui, selon eux, n'avait pas respecté les principes d'immédiateté et du contradictoire. De leur point de vue, l'audience ayant eu lieu devant la juridiction d'appel n'avait pas satisfait aux exigences du droit à un procès équitable. Les parties pertinentes en l'espèce de la disposition invoquée prévoient que :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

24. Premièrement, le Gouvernement reproche aux requérants d'avoir manqué à leur devoir de bonne foi prévu aux articles 34 et 35 § 3 a) de la Convention au motif qu'ils n'ont pas mentionné, dans leur requête initiale, l'existence du jugement du 31 octobre 2012, annulé ultérieurement par un arrêt du 6 février 2013 en raison d'une erreur grave dans l'appréciation des preuves.

25. Les requérants contestent cet argument et arguent que le jugement rendu le 27 février 2013 par le juge pénal no 12 de Valence, qu'ils ont fourni lors de l'introduction de leur requête, mentionne bien les deux jugements auxquels fait référence le Gouvernement. Ils exposent qu'ils n'ont pas mentionné ces derniers dans leur requête initiale pour la simple raison qu'ils cherchaient à se focaliser sur les arrêts qui, de leur point de vue, étaient les plus pertinents eu égard aux violations de la Convention dénoncées. Par conséquent, ils nient toute intention de soustraire des informations pertinentes à l'examen de la Cour.

26. Celle-ci rappelle que, en vertu de l'article 35 § 3 a) de la Convention, une requête peut être déclarée abusive notamment si elle se fonde délibérément sur des faits controuvés (Gross c. Suisse [GC], no 67810/10, § 28, CEDH 2014, Kérétchachvili c. Géorgie (déc.), no 5667/02, 2 mai 2006, Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, § 63, 15 septembre 2009, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 97, CEDH 2012). Une information incomplète et donc trompeuse peut également s'analyser en un abus du droit de recours individuel, particulièrement lorsqu'elle concerne le cœur de l'affaire et que le requérant n'explique pas de façon suffisante pourquoi il n'a pas divulgué les informations pertinentes (Hüttner c. Allemagne (déc.), no 23130/04, 9 juin 2006, Predescu c. Roumanie, no 21447/03, §§ 25-26, 2 décembre 2008, et Kowal c. Pologne (déc.), no 2912/11, 18 septembre 2012). Il en va de même lorsque des développements nouveaux importants surviennent au cours de la procédure suivie devant la Cour et que, en dépit de l'obligation expresse lui incombant en vertu de l'article 47 § 7 (ancien article 47 § 6) du règlement, le requérant n'en informe pas la Cour, l'empêchant ainsi de se prononcer sur l'affaire en pleine connaissance de cause (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, ibidem, et Miroļubovs et autres, précité, ibidem). Toutefois, même dans de tels cas, l'intention de l'intéressé d'induire la Cour en erreur doit toujours être établie avec suffisamment de certitude (Al-Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 9, 20 juin 2002, Melnik c. Ukraine, no 72286/01, §§ 58-60, 28 mars 2006, Nold c. Allemagne, no 27250/02, § 87, 29 juin 2006, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, ibidem).

27. En l'espèce, la Cour note que, en dépit du fait que les requérants n'ont pas mentionné les deux jugements auxquels se réfère le Gouvernement, l'existence de ceux-ci est mentionnée dans l'arrêt du 27 février 2013 qui, lui, a été fourni par les requérants dans leur requête initiale. Elle est d'avis que ce comportement des requérants ne permet pas d'arriver à la conclusion selon laquelle les intéressés avaient voulu l'induire en erreur, d'autant plus que ces informations manquantes ne concernent pas des faits controuvés. Il s'ensuit que l'exception du Gouvernement tirée du caractère abusif de la requête doit être rejetée.

28. Constatant par ailleurs que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

29. Le Gouvernement attire l'attention sur les différences existant selon lui entre la présente affaire et les arrêts Valbuena Redondo c. Espagne (no 21460/08, 13 décembre 2011) ou encore Roman Zurdo et autres c. Espagne (nos 28399/09 et 51135/09, 8 octobre 2013). Il déclare en particulier qu'une audience publique, à laquelle ont pu assister les requérants, s'est tenue en l'espèce. En outre, il indique que, conformément à l'article 790 § 5 du code de procédure pénale, les requérants auraient pu demander l'administration de preuves au cours de la procédure orale devant l'Audiencia, et qu'ils auraient refusé de faire usage de ce droit. Il expose enfin que, à la différence de l'arrêt Valbuena Redondo précité, l'enregistrement vidéo de la procédure orale tenue devant la juridiction de première instance était à la disposition de l'Audiencia. Ainsi, la présente affaire se rapproche davantage à ses yeux des arrêts Naranjo Acevedo c. Espagne (no 35348/09, 22 octobre 2013) et Bazo González c. Espagne (no 30643/04, 16 décembre 2008), où la Cour avait conclu à la non-violation de l'article 6 de la Convention.

30. Quant à la nature des preuves ayant été examinées par la juridiction d'appel, le Gouvernement expose que les expertises fiscales - rapports écrits ratifiés lors de la procédure orale - ne constituent que des interprétations juridiques de documents et, plus précisément, de l'application de la législation fiscale aux faits examinés.

31. Sur la base de ces éléments de preuve, le Gouvernement considère que l'arrêt de l'Audiencia n'a fait que modifier l'inférence juridique applicable aux faits déclarés prouvés.

32. De leur côté, les requérants contestent les similitudes entre la présente affaire et les arrêts Naranjo Acevedo et Bazo González (précités) évoqués par le Gouvernement. Ils allèguent en particulier que, dans ces dernières affaires, la juridiction d'appel s'est prononcée sur des aspects purement juridiques sans pour autant que les faits déclarés prouvés en première instance ne soient modifiés. À leurs yeux, dans le cas présent, la juridiction d'appel ne s'est pas limitée à une nouvelle appréciation des éléments de nature juridique mais elle s'est prononcée sur des questions de fait et a pris position sur des événements décisifs pour déterminer leur culpabilité, modifiant ainsi les faits déclarés prouvés par le juge pénal no 12 de Valence. Les requérants considèrent donc que la présente cause se rapproche davantage des arrêts Valbuena Redondo ou Román Zurdo susmentionnés, dans la mesure où l'existence d'une intention frauduleuse de leur part a fait l'objet d'un examen par la juridiction d'appel.

33. S'agissant du caractère purement documentaire des éléments de preuve examinés, les requérants indiquent que, en réalité, l'ensemble des preuves contenait notamment les déclarations et les témoignages des fonctionnaires du Trésor public qui, selon eux, donnaient leur avis sur des aspects techniques et non sur des points juridiques. De leur point de vue, il était indispensable d'entendre directement ces fonctionnaires au cours de l'audience publique d'appel, afin de respecter les principes d'oralité, d'immédiateté et du contradictoire, d'autant plus que, d'après eux, l'Audiencia ne partageait pas la conclusion du juge pénal concernant l'insuffisance des indices présents pour conclure à l'existence de simulation - l'élément subjectif du délit -�, réappréciant ainsi les éléments de preuve, dont ceux à caractère personnel, et allant au-delà d'une simple opération d'inférence juridique.

34. Quant à l'argument du Gouvernement concernant l'absence de demande de preuves de leur part, les requérants rétorquent que, dans la mesure où ils ont été acquittés en première instance, il ne leur appartenait pas de demander l'administration de preuves, la charge à cet égard incombant aux parties accusatrices.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

35. La Cour observe d'une part que la problématique juridique soulevée dans la présente affaire correspond à celle examinée dans l'arrêt Hernández Royo c. Espagne (no 16033/12, §§ 32 à 35, 20 septembre 2016). Par conséquent, elle renvoie aux principes qui y sont établis.

36. Elle rappelle, d'autre part, que ni la lettre ni l'esprit de l'article 6 de la Convention n'empêchent une personne de renoncer de son plein gré aux garanties d'un procès équitable de manière expresse ou tacite (Kwiatkowska c. Italie (déc.), no 52868/99, 30 novembre 2000). Cependant, pour entrer en ligne de compte sous l'angle de la Convention, la renonciation au droit de prendre part à l'audience doit se trouver établie de manière non équivoque et s'entourer d'un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 31, série A no 277-�A). De plus, elle ne doit se heurter à aucun intérêt public important (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 66, série A no 171-A).

b) Application de ces principes en l'espèce

37. La Cour constate que, comme dans l'arrêt Hernández Royo, précité, il n'est pas contesté qu'une audience a eu lieu en l'espèce devant l'Audiencia, à laquelle étaient présents les requérants.

38. À ce propos, la Cour relève que, à la fin de l'audience publique, le juge a demandé aux requérants s'ils souhaitaient présenter des arguments additionnels pour leur défense ou bien s'ils préféraient renvoyer aux mémoires déposés par leur avocat. Les requérants ont gardé le silence et n'ont pas été interrogés davantage.

39. Aux yeux de la Cour, l'Audiencia Provincial de Valence, dans son arrêt, s'est écartée du jugement d'instance après s'être prononcée sur des éléments de fait et de droit qui lui ont permis de déterminer la culpabilité des accusés. La Cour observe que pour parvenir à cette conclusion, l'Audiencia s'est fondée, d'une part, sur un élément objectif, à savoir le résultat de la preuve à caractère documentaire figurant tant dans le dossier de la première instance que dans celui de la juridiction d'appel et, d'autre part, sur un élément subjectif, soit la volonté des requérants de commettre un délit contre le Trésor public moyennant l'occultation de certains revenus.

40. Pour ce qui est de l'élément objectif, les requérants se plaignent que l'Audiencia Provincial n'a pas entendu, pour l'appréciation des faits, les experts ayant déclaré devant le juge pénal. Or la Cour observe que l'Audiencia a souligné expressément que la preuve à caractère documentaire était suffisante, à elle seule, pour parvenir à la conclusion de culpabilité des accusés (voir §§ 16 à 18 ci-dessus). La Cour ne voit pas de raison valable de s'écarter de cette appréciation, et rappelle que c'est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu'il incombe d'interpréter les faits, la Cour n'ayant pas pour tâche de se substituer à leur appréciation. En l'espèce, l'interprétation de l'Audiencia ne saurait en tout état de cause être qualifiée d'arbitraire, de déraisonnable ou de nature à entacher l'équité de la procédure.

41. Par ailleurs, la Cour prend note de l'argument du Gouvernement concernant l'absence de demande, de la part des requérants, d'administrer la preuve relative aux témoins devant l'Audiencia. À cet égard, elle rappelle qu'en ce qui concerne le droit espagnol en vigueur au moment des faits, elle a considéré qu'il était suffisamment avéré que la jurisprudence constitutionnelle espagnole permet de ré-administrer les preuves telles que les témoignages déjà administrés devant la juridiction de première instance en cas de contestation de faits établis (Hernández Royo, précité, § 37).

42. Il convient également de relever que, en l'espèce, les requérants, qui ont bénéficié de l'assistance d'un avocat, avaient pris connaissance du contenu du recours formulé par le ministère public et l'avocat de l'État et, bien qu'ils aient été conscients des prérogatives de l'Audiencia quant à sa capacité d'annuler le jugement d'acquittement, ils n'ont pas demandé l'audition des témoins lors de l'audience devant la juridiction d'appel (voir Kashlev c. Estonie, no 22574/08, § 46, 26 avril 2016 et, a contrario, Destrehem c. France, no 56651/00, §§ 45-47, 18 mai 2004).

43. Pour ce qui est de l'élément subjectif, la Cour revient ensuite sur la question de savoir si, en l'espèce, l'audience des accusés en appel constituait une exigence dérivée des droits de la défense. À cet égard, force est de constater que, lorsque l'inférence d'un tribunal a trait à des éléments subjectifs - tel que, en l'espèce, l'existence d'une intention de cacher des revenus à l'administration fiscale -�, il n'est pas possible de procéder à l'appréciation juridique du comportement des accusés sans avoir au préalable essayé de prouver la réalité de ce comportement, ce qui implique nécessairement la vérification de l'intention des accusés par rapport aux faits qui leur sont imputés (Lacadena Calero c. Espagne, no 23002/07, § 47, 22 novembre 2011).

44. Il convient sur ce point de se référer au raisonnement de l'Audiencia. Celle-ci, après avoir cité de manière exhaustive la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, a considéré que, afin de pouvoir effectuer une nouvelle appréciation des faits établis par le juge pénal, il était nécessaire d'entendre les requérants pour leur permettre de se prononcer sur les allégations des parties accusatrices. L'Audiencia a donc tenu une audience publique et donné la possibilité aux requérants d'intervenir si tel était leur souhait. La Cour prend note de ces éléments et considère qu'aucun manque de diligence ne peut être reproché à l'Audiencia quant au droit des requérants à ce que leur cause soit entendue équitablement. Elle observe que ce sont les requérants eux-mêmes qui ont renoncé à l'exercice de cette possibilité offerte par l'Audiencia (voir, mutatis mutandis, Kashlev, précité, §§ 45-46 et 51, et Hernández Royo, précité, § 39).

45. À la lumière des arguments qui précèdent, la Cour n'aperçoit pas de raisons valables de s'écarter des conclusions auxquelles sont parvenues les juridictions internes. En effet, les requérants avaient la possibilité d'être présents à l'audience et de s'exprimer à cette occasion sur la nouvelle appréciation des faits, mais ils n'ont pas fait usage de ce droit. Partant, elle conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

 

2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 mars 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Fatoş AracıHelena Jäderblom
              Greffière adjointePrésidente


 

LISTE DES REQUÉRANTS

 

  1.     Gregorio Ignacio VILCHES CORONADO est un ressortissant espagnol né en 1937, résidant à Valencia.
  2.     Asunción MARCO CONEJERO est une ressortissante espagnole née en 1936, résidant à Valencia.
  3.     José Ignacio VILCHES MARCO est un ressortissant espagnol né en 1964, résidant à Valencia.
  4.     María Ángeles VILCHES MARCO est une ressortissante espagnole née en 1967, résidant à Valencia.


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