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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CIOLACU v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 22400/13 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Second Section Committee) French Text [2018] ECHR 701 (04 September 2018)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/701.html
Cite as: CE:ECHR:2018:0904JUD002240013, ECLI:CE:ECHR:2018:0904JUD002240013, [2018] ECHR 701

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DEUXIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE CIOLACU c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

 

(Requête no 22400/13)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

STRASBOURG

 

4 septembre 2018

 

 

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l'affaire Ciolacu c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

Paul Lemmens, président,
Valeriu Griţco,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juillet 2018,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE


1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 22400/13) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Petru Ciolacu (« le requérant »), a saisi la Cour le 17 mars 2013 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).


2. Le requérant a été représenté par Me M. Postu, avocat à Chișinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, M. M. Gurin et Mme. R. Revencu.


3. Le requérant allègue que son droit à un tribunal, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi que son droit à la libre jouissance de ses biens, consacré par l'article 1 du Protocole no1, ont été méconnus en raison du délai excessif d'exécution d'une décision de justice rendue en sa faveur.


4. Le 1er septembre 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.


5. Le 8 novembre 2017, la Cour a décidé de traiter la requête en priorité en vertu de l'article 41 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE


6. Le requérant est né en 1937 et réside à Chișinău.


7. Par un arrêt définitif du 22 décembre 2004, la Cour suprême de justice ordonna à I.N. et E.N. à verser au requérant la somme de 19 450 dollars américains (USD) (14 511, 61 euros (EUR) à l'époque).


8. Le 28 janvier 2005, l'huissier de justice entama la procédure d'exécution.


9. Le 5 juillet 2011, I.N. et E.N. exécutèrent intégralement l'arrêt.


10. Le 26 décembre 2011, le requérant introduisit une action en justice contre l'État sur le fondement de la loi no 87. Il demanda 50 000 lei moldaves (MDL) (environ 3 260 EUR à l'époque) au titre du préjudice moral qu'il estimait avoir subi suite à l'exécution tardive de l'arrêt du 22 décembre 2004, ainsi que le préjudice matériel consistant de la somme des intérêts moratoires.


11. Par un jugement du 14 mai 2012, le tribunal de Râșcani constata la violation de son droit à l'exécution d'une décision de justice dans un délai raisonnable et lui alloua 5 000 MDL (environ 333 EUR) au titre du préjudice moral. Il constata notamment que l'exécution tardive était imputables aux autorités étatiques. Pour rejeter les prétentions du requérant au titre du préjudice matériel, il constata que les intérêts moratoires devraient être réclamés aux débiteurs et non à l'État.


12. Par un arrêt définitif du 22 novembre 2012, la cour d'appel rejeta l'appel du requérant et confirma le jugement du 14 mai 2012.


13. Le 8 août 2012, le requérant intenta une action contre I.N. et E.N. et réclama le payement des intérêts moratoires suite à l'exécution tardive de leur obligation pécuniaire.


14. Par un arrêt définitif du 12 mars 2014, la Cour suprême de justice, en se fondant sur l'absence de faute des débiteurs, rejeta l'action comme dépourvue de fondement.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


15. Les dispositions pertinentes du nouveau recours interne introduit par la loi no 87 sont résumées dans l'arrêt Botezatu c. République de Moldova, no 17899/08, § 12, 14 avril 2015.


16. Quant à la modalité de calcul des intérêts moratoires, les dispositions pertinentes sont résumées dans l'arrêt Dacia S.R.L. c. Moldova (satisfaction équitable), no 3052/04, § 22, 24 février 2009.


17. Dans le paragraphe 15 de la décision explicative no 9 du 24 décembre 2010, la Cour suprême de justice a relevé, entre autres, que le payement des intérêts moratoires en cas de retard dans l'exécution d'une obligation pécuniaire est de plein droit si les conditions suivantes sont remplies : la créance constitue une somme d'argent, la créance est liquide et exigible.

EN DROIT

I. SUR LA DISJONCTION DE L'AFFAIRRE


18. Le 1er septembre 2015, la Cour avait décidé, eu égard à la similarité des affaires, de joindre la présente requête aux requêtes nos 16000/10 et autres (Ialtexgal Aurica S.A. c. République de Moldova et 60 autres requêtes (déc.), nos 16000/10 et autres, 1er septembre 2015). Elle estime cependant qu'il est nécessaire de disjoindre la présente affaire et décide de l'examiner séparément.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1


19. Le requérant allègue que l'exécution tardive de l'arrêt rendu en sa faveur a enfreint son droit à un tribunal, tel que garanti par l'article 6 de la Convention, et de son droit au respect de ses biens, au sens de l'article 1 du Protocole no 1. Les passages pertinents des dispositions invoquées sont ainsi libellés:

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable (...) »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) »

A. Sur la recevabilité


20. Le Gouvernement soutient que le requérant ne peut plus se prétendre victime d'une violation de ses droits dans la mesure où il a été remédié à sa situation au niveau national.


21. Le requérant, pour sa part, estime qu'en l'absence d'une compensation suffisante pour le préjudice subi, il a conservé sa qualité de victime.


22. La Cour rappelle qu'une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 81, CEDH 2012).


23. En l'espèce, la Cour note que la cour d'appel a constaté que le requérant a subi une violation de ses droits garantis par l'article 6 de la Convention et lui a alloué une certaine indemnité au titre du préjudice moral. La Cour estime que l'exception préliminaire invoquée par le Gouvernement au titre de la perte de la qualité de victime est si étroitement liée à la substance des griefs du requérant qu'il y a lieu de la joindre au fond de la requête (voir, parmi d'autres Botezatu c. République de Moldova, no 17899/08, § 18, 14 avril 2015).


24. La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

25. Le requérant soutient que l'omission des autorités de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l'exécution, dans un délai raisonnable, de l'arrêt irrévocable rendu en sa faveur, a porté atteinte à ses droits protégés par l'article 6 § 1 de la Convention et l'article 1 du Protocole no 1. Bien que les juridictions nationales aient reconnu cette violation, elles n'ont pas accordé une compensation suffisante. Dans ces circonstances, le requérant considère qu'il est victime d'une violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1.


26. Le Gouvernement observe que l'arrêt rendu en faveur du requérant a été exécuté le 5 juillet 2011 ; par l'arrêt du 22 novembre 2012, la cour d'appel de Chișinău a constaté la violation du « délai raisonnable » et lui a alloué 5 000 MDL (environ 333 EUR) au titre du préjudice moral. Il soutient aussi que le montant de l'indemnité ne saurait être remis en cause par la Cour, puisque le juge national a décidé en équité et dans le cadre de la marge d'appréciation dont il bénéficie en matière de satisfaction équitable.

2. L'appréciation de la Cour


27. La Cour rappelle que dans les affaires de durée de procédure, le fait de savoir si le requérant a obtenu une réparation comparable à la satisfaction équitable dont parle l'article 41 de la Convention - revêt de l'importance (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 181, CEDH 2006-V).


28. En l'espèce, la Cour note que les tribunaux nationaux ont constaté que le requérant a subi une violation de son droit garanti par l'article 6 de la Convention et lui ont alloué l'équivalent d'environ 333 EUR au titre du préjudice moral, pour un retard de 78 mois. La question qui se pose est de savoir si l'indemnité obtenue a été de nature à réparer le préjudice subi. Pour évaluer le montant de l'indemnisation allouée par les tribunaux nationaux, la Cour examine, sur la base des éléments dont elle dispose, ce qu'elle aurait accordé dans la même situation (ibidem, § 211).


29. La Cour observe que le montant alloué au requérant est manifestement inférieur à ce qu'elle octroie généralement dans des affaires moldaves similaires (à voir parmi d'autres Botezatu, précité, § 42, Mizernaia c. Moldova, no 31790/03, § 32, 25 septembre 2007, Prodan c. Moldova, no 49806/99, § 82, CEDH 2004-III (extraits).


30. La Cour relève également que le requérant n'a obtenu aucun dédommagement au titre du préjudice matériel.


31. Ces éléments suffisent à conclure que le requérant n'a pas obtenu un redressement suffisant au niveau national et qu'il conserve la qualité de «victime » au sens de l'article 34 de la Convention. Partant, il y a lieu de rejeter l'exception préliminaire du Gouvernement.


32. Pour ces raisons et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de l'omission des autorités d'exécuter, dans un délai raisonnable, l'arrêt définitif rendu en faveur du requérant.

III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


33. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage


34. Au titre du préjudice matériel, le requérant réclame
26 495,96 USD (23 612,90 EUR), représentant le montant des intérêts moratoires calculés pour sept ans d'inexécution du jugement en cause.


35. Le Gouvernement conteste cette somme. Il estime que le préjudice matériel résultant d'une exécution tardive de la part d'un particulier, ne peut lui être imputé.


36. La Cour considère que l'impossibilité pour le requérant d'utiliser la somme d'argent allouée par le jugement du 22 décembre 2004 lui a causé un préjudice matériel. Elle rappelle que les juridictions nationales ont constaté que le retard dans l'exécution de la décision de justice n'était imputable qu'aux autorités étatiques. En tenant compte de la législation nationale concernant le calcul des intérêts moratoires, la Cour alloue au requérant 16 370 EUR.


37. Au titre du préjudice moral, le requérant réclame 5 000 EUR. Il invoque, notamment, qu'en étant malade et percevant une retraite de 50 EUR par mois, cet argent lui était indispensable pour pouvoir mener une vie décente et pour bénéficier d'un traitement adéquat.


38. Le Gouvernement conteste cette somme.


39. La Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 1 330 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens


40. Le requérant demande également 420 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Cette somme représente les honoraires de l'avocat pour huit heures de travail à raison d'un tarif horaire de cinquante euros et vingt euros au titre des frais postaux.


41. Le Gouvernement estime que le montant réclamé et le nombre d'heures sont excessifs.


42. Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 420 EUR et l'accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires


43. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Décide de disjoindre la présente requête des requêtes nos 16000/10 et autres ;

 

2. Joint au fond l'exception préliminaire du Gouvernement concernant la perte de la qualité de la victime et la rejette ;

 

3. Déclare la requête recevable ;

 

4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 ;

 

5. Dit

a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 16 370 EUR (seize mille trois cent soixante-dix euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;

ii. 1 330 EUR (mille trois cent trente euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;

iii. 420 EUR (quatre cent vingt euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d'impôt, pour frais et dépens ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 septembre 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Hasan BakırcıPaul Lemmens
Greffier adjointPrésident

 


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