HANTESCU v. ROMANIA - 22181/15 (Judgment : Article 3 - Prohibition of torture : Fourth Section Committee) French Text [2018] ECHR 899 (30 October 2018)


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European Court of Human Rights


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/899.html
Cite as: [2018] ECHR 899, CE:ECHR:2018:1030JUD002218115, ECLI:CE:ECHR:2018:1030JUD002218115

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QUATRIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE HĂNȚESCU c. ROUMANIE

 

(Requête n o 22181/15)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

STRASBOURG

 

30 octobre 2018

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Hănțescu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

Paulo Pinto de Albuquerque, président,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section ,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 octobre 2018,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (n o 22181/15) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Sorin Mihail Hănţescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 août 2015 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, M me C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le 14 mars 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1967 et réside à Independenţa.

5. Le 19 avril 2012, le requérant a été incarcéré à la prison de Galaţi pour purger une peine de sept ans et huit mois de prison pour escroquerie. Pendant sa détention, il a été transféré pour de courtes périodes - environ trois mois et deux semaines au total - dans d'autres centres de détention. Lors de la présentation des dernières observations par les parties, à savoir en octobre 2016, le requérant était toujours détenu à la prison de Galaţi.

A. Les conditions matérielles de détention à la prison de Galaţi

6. Le requérant indique que, pendant sa détention, il a partagé des cellules d'environ 17 m 2 avec quatorze autres détenus. Les cellules n'auraient été dotées que d'un seul WC et l'eau n'aurait été fournie que pendant quelques heures par jour. L'hygiène y aurait été précaire et la literie aurait été infestée d'insectes.

7 . Selon les informations fournies par le Gouvernement, fondées sur une lettre en provenance de la direction de l'administration nationale des pénitenciers (« l'ANP »), pendant sa détention du 11 juin 2012 au 5 mai 2015 le requérant a partagé des cellules d'une superficie d'environ 24 m² avec un nombre variable d'autres détenus, allant de onze à quatorze : il a bénéficié donc d'un espace personnel entre 1,6 m² et 2 m². Le requérant aurait toujours eu son propre lit. Après le 5 mai 2015, le requérant aurait partagé sa cellule avec neuf autres détenus, bénéficiant ainsi d'un espace personnel de 2,4 m².

8. Toujours selon la direction de l'ANP, les détenus avaient tous accès à l'eau, ils bénéficiaient de deux douches par semaine jusqu'au 1 er mai 2016 et, après cette date, de trois par semaine, d'une nourriture suffisante et appropriée, et de bonnes conditions d'hygiène.

B. Le traitement médical

9. Lors de son placement en détention, le requérant souffrait d'ulcères. Il déclara être fumeur depuis l'âge de 7 ans.

10 . À la suite des visites médicales réalisées à l'hôpital-prison de Poarta Albă du 27 août 2014 au 6 novembre 2014, différentes pathologies, à savoir « hypertension artérielle, gastro-duodénite chronique et spondylose lombaire » lui furent diagnostiquées. Un traitement médical fut prescrit au requérant pour l'hypertension artérielle et la gastro-duodénite chronique, traitement qu'il reçut de manière constante. D'après les documents médicaux versés au dossier, le requérant a fait l'objet d'un suivi régulier et spécialisé pour ses maladies. De même, le traitement médical recommandé a été régulièrement fourni au requérant, celui-ci étant tenu d'attester par sa signature la remise des médicaments. Pendant sa détention, le requérant aurait bénéficié d'un régime alimentaire spécifique réservé aux personnes malades.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

11. Le requérant se plaint de mauvaises conditions de détention dans la prison de Galaţi et de l'absence de traitement médical pour ses maladies. Il invoque l'article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

12. Le Gouvernement soutient que le grief, pour autant qu'il concerne l'absence alléguée de traitement médical, est manifestement mal fondé. À cet égard, il expose que les autorités nationales ont prodigué au requérant un suivi médical constant pour toutes ses maladies et qu'elles lui ont fourni le traitement médical prescrit par les médecins.

13 . Le requérant soutient que les mauvaises conditions de sa détention ont déclenché ses pathologies, plus particulièrement l'hypertension artérielle. Il indique que, le 18 août 2014, l'ordonnance lui prescrivant le traitement médical lui avait été remise avec un certain retard, ce qui aurait entraîné un retard dans la remise des médicaments.

14. La Cour renvoie aux principes biens établis dans sa jurisprudence en matière de traitement médical accordé aux personnes détenues (voir, parmi d'autres, Kudła c. Pologne [GC], n o 30210/96, § 94, CEDH 2000-�XI, Gennadiy Naumenko c. Ukraine , n o 42023/98§ 112, 10 février 2004, Rivière c. France , n o 33834/03, § 62, 11 juillet 2006, Gorodnitchev c. Russie , n o 52058/99, § 91, 24 mai 2007, et Cirillo c. Italie , n o 36276/10, §§ 35-37, 29 janvier 2013).

15. En l'espèce, la Cour note à titre liminaire qu'aucun document du dossier n'indique que les conditions matérielles de détention ont déclenché chez le requérant les maladies dont il souffre. Elle note ensuite qu'il ressort des documents médicaux versés au dossier que le requérant a fait l'objet d'un suivi régulier et spécialisé pour ses maladies, et qu'il a reçu le traitement médicamenteux recommandé par les médecins pour ses pathologies ainsi que le régime alimentaire spécifique pour les personnes malades (paragraphe 10 ci-dessus).

16. À supposer même, comme le soutient le requérant, qu'il ait reçu ses médicaments avec un certain retard (paragraphe 13 ci-dessus), la Cour constate que la défaillance en question ne concerne qu'une période de temps limitée et que les autorités ont généralement réagi de manière adéquate aux problèmes de santé du requérant. En outre, elle relève qu'il ressort du dossier que les maladies du requérant, plus particulièrement son hypertension artérielle, ont été maîtrisées par les médecins et que son état de santé ne s'est pas détérioré en prison.

17. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que le grief, pour autant qu'il porte sur l'absence alléguée de traitement médical adéquat en prison, est manifestement mal fondé et qu'il doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

18. Constatant que le grief, pour autant qu'il porte sur les conditions matérielles de détention, n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

19. Le requérant soutient que les conditions matérielles de sa détention étaient contraires à l'article 3 de la Convention.

20. Le Gouvernement combat cette thèse.

21. La Cour renvoie aux principes bien établis dans sa jurisprudence en matière de conditions matérielles de détention (voir, par exemple, Muršić c. Croatie [GC], n o 7334/13, §§ 96-101, 20 octobre 2016). Elle rappelle en particulier qu'un grave manque d'espace dans une cellule pénitentiaire, pris soit seul soit combiné à d'autres lacunes, est un facteur à prendre en compte pour la détermination du caractère « dégradant » au sens de l'article 3 des conditions de détention décrites et pour la constatation d'une violation de cet article ( Muršić , précité, §§ 122-141, et Ananyev et autres c. Russie , n os 42525/07et 60800/08, §§ 149-159, 10 janvier 2012).

22 . En l'espèce, il n'est pas contesté par le Gouvernement que le requérant a disposé pendant sa détention d'un espace personnel compris entre 1,6 m² et 2,4 m² (paragraphe 7 ci-dessus). Or, la Cour a déjà confirmé que la norme prédominante dans sa jurisprudence, à savoir 3 m² de surface au sol par détenu en cellule collective, est la norme minimale applicable au regard de l' article 3 de la Convention ( Muršić , précité, § 136). Lorsque la surface au sol dont dispose un détenu en cellule collective est inférieure à 3 m², le manque d'espace personnel est considéré comme étant à ce point grave qu'il donne lieu à une forte présomption de violation de l'article 3. La charge de la preuve pèse alors sur le gouvernement défendeur, qui peut toutefois réfuter la présomption en démontrant la présence d'éléments propres à compenser cette circonstance de manière adéquate ( Muršić , précité, § 137).

23 . Dans l'arrêt pilote Rezmiveș et autres c. Roumanie (n os 61467/12et 3 autres, 25 avril 2017), la Cour a déjà conclu à la violation de l'article 3 de la Convention dans des circonstances de fait similaires à celles de la présente affaire.

24. Ayant examiné tous les éléments qui lui ont été soumis par les parties, la Cour constate que le gouvernement n'a pas présenté d'éléments susceptibles à renverser la présomption de la violation de l'article 3 de la Convention (paragraphe 22 ci-dessus ; Muršić , précité, § 138). En outre, elle n'aperçoit aucun fait ou argument susceptible de la conduire en l'espèce à une conclusion différente de celle de l'arrêt pilote Rezmiveș et autres c. Roumanie , précité (paragraphe 23 ci-dessus). Eu égard à sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que les conditions de détention du requérant étaient contraires à l'article 3 de la Convention.

Partant, il y a eu, en l'espèce, violation de cette disposition.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

25. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

26. Le requérant réclame 3 000 000 d'euros (EUR) pour dommages matériel et moral confondus.

27. Le Gouvernement indique que l'intéressé n'a présenté aucun justificatif pour prouver le préjudice matériel allégué ; il estime que la somme sollicitée est exorbitante et excessive et qu'elle ne peut se justifier au titre du préjudice moral.

28. La Cour note que le requérant n'a aucunement étayé sa demande relative au préjudice matériel allégué et elle rejette cette demande. En revanche, elle considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 3 000 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

29. Le requérant ne demande pas le remboursement de frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

30. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré des conditions matérielles de détention, et irrecevable pour le surplus ;

 

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention ;

 

3. Dit

a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 3 000 euros (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 octobre 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Andrea Tamietti Paulo Pinto de Albuquerque
Greffier adjoint Président


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