YILMAZ v. TURKEY - 1792/12 (Judgment : Article 2 - Right to life : Second Section Committee) French Text [2019] ECHR 195 (05 March 2019)


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European Court of Human Rights


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/195.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2019:0305JUD000179212, CE:ECHR:2019:0305JUD000179212, [2019] ECHR 195

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DEUXIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE YILMAZ c. TURQUIE

 

(Requête n o 1792/12)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

STRASBOURG

 

5 mars 2019

 

 

 

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l'affaire Yılmaz c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

Valeriu Griţco, président,
Ivana Jelić,
Darian Pavli, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section ,

Après en avoir délibéré en comité du conseil le 5 février 2019,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (n o 1792/12) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Tahsin Yılmaz (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 novembre 2011 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par M e M. Elmrini, avocat à Strasbourg. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le 6 juin 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1963 et réside à Marckolsheim.

A. La genèse de l'affaire

5. Le 12 avril 2006, le frère du requérant, Bahattin Yılmaz, fut placé en détention provisoire pour tentative de vol à main armée, meurtre et tentative de meurtre, menaces et extorsion. Le 2 février 2011, la 11 e chambre de la cour d'assises d'Ankara (« la cour d'assises ») rendit un jugement, non définitif et susceptible de pourvoi en cassation, par lequel l'intéressé fut reconnu coupable des faits reprochés et condamné à une peine d'emprisonnement de vingt-huit ans et neuf mois. L'intéressé fut placé dans l'établissement pénitentiaire de type F de Sincan avant d'être transféré à l'établissement de type L de la même commune.

B. L'état de santé et le suivi médical du frère du requérant

6 . À partir de son admission en milieu pénitentiaire en 2006, le frère du requérant bénéficia de plusieurs soins médicaux pour le traitement de différentes pathologies :

- en 2006, l'intéressé fit l'objet de neuf visites médicales, notamment auprès du médecin généraliste et au sein des services de neurologie, de psychiatrie et de cardiologie de l'hôpital civil de Sincan. Les diagnostics d'anxiété et d'infarctus du myocarde furent posés et des médicaments furent prescrits ;

- en 2007, vingt visites médicales furent assurées auprès du médecin généraliste et au sein des services d'endocrinologie, de psychiatrie, d'ophtalmologie et de cardiologie du même hôpital. L'intéressé subit une angiographie coronarienne et se vit poser le diagnostic de coronaropathie (maladie des artères coronaires). Il souffrait aussi d'anxiété et de dépression. Des médicaments ainsi que des lentilles de contact furent prescrits ;

- en 2008, le proche du requérant bénéficia de dix-huit visites médicales au sein de différents services, à savoir le service de psychiatrie de l'hôpital civil de Sincan pour trouble d'anxiété et trouble de la personnalité antisociale, le service d'endocrinologie pour une hypertension, une gastrite et une hyperlipidémie, et le service de chirurgie générale de l'hôpital où un diagnostic de céphalée fut posé. Plusieurs traitements médicamenteux furent prescrits pour les symptômes cardiovasculaires, l'hypertension, la gastrite, les symptômes psychiatriques et la céphalée. L'intéressé fut soumis à un scanner et à une IRM pour des problèmes à la nuque ;

- en 2009, au total trente-quatre visites médicales eurent lieu au sein des services de psychiatrie, de cardiologie, d'endocrinologie et de diabétologie, et plusieurs examens furent effectués pour la coronaropathie. Des suivis médicaux furent assurés pour les mêmes maladies que celles présentées par l'intéressé l'année précédente et les mêmes traitements médicamenteux furent prescrits à ce dernier. L'intéressé fut également diagnostiqué comme souffrant d'un trouble paranoïde et d'un trouble d'anxiété, et des médicaments lui furent prescrits. Un traitement médicamenteux fut également mis en place pour une infection des tissus mous. Par ailleurs, un diagnostic de diabète de type 2 fut posé ; à cet égard, des médicaments et un régime alimentaire furent prescrits. Des examens furent effectués pour un accident vasculaire cérébral ;

- en 2010, vingt-trois visites médicales furent assurées notamment auprès du médecin généraliste et au sein des services de médecine interne et des maladies infectieuses, des urgences, des soins intensifs et d'oncologie. L'intéressé fut hospitalisé quatre fois et séjourna dans l'unité carcérale de l'hôpital. Il se vit prescrire les mêmes traitements médicamenteux que ceux administrés les années précédentes, et il subit une échocardiographie transthoracique, une angiographie coronarienne sélective et une aortographie ;

- en 2011, le frère du requérant fut soumis à douze visites médicales jusqu'en mars 2011, au cours desquelles les médecins l'examinèrent pour des problèmes cardiaques et lui firent passer une tomographie du thorax, une échographie-doppler, une radiographie de la poitrine et une échocardiographie transthoracique.

7 . Le 9 mars 2011, Bahattin Yılmaz fut hospitalisé à l'hôpital Numune d'Ankara (« l'hôpital ») avec des plaintes de douleurs dans la partie inférieure gauche du corps. Une scintigraphie osseuse et une biopsie furent effectuées le lendemain sur les tissus prélevés, et les douleurs furent localisées au niveau des os autour du rein gauche.

8 . Le 23 mars 2011, un rapport médical fut établi par le service d'oncologie de l'hôpital. Selon ce rapport, Bahattin Yılmaz souffrait d'un cancer des reins et d'une métastase osseuse, avec le diagnostic de « néoplasme malin du pelvis rénal ». Les traitements médicaux qui devaient être prodigués à l'intéressé pour les métastases rénale et osseuse étaient mentionnés dans ledit rapport. Par ailleurs, d'après ce rapport, des séquelles dues à une malnutrition et à d'autres carences alimentaires avaient également été diagnostiquées.

9. Le 14 avril 2011, l'intéressé quitta l'hôpital et regagna la prison.

10. Le 26 avril 2011, le conseil de la santé de l'hôpital rendit un rapport qui concluait ce qui suit :

« Le patient [est] âgé de 51 ans ; en mars 2011, une masse fut détectée sur un rein. La biopsie révèle un carcinome métastatique des cellules rénales. Des métastases du foie, des poumons et des os ont été détectées. Le traitement par Interferon a commencé à être administré (...).

Le diagnostic : carcinome métastatique des cellules rénales.

1) La suspension de l'exécution de la peine au sens de l'article 16 § 3 de la loi n o 5275 sur l'exécution des peines et des mesures de sûreté est nécessaire ;

2) L'exécution de la peine en milieu carcéral constitue un danger pour la vie [du patient] ;

3) Il convient de suspendre l'exécution de la peine pour une durée de (6) six mois ;

4) La maladie [du patient] revêt un caractère permanent. »

11 . Entretemps, Bahattin Yılmaz avait été emmené plusieurs fois à l'hôpital à différentes dates. Les 11 et 25 mai 2011, le procureur de la République d'Ankara autorisa les proches du patient à accompagner celui-ci durant son séjour à l'hôpital.

12. Entre le 23 mai et le 27 mai 2011, le frère du requérant fut hospitalisé afin de subir une radiothérapie. Un rapport de l'hôpital en date du 27 mai 2011 indiquait ce qui suit :

« Une radiothérapie palliative a été prodiguée [durant quatre jours] au patient, qui a été admis à l'hôpital avec le diagnostic de carcinome métastatique des cellules rénales. [Le patient] a quitté l'hôpital avec des conseils ».

13. Le 27 mai 2011, l'intéressé fut admis à la polyclinique de l'établissement pénitentiaire.

14 . Le 2 juin 2011, il succomba à sa maladie alors qu'il était sur le point d'être à nouveau hospitalisé pour recevoir son traitement médical.

C. Les conditions de détention du frère du requérant

15 . D'après les informations fournies par le Gouvernement postérieurement à la communication de la présente requête, au moment des faits dénoncés, le frère du requérant était détenu dans l'établissement pénitentiaire de type L de Sincan dans une unité de vie ayant une superficie de 12,45 m 2 , disposant de deux fenêtres de 100 x 125 cm, et donnant sur une cour de promenade de 65,19 m 2 . D'après les mêmes informations, cette unité de vie offrait un accès à la lumière naturelle et elle était dotée d'un coin cuisine, d'une table, d'un poste de télévision, de deux armoires, d'une douche et de toilettes.

16 . Par ailleurs, le Gouvernement indique que l'intéressé a séjourné en milieu hospitalier du 16 mai au 2 juin 2011, d'abord à l'hôpital, puis à la polyclinique de l'établissement pénitentiaire jusqu'au jour de son décès.

D. La procédure de demande de remise en liberté pour raisons de santé

17. Le 4 avril 2011, l'avocat de Bahattin Yılmaz introduisit une demande de remise en liberté pour raisons de santé devant la cour d'assises. Il se fondait sur le rapport du 23 mars 2011 émanant du service d'oncologie de l'hôpital, dans lequel les médecins indiquaient avoir diagnostiqué chez son client un cancer métastasique.

18. Le 8 avril 2011, la cour d'assises rejeta la demande de remise en liberté. À l'appui de sa décision, cette juridiction releva que l'article 16 de la loi n o 5275 ne concernait que les détenus définitivement condamnés, que la condamnation du proche du requérant n'était toujours pas définitive étant donné que le jugement de condamnation du 2 février 2011 avait fait l'objet d'un pourvoi, que la procédure était pendante devant la Cour de cassation, et que l'intéressé avait toujours le statut de « personne condamnée en détention provisoire dans l'attente d'une décision définitive ». Elle estima que ce statut interdisait à celui-ci de bénéficier des dispositions de l'article en question.

19. Le 26 avril 2011, l'avocat de Bahattin Yılmaz introduisit une nouvelle demande de remise en liberté pour raisons de santé. Il se fondait cette fois sur les conclusions du rapport établi le même jour par le conseil de la santé de l'hôpital et exposait que le maintien en prison du frère du requérant, atteint d'un cancer métastasique, constituait un danger pour sa vie et que cela justifiait sa remise en liberté. Il ajoutait que la maladie de l'intéressé avait atteint la phase terminale, que celui-ci ne pesait désormais que 46 kg alors qu'il pesait 92 kg au moment de son incarcération et qu'il n'arrivait plus à se lever sans assistance.

20 . Le 2 mai 2011, la cour d'assises rejeta à nouveau la demande de remise en liberté de Bahattin Yılmaz. Elle motiva sa décision par le fait que le tribunal qui avait condamné l'intéressé entendait maintenir celui-ci en détention pour prévenir tout risque d'évasion eu égard à l'importance des infractions pour lesquelles il était jugé et à la gravité de la peine prononcée par la cour d'assises, dont la décision faisait l'objet d'un pourvoi en cassation.

21 . Les 13 et 18 mai 2011, l'avocat de Bahattin Yılmaz adressa une demande au procureur de la République d'Ankara et au ministère de la Justice par laquelle il sollicitait que des photographies de son client fussent prises afin d'illustrer l'état dans lequel celui-ci se trouvait.

22 . À une date non précisée, les autorités internes firent droit à cette demande. L'intéressé fut photographié sur son lit d'hôpital alors que sa maladie était en phase terminale.

23. Entretemps, le 17 mai 2011, l'avocat de l'intéressé avait saisi le parquet près la Cour de cassation. Il exposait que la maladie de son client était en phase terminale, et il demandait à ce que celui-ci fût libéré pour qu'il pût passer ses derniers moments entouré de sa famille.

24. Le parquet près la Cour de cassation n'ayant pas répondu à sa demande, le 26 mai 2011, l'avocat de Bahattin Yılmaz réitéra celle-ci, en indiquant que l'intéressé n'était plus en mesure de se nourrir par voie orale, qu'il avait commencé à perdre conscience au point de ne plus reconnaitre son propre fils et que, d'après les médecins, il lui restait dix ou quinze jours à vivre.

25. Ledit parquet n'ayant toujours pas répondu à sa demande, l'avocat de Bahattin Yılmaz le relança le 31 mai 2011.

26. À la suite du décès, le 2 juin 2011, du frère du requérant, tous les recours susmentionnés restèrent sans réponse, étant devenus sans objet.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

27. L'article 16 de la loi n o 5275 relative à l'exécution des peines et des mesures de sûreté du 13 décembre 2004 prévoit que les condamnés malades peuvent purger leur peine dans des sections qui leur sont réservées au sein des établissements de santé. Ils peuvent séjourner dans ces établissements en compagnie de leur famille proche si le médecin traitant l'estime nécessaire.

28. Par ailleurs, le règlement n o 2006/10218 relatif à l'administration des établissements pénitentiaires et à l'exécution des peines et des mesures de sûreté du 20 mars 2006 prévoit que l'examen et le traitement médical des détenus sont effectués au sein de l'unité médicale par le médecin de l'établissement pénitentiaire. Les détenus dont l'état de santé le nécessite sont transférés vers les établissements publics de santé lorsque l'examen ou le traitement ne peut être pratiqué au sein de l'établissement.

29 . Enfin, l'article 16 alinéa 6 de la loi n o 5275 prévoit en outre qu'un détenu peut bénéficier d'une suspension de l'exécution de sa peine lorsqu'il ne peut subvenir seul à ses besoins en milieu carcéral, à la condition que cette mesure ne représente pas un danger « grave et concret » pour la sécurité.

Ce sursis à l'exécution de la peine est subordonné à l'établissement d'un rapport favorable de l'institut de médecine légale ou d'un hôpital reconnu comme ayant compétence pour ce faire par le ministère de la Justice. Dans le second cas, le rapport devra être approuvé par l'institut médicolégal.

30. Les travaux pertinents en l'espèce du Conseil de l'Europe sont décrits dans l'affaire Huylu c. Turquie (n o 52955/99, § 53, 16 novembre 2006).

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

31. Le requérant allègue que, en refusant d'accorder une libération pour motifs de santé à son frère, qui se trouvait alors en phase terminale de cancer, les autorités n'ont pas respecté le droit à la vie de son proche tel que prévu par l'article 2 de la Convention.

32. Le Gouvernement conteste cette thèse. Il invite la Cour à examiner la requête sous le seul angle de l'article 3, et non sur le terrain de l'article 2. Il soutient par ailleurs que les autorités internes ont rempli leurs obligations positives découlant de l'article 2 de la Convention à l'égard du frère du requérant.

33. La Cour rappelle qu'un grief comporte deux éléments : des allégations factuelles et des arguments juridiques. En vertu du principe jura novit curia , elle n'est pas tenue par les moyens de droit avancés par un requérant en vertu de la Convention et de ses Protocoles, et elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d'un grief en examinant celui-ci sur le terrain d'articles ou de dispositions de la Convention autres que ceux invoqués par le requérant ( Molla Sali c. Grèce [GC], n o 20452/14, § 85, 19 décembre 2018 et les affaires qui y sont citées). En l'espèce, elle estime qu'il convient d'examiner les griefs du requérant sous l'angle du seul article 2 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. »

A. Sur la recevabilité

34. Le Gouvernement ne soulève aucune objection quant à la recevabilité de la requête.

35. Constatant que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

36. Le requérant expose que son frère a vu son cancer se déclarer au cours de son incarcération, que l'évolution de sa maladie a été rapide et que son décès est survenu peu de temps après l'établissement du diagnostic. Il dit qu'il ne lui est pas possible de savoir si le traitement médical prodigué dans des conditions carcérales a été adéquat ou non, et il reproche aux tribunaux d'avoir refusé de libérer son frère malgré les rapports médicaux faisant état de l'incompatibilité de son état de santé avec le milieu pénitentiaire. Il déplore que les membres de sa famille n'aient pas été en mesure de voir leur proche avant son décès. Il invoque l'article 2 de la Convention à l'appui de ses prétentions.

37. Le Gouvernement réplique que Bahattin Yılmaz a bénéficié de plusieurs soins médicaux réguliers, que le diagnostic de cancer a été posé par les médecins dès les premiers symptômes, au moyen d'analyses et d'examens médicaux, et qu'un traitement et un suivi adaptés ont été prodigués par les spécialistes.

38. Le requérant n'a pas répondu aux observations du Gouvernement.

39. La Cour rappelle que la première phrase de l'article 2 § 1 astreint l'État non seulement à s'abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction ( L.C.B. c. Royaume-Uni , 9 juin 1998, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1998-III, Keenan c. Royaume-Uni , n o 27229/95, § 89, CEDH 2001-III, et Taïs c. France , n o 39922/03, § 96, 1 er juin 2006).

40. Elle rappelle ensuite que l'obligation de protéger la vie des personnes détenues implique également de leur dispenser avec diligence les soins médicaux à même de prévenir une issue fatale (voir, Anguelova c. Bulgarie , n o 38361/97, § 130, CEDH 2002-IV, Taïs , précité, § 98, Jasinskis c. Lettonie , n o 45744/08, §§ 58-60, 21 décembre 2010, et, mutatis mutandis , Hurtado c. Suisse , 28 janvier 1994, série A n o 280-A, avis de la Commission, pp. 15-16, § 79). Le manque de soins médicaux appropriés peut constituer un traitement contraire à la Convention (voir, mutatis mutandis , İlhan c. Turquie [GC], n o 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII).

41. À cet égard, la Cour relève en outre que la Recommandation n o R (98)7 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, adoptée le 8 août 1998, prévoit notamment que les détenus malades dont l'état nécessite des soins médicaux particuliers doivent être transférés vers des établissements spécialisés ou vers des hôpitaux civils, lorsque ces soins ne sont pas dispensés en prison. Pour les trajets vers les hôpitaux, le malade devrait être accompagné, au besoin de membres du personnel médical ou soignant ( Huylu , précité, § 53).

42. Pour apprécier les arguments du Gouvernement, la Cour examinera les mesures prises par les autorités pénitentiaires ou médicales pour surveiller l'intéressé eu égard à son état de santé physique, lequel n'a pas pu, ou n'aurait pas dû, échapper aux autorités internes compétentes.

43. Elle observe que, dès le début de son incarcération, Bahattin Yılmaz a bénéficié de nombreuses consultations auprès des médecins généralistes et de plusieurs spécialistes. Le proche du requérant a été suivi et traité pour différentes maladies, à savoir principalement une coronaropathie, de l'hypertension, une hyperlipidémie, un diabète de type 2, des troubles psychiques et un accident vasculaire cérébral. À cet égard, il s'est vu administrer des traitements médicamenteux conformément aux diagnostics et aux ordonnances des médecins. Il a également été soigné pour une infection des tissus mous, a été soumis à des examens ophtalmologiques et s'est vu prescrire des lentilles de contact. Il a aussi été hospitalisé plusieurs fois pour différents maladies et symptômes principalement cardiovasculaires (paragraphe 6 ci-dessus).

44. Ensuite, la Cour constate que l'intéressé a été hospitalisé le 9 mars 2011 pour des plaintes de douleurs au niveau d'un rein et qu'une biopsie a été effectuée à cet égard (paragraphe 7 ci-dessus). Le service d'oncologie de l'hôpital a alors diagnostiqué un cancer métastasique (paragraphe 8 ci-dessus), un traitement a été mis en place et le proche du requérant a été à plusieurs reprises conduit à l'hôpital pour y recevoir des soins oncologiques.

45. Bien que le requérant conteste de manière globale l'effectivité des soins dispensés à son frère, la Cour note qu'il ne fournit aucun élément de preuve permettant de conclure que les traitements prescrits n'ont pas été administrés ou que les conclusions des médecins et des analyses étaient erronées.

46. En l'espèce, la Cour observe que, selon le rapport du conseil de la santé de l'hôpital datant du 26 avril 2011, l'exécution de la peine en milieu carcéral constituait un danger pour la vie de Bahattin Yılmaz et qu'il était préconisé de suspendre l'exécution de sa peine pour une durée de six mois.

47. Il est vrai que les autorités auraient pu libérer l'intéressé à la suite de la remise de ce rapport. La Cour ne dispose toutefois d'aucun élément qui lui permette de critiquer l'attitude des autorités et de dire que l'intéressé a été privé en milieu carcéral des soins médicaux requis par son état. Il lui suffit en effet de constater, d'une part, que le pronostic général défavorable posé par les médecins à l'endroit du frère du requérant découlait du diagnostic de métastases et, d'autre part, que les séances de radiothérapie et les traitements médicamenteux qui avaient été prescrits ont été menés à bien.

48. Cela étant, la Cour note que le refus des tribunaux de libérer le proche du requérant était motivé par l'importance des infractions pour lesquelles celui-ci était jugé à l'époque des faits et par la gravité de la peine prononcée par la cour d'assises - motifs effectivement prévus par les dispositions de l'article 16 de la loi n o 5275 (paragraphes 20 et 29 ci-dessus).

49. Elle constate que, en tout état de cause, du 16 mai au 2 juin 2011, soit jusqu'au jour de son décès, l'intéressé a d'abord été maintenu dans une unité carcérale de l'hôpital, puis à la polyclinique de l'établissement pénitentiaire, et non pas en prison, et que, au cours de cette période, il a été accompagné par des membres de sa famille qui ont pu se relayer à tour de rôle (paragraphes 11 et 16 ci-dessus).

50. Partant, il est impossible pour la Cour d'établir un lien de causalité entre l'incarcération et le décès du proche du requérant.

51. Il s'ensuit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

 

2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 mars 2019, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Hasan Bakırcı Valeriu Griţco
Greffier adjoint Président

 


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