BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KAPMAZ v. TURKEY - 13716/12 (Judgment : Article 10 - Freedom of expression-{general} : Second Section Committee) French Text [2020] ECHR 3 (07 January 2020) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/3.html Cite as: CE:ECHR:2020:0107JUD001371612, ECLI:CE:ECHR:2020:0107JUD001371612, [2020] ECHR 3 |
[New search] [Contents list] [Help]
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KAPMAZ c. TURQUIE
(Requête no 13716/12)
ARRÊT
STRASBOURG
7 janvier 2020
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kapmaz c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Valeriu Griţco, président,
Egidijus Kūris,
Darian Pavli, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 décembre 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 13716/12) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Cengiz Kapmaz (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 janvier 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me Ö. Kılıç, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le 6 novembre 2017, les griefs concernant les atteintes qui auraient été portées aux droits du requérant à la liberté d’expression, à un procès équitable et au respect de ses biens ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1973. Il réside à Istanbul.
5. Le 16 juin 2011, la direction des douanes de Kahramanmaraş remit à la direction de la sûreté de Kahramanmaraş, pour examen, un colis envoyé par la poste depuis l’étranger par une maison d’édition à une personne détenue à la prison d’Elbistan, et qui contenait quinze livres, dont un livre intitulé Les jours d’Öcalan à İmralı, écrit par le requérant.
6. Le lendemain, le procureur de la République de Kahramanmaraş (« le procureur de la République ») présenta au juge d’instance pénal de Kahramanmaraş (« le juge d’instance pénal ») une demande visant à la saisie et à l’interdiction de distribution et de vente des exemplaires du livre susmentionné au motif que son contenu faisait la propagande de l’organisation illégale PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et qu’il semblait avoir été écrit dans le but de commettre l’infraction de propagande en faveur d’une organisation terroriste, une infraction prévue à l’article 7 de la loi no 3713.
7. Le même jour, le juge d’instance pénal ordonna l’interdiction de distribution et de vente du livre du requérant, en application de l’article 25 de la loi no 5187 sur la presse et de l’article 127 du code de procédure pénale (CPP), ainsi que la saisie de tous les exemplaires du livre qui seraient interceptés, en application des articles 123 et 127 CPP et de l’article 5 du règlement sur les objets infractionnels. À cet égard, il réitéra les motifs invoqués par le procureur de la République et indiqua que le livre était un document relevant de l’organisation illégale PKK et qu’il faisait la propagande de cette dernière.
8. Le 21 juillet 2011, la maison d’édition Penguen, qui avait publié le livre, forma opposition contre la décision du juge d’instance pénal.
9. Le 26 août 2011, le tribunal correctionnel de Kahramanmaraş rejeta cette opposition au motif que la décision du juge d’instance pénal était conforme à la procédure et à la loi.
10. Le 3 mai 2013, le juge d’instance pénal décida de lever la mesure de saisie et d’interdiction de distribution et de vente du livre en raison des modifications législatives intervenues entre-temps, notamment celles apportées à l’article 7 § 2 de la loi no 3713 (paragraphe 13 ci-dessous).
11. Il ressort du dossier que l’enquête pénale ouverte contre la personne inconnue ayant envoyé le livre par la poste est toujours pendante devant les autorités.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Article 7 § 2 de la loi no 3713
12. L’article 7 § 2 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, entrée en vigueur le 12 avril 1991, était libellé comme suit à l’époque des faits :
« Quiconque fait de la propagande en faveur d’une organisation terroriste sera condamné à une peine de un an à cinq ans d’emprisonnement. (...) »
13. Depuis la modification opérée par la loi no 6459, entrée en vigueur le 30 avril 2013, cette disposition est ainsi libellée :
« Quiconque fait de la propagande en faveur d’une organisation terroriste en légitimant les méthodes de contrainte, de violence ou de menace de ce type d’organisations, en faisant leur apologie ou en incitant à leur utilisation sera condamné à une peine de un an à cinq ans d’emprisonnement. (...) »
B. Code de procédure pénale
14. L’article 123 du CPP (loi no 5271 du 4 décembre 2004, entrée en vigueur le 1er juin 2005), intitulé « Conservation et saisie des objets et des recettes », se lit comme suit :
« Les valeurs patrimoniales, considérées utiles comme éléments de preuves, ou faisant l’objet d’une confiscation d’objet ou de recettes, sont conservées.
Si la personne possédant un tel objet ne consent pas à le remettre, celui-ci est saisi. »
15. L’article 127 du même code, intitulé « Compétence pour décider de la saisie », est ainsi libellé :
« Les forces de l’ordre procèdent à l’acte de saisie sur décision du juge ou, lorsqu’un retard serait préjudiciable, sur ordre écrit du procureur de la République ou, si le procureur de la République n’est pas joignable, sur ordre écrit du chef des forces de l’ordre. »
(...)
La saisie effectuée sans la décision du juge est soumise à l’approbation du juge compétent dans les vingt-quatre heures [qui suivent]. Le juge rend sa décision dans les quarante-huit heures [qui suivent] la saisie, [faute de quoi] la saisie est levée d’office.
La personne en possession de laquelle l’objet ou la valeur patrimoniale saisi se trouvait peut demander au juge de statuer à ce sujet.
(...) »
C. Loi sur la presse
16. L’article 25 de la loi no 5187 sur la presse du 9 juin 2004, intitulé « Saisie, interdiction de distribution et de vente », dispose en ses parties pertinentes en l’espèce :
« Le procureur de la République, ou la police lorsqu’un retard serait préjudiciable, peut saisir jusqu’à trois exemplaires d’une publication comme éléments de preuve dans le cadre d’une enquête.
Tous les exemplaires d’une publication peuvent être saisis sur décision d’un juge à condition qu’une enquête ou qu’une poursuite pénale ait déjà été engagée dans le cadre de l’une des infractions suivantes : (...) infractions à l’article 7 §§ 2 et 5 (propagande en faveur d’une organisation terroriste) de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. (...) »
D. Règlement sur les objets infractionnels
17. L’article 5 du règlement sur les objets infractionnels, intitulé « Conservation et saisie d’un objet infractionnel », se lit comme suit :
« (1) Les valeurs patrimoniales, considérées utiles comme éléments de preuves, ou faisant l’objet d’une confiscation d’objet ou de recettes, sont conservées. Si la personne possédant un tel objet ne consent pas à le remettre, celui-ci est saisi. »
(...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
18. Le requérant allègue que la décision de saisie et d’interdiction de distribution et de vente adoptée par les autorités à l’égard de son livre constitue une atteinte à son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention.
A. Sur la recevabilité
19. Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes et de l’absence de qualité de victime du requérant. Il expose à cet égard que le requérant n’a formé aucune opposition contre la mesure litigieuse et qu’il n’a pas été partie à la procédure devant les autorités internes.
20. Le requérant conteste l’exception du Gouvernement. À cet égard, il indique tout d’abord n’avoir reçu aucune notification de la décision de saisie et d’interdiction de distribution et de vente de son livre ni de notification de la levée de cette mesure. Il soutient en outre que l’opposition formée par la maison d’édition Penguen, conformément au contrat de publication de son livre qu’il avait conclu avec cette dernière, doit être considérée comme un recours qu’il a lui-même épuisé.
21. La Cour rappelle qu’il faut appliquer la règle de l’épuisement des recours internes avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, § 89, série A no 13, Akdıvar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 69, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, et Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 76, 25 mars 2014). Elle a de plus admis que la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (Akdıvar et autres, précité, § 69, et Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 286, CEDH 2012 (extraits)).
22. Elle relève que, en l’espèce, la maison d’édition ayant publié le livre du requérant et qui doit être réputée comme la personne ayant la possession des livres saisis au sens de l’article 127 du CPP (paragraphe 15 ci-dessus) a formé une opposition contre la mesure litigieuse (paragraphe 8 ci-dessus), ce qui a donné aux autorités nationales l’occasion de prévenir ou de redresser les violations de la Convention alléguées par le requérant. Elle rappelle en outre qu’elle a déjà reconnu, dans des affaires ayant un objet semblable, la qualité de victime des requérants directement concernés par la mesure litigieuse, à l’instar du requérant dans la présente affaire, qui est l’auteur du livre saisi, même s’ils n’avaient pas été parties aux procédures devant les autorités nationales (Ürper et autres c. Turquie, nos 14526/07 et 8 autres, § 18, 20 octobre 2009, Halis Doğan et autres c. Turquie, no 50693/99, §§ 15-17, 10 janvier 2006, Yıldız et autres c. Turquie (déc.), no 60608/00, 26 avril 2005, et Tanrıkulu, Çetin, Kaya et autres c. Turquie (déc.), nos 40150/98, 40153/98 et 40160/98, 6 novembre 2001).
23. La Cour ne décèle, en l’espèce, aucune raison de s’écarter de l’approche suivie dans ces affaires et rejette l’exception du Gouvernement.
24. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
25. Le requérant soutient que la mesure de saisie et d’interdiction de distribution et de vente de son livre a emporté violation de l’article 10 de la Convention.
26. Le Gouvernement considère qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, d’ingérence dans le droit du requérant à la liberté d’expression. Il expose à cet égard que la mesure adoptée à l’égard du livre du requérant n’a été appliquée que pendant environ un an et dix mois. Pour le cas où l’existence d’une ingérence serait admise par la Cour, le Gouvernement soutient que cette ingérence était prévue par la loi, à savoir l’article 25 de la loi no 5187, les articles 123 et 127 du CPP et l’article 5 du règlement sur les objets infractionnels, qu’elle poursuivait les buts légitimes que constituent la protection de la sécurité nationale, la défense de l’ordre et la prévention du crime. Il estime en outre que, eu égard au contenu du livre, qui, selon lui, faisait l’apologie de la violence et incitait les gens à adopter les méthodes de violence, de haine, de vengeance et d’insurrection armée utilisées par l’organisation terroriste PKK, l’ingérence litigieuse était nécessaire dans une société démocratique.
2. Appréciation de la Cour
27. La Cour considère que la mesure de saisie et d’interdiction de distribution et de vente adoptée à l’égard du livre écrit par le requérant, et qui est restée appliquée pendant plus d’un an et dix mois, constitue une ingérence dans le droit de l’intéressé à la liberté d’expression (Ürper et autres, précité, § 24).
28. Elle observe ensuite qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que cette ingérence était prévue par la loi, à savoir l’article 25 de la loi no 5187, les articles 123 et 127 du CPP et l’article 5 du règlement sur les objets infractionnels (paragraphes 14-17 ci-dessus), et qu’elle poursuivait des buts légitimes de protection de la sécurité nationale, de défense de l’ordre et de prévention du crime.
29. Quant à la nécessité de l’ingérence, la Cour rappelle les principes découlant de sa jurisprudence en matière de liberté d’expression, lesquels sont résumés notamment dans les arrêts Bédat c. Suisse ([GC], no 56925/08) et Kaos GL c. Turquie (no 4982/07, § 50, 22 novembre 2016).
30. Elle rappelle en particulier avoir maintes fois souligné que l’information était un bien périssable et qu’en retarder la publication, même pour une brève période, risquait fort de la priver de toute valeur et de tout intérêt (Ahmet Yıldırım c. Turquie, no 3111/10, § 47, CEDH 2012). Ce risque existe également s’agissant de publications autres que les périodiques, qui portent sur un sujet d’actualité. Certes, l’article 10 n’interdit pas en tant que telle toute restriction préalable à la publication. En témoignent les termes « conditions », « restrictions », « empêcher » et « prévention » qui y figurent, mais aussi les arrêts Sunday Times c. Royaume‑Uni (no 1) (26 avril 1979, série A no 30) et markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann c. Allemagne (20 novembre 1989, série A no 165). De telles restrictions présentent pourtant de si grands dangers qu’elles appellent de la part de la Cour l’examen le plus scrupuleux (Association Ekin c. France, no 39288/98, § 56, CEDH 2001‑VIII). Dès lors, ces restrictions préalables doivent s’inscrire dans un cadre légal particulièrement strict quant à la délimitation de l’interdiction et efficace quant au contrôle juridictionnel contre les abus éventuels (RTBF c. Belgique, no 50084/06, § 105, CEDH 2011 (extraits).
31. Elle estime que, pour apprécier si la « nécessité » de l’atteinte portée au droit à la liberté d’expression du requérant est établie de manière convaincante en l’espèce, elle doit, conformément à sa jurisprudence, se déterminer essentiellement à la lumière de la motivation retenue par les juridictions nationales à l’appui de la mesure litigieuse (Gözel et Özer c. Turquie, nos 43453/04 et 31098/05, § 51, 6 juillet 2010).
32. La Cour note à cet égard que le juge d’instance pénal, en ordonnant la mesure de saisie et d’interdiction de distribution et de vente, a considéré que le livre du requérant constituait un document relevant de l’organisation illégale PKK et qu’il faisait la propagande de cette dernière (paragraphe 7 ci-dessus), suivant à cet égard la demande du procureur de la République qui soutenait, de son côté, que le livre du requérant avait un contenu qui faisait la propagande du PKK et qu’il semblait avoir été préparé dans le but de commettre l’infraction de propagande en faveur d’une organisation terroriste (paragraphe 6 ci-dessus). Le tribunal correctionnel, quant à lui, en examinant l’opposition formée par la maison d’édition du livre contre la décision du juge d’instance pénal, a seulement indiqué que cette décision était conforme à la procédure et à la loi (paragraphe 8 ci-dessus).
33. La Cour ne peut que constater que, en l’espèce, il est impossible de déterminer, à partir des décisions des juridictions internes, pour quelle raison le livre du requérant a été jugé comme faisant la propagande de l’organisation illégale PKK et comme relevant de cette organisation, et s’il pouvait être considéré, et c’est là l’élément essentiel à ses yeux, comme contenant un appel à l’usage de la violence, à la résistance armée ou au soulèvement, ou comme constituant un discours de haine (Sürek c. Turquie (no 4) [GC], no 24762/94, § 58, 8 juillet 1999, et Belek et Velioğlu c. Turquie, no 44227/04, § 25, 6 octobre 2015). Ces juridictions ne semblent avoir procédé à cet égard à aucune analyse appropriée de la teneur du livre, du contexte dans lequel il s’inscrivait et de sa capacité de nuire au regard des critères énoncés et mis en œuvre par la Cour dans les affaires relatives à la liberté d’expression (Gözel et Özer, précité, § 51).
34. La Cour relève en particulier que les juridictions nationales n’expliquent pas pourquoi il fallait saisir tous les exemplaires du livre qui seraient interceptés en application de l’article 25 de la loi no 5187, des articles 123 et 127 du CPP et de l’article 5 du règlement sur les objets infractionnels, articles qui permettent la saisie des objets considérés utiles comme éléments de preuve dans le cadre d’une enquête pénale. Elle considère que l’argument selon lequel les exemplaires du livre du requérant auraient constitué des éléments de preuve utiles, invoqué d’une manière aussi générale et sans motivation, n’était pas suffisant pour justifier la mesure de saisie de tous les exemplaires du livre.
35. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que, dans les circonstances de l’espèce, en adoptant une mesure de saisie et d’interdiction de distribution et de vente du livre du requérant, les autorités nationales n’ont pas effectué une mise en balance adéquate et conforme aux critères établis par sa jurisprudence entre le droit de l’intéressé à la liberté d’expression et les buts légitimes poursuivis.
36. Elle estime dès lors que la mesure incriminée ne répondait pas à un besoin social impérieux, que, en tout état de cause, elle n’était pas proportionnée aux buts légitimes visés et que, de ce fait, elle n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
37. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE no 1 À LA CONVENTION
38. Invoquant l’article 6 §§ 1, 2 et 3 ainsi que l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint d’un manque d’équité de la procédure de saisie. Il allègue à cet égard que la décision de saisie a été rendue à la seule demande du procureur de la République, sans que ses observations ne soient recueillies. Il se plaint également d’une ineffectivité de la procédure d’opposition contre cette mesure.
39. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, il dénonce aussi une atteinte à son droit au respect de ses biens à raison de la mesure de saisie.
40. Eu égard au constat de violation auquel elle est parvenue relativement au grief fondé sur l’article 10 de la Convention (paragraphe 37 ci-dessus) et compte tenu de l’ensemble des faits de la cause et des arguments des parties, la Cour considère qu’il ne s’impose de statuer séparément ni sur la recevabilité ni sur le fond des griefs tirés de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du protocole no 1 à la Convention (Ürper et autres, précité, § 49).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
41. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 5 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subis. Il demande en outre 2 500 EUR pour les frais et dépens qu’il dit avoir engagés. Il ne présente aucun document à l’appui de ces demandes.
42. Le Gouvernement considère que la demande du requérant au titre du préjudice matériel est non étayée et excessive et indique que l’intéressé n’a présenté aucun document pour prouver le dommage matériel allégué. S’agissant des demandes relatives au préjudice moral, le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la violation alléguée et la somme demandée à ce titre. Il estime aussi que cette demande est non étayée et excessive et qu’elle ne correspond pas aux sommes allouées par la Cour dans sa jurisprudence. Pour ce qui est de la demande relative aux frais et dépens, le Gouvernement expose que le requérant n’a soumis aucune convention honoraire d’avocat ni aucun autre justificatif de paiement à l’appui de cette demande.
43. Le requérant n’ayant fourni aucun élément de preuve ou document qui permettrait de quantifier le dommage matériel qu’il allègue avoir subi, la Cour rejette la demande présentée à cet égard. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 1 500 EUR au titre du préjudice moral. Quant à la demande relative aux frais et dépens, la Cour la rejette faute pour le requérant d’avoir présenté les justificatifs nécessaires à cet égard.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 10 de la Convention ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit, qu’il ne s’impose de statuer séparément ni sur la recevabilité ni sur le fond des griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention et de l’article 1 du protocole no 1 à la Convention ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 janvier 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Hasan Bakırcı Valeriu Griţco
Greffier adjoint Président