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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PARDO CAMPOY AND LOZANO RODRIGUEZ v. SPAIN - 53421/15 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Third Section Committee) French Text [2020] ECHR 39 (14 January 2020) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/39.html Cite as: [2020] ECHR 39, CE:ECHR:2020:0114JUD005342115, ECLI:CE:ECHR:2020:0114JUD005342115 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE PARDO CAMPOY ET LOZANO RODRIGUEZ c. ESPAGNE
( Requêtes n os 53421/15et 53427/15)
ARRÊT
STRASBOURG
14 janvier 2020
Cet arrêt est définitif . Il peut subir des retouches de forme.
En l ' affaire Pardo Campoy et Lozano Rodríguez c. Espagne ,
La Cour européenne des droits de l ' homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :Paulo Pinto de Albuquerque, président,
Helen Keller,
María Elósegui, juges,
et de Stephen Phillips , greffier d e section ,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 décembre 2019 , Rend l ' arrêt que voici, adopté à cette date :PROCÉDURE
1 . À l ' origine de l ' affaire se trouvent deux requêtes (n os 53421/15et 53427/15) dirigées contre le Royaume d ' Espagne et dont deux ressortissants de cet État, M. Andrés Pardo Campoy (« le requérant de la requête n o 53421/15 ») et M me Isabel Lozano Rodríguez (« la requérante de la requête n o 53427/15 »), ont saisi la Cour le 21 octobre 2015 en vertu de l ' article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l ' homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2 . Les requérants ont été représentés par M e J.M. Pardo Lozano, avocate exerçant à Almería. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. R.-A. Le ó n Cavero, avocat de l ' État, chef du service juridique des droits de l ' homme au ministère de la Justice. 3 . Le 23 septembre 2016, les griefs concernant l ' article 6 §§ 1 et 2 de la Convention et l ' article 1 du Protocole n o 1 à la Convention ont été communiqués au Gouvernement . 4 . Le Gouvernement ne s ' est pas opposé à l ' examen des requêtes par un comité.EN FAIT
« (...) il est indispensable [pour caractériser le délit en cause d ' établir] l ' existence du dol, ( ... ) c ' est-à-dire [établir si le sujet actif] était conscient du caractère illégal de son comportement (...) et de ses éventuelles conséquences pénales. (...)
Les preuves examinées ne suffisent pas à montrer [que les requérants] étaient conscients du caractère illégal de leur conduite lorsqu ' ils ont commencé [les travaux], eu égard au nombre de constructions existant aux alentours (...). Il y a, au moins, un doute raisonnable sur la conscience [du caractère illégal de la construction] par les accusés, tel que ceux-ci l ' ont déclaré à l ' audience. (...) ».
16 . Le ministère public fit appel. Il argua qu ' il était clair que le terrain n ' était pas constructible, que la modification législative éventuelle ne pouvait pas entrer en ligne de compte en l ' espèce et que les requérants ne pouvaient pas prétendre méconnaître qu ' il fallait obtenir un permis de construire avant d ' entamer des travaux de construction qui, de plus, allaient être effectués sur un terrain ayant un usage agricole évident. 17 . De leur côté, les requérants fondèrent leur défense sur les arguments suivants : selon eux, il n ' avait pas été prouvé que le terrain n ' était pas constructible et, en tout état de cause, afin de démontrer l ' existence du dol, il fallait prouver qu ' ils avaient connaissance du caractère non constructible du terrain et pas seulement de la nécessité d ' obtenir un permis de construire au préalable. 18 . Par un arrêt rendu le 14 mars 2014, l ' Audiencia Provincial d ' Almería, sans tenir d ' audience publique, condamna chacun des requérants à six mois de prison et au versement d ' une amende pour le délit en cause. Elle ordonna par ailleurs la démolition des bâtiments construits illégalement. 19 . L ' Audiencia Provincial retint les faits tels qu ' ils avaient été établis par le juge pénal n o 5 d ' Almería. En revanche, elle estima qu ' il avait été prouvé que les travaux avaient été réalisés sur un terrain non constructible et que les constructions n ' étaient pas susceptibles d ' être régularisées. Elle fonda notamment sa décision sur ce qui suit :« (...) les faits déclarés prouvés [par le juge pénal n o 5 d ' Almería] constituent sans aucun doute à eux seuls un délit relatif à l ' aménagement du territoire, prévu à l ' article 319 § 2 du code pénal (...). L ' existence de l ' intentionnalité, nécessaire pour constituer le délit, ne peut pas être exclue, eu égard à la déclaration des accusés, qui ont admis avoir construit sans autorisation (...).
(...) Les accusés ne pouvaient ignorer la prohibition de construire (...) ni la nécessité de demander un permis de construction (...) ».
20 . Les requérants demandèrent que la procédure fût déclarée nulle. Par une décision du 14 mai 2014, l ' Audiencia Provincial d ' Almería déclara cette demande irrecevable. 21 . Invoquant les articles 14 (interdiction de la discrimination) et 24 (droit à un procès équitable) de la Constitution, les requérants formèrent un recours d ' amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision notifiée le 21 avril 2015, la haute juridiction déclara le recours irrecevable en raison de l ' absence de violation d ' un droit fondamental susceptible de faire l ' objet d ' un recours d ' amparo .« (...)
2. Les promoteurs, les constructeurs ou les techniciens directeurs qui mènent à bien une construction non susceptible d ' autorisation sur un terrain non constructible encourent des peines d ' emprisonnement de six mois à deux ans, d ' amende de douze à vingt-quatre mois et d ' impossibilité d ' exercer leur activité professionnelle ou leur métier pour une durée de six mois à trois ans.
3. En tout état de cause, les juges et les tribunaux peuvent, par une décision motivée, ordonner la démolition de la construction et [la remise des lieux en leur état antérieur à la construction], aux frais de l ' auteur, sans préjudice des indemnisations dues aux tiers de bonne foi (...)».
EN DROIT
Article 6 de la Convention
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Article 1 du Protocole n o 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d ' utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ( ... ) ».
(a) Principes généraux
31 . La Cour observe que la problématique juridique soulevée dans la présente affaire correspond à celle examinée dans l ' arrêt récent Hernández Royo c. Espagne (n o 16033/12, §§ 32 - 35, 20 septembre 2016). Par conséquent, elle renvoie aux principes qui y sont établis.(b) Application de ces principes en l ' espèce
32 . En l ' espèce, la Cour note qu ' il n ' est pas contesté par les parties que les requérants, qui ont été acquittés en première instance, ont été condamnés par l ' Audiencia Provincial d ' Almería sans la tenue d ' une audience publique et, par conséquent, sans avoir été entendus personnellement. 33 . Dès lors, afin de déterminer s ' il y a eu violation de l ' article 6 de la Convention, il échet d ' examiner le rôle de l ' Audiencia Provincial et la nature des questions qu ' elle avait à examiner. Dans les autres affaires examinées par la Cour portant sur la même problématique (voir, entre autres, l ' arrêt Valbuena Redondo c. Espagne , n o 23002/07, 22 novembre 2011), celle-ci a estimé qu ' une audience s ' avérait nécessaire lorsque la juridiction d ' appel « effectu[ait] une nouvelle appréciation des faits estimés prouvés en première instance et les reconsid[érait] », se situant au-delà des considérations strictement juridiques. Dans de tels cas, une audience s ' impose avant de parvenir à un jugement sur la culpabilité du requérant ( Igual Coll c. Espagne, n o 37496/04, § 36, 10 mars 2009). 34 . En somme, il incombera essentiellement à la Cour de décider, à la lumière des circonstances particulières de chaque cas d ' espèce, si la juridiction chargée de se prononcer sur l ' appel a procédé à une nouvelle appréciation des éléments de fait (voir également Spînu c. Roumanie, n o 32030/02, § 55, 29 avril 2008). 35 . À ce propos, la Cour observe que l ' Audiencia Provincial d ' Almería avait la possibilité, en tant qu ' instance de recours, de rendre un nouveau jugement sur le fond, ce qu ' elle a fait le 14 mars 2014. Cette juridiction pouvait décider soit de confirmer l ' acquittement des requérants soit de les déclarer coupables, après s ' être livrée à une appréciation de la question de la culpabilité ou de l ' innocence des intéressés. 36 . La Cour observe que l ' Audiencia Provincial a infirmé le jugement a quo . Sans entendre personnellement les requérants dans une audience publique, celle-ci a modifié partiellement les faits prouvés, en considérant que, les bâtiments ayant été édifiés sur un sol non constructible, ils n ' étaient pas susceptibles d ' être régularisés. Elle s ' est ensuite livrée à une nouvelle appréciation des moyens de preuve qui, à son avis, étaient essentiels pour établir la culpabilité des requérants, à savoir les nombreux documents figurant dans le dossier ainsi que d ' autres preuves à caractère objectif telles que les expertises réalisées en l ' espèce. En effet, l ' Audiencia Provincial a considéré que les faits déclarés prouvés par le juge de première instance accréditaient en eux-mêmes l ' existence d ' un délit relatif à l ' aménagement du territoire. De plus, elle a observé qu ' il n ' était pas possible d ' exclure le dol dans la conduite des accusés au motif que ceux-ci avaient déclaré avoir construit l ' immeuble sans autorisation préalable et sans même solliciter de permis. 37 . Afin de parvenir à sa conclusion, l ' Audiencia Provincial a modifié tant les faits déclarés prouvés par le jugement contesté que ses fondements juridiques. En effet, force est de constater que, à la différence de l ' affaire Bazo González c. Espagne (n o 30643/04, 16 décembre 2008), l ' Audiencia Provincial ne s ' est pas limitée en l ' espèce à une nouvelle appréciation des éléments strictement juridiques, mais s ' est prononcée sur la question de l ' existence d ' une volonté des requérants de construire tout en sachant qu ' ils agissaient dans l ' illégalité. Elle a ainsi modifié les faits déclarés prouvés par le juge de première instance. Aux yeux de la Cour, un tel examen implique, de par ses caractéristiques, une prise de position sur des faits décisifs pour la détermination de la culpabilité des requérants ( Igual Coll , précité, § 35). 38 . De la même façon que dans l ' affaire Valbuena Redondo (précité, § 37), la Cour note que l ' Audiencia Provincial s ' est écartée du jugement d ' instance après s ' être prononcée sur des éléments de fait et de droit qui lui ont permis de déterminer la culpabilité des accusés. À cet égard, la Cour considère que, lorsque l ' inférence d ' un tribunal a trait à des éléments subjectifs (tels que, en l ' espèce, l ' existence d ' un dol éventuel), il n ' est pas possible de procéder à l ' appréciation juridique du comportement de l ' accusé sans avoir, au préalable, essayé de prouver la réalité de ce comportement, ce qui implique nécessairement la vérification de l ' intention des accusés de commettre les faits qui leur sont imputés. 39 . Les questions traitées étant partiellement de nature factuelle, la Cour estime que la condamnation des requérants en appel par l ' Audiencia Provincial , après un changement dans l ' appréciation d ' éléments tels que l ' existence d ' un dol, sans que les intéressés aient eu l ' occasion d ' être entendus personnellement et de contester cette appréciation moyennant un examen contradictoire au cours d ' une audience publique, n ' est pas conforme avec les exigences d ' un procès équitable garanti par l ' article 6 § 1 de la Convention.40 . Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure en l ' espèce que l ' étendue de l ' examen effectué par l ' Audiencia Provincial rendait nécessaire une audience publique devant la juridiction d ' appel. Partant, il y a eu violation de l ' article 6 § 1 de la Convention.
41 . Concernant le grief relatif à l ' article 1 du Protocole n o 1, la Cour estime que, eu égard à son constat de violation de l ' article 6 § 1 de la Convention, elle ne saurait spéculer sur ce que la situation aurait été si le requérant aurait eu un accès effectif à un tribunal. Il n ' est donc pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si le demandeur avait une possession au sens de l ' article 1 du Protocole n o 1 et, en conséquence, sur le grief tiré sur cet article (voir, mutatis mutandis , entre autres, Glod c. Roumanie , n o 41134/98, § 46, 16 septembre 2003, Laino c. Italie [GC], n o 33158/96, § 25, CEDH 1999-I, Zanghì c. Italie , arrêt du 19 février 1991, série A n 194-C, p. 47, § 23, Yanakiev c. Bulgarie , n o 40476/98, § 82, 10 août 2006, et Albina c. Roumanie , n o 57808/00, § 43, 28 avril 2005 ).« (...) Toute personne accusée d ' une infraction est présumée innocente jusqu ' à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
43 . Le Gouvernement conteste cette thèse.« Si la Cour déclare qu ' il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d ' effacer qu ' imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s ' il y a lieu, une satisfaction équitable. »
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L ' UNANIMITÉ,
a) que l ' État défendeur doit verser aux requérants, conjointement, dans les trois mois, la somme de 10 030 EUR (dix mille trente euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d ' impôt, pour frais et dépens ;
b) qu ' à compter de l ' expiration dudit délai et jusqu ' au versement, ce montant sera à majorer d ' un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 janvier 2020 , en application de l ' article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stephen Phillips
Paulo Pinto de Albuquerque
Greffier
Président