BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PARDO CAMPOY AND LOZANO RODRIGUEZ v. SPAIN - 53421/15 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Third Section Committee) French Text [2020] ECHR 39 (14 January 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/39.html
Cite as: [2020] ECHR 39, CE:ECHR:2020:0114JUD005342115, ECLI:CE:ECHR:2020:0114JUD005342115

[New search] [Contents list] [Help]


 

 

TROISIÈME SECTION

 

AFFAIRE PARDO CAMPOY ET LOZANO RODRIGUEZ c.   ESPAGNE

( Requêtes n os 53421/15et 53427/15)

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

14 janvier 2020

 

 

 

Cet arrêt est définitif . Il peut subir des retouches de forme.

 


En l ' affaire Pardo Campoy et Lozano Rodríguez c. Espagne ,

La Cour européenne des droits de l ' homme (troisième section), siégeant en un comité composé de   :

Paulo Pinto de Albuquerque, président,

Helen Keller,

María Elósegui, juges,

et de Stephen Phillips , greffier d e section ,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 décembre 2019 ,

Rend l ' arrêt que voici, adopté à cette date   :

PROCÉDURE

1 .     À l ' origine de l ' affaire se trouvent deux requêtes (n os 53421/15et 53427/15) dirigées contre le Royaume d ' Espagne et dont deux ressortissants de cet État, M. Andrés Pardo Campoy («   le requérant de la requête n o   53421/15   ») et M me Isabel Lozano Rodríguez («   la requérante de la requête n o   53427/15   »), ont saisi la Cour le 21 octobre 2015 en vertu de l ' article   34 de la Convention de sauvegarde des droits de l ' homme et des libertés fondamentales («   la Convention   »).

2 .     Les requérants ont été représentés par M e   J.M. Pardo Lozano, avocate exerçant à Almería. Le gouvernement espagnol («   le Gouvernement   ») a été représenté par son agent, M. R.-A. Le ó n Cavero, avocat de l ' État, chef du service juridique des droits de l ' homme au ministère de la Justice.

3 .     Le 23 septembre 2016, les griefs concernant l ' article 6 §§ 1 et 2 de la Convention et l ' article 1 du Protocole n o 1 à la Convention ont été communiqués au Gouvernement .

4 .     Le Gouvernement ne s ' est pas opposé à l ' examen des requêtes par un comité.

EN FAIT

  1. LES CIRCONSTANCES DE L ' ESPÈCE
5 .     Les requérants sont nés respectivement en 1947 et en 1949 et résident à Cantoria, Almería .

6 .     À une date non précisée dans le dossier mais postérieure à l ' année   2006, les requérants construisirent, sur un terrain agricole situé à Cantoria et appartenant à la requérante, un logement unifamilial d ' une surface de 350 m 2 sur deux étages ainsi que deux entrepôts complémentaires de 50   m 2 chacun et une petite annexe de 8 m 2 , le tout sans raccordement au réseau électrique ni au système d ' élimination des eaux usées, les bâtiments susmentionnés étant prétendument destinés à être utilisés à des fins agricoles.

7 .     Le 5 novembre 2008, le service de protection de l ' environnement de la garde civile espagnole constata que plusieurs immeubles étaient en cours de construction à Cantoria, Almería, sur des terrains classés comme non constructibles situés près de la rive du fleuve Almanzora. Il en informa la municipalité de Cantoria et demanda si les constructions jouissaient de l ' autorisation administrative requise et si elles pourraient l ' obtenir le cas échéant.

8 .     La municipalité lui répondit que les immeubles en cours de construction par les requérants ne faisaient pas l ' objet d ' une autorisation administrative et qu ' ils n ' étaient pas susceptibles d ' être régularisés. En conséquence, elle ouvrit un dossier de sanction pour infraction urbanistique très grave (construction sans autorisation administrative sur un terrain non constructible) à l ' encontre des requérants et, le 7 juillet 2009, ordonna l ' arrêt des travaux. Les requérants en furent informés le 20 juillet 2009. Néanmoins, ils passèrent outre l ' ordre d ' arrêt des travaux.

9 .     La garde civile porta alors plainte au pénal devant le juge d ' instruction n o   1 de Huércal-Overa («   le juge d ' instruction   ») contre les requérants pour des délits présumés relatifs à l ' aménagement du territoire et de désobéissance à l ' autorité («   delito de desobediencia a la autoridad   »).

10 .     Interrogés par la police judiciaire, les requérants déclarèrent qu ' ils ne disposaient pas de projet des travaux et qu ' ils n ' avaient pas demandé de permis de construire auprès de la municipalité car ils auraient entendu dire qu ' elle ne les octroyait pas. Ils reconnurent qu ' ils rejetaient des eaux usées non traitées, qu ' ils s ' étaient servis de l ' arrivée d ' eau d ' une ancienne ferme et qu ' ils utilisaient un générateur à essence en raison de l ' absence d ' électricité.

11 .     Le juge d ' instruction demanda au gouvernement autonome d ' Andalousie ( Junta de Andalucía ) un rapport afin de clarifier la question de savoir si les immeubles litigieux étaient des constructions illégales et si celles-ci étaient susceptibles d ' être légalisées le cas échéant. Ce rapport, daté du 22   janvier 2010, concluait que les immeubles avaient été bâtis sur un terrain non constructible à caractère naturel ou rural selon les normes municipales d ' urbanisme et que la construction sur ce terrain était soumise aux conditions établies par la loi d ' aménagement du territoire d ' Andalousie. Le rapport précisait que les travaux avaient été entrepris sans permis de construire et qu ' aucun projet n ' avait été soumis au préalable pour approbation.

12 .     Le 8 juillet 2010, le juge d ' instruction fit droit à la demande du procureur d ' arrêter provisoirement les travaux entrepris par les requérants au vu de leur caractère délictuel apparent.

13 .     La procédure administrative de sanction fut quant à elle suspendue le 3 novembre 2010 dans l ' attente de l ' issue de la procédure pénale.

14 .     Par un jugement du 15 novembre 2012 rendu après la tenue d ' une audience publique, le juge n o 5 d ' Almería («   le juge   ») acquitta les requérants du délit relatif à l ' aménagement du territoire (article 319 §§ 2 et 3 du code pénal) duquel ils avaient été accusés. Le juge considéra qu ' il était établi que les accusés avaient débuté les travaux litigieux sans savoir si le terrain était constructible et qu ' il n ' y avait pas de certitude sur la question de savoir si les constructions en cause étaient susceptibles d ' être régularisées ou non. En outre, relevant une absence d ' intention délictuelle dans la conduite des requérants, il estima qu ' il n ' existait pas de pièces à conviction suffisantes pour renverser la présomption d ' innocence des intéressés. Enfin, il nota qu ' une modification législative était en cours, selon laquelle des constructions comme celles de l ' espèce pourraient être autorisées.

15 .     En particulier, le juge observa ce qui suit   :

«   (...) il est indispensable [pour caractériser le délit en cause d ' établir] l ' existence du dol, ( ... ) c ' est-à-dire [établir si le sujet actif] était conscient du caractère illégal de son comportement (...) et de ses éventuelles conséquences pénales. (...)

Les preuves examinées ne suffisent pas à montrer [que les requérants] étaient conscients du caractère illégal de leur conduite lorsqu ' ils ont commencé [les travaux], eu égard au nombre de constructions existant aux alentours (...). Il y a, au moins, un doute raisonnable sur la conscience [du caractère illégal de la construction] par les accusés, tel que ceux-ci l ' ont déclaré à l ' audience. (...)   ».

16 .     Le ministère public fit appel. Il argua qu ' il était clair que le terrain n ' était pas constructible, que la modification législative éventuelle ne pouvait pas entrer en ligne de compte en l ' espèce et que les requérants ne pouvaient pas prétendre méconnaître qu ' il fallait obtenir un permis de construire avant d ' entamer des travaux de construction qui, de plus, allaient être effectués sur un terrain ayant un usage agricole évident.

17 .     De leur côté, les requérants fondèrent leur défense sur les arguments suivants   : selon eux, il n ' avait pas été prouvé que le terrain n ' était pas constructible et, en tout état de cause, afin de démontrer l ' existence du dol, il fallait prouver qu ' ils avaient connaissance du caractère non constructible du terrain et pas seulement de la nécessité d ' obtenir un permis de construire au préalable.

18 .     Par un arrêt rendu le 14 mars 2014, l ' Audiencia Provincial d ' Almería, sans tenir d ' audience publique, condamna chacun des requérants à six mois de prison et au versement d ' une amende pour le délit en cause. Elle ordonna par ailleurs la démolition des bâtiments construits illégalement.

19 .     L ' Audiencia Provincial retint les faits tels qu ' ils avaient été établis par le juge pénal n o   5 d ' Almería. En revanche, elle estima qu ' il avait été prouvé que les travaux avaient été réalisés sur un terrain non constructible et que les constructions n ' étaient pas susceptibles d ' être régularisées. Elle fonda notamment sa décision sur ce qui suit   :

«   (...) les faits déclarés prouvés [par le juge pénal n o   5 d ' Almería] constituent sans aucun doute à eux seuls un délit relatif à l ' aménagement du territoire, prévu à l ' article   319   §   2 du code pénal (...). L ' existence de l ' intentionnalité, nécessaire pour constituer le délit, ne peut pas être exclue, eu égard à la déclaration des accusés, qui ont admis avoir construit sans autorisation (...).

(...) Les accusés ne pouvaient ignorer la prohibition de construire (...) ni la nécessité de demander un permis de construction (...)   ».

20 .     Les requérants demandèrent que la procédure fût déclarée nulle. Par une décision du 14 mai 2014, l ' Audiencia Provincial d ' Almería déclara cette demande irrecevable.

21 .     Invoquant les articles 14 (interdiction de la discrimination) et 24 (droit à un procès équitable) de la Constitution, les requérants formèrent un recours d ' amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision notifiée le 21 avril 2015, la haute juridiction déclara le recours irrecevable en raison de l ' absence de violation d ' un droit fondamental susceptible de faire l ' objet d ' un recours d ' amparo .

  1. LE DROIT INTERNE PERTINENT
22 .     Les parties pertinentes en l ' espèce de l ' article 319 du code pénal, en vigueur à l ' époque des faits, étaient ainsi libellées   :

«   (...)

2.     Les promoteurs, les constructeurs ou les techniciens directeurs qui mènent à bien une construction non susceptible d ' autorisation sur un terrain non constructible encourent des peines d ' emprisonnement de six mois à deux ans, d ' amende de douze à vingt-quatre mois et d ' impossibilité d ' exercer leur activité professionnelle ou leur métier pour une durée de six mois à trois ans.

3.     En tout état de cause, les juges et les tribunaux peuvent, par une décision motivée, ordonner la démolition de la construction et [la remise des lieux en leur état antérieur à la construction], aux frais de l ' auteur, sans préjudice des indemnisations dues aux tiers de bonne foi (...)».

EN DROIT

  1. JONCTION DES REQUÊTES
23 .     Compte tenu de la similitude des requêtes, la Cour estime approprié de les examiner conjointement en un seul arrêt.

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6   §   1 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE N o   1 À LA CONVENTION
24 .     Invoquant les articles 6 § 1 de la Convention et 1 er du Protocole n o   1, les requérants se plaignent d ' avoir été condamnés en appel sans avoir été entendus lors d ' une audience publique devant l ' Audiencia Provincial d ' Almer í a alors qu ' ils avaient été acquittés en première instance. Ils estiment en outre que la démolition de leurs immeubles a été ordonnée en l ' absence d ' intérêt public, sans tenir compte du principe de proportionnalité et sans aucune compensation.

Les dispositions invoquées sont ainsi libellées dans leurs parties pertinentes en l ' espèce   :

Article 6 de la Convention

«   Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.   »

Article 1 du Protocole n o   1

«   Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d ' utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ( ... )   ».

  1. Sur la recevabilité
25 .     Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l ' article 35 § 3 a) de la Convention et qu ' ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d ' irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

  1. Sur le fond
    1. Thèses des parties
26 .     Le Gouvernement estime que, dans la présente affaire, une audience en appel n ' était pas nécessaire, dans la mesure où les questions tranchées par l ' Audiencia Provincial étaient purement juridiques et strictement jugées sur la base de preuves documentaires.

27 .     Le Gouvernement indique que la juridiction d ' appel s ' est limitée à rectifier la décision du juge pénal sur la base d ' éléments qui, selon lui, n ' exigeaient pas le respect du principe d ' immédiateté, à savoir une nouvelle appréciation de l ' analyse légale par le juge a quo du caractère constructible ou non du terrain en cause au moyen de l ' application de la réglementation existante et la question de savoir si les requérants savaient qu ' ils devaient au préalable demander un permis de construire à la municipalité, ce qui aurait constitué un fait notoire et que la requérante aurait admis savoir devant la garde civile (paragraphe 11 ci-dessus). Par ailleurs, le Gouvernement ajoute que l ' Audiencia Provincial a estimé qu ' une éventuelle modification de la législation n ' aurait aucune incidence sur le cas d ' espèce.

28 .     Le Gouvernement estime que, après avoir examiné ces éléments, l ' Audiencia Provincial est parvenue à une conclusion raisonnable, motivée et dénuée d ' arbitraire, au moyen d ' une appréciation strictement juridique sur la base d ' une interprétation et d ' une application directe de la loi. Il indique enfin que les requérants n ' ont pas demandé la tenue d ' une audience devant l ' Audiencia Provincial .

29 .     De leur côté, les requérants indiquent que l ' Audiencia Provincial a partiellement modifié les faits établis par le juge pénal et, à cet égard, ils sont d ' avis que le changement de conclusion ainsi opéré par la juridiction d ' appel va au-delà d ' une simple rectification du raisonnement du tribunal de première instance. Ils soutiennent que la réappréciation n ' a pas concerné des éléments exclusivement juridiques et que la juridiction d ' appel s ' est prononcée sur des circonstances subjectives les concernant, à savoir l ' existence d ' un dol. Aux yeux des requérants, la tenue d ' une audience publique était dès lors nécessaire et déterminante et elle aurait permis d ' apprécier directement des preuves liées à leur conduite.

30 .     S ' agissant de l ' argument du Gouvernement relatif à l ' absence de demande de leur part visant à être entendus devant l ' Audiencia Provincial , les requérants indiquent qu ' ils n ' avaient pas de raisons particulières de formuler une telle demande compte tenu de leur acquittement en première instance.

  1. Appréciation de la Cour

(a)    Principes généraux

31 .     La Cour observe que la problématique juridique soulevée dans la présente affaire correspond à celle examinée dans l ' arrêt récent Hernández Royo c.   Espagne (n o   16033/12, §§ 32 - 35, 20 septembre 2016). Par conséquent, elle renvoie aux principes qui y sont établis.

(b)    Application de ces principes en l ' espèce

32 .     En l ' espèce, la Cour note qu ' il n ' est pas contesté par les parties que les requérants, qui ont été acquittés en première instance, ont été condamnés par l ' Audiencia Provincial d ' Almería sans la tenue d ' une audience publique et, par conséquent, sans avoir été entendus personnellement.

33 .     Dès lors, afin de déterminer s ' il y a eu violation de l ' article 6 de la Convention, il échet d ' examiner le rôle de l ' Audiencia Provincial et la nature des questions qu ' elle avait à examiner. Dans les autres affaires examinées par la Cour portant sur la même problématique (voir, entre autres, l ' arrêt Valbuena Redondo c. Espagne , n o   23002/07, 22 novembre 2011), celle-ci a estimé qu ' une audience s ' avérait nécessaire lorsque la juridiction d ' appel «   effectu[ait] une nouvelle appréciation des faits estimés prouvés en première instance et les reconsid[érait]   », se situant au-delà des considérations strictement juridiques. Dans de tels cas, une audience s ' impose avant de parvenir à un jugement sur la culpabilité du requérant ( Igual Coll c.   Espagne, n o 37496/04, § 36, 10 mars 2009).

34 .     En somme, il incombera essentiellement à la Cour de décider, à la lumière des circonstances particulières de chaque cas d ' espèce, si la juridiction chargée de se prononcer sur l ' appel a procédé à une nouvelle appréciation des éléments de fait (voir également Spînu c. Roumanie, n o   32030/02, §   55, 29   avril 2008).

35 .     À ce propos, la Cour observe que l ' Audiencia Provincial d ' Almería avait la possibilité, en tant qu ' instance de recours, de rendre un nouveau jugement sur le fond, ce qu ' elle a fait le 14 mars 2014. Cette juridiction pouvait décider soit de confirmer l ' acquittement des requérants soit de les déclarer coupables, après s ' être livrée à une appréciation de la question de la culpabilité ou de l ' innocence des intéressés.

36 .     La Cour observe que l ' Audiencia Provincial a infirmé le jugement a quo . Sans entendre personnellement les requérants dans une audience publique, celle-ci a modifié partiellement les faits prouvés, en considérant que, les bâtiments ayant été édifiés sur un sol non constructible, ils n ' étaient pas susceptibles d ' être régularisés. Elle s ' est ensuite livrée à une nouvelle appréciation des moyens de preuve qui, à son avis, étaient essentiels pour établir la culpabilité des requérants, à savoir les nombreux documents figurant dans le dossier ainsi que d ' autres preuves à caractère objectif telles que les expertises réalisées en l ' espèce. En effet, l ' Audiencia Provincial a considéré que les faits déclarés prouvés par le juge de première instance accréditaient en eux-mêmes l ' existence d ' un délit relatif à l ' aménagement du territoire. De plus, elle a observé qu ' il n ' était pas possible d ' exclure le dol dans la conduite des accusés au motif que ceux-ci avaient déclaré avoir construit l ' immeuble sans autorisation préalable et sans même solliciter de permis.

37 .     Afin de parvenir à sa conclusion, l ' Audiencia Provincial a modifié tant les faits déclarés prouvés par le jugement contesté que ses fondements juridiques. En effet, force est de constater que, à la différence de l ' affaire Bazo González c.   Espagne (n o 30643/04, 16 décembre 2008), l ' Audiencia Provincial ne s ' est pas limitée en l ' espèce à une nouvelle appréciation des éléments strictement juridiques, mais s ' est prononcée sur la question de l ' existence d ' une volonté des requérants de construire tout en sachant qu ' ils agissaient dans l ' illégalité. Elle a ainsi modifié les faits déclarés prouvés par le juge de première instance. Aux yeux de la Cour, un tel examen implique, de par ses caractéristiques, une prise de position sur des faits décisifs pour la détermination de la culpabilité des requérants ( Igual Coll , précité, § 35).

38 .     De la même façon que dans l ' affaire Valbuena Redondo (précité, §   37), la Cour note que l ' Audiencia Provincial s ' est écartée du jugement d ' instance après s ' être prononcée sur des éléments de fait et de droit qui lui ont permis de déterminer la culpabilité des accusés. À cet égard, la Cour considère que, lorsque l ' inférence d ' un tribunal a trait à des éléments subjectifs (tels que, en l ' espèce, l ' existence d ' un dol éventuel), il n ' est pas possible de procéder à l ' appréciation juridique du comportement de l ' accusé sans avoir, au préalable, essayé de prouver la réalité de ce comportement, ce qui implique nécessairement la vérification de l ' intention des accusés de commettre les faits qui leur sont imputés.

39 .     Les questions traitées étant partiellement de nature factuelle, la Cour estime que la condamnation des requérants en appel par l ' Audiencia Provincial , après un changement dans l ' appréciation d ' éléments tels que l ' existence d ' un dol, sans que les intéressés aient eu l ' occasion d ' être entendus personnellement et de contester cette appréciation moyennant un examen contradictoire au cours d ' une audience publique, n ' est pas conforme avec les exigences d ' un procès équitable garanti par l ' article 6 § 1 de la Convention.

40 .     Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure en l ' espèce que l ' étendue de l ' examen effectué par l ' Audiencia Provincial rendait nécessaire une audience publique devant la juridiction d ' appel. Partant, il y a eu violation de l ' article 6 § 1 de la Convention.

41 .     Concernant le grief relatif à l ' article 1 du Protocole n o   1, la Cour estime que, eu égard à son constat de violation de l ' article   6   §   1 de la Convention, elle ne saurait spéculer sur ce que la situation aurait été si le requérant aurait eu un accès effectif à un tribunal. Il n ' est donc pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si le demandeur avait une possession au sens de l ' article 1 du Protocole n o   1 et, en conséquence, sur le grief tiré sur cet article (voir, mutatis mutandis , entre autres, Glod c. Roumanie , n o   41134/98, § 46, 16 septembre 2003, Laino c. Italie [GC], n o   33158/96, §   25, CEDH 1999-I, Zanghì c.   Italie , arrêt du 19 février 1991, série A n   194-C, p. 47, § 23, Yanakiev c.   Bulgarie , n o 40476/98, § 82, 10 août 2006, et Albina c. Roumanie , n o   57808/00, § 43, 28 avril 2005 ).

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ' ARTICLE 6   §   2 DE LA CONVENTION
42 .     Les requérants voient dans leur condamnation en appel sans avoir été entendus personnellement une violation de leur droit à la présomption d ' innocence. Ils invoquent à cet égard l ' article 6   §   2 de la Convention, dont la partie pertinente en l ' espèce est libellée comme suit   :

« (...) Toute personne accusée d ' une infraction est présumée innocente jusqu ' à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

43 .     Le Gouvernement conteste cette thèse.

  1. Sur la recevabilité
44 .     Constatant que ce grief n ' est pas manifestement mal fondé au sens de l ' article 35 § 3 a) de la Convention et qu ' il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d ' irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

  1. Sur le fond
45 .     Eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue sous l ' angle de l ' article 6 § 1 de la Convention, la Cour est d ' avis qu ' aucune question distincte ne se pose à l ' égard de l ' article 6 § 2.

  1. SUR L ' APPLICATION DE L ' ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
46 .     Aux termes de l ' article 41 de la Convention,

«   Si la Cour déclare qu ' il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d ' effacer qu ' imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s ' il y a lieu, une satisfaction équitable.   »

  1. Dommage
47 .     Les requérants réclament conjointement 17   928 euros (EUR) au titre du préjudice et moral qu ' ils estiment avoir subi et 72 EUR correspondant selon eux au montant de l ' amende leur ayant été infligée par l ' Audiencia Provincial d ' Almería.

48 .     Le Gouvernement s ' oppose à cette réclamation.

49 .     La Cour observe que le montant de 72 EUR réclamé trouve son origine dans l ' arrêt de l ' Audiencia Provincial , qu ' elle considère comme ayant été rendu en contradiction avec les exigences de l ' article 6 § 1 de la Convention. Elle estime que la forme la plus appropriée de redressement pour une violation de l ' article 6 § 1 consiste à faire en sorte que le requérant se retrouve autant que possible dans la situation qui aurait été la sienne si cette disposition n ' avait pas été méconnue ( Tétériny c. Russie , n o   11931/03, §   56, 30 juin 2005, Jeličić c. Bosnie-Herzégovine , n o 41183/02, § 53, CEDH 2006-XII, Mehmet et Suna Yiğit c. Turquie , n o   52658/99, § 47, 17 juillet 2007, et Atutxa Mendiola et autres c. Espagne , n o 41427/14, § 51, 13 juin 2017). Elle juge que ce principe trouve à s ' appliquer en l ' espèce. En effet, elle note que le droit interne (article 954 § 3 du code de procédure pénale tel que modifié par la loi 41/2015 du 5 octobre 2015) prévoit la possibilité de réviser les décisions définitives déclarées contraires aux droits reconnus dans la Convention par un arrêt de la Cour.

50 .     Par conséquent, elle estime que la forme la plus appropriée de redressement serait, pourvu que les requérants la demandent, la révision de la procédure conformément aux exigences de l ' article 6 § 1 de la Convention, en application des dispositions de l ' article 954 § 3 du code de procédure pénale (voir, mutatis mutandis , Gençel c. Turquie , n o   53431/99, §   27, 23 octobre 2003).

  1. F rais et dépens
51 .     Les requérants demandent conjointement également 11   535,19 EUR pour les frais et dépens qu ' ils disent avoir engagés. Cette demande est ventilée comme suit   : 593,26   EUR pour frais d ' expertise, 185,93   EUR pour les honoraires de l ' avoué ( procurador ) d ' Almería, 350 EUR pour les frais d ' avoué de Madrid concernant le recours d ' amparo , 2   420   EUR pour la procédure devant le Tribunal constitutionnel, 726 EUR pour la procédure en nullité devant l ' Audiencia Provincial et 7   260 EUR pour la procédure devant la Cour.

52 .     Le Gouvernement sollicite le rejet de ces prétentions.

53 .     La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l ' espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure devant les juridictions ordinaires et estime raisonnable la somme de 10   030   EUR au titre des frais et dépens de la procédure devant le Tribunal constitutionnel et devant elle, et l ' accorde aux requérants.

  1. Intérêts moratoires
54 .     La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d ' intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L ' UNANIMITÉ,

  1. Décide de joindre les requêtes   ;
  2. Déclare les requêtes recevables   ;
  3. Dit qu ' il y a eu violation de l ' article 6   §   1 de la Convention   ;
  4. Dit qu ' il n ' y a pas lieu d ' examiner s ' il y a eu, en l ' espèce, violation de l ' article 1 du Protocole n o   1 à la Convention   ;
  5. Dit qu ' il n ' y a pas lieu d ' examiner séparé ment le grief tiré de l ' article   6   §   2 de la Convention   ;
  6. Dit

a)     que l ' État défendeur doit verser aux requérants, conjointement, dans les trois mois, la somme de 10   030 EUR (dix mille trente euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d ' impôt, pour frais et dépens   ;

b)     qu ' à compter de l ' expiration dudit délai et jusqu ' au versement, ce montant sera à majorer d ' un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage   ;

  1. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le   14 janvier 2020 , en application de l ' article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

              Stephen Phillips Paulo Pinto de Albuquerque
Greffier Président

 


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/39.html