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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ZINCHENKO v. RUSSIA - 65697/13 (Judgment : Right to life : Third Section Committee) French Text [2020] ECHR 449 (16 June 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/449.html
Cite as: [2020] ECHR 449, ECLI:CE:ECHR:2020:0616JUD006569713, CE:ECHR:2020:0616JUD006569713

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TROISIÈME SECTION

 

AFFAIRE ZINCHENKO c. RUSSIE

(Requête no 65697/13)

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

16 juin 2020

 

 

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Zinchenko c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

          Alena Poláčková, présidente,
          Dmitry Dedov,
          Gilberto Felici, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête susmentionnée (no 65697/13) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Ivan Vasilyevich Zinchenko (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 23 septembre 2013,

les observations des parties,

Notant que le 9 mai 2017 la requête a été communiquée au Gouvernement,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 juin 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

EN FAIT

1.  Le requérant est né en 1951 et réside à Liski.

2.  Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. M. Galperine, représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3.  Le 6 décembre 2004, R., le fils du requérant, périt dans un accident de la route. Le véhicule de R. et un poids lourd conduit par P. se percutèrent dans des circonstances qui ne permirent pas de déterminer clairement le responsable de la collision. L’accident fut enregistré par la police, qui transmit le dossier aux autorités d’enquête.

4.  Entre 2004 et 2011, les autorités d’enquête rendirent vingt et une décisions de refus d’ouvrir une instruction pénale au sujet des circonstances de l’accident. Après l’annulation de ces décisions par voie de contrôle hiérarchique, l’enquête fut à plusieurs reprises rouverte, suspendue puis de nouveau clôturée.

5.  Le 13 février 2011, les autorités d’enquête rendirent une nouvelle décision de refus d’ouvrir une instruction pénale. Se basant sur les informations recueillies lors des vérifications préliminaires et, notamment, sur l’audition du conducteur du poids lourd, de son passager et des proches de la victime, ainsi que sur plusieurs rapports d’expertise technique, l’enquêteur chargé de l’affaire considéra qu’il n’avait pas été possible d’établir les trajectoires exactes des véhicules de R. et de P. au moment de l’accident ni, par conséquent, de déterminer si P. avait ou non enfreint le code de la route. L’enquêteur indiqua en outre que, en tout état de cause, le délai de prescription qui était de six ans pour les poursuites pénales fondées sur l’article 264 (infraction au code de la route) du code pénal (CP) était échu.

6.  Le requérant contesta la décision du 13 février 2011 en justice. Par une décision définitive du 20 septembre 2011, la cour régionale de Moscou rejeta la contestation de l’intéressé, tout en indiquant que la durée de l’enquête sur l’accident en question n’avait pas été raisonnable.

7.  En novembre 2011, le requérant assigna en justice le ministère des Finances de la Fédération de Russie. Dans sa demande, il réclamait une réparation d’un montant de 3 millions de roubles russes (RUB) pour le préjudice moral qu’il estimait avoir subi en raison de l’ineffectivité alléguée et de la durée, qu’il jugeait excessive, de l’enquête sur les circonstances du décès de son fils.

8.  Par une décision du 4 octobre 2012, le tribunal du district Tverskoï de la ville de Moscou accueillit partiellement l’action du requérant. Il jugea que les autorités d’enquête n’avaient pas respecté les délais imposés par la loi, que l’enquête avait à maintes reprises été suspendue sans motif valable et que plusieurs enquêteurs chargés du dossier s’étaient vu infliger des sanctions disciplinaires pour les manquements constatés. Il estima que le requérant avait donc subi un dommage moral et lui accorda 15 000 RUB à ce titre (soit environ 372 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur au moment des faits).

9.  Le 12 avril 2013, la cour de la ville de Moscou, statuant en appel, confirma la décision du 4 octobre 2012.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

10.  Le requérant allègue que l’enquête qui a été menée sur les circonstances du décès de son fils a été ineffective et qu’elle a connu une durée excessive. Il invoque l’article 2 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2.  La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a)  pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b)  pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c)  pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

A.    Sur la recevabilité

11.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

12.  Le Gouvernement n’a pas soumis d’observations sur le fond de la requête.

13.  La Cour examinera cette affaire à la lumière des principes généraux récemment rappelés dans Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie ([GC], no 41720/13, §§ 134‑145 et 157‑171, 25 juin 2019).

14.  Elle constate d’emblée que le fils du requérant est décédé dans un accident de la route. L’intéressé n’a pas allégué que l’État avait manqué à son obligation positive matérielle résultant de l’article 2 de la Convention de veiller à ce que soit mis en place un ensemble approprié de mesures préventives visant à assurer la sécurité publique et à réduire autant que possible le nombre d’accidents de la route (voir, a contrario, Fatih Çakır et Merve Nisa Çakır c. Turquie, no 54558/11, §§ 43 et 48, 5 juin 2018). Dans ces circonstances, la tâche de la Cour consiste uniquement à établir si l’État a respecté son obligation positive procédurale de mettre en place un système judiciaire effectif et indépendant qui permette à bref délai d’établir les faits, de contraindre les responsables à rendre des comptes et de fournir aux victimes une réparation adéquate (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 137).

15.  La Cour note qu’en l’espèce rien dans le dossier soumis à son attention ne permet de supposer que le décès du fils du requérant ait résulté d’un acte intentionnel ou qu’il ait eu lieu dans des circonstances suspectes. Dès lors, on ne saurait dire que seul un recours pénal aurait pu satisfaire à l’exigence de réponse appropriée découlant de l’article 2 de la Convention. En effet, si l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas intentionnelle, l’obligation positive de mettre en place un « système judiciaire effectif » n’exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale, et il peut y être satisfait par l’offre d’un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins de l’établissement de la responsabilité des personnes concernées et, le cas échéant, de l’obtention de l’application de toute sanction civile appropriée, tel le versement de dommages-intérêts (Anna Todorova c. Bulgarie, no 23302/03, § 73, 24 mai 2011, et Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 159).

16.  La Cour note toutefois que le Gouvernement n’a pas pour autant argué que le requérant disposait d’un recours civil dont il aurait pu se prévaloir pour établir les circonstances du décès de son fils. Par conséquent, elle se bornera à examiner si l’enquête menée sur les circonstances du décès du fils du requérant a satisfait aux exigences d’effectivité voulues par l’article 2 de la Convention (Starčević c. Croatie, no 80909/12, § 57, 13 novembre 2014).

17.  Elle relève que l’enquête en question a duré sept ans et donné lieu à plus d’une vingtaine de décisions de non-lieu, qui ont été annulées par voie de contrôle hiérarchique (paragraphe 4 ci-dessus). Le manque de diligence dans la conduite de l’enquête a été constaté par les juridictions nationales (paragraphes 6 et 8 ci-dessus). Eu égard à ces éléments, la Cour considère que les autorités internes ont failli à leur obligation positive procédurale d’établir les faits « à bref délai ».

18.  Les constats qui précèdent amènent la Cour à considérer que les autorités nationales n’ont pas agi avec la diligence requise par l’article 2 de la Convention. En conséquence, elle conclut à la violation de cette disposition sous son volet procédural.

19.  La Cour note que le requérant a obtenu au niveau interne une réparation de 372 EUR pour dommage moral en raison de la durée de l’enquête en cause. Elle estime cependant que ce montant n’est pas suffisant pour retirer au requérant la qualité de victime de la violation de l’article 2 de la Convention (voir, à titre d’exemple, l’arrêt Tikhomirova c. Russie, no 49626/07, § 37, 3 octobre 2017, dans lequel la Cour a octroyé 10 000 EUR pour une violation du volet procédural de cette disposition de la Convention).

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

20.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

21.  Le requérant demande 50 000 euros (EUR) pour le dommage moral qu’il dit avoir subi. À titre de préjudice matériel, il réclame en outre 2 350 EUR pour les frais liés à l’enterrement de son fils et pour la destruction du véhicule de celui-ci.

22.  Le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur la demande formulée par le requérant pour dommage moral. En ce qui concerne le dommage matériel, il indique que les montants réclamés par l’intéressé ne sont étayés par aucun document.

23.  La Cour ne distingue aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande soumise à ce titre. En revanche, tout en tenant compte du montant obtenu par le requérant au niveau interne (paragraphe 8 ci-dessus), elle lui octroie 9 700 EUR pour dommage moral.

B.     Frais et dépens

24.  Le requérant réclame 70 000 roubles russes (RUB) au titre des frais et dépens qu’il dit avoir engagés, dont 45 000 RUB pour les frais afférents à sa représentation devant les instances nationales et 25 000 RUB pour ceux exposés pour sa représentation devant la Cour.

25.  Le Gouvernement soutient que la demande du requérant n’est pas étayée.

26.  Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 400 EUR, tous frais confondus.

C.    Intérêts moratoires

27.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural ;

3.      Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i.            9 700 EUR (neuf mille sept cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii.          400 EUR (quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.      Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juin 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Olga Chernishova                                                                 Alena Poláčková
Greffière adjointe                                                                       Président

 

 


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