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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> VASILASCO v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 19607/08 (Judgment : Right to a fair trial : Second Section Committee) French Text [2020] ECHR 630 (15 September 2020) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/630.html Cite as: CE:ECHR:2020:0915JUD001960708, ECLI:CE:ECHR:2020:0915JUD001960708, [2020] ECHR 630 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE VASILASCO c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
(Requête no 19607/08)
ARRÊT
STRASBOURG
15 septembre 2020
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Vasilasco c. République de Moldova,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Arnfinn Bårdsen, président,
Valeriu Griţco,
Peeter Roosma, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
la requête susmentionnée (no 19607/08) dirigée contre la République de Moldova et dont deux ressortissants de cet État, M. Viorel Vasilasco (« le requérant ») et Mme Fedosia Vasilasco (« la requérante ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 4 avril 2008,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement moldave (« le Gouvernement ») les griefs concernant la non-exécution d’une décision de justice et l’atteinte au droit au respect de ses biens,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 juillet 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, la non-exécution d’une décision définitive rendue en faveur des requérants par laquelle les autorités locales ont été obligées de leur attribuer un logement.
EN FAIT
2. Les requérants sont mari et femme et sont nés respectivement en 1975 et en 1976. Ils résident à Chişinău et ont été représentés par Mme N. Lozan, avocate.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. L. Apostol.
4. À l’époque des faits, le requérant était employé du ministère des Affaires intérieures. En 2006, il engagea une action contre les autorités locales de Chișinău afin de les obliger à lui fournir un logement. Il invoquait les dispositions de la loi sur la police. Par un jugement du 27 octobre 2006, le tribunal de première instance Centru obligea le conseil municipal de Chişinău à attribuer au requérant et à sa famille un logement en location. Par une décision définitive du 31 janvier 2007, la cour d’appel de Chişinău confirma le jugement en question.
5. L’huissier de justice entama la procédure d’exécution, mais la décision reste à ce jour inexécutée.
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
6. Le droit national pertinent concernant la non-exécution des décisions de justice et les dispositions de la loi sur la police, en vigueur à l’époque des faits est résumé dans l’affaire Cristea c. République de Moldova, no 35098/12, §§ 19-21, 12 février 2019.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION et de L’ARTICLE 1 du protocole no 1
7. Les requérants allèguent que l’inexécution de la décision définitive rendue en leur faveur a enfreint leur droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que leur droit au respect des biens, tel que prévu par l’article 1 du Protocole no 1. Ces dispositions dans leurs passages pertinents en l’espèce sont ainsi libellées :
Article 6 § 1 de la Convention
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal (...), qui décidera (...), des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no1 à la Convention
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) »
A. Les déclarations unilatérales du gouvernement défendeur
8. Par des lettres du 27 mai 2011, 23 novembre 2012 et 15 mai 2014, le Gouvernement a soumis à la Cour des déclarations unilatérales par lesquelles il invitait la Cour à rayer la requête du rôle en vertu de l’article 37 de la Convention.
9. Par des lettres du 19 août 2011, 8 mars 2013 et 24 juin 2014, les requérants ont informé la Cour qu’ils n’étaient pas satisfaits des termes des déclarations unilatérales, notamment en raison de l’inexécution de la décision du 31 janvier 2007 et du montant du dédommagement proposé par le Gouvernement.
11. En l’espèce, la Cour observe que la décision du 31 janvier 2007 reste inexécutée à ce jour et le Gouvernement ne fait état d’aucune mesure concrète tendant à son exécution. Elle note également que la compensation offerte ne couvre qu’une partie des dommages subis par les requérants.
12. À la lumière de ce qui précède, la requête ne peut pas être rayée du rôle en vertu de l’alinéa c) de l’article 37 de la Convention, la déclaration n’offrant pas une base suffisante pour que la Cour puisse affirmer qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de l’affaire.
13. En conclusion, la Cour rejette les demandes du Gouvernement tendant à la radiation de la requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention et, en conséquence, elle poursuit l’examen de la recevabilité et du fond de l’affaire.
B. Sur la recevabilité
14. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
C. Sur le fond
15. La Cour note que, à ce jour, la procédure d’exécution de la décision définitive ordonnant aux autorités d’attribuer un logement au requérant et à sa famille a déjà duré environ treize ans. Elle rappelle qu’une autorité étatique ne peut invoquer l’absence de fonds et de logements de substitution pour expliquer la non-exécution d’un jugement (voir, parmi beaucoup d’autres, Prodan c. Moldova, no 49806/99 , § 53, CEDH 2004‑III (extraits), et Cristea c. République de Moldova, no 35098/12, § 46, 12 février 2019) .
16. La Cour rappelle sa position, exprimée à maintes reprises dans des affaires ayant trait au défaut d’exécution, selon laquelle l’impossibilité, pour un créancier, de faire exécuter intégralement, et dans un délai raisonnable, une décision rendue en sa faveur constitue une violation dans son chef du « droit à un tribunal » consacré par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que du droit à la libre jouissance de ses biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Prodan, précité, §§ 56 et 62).
17. À la lumière des circonstances de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire. Partant, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de l’omission des autorités d’exécuter, dans un délai raisonnable, le jugement définitif rendu en faveur des requérants.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
18. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
19. Au titre du préjudice matériel qu’ils auraient subi, les requérants réclament 1 297 000 lei moldaves (MDL) (environ 56 000 euros (EUR) selon le taux de change au moment où la demande a été formulée devant la Cour) constituant, selon une lettre informative obtenue de la part d’une agence immobilière, le prix d’un appartement. Ils sollicitent également la somme de 76 300 MDL (environ 5 000 EUR), représentant le montant des loyers payés pour la location d’un logement alternatif. Ils fournissent les copies des contrats de location et les quittances de loyer. Les requérants demandent également 50 000 EUR pour le préjudice moral.
20. À titre principal, le Gouvernement considère que le montant des préjudices doit être établi par les juridictions internes et que les requérants ont la possibilité d’engager une action en réparation en vertu de la loi no 87 du 1er juillet 2011. À titre alternatif, le Gouvernement invite la Cour à accepter sa déclaration unilatérale.
21. La Cour note que les requérants ont introduit leur requête avant l’adoption de l’arrêt Olaru et autres c. Moldova, (nos 476/07, 22539/05, 17911/08 et 13136/07, 28 juillet 2009), par conséquent ils ne sont pas tenus d’épuiser le nouveau recours introduit par la loi no 87 du 1er juillet 2011 (Olaru et autres, précité, § 61).
22. La Cour constate que la décision définitive du 31 janvier 2007 rendue en faveur des requérants ne prévoyait pas expressément l’attribution d’un logement en propriété. Les tribunaux ont obligé les autorités locales à leur accorder un logement conformément aux dispositions légales, qui prévoyaient l’attribution de logements en location et non en propriété privée. Pour ces motifs, la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et la demande équivalente au prix d’un appartement et par conséquent la rejette (Parasca c. République de Moldova [comité], no 17986/09, § 33, 10 février 2015, et Morari et Spiridonov c. République de Moldova [comité], nos 4771/09 et 7170/09, § 40, 7 juillet 2015). En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer aux requérants conjointement la somme de 5 000 EUR au titre des loyers qu’ils ont dû payer pour la location alternative d’un appartement.
23. Enfin, la Cour rappelle sa position constante selon laquelle l’exécution de la décision interne demeure la forme la plus appropriée de redressement pour ce qui est des violations de la Convention similaires à celles constatées dans la présente affaire (Gerasimov et autres c. Russie, nos 29920/05 et 10 autres, § 198, 1er juillet 2014, et Cristea c. République de Moldova, no 35098/12, § 55, 12 février 2019). Par conséquent, elle juge que l’État défendeur doit sans tarder assurer l’exécution, par des moyens appropriés, de la décision initiale rendue en faveur des requérants.
24. En ce qui concerne le dommage moral, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer aux requérants conjointement la somme de 3 600 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
25. Les requérants réclament 3 000 EUR et 945 MDL (environ 56 EUR) au titre des frais et dépens qu’ils ont engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour.
26. Le Gouvernement a réitéré les arguments présentés au titre des préjudices matériel et moral.
27. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérants la somme de 1 000 EUR tous frais confondus.
C. Intérêts moratoires
28. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Rejette les demandes du Gouvernement tendant à la radiation de la requête du rôle ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 ;
4. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii. 3 600 EUR (trois mille six cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
iii. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 septembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Hasan Bakırcı Arnfinn Bårdsen
Greffier adjoint Président