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European Court of Human Rights |
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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> FEDERICI v. FRANCE - 52302/19 (Art 6 § 1 (criminal) and Art 6 § 3 b) - Fair trial - Rights of the defence - Remainder inadmissible : Fifth Section) French Text [2025] ECHR 86 (03 April 2025) URL: https://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2025/86.html Cite as: [2025] ECHR 86 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE FEDERICI c. FRANCE
(Requête no 52302/19)
ARRÊT
Art 6 § 1 (pénal) et Art 6 § 3 b) • Procès équitable • Droits de la défense • Rejet de la demande d'un accusé d'être interrogé en dehors du box vitré dans lequel il comparaissait à son procès criminel • Grief non étayé et manifestement mal fondé en l'espèce
Art 6 § 2 • Présomption d'innocence • Refus d'une cour d'assises statuant en appel d'interroger l'accusé en dehors du box vitré dans lequel il comparaissait aux audiences • Enclos vitré inamovible, sans plafond, suffisamment spacieux et équipé, dont l'intéressé ne demanda à être extrait qu'à la fin du procès en appel • Raisons objectives de craindre de donner une image négative non avancées • Allégations relatives à un handicap auditif non étayées • Risque tenant au fait que l'intéressé avait été en fuite pendant plusieurs années • Nécessité d'assurer la sécurité compte tenu de la nature violente des faits reprochés • Accusé libre de ses mouvements et pouvant communiquer avec ses avocats en toute confidentialité • Absence d'atteinte à la présomption d'innocence dans les circonstances de l'espèce
Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.
STRASBOURG
3 avril 2025
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Federici c. France,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
María Elósegui, présidente,
Mattias Guyomar,
Armen Harutyunyan,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Andreas Zünd,
Diana Sârcu,
Mykola Gnatovskyy, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,
Vu :
la requête (no 52302/19) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Jean-François Federici (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 2 octobre 2019,
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »),
les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par le requérant,
les observations reçues du Conseil national des barreaux, que le président de la section avait autorisé à se porter tiers intervenant,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 mars 2025,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. L'affaire concerne la comparution du requérant dans un box vitré durant les débats devant une cour d'assises statuant en appel, ainsi que le refus opposé par celle-ci à sa demande de répondre à son interrogatoire à la barre et non dans ledit box. Le requérant allègue des violations de l'article 6 §§ 1, 2 et 3 b) de la Convention.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1957 et est détenu à Venzolasca. Il a été représenté par Me C. Waquet, avocate.
3. Le Gouvernement a été représenté par ses agents, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, puis M. D. Colas, son successeur à cette fonction.
I. Le procès pénal du requérant
4. Le requérant fut mis en accusation, puis renvoyé devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône (Aix-en-Provence) pour des faits d'assassinat en bande organisée et d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime.
5. En 2011, après s'être soustrait au contrôle judiciaire auquel il était soumis, il prit la fuite. Le 3 décembre 2014, la cour d'assises, statuant par défaut, condamna le requérant à trente ans de réclusion criminelle. En 2016, le requérant fut arrêté, placé en détention provisoire et présenté à la cour d'assises. Par un arrêt du 27 janvier 2017, celle-ci le condamna de nouveau à trente ans de réclusion criminelle et prononça une mesure de confiscation. Le requérant interjeta appel.
6. Les audiences d'appel se déroulèrent du 3 au 6 avril, puis du 9 au 13 avril 2018, au palais de justice d'Aix-en-Provence, « dans la salle ordinaire de ses séances », selon le procès-verbal d'audience. Le requérant fut assisté par deux avocats. Il comparut dans un box vitré, « libre et seulement accompagné de gardes pour l'empêcher de s'évader », conformément aux dispositions de l'article 318 du code de procédure pénale (« CPP » ; paragraphe 21 ci-dessous).
7. Le Gouvernement a fourni la description du box en question, étayée par trois photographies et non contestée par le requérant. Il s'agit d'un enclos vitré, sans plafond, d'une longueur de 3,68 mètres et d'une largeur de 2,47 mètres. Il comporte, à hauteur d'homme, deux hygiaphones de 20 centimètres de diamètre, permettant la communication avec les avocats de la défense dont le banc est situé devant et en contrebas, ainsi que deux passe‑documents, de 8 centimètres par 30 centimètres. Le box est garni de deux microphones fixes sur pieds orientables permettant d'entendre la voix de l'accusé dans la salle d'audience. Il est également doté d'un haut-parleur diffusant, dans son volume confiné, le son capté par les autres microphones de la salle - celui du président et ceux des parties - permettant à l'accusé d'entendre le son depuis l'intérieur du box. Le dispositif comporte une porte vitrée donnant accès à la salle d'audience, ainsi qu'une porte pleine sécurisée pour l'accès au circuit de l'attente gardée.
8. Le 6 avril 2018, le requérant fut entendu par la cour d'assises statuant en appel sur sa personnalité, sans faire d'observations relatives à des difficultés d'audition et sans demander de comparaître en dehors du box.
9. Au cours de l'audience du 10 avril 2018, en vue de l'interrogatoire de l'accusé le lendemain, son avocat déposa des conclusions d'incident. Invoquant l'article 6 de la Convention, l'article préliminaire du CPP, ainsi que le considérant 20 de la directive (UE) 2016/343, il sollicita la comparution du requérant à la barre et non dans le box vitré compte tenu, d'une part, de la soumission du public présent dans la salle à plusieurs contrôles de sécurité et, d'autre part, d'un handicap auditif affectant l'accusé et « rendant parfois plus difficile l'audition des questions posées ».
10. Le 11 avril 2018, le président de la cour d'assises procéda à l'interrogatoire du requérant qui demeurait placé dans le box vitré.
11. Par un arrêt incident du 13 avril 2018, la cour d'assises rejeta les conclusions d'incident. Elle considéra tout d'abord qu'il se déduisait des articles préliminaire, 318 et D. 294 du CPP (paragraphe 21 ci-dessous) que la cour prend, pour la comparution de l'accusé, des mesures de sécurité exigées par sa dangerosité supposée et par sa protection effective. Elle rappela que l'article 5 de la directive (UE) 2016/343 (paragraphe 24 ci-dessous) n'empêchait pas les États membres d'appliquer les mesures de contrainte physique qui s'avèrent nécessaires pour des raisons liées au cas d'espèce relatives à la sécurité ou à la nécessité d'empêcher les suspects ou les personnes poursuivies de prendre la fuite ou d'entrer en contact avec des tiers.
12. La cour d'assises releva que le requérant était accusé d'assassinats en bande organisée et d'association de malfaiteurs, qu'il encourait une peine de réclusion criminelle à perpétuité et qu'il était détenu provisoirement après s'être soustrait à la justice pendant plus de quatre années. Elle indiqua que, dès le début du procès, elle avait pu constater que, malgré les problèmes auditifs, le requérant, libre de ses mouvements et sans entraves, était en mesure de répondre aux questions qui lui étaient posées et de communiquer confidentiellement avec ses avocats. La cour d'assises conclut que le placement du requérant dans le box vitré était licite, proportionné et nécessaire, sans porter atteinte, ni à la présomption d'innocence, ni à la dignité des personnes, ni aux droits de la défense.
13. Plus précisément, l'arrêt incident se lit comme suit :
« Vu l'article 316 du code de procédure pénale ;
Attendu que la défense de Jean-François FEDERICI présente des conclusions aux fins de voir comparaître l'accusé hors du box vitré de la cour d'assises,
Attendu que l'article préliminaire-III du code de procédure pénale dispose, notamment, « les mesures de contrainte dont la personne suspectée ou poursuivie peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne » ;
Que l'article 318 du code de procédure pénale ajoute que « l'accusé comparait libre et seulement accompagné de gardes pour l'empêcher de s'évader », ce que complète l'article D294 du même code en précisant que « des précautions doivent être prises en vue d'éviter les évasions et tous autres incidents lors des extractions » ;
Qu'il s'en déduit que la cour prend, pour la comparution de l'accusé des mesures de sécurité exigée et par sa dangerosité supposée et par sa protection effective ;
Que l'article 5 de la directive européenne 2016/343 du 9 mars 2016, si elle préconise que les États membres prennent les mesures appropriées pour veiller à ce que les suspects et les personnes poursuivies ne soient pas présentés, à l'audience ou en public, comme étant coupables par le recours à des mesures de contrainte physique, n'empêche pas les États membres d'appliquer les mesures de contrainte physique qui s'avèrent nécessaires pour des raisons liées au cas d'espèce relatives à la sécurité ou à la nécessité d'empêcher les suspects ou les personnes poursuivies de prendre la fuite ou d'entrer en contact avec des tiers ;
Attendu qu'en l'espèce :
- l'accusé est renvoyé devant la cour d'assises (...) des chefs d'assassinats en bande organisée et association de malfaiteurs,
- encourt une peine de réclusion criminelle à perpétuité,
- est détenu provisoirement après s'être soustrait à la justice pendant de plus de quatre années ;
Que depuis le début du procès la Cour a pu constater que, malgré ses problèmes auditifs, Jean-François FEDERICI était en mesure de répondre aux questions qui lui étaient posées et de communiquer confidentiellement avec sa défense ;
Attendu que le dispositif de sécurité consistant en un enclos de verre est licite dès lors que l'accusé y est libre de ses mouvements, sans entrave et qu'il existe un dispositif permettant à ce même accusé de communiquer librement et secrètement avec ses conseils ;
Attendu, en conséquence, qu'en l'espèce le dispositif critiqué apparaît proportionné et nécessaire sans porter atteinte, ni à la présomption d'innocence, ni à la dignité des personnes, ni aux droits de la défense ;
Qu'il convient donc de rejeter la demande. »
14. Par un arrêt du même jour, la cour d'assises déclara le requérant coupable d'un double assassinat commis en bande organisée et le condamna à trente ans de réclusion criminelle.
15. Dans le cadre de son pourvoi en cassation, à l'appui du moyen critiquant la décision de rejet de sa demande de comparution en dehors du box vitré, le requérant se référa à la décision du Défenseur des droits du 17 avril 2018 (paragraphe 19 ci-dessous), ainsi qu'à l'arrêt Yaroslav Belousov c. Russie (nos 2653/13 et 60980/14, 4 octobre 2016). Il reprocha à la cour d'assises statuant en appel un manque de motivation en ce qu'elle n'avait pas recherché si les moyens en personnel et en dispositifs de sécurisation étaient suffisants pour permettre son audition par comparution libre à la barre, ce qui était, selon lui, la règle.
16. Dans ses conclusions, l'avocat général émit l'avis selon lequel il convenait d'écarter ce moyen, contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation (paragraphes 26-29 ci-dessous).
17. Par un arrêt du 10 avril 2019, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant, considérant que la motivation de la cour d'assises ne faisait pas apparaître qu'il avait été empêché de communiquer avec ses avocats.
18. L'arrêt de la Cour de cassation se lit ainsi dans la partie concernant la présente affaire :
« Attendu que, pour rejeter la demande de comparution de l'accusé en dehors du box prévu à cet effet, la cour d'assises prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations qui procèdent de son appréciation souveraine et dès lors qu'il n'apparait pas que l'accusé ait été empêché de communiquer avec ses avocats, le grief n'est pas encouru ;
Qu'ainsi, le moyen n'est pas fondé (...). »
II. D'autres informations pertinentes
A. L'avis du Défenseur des droits
19. Dans un avis no 2018-128 du 17 avril 2018, le Défenseur des droits a recommandé aux ministres de la Justice et de l'Intérieur l'abrogation des dispositions réglementaires (paragraphe 23 ci-dessous) prévoyant l'installation des boxes sécurisés dans les salles d'audiences, ainsi que la limitation de leur utilisation aux cas exceptionnels dans lesquels des impératifs de sécurité renforcée s'imposent, et sous le contrôle des magistrats exerçant la police de l'audience, le recours systématique à ce dispositif au nom de la sécurisation des audiences pénales « affect[ant] de manière disproportionnée les droits fondamentaux des mis en cause ».
B. Le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour l'année 2018
20 . Au cours de l'année 2018, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a visité sept tribunaux de grande instance. À cette occasion, il a fait les observations suivantes :
« La configuration des boxes des salles d'audience peut parfois entraver les échanges entre un prévenu et son avocat ou à tout le moins, nuire à leur confidentialité. Dans deux des tribunaux visités, ces boxes ont paru réduire la fluidité des échanges entre le prévenu et son avocat et éventuellement l'interprète. Plusieurs types différents d'aménagements sont en place ; les plus sécurisés sont les plus attentatoires aux droits des personnes qui comparaissent. Dans l'un, ce qui est dit dans la salle n'est pas entendu, la communication avec l'avocat se fait par un des orifices rectangulaires dans la vitre contre lequel il faut placer son oreille ; les micros, qui ne fonctionnent pas tous, ne sont pas réglables. Tout ceci conduit à une audition lointaine des échanges de la salle et à un positionnement du justiciable en simple spectateur. Les magistrats n'autorisent plus les comparants à se positionner hors du box, comme ils l'ont admis à une époque à la demande des avocats. Dans une configuration plus récente, on trouve des parois en verre épais sécurisé, y compris au plafond, percées de lucarnes à deux hauteurs différentes. Les mêmes difficultés se posent auxquelles s'ajoutent l'absence de retour du son de la salle vers le box ainsi que le manque de visibilité en raison de la réverbération de la lumière. Cette installation plus récente est plus problématique que la précédente.
Certes, l'élan observé en 2017 pour la mise en place des boxes a été fortement maîtrisé à la fois par un gel du projet par la garde des sceaux en décembre 2017 et par le démontage d'une partie des boxes installés dans le nouveau tribunal de grande instance de Paris. Néanmoins, ceux qui subsistent demeurent une entrave aux droits de la défense et constituent une méconnaissance de la directive (UE) 2016/343 (...).
En conséquence, le CGLPL recommande la suppression complète des boxes vitrés dans les salles d'audience et préconise, tout au plus, l'installation, au cas par cas pour les situations les plus dangereuses, de protections ou boxes amovibles munis des dispositifs nécessaires au respect des droits de la défense. »
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
I. Le droit interne
A. Le code de procédure pénale
21. Les dispositions pertinentes du CPP ont été ainsi libellées à la date des faits litigieux :
Article préliminaire
« III. - Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi.
(...)
Les mesures de contraintes dont la personne suspectée ou poursuivie peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne. »
Article 309
« Le président a la police de l'audience et la direction des débats.
Il rejette tout ce qui tendrait à compromettre leur dignité ou à les prolonger sans donner lieu d'espérer plus de certitude dans les résultats. »
Article 318
« L'accusé comparaît libre et seulement accompagné de gardes pour l'empêcher de s'évader. »
Article 408
« Si le prévenu est atteint de surdité, le président nomme d'office pour l'assister lors du procès un interprète en langue des signes ou toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec les sourds. Celui-ci prête serment d'apporter son concours à la justice en son honneur et en sa conscience.
Le président peut également décider de recourir à tout dispositif technique permettant de communiquer avec la personne atteinte de surdité.
Si le prévenu sait lire et écrire, le président peut également communiquer avec lui par écrit.
(...) »
Article D. 294
« Des précautions doivent être prises en vue d'éviter les évasions et tous autres incidents lors des transfèrements et extractions de personnes détenues.
Ces personnes détenues peuvent être soumises, sous la responsabilité du chef d'escorte, au port des menottes ou, s'il y a lieu, des entraves (...).
Au cas où une personne détenue serait considérée comme dangereuse ou devrait être surveillée particulièrement, le chef de l'établissement donne tous les renseignements et avis nécessaires au chef de l'escorte. »
22. Les dispositions de l'article 296 du CPP, relatif à la composition de la cour d'assises, ainsi que de l'article 304 du même code, relatif au discours du président de la cour d'assises adressé aux jurés (en particulier, s'agissant d'un rappel de la présomption d'innocence de l'accusé), sont exposées dans l'arrêt Farhi c. France (no 17070/05, § 14, 16 janvier 2007).
B. L'arrêté ministériel du 18 août 2016
23. L'arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice, du 18 août 2016 portant approbation de la politique ministérielle de défense et de sécurité au sein du ministère de la Justice a été publié au bulletin officiel du ministère de la Justice du 31 août 2016. Il comporte en annexe un document prévoyant, dans chaque palais de justice, la répartition des espaces en différentes zones, afin notamment d'en assurer la sécurité, certaines zones étant ainsi dédiées à l'accueil des détenus, avant leur comparution, ainsi que lors de celle-ci dans les salles d'audience. Le point 5.1.3.2.6 de ce document précise que, s'agissant de boxes sécurisés dans les salles d'audience, « deux types de sécurisation du box détenus sont recommandés : le premier à vitrage complet du box, le second à barreaudage en façade avec un vitrage sur les faces latérales côté public et côté magistrats ».
II. Le droit de l'Union Européenne
24. Les dispositions pertinentes de la Directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès dans le cadre des procédures pénales sont ainsi libellées :
Considérant 20
« Les autorités compétentes devraient s'abstenir de présenter les suspects ou les personnes poursuivies comme étant coupables, à l'audience ou en public, par le recours à des mesures de contrainte physique, telles que menottes, boxes vitrés, cages et entraves de métal, à moins que le recours à de telles mesures ne soit nécessaire pour des raisons liées au cas d'espèce relatives soit à la sécurité, notamment pour empêcher les suspects ou les personnes poursuivies de nuire à eux-mêmes ou à autrui ou d'endommager tout bien, soit à la nécessité d'empêcher les suspects ou les personnes poursuivies de prendre la fuite ou d'entrer en relation avec des tiers, comme des témoins ou des victimes. La possibilité d'appliquer des mesures de contrainte physique n'implique pas que les autorités compétentes soient tenues de prendre une décision officielle sur le recours à de telles mesures. »
Article 5
Présentation des suspects et des personnes poursuivies
« 1. Les États membres prennent les mesures appropriées pour veiller à ce que les suspects et les personnes poursuivies ne soient pas présentés, à l'audience ou en public, comme étant coupables par le recours à des mesures de contrainte physique.
2. Le paragraphe 1 n'empêche pas les États membres d'appliquer les mesures de contrainte physique qui s'avèrent nécessaires pour des raisons liées au cas d'espèce relatives à la sécurité ou à la nécessité d'empêcher les suspects ou les personnes poursuivies de prendre la fuite ou d'entrer en contact avec des tiers. »
Article 14
Transposition
« 1. Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 1er avril 2018. Ils en informent immédiatement la Commission. »
25. Selon le Rapport de la Commission au Parlement Européen et au Conseil concernant la mise en œuvre de la directive (UE) 2016/343, du 31 mars 2021, la France ne figure pas parmi les pays qui n'avaient pas communiqué à la Commission toutes les mesures nécessaires pour s'y conformer.
III. La jurisprudence interne pertinente
A. La Cour de cassation
26. Dans deux arrêts des 20 février et 15 mai 1985 (nos 84-94.750 et 84‑95.752), la Cour de cassation a admis le recours à un box vitré lors de la comparution de l'accusé pour des motifs de sécurité, soit en raison d'une particulière dangerosité, soit en constatant que l'accusé y était placé libre de ses mouvements et disposait d'aménagements « permettant (...) de communiquer librement et secrètement avec son conseil ».
27. Dans un arrêt du 28 novembre 2018 (no 18-82.010), elle a rejeté deux demandes de transmission de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), portant sur la conformité à la Constitution de l'article 318 du CPP autorisant l'utilisation d'un box vitré, dès lors que les dispositions de cet article « ne font pas échec à l'application de celles de l'article 309 du même code, aux termes desquelles il appartient au président de la cour d'assises, dans le cadre de son pouvoir de police, à son initiative ou sur la demande du ministère public, d'une partie ou de son avocat, et sous le contrôle de la Cour de cassation, de veiller, au cas par cas, à l'équilibre entre, d'une part, la sécurité des différents participants au procès et, d'autre part, le respect des droits de la défense, les modalités pratiques de comparution de l'accusé devant la juridiction devant permettre à ce dernier, dans un espace digne et adapté, ou à l'extérieur de celui-ci de participer de manière effective aux débats et de s'entretenir confidentiellement avec des avocats ; qu'enfin, l'article 304 du [CPP] inclut expressément le rappel du principe de la présomption d'innocence dans le serment que chaque juré est appelé à prêter, dès le début de l'audience ».
28. Dans un arrêt du 13 mai 2020 (no 19-17.070), la Cour de cassation a jugé irrecevable le recours pour faute lourde ou déni de justice de l'État introduit par le bâtonnier et le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Paris, faute pour ces instances d'agir en qualité d'usagers du service public de la justice.
29. Dans un arrêt du 18 novembre 2020 (no 20-84.893), elle s'est prononcée sur la nécessité du maintien dans un box sécurisé d'un prévenu qui avait demandé à en être extrait. Elle a repris l'argumentation de la chambre de l'instruction qui, après avoir précisément décrit l'installation en cause et indiqué qu'elle répondait aux normes de sécurité prônées par le ministère de la Justice, avait énoncé que l'avocat pouvait s'entretenir efficacement et en toute confidentialité avec son client, le microphone pouvant être coupé par la juridiction sur simple demande. Selon la chambre de l'instruction, la disposition géographique du box dans la salle et le microphone permettaient au comparant de s'exprimer de manière tout à fait claire et audible, de suivre les débats, de voir et d'être vu de la juridiction. Ainsi, ce box assurait tant la sécurité des personnes se trouvant à l'intérieur que de celles présentes dans la salle d'audience. La Cour de cassation a également relevé que le mis en cause avait déjà été condamné pour des crimes violents, pour conclure que la comparution derrière un box vitré était nécessaire à la sécurité de l'audience.
B. Le Conseil d'État
30. Dans un arrêt du 21 juin 2021, le Conseil d'État, saisi par un syndicat d'avocats d'une demande d'annulation de l'arrêté ministériel du 18 août 2016 (paragraphe 22 ci-dessus), a jugé que l'article 318 du CPP, qui prévoit la comparution libre de l'accusé, n'interdit pas que celui-ci comparaisse dans un box sécurisé vitré si les circonstances le justifient. Il a souligné que la participation effective aux débats de la personne qui comparaît dans un tel box, ainsi que sa communication libre et secrète avec son avocat, demeurent assurées par le président de juridiction sous le contrôle de la Cour de cassation. Pour le Conseil d'État, en présence de ces garanties, toute atteinte à la présomption d'innocence ou au procès équitable est écartée.
EN DROIT
I. OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES RELATIVES À L'ÉTENDUE DES GRIEFS
31. Invoquant l'article 6 §§ 1, 2 et 3 b) de la Convention, le requérant soutient qu'il a subi une restriction non nécessaire et non proportionnée à son droit de comparaître libre et de participer effectivement à la procédure, en violation du droit à un procès équitable, des droits de la défense et de la présomption d'innocence.
32. La Cour relève que les griefs du requérant se rapportent à une violation de son droit d'être effectivement associé à la procédure, ainsi que de son droit à la présomption d'innocence, eu égard à son interrogatoire par la cour d'assises du 11 avril 2018 depuis un box vitré.
33. L'intéressé ne conteste pas les modalités de sa comparution en première instance. Il ne soutient pas davantage que sa comparution dans le box en instance d'appel ait constitué un traitement dégradant, au sens de l'article 3 de la Convention, ou ait impacté la qualité des échanges avec ses avocats au cours du procès, au sens de l'article 6 § 3 c) (voir, a contrario, Insanov c. Azerbaïdjan, no 16133/08, §§ 168-170, 14 mars 2013, et Mariya Alekhina et autres c. Russie, no 38004/12, §§ 144-150 et 167-172, 17 juillet 2018). En l'absence d'éléments suggérant le contraire, la Cour part de l'idée que l'installation du requérant dans le box vitré lors des audiences d'appel a respecté les exigences desdits articles.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 §§ 1 et 3 b) DE LA CONVENTION
34. Le requérant dénonce une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention. Cet article est ainsi libellé dans ses parties pertinentes :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
3. Tout accusé a droit notamment à :
(...)
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
Sur la recevabilité
1. Les thèses des parties
35. Le Gouvernement observe d'emblée que le requérant n'a demandé à être extrait du box que la veille de son interrogatoire, après six jours d'audience, et ce sans fournir de pièces justifiant du handicap auditif allégué, alors qu'il avait déjà été entendu depuis le même box sur sa personnalité, le 6 avril 2018, ainsi que l'année précédente, à l'occasion de son premier procès.
36. Il fait valoir un caractère imprécis et non-étayé de la demande du requérant, celui-ci n'ayant pas expliqué dans quelle mesure son handicap auditif pouvait influer sur la qualité des échanges avec son avocat ou la capacité de suivre les débats et de répondre aux questions. De l'avis du Gouvernement, formulée dans ces conditions, la demande du requérant a mis la juridiction face à l'impossibilité matérielle d'anticiper la sécurisation d'une telle opération par la mobilisation d'un effectif policier suffisant et adapté. Il relève en outre qu'aucune demande de donner acte tendant à faire constater des difficultés qui auraient résulté du handicap allégué n'a été adressée à la cour d'assises.
37. Par ailleurs, le Gouvernement considère que l'arrêt incident a été dûment motivé, en prenant en compte tant les crimes reprochés au requérant et son évasion antérieure, que l'impact des caractéristiques du box vitré sur la communication de l'intéressé avec ses avocats et la cour d'assises, pour conclure que le dispositif était proportionné et nécessaire.
38. Selon le Gouvernement, les circonstances de l'espèce nécessitaient une sécurisation maximale, notamment au regard du contexte, à savoir la nature criminelle des faits reprochés au requérant, passibles d'une peine de réclusion à perpétuité, l'appartenance de celui-ci à un clan actif du banditisme corse, ainsi que l'évasion de l'intéressé au cours de l'information judiciaire. De l'avis du Gouvernement, le comportement antérieur du requérant pouvait faire craindre un risque avéré d'évasion lors de l'audience si le requérant avait comparu hors du box vitré.
39. Le Gouvernement soutient également que le dispositif en place permettait d'assurer que l'accusé était en mesure d'entendre les questions posées par la cour d'assises et de communiquer avec ses avocats. De l'avis du Gouvernement, les hygiaphones et passe-documents dans le box rendent possible et aisé l'échange verbal et écrit entre l'accusé et ses avocats, en toute discrétion et confidentialité, alors que les microphones et le haut-parleur permettent à l'accusé de suivre les débats et d'être entendu. Il souligne enfin que le requérant ayant comparu libre (sans entraves) et étant seul dans le box, son droit à la présomption d'innocence n'a pas été violé.
40. Le Gouvernement conclut que le placement du requérant dans le box vitré a été conforme aux exigences conventionnelles.
41. Le requérant n'a pas présenté d'observations sur la recevabilité et le fond de la requête, mais a sollicité des sommes au titre de la satisfaction équitable.
2. Les observations du tiers intervenant
42. Pour le Conseil national des barreaux (CNB), qui évoque des « cages de verre », ces dispositifs portent fondamentalement atteinte à la dignité de la personne humaine et aux droits de la défense.
43. Plus particulièrement, le CNB dénonce le recours systématique et indifférencié aux boxes sécurisés, expliquant que de telles installations sont apparues dans les salles d'audience dans les années 2000, ce qu'a suscité des critiques tant des avocats que du Défenseur des droits et du CGLPL (paragraphes 19, 20 et 28 et 30 ci-dessus).
44. Le CNB estime qu'à ce jour la France ne s'est pas expressément conformée à son obligation de transposer la directive (UE) 2016/343 (paragraphe 24 ci-dessus) et que l'arrêté du 16 août 2018 (paragraphe 22 ci‑dessus) ne constitue pas un fondement juridique suffisant pour recourir aux boxes vitrés.
3. L'appréciation de la Cour
a) Les principes généraux
45. La Cour rappelle que les exigences de l'article 6 § 3 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention (Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10, § 191, CEDH 2013 (extraits)). Pour apprécier l'équité globale d'un procès, la Cour prend en compte, s'il y a lieu, les droits minimaux énumérés à l'article 6 § 3, qui montre par des exemples concrets ce qu'exige l'équité dans les situations procédurales qui se produisent couramment dans les affaires pénales. On peut donc voir dans ces droits des aspects particuliers de la notion de procès équitable en matière pénale contenue à l'article 6 § 1. Ces droits minimaux garantis par l'article 6 § 3 ne sont toutefois pas des fins en soi : leur but intrinsèque est toujours de contribuer à préserver l'équité de la procédure pénale dans son ensemble (Hamdani c. Suisse, no 10644/17, § 29, 28 mars 2023, et les références qui y sont citées).
46. Pour les principes généraux relatifs à la participation effective d'un prévenu ou un accusé à son procès, la Cour renvoie à l'arrêt Grigorievskikh c. Russie (no 22/03, §§ 78-83, 9 avril 2009, et les références qui y sont citées). Elle rappelle également que l'installation des dispositifs de sécurité dans les salles d'audience ne rend pas, en soi, un procès pénal inéquitable, les facteurs décisifs étant la nature, l'étendue et les modalités de l'application, ainsi que la justification du recours à de tels dispositifs (Simon Price c. Royaume-Uni, no 15602/07, § 88, 15 septembre 2016).
47. La Cour a trouvé une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, lorsque le box vitré manquait d'espace et/ou lorsque les requérants étaient séparés de leurs avocats mais étaient constamment entourés de gardes armés avec des chiens et photographiés (Yaroslav Belousov, et Mariya Alekhina et autres, tous deux précités).
b) L'application en l'espèce
48. La Cour rappelle qu'elle n'a pas pour tâche d'examiner dans l'abstrait la législation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées au requérant ou l'ont touché a donné lieu à une violation de la Convention (voir, par exemple, Narbutas c. Lituanie, no 14139/21, § 326, 19 décembre 2023, et la jurisprudence y citée). Partant, la Cour n'a pas à déterminer in abstracto si l'installation des boxes sécurisés dans les salles d'audience pourrait être virtuellement préjudiciable aux personnes y comparantes, ni à analyser en général la réglementation interne relative aux recours à des boxes vitrés dans le cadre des procédures pénales.
49. La tâche de la Cour, dans la présente affaire, est de déterminer si le rejet de la demande d'être interrogé par la cour d'assises à la barre et en dehors du box a porté atteinte au droit du requérant à un procès équitable.
50. Comme la Cour l'a constaté plus haut (paragraphes 32-33 ci-dessus), le requérant ne soutient pas que son placement dans un box vitré a affecté la qualité de ses échanges avec ses avocats. Ainsi, à supposer même que la comparution dans le box ait pu, en soi, avoir un impact sur ses capacités de concentration, l'intéressé a bénéficié de l'assistance juridique nécessaire tout au long du procès (Kadagishvili c. Géorgie, no 12391/06, § 170, 14 mai 2020).
51. Quant au « droit d'être effectivement associé à la procédure » qui est en cause, la Cour relève ce qui suit. En premier lieu, si le requérant a participé à plusieurs audiences d'appel et a été interrogé sur sa personnalité alors qu'il se trouvait dans le box vitré, il n'a jamais, jusqu'à la veille de son interrogatoire en appel, informé la juridiction de son handicap physique et n'a pas demandé que soient constatées des difficultés qui en auraient résulté (voir Stanford c. Royaume-Uni, 23 février 1994, série A no 282-A, et, a contrario, Timergaliyev c. Russie, no 40631/02, 14 octobre 2008, et Grigorievskikh, précité).
52. En deuxième lieu, la Cour ne peut que rejoindre le Gouvernement soutenant que le requérant ne s'explique pas sur la nature de son handicap allégué et ne développe pas dans quelle mesure ce handicap aurait compromis sa capacité de comprendre les questions posées. Il n'a par ailleurs produit aucun document médical y relatif. Plus généralement, l'intéressé n'établit pas en quoi le rejet de sa demande, formée seulement en appel et à un stade avancé des débats, au cours desquels il n'avait jamais invoqué l'application de l'article 408 du CPP, aurait nui à l'équité globale de son procès (voir, mutatis mutandis, Kadagishvili, précité, § 170).
53. En troisième lieu, le requérant n'a pas contesté la description du box fournie par le Gouvernement, en particulier, concernant l'absence de plafond et la présence d'un haut-parleur, permettant de capter le son dans la salle, ainsi que d'hygiaphones et de microphones (paragraphe 7 ci-dessus). La Cour rappelle à cet égard que l'ancienne Commission a déjà eu l'occasion de conclure que la présence d'hygiaphone et de microphones à l'intérieur d'un box vitré étaient des facteurs permettant à un requérant tant de communiquer avec les avocats et la cour d'assises que de suivre les débats (Auguste c. France, no 11837/85, rapport de la Commission du 7 juin 1990, Décisions et Rapports no 69, p. 104).
54. Enfin, la Cour observe que la cour d'assises a rendu un arrêt d'incident dûment motivé, constatant que le requérant était en mesure de répondre aux questions qui lui étaient posées et de communiquer confidentiellement avec ses avocats (paragraphe 12 ci-dessus).
55. Eu égard à l'ensemble de ces facteurs, la Cour conclut que le grief tiré de l'article 6 §§ 1 et 3 b) est manifestement mal fondé et qu'il doit être rejeté en application de l'article 35 § 3 a) et 4 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION
56. Le requérant allègue que son droit à la présomption d'innocence, tel que prévu par l'article 6 § 2 de la Convention, a été méconnu. Cette disposition est ainsi libellée :
« 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
A. Sur la recevabilité
57. Constatant que ce grief n'est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l'article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Les thèses des parties
58. Le requérant n'a pas présenté d'observations.
59. Le Gouvernement réitère ses observations présentées sur le terrain de la recevabilité du grief tiré de l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention (paragraphes 35-40 ci-dessus).
60. La partie intervenante considère que les « cages de verre » portent atteinte au principe de la présomption d'innocence. Il soutient que le recours à de tels dispositifs répand inévitablement dans l'esprit de la juridiction l'idée de la dangerosité du mis en cause et donc de sa culpabilité.
2. L'appréciation de la Cour
a) La jurisprudence des organes de la Convention en la matière
61. Pour les principes généraux relatifs à la présomption d'innocence, la Cour renvoie aux arrêts Simon Price (précité, §§ 86-88), et Rigolio c. Italie (no 20148/09, § 83, 9 mars 2023, avec les références y citées). La Cour relève qu'elle n'a jamais constaté de violation de l'article 6 § 2 de la Convention au regard de l'installation des dispositifs de sécurité dans les salles d'audience.
62. Dans quelques affaires russes, la Cour a trouvé une violation de l'article 3 en présence de placement des accusés dans des cages métalliques, eu égard à l'aspect rebutant, ainsi qu'aux conditions de détention souvent humiliantes dans de telles structures (Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie, nos 11082/06 et 13772/05, §§ 646-648, 25 juillet 2013, Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, CEDH 2014 (extraits), Urazov c. Russie, no 42147/05, §§ 85-90, 14 juin 2016, et Valyuzhenich c. Russie, no 10597/13, § 34, 26 mars 2019). Dans ces arrêts, la Cour a jugé qu'il n'était pas nécessaire d'examiner les griefs tirés de l'article 6 § 2 (voir également Karachentsev c. Russie, no 23229/11, §§ 44-54, 17 avril 2018, où la Cour a constaté une violation de l'article 3, mais où la question de la présomption d'innocence ne s'était pas posée).
63. Dans l'arrêt Svinarenko et Slyadnev (précité, § 133), la Grande Chambre a considéré, à l'appui de sa conclusion relative à la violation de l'article 3, que les requérants avaient des raisons objectives de craindre que leur exposition dans une cage métallique lors des audiences de leur procès ne donne à leurs juges une image négative, propre à créer l'impression qu'ils étaient dangereux au point de nécessiter une mesure de contrainte physique aussi extrême et à porter ainsi atteinte à la présomption d'innocence.
64. Dans l'arrêt Ramichvili et Kokhreidzé c. Géorgie (no 1704/06, §§ 128‑136, 27 janvier 2009), la Cour a conclu à une violation de l'article 5 § 4 de la Convention, s'agissant des conditions inadmissibles du déroulement d'une audience relative à la détention provisoire des requérants. Dans un considérant obiter dictum (§ 132), elle a jugé que le placement humiliant et injustifié des requérants dans une cage barreaudée au fond de la salle d'audience, les obligeant à tenir debout sur des chaises et de crier pour se faire entendre, alors que l'audience a été diffusée dans tout le pays, a entaché la présomption d'innocence.
65. En revanche, dans l'affaire Ashot Haroutyounian c. Arménie (no 34334/04, §§ 136-140, 15 juin 2010), la Cour a conclu à une violation de l'article 3 et à une non-violation de l'article 6 § 2 de la Convention, aux motifs que la cage métallique était une structure permanente et non pas installée spécialement pour le procès du requérant, et qu'aucun élément du dossier ne démontrait que la comparution de celui-ci dans cette cage lors de son procès ait pu créer dans l'esprit des juges une présomption de sa culpabilité.
66. Par ailleurs, dans une série d'arrêts, la Cour s'est prononcée sur la comparution des accusés dans des box vitrés ou derrière des écrans de sécurité.
67. En 1990, elle a conclu à une non-violation de l'article 6 § 2 de la Convention dans une affaire fort similaire à la présente espèce (Auguste c. France, rapport de la Commission précité). La Cour a constaté que le box vitré était un dispositif permanent. Elle a toutefois relevé que, selon les juridictions internes, le placement du requérant dans ledit box était nécessaire au regard des impératifs sécuritaires.
68. Enfin, dans l'arrêt Simon Price (précité, § 88), la Cour a établi les facteurs à prendre en compte pour déterminer si l'installation d'un dispositif de sécurité peut rendre le procès pénal inéquitable (paragraphe 46 ci-dessus), avant de conclure que les écrans de sécurité (security screens) installés dans la salle d'audience n'avaient pas été de nature à violer la présomption d'innocence du requérant.
b) L'application en l'espèce
69. La Cour constate d'emblée que le box dans lequel le requérant a comparu est un dispositif permanent (voir également Auguste c. France, rapport de la Commission précité). L'inamovibilité d'une telle structure suscite des interrogations de la Cour sur la possibilité des juridictions internes d'effectuer une appréciation « au cas par cas » de la nécessité pour la personne accusée de comparaître dans un box. En effet, un recours systématique à de tels dispositifs pourrait, en fonction des circonstances, se révéler préjudiciable aux droits fondamentaux d'une personne accusée d'une infraction pénale. La Cour relève en outre qu'aucune dérogation n'a été accordée à la demande du requérant d'être entendu en dehors du box. Toutefois, la Cour rappelle que, à la différence du Défenseur des droits et du CGLPL, sa tâche consiste non pas à évaluer, de manière générale, le recours à des boxes sécurisés dans différentes salles d'audience (paragraphes 19, 20 et 48 ci-dessus), mais à déterminer in concreto si l'interrogatoire du requérant depuis le box vitré a été de nature à méconnaître son droit à la présomption d'innocence.
70. À cet égard, elle relève plusieurs éléments. En premier lieu, le box en question - un enclos vitré sans plafond, suffisamment spacieux et équipé (paragraphe 7 ci-dessus) - ne présente pas l'aspect rebutant des cages métalliques, et le requérant ne soutient pas l'existence de facteurs humiliants (comme avoir été entouré de gardes armés, de chiens ou constamment photographié dans le box). Par ailleurs, il n'a demandé à en être extrait qu'à la fin du procès en appel, la veille de son interrogatoire, après plusieurs audiences suivies depuis le box.
71. En deuxième lieu, rappelant qu'il incombe aux requérants d'étayer leurs griefs tant en droit qu'en fait, en fournissant les éléments factuels de preuve nécessaires, la Cour relève que tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, le requérant n'a pas présenté d'observations à la Cour, n'a jamais avancé qu'il avait des raisons objectives de craindre que son exposition dans un box vitré fût de nature à donner une image négative de lui à la cour d'assises, et n'a pas étayé ses allégations relatives à son handicap auditif (paragraphes 51-52 ci-dessus). Devant les juridictions internes, il s'est borné à invoquer l'avis du Défenseur des droits, ainsi que la notion de présomption d'innocence (paragraphes 9 et 15 ci-dessus).
72. La Cour observe, ensuite, que le refus opposé à la demande du requérant de comparaître à la barre, par dérogation à la pratique habituelle dans cette salle d'audience équipée à titre permanent d'un box vitré, a été le fruit d'une appréciation in concreto du risque que cela présentait, eu égard au comportement passé de l'intéressé qui s'est soustrait à la justice pendant des années. La cour d'assises a en outre pris en compte la nature violente des faits reprochés au requérant, pour considérer que son placement dans le box était nécessaire pour assurer la sécurité (voir Auguste c. France, rapport de la Commission précité, et Simon Price, §§ 89‑90, précité). Elle s'est également assurée que le requérant était libre de ses mouvements et pouvait communiquer avec ses avocats en toute confidentialité (paragraphes 11-12 ci‑dessus). La Cour de cassation a approuvé cette motivation. Les éléments du dossier ne permettent pas à la Cour de remettre en question cette appréciation circonstanciée, ni de considérer qu'en l'espèce, l'interrogatoire du requérant depuis le box vitré a été de nature à violer son droit à la présomption d'innocence.
73. Eu égard à tout ce qui précède, la Cour conclut que, dans les circonstances particulières de la présente espèce, il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 2 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare le grief tiré de l'article 6 § 2 de la Convention, concernant la présomption d'innocence, recevable et le surplus de la requête irrecevable ;
2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 2 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 avril 2025, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Victor Soloveytchik María Elósegui
Greffier Présidente