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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Commission v Portugal (Free movement of persons) French text [2004] EUECJ C-171/02 (29 April 2004)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2004/C17102.html
Cite as: [2004] EUECJ C-171/02, [2004] EUECJ C-171/2, [2004] ECR I-5645

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IMPORTANT LEGAL NOTICE - The source of this judgment is the web site of the Court of Justice of the European Communities. The information in this database has been provided free of charge and is subject to a Court of Justice of the European Communities disclaimer and a copyright notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
29 avril 2004 (1)


«Articles 39 CE, 43 CE et 49 CE - Directive 92/51/CEE - Système général de reconnaissance des formations professionnelles - Activité de sécurité privée - Mesures d'un État membre exigeant comme condition pour pouvoir exercer une activité de sécurité privée d'avoir le siège de la société ou un établissement sur le territoire portugais, d'avoir la forme d'une personne morale, d'avoir un capital social spécifique et de fournir des justifications et des garanties déjà présentées dans l'État membre d'origine - Défaut d'avoir prévu la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le secteur des services de sécurité privée»»

Dans l'affaire C-171/02,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme M. Patakia et M. A. Caeiros, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République portugaise, représentée par M. L. Fernandes, en qualité d'agent, assisté de Me J. M. Calheiros, advogado, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que:

1. compte tenu de ce que, dans le cadre du régime d'agrément à délivrer par le ministre de l'Administration interne, les entreprises étrangères qui désirent exercer au Portugal, dans le secteur des services de sécurité privée, des activités de surveillance de personnes et de biens

a) doivent avoir leur siège ou un établissement sur le territoire portugais,

b) ne peuvent pas faire valoir les justifications et garanties déjà présentées dans leur État membre d'établissement,

c) doivent revêtir la forme d'une personne morale,

d) doivent avoir un capital social spécifique,

2. compte tenu de ce que les membres du personnel des entreprises étrangères qui désirent exercer au Portugal, dans le secteur des services de sécurité privée, des activités de surveillance de personnes et de biens doivent posséder  une  carte  professionnelle  émise  par  les  autorités  portugaises,

3. compte tenu de ce que les professions du secteur des services de sécurité privée ne sont pas soumises au régime communautaire de reconnaissance des qualifications professionnelles,

la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 39 CE, 43 CE et 49 CE, ainsi que de la directive 92/51/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48/CEE (JO L 209, p. 25),



LA COUR (cinquième chambre),



composée de M. P. Jann (rapporteur), faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. A. Rosas et S. von Bahr, juges,

avocat général: M. S. Alber,
greffier: M. R. Grass,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 16 septembre 2003,

rend le présent



Arrêt



  1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 8 mai 2002, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que:
  2. 1. compte tenu de ce que, dans le cadre du régime d'agrément à délivrer par le ministre de l'Administration interne, les entreprises étrangères qui désirent exercer au Portugal, dans le secteur des services de sécurité privée, des activités de surveillance de personnes et de biens

    a) doivent avoir leur siège ou un établissement sur le territoire portugais,

    b) ne peuvent pas faire valoir les justifications et garanties déjà présentées dans leur État membre d'établissement,

    c) doivent revêtir la forme d'une personne morale,

    d) doivent avoir un capital social spécifique;

    2. compte tenu de ce que les membres du personnel des entreprises étrangères qui désirent exercer au Portugal, dans le secteur des services de sécurité privée, des activités de surveillance de personnes et de biens doivent posséder une carte professionnelle émise par les autorités portugaises, et

    3. compte tenu de ce que les professions du secteur des services de sécurité privée ne sont pas soumises au régime communautaire de reconnaissance des qualifications professionnelles,

    la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 39 CE, 43 CE et 49 CE, ainsi que de la directive 92/51/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48/CEE (JO L 209, p. 25).


    Le cadre juridique

    La réglementation communautaire

    Les définitions

  3. Aux termes de l'article 1er, sous c), de la directive 92/51, on entend par «attestation de compétence» «tout titre:
  4. - qui sanctionne une formation ne faisant pas partie d'un ensemble constituant un diplôme au sens de la directive 89/48/CEE ou un diplôme ou un certificat au sens de la présente directive,

    ou

    - délivré à la suite d'une appréciation des qualités personnelles, des aptitudes ou des connaissances du demandeur, considérées comme essentielles pour l'exercice d'une profession par une autorité désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives d'un État membre, sans que la preuve d'une formation préalable ne soit requise».

  5. Selon l'article 1er, sous e), de la directive 92/51, on entend par «profession réglementée» «l'activité ou l'ensemble des activités professionnelles réglementées qui constituent cette profession dans un État membre».
  6. Conformément à l'article 1er, sous f), de la directive 92/51, une «activité professionnelle réglementée» est «une activité professionnelle dont l'accès ou l'exercice, ou l'une des modalités d'exercice dans un État membre, est subordonné, directement ou indirectement par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession d'un titre de formation ou d'une attestation de compétence. [...] [L]'exercice d'une activité sous un titre professionnel, dans la mesure où le port de ce titre est autorisé aux seuls possesseurs d'un titre de formation ou d'une attestation de compétence déterminé par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives», constitue une des «modalités d'exercice d'une activité professionnelle réglementée».
  7. Les règles de fond

  8. Aux termes de l'article 8 de la directive 92/51:
  9. «Lorsque dans un État membre d'accueil, l'accès à une profession réglementée ou son exercice est subordonné à la possession d'une attestation de compétence, l'autorité compétente ne peut refuser à un ressortissant d'un État membre, pour défaut de qualification, d'accéder à cette profession ou de l'exercer dans les mêmes conditions que les nationaux:

    a) si le demandeur possède l'attestation de compétence qui est prescrite par un autre État membre pour accéder à cette même profession sur son territoire, ou l'y exercer, et qui a été obtenue dans un autre État membre

    ou

    b) si le demandeur justifie de qualifications obtenues dans d'autres États membres,

    et donnant des garanties équivalentes, notamment en matière de santé, de sécurité, de protection de l'environnement et de protection des consommateurs, à celles exigées par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives de l'État membre d'accueil.

    Si le demandeur ne justifie pas de cette attestation de compétence ou de telles qualifications, les dispositions législatives, réglementaires ou administratives de l'État membre d'accueil s'appliquent.»

    La réglementation nationale

    Les définitions

  10. Selon l'article 1er, paragraphe 3, sous a), du décret-loi n° 231/98, du 22 juillet 1998 (Diario da República I, série A, n° 167, du 22 juillet 1998, ci-après le «décret-loi sur l'activité de sécurité privée»), aux fins de celui-ci, on entend par «activité de sécurité privée» «la prestation de services par des entités privées, légalement constituées à cet effet, en vue de la protection de personnes et de biens, ainsi que de la prévention de la commission de crimes».
  11. Les règles de fond

  12. L'article 3 du décret-loi sur l'activité de sécurité privée dispose:
  13. «L'activité de sécurité privée ne peut être exercée que par des entités légalement constituées et autorisées à cet effet aux termes du présent décret-loi.»

  14. L'article 7, paragraphe 2, sous b), du décret-loi sur l'activité de sécurité privée prévoit que l'une des conditions spécifiques d'admission du personnel de surveillance et d'accompagnement, de défense et de protection de personnes est la réussite à des épreuves de connaissance et d'aptitude physique, dont le contenu et la durée sont fixés par arrêté du ministre de l'Administration interne, après que les intéressés ont suivi un cours de formation initiale reconnu conformément à l'article 8, paragraphe 2, dudit décret-loi.
  15. L'article 9, paragraphe 1, du décret-loi sur l'activité de sécurité privée précise que le personnel de surveillance et d'accompagnement, ainsi que de défense et de protection de personnes, doit être titulaire d'une carte professionnelle authentifiée par le secrétariat général du ministère de l'Administration interne, valable pour une période de deux ans et susceptible d'être renouvelée pour des périodes équivalentes.
  16. Selon l'article 9, paragraphe 2, du décret-loi sur l'activité de sécurité privée, l'authentification de la carte professionnelle est subordonnée à la preuve qu'il est satisfait aux conditions énoncées à l'article 7 dudit décret-loi, cette preuve devant être rapportée au secrétariat général du ministère de l'Administration interne.
  17. Selon l'article 21, paragraphe 1, du décret-loi sur l'activité de sécurité privée, l'activité de sécurité privée prévue à l'article 1er, paragraphe 3, sous a), de celui-ci ne peut être exercée qu'après que l'intéressé a obtenu une autorisation délivrée par le ministre de l'Intérieur.
  18. L'article 22, paragraphe 1, du décret-loi sur l'activité de sécurité privée prévoit:
  19. «Les entités qui exercent l'activité de sécurité privée prévue à l'article 1er, paragraphe 3, sous a), doivent être constituées conformément à la législation d'un État membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen, posséder un siège ou une délégation au Portugal et se conformer aux dispositions de l'article 4 du code des sociétés commerciales.»

  20. L'article 22, paragraphe 2, du décret-loi sur l'activité de sécurité privée dispose que le capital social des entités qui exercent l'activité de sécurité privée telle que définie à l'article 1er, paragraphe 3, sous a), du même décret-loi ne peut être inférieur aux montants prévus, respectivement, sous a), b) et c), dudit paragraphe 2.
  21. L'article 24 du décret-loi sur l'activité de sécurité privée prévoit que la demande d'agrément pour la prestation de services de sécurité énumérés à l'article 2 dudit décret-loi doit être adressée au ministre de l'Administration interne, accompagnée d'une documentation dont les éléments sont énumérés au paragraphe 1, sous a) à g), dudit article 24.
  22. L'article 24, paragraphe 1, sous d), du décret-loi sur l'activité de sécurité privée exige que, en cas de demande d'un agrément pour la prestation de services au sens de l'article 1er, paragraphe 3, sous a), dudit décret-loi, cette demande soit accompagnée de documents démontrant qu'il est satisfait aux conditions spécifiques visées à l'article 22 de celui-ci.
  23. En cas de violation grave ou répétée des dispositions du décret-loi sur l'activité de sécurité privée, l'agrément ou la licence prévus pour l'exercice d'une telle activité pourront, selon l'article 27 du même décret-loi, être révoqués par décision du ministre de l'Administration interne, sur proposition du secrétaire général du ministère de l'Administration interne.
  24. L'article 4, paragraphe 1, du code des sociétés commerciales est libellé comme suit:
  25. «1.    La société qui n'a pas de siège effectif au Portugal, mais désire y exercer son activité pour plus d'un an, doit instituer une représentation permanente et se conformer aux dispositions de la loi portugaise sur le registre du commerce.

    2.      La société qui ne se conforme pas aux dispositions du paragraphe précédent est néanmoins engagée par les actes exécutés en son nom au Portugal et les personnes qui ont exécuté ces actes ainsi que les gérants ou administrateurs de la société en sont solidairement responsables avec elle.

    3.      Nonobstant les dispositions du paragraphe précédent, le tribunal peut, à la demande de tout intéressé ou du ministère public, ordonner que la société qui ne se conforme pas aux dispositions des paragraphes 1 et 2 cesse son activité dans le pays et prononcer la liquidation du patrimoine situé au Portugal.»


    La procédure précontentieuse

  26. Après avoir mis la République portugaise en mesure de présenter ses observations, la Commission lui a adressé, le 29 décembre 2000, un avis motivé relevant que certains aspects de la réglementation nationale en matière de services de sécurité privée de cet État membre lui semblaient incompatibles avec le droit communautaire, en particulier avec la libre prestation des services et la liberté d'établissement, ainsi qu'avec l'acquis communautaire en matière de professions réglementées et invitant ledit État à se conformer à ses obligations résultant du traité CE et de la directive 92/51 dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet avis. N'étant pas satisfaite de la réponse apportée à celui-ci par lettre du 20 mars 2001 des autorités portugaises, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.

  27. Sur le recours

  28. À l'appui de son recours la Commission fait valoir six griefs concernant les conditions exigées par la République portugaise pour l'exercice d'une activité de sécurité privée dans cet État membre.
  29. Ces griefs sont tirés respectivement:
  30. - de l'incompatibilité avec l'article 49 CE de la condition exigeant que l'opérateur économique ait son siège ou un établissement permanent sur le territoire portugais;

    - de l'incompatibilité avec les articles 43 CE et 49 CE de la condition exigeant que l'opérateur économique ait la forme d'une personne morale;

    - de l'incompatibilité avec les articles 43 CE et 49 CE de la condition exigeant que l'opérateur économique possède un capital social minimal;

    - de l'incompatibilité avec l'article 49 CE de la condition exigeant que l'opérateur économique obtienne une autorisation des autorités portugaises, sans qu'il soit tenu compte des justifications ni des garanties déjà présentées dans l'État membre d'origine;

    - de l'incompatibilité avec les articles 39 CE et 49 CE de la condition exigeant que les membres du personnel de l'opérateur économique possèdent une carte professionnelle émise par les autorités portugaises, sans qu'il soit tenu compte des contrôles ni des vérifications déjà effectués dans l'État membre d'origine;

    - d'une violation de l'article 249 CE, lu en combinaison avec l'article 10 CE, résultant d'une transposition incorrecte de l'article 8 de la directive 92/51 dans le droit national.

  31. Avant d'examiner successivement le bien-fondé de ces différents griefs, il convient cependant de traiter une question qui sous-tend la plupart d'entre eux, à savoir la question concernant la délimitation des champs d'application respectifs des articles 49 CE et 43 CE.
  32. Sur la délimitation des champs d'application respectifs du droit à la libre prestation des services (article 49 CE) et du droit au libre établissement (article 43 CE)

    Argumentation des parties

  33. Le gouvernement portugais fait valoir qu'un opérateur économique qui propose ses services dans l'État membre de destination pendant une certaine durée n'est plus un prestataire transfrontalier, mais devient, de ce seul fait, un opérateur établi dans cet État membre. Par conséquent, une mesure qui ne s'applique qu'aux opérateurs économiques qui proposent leurs services au Portugal pour une durée de plus de un an ne peut pas violer le principe de la libre prestation des services.
  34. La Commission estime que, même lorsque des services ont été fournis durant une période supérieure à une année, il s'agit toujours de l'exercice du droit à la libre prestation des services, lorsque ceux-ci sont offerts dans un État membre à partir d'un autre État membre.
  35. Appréciation de la Cour

  36. En ce qui concerne la délimitation des champs d'application respectifs des principes de la libre prestation des services et du libre établissement il y a lieu de relever que l'élément clé est la question de savoir si l'opérateur économique est établi ou non dans l'État membre dans lequel il offre le service en question (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55/94, Rec. p. I-4165, point 22). Lorsqu'il est établi (à titre principal ou à titre secondaire) dans l'État membre dans lequel il offre le service (État membre de destination ou État membre d'accueil), il entre dans le champ d'application du principe du libre établissement, tel que défini à l'article 43 CE. Lorsque, en revanche, l'opérateur économique n'est pas établi dans cet État membre de destination, il est un prestataire transfrontalier relevant du principe de la libre prestation des services prévu à l'article 49 CE.
  37. Dans ce contexte, la notion d'établissement implique que l'opérateur offre ses services, de manière stable et continue, à partir d'un domicile professionnel dans l'État membre de destination (voir, en ce sens, arrêts Gebhard, précité, points 25 et 28, ainsi que du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne, 205/84, Rec. p. 3755, point 21). En revanche, sont des prestations de services au sens de l'article 49 CE toutes les prestations qui ne sont pas offertes de manière stable et continue, à partir d'un domicile professionnel dans l'État membre de destination.
  38. La Cour a ainsi constaté que peuvent constituer des services au sens de l'article 49 CE les prestations qu'un opérateur économique établi dans un État membre fournit de manière plus ou moins fréquente ou régulière, même sur une période prolongée, à des personnes établies dans un ou plusieurs autres États membres, par exemple, l'activité de conseil ou de renseignement offerte contre rémunération. Elle a relevé que, en effet, aucune disposition du traité ne permet de déterminer, de manière abstraite, la durée ou la fréquence à partir de laquelle la fourniture d'un service ou d'un certain type de services dans un autre État membre ne peut plus être considérée comme une prestation de services au sens du traité (arrêt du 11 décembre 2003, Schnitzer, C-215/01, non encore publié au Recueil, points 30 et 31).
  39. Il s'ensuit que le seul fait qu'un opérateur économique établi dans un État membre fournisse des services dans un autre État membre sur une période prolongée ne suffit pas à le considérer comme établi dans ce dernier État membre.
  40. Par conséquent, même si, en l'espèce, les mesures nationales litigieuses s'appliquent uniquement à des opérateurs économiques qui offrent leurs services au Portugal pendant une durée supérieure à une année, elles sont néanmoins, en principe, susceptibles de restreindre la liberté de prestation des services.
  41. Sur le premier grief, tiré de l'incompatibilité avec l'article 49 CE de la condition exigeant que l'opérateur économique ait son siège ou un établissement permanent sur le territoire portugais 

    Argumentation des parties

  42. La Commission fait valoir que la condition relative à l'existence d'un établissement permanent sur le territoire portugais constitue une restriction à la libre prestation des services.
  43. En outre, elle soutient que la réglementation portugaise ne peut pas être justifiée par le but poursuivi par celle-ci ou est, en tout état de cause, disproportionnée.
  44. Le gouvernement portugais fait valoir que la mesure en question ne restreint pas le droit à la libre prestation des services.
  45. Ledit gouvernement ajoute que, à supposer même que la mesure en question comporte une restriction à la libre prestation des services, elle est justifiée par des motifs d'intérêt général, tels que la sécurité publique, l'ordre public ainsi que la protection des consommateurs, et elle est proportionnée aux objectifs poursuivis. En effet, les activités de sécurité privée sont exercées dans le cadre d'une relation de complémentarité et de collaboration avec le système national de sécurité publique.
  46. Appréciation de la Cour

  47. À cet égard, il suffit de constater que, s'agissant d'une réglementation analogue à la réglementation portugaise critiquée par la Commission et en présence d'arguments de défense semblables à ceux du gouvernement portugais, la Cour a jugé que la condition selon laquelle une entreprise de gardiennage doit avoir son siège d'exploitation dans l'État membre de destination va directement à l'encontre de la libre prestation des services, dans la mesure où elle rend impossible la prestation, dans cet État, de services par des entreprises établies dans d'autres États membres (arrêt du 9 mars 2000, Commission/Belgique, C-355/98, Rec. p. I-1221, points 27 à 30).
  48. Le fait que les activités de sécurité privée sont exercées dans le cadre d'une relation de complémentarité et de collaboration avec le système de sécurité publique ne saurait à lui seul justifier une telle restriction à la libre prestation des services.
  49. Dans ces conditions, le premier grief est fondé.
  50. Sur le deuxième grief, tiré de l'incompatibilité avec les articles 43 CE et 49 CE de la condition exigeant que l'opérateur économique ait la forme d'une personne morale

    Argumentation des parties

  51. La Commission considère que la condition selon laquelle l'opérateur économique doit avoir la forme d'une personne morale pour pouvoir exercer des activités de sécurité privée au Portugal est une restriction à la libre prestation des services.
  52. En outre, cette réglementation portugaise empêcherait les opérateurs communautaires qui sont des personnes physiques d'exercer leur droit d'établissement secondaire au Portugal.
  53. Le gouvernement portugais fait valoir que la mesure en question ne restreint ni le droit à la libre prestation des services ni le droit à un établissement, à titre principal ou à titre secondaire, des opérateurs qui sont des personnes physiques.
  54. Ce ne serait que si l'opérateur qui est une personne physique souhaite créer une société au Portugal - ce qui constitue une forme possible de l'exercice du droit de libre établissement - qu'il devrait se soumettre aux conditions requises pour la constitution d'une société dans cet État membre. Les articles 4 et 40 du code des sociétés commerciales ne concerneraient, ni l'un ni l'autre, l'établissement secondaire des opérateurs qui sont des personnes physiques.
  55. En tout état de cause, d'éventuelles restrictions seraient justifiées par la protection des créanciers. En effet, les sociétés présentent une sécurité et une solvabilité bien plus grandes que les opérateurs individuels.
  56. Appréciation de la Cour

  57. À cet égard, il convient de constater que la condition selon laquelle les opérateurs de sécurité privée doivent revêtir la forme d'une personne morale est de nature à gêner les activités des prestataires transfrontaliers établis dans des États membres autres que la République portugaise, où ils fournissent légalement des services analogues et constitue, dès lors, une restriction au sens de l'article 49 CE. En effet, une telle condition exclut toute possibilité pour un prestataire transfrontalier qui est une personne physique de fournir des services au Portugal.
  58. En outre, une telle condition constitue une restriction au sens de l'article 43 CE. En effet, elle empêche les opérateurs communautaires qui sont des personnes physiques de créer un établissement secondaire au Portugal (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 1984, Klopp, 107/83, Rec. p. 2971, point 19, et du 7 juillet 1988, Stanton, 143/87, Rec. p. 3877, point 11).
  59. Une telle condition ne saurait être justifiée par le motif de la protection des créanciers. En effet, dès lors qu'il existe des moyens d'atteindre un tel objectif tout en restreignant de manière moindre la libre prestation des services et la liberté d'établissement, tels que la constitution d'une garantie ou la souscription d'un contrat d'assurance, ladite condition doit être considérée comme disproportionnée.
  60. Dans ces conditions, le deuxième grief est fondé.
  61. Sur le troisième grief, tiré de l'incompatibilité avec les articles 43 CE et 49 CE de la condition exigeant que l'opérateur économique possède un capital social minimal

    Argumentation des parties

  62. La Commission considère que la condition selon laquelle l'opérateur économique doit posséder un capital social minimal pour pouvoir exercer des activités de sécurité privée au Portugal est une restriction tant à la libre prestation des services qu'à la liberté d'établissement.
  63. En effet, cette condition obligerait un prestataire transfrontalier à augmenter son capital social, même si celui-ci est suffisant au regard des exigences de la législation de son État membre d'origine.
  64. En outre, ladite condition empêcherait un opérateur établi dans un État membre autre que la République portugaise et dont le capital social est inférieur au montant minimal exigé par la réglementation portugaise de constituer une filiale ou une succursale sur le territoire portugais.
  65. La Commission fait valoir que, même si l'exigence d'un capital social minimal pouvait être justifiée par des motifs d'intérêt général, elle ne constitue pas une mesure propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.
  66. Le gouvernement portugais fait valoir que ladite condition ne restreint ni la libre prestation des services ni le droit à un établissement secondaire.
  67. Selon ledit gouvernement, une éventuelle restriction du droit au libre établissement secondaire est, en tout état de cause, justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, telles que la protection des créanciers et la nécessité d'éviter une discrimination à l'encontre des opérateurs nationaux.
  68. En premier lieu, il importerait de garantir la solidité financière des opérateurs susceptibles d'exercer des activités de sécurité privée et de prévenir le risque de faillite frauduleuse due à l'insolvabilité de celles dont la capitalisation initiale est insuffisante.
  69. En second lieu, ne pas exiger qu'un opérateur souhaitant exercer son droit d'établissement secondaire au Portugal possède, dans son État membre d'origine, le capital minimal exigé par la loi portugaise pour accéder à des activités de sécurité privée conduirait à une discrimination à l'encontre des opérateurs nationaux, puisque ceux-ci seraient, en tout état de cause, obligés de se doter du capital social minimal prévu par la loi portugaise.
  70. Appréciation de la Cour

  71. À cet égard, il convient de constater que la condition selon laquelle les opérateurs de sécurité privée doivent posséder un capital social minimal est de nature à gêner les activités des prestataires transfrontaliers établis dans des État membres autres que la République portugaise, dans lesquels ils fournissent légalement des services analogues, et constitue, dès lors, une restriction au sens de l'article 49 CE. En effet, des prestataires transfrontaliers possédant un capital social inférieur au montant minimal exigé par la réglementation portugaise sont empêchés de fournir leurs services au Portugal.
  72. En outre, une telle condition constitue une restriction au sens de l'article 43 CE (voir arrêt du 30 septembre 2003, Inspire Art, C-167/01, non encore publié au Recueil, points 100 et 101). En effet, elle empêche un opérateur communautaire qui possède un capital social inférieur au montant minimal exigé par la réglementation portugaise de constituer une filiale ou une succursale sur le territoire portugais.
  73. Une telle condition ne saurait être justifiée par le motif de la protection des créanciers, dans la mesure où il existe des moyens d'atteindre un tel objectif tout en restreignant de manière moindre la libre prestation de services et la liberté d'établissement, tels que la constitution d'une garantie ou la souscription d'un contrat d'assurance.
  74. La volonté d'empêcher d'éventuelles tentatives de contourner la réglementation nationale ne peut pas non plus justifier ladite condition. En effet, le fait, pour un ressortissant d'un État membre qui souhaite créer une société, de choisir de la constituer dans l'État membre dont les règles de droit des sociétés lui paraissent les moins contraignantes et de créer des succursales dans d'autres États membres ne saurait constituer un usage abusif du droit d'établissement (voir arrêt du 9 mars 1999, Centros, C-212/97, Rec. p. I-1459, point 27).
  75. Dans ces conditions, le troisième grief est fondé.
  76. Sur le quatrième grief, tiré de l'incompatibilité avec l'article 49 CE de la condition exigeant que l'opérateur économique obtienne une autorisation des autorités portugaises, sans qu'il soit tenu compte des justifications ni des garanties déjà présentées dans l'État membre d'origine

    Argumentation des parties

  77. Selon la Commission, la condition selon laquelle l'opérateur économique doit obtenir une autorisation délivrée par les autorités portugaises pour l'exercice des activités de sécurité privée au Portugal, sans qu'il soit tenu compte des justifications ni des garanties déjà présentées dans l'État membre d'origine, est une restriction à la libre prestation des services.
  78. Le gouvernement portugais fait valoir que ladite condition ne restreint pas le droit à la libre prestation des services.
  79. Appréciation de la Cour

  80. À cet égard, il suffit de constater que, s'agissant d'une réglementation analogue à la réglementation portugaise critiquée par la Commission et en présence d'arguments de défense semblables à ceux du gouvernement portugais, la Cour a jugé qu'une réglementation nationale qui subordonne l'exercice de certaines prestations de services sur le territoire national par une entreprise établie dans un autre État membre à la délivrance d'une autorisation administrative constitue une restriction à la libre prestation des services, au sens de l'article 49 CE. Une telle restriction ne peut pas être justifiée puisque, en excluant qu'il soit tenu compte des obligations auxquelles le prestataire transfrontalier est déjà soumis dans l'État membre dans lequel il est établi, elle va, en tout état de cause, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but recherché, qui est d'assurer un contrôle étroit sur lesdites activités (arrêt Commission/Belgique, précité, points 35 à 38).
  81. Dans ces conditions, le quatrième grief est fondé.
  82. Sur le cinquième grief, tiré de l'incompatibilité avec les articles 39 CE et 49 CE de la condition exigeant que les membres du personnel de l'opérateur économique possèdent une carte professionnelle émise par les autorités portugaises, sans qu'il soit tenu compte des contrôles ni des vérifications déjà effectués dans l'État membre d'origine

    Argumentation des parties

  83. La Commission soutient que la condition selon laquelle les membres du personnel de l'opérateur économique doivent posséder une carte professionnelle émise par les autorités portugaises constitue un obstacle à la libre prestation des services par ce dernier ainsi qu'à la libre circulation des membres de son personnel.
  84. Selon elle, la carte professionnelle est une forme d'agrément que doit obtenir tout membre du personnel d'une entreprise de sécurité privée pour pouvoir exercer son activité sur le territoire portugais. En conséquence, la Commission estime que le droit de détacher du personnel autorisé à exercer une telle activité dans l'État membre d'origine du prestataire transfrontalier se trouve restreint.
  85. En outre, la Commission considère que, même si la condition relative à la nécessité de posséder une carte professionnelle pouvait être justifiée par des motifs d'intérêt général, elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi, s'il n'est pas tenu compte des conditions remplies pour obtenir une telle carte dans l'État membre d'origine.
  86. Selon le gouvernement portugais, la carte professionnelle permet de vérifier si les membres du personnel d'une entreprise exerçant des activités de sécurité privée remplissent les conditions, telles que l'accomplissement de la scolarité minimale obligatoire, la réussite aux épreuves de connaissance et de capacité physique, ainsi que la robustesse physique et le profil psychologique nécessaires, pour l'exercice des activités de sécurité privée. Dans un secteur dont la spécificité est reconnue, comme celui de la sécurité privée, l'autorité de contrôle de l'État membre de destination pourrait et devrait procéder à des vérifications périodiques.
  87. Appréciation de la Cour

  88. À cet égard, il convient de constater que la condition selon laquelle les membres du personnel d'un opérateur de sécurité privée doivent posséder une carte professionnelle émise par les autorités portugaises constitue une restriction au sens des articles 39 CE et 49 CE dans la mesure où elle ne tient pas compte des contrôles ni des vérifications déjà effectués dans l'État membre d'origine.
  89. Dans ces conditions, le cinquième grief est fondé.
  90. Sur le sixième grief, tiré d'une violation de l'article 249 CE, lu en combinaison avec l'article 10 CE, résultant d'une transposition incorrecte de l'article 8 de la directive 92/51 dans le droit national

    Argumentation des parties

  91. La Commission fait valoir en substance que, en ne soumettant pas les professions du secteur de la sécurité privée au régime communautaire de la reconnaissance des qualifications professionnelles, la République portugaise a manqué à son obligation de transposer dans le droit national l'article 8 de la directive 92/51.
  92. Elle considère que la carte professionnelle est une attestation de compétence au sens dudit article 8, lu en combinaison avec l'article 1er, sous c), de la directive 92/51. En effet, les activités de sécurité privée ne peuvent être exercées au Portugal que par le personnel ayant suivi un cours de formation obligatoire conformément à la législation portugaise et ayant réussi des épreuves de connaissance et d'aptitude physique attestées par la délivrance de la carte professionnelle. Selon cette législation, l'accès auxdites activités est subordonné à la possession d'une telle carte professionnelle par les membres du personnel de l'opérateur.
  93. Le gouvernement portugais fait valoir que l'accès aux activités de sécurité privée n'est pas subordonné à la possession d'une attestation de compétence. Il n'existerait aucun certificat ou titre, au sens de l'article 8 de la directive 92/51, qui sanctionnerait une formation. La République portugaise n'aurait dès lors pas manqué à son obligation de transposer l'article 8 de cette directive.
  94. Appréciation de la Cour

  95. Pour les motifs relevés par M. l'avocat général aux points 92 à 95 de ses conclusions, la carte professionnelle ne peut pas être considérée comme une attestation de compétence au sens de l'article 8 de la directive 92/51, lu en combinaison avec l'article 1er, sous c), de celle-ci.
  96. Partant, la condition selon laquelle les membres du personnel de l'opérateur de sécurité privée doivent posséder une carte professionnelle délivrée par les autorités portugaises n'est donc pas contraire à l'article 8 de la directive 92/51.
  97. Dans ces conditions, le sixième grief tiré du défaut de transposition de l'article 8 de la directive 92/51 doit être rejeté.
  98. Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que, en exigeant comme conditions pour que les opérateurs étrangers puissent exercer au Portugal, dans le secteur des services de sécurité privée, des activités de surveillance de personnes et de biens, que ces opérateurs
  99. - aient leur siège ou un établissement permanent sur le territoire portugais;

    - aient la forme d'une personne morale;

    - possèdent un capital social minimal;

    - obtiennent une autorisation délivrée par les autorités portugaises, sans qu'il soit tenu compte des justifications ni des garanties déjà présentées dans l'État membre d'origine, et que

    - les membres de leur personnel possèdent une carte professionnelle émise par lesdites autorités, sans qu'il soit tenu compte des contrôles ni des vérifications déjà effectués dans l'État membre d'origine,

    la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 39 CE, 43 CE et 49 CE.


    Sur les dépens

  100. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procᄅdure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise et celle-ci ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
  101. Par ces motifs,

    LA COUR (cinquième chambre)

    déclare et arrête:

    1) En exigeant comme conditions pour que les opérateurs étrangers puissent exercer au Portugal, dans le secteur des services de sécurité privée, des activités de surveillance de personnes et de biens, que ces opérateurs

    aient leur siège ou un établissement permanent sur le territoire portugais;

    aient la forme d'une personne morale;

    possèdent un capital social minimal;

    obtiennent une autorisation délivrée par les autorités portugaises, sans qu'il soit tenu compte des justifications ni des garanties déjà présentées dans l'État membre d'origine, et que

    les membres de leur personnel possèdent une carte professionnelle émise par lesdites autorités, sans qu'il soit tenu compte des contrôles ni des vérifications déjà effectués dans l'État membre d'origine,

    la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 39 CE, 43 CE et 49 CE.

    2) Le recours est rejeté pour le surplus.

    3) La République portugaise est condamnée aux dépens.

    Jann

    Rosas

    von Bahr

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 avril 2004.

    Le greffier

    Le président

    R. Grass

    V. Skouris


    1 - Langue de procédure: le portugais.


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