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    Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


    You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Yoldas v Turkey - 27503/04 French Text [2010] ECHR 1620 (23 February 2010)
    URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2010/1620.html
    Cite as: [2010] ECHR 1620

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    DEUXIÈME SECTION







    AFFAIRE YOLDAŞ c. TURQUIE


    (Requête no 27503/04)









    ARRÊT




    STRASBOURG


    23 février 2010


    DÉFINITIF


    23/05/2010


    Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

    En l'affaire Yoldaş c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

    Françoise Tulkens, présidente,
    Ireneu Cabral Barreto,
    Vladimiro Zagrebelsky,
    Danutė Jočienė,
    Dragoljub Popović,
    Nona Tsotsoria,
    Işıl Karakaş, juges,
    et de Sally Dollé, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 janvier 2010,

    Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

  1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 27503/04) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mehmet Yoldaş (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 juin 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
  2. Le requérant est représenté par Me Y. İmrek, avocat à Malatya. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.
  3. Le 21 juin 2007, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
  4. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

  5. Le requérant est né en 1974 et réside à Elbistan.
  6. Le 18 décembre 2003 à 16 heures, le requérant fut remis par les forces de l'ordre syriennes, qui avaient procédé à son arrestation, au commandement de la gendarmerie de Hatay. Il était accusé d'appartenir au PKK/KONGRA-GEL, une organisation illégale.
  7. Le 20 décembre 2003 à 8 h 15, après avoir lu les charges retenues à son encontre et lui avoir rappelé son droit d'être assisté par un avocat de son choix ou commis d'office, le commandement de la gendarmerie fit signer au requérant le formulaire relatif aux droits des accusés et personnes soupçonnées. Une copie de ce formulaire signé de sa main fut remise au requérant.
  8. Le même jour, les policiers dressèrent également un procès-verbal aux termes duquel le requérant avait été remis en bonne santé au commandement de la gendarmerie de Tunceli. A 20 h 20 fut dressé un nouveau procès-verbal aux termes duquel le requérant avait été conduit au commandement de la gendarmerie de Tunceli, où il fut placé en garde à vue. On lui demanda s'il souhaitait que sa famille fût informée mais il déclara souhaiter qu'on ne la contacte qu'après sa comparution devant le tribunal. Le procès-verbal en question porte la mention manuscrite de cette demande par le requérant ainsi que sa signature.
  9. Le registre des gardes à vue indique que le rapport médical du 20 décembre 2003 précisait l'absence de trace de violence et de coups sur le corps du requérant.
  10. Le 22 décembre 2003, le commandement de la gendarmerie de Tunceli saisit le procureur de la République de cette même ville d'une demande de prolongation de la garde à vue du requérant afin de pouvoir procéder à des opérations de transport sur les lieux, auxquelles le requérant aurait déclaré vouloir participer.
  11. Le même jour, le procureur de la République fit droit à cette demande et prolongea la garde à vue litigieuse jusqu'à l'expiration du délai légal de quatre jours de garde à vue, soit jusqu'au 24 décembre 2003.
  12. Le 24 décembre 2003, fut dressé le procès-verbal de déposition du requérant. Aux termes de ce document, les droits du requérant à garder le silence, à ce que ses proches soient informés, au bénéfice de l'assistance d'un avocat et à saisir un juge pour s'opposer à son arrestation et à sa garde à vue lui furent rappelés. L'intéressé déclara se repentir et vouloir bénéficier de la loi no 4959 du 29 juillet 2003 concernant la réintégration dans la société. Il signa de sa main le procès-verbal ainsi établi.
  13. Toujours le 24 décembre, le commandement de la gendarmerie établit un procès-verbal aux termes duquel, le jour même à 10 heures, le père du requérant avait été appelé à son domicile et informé du fait que son fils se trouvait en garde à vue.
  14. Au cours de la même journée, le requérant fut déféré devant le procureur de la République de Tunceli, lequel lui rappela ses droits tels qu'énoncés à l'article 135 du code de procédure pénale. Le requérant déclara avoir compris ses droits et ne pas vouloir être assisté par un avocat ni que sa famille soit informée de sa situation. Il confirma sa déposition de garde à vue, reconnut appartenir à l'organisation en cause et avoir participé à des activités en son sein, parmi lesquelles des attaques armées. Il déclara vouloir bénéficier de la loi sur le repentir. Il signa la déposition.
  15. Toujours le 24 décembre 2003, le requérant fut entendu par le juge près le tribunal correctionnel de Tunceli, lequel prononça son placement en détention provisoire. Le juge rappela au requérant son droit d'être assisté par un avocat. Le requérant déclara avoir compris ses droits mais ne pas souhaiter être assisté et déposa seul. Il réitéra ses précédentes dépositions et signa sa déposition.
  16. Le 26 décembre 2003, il adressa une requête au directeur de la prison de Tunceli demandant à bénéficier de la loi sur le repentir.
  17. Le 8 janvier 2004, le procureur de la République près la cour de sûreté de l'État de Malatya inculpa le requérant pour appartenance au PKK et requit sa condamnation en vertu de l'article 125 du code pénal.
  18. Aux audiences des 10 février et 2 mars 2004 tenues devant la cour de sûreté de l'État de Malatya, le requérant déclara à la cour que sa famille allait engager un avocat pour sa défense.
  19. A l'audience du 27 avril 2004, le requérant fut représenté par un avocat de son choix. Il réitéra ses précédentes déclarations.
  20. Au cours de l'audience du 27 mai 2004 devant la cour de sûreté de Malatya, le requérant présenta sa défense. A cette occasion, il reconnut appartenir à l'organisation litigieuse et avoir participé à des activités en son sein, mais nia toute implication dans des attaques armées. Il nia ainsi le contenu de ses déclarations – à savoir dix infractions – faites lors de sa garde à vue, puis devant le procureur et le juge assesseur, et soutint avoir été contraint, par suite de mauvais traitements et de menaces, de reconnaître des faits auxquels il n'avait pas pris part. Il soutint en outre s'être vu refuser l'assistance d'un avocat de même que l'information de sa famille.
  21. Le 6 juillet 2004, à la suite de la dissolution des cours de sûreté de l'État, la cour d'assises de Malatya fut chargée de juger le requérant.
  22. Par un arrêt du 27 avril 2006, après avoir constaté que le requérant avait nié avoir participé aux dix infractions qu'il avait reconnues dans sa déposition durant la garde à vue, la cours d'assises procéda à sa propre appréciation des faits. En se fondant, notamment, sur les dépositions du requérant et des témoins ainsi que sur les autres éléments de preuves réunis, la cours d'assises constata l'absence d'éléments de preuves pour six de ces dix infractions. Elle exclut du dossier ces six infractions. Puis, elle reconnut le requérant coupable des autres faits reprochés et le condamna une peine d'emprisonnement à perpétuité.
  23. Par un arrêt du 13 novembre 2006, la Cour de cassation confirma l'arrêt de la cour d'assises du 27 avril 2006.
  24. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    23.  S'agissant de l'article 4 de la loi no 4229, entrée en vigueur le 12 mars 1997, la Cour renvoie à l'aperçu du droit interne dans les affaires Bora et autres c. Turquie (no 39081/97, § 10, 10 janvier 2006) et Öcalan c. Turquie ([GC], no 46221/99, § 55, CEDH 2005-IV).

  25. Le 15 juillet 2003, fut adoptée la loi no 4928, qui abrogeait la restriction mise au droit pour un accusé de se faire assister par un avocat dans les procédures devant les cours de sûreté de l'État.
  26. Le 1er juillet 2005, un nouveau code de procédure pénale est entré en vigueur. D'après ses dispositions pertinentes en l'espèce (les articles 149 et 150), toute personne détenue a droit à l'assistance d'un avocat dès son placement en garde à vue. La désignation d'un avocat est obligatoire si la personne concernée est mineure ou si elle est accusée d'une infraction punissable d'une peine maximale d'au moins cinq ans d'emprisonnement.
  27. Enfin, l'article 10 de la loi sur la prévention du terrorisme (loi no 3713) tel qu'amendé le 29 juin 2006 prévoit que, pour les infractions liées au terrorisme, le droit d'accès à un avocat peut être différé de vingt quatre heures sur l'ordre d'un procureur. En revanche, l'accusé ne peut être interrogé pendant cette période.
  28. Il ressort des principes jurisprudentiels du droit pénal turc que l'interrogatoire d'un suspect est un moyen de défense devant profiter à ce dernier, et non une mesure destinée à obtenir des preuves à charge. Si les déclarations qui en sont issues peuvent entrer en ligne de compte dans l'appréciation par le juge de la réalité factuelle concernant une affaire, elles doivent néanmoins être faites de plein gré, étant entendu que toute déclaration extorquée par le recours à des pressions ou à la force n'a aucune valeur probante. Pour qu'un procès-verbal d'interrogatoire contenant des aveux faits à la police ou au parquet puisse constituer une preuve à charge, il est impératif que ceux-ci soient réitérés devant le juge. Sinon, la lecture lors de l'audience de pareils procès-verbaux à titre de preuve est prohibée et, dès lors, on ne saurait y puiser un motif pour fonder une condamnation. Cela dit, même un aveu réitéré à l'audience ne saurait passer, à lui seul, pour un élément de preuve déterminant : il faut qu'il soit étayé par des éléments de preuve complémentaires (Kolu c. Turquie, no 35811/97, § 44, 2 août 2005).
  29. La loi no 4959 du 29 juillet 2003 relative à la réintégration dans la société des personnes ayant adhérées à une organisation terroriste (topluma kazandırma yasası) prévoit, en particulier, le sursis à exécution de la peine prononcée contre les personnes souhaitant bénéficier de cette loi.
  30. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

  31. Le requérant allègue avoir subi des mauvais traitements lors de sa garde à vue. Il invoque l'article 3 de la Convention, ainsi libellé :
  32. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

  33. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse. Il soutient que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes dans la mesure où il n'a pas déposé de plainte devant le parquet au sujet de ses allégations de mauvais traitements.
  34. Le requérant conteste l'exception du Gouvernement et soutient qu'il en avait informé la cour d'assises qui a entendu sa cause.
  35. La Cour n'estime pas nécessaire de se prononcer sur l'exception du Gouvernement dans la mesure où elle décide de rejeter ce grief pour les motifs indiqués ci-dessous.
  36. La Cour constate que le requérant se contente d'alléguer qu'il aurait subi des mauvais traitements lors de sa garde à vue et avoir fait l'objet de pressions psychologiques. Or, il ressort des éléments du dossier et des informations données par les parties, que le requérant ne présente aucun élément probant pouvant étayer ses allégations. Par ailleurs, le registre des gardes à vue indique l'absence de trace de violence et de coups sur le corps du requérant (paragraphe 7 ci-dessus). La Cour constate ainsi l'absence d'élément de nature à rendre crédible les allégations du requérant. Partant, à la lumière des pièces du dossier, la Cour conclut que le requérant n'a pas subi de la part des policiers des traitements pouvant constituer une méconnaissance de l'article 3 de la Convention.
  37. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  38. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

  39. Le requérant dénonce la durée de sa garde à vue. Il invoque l'article 5 de la Convention. La Cour décide d'examiner ce grief sous l'angle de l'article 5 § 3 ainsi libellé dans sa partie pertinente :
  40. « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (...) »

  41. Le Gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que, conformément à l'article 4 de la loi no 4229, le requérant pouvait contester devant le tribunal d'instance la légalité de sa garde à vue ou de toute ordonnance du parquet en prorogeant la durée. Or, le requérant n'aurait pas exercé cette voie.
  42. Le requérant conteste cette exception et réitère son allégation.
  43. La Cour rappelle qu'elle s'est déjà prononcée sur une telle exception et qu'elle l'a rejetée (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 70, CEDH 2005 IV, Bora et autres c. Turquie, no 39081/97, § 21, 10 janvier 2006 et Atmaca et autres c. Turquie, nos 28299/02, 28300/02 et 28301/02, § 31, 24 juin 2008). En l'espèce, elle ne relève aucune circonstance pouvant l'amener à s'écarter de sa précédente conclusion. Partant, elle rejette l'exception du Gouvernement.
  44. La Cour constate ensuite que ce grief n'est pas manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  45. S'agissant du bien-fondé du grief, le Gouvernement explique que les infractions relevant de la lutte contre le terrorisme nécessitent une instruction préliminaire plus longue en raison de la difficulté de réunir les preuves.
  46. Le requérant réitère son allégation.
  47. La Cour constate que la garde à vue du requérant a débuté le 18 décembre 2003, date de sa remise par les forces de l'ordre syriennes au commandement de la gendarmerie de Hatay. Elle s'est terminée le 24 décembre 2003, date de son placement en détention. La garde à vue a donc duré 6 jours.
  48. La Cour rappelle que, dans l'affaire Brogan et autres c. Royaume Uni (29 novembre 1988, § 62, série A no 145 B), elle a jugé qu'une période de garde à vue de quatre jours et six heures sans contrôle judiciaire allait au-delà des strictes limites de temps fixées par l'article 5 § 3, même quand elle a pour but de prémunir la collectivité dans son ensemble contre le terrorisme (Sar et autres c. Turquie, no 74347/01, § 30, 5 décembre 2006).
  49. La Cour ne saurait donc admettre qu'il ait été nécessaire de détenir le requérant pendant six jours avant de le « traduire devant un juge ».
  50. Partant, il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
  51. III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 c) DE LA CONVENTION

  52. Le requérant se plaint du fait qu'il n'a bénéficié de l'assistance d'un avocat pendant sa garde à vue. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention aux termes duquel :
  53. « 3.  Tout accusé a droit notamment à :

    (...)

    c)  se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent. »

  54. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  55. Le Gouvernement conteste la thèse du requérant. En se référant aux faits, il soutient que dès que le requérant a été remis au commandement de la gendarmerie de Hatay et avant qu'il ne dépose, devant la gendarmerie et le procureur, il a été informé des charges retenues à son encontre ainsi que de ses droits. Il lui a été rappelé qu'il pouvait se faire assister par un avocat de son choix ou commis d'office et faire informer sa famille. Le Gouvernement explique que le requérant a déclaré avoir compris ses droits et ne pas vouloir être assisté par un avocat. Enfin, il précise que devant la cour de sûreté de l'État puis la cour d'assises et la Cour de cassation, le requérant était assisté par un avocat.
  56. La Cour se réfère à sa jurisprudence bien établie selon laquelle le droit énoncé au paragraphe 3 c) de l'article 6 constitue un élément parmi d'autres de la notion de procès équitable en matière pénale contenue au paragraphe 1 (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50-54, 27 novembre 2008). A cet égard, elle rappelle que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif », il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6. Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation (Salduz, précité, § 55).
  57. Toutefois, à la différence de l'affaire Salduz, la Cour note que dans la présente affaire l'absence d'avocat lors de la garde à vue de l'intéressé n'était pas le résultat d'une application sur une base systématique des dispositions légales pertinentes. En effet, dans l'affaire Salduz, la restriction imposée au droit d'accès à un avocat relevait d'une politique systématique et était appliquée à toute personne placée en garde à vue en relation avec une infraction relevant de la compétence des cours de sûreté de l'État. Or, en l'espèce, le 15 juillet 2003 a été adoptée la loi no 4928, qui abrogeait la restriction mise au droit pour un accusé de se faire assister par un avocat dans les procédures suivies devant les cours de sûreté de l'État (paragraphes 24 à 26 ci-dessus). En l'espèce, l'intéressé avait en principe le droit de demander l'assistance d'un avocat.
  58. A cet égard, la Cour rappelle que ni la lettre ni l'esprit de l'article 6 de la Convention n'empêchent une personne de renoncer de son plein gré, que ce soit de manière expresse ou tacite, aux garanties d'un procès équitable (Kwiatkowska c. Italie (déc.), no 52868/99, 30 novembre 2000, et Ananyev c. Russie, no 20292/04, § 38, 30 juillet 2009). Toutefois, pour être effective aux fins de la Convention, la renonciation au droit de prendre part au procès doit se trouver établie de manière non équivoque et être entourée d'un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Salduz précité § 59).
  59. Dans les circonstances particulières de la présente affaire, la Cour note que le droit du requérant d'être assisté par un avocat lui a été rappelé pendant sa garde à vue. A cet égard, la police a établi un procès-verbal faisant état de ses droits pendant la garde à vue, en particulier, celui de se faire assister par un avocat (paragraphe 6 ci-dessus). Après lecture du procès-verbal, un exemplaire signé par le requérant lui a été remis. En outre, la police a également rappelé à l'intéressé qu'il avait le droit de voir sa famille. Le requérant a déclaré qu'il souhaitait prendre contact avec sa famille après sa comparution devant le tribunal compétent (paragraphe 7 ci dessus). Partant, alors qu'il avait droit à l'assistance d'un avocat pendant sa garde à vue et bien que ce droit lui ait été rappelé, le requérant a refusé de se faire assister par un avocat. Il ressort d'ailleurs clairement de ses dépositions obtenues lors de la garde à vue que le choix de l'intéressé de renoncer à son droit d'être assisté par un avocat doit être considéré comme libre et volontaire. Partant, la renonciation du requérant à ce droit était non équivoque et entourée d'un minimum de garantie (a contrario, Padalov c. Bulgarie, no 54784/00, § 54, 10 août 2006).
  60. Par ailleurs, force est de constater que le requérant a déposé dans le même sens sans contester les faits qui lui étaient reprochés ni le contenu de ses dépositions devant le juge et le procureur de la République. Il est vrai que, devant la cour d'assises, le requérant a nié certaines infractions qui lui étaient reprochées. Cela étant, dans son arrêt du 27 avril 2006, la cour d'assises a tenu compte de ce changement d'attitude du requérant. Après avoir fait sa propre appréciation des faits et à la lumière des éléments de preuve contenus dans le dossier, elle a exclu six infractions du dossier de l'affaire au motif qu'elles n'étaient fondées que sur la déposition du requérant et n'étaient étayées par aucun autre élément de preuve (paragraphe 27 ci-dessus). En conséquence, la cour d'assises a condamné le requérant en se fondant sur les autres chefs d'accusation, corroborés et étayés par des éléments de preuve (paragraphe 21 ci-dessus). Partant, la Cour considère que les juges du fond ont sauvegardé scrupuleusement les droits de défense du requérant et aucun élément de la procédure ne permet de suspecter que la renonciation du requérant à l'assistance d'un avocat pendant sa garde à vue n'était pas libre et sans équivoque (a contrario, Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 73, CEDH 2004 IV)
  61. Dans ces conditions, à la lumière des éléments en sa possession et des observations des parties, un examen global de la procédure amène la Cour à conclure que le requérant ne s'est pas vu privé d'un procès équitable au sens du paragraphe 1 combiné avec le paragraphe 3 c) de l'article 6 de la Convention.
  62. Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.
  63. IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

  64. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
  65. « Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

  66. Le requérant réclame 5 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 10 000 pour le préjudice moral qu'il aurait subi.
  67. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
  68. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, eu égard au constat de violation de l'article 5 § 3 de la Convention (paragraphe 45 ci-dessus), elle considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 1 000 EUR au titre du préjudice moral.
  69. Le requérant demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il présente un décompte horaire fondé sur le tarif du barreau de Malatya.
  70. Le Gouvernement conteste en soutenant que la prétention n'est aucunement justifiée.
  71. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l'accorde au requérant.
  72. PAR CES MOTIFS, LA COUR,

  73. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable quant au grief tiré des articles 5 § 3 et 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

  74. Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention à raison de la durée de la garde à vue ;

  75. 3. Dit, par quatre voix contre trois, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention à raison de l'absence d'un avocat pendant la garde à vue ;


    4.  Dit, à l'unanimité,

    a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

    i.  1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt  pour dommage moral;

    ii.  1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

    5.  Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 février 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.


    Sally Dollé Françoise Tulkens
    Greffière Présidente

    Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée des juges Tulkens, Zagrebelsky et Popović.

    F.T.
    S.D.

    OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DES JUGES TULKENS, ZAGREBELSKY ET POPOVIĆ

    Avec regret nous n'avons pas pu partager l'avis de la majorité qui a conclu qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention à raison de l'absence d'un avocat pendant la garde à vue.

    L'arrêt, au paragraphe 52, affirme que « ni la lettre ni l'esprit de l'article 6 de la Convention n'empêchent une personne de renoncer de son plein gré, que ce soit de manière expresse ou tacite, aux garanties d'un procès équitable ». Toutefois « pour être effective aux fins de la Convention, la renonciation au droit de prendre part au procès doit se trouver établie de manière non équivoque et être entourée d'un minimum de garanties correspondant à sa gravité ». A l'appui de la première affirmation l'arrêt cite la décision d'irrecevabilité dans l'affaire Kwiatkowska c. Italie et de la seconde le paragraphe 59 de l'arrêt de la Grande Chambre dans l'affaire Salduz c. Turquie.

    A notre avis, en l'espèce, les assurances demandées par la majorité de la Chambre pour que la renonciation aux garanties du procès équitable soit acceptable n'étaient pas réunies. Nous arrivons à cette conclusion sur la base d'un examen individualisé des circonstances entourant la prétendue renonciation1. L'extrême gravité des faits reprochés au requérant, qui lui ont valu d'être condamné à la peine d'emprisonnement à perpétuité, et la nature sensible des accusations, liées en l'occurrence au terrorisme, devraient mener la Cour à un examen rigoureux des conditions dans lesquelles l'intéressé aurait renoncé à l'assistance d'un avocat (et aurait refusé que sa famille soit informée de son arrestation). Or, en l'espèce, le requérant était seul, détenu dans un poste de police après avoir été livré à la police turque par la police syrienne, et se trouvait accusé de crimes très graves. Devant les enquêteurs de la police puis devant le procureur et le juge de l'enquête il a renoncé à l'assistance d'un avocat, avoué sa participation à une organisation illégale et à des attaques armées et demandé à bénéficier de la loi sur le repentir. Mais devant la cour d'assises il a nié le contenu de ses précédentes déclarations, notamment celles concernant sa participation à des attaques armées, et soutenu qu'on lui avait refusé l'assistance d'un avocat et l'information de sa famille. C'est donc le requérant lui-même qui nie que la renonciation qu'on lui prête ait été libre et réelle. Les conditions de détention du requérant, jointes à la gravité et la nature des accusations, nous apparaissent justifier la plus grande défiance quant à la possibilité même d'un choix libre et volontaire de renoncer à une garantie importante comme celle qui assure l'assistance d'un avocat. Nous pensons que la majorité a trop facilement admis que le requérant avait de son plein gré renoncé à la garantie de l'assistance d'un avocat. Cela sur le plan des faits de la présente affaire.

    Mais de surcroît, à notre avis, il faut se poser la question de savoir si une personne privée de sa liberté, se trouvant en situation de garde à vue ou de détention provisoire, peut renoncer à ladite garantie, sans que cela entache d'iniquité la procédure pénale dans son ensemble1. La décision dans l'affaire Kwiatkowska c. Italie, citée au paragraphe 51 de l'arrêt, concernait la demande de la requérante d'être jugée selon la procédure abrégée, sur la base des éléments recueillis durant l'enquête. La procédure abrégée implique un affaiblissement des garanties de procédure offertes par le droit interne, notamment en ce qui concerne la publicité des débats, la possibilité de demander la production d'éléments de preuve et d'obtenir la convocation de témoins. La requérante était pleinement informée du contenu du dossier de l'enquête et des conséquences procédurales du choix qu'elle faisait, assistée par son avocat. Et dans l'affaire Salduz, il s'agissait du droit de garder le silence.

    A nos yeux ce serait aller trop loin que de tirer de la décision Kwiatkowska ou de l'arrêt Salduz la possibilité de renoncer à toutes les garanties prévues par l'article 6 dans tous les cas et en toutes circonstances. L'assistance de l'avocat est nécessaire pour permette à l'accusé détenu d'obtenir l'assistance découlant de la vaste gamme d'activités qui sont propres au conseil : la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse, le contrôle des conditions de détention, etc. Tout choix procédural que l'accusé détenu peut faire sans que son avocat puisse l'informer et le conseiller ne peut pas être libre et éclairé.

    Nous arrivons à la conclusion que pendant la garde à vue et la détention provisoire l'équité de la procédure impose que l'accusé soit assisté par un avocat qui puisse avoir accès au détenu.


    1.  Cf. O. De Schutter et J. Ringelheim, « La renonciation aux droits fondamentaux », dans La responsabilité. Face cachée des droits de l’homme, sous la direction de H. Dumont, F. Ost et S. Van Drooghenbroeck, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 441 et suiv.

    1.  Voy. Ph. Frumer, La renonciation aux droits et libertés. La Convention européenne des droits de l’homme à l’épreuve de la volonté individuelle, Bruxelles, Bruylant, 2001, pp. 185 et suiv.


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