BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you
consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it
will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free
access to the law.
Thank you very much for your support!
[New search]
[Contents list]
[Printable RTF version]
[Help]
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE BRUSCO c. FRANCE
(Requête no 1466/07)
ARRÊT
STRASBOURG
14 octobre 2010
Cet
arrêt deviendra définitif dans les conditions définies
à l’article 44 § 2 de la Convention. Il
peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Brusco c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième
section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen,
président,
Jean-Paul Costa,
Karel
Jungwiert,
Rait Maruste,
Mark
Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Zdravka
Kalaydjieva, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière
de section,
Après en avoir délibéré en chambre du
conseil le 21 septembre 2010,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
- A l’origine de l’affaire se trouve une
requête (no 1466/07) dirigée contre la
République française et dont un ressortissant de cet
Etat, M. Claude Brusco (« le requérant »),
a saisi la Cour le 27 décembre 2006 en vertu de l’article
34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (« la Convention »).
- Le requérant est représenté par Me
P. Spinosi, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de
cassation. Le gouvernement français (« le
Gouvernement ») est représenté par son
agent, Mme E.
Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des
Affaires étrangères.
- Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la
Convention, le requérant estimait que l’obligation de
prêter serment pour une personne placée en garde à
vue portait nécessairement atteinte à son droit au
silence et son droit de ne pas participer à sa propre
incrimination. Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la
Convention, il soutenait que par sa décision du 27 juin 2006,
la Cour de cassation ne pouvait, sans porter une atteinte
disproportionnée au droit d’accès à un
juge, lui opposer le nouvel article 153 du code de procédure
pénale résultant de la réforme du 9 mars 2004,
pour le priver du droit de faire juger de la nullité de sa
garde à vue. Le requérant dénonçait
également l’insuffisance de motivation de la décision
de la cour d’appel qui, selon lui, s’est contentée
d’adopter les motifs des premiers juges. Enfin, invoquant
l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant
dénonçait le caractère excessif de la durée
de la détention provisoire.
- Le 24 mars 2009, le président de
la cinquième section a décidé de
communiquer le grief tiré du non-respect du
droit de ne pas participer à sa propre incrimination et de
garder le silence au Gouvernement. Comme le permet l’article 29
§ 1 de la Convention, il a en outre été décidé
que la
chambre se
prononcerait en même temps sur la recevabilité et le
fond.
- Le 29 septembre 2009, le requérant a demandé
à la Cour de tenir une audience pour que les parties soient
entendues sur déroulement de la garde à vue en France.
La Cour a décidé de ne pas faire droit à cette
demande.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
- Le requérant est né en 1952 et réside
à Hyères.
- Les faits de la cause, tels qu’ils ont été
exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
- Le 17 décembre 1998, B.M. fut agressé par
deux individus cagoulés dans le garage souterrain de son
immeuble à Paris. Il déposa plainte contre son épouse
et le requérant qui auraient entretenu, selon lui, une
relation intime.
- Le 28 décembre 1998, le requérant fut
convoqué par les services de police pour une audition au sujet
de cette plainte.
- Le 19 avril 1999, un juge d’instruction près
le tribunal de grande instance de Paris délivra une commission
rogatoire aux services de police afin de procéder, notamment,
à toutes auditions de nature à permettre d’identifier
les auteurs ou complices de faits de tentative d’assassinat qui
auraient été commis sur la personne de B.M. le 17
décembre 1998.
- J.P.G., soupçonné d’avoir été
impliqué dans l’agression de B.M., fut placé en
garde à vue le 2 juin 1999 dans le cadre de cette commission
rogatoire. Lors de son interrogatoire, il mit le requérant en
cause.
- Le 3 juin 1999, le juge d’instruction mit en
examen J.P.G. et E.L., également soupçonné
d’avoir participé à l’agression de B.M., du
chef de tentative d’assassinat et délivra, dans le cadre
de cette information judiciaire, une commission rogatoire aux
services de police afin de procéder à toutes les
auditions, perquisitions, saisies, réquisitions et
investigations utiles à la manifestation de la vérité.
- Le 7 juin 1999, les policiers interpellèrent le
requérant et le placèrent en garde à vue à
17 h 50, en exécution de la commission rogatoire du juge
d’instruction.
- Le 8 juin 1999, à 10 h 30, les officiers de
police judiciaire interrogèrent le requérant, après
qu’il eut prêté le serment prévu par
l’article 153 du code de procédure pénale. Lors
de sa première déposition qui se déroula de 10 h
30 à 10 h 50, puis de 11 h 10 à 13 h 50, il déclara
notamment ce qui suit :
« (...) ‘Je prête serment de dire
toute la vérité, rien que la vérité.’
(...)
SUR LES FAITS
‘Je suis prêt à vous expliquer ma
participation dans cette malheureuse affaire.’ (...)
‘Pour moi c’est à notre second
entretien qu’il m’a dit qu’il pouvait faire quelque
chose afin d’arranger les affaires qui me tenaient à
cœur. C’est au cours de cette conversation qu’il
m’a dit qu’il connaissait du monde capable de lui faire
peur, pour moi cela voulait dire que les gens allaient lui dire
d’arrêter de toucher à la petite et de laisser
tranquille S. (...) J’étais d’accord avec l’idée
de lui faire peur mais aucun moment je n’ai donné
l’ordre de corriger [B.M] et encore moins d’attenter à
ses jours. ‘
QUESTION :
‘Concernant les renseignements sur [B.M.] comment
les avez-vous confié et à qui ?’
REPONSE :
‘J’ai donné à J.P. le numéro
de téléphone de domicile à [B.M.], son adresse
et une photographie (...) J’ai dû lui dire aussi qu’il
avait une RENAULT 11 grise c’est tout. (...) Après lui
avoir confié l’argent j’ai dû l’appeler
une fois ou deux pour savoir où ça en était.
(...) Il m’a contacté le jour des faits pour me dire que
tout était ‘OK’ et qu’il lui fallait le
solde de l’argent. On s’est vu 48 heures après
(...) et après lui avoir remis l’argent (...) je lui ai
demandé des détails pour savoir comment cela s’était
passé (...) Il a dit qu’il avait reçu des coups
sur la tête, je lui ai dit qu’il n’avait jamais été
question de cela. J’étais atterré.’
QUESTION :
‘Pourquoi avoir payé 100.000 francs s’il
s’agissait juste de lui faire peur sans attenter à son
intégrité physique ?’
REPONSE :
‘J’ai payé cette somme importante car
pour moi il fallait payer des gens qui allaient lui faire peur (...),
et il fallait qu’il fasse attention et qu’il ait peur.
Qu’il nous foute la paix à S. et à sa fille. La
dernière fois que j’ai vu J.P. c’était
(...) peut-être deux mois après et je lui ai dit que je
n’étais pas content du tout que tout cela n’était
pas prévu. Car entre temps j’avais appris les
conséquences de l’agression. Je n’ai jamais
demandé à J.P. de faire frapper [B.M] de la sorte.’ »
- Le même jour, de 14 h 10 à 14 h 40, le
requérant rencontra son conseil.
- Sa garde à vue fut ensuite prolongée par
le juge d’instruction.
- A la suite de sa garde à vue, le requérant
fut mis en examen du chef de complicité de tentative
d’assassinat, et placé en détention provisoire le
9 juin 1999.
- Le requérant saisit la chambre de l’instruction
de la cour d’appel de Paris d’une requête en
annulation des procès-verbaux des auditions de la garde à
vue, ainsi que de l’ensemble des actes subséquents.
- Par un arrêt du 28 juin 2001, la chambre de
l’instruction rejeta sa requête. Elle considéra
notamment que les services de police ne disposaient, le 9 juin 1999,
d’aucun élément permettant d’affirmer que
le requérant, mis en cause par la victime comme commanditaire
de son agression, avait réellement voulu les violences
finalement exercées. Elle ajouta également qu’en
l’absence d’indices graves et concordants impliquant sa
mise en examen, le requérant, que seules les nécessités
de l’enquête autorisaient à placer en garde à
vue et à entendre en qualité de témoin, était
tenu à ce titre de prêter le serment prévu par
l’article 153 du code de procédure pénale. Le
requérant se pourvut en cassation.
- Par une ordonnance du 8 août 2001, le président
de la chambre criminelle de la Cour de cassation dit n’y avoir
lieu à déclarer ce pourvoi immédiatement
recevable.
- Le 8 décembre 2001, le requérant
bénéficia d’une remise en liberté assortie
d’un contrôle judiciaire.
- Par une ordonnance du juge d’instruction du 1er
mars 2002, le requérant fut renvoyé devant le tribunal
correctionnel de Paris pour avoir, le 17 décembre 1998,
au préjudice de B.M., « été complice
du délit de violences volontaires ayant entraîné
une incapacité totale de travail supérieure à
huit jours, commises en réunion, avec préméditation
et avec usage d’une arme par L.E. et F.G., en donnant des
instructions pour commettre l’infraction, en l’espèce
en leur demandant de donner une correction et de mettre la pression
sur un homme dont il fournissait les éléments
d’identification ».
- Par un jugement du 31 octobre 2002, le tribunal
correctionnel de Paris déclara irrecevables les exceptions de
nullité de procédure soulevées par le requérant,
dont celle qui concernait son audition faite sous serment. Après
avoir notamment relevé les aveux partiels du requérant
au cours de l’instruction, le tribunal le déclara
coupable des faits reprochés et le condamna notamment à
la peine de cinq ans d’emprisonnement, dont un an avec
sursis. Le requérant interjeta appel du jugement.
- A l’audience devant la cour d’appel, le
requérant souleva notamment, par voie de conclusions déposées
in limine litis, la nullité de la procédure en
raison de l’illégalité de la prestation de
serment ayant précédé ses déclarations.
- Par un arrêt du 26 octobre 2004, la cour d’appel
de Paris confirma le jugement en toutes ses dispositions en faisant
sienne la motivation du juge de première instance.
- Le requérant se pourvut en cassation contre les
arrêts des 28 juin 2001 et 26 octobre 2004.
- Par un arrêt du 27 juin 2006, la Cour de
cassation rejeta ses pourvois. Concernant le pourvoi formé
contre le premier arrêt, elle considéra notamment qu’il
résultait des dispositions combinées des articles 105,
153 et 154 du code de procédure pénale qu’une
personne placée en garde à vue sur commission rogatoire
pouvait être entendue par l’officier de police judiciaire
après avoir prêté le serment prévu par la
loi, dès lors qu’il n’existait pas à son
encontre des indices graves et concordants d’avoir participé
aux faits dont le juge d’instruction était saisi. Tout
en remarquant que l’article 104 de la loi du 9 mars 2004,
modifiant l’article 153 du code de procédure pénale,
avait supprimé l’obligation pour la personne gardée
à vue dans le cadre d’une commission rogatoire de prêter
serment et de déposer, elle releva que cette disposition
n’était pas applicable aux actes régulièrement
accomplis antérieurement à son entrée en vigueur
et qu’elle prévoyait également que le fait
d’avoir été entendu sous serment ne constituait
pas une cause de nullité de la procédure. Quant au
pourvoi formé contre le second arrêt et mettant en cause
sa motivation, la Cour de cassation le rejeta.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
- Les articles du code de procédure pénale
applicables au moment des faits sont les suivants :
Article 63-1
« Toute personne placée en garde à
vue est immédiatement informée par un officier de
police judiciaire, ou, sous le contrôle de celui-ci, par un
agent de police judiciaire, des droits mentionnés aux articles
63-2, 63-3 et 63-4 ainsi que des dispositions relatives à la
durée de la garde à vue prévues par l’article
63.
Mention de cet avis est portée au procès-verbal
et émargée par la personne gardée à vue ;
en cas de refus d’émargement, il en est fait mention.
Les informations mentionnées au premier alinéa
doivent être communiquées à la personne gardée
à vue dans une langue qu’elle comprend. »
Article 63-2
« Toute personne placée en garde à
vue peut, à sa demande, faire prévenir, par téléphone,
une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l’un de
ses parents en ligne directe, l’un de ses frères et
sœurs ou son employeur de la mesure dont elle est l’objet.
Si l’officier de police judiciaire estime, en
raison des nécessités de l’enquête, ne pas
devoir faire droit à cette demande, il en réfère
sans délai au procureur de la République qui décide,
s’il y a lieu, d’y faire droit. »
Article 63-3
« Toute personne placée en garde à
vue peut, à sa demande, être examinée par un
médecin désigné par le procureur de la
République ou l’officier de police judiciaire. En cas de
prolongation, elle peut demander à être examinée
une seconde fois. (...) »
Article 63-4
« Lorsque vingt heures se sont écoulées
depuis le début de la garde à vue, la personne peut
demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est
pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat
choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il
lui en soit commis un d’office par le bâtonnier. (...)
L’avocat désigné peut communiquer
avec la personne gardée à vue dans des conditions qui
garantissent la confidentialité de l’entretien. Il est
informé par l’officier de police judiciaire ou, sous le
contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la
nature de l’infraction recherchée.
A l’issue de l’entretien dont la durée
ne peut excéder trente minutes, l’avocat présente,
le cas échéant, des observations écrites qui
sont jointes à la procédure. (...) »
Article 103
« Les témoins prêtent serment de
dire toute la vérité, rien que la vérité.
Le juge leur demande leurs nom, prénoms, âge, état,
profession, demeure, s’ils sont parents ou alliés des
parties et à quel degré ou s’ils sont à
leur service. Il est fait mention de la demande et de la réponse. »
Article 105
« Les personnes à l’encontre
desquelles il existe des indices graves
et concordants d’avoir participé aux faits dont le juge
d’instruction est saisi ne peuvent être entendues comme
témoins.
Il en est de même des personnes nommément
visées par le réquisitoire du procureur de la
République.
Toutefois, lorsque le juge d’instruction estime ne
pas devoir mettre en examen une personne nommément visée
par le réquisitoire du procureur de la République, il
peut l’entendre comme témoin après lui avoir
donné connaissance de ce réquisitoire. Cette personne
bénéficie des droits reconnus aux personnes mises en
examen. Avis lui en est donné lors de sa première
audition, au cours de laquelle il est fait application des deuxième
à quatrième alinéas de l’article 116. »
Article 153
« Tout témoin cité pour être
entendu au cours de l’exécution d’une commission
rogatoire est tenu de comparaître, de prêter serment et
de déposer.
S’il ne satisfait pas à cette obligation,
avis en est donné au magistrat mandant qui peut le contraindre
à comparaître par la force publique et prendre contre
lui les sanctions prévues à l’article 109,
alinéas 2 et 3.
Lorsqu’il est fait application des dispositions de
l’article 62-1, l’autorisation est donnée par le
juge d’instruction. »
Article 154
« Lorsque l’officier de police
judiciaire est amené, pour les nécessités de
l’exécution de la commission rogatoire, à garder
une personne à sa disposition, il en informe dans les
meilleurs délais le juge d’instruction saisi des faits,
qui contrôle la mesure de garde à vue. Il ne peut
retenir cette personne plus de vingt-quatre heures.
La personne doit être présentée
avant l’expiration du délai de vingt-quatre heures à
ce magistrat ou, si la commission rogatoire est exécutée
dans un autre ressort que celui de son siège, au juge
d’instruction du lieu d’exécution de la mesure. A
l’issue de cette présentation, le juge d’instruction
peut accorder l’autorisation écrite de prolonger la
mesure d’un nouveau délai, sans que celui-ci puisse
excéder vingt-quatre heures. Il peut, à titre
exceptionnel, accorder cette autorisation par décision écrite
et motivée sans présentation préalable de la
personne. (...)
Les dispositions des articles 63-1, 63-2, 63-3, 63-4, 64
et 65 sont applicables aux gardes à vue exécutées
dans le cadre de la présente section. Les pouvoirs conférés
au procureur de la République par les articles 63-2 et 63-3
sont alors exercés par le juge d’instruction. Le
deuxième alinéa de l’article 63 est également
applicable en matière de commission rogatoire. »
- La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de
la justice aux évolutions de la criminalité a modifié
l’article 153 du code de procédure pénale pour y
préciser que l’obligation de prêter
serment et de déposer n’est pas applicable aux personnes
gardées à vue en application des dispositions de
l’article 154 du même code. Le rapport du Sénat
sur le projet de loi (no 441) indiquait que cette
modification tendait à clarifier l’interprétation
qui avait été faite de la Cour de cassation de la
combinaison des articles 105, 153 et 154 du code de procédure
pénale (voir, par exemple, Cass. Crim., 14 mai 2002). Ce
dernier article a également été modifié
par la loi du 4 mars 2002 complétant la loi du 15 juin 2000
renforçant la
protection de la présomption d’innocence et les droits
des victimes. Les articles précités se
lisent comme suit :
Article 153 (modifié par les lois des 15 juin
2000 et 9 mars 2004)
« Tout témoin cité pour être
entendu au cours de l’exécution d’une commission
rogatoire est tenu de comparaître, de prêter serment et
de déposer. Lorsqu’il n’existe aucune raison
plausible de soupçonner qu’il a commis ou tenté
de commettre une infraction, il ne peut être retenu que le
temps strictement nécessaire à son audition.
S’il ne satisfait pas à cette obligation,
avis en est donné au magistrat mandant qui peut le contraindre
à comparaître par la force publique. Le témoin
qui ne comparaît pas encourt l’amende prévue par
l’article 434-15-1 du code pénal.
L’obligation de prêter serment et de déposer
n’est pas applicable aux personnes gardées à vue
en application des dispositions de l’article 154. Le fait que
les personnes gardées à vue aient été
entendues après avoir prêté serment ne constitue
toutefois pas une cause de nullité de la procédure. »
Article 154 (modifié par la loi du 4 mars
2002)
« Lorsque l’officier de police
judiciaire est amené, pour les nécessités de
l’exécution de la commission rogatoire, à garder
à sa disposition une personne à l’encontre de
laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner
qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction,
il en informe dès le début de cette mesure le juge
d’instruction saisi des faits. Ce dernier contrôle la
mesure de garde à vue. L’officier de police judiciaire
ne peut retenir la personne plus de vingt-quatre heures.
La personne doit être présentée
avant l’expiration du délai de vingt-quatre heures à
ce magistrat ou, si la commission rogatoire est exécutée
dans un autre ressort que celui de son siège, au juge
d’instruction du lieu d’exécution de la mesure. A
l’issue de cette présentation, le juge d’instruction
peut accorder l’autorisation écrite de prolonger la
mesure d’un nouveau délai, sans que celui-ci puisse
excéder vingt-quatre heures. Il peut, à titre
exceptionnel, accorder cette autorisation par décision écrite
et motivée sans présentation préalable de la
personne.
Pour l’application du présent article, les
ressorts des tribunaux de grande instance de Paris, Nanterre, Bobigny
et Créteil constituent un seul et même ressort.
Les dispositions des articles 63-1, 63-2, 63-3, 63-4, 64
et 65 sont applicables aux gardes à vue exécutées
dans le cadre de la présente section. Les pouvoirs conférés
au procureur de la République par les articles 63-2 et 63-3
sont alors exercés par le juge d’instruction.
L’information prévue au troisième alinéa
de l’article 63-4 précise que la garde à vue
intervient dans le cadre d’une commission rogatoire. »
- L’article 434-13 du code pénal réprime
le témoignage mensonger fait sous serment devant un officier
de police judiciaire agissant en exécution d’une
commission rogatoire. Cette disposition se lit comme suit :
Article 434-13
« Le témoignage mensonger fait sous
serment devant toute juridiction ou devant un officier de police
judiciaire agissant en exécution d’une commission
rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 F
d’amende.
Toutefois, le faux témoin est exempt de peine
s’il a rétracté spontanément son
témoignage avant la décision mettant fin à la
procédure rendue par la juridiction d’instruction ou par
la juridiction de jugement. »
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE
6 DE LA CONVENTION
- Le requérant allègue plusieurs
violations de l’article 6 de la Convention, dont les
dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...)
qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en
matière pénale dirigée contre elle. (...)
2. Toute personne accusée d’une
infraction est présumée innocente jusqu’à
ce que sa culpabilité ait été légalement
établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
(...)
b) disposer du temps et des facilités
nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir
l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il
n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur,
pouvoir être assisté gratuitement par un avocat
d’office, lorsque les intérêts de la justice
l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins
à charge et obtenir la convocation et l’interrogation
des témoins à décharge dans les mêmes
conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un
interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la
langue employée à l’audience. »
A. Le droit de garder le silence et de ne pas
contribuer à sa propre incrimination du requérant
- Le requérant soutient que l’obligation de
prêter serment pour une personne placée en garde à
vue porte nécessairement atteinte à son droit au
silence et son droit de ne pas participer à sa propre
incrimination.
- Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
Il fait valoir, à titre principal, que l’article 6 §
1 de la Convention n’est pas applicable en l’espèce
et, à titre subsidiaire, qu’il est manifestement mal
fondé.
1. Sur la recevabilité
a) Thèse des parties
i) Le Gouvernement
- Selon le Gouvernement, l’applicabilité de
l’article 6 en matière pénale suppose l’existence
d’une « accusation ». Il fait valoir que
cette notion a un caractère « autonome »
et que l’accusation se définit comme la « notification
officielle, émanant de l’autorité compétente,
du reproche d’avoir accompli une infraction pénale »
et renvoie à l’idée de « répercussions
importantes sur la situation de l’intéressé »
(Deweer c. Belgique, 27 février 1980, §
42, série A no 35, et Serves c. France,
20 octobre 1997, § 42, Recueil des arrêts et
décisions 1997 VI). Il s’agit donc soit de
l’inculpation, soit d’un réquisitoire nominatif
(Bertin-Mourot c. France, no 36343/97, 2 août
2000). Or, selon le Gouvernement, ce n’est pas le cas en
l’espèce : lors de son interpellation par la
police, le requérant ne s’est vu signifier aucun grief ;
il n’était pas nommément visé par la
commission rogatoire du 3 juin 1999 ordonnant aux autorités de
police de prendre toutes les dispositions pour le recueil
d’informations dans cette affaire ; il n’était
pas non plus visé dans le réquisitoire introductif de
1998. A cet égard, le Gouvernement rappelle que le requérant
n’a été placé en garde à vue que
pour être entendu comme témoin et pour les nécessités
de l’exécution de la commission rogatoire. Par
conséquent et contrairement aux affirmations du requérant,
il n’existait, au moment de l’audition du 8 juin, aucun
indice grave et concordant. Les seules raisons pour lesquelles le
requérant a été auditionné à cette
date étaient qu’il avait été cité
par d’autres témoins au cours de leur déposition
conformément à l’article 105 du code de procédure
pénale. En tout état de cause, il est impossible, selon
le Gouvernement, de démonter qu’existaient alors des
indices graves et concordants permettant de le mettre en examen.
- Par ailleurs, le Gouvernement rappelle que si, en
vertu de l’actuel article 154 de ce même code, un
individu ne peut être mis en garde à vue que s’il
« existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner
qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction »,
il n’en était pas de même à l’époque
des faits. Selon l’ancienne version de l’article 154, une
personne pouvait être gardée à vue pour les
nécessités de l’exécution de la commission
rogatoire, sans que pèse nécessairement contre elle des
indices graves et concordants. Ce qui était le cas en
l’espèce. Dans ces conditions, le requérant ne
pouvait être regardé comme un « accusé »
au sens de la jurisprudence de la Cour. S’il devait en être
autrement, cela signifierait que toutes les personnes, témoins
compris, entendues par les services de police pourraient être
considérées comme étant en accusation. Cela
serait disproportionné et rendrait impossible le bon
fonctionnement des services de police. Le Gouvernement ajoute que
cette conclusion n’est pas remise en cause par l’arrêt
Serves c. France (précité, § 42) qui juge
qu’une assignation à comparaître comme témoin
peut s’analyser en une « accusation » au
sens de l’article 6.
ii) Le requérant
- Le requérant soutient que, dès la
notification de la garde à vue à son encontre, celui
qui en est l’objet peut se prévaloir des garanties de
l’article 6 § 3 de la Convention. Il explique également
que la notion de « personne accusée »
est autonome et indépendante des qualifications du droit
interne. En réplique aux observations du Gouvernement, le
requérant fait valoir que sa démonstration procède
d’une confusion entre le témoin, le gardé à
vue et le mis en examen. Une telle solution revient à nier
l’existence même de toute mise en cause au cours de
l’enquête, ce qui est erroné : la mise en
cause d’une personne et, partant, la notification officielle
d’un grief peut intervenir avant la mise en examen, soit avant
qu’il existe des « indices graves et concordants ».
Le requérant explique qu’à chacun des statuts
correspond un degré d’implication présumé
et notifié par les autorités compétentes à
l’intéressé : – le témoin est
celui sur lequel ne pèse aucun soupçon d’avoir
commis une infraction. S’il peut être entendu par les
services de police, il ne peut être gardé à vue.
C’est d’ailleurs parce qu’aucun soupçon ne
pèse sur lui qu’il prête serment ; – le
gardé à vue est celui sur lequel pèse « une
ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner »
d’avoir commis une infraction ; – le mis en examen
est celui sur lequel pèse des « indices graves et
concordants » d’avoir commis une infraction. Le
requérant ajoute que cette hiérarchie dans le soupçon
de la commission de l’infraction détermine le statut
accordé à l’intéressé au cours de
l’enquête et de l’instruction et donc le degré
de coercition et d’atteinte à la liberté auquel
il est susceptible d’être soumis. En revanche, elle ne
détermine pas le seuil en deçà duquel
l’accusation en matière pénale au sens de
l’article 6 n’existe pas. Selon le requérant, la
notification d’un grief au sens des dispositions
conventionnelles n’est pas subordonnée à
l’existence préalable d’« indices
graves et concordants », thèse que soutient le
Gouvernement. Aux termes de l’article 154 du code de procédure
pénale, relatif à l’exécution de la garde
à vue sur commission rogatoire, ne peut être gardé
à vue qu’une personne « à l’encontre
de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de
soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre
une infraction ». Certes, il s’agit là de la
nouvelle rédaction de ce texte. Toutefois, le requérant
précise qu’elle a été alignée sur
l’article 63 du même code, qui, à l’époque
des faits, définissait déjà la garde à
vue dans les termes qui ont été repris par l’article
154, précisément pour mettre le droit français
en conformité avec le droit européen. Se référant
à l’article 63-1 du même code, le requérant
explique que le gardé à vue, personne à
l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de
soupçonner d’avoir commis une infraction, est ainsi
informé, lors de son placement en garde à vue, de
l’infraction sur laquelle porte l’enquête. Dans ces
conditions, il est patent que dès la notification de la mesure
de garde à vue prise à son encontre, celui qui en est
l’objet est un « accusé » au sens
de la Convention et peut ainsi se prévaloir des garanties
attachées à son article 6 § 3. La garde à
vue ne concerne en effet que les personnes à l’encontre
desquelles il existe des « raisons plausibles de
soupçonner » qu’elles ont commis une
infraction, ce qui exclut que les témoins fassent l’objet
d’une telle mesure. Autrement dit, les personnes gardées
à vue ne peuvent être considérées comme
des témoins. Le requérant se réfère à
l’arrêt Funke c. France (25 février 1993,
§§ 39-40, série A no 256 A), dans
lequel la Cour a jugé que l’article 6 de la Convention
peut s’appliquer lorsqu’une contrainte a été
exercée en vue d’obtenir des dépositions, ce qui
est évidemment le cas d’une mesure de garde à
vue, au cours de laquelle l’intéressé est
maintenu dans les locaux de la police sous la contrainte et n’est
absolument pas libre de ses mouvements.
- Le requérant en conclut que, dès lors
qu’il a été placé en garde à vue,
il était un accusé au sens de l’article 6 de la
Convention, et ce d’autant plus que la Cour a jugé
qu’une assignation à comparaître comme témoin
peut s’analyser en une accusation au sens de cette disposition.
b) Appréciation de la Cour
- La Cour relève que les arguments avancés
par le Gouvernement à l’appui de l’exception
d’irrecevabilité sont étroitement liés à
la substance du grief tiré de l’article 6 de la
Convention. Dès lors, il y a lieu de joindre l’exception
au fond. Par ailleurs, la Cour constate que ce grief ne se heurte à
aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de
le déclarer recevable.
2. Sur le fond
a) Thèse des parties
i) Le requérant
- Le requérant fait valoir qu’aux termes
d’une jurisprudence constante de la Cour (Funke c. France,
précité, § 44, John Murray c. Royaume-Uni,
8 février 1996, Recueil des arrêts et décisions
1996 I, § 45 et Serves, précité, §
46), le droit de garder silence et le droit de ne pas contribuer à
sa propre incrimination sont des normes internationales qui sont au
cœur de la notion de procès équitable.
Précisément, l’obligation de prêter serment
est manifestement incompatible avec le droit de ne pas participer à
sa propre incrimination. Le requérant expose que le droit
reconnu au gardé à vue n’est pas seulement un
droit de refuser de répondre en bloc aux questions qui lui
sont posées mais aussi celui de mentir, ne serait-ce que par
omission, aux services de police ; le droit au silence est un
droit à l’ellipse, à l’oubli volontaire et
est radicalement inconciliable avec l’exigence de ne dire que
la vérité et toute la vérité. Il ajoute
que le Gouvernement serait d’autant plus mal venu à
prétendre le contraire qu’il a lui-même
formellement reconnu que la possibilité d’entendre des
gardés à vue sous serment était contraire aux
dispositions conventionnelles, ce qui a conduit à la
modification, par une loi du 9 mars 2004, de l’article 153 du
code de procédure pénale qui dispose, désormais,
dans son alinéa 3, que « l’obligation de
prêter serment et de déposer n’est pas applicable
aux personnes gardées à vue en application des
dispositions de l’article 154 ». Le requérant
ajoute qu’il a été entendu sous serment alors
qu’il était placé en garde à vue,
c’est-à-dire alors même qu’il existait
contre lui des raisons plausibles de soupçonner qu’il
ait commis l’infraction poursuivie. Enfin, il souligne qu’à
aucun stade de la procédure, les juridictions internes n’ont
entendu reconnaître que la garantie de ne pas s’auto-incriminer
avait été méconnue.
ii) Le Gouvernement
- Le Gouvernement explique que prestation de serment et
garde à vue doivent être considérées comme
deux éléments juridiquement autonomes. Le fait qu’en
l’espèce le requérant ait été placé
en garde à vue dans le cadre d’une commission rogatoire
ne modifiait pas ses droits et obligations en tant que témoin.
Il convient donc d’examiner la situation du requérant
dans sa seule qualité de témoin. Se référant
aux affaires B.B.C. ((déc.), no 25798/94, 18
janvier 1996) et John Murray (précité), le
Gouvernement rappelle que toute personne peut être appelée
à déposer sur les faits dont elle a été
témoin. Il ajoute que la Cour a déjà eu
l’occasion de se pencher sur le dispositif français
applicable aux témoins, notamment dans l’affaire Serves
où elle a jugé que l’obligation de prêter
serment ainsi que les sanctions prononcées en cas de
non-respect sont certes considérées comme des « mesures
de coercition » mais elles visent surtout à
« garantir la sincérité des déclarations
faites », dans la mesure où la personne répond.
Toujours dans cette affaire, la Cour a déjà souligné
que même entendu sous serment, le témoin a la
possibilité, au nom de son droit à ne pas
« s’auto-incriminer », de refuser
d’apporter une réponse aux questions qui lui sont
posées, c’est à dire, de se taire. Il
ne s’agit pas « d’obliger l’intéressé
à déposer » (Serves, précité,
§ 47).
- Le Gouvernement ajoute que le droit au silence,
consacré depuis longtemps en droit français, vise
également à protéger la personne interrogée
contre une coercition abusive de la part des autorités. En
l’espèce, le requérant a été mis en
garde à vue et cette procédure lui a été
expliquée au moment de son interpellation. Conformément
aux textes en vigueur à cette époque, il a prêté
le serment des témoins dont les conséquences lui ont
également été expliquées par l’officier
de police judiciaire. Selon le Gouvernement, le requérant a eu
alors la possibilité de répondre ou de ne pas répondre
aux questions qui lui ont été posées lors de
cette garde à vue. Le fait qu’il ait choisi de donner
aux enquêteurs des éléments quant à son
implication dans l’agression de B.M. ne saurait être
regardé comme une conséquence de cette prestation de
serment et donc, attentatoire au droit de ne pas déposer
contre lui-même.
- Si la Cour devait toutefois juger que la prestation de
serment mise à la charge du témoin était
constitutive, en l’espèce, d’une certaine
coercition, le Gouvernement fait valoir, en se référant
à la jurisprudence de la Cour, que cette
atteinte a été minime et qu’elle n’a pas
touché la substance même du droit garanti par la
Convention. Il expose que la contrainte dénoncée par le
requérant était purement théorique et ne l’a,
en pratique, pas empêché de mentir puisque le requérant
a été reconnu coupable de complicité de
violences volontaires qu’il a toujours nié. Le
Gouvernement ajoute que le requérant n’a fait l’objet
d’aucune poursuite du chef de faux témoignage.
- Le Gouvernement estime qu’en toute hypothèse,
le grief invoqué par le requérant n’a eu aucune
incidence sur l’ensemble de la procédure suivie à
son encontre à la lumière de jurisprudence de la Cour.
Il constate, en l’espèce, que les déclarations
faites sous serment n’ont, en aucune manière, porté
atteinte au droit au procès équitable du requérant
pour deux raisons principales : d’une part, elles n’ont
pas constitué l’élément déterminant
de la conviction des magistrats correctionnels, d’autre part,
elles ne sauraient être analysées comme des aveux et
elles étaient identiques à celles faites sans
prestation de serment.
b) Appréciation de la Cour
- La Cour rappelle que le droit de ne pas contribuer à
sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des
normes internationales généralement reconnues qui sont
au cœur de la notion de procès équitable. Ils ont
notamment pour finalité de protéger l’accusé
contre une coercition abusive de la part des autorités et,
ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre
les buts de l’article 6 de la Convention (voir, notamment,
Bykov c. Russie [GC], no
4378/02, § 92, 10 mars 2009, et John Murray,
précité, § 45). Le droit de ne pas
s’incriminer soi-même concerne le respect de la
détermination d’un accusé à garder le
silence et présuppose que, dans une affaire pénale,
l’accusation cherche à fonder son argumentation sans
recourir à des éléments de preuve obtenus par la
contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de
l’accusé (voir, notamment, Saunders c. Royaume Uni,
17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil
1996-VI, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, §
44, CEDH 2002 IX, Jalloh c. Allemagne
[GC], no
54810/00, §§ 94-117, CEDH
2006 IX, et O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni
[GC] nos 15809/02 et 25624/02, §§ 53-63,
CEDH 2007 VIII).
- La Cour rappelle également que la personne
placée en garde à vue a le droit d’être
assistée d’un avocat dès le début de cette
mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori
lorsqu’elle n’a pas été informée par
les autorités de son droit de se taire (voir les principes
dégagés notamment dans les affaires Salduz c.
Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50-62, 27
novembre 2008, Dayanan c. Turquie,
no
7377/03, §§ 30-34, 13 octobre 2009, Boz c.
Turquie, no
2039/04, §§ 33-36, 9 février 2010, et Adamkiewicz
c. Pologne, no
54729/00 §§ 82-92, 2 mars 2010).
46. En l’espèce, la Cour
relève que lorsque le requérant a dû prêter
serment « de dire toute la vérité,
rien que la vérité », comme l’exige
l’article 153 du code de procédure pénale,
avant de déposer devant l’officier de police judiciaire,
il était placé en garde à vue. Cette mesure
s’inscrivait dans le cadre d’une information judiciaire
ouverte par le juge d’instruction, les services de police ayant
interpellé le requérant suite à une commission
rogatoire délivrée le 3 juin 1999 par ce magistrat, qui
les autorisait notamment à procéder à toutes les
auditions et perquisitions utiles à la manifestation de la
vérité concernant les faits de tentative d’assassinat
commis sur la personne de B.M. le 17 décembre 1998. Ce
placement en garde à vue était règlementé
par l’article 154 du code de procédure pénale et
n’était pas subordonné, à l’époque
des faits, à l’existence d’ « indices
graves et concordants » démontrant la commission
d’une infraction par l’intéressé ou de
« raisons plausibles » de le soupçonner
de tels faits. La Cour note également que le requérant
n’était pas nommément visé par la
commission rogatoire du 3 juin 1999, ni par le réquisitoire
introductif du 30 décembre 1998.
- La Cour constate cependant que l’interpellation
et la garde à vue du requérant s’inscrivaient
dans le cadre d’une information judiciaire ouverte par le juge
d’instruction contre E.L et J.P.G., tous deux soupçonnés
d’avoir été impliqués dans l’agression
de B.M. Or, d’une part, lors de sa garde à vue du 2 juin
1999, J.P.G. avait expressément mis en cause le requérant
comme étant le commanditaire de l’opération
projetée et, d’autre part, la victime avait déposé
plainte contre son épouse et le requérant, et ce
dernier avait déjà été entendu à
ce sujet par les services de police le 28 décembre 1998. Dans
ces circonstances, la Cour considère que, dès son
interpellation et son placement en garde à vue, les autorités
avaient des raisons plausibles de soupçonner que le requérant
était impliqué dans la commission de l’infraction
qui faisait l’objet de l’enquête ouverte par le
juge d’instruction. L’argument selon lequel le requérant
n’a été entendu que comme témoin est
inopérant, comme étant purement formel, dès lors
que les autorités judiciaires et policières disposaient
d’éléments de nature à le suspecter
d’avoir participé à l’infraction.
- Par ailleurs, la Cour note que, depuis l’adoption
de la loi du 15 juin 2000, lorsqu’il n’existe aucune
raison plausible de soupçonner qu’il a commis ou tenté
de commettre une infraction, tout témoin – cité
pour être entendu au cours de l’exécution d’une
commission rogatoire – ne peut être retenu que le temps
strictement nécessaire à son audition.
- Enfin, selon la Cour, l’interpellation et le
placement en garde à vue du requérant pouvaient avoir
des répercussions importantes sur sa situation (voir, parmi
d’autres, Deweer, précité, § 46, et
Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 73, série A
no 51). D’ailleurs, c’est précisément
à la suite de la garde à vue décidée en
raison d’éléments de l’enquête le
désignant comme suspect, qu’il a été mis
en examen et placé en détention provisoire.
- Dans ces circonstances, la Cour estime que lorsque le
requérant a été placé en garde à
vue et a dû prêter serment « de dire toute la
vérité, rien que la vérité »,
celui-ci faisait l’objet d’une « accusation en
matière pénale » et bénéficiait
du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de
garder le silence garanti par l’article 6 §§ 1 et 3
de la Convention.
- La Cour relève ensuite que, lors de sa première
déposition le 8 juin 1999, le requérant a fourni
certains éléments de preuve pouvant démontrer
son implication dans l’agression de B.M : il a en effet
livré des détails sur ses conversations avec l’un
des individus mis en examen, J.P.G., sur leur entente « pour
faire peur » à B.M. et sur la remise d’une
somme d’argent de 100 000 francs français. La Cour
note également que ces déclarations ont été
ensuite utilisées par les juridictions pénales pour
établir les faits et condamner le requérant.
- La Cour estime que le fait d’avoir dû
prêter serment avant de déposer a constitué pour
le requérant – qui faisait déjà depuis la
veille l’objet d’une mesure coercitive, la garde à
vue – une forme de pression, et que le risque de poursuites
pénales en cas de témoignage mensonger a assurément
rendu la prestation de serment plus contraignante.
- Elle note par ailleurs qu’en 2004, le
législateur est intervenu pour revenir sur l’interprétation
faite par la Cour de cassation de la combinaison des articles 105,
153 et 154 du code de procédure pénale et préciser
que l’obligation de prêter serment et de déposer
n’est pas applicable aux personnes gardées à vue
sur commission rogatoire d’un juge d’instruction
(paragraphe 29 ci-dessus).
- La Cour constate également qu’il ne
ressort ni du dossier ni des procès-verbaux des dépositions
que le requérant ait été informé au début
de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre
aux questions posées, ou encore de ne répondre qu’aux
questions qu’il souhaitait. Elle relève en outre que le
requérant n’a pu être assisté d’un
avocat que vingt heures après le début de la garde à
vue, délai prévu à l’article 63-4 du code
de procédure pénale (paragraphe 28 ci-dessus). L’avocat
n’a donc été en mesure ni de l’informer sur
son droit à garder le silence et de ne pas s’auto incriminer
avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette
déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige
l’article 6 de la Convention.
- Il s’ensuit que l’exception soulevée
par le Gouvernement doit être rejetée et qu’il y a
eu, en l’espèce, atteinte au droit du requérant
de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le
silence, tel que garanti par l’article 6 §§ 1 et 3 de
la Convention.
B. Le droit d’accès à un juge du
requérant
- Le requérant soutient également, sous
l’angle de l’article 6 de la Convention, que par sa
décision du 27 juin 2006, la Cour de cassation ne pouvait,
sans porter une atteinte disproportionnée au droit d’accès
à un juge, lui opposer le nouvel article 153 du code de
procédure pénale pour le priver du droit de faire juger
de la nullité de sa garde à vue. La Cour estime que
cette question se confond en réalité avec le précédent
grief examiné ci dessus. Il doit donc être déclaré
recevable et, eu égard à ce qu’elle a conclu
précédemment (paragraphe 55 ci-dessus), la Cour
n’estime pas nécessaire de l’examiner séparément.
C. La motivation de la décision de la cour
d’appel
- Le requérant dénonce l’insuffisance
de motivation de la décision de la cour d’appel.
- La Cour rappelle que si l’article 6 § 1
oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, il ne
peut toutefois se comprendre comme exigeant une réponse
détaillée à chaque argument (voir, notamment,
Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série
A no 288). Ainsi, en rejetant un recours, la juridiction
d’appel peut, en principe, se borner à faire siens les
motifs de la décision entreprise (García Ruiz c.
Espagne [GC], no 30544/96, § 26, CEDH 1999-I).
- En l’espèce, la Cour observe que la cour
d’appel a fait sienne la motivation des juges de première
instance, après avoir considéré qu’elle
était pertinente et que les juges de première instance
avaient fait une juste appréciation des faits et circonstances
particulières de la cause pour déclarer le requérant
coupable des faits reprochés. La Cour constate en outre que le
tribunal a rendu une décision dûment motivée, que
le requérant a bénéficié d’une
procédure contradictoire et qu’il a pu, aux différents
stades de celle-ci, présenter les arguments qu’il
jugeait pertinents pour la défense de sa cause. La Cour ne
décèle donc aucune atteinte à l’équité
de la procédure garantie par l’article 6 de la
Convention.
- Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal
fondé et doit être rejeté en application de
l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
5 § 3 DE LA CONVENTION
- Le requérant dénonce le caractère
excessif de la durée de la détention provisoire. Il
invoque l’article 5 § 3 de la Convention dont les parties
pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne arrêtée ou
détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c)
du présent article (...) a le droit d’être jugée
dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la
procédure. La mise en liberté peut être
subordonnée à une garantie assurant la comparution de
l’intéressé à l’audience. »
- Selon la jurisprudence bien établie de la Cour
(B. c. Autriche, 28 mars 1990, § 36, série A
no 175, et Wemhoff, précité, §
9), une personne condamnée en première instance,
qu’elle ait ou non été détenue
jusqu’alors, se trouve dans le cas prévu à
l’article 5 § 1 a) de la Convention. En l’espèce,
la décision de condamnation du requérant en première
instance est intervenue le 31 octobre 2002. Or, la requête a
été introduite le 27 décembre 2006.
- Il s’ensuit que ce grief est irrecevable pour
non-respect du délai de six mois et doit être rejeté
en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de
la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA
CONVENTION
- Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a
eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit
interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation,
la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
- Le requérant demande réparation des
dommages matériel et moral résultant des violations des
articles 5 et 6 de la Convention. Il sollicite le remboursement des
salaires non perçus du fait de sa détention et de son
contrôle judiciaire, soit 216 349 euros (« EUR »).
S’agissant du préjudice moral, le requérant
demande 50 000 EUR, invoquant l’arrêt prématuré
de sa carrière et les conséquences de sa détention
sur sa famille. A l’appui de sa demande, le requérant
produit un jugement du conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise
du 9 juin 2005 et des bulletins de paie du requérant.
- Le Gouvernement considère que les demandes du
requérant sont sans aucun lien avec la violation alléguée
de l’article 6 de la Convention et, en toute hypothèse,
manifestement excessives. S’agissant du préjudice
matériel, il fait valoir que si le requérant souhaitait
obtenir une indemnisation du fait de sa détention et de son
contrôle judiciaire, c’est l’article 5 de la
Convention qu’il fallait invoquer à l’appui de sa
demande. En outre, il ne justifie pas du caractère certain de
son préjudice. Le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la
Cour selon laquelle elle ne saurait spéculer sur le résultat
auquel la procédure incriminée aurait abouti si
celle-ci avait respecté la Convention (Foucher c. France,
18 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions
1997 II). Concernant le préjudice moral, il expose que la
somme demandée est dépourvue de tout lien certain et
direct avec la violation alléguée de l’article 6
§ 1 de la Convention et est manifestement excessive. Dans ces
conditions, et conformément à la jurisprudence de la
Cour, si celle-ci estimait fondé le grief du requérant,
le constat de violation constituerait une satisfaction équitable
au sens de l’article 41 de la Convention.
- La Cour estime que la seule base à retenir pour
l’octroi d’une satisfaction équitable réside
dans la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la
Convention. Elle n’aperçoit pas de lien de causalité
entre la violation constatée et le dommage matériel
allégué. Partant, la Cour rejette sa demande.
S’agissant de la demande de réparation du préjudice
moral, la Cour estime que le requérant a subi un tort moral
certain qui n’est pas suffisamment réparé par le
constat de la violation. Statuant en équité comme le
veut l’article 41 de la Convention, elle lui accorde la somme
de 5 000 EUR.
B. Frais et dépens
- Le requérant demande 44 126 EUR au titre
des frais et dépens exposés devant les juridictions
internes. A l’appui de sa demande, il produit un certain nombre
de factures d’honoraires d’avocats couvrant la période
de mars 2002 à août 2007 (pour un total d’environ
30 926 EUR), ainsi que deux autres notes d’honoraires
d’avocat datant de juillet et décembre 1999 pour des
conseils et analyses (environ 13 200 EUR). Le requérant
sollicite également 15 548 EUR au titre des frais et
dépens exposés devant la Cour. A l’appui de sa
demande, il produit deux factures d’honoraires d’avocat
datant de septembre 2006 (3 588 EUR) et juin 2009 (11 960
EUR).
- Le Gouvernement s’oppose à ces demandes.
Il estime que les factures sont dépourvues de tout
justificatif de paiement effectif des sommes indiquées et ne
permettent donc pas d’établir ledit versement. Il ajoute
que les frais et dépens exposés devant les juridictions
internes ne sauraient être remboursés car ils ne
visaient pas à corriger une éventuelle violation de la
Convention mais à assurer la défense pénale d’un
individu accusé de complicité de violences aggravées,
ce qui vaut nonobstant le fait que les avocats du requérant
aient pu invoquer l’article 6 § 1 de la Convention devant
les juridictions internes. Le caractère nécessaire de
ces dépenses n’est donc pas établi. Enfin, le
Gouvernement estime que les sommes sollicitées atteignent un
montant excessif et qu’elles devront être ramenés
à de plus justes proportions conformément à la
jurisprudence de la Cour. Selon lui, une somme de 3 000 EUR
serait raisonnable.
- Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant
ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que
dans la mesure où se trouvent établis leur réalité,
leur nécessité et le caractère raisonnable de
leur taux (voir, par exemple, Micallef c. Malte [GC], no
17056/06, § 115, 15 octobre 2009, Iatridis c. Grèce
[GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En
l’espèce, eu égard aux critères précités
et compte tenu des documents en sa possession, la Cour estime
raisonnable d’accorder une somme globale de 7 000 EUR.
C. Intérêts moratoires
- La Cour juge approprié de calquer le taux des
intérêts moratoires sur le taux d’intérêt
de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
- Joint au fond l’exception du Gouvernement
tirée de l’inapplicabilité de l’article 6
de la Convention et la rejette ;
2. Déclare les griefs tirés de l’article 6
de la Convention concernant l’atteinte alléguée
au droit de ne pas s’auto-incriminer et au droit d’accès
au juge recevables ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article
6 §§ 1 et 3 de la Convention s’agissant du droit du
requérant de ne pas contribuer à sa propre
incrimination et de garder le silence ;
- Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner
séparément le grief tiré de l’atteinte au
droit d’accès au juge ;
- Déclare le restant des griefs
irrecevable ;
- Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au
requérant, dans les trois mois à compter du jour où
l’arrêt sera devenu définitif conformément
à l’article 44 § 2 de la Convention,
5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral et 7 000
EUR (sept mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant
pouvant être dû à titre d’impôt par le
requérant ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement, ces montants seront à
majorer d’un intérêt simple à un taux égal
à celui de la facilité de prêt marginal de la
Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
- Rejette la demande de satisfaction équitable
pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le
14 octobre 2010, en application de l’article 77 §§ 2
et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président