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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Orifarm and Others (Free movement of goods) French Text [2011] EUECJ C-207/10 (12 May 2011)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2011/C20710_O.html

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AVIS JURIDIQUE IMPORTANT: The source of this judgment is the web site of the Court of Justice of the European Communities. The information in this database has been provided free of charge and is subject to a Court of Justice of the European Communities disclaimer and a copyright notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.



CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES Bot

présentées le 12 mai 2011 (1)

Affaires jointes C-400/09 et C-207/10

Orifarm A/S,

Orifarm Supply A/S,

Handelsselskabet af 5. januar 2002 A/S, en liquidation,

Ompakningsselskabet af 1. november 2005 A/S (C-400/09)

contre

Merck & Co. Inc.,

Merck Sharp & Dohme BV,

Merck Sharp & Dohme


et


Paranova Danmark A/S,

Paranova Pack A/S (C-207/10)

contre

Merck Sharp & Dohme Corp.,

Merck Sharp & Dohme,

Merck Sharp & Dohme BV

[demande de décision préjudicielle formée par le Højesteret (Danemark)]

«Marques – Directive 89/104/CEE – Article 7, paragraphe 2 – Reconditionnement d’un produit pharmaceutique faisant l’objet d’une importation parallèle – Critères pertinents aux fins de l’appréciation des atteintes à un droit de marque»





1.        Dans les présentes affaires, la Cour est saisie de demandes de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (2), ainsi que sur la jurisprudence y afférente, notamment les arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche (3), du 3 décembre 1981, Pfizer (4), ainsi que du 11 juillet 1996, MPA Pharma (5), et Bristol-Myers Squibb e.a. (6).

2.        Dans ces arrêts, la Cour a précisé les conditions dans lesquelles un importateur parallèle peut commercialiser des médicaments reconditionnés revêtus d’une marque, sans que le titulaire de la marque puisse s’y opposer. Les questions que le Højesteret (Cour suprême) (Danemark) soumet à la Cour portent sur l’une de ces conditions, à savoir celle d’indiquer sur le nouvel emballage l’auteur du reconditionnement. Ces questions visent, en substance, à savoir si cette condition exige que soit indiqué le nom de l’entreprise qui procède physiquement au reconditionnement ou s’il suffit que soit mentionné le nom du titulaire de l’autorisation de mise sur le marché du médicament importé parallèlement, qui donne les instructions d’achat et de reconditionnement à l’entreprise effectuant le reconditionnement.

3.        Dans les présentes conclusions, nous nous prononcerons en faveur de la seconde branche de l’alternative. Nous suggérerons, par conséquent, à la Cour de dire pour droit que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le motif tiré de l’absence de mention sur l’emballage d’un produit reconditionné de l’entreprise qui a concrètement procédé au reconditionnement de celui-ci ne permet pas à un titulaire de marque de s’opposer à la commercialisation dudit produit lorsque figure, à côté du nom du fabricant, le nom de l’entreprise qui contrôle l’opération de reconditionnement et qui en assume la responsabilité.

I –    Le cadre juridique

4.        L’article 5 de la directive 89/104, intitulé «Droits conférés par la marque», prévoit:

«1.      La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a)      d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b)      d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque.

2.      Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

3.      Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:

a)      d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

b)      d’offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe;

c)      d’importer ou d’exporter les produits sous le signe;

d)      d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité.

[…]»

5.        Aux termes de l’article 7 de la même directive, intitulé «Épuisement du droit conféré par la marque»:

«1.      Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

2.     Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce.»

6.        La directive 89/104 a été abrogée par la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (7), entrée en vigueur le 28 novembre 2008. Néanmoins, les litiges au principal demeurent régis, compte tenu de la date des faits, par la directive 89/104.

7.        Les articles 5 et 7 de la directive 89/104 ont été respectivement transposés en droit danois par les articles 4 et 6 de la loi relative aux marques (Varemærkeloven) (8).

II – Les litiges au principal et les questions préjudicielles

A –    L’affaire C-400/09

8.        Les sociétés Orifarm A/S (ci-après «Orifarm»), Orifarm Supply A/S (ci-après «Orifarm Supply»), Handelsselskabet af 5. januar 2002 A/S, en liquidation (ci-après «Handelsselskabet»), et Ompakningsselskabet af 1. november 2005 A/S (ci-après «Ompakningsselskabet») font partie du groupe Orifarm qui est le plus important importateur parallèle de médicaments des pays nordiques et qui était, en 2008, le plus important fournisseur de médicaments des pharmacies danoises. Le siège central du groupe se trouve à Odense (Danemark).

9.        Orifarm et Handelsselskabet sont ou ont été titulaires d’autorisations de mise sur le marché et de vente des médicaments litigieux, tandis qu’Orifarm Supply et Ompakningsselskabet, dont le nom était Medipack A/S (ci-après «Medipack») à l’époque du reconditionnement et de la vente des préparations en cause, ont concrètement effectué le reconditionnement et sont ou ont été titulaires de l’autorisation de reconditionnement.

10.      Toutes les décisions relatives à l’approvisionnement, à la présentation, au traitement et aux ventes sont prises par Orifarm, tandis qu’Ompakningsselskabet achète et reconditionne les produits, et assume la responsabilité de respecter les directives du Lægemiddelstyrelsen (Agence danoise des médicaments) destinées aux reconditionneurs. Ompakningsselskabet (Medipack) a un personnel de 210 personnes s’occupant de la logistique, du stockage et du reconditionnement effectif, tandis qu’Orifarm emploie de 15 à 20 personnes notamment pour la commercialisation des médicaments.

11.      Merck & Co. Inc., Merck Sharp & Dohme BV et Merck Sharp & Dohme (ci-après, ensemble, «Merck») font toutes partie du groupe Merck. Celui-ci est l’un des plus importants groupes mondiaux de production de médicaments originaux.

12.      Le groupe Merck a fabriqué les médicaments litigieux, que le groupe Orifarm a importés parallèlement sur le marché danois. Le groupe Merck est également titulaire des droits de marque se rapportant auxdits produits ou habilité à ester en justice dans le cadre d’accords de licence conclus avec les titulaires des droits de marque.

13.      Depuis le commencement de l’importation parallèle et de la commercialisation des médicaments, Orifarm et Handelsselskabet se sont présentées comme reconditionneurs sur l’emballage des médicaments litigieux pour lesquels elles disposaient des autorisations de mise sur le marché, bien que le reconditionnement physique a été réalisé, selon le cas et en suivant les instructions données par Orifarm et/ou Handelsselskabet, par Ompakningsselskabet (Medipack), Orifarm Supply ou des reconditionneurs externes. Cette dernière hypothèse ne s’est, cependant, pas produite dans les cas d’espèce.

14.      Bien que, à partir de l’année 2006, le groupe Orifarm a commencé à mettre l’indication «Reconditionné par Medipack A/S pour Orifarm A/S» sur les produits du groupe Merck, le litige au principal concerne des médicaments dont l’emballage faisait figurer non pas l’auteur effectif du reconditionnement, mais uniquement les noms du titulaire de l’autorisation de mise sur le marché et du fabricant, avec une mention du type:

«Importé et reconditionné par Orifarm A/S […]

Fabricant: Merck Sharp & Dohme»

15.      Merck a introduit devant le Sø- og Handelsretten (tribunal maritime et de commerce) deux recours contre, respectivement, Orifarm et Orifarm Supply ainsi que contre Handelsselskabet et Ompakningsselskabet, contestant l’absence de mention de l’auteur effectif du reconditionnement sur l’emballage des médicaments litigieux. Dans des arrêts rendus respectivement le 21 février 2008 et le 20 juin 2008, le Sø- og Handelsretten a constaté que les parties défenderesses ont porté atteinte aux droits de marque de Merck en omettant d’indiquer le reconditionneur effectif et les a condamnées à payer une réparation pécuniaire à Merck.

16.      Étant saisi des pourvois en cassation introduits par Orifarm, Orifarm Supply, Handelsselskabet et Ompakningsselskabet contre ces arrêts du Sø- og Handelsretten, le Højesteret a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Faut-il comprendre la jurisprudence de la Cour […], telle qu’elle ressort de ses arrêts [précités] MPA Pharma […] et […] Bristol-Myers Squibb e.a. […], en ce sens qu’un importateur parallèle, qui est le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament d’importation parallèle et dispose des informations le regardant, et qui donne à une entreprise indépendante des instructions pour l’achat et le reconditionnement du médicament, ainsi que pour la présentation détaillée de l’emballage et les dispositions à prendre en ce qui concerne le médicament, porte atteinte aux droits du titulaire d’une marque en se présentant lui-même comme reconditionneur sur l’emballage extérieur du médicament importé, au lieu d’indiquer le nom de l’entreprise indépendante qui est le titulaire de l’autorisation de reconditionnement, et a importé le médicament et réalisé le reconditionnement en pratique, notamment en (ré)apposant la marque concernée?

2)      S’il est admis que le fait, pour le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché, de se présenter lui-même comme reconditionneur, au lieu de l’entreprise qui a – sur commande – effectué le reconditionnement en pratique, ne crée pas le risque d’induire le consommateur/utilisateur final en erreur en l’amenant à croire que le titulaire de la marque est responsable du reconditionnement du médicament en question, cela a-t-il une importance dans la réponse à apporter à la première question?

3)      S’il est admis que le risque de faire croire que le titulaire de la marque est responsable du reconditionnement du médicament est écarté en indiquant comme reconditionneur l’entreprise qui a effectué le reconditionnement en pratique, cela a-t-il une importance dans la réponse à apporter à la première question?

4)      La réponse à apporter à la première question est-elle déterminée par le seul risque qu’on puisse faire croire à tort que le titulaire de la marque est responsable du reconditionnement du médicament, ou d’autres préoccupations du titulaire de la marque sont-elles également pertinentes, comme […] a) le fait que l’entreprise qui importe le médicament et effectue concrètement le reconditionnement en (ré)apposant la marque sur l’emballage extérieur du médicament soit ainsi susceptible de porter atteinte, de façon indépendante, au droit de marque du titulaire, et b) le fait que, en raison de circonstances dont l’auteur du reconditionnement est responsable, le reconditionnement puisse affecter l’état originaire du médicament ou la présentation du médicament reconditionné soit telle qu’on pourrait considérer qu’elle nuirait à la réputation du titulaire de la marque (voir, notamment, arrêt Bristol-Myers Squibb e.a. [précité])?

5)      Le fait que le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché qui s’est présenté comme reconditionneur fasse, au moment de la notification au titulaire de la marque préalablement à la mise sur le marché prévue pour le médicament d’importation parallèle reconditionné, partie du même groupe (en tant que société sœur) que le véritable auteur du reconditionnement a-t-il une incidence sur la réponse à apporter à la première question?»

B –    L’affaire C-207/10

17.      Paranova Danmark A/S (ci-après «Paranova Danmark») et Paranova Pack A/S (ci-après «Paranova Pack») sont des filiales de Paranova Group A/S, qui exerce une activité d’importation parallèle de médicaments vers le Danemark, la Finlande et la Suède. Le siège du groupe se trouve à Ballerup (Danemark) où sont également établies les deux filiales.

18.      Paranova Danmark est titulaire de l’autorisation de mise sur le marché des médicaments litigieux.

19.      Paranova Pack assure le reconditionnement pour l’ensemble du groupe et a donc procédé au reconditionnement physique des médicaments en cause. Elle est titulaire de l’autorisation de reconditionnement des médicaments.

20.      Toutes les questions concernant la sélection des produits à la vente et à l’achat et les demandes d’autorisations de mise sur le marché, notamment les formes de conditionnement, sont tranchées par Paranova Danmark. Paranova Pack procède aux achats physiques et au conditionnement effectif des médicaments dans le respect des conditions imposées aux sociétés de reconditionnement par le Lægemiddelstyrelsen et les remet en vente conformément à la législation pharmaceutique tout en assumant la responsabilité. L’expert qui a procédé à la mainlevée définitive du lot était initialement employé par Paranova Danmark et a été transféré à un moment à Paranova Pack. En 2003, Paranova Danmark employait 11 collaborateurs et Paranova Pack en employait 164. Cette répartition a également prévalu au cours des autres années pertinentes pour la présente affaire.

21.      Paranova Danmark s’est présentée comme reconditionneur sur l’emballage des médicaments litigieux pour lesquels elle disposait des autorisations de mise sur le marché, bien que le reconditionnement physique ait été réalisé, selon les cas, par Paranova Pack ou par des reconditionneurs extérieurs au groupe Paranova. Cette seconde hypothèse ne s’est toutefois pas présentée en l’espèce.

22.      Merck a fabriqué les médicaments litigieux que le groupe Paranova a importés parallèlement au Danemark. Merck est également la titulaire des droits de marque portant sur les produits litigieux d’importation parallèle ou est habilitée à ester en justice dans le cadre d’accords de licence conclus avec les titulaires des marques.

23.      Merck a introduit deux recours contre Paranova Danmark et Paranova Pack, contestant l’absence de mention de l’auteur effectif du reconditionnement sur l’emballage des médicaments litigieux. À la suite de ces recours, il a été interdit à Paranova Danmark et Paranova Pack – respectivement par ordonnance du 26 octobre 2004 rendue par le Fogedretten i Ballerup, confirmé sur appel le 15 août 2007 par le Sø- og Handelsretten, ainsi que par arrêt de cette dernière juridiction du 31 mars 2008 – de vendre lesdits médicaments, au motif que leur emballage n’indiquait pas le véritable reconditionneur.

24.      Étant saisi des pourvois en cassation introduits par Paranova Danmark et Paranova Pack contre ces arrêts du Sø- og Handelsretten, le Højesteret a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 7, paragraphe 2, de la […] directive 89/104[…] et la jurisprudence y afférente, notamment les arrêts [précités] Hoffmann-La Roche […], Pfizer […] et Bristol-Myers Squibb e.a. […], doivent-ils être interprétés en ce sens que le titulaire d’un droit de marque peut se prévaloir de ce droit pour s’opposer à ce qu’une société de vente de produits d’importation parallèle, titulaire d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament dans un État membre, vende ce médicament en indiquant qu’il est reconditionné par la société de vente bien que celle-ci confie le reconditionnement physique à une autre société, le reconditionneur, à laquelle la société de vente donne des instructions en matière d’achats, de conditionnement, de conception plus spécifique de l’emballage des médicaments ainsi que d’autres dispositions en rapport avec le médicament, qui est titulaire d’une autorisation de reconditionnement et appose la marque sur le nouvel emballage dans le cadre du reconditionnement?

2)      Cela a-t-il une incidence sur la réponse à la première question s’il y a lieu d’admettre que le consommateur ou l’utilisateur final n’est pas induit en erreur quant à l’origine de la marchandise et ne peut pas être amené à croire que le titulaire de la marque est responsable du reconditionnement, du fait de l’indication du nom du fabricant à côté de la mention précitée relative à l’identité du responsable du reconditionnement?

3)      Le risque de tromperie du consommateur ou de l’utilisateur final quant à la responsabilité du titulaire de la marque pour le reconditionnement est-il seul pertinent pour la réponse à la première question, ou une autre considération tenant au titulaire de la marque est-elle pertinente, par exemple a) le fait que celui qui procède effectivement à l’achat, au reconditionnement et à la réapposition de la marque du titulaire sur l’emballage des médicaments est susceptible de porter ainsi lui-même atteinte, à cette occasion, aux droits du titulaire de la marque et que cela peut être imputable à des circonstances pour lesquelles celui qui a procédé au reconditionnement physique assume la responsabilité, b) que le reconditionnement affecte l’état originaire du médicament ou c) que la présentation du produit reconditionné est telle qu’il convient d’admettre une atteinte à la marque ou à la réputation du titulaire?

4)      Si la Cour considère, dans la réponse à la troisième question, qu’il est également pertinent de tenir compte du fait que la société de reconditionnement est susceptible de porter elle-même atteinte aux droits de marque du titulaire, il est demandé à la Cour d’indiquer s’il importe pour cette réponse que la société de vente de l’importateur parallèle et la société de conditionnement soient individuellement et solidairement responsables en vertu du droit national pour les atteintes aux droits de marque du titulaire.

5)      La réponse à la première question est-elle affectée par le fait que l’importateur parallèle, qui est titulaire de l’autorisation de mise sur le marché et qui a indiqué être responsable du reconditionnement, appartienne, à la date de notification préalable du titulaire de la marque de la vente envisagée du médicament reconditionné, au même groupe que la société qui a procédé au reconditionnement (société sœur)?

6)      Le fait que la société de reconditionnement soit mentionnée comme fabricant dans la notice d’accompagnement a-t-il une incidence sur la réponse à la première question?»

III – Notre analyse

25.      Les questions soumises à la Cour par le Højesteret, qu’il convient d’examiner ensemble (9), visent, en substance, à savoir si l’article 7, paragraphe 2, de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le motif tiré de l’absence de mention sur l’emballage d’un produit reconditionné de l’entreprise qui a concrètement procédé au reconditionnement de celui-ci permet ou non à un titulaire de marque de s’opposer à la commercialisation dudit produit lorsque figure, à côté du nom du fabricant, le nom de l’entreprise qui contrôle l’opération de reconditionnement et qui en assume la responsabilité.

26.      La jurisprudence de la Cour relative au reconditionnement de médicaments revêtus d’une marque, opéré par des importateurs parallèles sans autorisation du titulaire de la marque, trouve ses racines dans l’arrêt Hoffmann-La Roche, précité, qui a posé les principes directeurs en la matière. Dans cet arrêt, la Cour a abordé la problématique sous l’angle de l’interdiction des mesures restrictives à l’importation prévue à l’article 30 du traité CEE et de la justification de telles mesures pour des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale, prévue à l’article 36 du traité CEE.

27.      La Cour y a jugé que l’article 36 du traité CEE n’admet de dérogations au principe fondamental de la libre circulation des marchandises que dans la mesure où elles sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l’objet spécifique de la propriété industrielle et commerciale. Dans ce contexte, il convient de tenir compte de la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit marqué, en lui permettant de le distinguer sans confusion possible de ceux qui ont une autre provenance. Cette garantie de provenance implique que le consommateur ou l’utilisateur final puisse être certain qu’un produit marqué qui lui est offert n’a pas fait l’objet, à un stade antérieur à sa commercialisation, d’une intervention opérée par un tiers sans autorisation du titulaire de la marque, qui a atteint le produit dans son état originaire.

28.      Dès lors, selon la Cour, le droit qui est reconnu au titulaire d’une marque de s’opposer à toute utilisation de la marque susceptible de fausser la garantie de provenance ainsi comprise relève de l’objet spécifique du droit de marque et il est, par conséquent, justifié aux termes de l’article 36, première phrase, du traité CEE de reconnaître au titulaire le droit de s’opposer à ce qu’un importateur d’un produit de marque, après reconditionnement de celui-ci, appose la marque, sans autorisation du titulaire, sur le nouvel emballage (10).

29.      Il résulte du point 14 de l’arrêt Hoffmann-La Roche, précité, qu’est justifiée, au sens de l’article 36, première phrase, du traité CEE, l’opposition par le titulaire d’un droit de marque, protégé dans deux États membres à la fois, à ce qu’un produit, licitement pourvu de la marque dans l’un de ces États, soit mis sur le marché dans l’autre État membre, après avoir été reconditionné dans un nouvel emballage sur lequel la marque a été apposée par un tiers. Il en résulte également que constitue, cependant, une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres, au sens de l’article 36, seconde phrase, du traité CEE, une telle opposition si les circonstances suivantes sont réunies, à savoir:

–        s’il est établi que l’utilisation du droit de marque par le titulaire, compte tenu du système de commercialisation appliqué par celui-ci, contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres;

–        s’il est démontré que le reconditionnement ne saurait affecter l’état originaire du produit;

–        si le titulaire de la marque est averti préalablement de la mise en vente du produit reconditionné, et

–        s’il est indiqué sur le nouvel emballage par qui le produit a été reconditionné (11).

30.      C’est l’interprétation de cette dernière condition qui est au centre des présentes affaires. Au point 12 de l’arrêt Hoffmann-La Roche, précité, la Cour a justifié l’existence de ladite condition ainsi que de celle consistant à avertir préalablement le titulaire de la marque, eu égard à l’intérêt de ce dernier à ce que le consommateur ne soit pas induit en erreur sur la provenance du produit.

31.      Dans sa jurisprudence ultérieure, la Cour a développé et précisé les conditions que l’importateur parallèle doit respecter pour pouvoir opérer un reconditionnement des médicaments revêtus d’une marque. Elle l’a fait au regard de l’article 7 de la directive 89/104 qui est venu réglementer de manière complète la question de l’épuisement du droit de marque en ce qui concerne les produits mis dans le commerce au sein de l’Union européenne. La Cour a indiqué, à cet égard, qu’il y a lieu de considérer que l’article 7 de cette directive, tout comme l’article 36 du traité CE, vise à concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et ceux de la libre circulation des marchandises dans le marché commun, en sorte que ces deux dispositions, ayant pour objet de parvenir au même résultat, doivent être interprétées de manière identique (12).

32.      Développant et précisant les principes dégagés dans son arrêt Hoffmann-La Roche, précité, la Cour a ainsi dit pour droit, dans son arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., précité, que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le titulaire de la marque peut légitimement s’opposer à la commercialisation ultérieure d’un produit pharmaceutique, lorsque l’importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque, à moins que plusieurs conditions soient remplies, parmi lesquelles, pour ce qui nous intéresse dans le cadre des présentes affaires, «qu’il soit indiqué clairement sur le nouvel emballage l’auteur du reconditionnement du produit et le nom de son fabricant [(13)], ces indications devant être imprimées de telle façon qu’une personne ayant une vue normale et étant normalement attentive soit en mesure de les comprendre. De même, l’origine d’un article supplémentaire ne provenant pas du titulaire de la marque doit être indiquée de manière à dissiper toute impression que le titulaire de la marque en est responsable. En revanche, il n’est pas nécessaire d’indiquer que le reconditionnement a été opéré sans l’autorisation du titulaire de la marque» (14).

33.      La justification de cette condition apparaît clairement au point 70 de l’arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., précité. Il s’agit de protéger l’intérêt du titulaire de la marque à ce que le consommateur ou l’utilisateur final ne puisse être amené à croire qu’il est responsable du reconditionnement.

34.      Or, nous sommes d’avis que cet intérêt est préservé dès lors que figurent clairement sur l’emballage du médicament le nom de l’entreprise responsable du reconditionnement (15) ainsi que celui du fabricant. Cette différenciation est de nature à ôter tout doute dans l’esprit du consommateur sur les rôles respectifs de ces deux entités dans la fabrication et dans le reconditionnement du produit. Ce qui importe est, d’une part, que le consommateur sache qui est responsable de l’opération de reconditionnement et à qui peuvent être imputés d’éventuels défauts du produit engendrés par cette opération et, d’autre part, qu’il soit convaincu que l’opération de reconditionnement n’a pas été effectuée sous le contrôle du titulaire de la marque.

35.      Il suffit, à cet égard, que soit mentionné le nom de l’entreprise qui contrôle l’opération de reconditionnement, en donnant à l’entreprise exécutante les instructions à suivre, et qui assume la responsabilité de cette opération. S’il s’agit de l’importateur parallèle, alors l’indication selon laquelle le produit est reconditionné par ce dernier suffit pour éviter toute confusion dans l’esprit des consommateurs et pour permettre à ces derniers, ainsi qu’au titulaire de la marque, de savoir qui a eu la maîtrise de l’opération de reconditionnement. En revanche, s’il apparaît que cette opération a été réalisée en toute indépendance par une entreprise de reconditionnement et que celle-ci en assume la responsabilité, alors c’est bien le nom de cette dernière qui devrait figurer sur l’emballage à côté de celui du fabricant.

36.      Dès lors que «l’auteur du reconditionnement» au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., précité, vise l’entreprise qui contrôle l’opération de reconditionnement et qui en assume la responsabilité, c’est à cette dernière qu’il incombe de veiller à ce que le reconditionnement n’affecte pas l’état originaire du produit contenu dans l’emballage et à ce que la présentation du produit reconditionné ne soit pas telle qu’elle puisse nuire à la réputation de la marque.

37.      La question de savoir si, dans les litiges au principal, l’entreprise qui a été indiquée sur l’emballage des médicaments comme auteur du reconditionnement a eu la maîtrise de l’opération de reconditionnement et en assume la responsabilité est une question de fait qu’il revient à la juridiction de renvoi de trancher. Afin de cerner les rapports qu’entretiennent l’importateur parallèle et l’entreprise de reconditionnement, il est important de vérifier qui détermine les modalités concrètes du reconditionnement. La circonstance que les deux entreprises appartiennent au même groupe ne nous paraît pas, à cet égard, déterminante, mais peut seulement avoir valeur d’indice sur la nature des rapports entre ces entreprises.

38.      Exiger que, lorsque l’entreprise qui contrôle l’opération de reconditionnement et qui en assume la responsabilité et celle qui effectue concrètement le reconditionnement constituent deux entités différentes, soit indiqué le nom de cette dernière irait, selon nous, au-delà de ce qui est nécessaire pour empêcher que le consommateur puisse être amené à croire que le titulaire de la marque est responsable du reconditionnement.

39.      Merck soutient, au contraire, que l’information des consommateurs devrait être la plus complète possible et que, par conséquent, la protection de ceux-ci exigerait que l’emballage d’un médicament mentionne le nom du reconditionneur effectif.

40.      Face à cette tentative de créer un motif supplémentaire permettant à un titulaire de marque de s’opposer à des importations parallèles de médicaments, il importe de rappeler, comme les avocats généraux Jacobs (16) et Sharpston (17) l’ont fait avant nous, que, dans le contexte du droit des marques, toute dérogation au principe de la libre circulation des marchandises doit être interprétée de manière stricte et ne peut être invoquée que pour justifier des restrictions nécessaires à la sauvegarde de l’objet spécifique d’un droit de propriété industrielle. En tant qu’exception au principe de la libre circulation des marchandises, l’article 7, paragraphe 2, de la directive 89/104 doit, dès lors, être interprété strictement.

41.      Comme la Cour l’a clairement indiqué dans son arrêt du 23 avril 2002, Boehringer Ingelheim e.a. (18), «s’il peut être dérogé au principe fondamental de la libre circulation des marchandises dans des cas où le titulaire d’une marque s’oppose sur le fondement de celle-ci au reconditionnement des médicaments importés parallèlement, c’est dans la mesure où cette faculté permet au titulaire de sauvegarder des droits qui relèvent de l’objet spécifique de la marque, compris à la lumière de la fonction essentielle de celle-ci» (19). Dès lors qu’un titulaire de marque invoque, pour s’opposer au reconditionnement de médicaments importés parallèlement, des motifs qui s’éloignent de la stricte protection de l’objet spécifique et de la fonction essentielle de sa marque, de tels motifs ne sont pas aptes à justifier une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des marchandises.

42.      Par conséquent, dans la mesure où ni l’objet spécifique de la marque ni la fonction essentielle de celle-ci en tant que garantie de provenance ne sont compromis par la mention conjuguée des noms de l’entreprise responsable du reconditionnement et du fabricant, nous estimons qu’un titulaire de marque ne peut pas se fonder sur l’article 7, paragraphe 2, de la directive 89/104 pour réclamer réparation à un importateur parallèle du fait de l’absence sur le produit reconditionné du nom du reconditionneur effectif, alors que cet importateur contrôle et assume la responsabilité de l’opération de reconditionnement.

43.      Cette solution nous paraît être de nature à préserver l’équilibre entre la protection des droits de marque et la libre circulation des marchandises, tout en permettant une information adéquate des consommateurs. Le titulaire de la marque voit la fonction essentielle de celle-ci en tant que garantie de provenance être sauvegardée et la réputation de la marque ne pourra pas être atteinte en raison d’un reconditionnement défectueux. Dans le même temps, le titulaire de la marque ainsi que les consommateurs savent à qui peut être imputée l’opération de reconditionnement en cas de défauts de celui-ci.

44.      Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, nous estimons que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le motif tiré de l’absence de mention sur l’emballage d’un produit reconditionné de l’entreprise qui a concrètement procédé au reconditionnement de celui-ci ne permet pas à un titulaire de marque de s’opposer à la commercialisation dudit produit lorsque figure, à côté du nom du fabricant, le nom de l’entreprise qui contrôle l’opération de reconditionnement et qui en assume la responsabilité.

IV – Conclusion

45.      Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Højesteret:

«L’article 7, paragraphe 2, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que le motif tiré de l’absence de mention sur l’emballage d’un produit reconditionné de l’entreprise qui a concrètement procédé au reconditionnement de celui-ci ne permet pas à un titulaire de marque de s’opposer à la commercialisation dudit produit lorsque figure, à côté du nom du fabricant, le nom de l’entreprise qui contrôle l’opération de reconditionnement et qui en assume la responsabilité.»


1 – Langue originale: le français.


2 – JO 1989, L 40, p. 1.


3 – 102/77, Rec. p. 1139.


4 – 1/81, Rec. p. 2913.


5 – C-232/94, Rec. p. I-3671.


6 – C-427/93, C-429/93 et C-436/93, Rec. p. I-3457.


7 – JO L 299, p. 25.


8 – Voir arrêté de consolidation n° 782 du 30 août 2001, tel que modifié.


9 – À l’exception de la sixième question dans l’affaire C-207/10 qui, comme l’audience de plaidoirie l’a confirmé, présente un caractère hypothétique et est donc irrecevable.


10 – Arrêt Hoffmann-La Roche, précité (points 7 et 8).


11 – Souligné par nous.


12 – Voir arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., précité (point 40).


13 – Souligné par nous.


14 – Arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., précité (point 79).


15 – Nous notons, d’ailleurs, que, dans son arrêt du 11 novembre 1997, Loendersloot (C-349/95, Rec. p. I-6227), c’est bien «celui qui est responsable du reconditionnement» qui est visé par la Cour (point 30).


16 – Point 77 de ses conclusions dans les affaires jointes ayant donné lieu à l’arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., précité, ainsi que dans les affaires jointes ayant donné lieu à l’arrêt du 11 juillet 1996, Eurim-Pharm (C-71/94 à C-73/94, Rec. p. I-3603), et dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt MPA Pharma, précité.


17 – Point 13 de ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim e.a. (C-348/04, Rec. p. I-3391).


18 – C-143/00, Rec. p. I-3759.


19 – Point 28.


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