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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Commission v Hungary (Taxation) French Text [2011] EUECJ C-274/10 (26 May 2011)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2011/C27410_O.html

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AVIS JURIDIQUE IMPORTANT: The source of this judgment is the web site of the Court of Justice of the European Communities. The information in this database has been provided free of charge and is subject to a Court of Justice of the European Communities disclaimer and a copyright notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.



CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES Bot

présentées le 26 mai 2011 (1)

Affaire C-274/10

Commission européenne

contre

République de Hongrie

«Manquement d’État – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée – Réglementation nationale ne permettant le remboursement de l’excédent de TVA que dans la mesure où celui-ci excède le montant de la taxe résultant des opérations non encore payées – Principe de neutralité fiscale»





1.        La taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»), en vertu du système commun instauré par le droit de l’Union, est un impôt à la consommation perçu à chaque stade du processus de production ou de distribution et qui doit être supporté entièrement par le consommateur final.

2.        Afin de permettre aux opérateurs économiques, qui en assurent le recouvrement auprès de leurs clients en même temps qu’ils reçoivent le prix de leurs produits ou de leurs services, de ne pas en supporter la charge, le système commun de la TVA prévoit un mécanisme de déduction, destiné à assurer la «neutralité» de la taxe à leur égard.

3.        Les opérateurs économiques dits «assujettis» sont ainsi autorisés à déduire de la taxe qu’ils ont recouvrée auprès de leurs clients et dont ils sont redevables envers l’État membre la TVA qu’ils ont eux-mêmes supportée en amont lors de l’acquisition des biens et des services nécessaires à l’exercice de leur activité professionnelle.

4.        Le présent recours en manquement porte sur les dispositions du système commun de la TVA applicables lorsque les droits à déduction de l’assujetti excèdent le montant de la taxe dont il est redevable.

5.        En vertu de l’article 183 de la directive 2006/112/CE du Conseil (2), lorsque le montant des déductions dépasse celui de la TVA due pour une période imposable, les États membres peuvent soit reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils déterminent.

6.        La République de Hongrie estime que, en vertu de cette disposition, elle était en droit de limiter le remboursement à la part de la TVA qui a été effectivement acquittée par l’assujetti. La Commission européenne, considérant que ladite disposition ne confère pas cette possibilité aux États membres, a introduit le présent recours en manquement.

7.        Dans les présentes conclusions, nous exposerons les motifs pour lesquels le présent recours, à notre avis, est bien fondé.

8.        Nous soutiendrons que, contrairement à ce que la Commission a fait valoir dans ses écritures, la limitation prévue par le droit hongrois ne va pas à l’encontre du principe de neutralité sur lequel repose le système commun de la TVA. Nous exposerons, cependant, que, comme cette institution l’a soutenu également, l’article 183 de la directive 2006/112, lu à la lumière des autres dispositions de celle-ci relatives au droit à déduction, limite clairement le pouvoir des États membres à l’alternative de rembourser l’excédent ou le reporter à la période suivante, et cela sans faire de distinction entre la TVA acquittée et celle qui est simplement due.

9.        Un État membre ne saurait donc limiter le remboursement de l’excédent à la part de la TVA qui a été effectivement acquittée par l’assujetti sans excéder la marge d’appréciation dont il dispose en vertu de la directive 2006/112.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

10.      Selon l’article 2 de la première directive 67/227/CEE du Conseil (3), le principe du système commun de la TVA est d’appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition. À chaque transaction, la TVA, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la TVA qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.

11.      Le titre VI de la directive 2006/112, intitulé «Fait générateur et exigibilité de la taxe», comprend, notamment, les dispositions suivantes:

«Article 62

Aux fins de la présente directive sont considérés comme:

1)      ‘fait générateur de la taxe’ le fait par lequel sont réalisées les conditions légales nécessaires pour l’exigibilité de la taxe;

2)      ‘exigibilité de la taxe’ le droit que le Trésor peut faire valoir aux termes de la loi, à partir d’un moment donné, auprès du redevable pour le paiement de la taxe, même si le paiement peut en être reporté.

[…]

Article 63

Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée.

[…]

Article 65

En cas de versements d’acomptes avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la taxe devient exigible au moment de l’encaissement, à concurrence du montant encaissé.

Article 66

Par dérogation aux articles 63, 64 et 65, les États membres peuvent prévoir que la taxe devient exigible pour certaines opérations ou certaines catégories d’assujettis à un des moments suivants:

a)      au plus tard lors de l’émission de la facture;

b)      au plus tard lors de l’encaissement du prix;

c)      en cas d’absence d’émission ou d’émission tardive de la facture, dans un délai déterminé à compter de la date du fait générateur.

[…]»

12.      Le titre X de la directive 2006/112 est consacré aux déductions. Son chapitre 1, intitulé «Naissance et étendue du droit à déduction», comprend, notamment, les articles 167 et 168, rédigés comme suit:

«Article 167

Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

Article 168

Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants:

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti;

[…]»

13.      Le chapitre 4 du titre X de la directive 2006/112 traite des modalités d’exercice du droit à déduction. Il comprend, entre autres, les articles suivants:

«Article 178

Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes:

a)      pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240;

[…]

Article 179

La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu de l’article 178, au cours de la même période.

[…]

Article 183

Lorsque le montant des déductions dépasse celui de la TVA due pour une période imposable, les États membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent.

Toutefois, les États membres peuvent refuser le report ou le remboursement lorsque l’excédent est insignifiant.»

14.      Le chapitre 5 du titre X de la directive 2006/112 est intitulé «Régularisation des déductions». Il précise, à ses articles 184 et 185:

«Article 184

La déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer.

Article 185

1.      La régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA, entre autres en cas d’achats annulés ou en cas de rabais obtenus.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, il n’y a pas lieu à régularisation en cas d’opérations totalement ou partiellement impayées, en cas de destruction, de perte ou de vol dûment prouvés ou justifiés et en cas de prélèvements effectués pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons visés à l’article 16.

En cas d’opérations totalement ou partiellement impayées et en cas de vol, les États membres peuvent toutefois exiger la régularisation.»

15.      Les obligations des assujettis en ce qui concerne le paiement de la TVA sont énoncées au titre XI de la directive 2006/112, qui contient, notamment, les articles suivants:

«Article 206

Tout assujetti qui est redevable de la taxe doit payer le montant net de la TVA lors du dépôt de la déclaration de TVA prévue à l’article 250. Toutefois, les États membres peuvent fixer une autre échéance pour le paiement de ce montant ou percevoir des acomptes provisionnels.

[…]

Article 250

1.      Tout assujetti doit déposer une déclaration de TVA dans laquelle figurent toutes les données nécessaires pour constater le montant de la taxe exigible et celui des déductions à opérer […]

[…]

Article 252

1.      La déclaration de TVA doit être déposée dans un délai à fixer par les États membres. Ce délai ne peut dépasser de plus de deux mois le terme de chaque période imposable.

2.      Les États membres fixent la durée de la période imposable à un, deux ou trois mois.

Les États membres peuvent toutefois fixer des durées différentes pour autant qu’elles n’excèdent pas un an.»

B –    La réglementation nationale

16.      L’article 55, paragraphe 1, de la loi CXXVII de 2007 relative à la TVA (4) dispose:

«La survenance du fait par lequel s’accomplit objectivement l’opération génératrice de la taxe (ci-après la ‘réalisation’) donne naissance à l’exigibilité de la taxe.»

17.      Aux termes de l’article 56 de la loi hongroise relative à la TVA, «[l]a taxe due est constatée au moment de la réalisation – à moins que cette loi n’en dispose autrement».

18.      L’article 119, paragraphe 1, de ladite loi prévoit:

«À moins que la loi n’en dispose autrement, le droit à déduction de la taxe prend naissance lorsqu’il faut établir la taxe due correspondant à la taxe calculée en amont (article 120).»

19.      L’article 131 de la loi hongroise relative à la TVA dispose:

«(1)      L’assujetti identifié à la TVA sur le territoire national peut déduire du montant total de la taxe dont il est redevable pour une période imposable le montant de la taxe en amont déductible qui a pris naissance durant la même période imposable ou durant une ou des période(s) antérieure(s).

(2)      Si la différence déterminée conformément au paragraphe 1 est négative, l’assujetti identifié à la TVA sur le territoire national peut

a)      considérer cette différence, durant la période imposable suivante, comme un poste diminuant le montant total de la taxe dont il est redevable conformément au paragraphe 1 pour cette période imposable, ou

b)      demander le remboursement de la différence auprès des autorités fiscales de l’État dans les conditions et selon les modalités définies à l’article 186.»

20.      L’article 186 de cette loi énonce ce qui suit:

«(1)      Le remboursement du montant de la différence négative déterminée conformément à l’article 131, paragraphe 1 – corrigé conformément au paragraphe 2 – peut être demandé au plus tôt à partir de l’échéance fixée dans la loi XCII de 2003 [sur le régime de l’imposition (5)], si

a)      l’assujetti identifié à la TVA sur le territoire national en fait la demande aux autorités fiscales au moment où il introduit sa déclaration conformément à l’article 184; […]

[…]

(2)      Lorsque l’assujetti identifié à la TVA sur le territoire national procédant conformément au paragraphe 1, sous a), ne paie pas immédiatement, avant l’échéance mentionnée au paragraphe 1, le montant, contenant également une taxe, qui correspond à l’opération constitutive de la base juridique de la répercussion de l’impôt, ou si sa dette ne disparaît pas d’une autre façon avant cette date, il convient de déduire le total de la taxe en amont déductible correspondant à cette opération du montant, exprimé en valeur absolue, de la différence négative constatée conformément à l’article 131, paragraphe 1, à hauteur maximale de ce montant.

(3)      L’article 131, paragraphe 2, sous a), s’applique à la somme qui minore, en application du paragraphe 2, le montant exprimé en valeur absolue de la différence négative constatée conformément à l’article 131, paragraphe 1, à hauteur maximale de ce montant.

[…]»

21.      Il ressort de l’article 37, paragraphe 1, de la loi XCII de 2003 sur le régime de l’imposition que l’échéance correspond au délai de paiement de la taxe:

«La taxe doit être payée à la date indiquée dans l’annexe de la loi ou la loi elle-même (échéance) […]»

22.      Aux termes de l’annexe II, partie I, point 2, sous a), de cette loi:

«L’assujetti redevable de la [TVA] paie le montant net dû de la [TVA]

–        en cas de déclarations fiscales mensuelles avant le 20 du mois suivant le mois courant,

–        en cas de déclarations fiscales trimestrielles avant le 20 du mois suivant le trimestre,

–        en cas de déclarations fiscales annuelles avant le 25 février de l’année suivant l’année fiscale

et peut en demander le remboursement à compter de cette même date.»

II – La procédure et les conclusions des parties

23.      La Commission a adressé à la République de Hongrie une lettre de mise en demeure en date du 21 mars 2007, puis un avis motivé daté du 8 octobre 2009, dans lesquels elle exposait à cet État membre les motifs pour lesquels elle estimait que la réglementation de celui-ci était contraire à l’article 183 de la directive 2006/112. Elle l’y invitait également à se conformer à cette disposition.

24.      La République de Hongrie, qui conteste cette appréciation, n’ayant pas obtempéré, la Commission, par acte du 20 mai 2010, a formé le présent recours dans lequel elle a conclu à ce qu’il plaise à la Cour:

–        constater que la République de Hongrie n’a pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2006/112[…]

–        en obligeant les assujettis dont la déclaration fiscale fait apparaître un «excédent» au sens de l’article 183 de la directive [2006/112] durant une période imposable donnée, à reporter cet excédent intégralement ou partiellement sur la période imposable suivante s’ils n’ont pas payé la totalité de l’achat correspondant à leur fournisseur, et

–        du fait que, en raison de cette obligation, certains assujettis dont la déclaration fiscale fait systématiquement apparaître des «excédents» sont contraints de reporter plus d’une fois cet excédent sur la période imposable suivante;

–        condamner la République de Hongrie aux dépens.

25.      La République de Hongrie a conclu au rejet du recours de la Commission et à la condamnation de celle-ci aux dépens.

III – Les arguments des parties

A –    La Commission

26.      La Commission relève que l’article 186, paragraphe 2, de la loi hongroise relative à la TVA exclut le remboursement de l’excédent dans la mesure où la TVA en amont résulte d’opérations pour lesquelles la contrepartie, TVA comprise, n’a pas encore été payée et sans que l’obligation de paiement ait disparu d’une autre façon. Elle soutient que cette limitation est contraire au droit de l’Union.

27.      En premier lieu, ladite limitation ne respecterait pas le principe de neutralité fiscale tel qu’interprété et concrétisé par la Cour. Or, l’article 183 de la directive 2006/112, notamment ses termes «selon les modalités qu’ils fixent», devrait être interprété à la lumière de ce principe, qui constituerait un principe fondamental du système commun de la TVA et selon lequel le mécanisme des déductions viserait à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques.

28.      La Commission allègue que, selon les articles 62 et 63 de ladite directive, la TVA en aval devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée, indépendamment du paiement de la contrepartie pour l’opération concernée. Un fournisseur de biens ou un prestataire de services serait donc obligé de verser la TVA au Trésor public, même s’il n’a pas encore été payé par ses clients avant la fin de la période imposable. Étant donné que, dans une telle situation, l’article 186, paragraphe 2, de la loi hongroise relative à la TVA empêche le client de demander le remboursement de la TVA correspondant à l’opération en question, il enrichirait le Trésor public jusqu’au paiement de l’opération et déséquilibrerait le système de la TVA.

29.      L’exclusion du remboursement de l’excédent de la TVA déductible imposerait une charge aux opérateurs concernés. D’une part, le retard apporté au paiement par l’État de la créance de l’assujetti demandant le remboursement diminuerait temporairement la valeur des biens dont dispose cet assujetti, ce qui réduirait ses possibilités de profit et ses liquidités et accroîtrait donc son risque commercial. D’autre part, en réduisant les liquidités dont dispose l’acquéreur des biens ou le preneur des services, la non-restitution de l’excédent de la TVA augmenterait simultanément le risque que cet acquéreur ou ce preneur ne puisse pas – ou seulement avec du retard – payer les biens ou les services qui lui ont été fournis. Ainsi, ladite exclusion accroîtrait également le risque commercial du fournisseur de biens ou du prestataire de services et aurait même pour conséquence de réduire la probabilité que la condition pour obtenir le remboursement soit réalisée.

30.      Même si le système de la TVA instauré par la directive 2006/112 impose différentes charges aux assujettis, en particulier l’obligation de verser la TVA en aval à l’État indépendamment du paiement de la contrepartie de l’opération concernée par le client, de sorte que le principe de neutralité fiscale serait mis en œuvre dans ce système avec certaines restrictions, ces restrictions devraient être interprétées de manière restrictive. La Cour aurait, dans l’arrêt du 25 octobre 2001, Commission/Italie (6), jugé, notamment, que les États membres ne peuvent fixer des modalités de remboursement de l’excédent de la TVA telles qu’elles font supporter à l’assujetti, en tout ou partie, le poids de la TVA.

31.      Selon la Commission, l’article 183 de la directive 2006/112 prévoit seulement que les États membres peuvent définir les règles procédurales régissant ce remboursement afin que ces règles s’insèrent correctement dans les différents dispositifs réglementaires de procédure administrative. En revanche, cet article ne permettrait pas de restreindre ledit remboursement par le biais de conditions relatives au fond. Une telle restriction serait contraire à l’objectif dudit article, entraînerait des divergences réglementaires injustifiées entre les États membres et violerait le principe de la neutralité fiscale. Or, la réglementation nationale en cause n’établirait pas de règles formelles, mais s’efforcerait de fixer des limites matérielles au remboursement de la TVA.

32.      En second lieu, la Commission expose que ladite réglementation nationale serait également incompatible avec l’article 183 de la directive 2006/112 parce qu’elle ne contient aucune limitation temporelle concernant le report de l’excédent sur la période d’imposition suivante.

33.      Il résulterait du libellé de cet article que l’excédent devrait être remboursé au plus tard durant la deuxième période imposable suivant sa naissance. En revanche, selon la législation nationale en cause, il serait possible que l’assujetti doive reporter à plusieurs reprises l’excédent de la TVA, en particulier lorsqu’il s’agit d’un assujetti effectuant des opérations dont le montant de la TVA en amont déductible dépasse régulièrement le montant de la TVA en aval. Tel serait notamment le cas des assujettis exerçant essentiellement des activités d’exportation, en vertu des articles 146, paragraphe 1, sous a), et 169, sous b), de la directive 2006/112.

34.      La législation nationale en cause ne garantirait pas non plus que l’assujetti récupère effectivement l’excédent de la TVA. Si l’assujetti venait à mettre fin à ses activités pour cause d’insolvabilité sans avoir payé tous ses achats, l’excédent de la TVA correspondant aux achats impayés resterait finalement entre les mains de l’État.

B –    La République de Hongrie

35.      La République de Hongrie estime que la condition prévue par sa réglementation, selon laquelle seule la taxe effectivement payée peut faire l’objet d’un remboursement, ne viole ni le principe de neutralité fiscale ni l’article 183 de la directive 2006/112, qui attribue clairement aux États membres la compétence de définir les conditions de remboursement.

36.      En premier lieu, la République de Hongrie allègue que cette condition ne représente pas une charge, pour l’assujetti, contraire au principe de neutralité fiscale.

37.      En effet, il faudrait comprendre par «charge de la TVA» uniquement une charge définitive, à savoir une situation dans laquelle l’assujetti doit supporter la TVA sans droit à déduction. Le fait de supporter provisoirement la charge de la TVA constituerait seulement une charge de financement ou de trésorerie, qui n’affecterait que temporairement la situation financière de l’opérateur concerné et qui ne serait pas contraire au principe de neutralité fiscale.

38.      La République de Hongrie souligne, à cet égard, que le système commun de la TVA, en prévoyant que la TVA devient exigible après la réalisation de l’opération indépendamment du paiement de la contrepartie, aux articles 62 et 63 de la directive 2006/112, ou encore que le remboursement d’un excédent de la TVA en amont déductible a lieu, au plus tôt, après la fin de la période imposable concernée, impose aux assujettis de supporter transitoirement le montant de la taxe.

39.      Par conséquent, la condition litigieuse déterminerait uniquement le moment auquel est ouverte la possibilité de remboursement sans remettre en cause ce dernier.

40.      En outre, cette condition ne ferait pas courir de risque financier à l’assujetti, étant donné que celui-ci n’a pas encore payé sa dette. La charge serait, en réalité, uniquement supportée par le vendeur, mais celle-ci résulterait des règles de l’Union, en particulier des articles 62 et 63 de la directive 2006/112. Cette charge étant compatible avec le principe de neutralité fiscale, la prétendue charge découlant de la réglementation nationale litigieuse pour l’acquéreur des biens ou le preneur de services ne saurait être considérée comme inadmissible.

41.      La condition de paiement, fixée par l’article 186, paragraphe 2, de la loi hongroise relative à la TVA pour obtenir le remboursement d’un excédent de la TVA, s’efforcerait de neutraliser l’avantage dont bénéficie l’acquéreur des biens ou le preneur de services qui pourrait, en l’absence de cette condition, payer ses fournisseurs grâce à la taxe remboursée par l’État et se trouverait dans une situation plus avantageuse qu’un assujetti qui a payé ses fournisseurs avant le remboursement de l’excédent de la TVA. En revanche, selon la conception de la Commission, l’État supporterait initialement la dette fiscale découlant de l’opération et octroierait un prêt gratuit aux assujettis, en particulier lorsque la période imposable du prestataire de services est plus longue que celle du preneur.

42.      L’article 186, paragraphe 2, de la loi hongroise relative à la TVA viserait à éviter qu’un assujetti puisse profiter de la possibilité d’obtenir le remboursement de l’impôt grevant une transaction qu’il n’a pas payée, voire qu’il ne paiera peut-être jamais, pour améliorer sa situation de trésorerie. Si le fournisseur ou le prestataire de services n’a pas payé la TVA à laquelle il est assujetti, soit parce qu’il la déclare au cours d’une autre période imposable, soit parce que, plus généralement, il ne peut pas payer l’impôt qui lui incombe à l’échéance, le droit au remboursement de l’acquéreur serait, en réalité, un prêt de l’État grevant le budget de celui-ci.

43.      En second lieu, la République de Hongrie soutient que l’interprétation de la Commission du principe de neutralité fiscale restreint de manière injustifiée le pouvoir d’appréciation conféré aux États membres par l’article 183 de la directive 2006/112. Selon cet État membre, admettre que toute règle en matière de TVA affectant d’une quelconque manière la situation financière, la trésorerie ou les décisions commerciales des entreprises viole le principe de neutralité fiscale aurait pour effet de vider de son sens l’article 183 de la directive 2006/112.

44.      Par ailleurs, la République de Hongrie fait valoir que sa réglementation n’est pas comparable à celle en cause dans l’arrêt Commission/Italie, précité, dans la mesure où la réglementation hongroise ne met pas en cause la possibilité, pour un assujetti, de récupérer le montant total de la TVA par un paiement en liquidités et dans un délai raisonnable, si un délai raisonnable a été fixé pour le paiement de la transaction. En outre, en employant, au point 34 de cet arrêt, les termes «dans un délai raisonnable», la Cour aurait reconnu que les États membres disposent d’une certaine latitude en ce qui concerne la fixation du délai de remboursement. Par conséquent, les règles nationales de remboursement pourraient nécessairement faire supporter temporairement la charge de financement par l’assujetti sans que le principe de la neutralité fiscale soit violé.

45.      S’agissant de l’absence de limitation temporelle concernant le report de l’excédent de la TVA sur la période d’imposition suivante, la République de Hongrie fait valoir que ni le texte ni le préambule de la directive 2006/112 n’indique que l’excédent de la TVA ne peut être reporté qu’une seule fois.

46.      En outre, la réalisation de la condition posée par la réglementation nationale litigieuse pour obtenir le remboursement dépendrait de la propre décision de l’assujetti concerné. Dès lors qu’il a payé le bien ou la prestation de services, la question du report sur une période imposable ultérieure ne se poserait plus.

47.      Enfin, la République de Hongrie souligne que, dans la pratique commerciale, un report de paiement de 90 à 120 jours peut être considéré comme normal. Dans ces conditions, le report réitéré du remboursement ne pourrait affecter que les assujettis introduisant une déclaration mensuelle. En effet, les assujettis effectuant une déclaration trimestrielle auraient, pour la plupart, probablement payé, au cours de la période imposable suivante, le prix et la TVA grevant leurs opérations en amont si bien que le remboursement ne serait plus exclu en vertu de l’article 186, paragraphe 2, de la loi hongroise relative à la TVA.

IV – Notre appréciation

48.      La Commission demande à la Cour de constater que la législation hongroise viole la directive 2006/112 parce que, d’une part, le remboursement d’un excédent de la TVA est subordonné à la condition que la taxe ait été effectivement acquittée et, d’autre part, en vertu de cette condition, le remboursement de l’excédent correspondant à la part de la TVA non encore acquittée peut être reporté indéfiniment et non pas seulement sur la période suivante.

49.      À titre liminaire, il importe de constater que le second grief visé par la Commission ne constitue que la conséquence de l’application de la condition prévue par la réglementation hongroise en cause, qui est visée dans le premier grief. La légalité du report du remboursement de la part de la TVA non encore acquittée jusqu’à ce qu’elle soit payée par l’assujetti, et donc, le cas échéant, au-delà de la période imposable suivante, dépend ainsi de la conformité avec le droit de l’Union de la condition prévue par la République de Hongrie, selon laquelle seule la TVA acquittée peut donner lieu à un remboursement.

50.      Par conséquent, la question qu’il importe de trancher dans le cadre du présent recours porte sur le point de savoir si un État membre est en droit de limiter le remboursement d’un excédent de la TVA à la part de la taxe qui a déjà été acquittée par l’assujetti.

51.      La République de Hongrie soutient que le pouvoir d’édicter une telle condition lui est conféré par l’article 183 de la directive 2006/112, qui prévoit que, en cas d’excédent de la TVA, les États membres peuvent soit le faire reporter sur la période suivante, soit procéder à son remboursement selon les modalités qu’ils fixent.

52.      Il s’agit donc de déterminer si le membre de phrase «selon les modalités qu’ils fixent», contenu à l’article 183 de la directive 2006/112, confère à un État membre le pouvoir de limiter le remboursement de l’excédent de la TVA à la part de la taxe qui a été acquittée par l’assujetti.

53.      La Commission soutient que cette disposition ne permet pas à un État membre d’édicter une telle condition aux motifs qu’elle serait contraire, d’une part, au principe de neutralité du système commun de la TVA pour les assujettis et, d’autre part, au sens et à la portée de ladite disposition.

54.      Nous ne sommes pas convaincu par l’argumentation de la Commission fondée sur le principe de neutralité fiscale. En revanche, nous adhérons à sa position quant au sens et à la portée de l’article 183 de la directive 2006/112.

A –    Le principe de neutralité fiscale

55.      Contrairement à la Commission, nous ne sommes pas convaincu que la limitation du remboursement d’un excédent de la TVA à la part de la taxe qui a été acquittée par l’assujetti soit réellement contraire au principe de neutralité de la TVA qui, comme le rappelle cette institution, constitue un principe fondamental inhérent au système commun de la TVA (7).

56.      Ce principe a un double contenu. Il exige, premièrement, que les opérateurs économiques qui sont dans une situation comparable ainsi que les biens et les prestations de services semblables, qui se trouvent ainsi en concurrence les uns avec les autres, soient traités d’une manière identique en ce qui concerne la TVA, afin d’éviter toute distorsion de concurrence. Sous cet aspect, le principe de neutralité fiscale constitue une expression, dans le domaine de la TVA, du principe général d’égalité de traitement (8).

57.      Le principe de neutralité fiscale implique, deuxièmement, que l’assujetti soit déchargé intégralement de la TVA qui a grevé les biens et les services qu’il a acquis pour l’exercice de ses activités taxées (9). Il est mis en œuvre, dans le système commun de la TVA, par le régime de déduction dont la portée a été interprétée au regard de ce principe.

58.      Ainsi, conformément à la jurisprudence, le principe de neutralité fiscale s’oppose, d’une part, à ce que le régime de déduction ait pour effet que le montant de la TVA dont l’intéressé est déclaré redevable envers l’administration excède celui de la taxe qu’il a recouvré ou qui lui est dû par ses clients (10). Il s’oppose, d’autre part, à une mesure nationale qui mettrait à la charge de l’assujetti le coût de la TVA qu’il a supportée dans le cadre de son activité économique sans lui donner la possibilité de la déduire (11). En d’autres termes, le principe de neutralité fiscale requiert que les règles en matière de déduction permettent d’effacer totalement la taxe que l’assujetti a acquittée en amont pour la production de ses biens ou de ses services taxés. Il s’agit d’éviter que, en fin de compte, l’assujetti ait à supporter une rémanence de taxe.

59.      Toutefois, nous ne trouvons pas, dans la jurisprudence, de précédent dans lequel la Cour aurait dit que le principe de neutralité fiscale s’oppose à ce que l’assujetti fasse l’avance de la TVA et supporte ainsi provisoirement la charge de trésorerie qu’une telle avance implique.

60.      L’arrêt Commission/Italie, précité, mentionné par la Commission, ne permet pas, à notre avis, de déduire un tel principe. En effet, dans cet arrêt, la Cour s’est trouvée confrontée à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle le remboursement de l’excédent de la TVA dont bénéficiait un certain nombre d’assujettis pour l’année 1992 devait être effectué par la remise de titres d’État émis à partir du 1er janvier 1994 et venant à échéance cinq ou dix ans après l’émission.

61.      C’est dans ce contexte que la Cour a dit que, si les États membres disposent d’une liberté de manœuvre certaine dans l’établissement des modalités de remboursement de l’excédent de la TVA (12), les modalités qu’ils fixent ne sauraient être telles qu’elles porteraient atteinte au principe de neutralité fiscale en faisant supporter à l’assujetti, en tout ou partie, le poids de la TVA, de sorte qu’elles doivent permettre à l’assujetti de récupérer, dans des conditions adéquates, la totalité de la créance résultant de cet excédent de la TVA. Elle en a déduit que cela implique que le remboursement soit effectué, dans un délai raisonnable, par un paiement en liquidités ou d’une manière équivalente, et que, en tout état de cause, le mode de remboursement adopté ne fasse courir aucun risque financier à l’assujetti (13).

62.      Dans l’arrêt Commission/Italie, précité, la Cour a donc simplement condamné les modalités de remboursement en cause au motif qu’elles ne constituaient pas un paiement en liquidités dans un délai raisonnable (14).

63.      Par ailleurs, lorsque nous examinons l’économie générale du système commun de la TVA, nous relevons, comme le souligne le gouvernement hongrois, qu’il impose à l’assujetti de faire l’avance de cette taxe, non seulement de celle qui grève les biens et les services qu’il acquiert pour l’exercice de ses activités taxées, mais aussi, dans une certaine mesure, de celle dont il est redevable envers le Trésor public.

64.      En effet, comme nous l’avons indiqué, en vertu du système commun, la TVA est perçue à chaque étape du circuit de production ou de distribution, de sorte que l’assujetti doit, en principe, l’acquitter auprès de ses fournisseurs pour, ensuite, la déduire de la TVA qu’il doit au Trésor public.

65.      De même, en vertu des articles 63, 206 et 250 de la directive 2006/112, l’assujetti est redevable, lors du dépôt de chaque déclaration de la TVA, non seulement de la taxe qu’il a effectivement recouvrée auprès de ses clients, mais aussi de celle que ceux-ci restent lui devoir au titre des livraisons de biens ou des prestations de services qu’il a déjà effectuées. En effet, en vertu de cet article 63, rappelons-le, la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée.

66.      Dans la mesure où, dans la majorité des cas, la dette des assujettis envers le Trésor public excède le montant de leurs droits à déduction, les assujettis peuvent donc être contraints de supporter la charge de trésorerie correspondant à la part de la TVA qui est devenue exigible et qu’ils n’ont pas encore encaissée.

67.      En outre, si, en vertu de l’option prévue à l’article 183 de la directive 2006/112, un État membre décidait de reporter l’excédent de la TVA sur la période suivante, dont la durée, en vertu de l’article 252 de la même directive, peut aller jusqu’à une année, l’assujetti devrait attendre pendant toute cette période le remboursement non seulement de la taxe dont il reste redevable, mais encore de celle qu’il a déjà acquittée.

68.      Dans un tel cas de figure, l’assujetti devrait faire l’avance du paiement de la TVA et supporter la charge de trésorerie que cette avance implique et, en fonction de la durée de la période imposable fixée par l’État membre, le poids de cette charge pour les finances de l’assujetti pourrait être supérieur à celui causé par la réglementation hongroise, qui prévoit le remboursement sans report de la taxe déjà acquittée.

69.      Enfin, la Commission souligne que, si l’assujetti venait à mettre fin à ses activités pour cause d’insolvabilité sans avoir payé tous ses achats, l’excédent de la TVA correspondant aux achats impayés resterait finalement entre les mains de l’État.

70.      Nous ne croyons pas non plus que cette conséquence soit contraire au principe de neutralité fiscale. Ce principe s’oppose non pas à ce que l’État s’enrichisse, mais à ce que la TVA supportée par l’assujetti en amont pour l’exercice de ses activités taxées reste en fin de compte à sa charge. Or, tel n’est pas le cas tant que l’assujetti n’a pas acquitté la TVA.

71.      Le préjudice, en cas d’insolvabilité de l’assujetti, est davantage supporté par ses fournisseurs qui, en vertu du système commun de la TVA, sont tenus de verser à l’État la taxe exigible alors même qu’ils ne l’ont pas encaissée. Toutefois, le fait que le fournisseur d’un assujetti ayant mis fin à ses activités pour cause d’insolvabilité soit débiteur envers le Trésor public d’une taxe qu’il ne pourra pas recouvrer découle de l’application du système commun de la TVA, plus précisément des articles 63, 206 et 250 de la directive 2006/112. En outre, ce cas de figure est visé expressément à l’article 185 de la directive 2006/112, qui traite de la possibilité pour l’État membre de procéder à des régularisations en cas d’opérations totalement ou partiellement impayées.

72.      C’est donc au vu de l’ensemble de ces considérations que nous éprouvons des difficultés à adhérer à l’argumentation de la Commission, selon laquelle la réglementation hongroise, parce qu’elle obligerait l’assujetti à faire l’avance du paiement de la taxe due en amont, serait contraire au principe de neutralité fiscale.

73.      Certes, comme nous allons le voir dans la seconde partie de notre analyse, les dispositions de la directive 2006/112 relatives au remboursement d’un excédent de la TVA n’autorisaient pas la République de Hongrie, à notre avis, à instaurer la condition litigieuse.

74.      Cependant, ce ne sont pas les modalités concrètes d’application du droit à déduction qui doivent déterminer les implications exactes du principe de neutralité fiscale. C’est, au contraire, ce principe qui, en cas de silence ou d’insuffisance des textes de la directive 2006/112, doit guider leur interprétation.

75.      Dans la présente affaire, c’est non pas le principe de neutralité fiscale qui, selon nous, s’oppose à la réglementation en cause, mais bien les dispositions de la directive 2006/112 et, en particulier, l’article 183 de celle-ci.

B –    Le sens et la portée de l’article 183 de la directive 2006/112

76.      L’argumentation de la République de Hongrie, selon laquelle l’article 183 de la directive 2006/112 l’autorisait à instaurer la condition litigieuse, à notre avis, se heurte, en premier lieu, au libellé de cette disposition. L’article 183, premier alinéa, de la directive 2006/112, rappelons-le, dispose que, «[l]orsque le montant des déductions dépasse celui de la TVA due pour une période imposable, les États membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent».

77.      Lorsque nous examinons cette disposition, nous constatons, d’une part, que ce texte ne donne aux États membres que deux possibilités, à savoir soit reporter l’excédent sur la période suivante, soit le rembourser selon les modalités qu’il leur appartient de déterminer.

78.      Nous relevons, d’autre part, que le membre de phrase «selon les modalités qu’ils fixent» ne concerne que les modalités de remboursement, et non la détermination du montant des déductions. Cette analyse se vérifie également dans les langues dans lesquelles l’article 18, paragraphe 4, de la sixième directive, dont l’article 183 de la directive 2006/112 reprend les termes, a été adopté (15).

79.      Les modalités qu’il revient aux États membres de fixer, au vu du libellé de l’article 183 de la directive 2006/112, ne portent donc que sur les conditions pratiques du remboursement de l’excédent et non pas sur la détermination du montant de celui-ci. Il peut s’agir, par exemple, du délai imparti à l’administration fiscale pour procéder à ce remboursement (16), ou de mesures destinées à prévenir les risques de fraude (17), ou encore de l’instauration d’un délai de prescription (18).

80.      Cependant, le membre de phrase «selon les modalités qu’ils fixent» peut difficilement être lu en ce sens qu’il permettrait aux États membres d’ajouter une troisième possibilité à l’alternative énoncée à l’article 183, premier alinéa, de la directive 2006/112, qui prévoirait de ne rembourser que la TVA effectivement acquittée.

81.      Cette analyse trouve plusieurs éléments de confirmation dans la directive 2006/112.

82.      Ainsi, l’article 183, second alinéa, de celle-ci prévoit que les États membres peuvent refuser le report ou le remboursement lorsque l’excédent est insignifiant. A contrario, il peut être déduit de ladite disposition que le législateur communautaire n’a pas voulu conférer aux États membres le pouvoir de limiter le remboursement à la TVA acquittée.

83.      Nous avons vu, en effet, que l’article 183, premier alinéa, de la directive 2006/112 vise l’hypothèse dans laquelle le montant des déductions dépasse celui de la TVA sans prévoir que ces droits à déduction devaient être diminués de la TVA exigible non encore acquittée. Or, il est indiqué expressément à l’article 168 de cette directive que le droit à déduction par l’assujetti de la taxe en amont porte non seulement sur la TVA qu’il a acquittée, mais aussi sur la TVA due.

84.      Nous trouvons un autre élément de confirmation dans les dispositions de la directive 2006/112 qui traitent spécifiquement de la régularisation des déductions. En particulier, l’article 185 de celle-ci vise précisément la situation dans laquelle des opérations ont été totalement ou partiellement impayées.

85.      Cette référence aux opérations impayées à cet article 185, alors qu’aucune réserve n’est faite en ce qui les concerne à l’article 183 de la directive 2006/112, atteste encore, a contrario, que le législateur communautaire n’a pas souhaité permettre aux États membres d’exclure le remboursement de la taxe lorsque celle-ci n’a pas été effectivement acquittée.

86.      Certes, cette interprétation peut avoir pour conséquence, comme la République de Hongrie le fait valoir, d’obliger un État membre à fournir gratuitement de la trésorerie à un assujetti, lorsque les droits à déduction de celui-ci sont constitués d’une taxe qu’il n’a pas encore payée. Cette conséquence peut paraître illogique au vu de la règle selon laquelle les assujettis sont redevables envers le Trésor public de la TVA simplement exigible, qui peut contraindre les opérateurs économiques à faire l’avance de la TVA qu’ils n’ont pas encore encaissée.

87.      Elle peut également avoir pour effet de créer une inégalité de situation entre les opérateurs économiques en fonction de leur capacité d’obtenir des délais de paiement auprès de leurs fournisseurs de biens ou de services, laquelle peut dépendre de leur importance économique.

88.      Toutefois, nous ne croyons pas que ces arguments de la République de Hongrie justifient de retenir une autre interprétation de l’article 183 de la directive 2006/112.

89.      En effet, il a déjà été jugé que les États membres sont tenus d’appliquer le régime commun de la TVA même s’ils le considèrent comme perfectible. En effet, il ressort des points 55 et 56 de l’arrêt du 8 novembre 2001, Commission/Pays-Bas (19), que, même si l’interprétation proposée par certains États membres permettait de mieux respecter certaines finalités poursuivies par la sixième directive, telles que la neutralité de la taxe, les États membres ne peuvent s’écarter des dispositions expressément prévues par celle-ci (20).

90.      C’est pourquoi nous sommes d’avis que la Commission soutient à bon droit que l’article 183 de la directive 2006/112 n’autorise pas un État membre à limiter le remboursement de l’excédent de la TVA à la taxe qui a été effectivement acquittée. Par conséquent, nous proposons à la Cour de déclarer le présent recours en manquement bien fondé.

91.      La République de Hongrie, si la Cour partage notre position, devra supporter les dépens de la présente procédure en vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour.

V –    Conclusion

92.      Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de:

–        déclarer le présent recours en manquement bien fondé en ce que la Commission européenne reproche à la République de Hongrie de n’avoir pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée:

–        en obligeant les assujettis dont la déclaration fiscale fait apparaître un «excédent» au sens de l’article 183 de la directive 2006/112 durant une période imposable donnée à reporter cet excédent intégralement ou partiellement sur la période imposable suivante s’ils n’ont pas payé la totalité de l’achat correspondant à leur fournisseur, et

–        du fait que, en raison de cette obligation, certains assujettis dont la déclaration fiscale fait systématiquement apparaître des «excédents» sont contraints de reporter plus d’une fois cet excédent sur la période imposable suivante;

–        mettre les dépens à la charge de la République de Hongrie.


1 – Langue originale: le français.


2 – Directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).


3 – Directive du 11 avril 1967 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO 1967, 71, p. 1301).


4 – Általános forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. törvény (ci-après la «loi hongroise relative à la TVA»).


5 –      Adózás rendjéről szóló 2003. évi XCII. törvény.


6 – C-78/00, Rec. p. I-8195.


7 – Voir, notamment, arrêts du 5 mars 2009, J D Wetherspoon (C-302/07, Rec. p. I-1467, points 34 et 57); du 29 octobre 2009, NCC Construction Danmark (C-174/08, Rec. p. I-10567, point 40 et jurisprudence citée), ainsi que du 22 décembre 2010, Dankowski (C-438/09, non encore publié au Recueil, point 37).


8 – Voir arrêts NCC Construction Danmark, précité (point 44), ainsi que du 3 mars 2011, Commission/Pays-Bas (C-41/09, non encore publié au Recueil, point 66 et jurisprudence citée).


9 – Arrêt du 26 mai 2005, Kretztechnik (C-465/03, Rec. p. I-4357, point 34 et jurisprudence citée).


10 – Arrêts du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C-317/94, Rec. p. I-5339, point 28), ainsi que J D Wetherspoon, précité (point 34 et jurisprudence citée).


11 – Arrêt du 22 février 2001, Abbey National (C-408/98, Rec. p. I-1361, point 35 et jurisprudence citée).


12 – Les dispositions applicables en ce qui concerne le remboursement d’un excédent de la TVA étaient celles de l’article 18, paragraphe 4, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»), dont l’article 183 de la directive 2006/112 a repris les termes.


13 – Arrêt Commission/Italie, précité (points 33 et 34).


14 – Ibidem (point 36).


15 – Voir les versions en langues allemande («Übersteigt der Betrag der abgezogenen Vorsteuer den Betrag der für einen Steuerzeitraum geschuldeten Mehrwertsteuer, können die Mitgliedstaaten den Überschuss entweder auf den folgenden Zeitraum vortragen lassen oder nach den von ihnen festgelegen Einzelheiten erstatten»); anglaise («Where, for a given tax period, the amount of deductions exceeds the amount of VAT due, the Member States may, in accordance with conditions which they shall determine, either make a refund or carry the excess forward to the following period»); italienne («Qualora, per un periodo d’imposta, l’importo delle detrazioni superi quello dell’IVA dovuta, gli Stati membri possono far riportare l’eccedenza al periodo successivo, o procedere al rimborso secondo modalità da essi stabilite»), et néerlandaise («Indien voor een bepaald belastingtijdvak het bedrag van de aftrek groter is dan dat van de verschuldigde BTW, kunnen de lidstaten hetzij het overschot doen overbrengen naar het volgende tijdvak, hetzij het overschot teruggeven overeenkomstig de door hen vastgestelde regeling»).


16 – Voir, en ce sens, arrêts Commission/Italie, précité (points 32 à 34), et du 10 juillet 2008, Sosnowska (C-25/07, Rec. p. I-5129, point 17).


17 – Dans l’arrêt du 18 décembre 1997, Molenheide e.a. (C-286/94, C-340/95, C-401/95 et C-47/96, Rec. p. I-7281), la Cour a dit pour droit que l’article 18, paragraphe 4, de la sixième directive ne s’oppose pas à des mesures permettant aux autorités fiscales nationales de retenir, à titre conservatoire, des montants de TVA restituables lorsqu’il existe des présomptions de fraude fiscale ou lorsque ces autorités se prévalent d’une créance de TVA qui ne résulte pas des déclarations de l’assujetti et que ce dernier conteste (points 41 et 44).


18 – Dans l’arrêt du 21 janvier 2010, Alstom Power Hydro (C-472/08, non encore publié au Recueil), la Cour a dit pour droit que l’article 18, paragraphe 4, de la sixième directive ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui prévoit un délai de prescription de trois ans pour l’introduction d’une demande de remboursement des excédents de TVA perçus indûment par l’administration fiscale de cet État (point 22).


19 – C-338/98, Rec. p. I-8265.


20 – Arrêt du 6 octobre 2005, Commission/France (C-243/03, Rec. p. I-8411, point 35).


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