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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Interedil (Area of Freedom, Security and Justice) French Text [2011] EUECJ C-396/09 (10 March 2011) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2011/C39609_O.html |
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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
Mme Juliane Kokott
présentées le 10 mars 2011 (1)
Affaire C-396/09
Interedil Srl, en liquidation
contre
Fallimento Interedil Srl
Intesa Gestione Crediti SpA
(demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Bari, Italie)
«Demande de décision préjudicielle – Règlement (CE) n° 1346/2000 – Procédures d’insolvabilité – Compétence internationale – Article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 – Centre des intérêts principaux du débiteur – Présomption en faveur du lieu du siège statutaire – Transfert du siège statutaire dans un autre État membre – Article 3, paragraphe 2, sous h), du règlement n° 1346/2000 – Notion d’‘établissement’ – Pouvoir d’une juridiction nationale ne statuant pas en dernière instance de s’adresser à la Cour»
I – Introduction
1. L’article 3 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité (2) (ci-après: le «règlement n° 1346/2000») détermine les États membres dont les juridictions sont compétentes pour l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité s’agissant de situations transfrontalières relevant du marché intérieur (3). Ce sont les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur qui sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. La présente espèce donne l’occasion à la Cour de préciser la notion de «centre des intérêts principaux».
2. La présente espèce se caractérise par le fait qu’une société italienne a transféré son siège statutaire d’Italie au Royaume-Uni. Plus d’un an après la liquidation et la radiation de la société du registre des entreprises britannique, un créancier a demandé l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité en Italie. La juridiction de renvoi a des doutes quant à sa compétence internationale dans l’affaire qui lui a été soumise.
II – Cadre juridique
A – Droit de l’Union
3. À l’article 2 du règlement n° 1346/2000, la notion d’«établissement» est définie comme suit:
«Aux fins du présent règlement, on entend par:
…
h) «établissement»: tout lieu d’opérations où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains et des biens.»
4. L’article 3 du règlement n° 1346/2000 concerne la compétence internationale et stipule que:
«1. Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.
2. Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les juridictions d’un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire.
[…].»
5. Le treizième considérant du règlement n° 1346/2000 prévoit, quant à lui:
«Le centre des intérêts principaux devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers.»
B – Droit national
6. La juridiction de renvoi signale que, en vertu de l’article 382 du codice di procedura civile (code de procédure civile) italien et de la jurisprudence constante y relative, la décision préalable rendue par la Corte di Cassazione sur la question de la compétence est définitive et contraignante pour la juridiction du fond qui examine l’affaire.
III – Procédure au principal et questions préjudicielles
7. Les faits suivants résultent de l’ordonnance de renvoi:
8. La société Interedil Srl a été fondée en Italie et son siége établi à Monopoli. Le 18 juillet 2001, elle a transféré son siège statutaire à Londres. Elle a été inscrite au registre de la chambre de commerce anglaise (4) avec la mention «FC» (Foreign Company). Le 18 juillet 2001 également, elle a été radiée du registre des entreprises (5) italien (6).
9. L’ordonnance de renvoi indique qu’Interedil Srl a invoqué le fait que, au moment du transfert de son siège, c'est-à-dire le 18 juillet 2001, elle a effectué à Londres des opérations de société consistant dans l’acquisition de la société Interedil Srl par le groupe britannique Canopus et dans la négociation et la conclusion de contrats de cession d’entreprise. La société Interedil Srl a également signalé que, quelques mois plus tard, les immeubles situés à Taranto (Italie) ont été transférés à la société Windowmist Limited en tant qu’éléments faisant partie de l’entreprise transférée.
10. D’après l’ordonnance de renvoi, la société Interedil Srl a été «clôturée» (7) et «radiée» du registre des entreprises au Royaume-Uni le 22 juillet 2002.
11. En octobre 2003, la société Intesa Gestione Crediti Spa a demandé au Tribunale di Bari de déclarer la faillite de la société Interedil Srl.
12. La société Interedil Srl, en liquidation, (ci-après: «Interedil») a contesté la compétence de cette juridiction italienne et, en décembre 2003, elle a introduit une demande de décision préalable de la Corte di Cassazione italienne sur la question de la compétence. Elle a fait valoir que, du fait du transfert du siège statutaire de l’entreprise d’Italie au Royaume-Uni, les juridictions italiennes n’étaient plus compétentes pour l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.
13. Considérant que l’exception d’incompétence des juridictions italiennes était manifestement non fondée et que l’insolvabilité de l’entreprise était établie, le Tribunale di Bari a, en mai 2004 et sans attendre l’issue de la procédure devant la Corte di Cassazione sur la question de la compétence, déclaré la faillite de la «société Interedil Srl, en liquidation, dont le siège est à Londres, Chelsea Chambers 262 Fulham Road».
14. Par acte du 18 juin 2004, Interedil a introduit un recours contre ce jugement déclaratif de faillite.
15. Par ordonnance n° 10606/2005 du 20 mai 2005, la Corte di Cassazione a déclaré que les juridictions italiennes étaient compétentes. Elle a considéré que les circonstances suivantes suffisaient pour renverser la présomption de l’article 3, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 1346/2000, selon laquelle le centre des intérêts principaux correspond au lieu du siège statutaire: l’existence, en Italie, de biens immobiliers appartenant à Interedil, d’un contrat de location relatif à deux complexes hôteliers et d’un contrat conclu avec une institution bancaire, ainsi que l’absence de communication du transfert du siège social à Londres au registre des entreprises de Bari.
16. Compte tenu de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Eurofood (8), le Tribunale di Bari a des doutes s’agissant de cette appréciation de la Corte di Cassazione. Il a par conséquent décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
1. La notion de «centre des intérêts principaux du débiteur» visée à l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 doit-elle être interprétée conformément au droit communautaire ou au droit national et, en cas de réponse affirmative à la première branche de l’alternative, en quoi cette notion consiste-t-elle et quels sont les facteurs ou éléments déterminants pour identifier le «centre des intérêts principaux»?
2. La présomption instaurée par l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000, aux termes de laquelle «pour les sociétés, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire» peut-elle être renversée par la constatation d’une activité effective de l’entreprise dans l’État qui n’est pas celui où se trouve le siège statutaire de la société ou, pour que la présomption puisse être renversée, est-il nécessaire de constater que la société n’a exercé aucune activité entrepreneuriale dans l’État dans lequel elle a son siège statutaire?
3) L’existence, dans un État membre autre que celui où se trouve le siège statutaire de la société, de biens immobiliers appartenant à la société, l’existence d’un contrat de location relatif à deux complexes hôteliers, conclu par la société débitrice avec une autre société, ainsi que celle d’un contrat conclu par la société avec une institution bancaire sont-elles des éléments ou facteurs permettant de considérer comme renversée la présomption prévue par l’article 3 du règlement (CE) n° 1346/2000 en faveur du «siège statutaire» de la société et ces circonstances sont-elles suffisantes pour considérer que la société possède un «établissement» dans cet État, au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement (CE) 1346/2000?
4) Dans le cas où la position adoptée par la Corte di Cassazione sur la compétence dans l’ordonnance n° 10606/2005 précitée se baserait sur une interprétation de l’article 3 du règlement (CE) n° 1346/2000 différente de celle de la Cour, l’article 382 du code de procédure civile italien, aux termes duquel la Corte di Cassazione se prononce sur la compétence par un arrêt définitif et contraignant, fait-il obstacle à l’application de cette disposition communautaire, telle qu’interprétée par la Cour?
IV – Appréciation juridique
A – Recevabilité de la demande de décision à titre préjudiciel
17. Avant d’examiner les questions préjudicielles, il convient de déterminer tout d’abord si la demande de décision à titre préjudiciel du Tribunale di Bari est recevable.
1. Habilitation restreinte des juridictions à introduire des demandes préjudicielles selon l’article 68 CE
18. Le Tribunale di Bari a déféré ses questions à la Cour par ordonnance du 6 juillet 2009, reçue par la Cour le 13 octobre 2009. À cette date, le traité de Lisbonne n’était pas encore entré en vigueur.
19. Le règlement n° 1346/2000 a été adopté en vertu de l’article 61, point c), et de l’article 67, paragraphe 1, CE. Il s’agit donc d’un acte juridique, concernant lequel les juridictions ne statuant pas en dernière instance n’étaient, en vertu de l’article 68 CE, pas habilitées à introduire une demande préjudicielle. Comme la Commission l’a indiqué, les décisions de la juridiction de renvoi peuvent, en principe, faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne (9). Du point de vue de l’article 68 CE, la juridiction de renvoi n’était donc pas habilitée à procéder à un renvoi préjudiciel.
20. Il convient cependant de noter que l’article 68 CE est devenu caduc depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009 et que cette limitation du droit de saisine à titre préjudiciel n’existe plus à l’heure actuelle (10). Comme la Cour l’a jugé dans son arrêt rendu dans l’affaire Weryński, il convient, dans un tel cas, d’apprécier le droit de saisine à titre préjudiciel selon la législation en vigueur à la date de la décision de la Cour sur la demande de décision préjudicielle et non pas selon celle en vigueur à la date de la présentation de la demande (11). Par conséquent, la Cour a, depuis le 1er décembre 2009, compétence pour connaître d’une demande de décision préjudicielle émanant d’une juridiction dont les décisions sont susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, et ce même si la demande a été déposée avant cette date (12). La demande de décision à titre préjudiciel n’est donc pas irrecevable pour défaut de droit de saisine à titre préjudiciel.
2. Irrecevabilité en raison de l’inexistence de la société
21. Dans la procédure orale devant la Cour, Interedil (en liquidation) a souligné que les questions préjudicielles étaient hypothétiques et donc irrecevables, étant donné qu’Interedil n’existait plus depuis la radiation du registre de la chambre de commerce anglaise et que les questions déférées à la Cour étaient donc de nature hypothétique. La Commission a elle aussi soulevé ce problème dans son mémoire.
22. À cet égard, il convient de rappeler qu’il n’est possible pour la Cour de refuser de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation des règles de l’Union, demandée par la juridiction nationale, n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (13).
23. Il ne résulte pas de manière manifeste des indications de la demande de décision à titre préjudiciel que les questions déférées n’ont aucun rapport avec l’objet du litige au principal. Même si Interedil n’existe plus, il n’est pas exclu que le droit italien prévoie, pour ce cas de figure, des possibilités de satisfaire les créanciers par le biais d’une liquidation a posteriori et que la juridiction de renvoi souhaite ouvrir une procédure d’insolvabilité pour cette raison.
3. Exceptions d’irrecevabilité soulevées par les parties défenderesses au principal concernant la demande de décision préjudicielle et réponse à la quatrième question préjudicielle
24. Les parties défenderesses au principal estiment que la demande de décision préjudicielle est irrecevable pour trois raisons supplémentaires. Elles renvoient à la décision de la Corte di Cassazione italienne qui, dans le cadre d’une décision préalable a déjà constaté de manière contraignante la compétence des juridictions italiennes dans la procédure d’insolvabilité. Elles précisent que cette décision a acquis force de chose jugée. Elles en déduisent que, d’une part, il n’y a plus de litige pendant au sens de l’article 267 TFUE.
25. Par ailleurs, les parties défenderesses au principal critiquent la formulation des questions préjudicielles: selon elles, les première et quatrième questions ne montrent pas de contradiction entre les dispositions du droit de l’Union et leur application par les juridictions nationales. Quant aux deuxième et troisième questions, elles considèrent que celles-ci enjoignent la Cour à appliquer les dispositions de l’Union au cas concret.
26. En posant les trois premières questions, la juridiction de renvoi aimerait savoir en substance comment il convient d’interpréter la notion de centre des intérêts principaux au sens de l’article 3 du règlement n° 1346/2000. Une question préjudicielle ayant un tel objet est recevable.
27. Par conséquent, il suffira d’examiner les deux premières exceptions d’irrecevabilité soulevées par les parties défenderesses au principal, qui concernent la décision de la Corte di Cassazione ayant acquis force de chose jugée.
28. Dans ce contexte, il est également pertinent d’examiner la quatrième question préjudicielle de la juridiction de renvoi. Par cette question, la juridiction de renvoi cherche essentiellement à savoir si elle est liée par la décision de la Corte di Cassazione, contraignante en droit national, par laquelle la compétence internationale des juridictions italiennes a été confirmée, même s’il devait s’avérer que cette décision est incompatible avec la jurisprudence de la Cour. Si tel était le cas, les autres questions n’auraient pas d’importance pour le litige au principal et seraient donc irrecevables.
29. En vertu de l’article 382 du code de procédure civile italien, une juridiction ne statuant pas en dernière instance est liée par la décision préalable rendue par la Corte di Cassazione en matière de compétence.
30. La Cour a déjà constaté qu’une règle de procédure nationale, en vertu de laquelle une juridiction, à laquelle il incombe de statuer sur le fond à la suite du renvoi qui lui a été fait par une juridiction supérieure saisie sur pourvoi, est liée par les appréciations portées en droit par la juridiction supérieure, ne saurait remettre en cause la faculté des juridictions ne statuant pas en dernière instance de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle lorsqu’elles ont des doutes sur l’interprétation du droit de l’Union (14).
31. Il ne saurait en aller autrement dans la présente espèce, dans laquelle il s’agit d’une règle de procédure nationale qui concerne l’effet contraignant des décisions d’une juridiction supérieure dans le cadre d’une décision préalable relative à la compétence internationale.
32. Il convient en effet de noter que, en vertu d’une jurisprudence bien établie, le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le plein effet de ces dispositions en laissant au besoin inappliquée toute disposition nationale contraire sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette disposition nationale par la voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (15). Cela peut également concerner une règle de procédure nationale, comme celle dont il s’agit en l’espèce, dont résulte l’effet contraignant de la décision de la juridiction supérieure (16).
33. La décision de la Cour continue par conséquent à être seule déterminante pour l’interprétation du droit de l’Union, indépendamment de la question de savoir si une juridiction supérieure nationale a déjà procédé à l’interprétation du droit de l’Union dans le cadre d’une décision préalable.
4. Conclusion intermédiaire:
34. À titre de conclusion intermédiaire, il convient par conséquent de retenir que la demande de décision à titre préjudiciel est recevable.
35. Il convient de répondre comme suit à la quatrième question préjudicielle: le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite de la décision préalable contraignante rendue par une juridiction supérieure en matière de compétence, soit liée, conformément au droit procédural national, par les appréciations portées en droit par la juridiction supérieure, si elle estime, eu égard à l’interprétation qu’elle a sollicitée de la Cour, que lesdites appréciations ne sont pas conformes au droit de l’Union.
B – Questions préjudicielles
36. Les première, deuxième et troisième questions préjudicielles concernent l’interprétation de la notion de centre des intérêts principaux du débiteur au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000; elles peuvent par conséquent faire l’objet d’un examen commun (ci-après, sous 1). La troisième question préjudicielle porte en outre sur la précision de la notion d’établissement au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1346/2000 (ci-après, sous 2).
1. Notion de centre des intérêts principaux au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000
37. L’article 3, paragraphe 1, règle la compétence internationale pour l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. Aux termes de cet article, ce sont les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur qui sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité.
a) Définition autonome de la notion
38. Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi aimerait savoir à titre préalable si la notion de centre des intérêts principaux doit être déterminée de manière autonome par rapport au règlement ou si elle doit être déterminée par rapport au droit national.
39. En vertu d’une jurisprudence constante, il découle tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (17).
40. Ainsi, la Cour a, dans son arrêt dans l’affaire Eurofood concernant l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000, déjà constaté que «[l]a notion de centre des intérêts principaux est propre au règlement. Partant, elle revêt une signification autonome et doit donc être interprétée de manière uniforme et indépendante des législations nationales» (18).
b) Détermination du centre des intérêts principaux
41. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.
42. La juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter la notion de centre des intérêts principaux et de lui indiquer les critères permettant de renverser la présomption établie à l’article 3, paragraphe 1, deuxième phrase.
i) Moment décisif
43. Le présent cas de figure se caractérise par deux particularités. D’une part, il ressort des indications de la demande de décision préjudicielle que, au moment de l’introduction de la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité, la société en cause était déjà «clôturée» et «radiée» du registre des entreprises du Royaume-Uni depuis plus d’un an . D’autre part, la société avait, avant la phase de liquidation, transféré son siége statutaire d’Italie au Royaume-Uni. Il convient, par conséquent, de déterminer tout d’abord l’influence d’un transfert de siège sur la détermination de la compétence. Ensuite, il convient d’identifier la date pertinente pour la détermination du for compétent pour la procédure d’insolvabilité, si, au moment de l’introduction de la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité, la société était déjà radiée du registre des entreprises depuis un certain temps.
44. Le règlement ne comporte pas de dispositions explicites s’agissant du transfert de siège. Conformément aux dispositions générales de l’article 3, il convient donc de se référer au dernier siège statutaire, à moins que la présomption de l’article 3, paragraphe 1, ne soit renversée par la preuve que le centre des intérêts principaux n’a pas suivi le changement de siège statutaire mais qu’il est resté dans l’État de départ.
45. Ces conséquences d’un transfert de siège pour la détermination de la juridiction compétente pour la procédure d’insolvabilité peuvent, le cas échéant, aboutir à des désavantages pour les créanciers qui s’étaient engagés dans des relations juridiques avec le débiteur dans l’État de départ. En effet, au moment de s’engager dans des relations juridiques avec le débiteur, les créanciers supposaient qu’une éventuelle procédure d’insolvabilité se déroulerait dans un lieu déterminé, dont il s’avère, après le transfert du siège, qu’il n’est plus pertinent. La prise en compte d’un transfert de siège dans le cadre de la détermination de la compétence a donc pour effet d’aller à l’encontre des attentes des créanciers de l’État de départ.
46. Il est clair que les dispositions du règlement n° 1346/2000 en matière de compétence internationale ont précisément pour but de permettre aux créanciers potentiels de connaître à l’avance le système juridique qui résoudrait toute question d’insolvabilité affectant leurs intérêts (19). La compétence internationale, qui, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, aboutit d’ailleurs également à l’application des dispositions matérielles de l’État en question s’agissant de l’insolvabilité, repose sur un lieu connu des créanciers potentiels du débiteur leur permettant ainsi de calculer les risques juridiques qu’ils devraient supporter en cas d’insolvabilité (20).
47. Le risque qu’il y ait néanmoins un déplacement a posteriori de la compétence internationale pour une procédure d’insolvabilité dans l’hypothèse d’un changement de siège est cependant consciemment accepté par le législateur de l’Union. Contrairement aux dispositions prévues par le projet de convention communautaire de 1980 en matière de faillite (21), il ne contient en effet aucune réglementation spécifique pour l’hypothèse d’un transfert de siège, en vertu de laquelle les juridictions de l’État de départ resteraient également compétentes pendant une période de transition après le transfert du siège.
48. En prenant, au contraire, pour seul critère, le centre des intérêts principaux, de sorte que le transfert effectif de celui-ci entraîne également un changement au niveau de la compétence internationale pour la procédure d’insolvabilité, le règlement respecte plutôt, de manière conséquente, la liberté fondamentale en matière d’établissement, à laquelle il serait porté atteinte du moins de manière indirecte par une réglementation plus restrictive. En principe, on ne saurait donc pas non plus exiger que le nouveau siège doit avoir existé pendant un certain temps avant l’introduction de la demande d’ouverture de procédure d’insolvabilité. En l’espèce, il n’est pas nécessaire de déterminer si les règles doivent être différentes dans les cas exceptionnels – rapport immédiat dans le temps entre le transfert de siège et l’introduction de la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité – étant donné que, dans la présente hypothèse, il s’est écoulé plus d’un an entre le transfert du siège et la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.
49. Ci-après, il reste à déterminer la date de référence dans le cas où une société est déjà radiée du registre des entreprises lors de la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.
50. S’agissant d’un transfert de siège qui a eu lieu après l’introduction de la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, mais avant l’intervention de l’ouverture de la procédure, la Cour a jugé que l’État de départ continue à être compétent pour la décision relative à l’ouverture de cette procédure(22). Il apparaît donc que c’est en principe la date de l’introduction de la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité qui est déterminante pour l’appréciation du centre des intérêts principaux.
51. Dans un cas de figure comme celui dont il s’agit en l’espèce, dans lequel la société est, depuis un certain temps, déjà liquidée et radiée du registre au moment de l’introduction de la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, le problème qui se pose cependant à première vue lorsqu’on se réfère à la date de l’introduction de la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité est que, au moment de l’introduction de la demande, la société ne dispose plus d’intérêts au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement, et étant donné qu’elle n’existe plus.
52. On pourrait résoudre ce problème en se référant, dans un tel cas, uniquement au siège statutaire et en n’admettant plus le renversement de la présomption. En effet, même après sa liquidation, une société dispose toujours d’un siège statutaire. Dans l’hypothèse d’une société liquidée, l’État compétent pour la procédure d’insolvabilité serait sans exception l’État du siège statutaire.
53. Or, cette appréciation ponctuelle ne saurait convaincre en définitive. On peut certes faire valoir en sa faveur que, même dans l’hypothèse d’une société liquidée, le siège statutaire peut facilement être déterminé et que le rattachement à ce siège garantit donc la sécurité juridique. Ce qui s’oppose en revanche à cette appréciation est qu’elle aurait pour conséquence que, même dans l’hypothèse où le centre des intérêts principaux de la société avant sa radiation ne se situait à aucun moment au lieu de son siège statutaire, celui-ci déterminerait néanmoins la compétence. Il convient cependant de rejeter cette possibilité, étant donné que le règlement a pour but de créer, par le biais de la notion de centre des intérêts principaux, un rattachement au lieu avec lequel la société a, objectivement et de manière visible pour ses créanciers, les rapports les plus étroits. Si, par exemple, il devait s’avérer que le siège statutaire de la société active n’était qu’une boîte aux lettres et que le centre de ses intérêts principaux se situait donc toujours ailleurs, il ne serait pas pertinent de prendre néanmoins pour critère de rattachement le siège statutaire de la société après sa radiation.
54. Par conséquent, même dans l’hypothèse d’une société qui a été radiée, la présomption de l’article 3, paragraphe 1, peut être renversée, lorsqu’il est prouvé que, avant la radiation, le centre des intérêts principaux de la société ne se situait pas dans l’État du siège statutaire. Dans ce cas, c’est le lieu du dernier centre de ses intérêts avant la clôture qui est décisif. La période de référence doit alors être déterminée dans le cadre d’une appréciation globale à partir du point de vue des créanciers.
ii) Interprétation de la notion de «centre des intérêts principaux»
55. Ci-après, il convient d’identifier les critères qui déterminent le centre des intérêts principaux du débiteur au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000.
56. Malheureusement, l’article 2 du règlement qui définit les notions essentielles du règlement ne comporte pas de définition du centre des intérêts principaux. C’est à juste titre que la commission des libertés et des droits des citoyens, de la justice et des affaires intérieures a déjà critiqué cela dans le cadre de la procédure législative (23). Seul le treizième considérant du règlement indique que le centre des intérêts principaux «devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers».
57. En référence au treizième considérant, la Cour a, dans l’affaire Eurofood, jugé «que le centre des intérêts principaux doit être identifié en fonction de critères à la fois objectifs et vérifiables par les tiers. Cette objectivité et cette possibilité de vérification par les tiers sont nécessaires afin de garantir la sécurité juridique et la prévisibilité concernant la détermination de la juridiction compétente pour ouvrir une procédure d’insolvabilité principale»(24). La Cour a souligné l’importance de la sécurité juridique et de la prévisibilité, compte tenu, précisément, du fait que, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement, la détermination de l’État membre compétent détermine également la loi applicable.
58. La présomption relative au siège statutaire, établie à l’article 3, ne peut par conséquent être écartée que si des éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettent d’établir l’existence d’une situation réelle différente de celle que la localisation audit siège statutaire est censée refléter (25). À titre d’exemple envisageable d’un renversement de la présomption, la Cour cite le cas d’une société boîte aux lettres qui n’exercerait aucune activité sur le territoire de l’État membre où est situé son siège social (26).
59. Dans sa décision préalable, la Corte di Cassazione signale que, après le transfert de son siège statutaire au Royaume-Uni, Interedil n’avait aucune activité, qu’elle n’y a traité aucune affaire, ni même des activités dans le cadre de la liquidation et que, en réalité, le centre de l’administration et de l’organisation n’a absolument pas été transféré à Londres.
60. S’agissant d’une société qui n’exerce aucune activité entrepreneuriale ou administrative dans l’État du siège statutaire, la présomption de l’article 3 du règlement pourrait en effet être renversée.
61. La deuxième question préjudicielle implique cependant que la juridiction de renvoi ne parte pas du principe qu’Interedil n’avait aucune activité dans son nouveau siège statutaire à Londres. Contrairement au cas d’une simple société boîte aux lettres, tel que cité dans l’affaire Eurofood à titre d’exemple envisageable pour le renversement de la présomption, la question qui se pose donc est celle de savoir comment il convient de déterminer, ci-dessous, de manière plus précise le centre des intérêts principaux.
62. Il n’est pas particulièrement utile, à cet égard, de se référer à la genèse du règlement. Au vu de celle-ci, on constate en effet que la terminologie concrète faisait déjà l’objet de discussions dans le cadre du processus législatif. Le point de départ a été donné par une initiative de l’Allemagne et de la Finlande, qui a repris les termes de la convention communautaire relative aux procédures d’insolvabilité qui n’est pas entrée en vigueur (27). Cette proposition contenait, au treizième considérant, une définition encore plus complète de la notion de centre des intérêts principaux. Il y était indiqué que «le centre des intérêts principaux désigne le lieu avec lequel le débiteur a de manière régulière les liens les plus étroits, où se concentrent ses multiples relations d’affaires et où se situe le plus souvent l’essentiel de ses biens; ce lieu est aussi connu au mieux des créanciers». La délégation luxembourgeoise a reproché à ce texte de prendre pour critère l’essentiel des biens et non pas, comme elle le souhaitait, l’activité du débiteur ou l’administration de ses biens (28).
63. Un projet modifié (29) du secrétariat général du Conseil ayant lui aussi été reçu de manière critique (30), le législateur a décidé de reprendre la première phrase du point 75 du rapport sur la convention relative aux procédures d’insolvabilité (31) comme treizième considérant, adoptant donc comme critère le lieu de l’administration des intérêts.
64. Compte tenu de cette absence de précision de la notion en cause, la Cour a, dans l’arrêt Eurofood, à juste titre pris pour critère décisif le point de vue des créanciers (32). Ce faisant, elle s’est fondée sur le libellé du treizième considérant, qui fait état de la possibilité, pour les tiers, de procéder à une vérification. Les créanciers potentiels doivent avoir la possibilité de savoir à l’avance quel État membre serait – d’après le statu quo – compétent pour une procédure d’insolvabilité et donc de quel droit celle-ci dépendrait.
65. Afin de déterminer le centre des intérêts principaux, il convient donc de procéder à une appréciation globale à partir du point de vue des créanciers. Comme l’avocat général Jacobs l’a déjà souligné dans ses conclusions présentées dans l’affaire Eurofood, il convient, à cet égard, de juger chaque affaire à partir de ses circonstances particulières (33).
66. C’est pourquoi une appréciation isolée, applicable de manière générale, de différents facteurs doit d’avance être exclue. Ni la localisation de biens immobiliers de la débitrice ou le lieu des immeubles locatifs pour lesquels elle a conclu des contrats de bail avec une autre société, ni l’existence d’un contrat de la société insolvable avec un institut financier situé dans un État déterminé ne constituent en soi des facteurs permettant de déterminer de manière définitive le centre des intérêts principaux.
67. Comme le montre la genèse du règlement, le législateur a d’ailleurs renoncé à se référer à l’essentiel des biens dans la définition du centre des intérêts principaux. Par conséquent, il convient d’exclure la simple référence au lieu où se situe l’essentiel des biens de la société. Cela apparaît d’ailleurs comme une évidence en raison, notamment, du fait que, très souvent, il n’est pas facile pour les tiers de déterminer l’endroit où se situe l’essentiel des biens d’un débiteur, en particulier lorsque ceux-ci sont dispersés dans plusieurs États membres.
68. Tout en se fondant sur la présomption réfragable de l’article 3, paragraphe 1, et sur le libellé du treizième considérant qui se réfère à la gestion des intérêts, il convient, dans le cadre de l’appréciation globale requise, au contraire, toujours de se demander quelles activités la société exerce, de manière objectivement visible pour les tiers, au lieu de son siège statutaire.
69. Lorsque l’administration centrale d’une société se trouve au lieu de son siège statutaire, c’est-à-dire que c’est à cet endroit que se situe sa direction et que c’est à partir de celui-ci qu’elle gère le destin de la société et qu’elle se présente de manière visible pour l’extérieur, il importe peu, compte tenu de l’économie du règlement, de savoir, en vue de la détermination de la compétence, où se trouvent les actifs essentiels ou les principaux lieux d’exploitation de la société. La présomption de l’article 3, paragraphe 1, et la référence de celui-ci au siège statutaire sont, quant à elles, déjà fondées sur la volonté de désigner le lieu de l’administration centrale de la société, qui s’y trouve normalement, comme lien de rattachement également reconnaissable pour les tiers. Le rapport sur la convention, dont est issue la formulation du treizième considérant, part du principe que le siège statutaire correspond normalement au siège principal du débiteur (34). C’est pourquoi, lorsque l’administration centrale se trouve effectivement au siège statutaire, une autre localisation des intérêts principaux est exclue d’avance.
70. Il en résulte qu’un renversement de la présomption de l’article 3, paragraphe 1, par la prise en compte de la localisation des biens de la société, des lieux d’exploitation ou des activités économiques de celle-ci, n’entrera en ligne de compte qu’à partir du moment où, du point des créanciers, le lieu de l’administration centrale ne se trouve pas au siège statutaire. Dans ce cas, il faudra, le cas échéant, des facteurs objectifs supplémentaires, devant également être considérés à partir du point de vue des créanciers, en vue de trancher la question de la compétence pour la procédure d’insolvabilité. À cet égard, il convient de procéder à une appréciation globale du cas d’espèce.
71. Il apparaît que, dans le litige au principal, la débitrice a, après le transfert de son siège, exclusivement procédé à des activités liées à la liquidation. Les actes juridiques et autres auxquels il a été procédé dans le cadre de la liquidation d’une société sont eux aussi, en principe, pertinents pour la détermination du centre des intérêts principaux d’une société. En effet, le transfert d’une société dans un autre État membre en vue d’y procéder à la liquidation de celle-ci est lui aussi inclus dans les libertés fondamentales du droit de l’Union. Dans la mesure où la gestion de cette activité de liquidation a donc, de manière reconnaissable de l’extérieur, été effectuée à partir du nouveau siège statutaire, il conviendrait de considérer que, au cours de la période pertinente, antérieure à la radiation de la société, l’administration des intérêts principaux de celle-ci est intervenue au siège statutaire de cette société, de sorte qu’un renversement de la présomption de l’article 3, paragraphe 1, serait exclu.
72. Dans le cadre de la présente espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner le problème d’un transfert du centre des intérêts principaux en vue d’échapper aux dispositions en matière d’insolvabilité ou de responsabilité de l’État d’origine ou en vue de soustraire la masse des biens à l’emprise des créanciers. La question du caractère éventuellement abusif d’un transfert soulève des questions intéressantes dans le contexte de l’opposition entre les libertés fondamentales des débiteurs, d’une part, et la protection des créanciers et la prévention du forum shopping visé au quatrième considérant du règlement, d’autre part (35). Comme la juridiction de renvoi n’a cependant pas formulé de question en ce sens et qu’il ne résulte pas suffisamment d’éléments de la description des faits de l’espèce pour supposer l’existence d’un abus de droit, la présente espèce ne permet pas de régler ces questions de manière définitive.
73. Il n’est pas non plus nécessaire – la juridiction de renvoi ne l’ayant pas demandé – d’examiner un des aspects résultant de la lecture de la décision préalable rendue par la Corte di Cassazione dans le litige au principal. Celle-ci signale que le transfert de siège n’avait pas été communiqué au registre italien. La demande de décision à titre préjudiciel indique cependant qu’Interedil avait été radiée du registre italien le 18 juillet 2001. S’il devait s’avérer qu’une société était, au moment de l’introduction de la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, inscrite dans les registres de deux États membres, des questions relevant de l’apparence juridique pourraient se poser du point de vue des créanciers. Dans la mesure où la juridiction de renvoi suppose cependant que la société a été radiée du registre italien, il n’y a pas de raison d’approfondir cette question.
c) Conclusion intermédiaire
74. Il convient par conséquent de répondre comme suit aux première et deuxième questions, ainsi qu’à la première partie de la troisième question préjudicielle:
La notion de «centre des intérêts principaux du débiteur» au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 a une signification autonome et doit, par conséquent, être interprétée de manière uniforme et autonome par rapport aux dispositions nationales.
75. L’existence, dans un État membre autre que celui où se trouve le siège statutaire de la société, de biens immobiliers appartenant à la société, l’existence d’un contrat de location relatif à deux complexes hôteliers, conclu par la société débitrice avec une autre société, ainsi que celle d’un contrat conclu par la société avec une institution bancaire ne permettent pas, à elles seules, de considérer comme renversée la présomption prévue par l’article 3 du règlement n° 1346/2000 en faveur du «siège statutaire» de la société. Il est nécessaire de procéder à une appréciation globale qui détermine, en vertu de critères objectifs et, en même temps, vérifiables par les tiers, le lieu où la société gère ses intérêts. Si l’administration centrale se trouve effectivement au siège statutaire, toute autre localisation de intérêts principaux est exclue.
2. Notion d’établissement au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1346/2000
76. Dans la deuxième partie de sa troisième question, la juridiction de renvoi vise les circonstances qui doivent être réunies pour qu’il puisse être question d’un établissement au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1346/2000. En effet, s’il devait s’avérer que le centre des intérêts d’Interedil ne se trouve pas en Italie et que les juridictions italiennes ne seraient donc pas compétentes pour l’ouverture d’une procédure principale d’insolvabilité, on pourrait envisager tout au plus l’ouverture d’une procédure secondaire d’insolvabilité en Italie. En vertu de l’article 3, paragraphe 2, cela suppose qu’Interedil dispose d’un établissement en Italie. L’existence de biens immobiliers, d’un contrat de location relatif à deux complexes hôteliers ainsi que d’un contrat conclu par la société avec une institution bancaire suffit-elle pour que l’on puisse parler d’un établissement?
77. Aux termes de l’article 2, sous h), du règlement n° 1346/2000, on entend par établissement tout lieu d’opérations où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains et des biens.
78. Sur ce point, les dispositions du règlement n° 1346/2000 reprennent les termes de la convention du 23 novembre 1995 relative aux procédures d’insolvabilité, conclue par les États membres. À cet égard, le rapport afférent à cette convention indique: «Le lieu d’opérations signifie un lieu à partir duquel des activités économiques sont exercées sur le marché (c’est-à-dire orientées vers l’extérieur), qu’il s’agisse d’activités commerciales, industrielles ou professionnelles. Souligner que l’activité économique doit être réalisée avec des ressources humaines démontre le besoin d’un minimum d’organisation. Un lieu d’opérations simplement occasionnel ne peut être qualifié d’établissement. Une certaine stabilité est nécessaire. […] Le facteur déterminant est de savoir comment l’activité se manifeste vers l’extérieur et non les intentions du débiteur» (36).
79. Tout comme pour le renversement de la présomption de l’article 3, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement, l’existence d’éléments de l’actif ne suffit pas à elle seule s’agissant de l’article 3, paragraphe 2. La juridiction de renvoi devra, au contraire, vérifier la présence de ressources humaines et l’existence d’un minimum d’organisation.
80. Par conséquent, il convient de répondre comme suit à la deuxième partie de la troisième question préjudicielle:
L’existence, dans un État membre autre que celui où se trouve le siège statutaire de la société, de biens immobiliers appartenant à la société, l’existence d’un contrat de location relatif à deux complexes hôteliers, conclu par la société débitrice avec une autre société, ainsi que celle d’un contrat conclu par la société avec une institution bancaire ne sont suffisantes pour considérer que la société possède un «établissement» dans cet État au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1346/2000 que si les éléments précités sont, dans le cadre d’une structure créée de manière stable sur le plan de l’organisation, intégrés, seuls ou de manière globale, dans un lieu d’opérations où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains et des biens.
V – Conclusion
81. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la demande de décision à titre préjudiciel:
1. La notion de «centre des intérêts principaux du débiteur» au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 a une signification autonome et doit, par conséquent, être interprétée de manière uniforme et autonome par rapport aux dispositions nationales.
2. L’existence, dans un État membre autre que celui où se trouve le siège statutaire de la société, de biens immobiliers appartenant à la société, l’existence d’un contrat de location relatif à deux complexes hôteliers, conclu par la société débitrice avec une autre société, ainsi que celle d’un contrat conclu par la société avec une institution bancaire ne permettent pas, à elles seules, de considérer comme renversée la présomption prévue par l’article 3 du règlement n° 1346/2000 en faveur du «siège statutaire» de la société. Il est nécessaire de procéder à une appréciation globale qui détermine, en vertu de critères objectifs et, en même temps, vérifiables par les tiers, le lieu où la société gère ses intérêts. Si l’administration centrale se trouve effectivement au siège statutaire, toute autre localisation de intérêts principaux est exclue.
3. L’existence, dans un État membre autre que celui où se trouve le siège statutaire de la société, de biens immobiliers appartenant à la société, l’existence d’un contrat de location relatif à deux complexes hôteliers, conclu par la société débitrice avec une autre société, ainsi que celle d’un contrat conclu par la société avec une institution bancaire ne sont suffisantes pour considérer que la société possède un «établissement» dans cet État au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1346/2000 que si les éléments précités sont, dans le cadre d’une structure créée de manière stable sur le plan de l’organisation, intégrés, seuls ou de manière globale, dans un lieu d’opérations où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains et des biens.
4. Le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite de la décision préalable contraignante rendue par une juridiction supérieure en matière de compétence, soit liée, conformément au droit procédural national, par les appréciations portées en droit par la juridiction supérieure, si elle estime, eu égard à l’interprétation qu’elle a sollicitée à la Cour, que lesdites appréciations ne sont pas conformes au droit de l’Union.
1 – Langue originale: l’allemand.
2 – JO L 160, p. 1. Le règlement est actuellement applicable dans la version modifiée par le règlement d’exécution (UE) n° 210/2010 du Conseil du 25 février 2010 (JO L 65, p. 1).
3 – Ainsi qu’il résulte de son trente-troisième considérant, le règlement n° 1346/2000 n’est pas applicable au Danemark et, par ailleurs, son application est restreinte conformément aux dispositions de son article 44, qui règle ses rapports avec les autres conventions conclues par les États membres.
4 – Companies House.
5 – Registro delle imprese.
6 – Le Tribunale di Bari considère apparemment que cette radiation est illégale, mais il n’indique pas exactement pourquoi.
7 – L’original italien de l’ordonnance de renvoi indique: «Chuisa a dunque cancellata dal Registro delle Imprese».
8 – Arrêt de la Cour du 2 mai 2006, Eurofood IFSC (C-341/01, Rec. p. I-3813).
9 – En vertu de l’article 18 de la Legge Fallimentare (loi sur la faillite) italienne, dans la version du Decreto Legislativo (décret-loi) n° 169 du 12 septembre 2007, la décision du Tribunale di Bari peut faire l’objet d’un recours juridictionnel.
10 – S’agissant du régime transitoire, voir la note n° 4 de mes conclusions du 2 Septembre 2010, Weryński (C-283/09, non encore publiées au Recueil).
11 – Arrêt du 17 février 2011, Weryński (C-283/09, non encore publié au Recueil, point 30), voir également les conclusions du 2 septembre 2010, Weryński (citées à la note 10, points 23 à 25).
12 – Arrêt Weryński (précité à la note 11, point 31).
13 – Jurisprudence constante, voir uniquement l’arrêt de la Cour du 22 décembre 2010, Gowan Comércio (C-77/09, non encore publié au Recueil, point 25).
14 – Arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov (C-173/09, non encore publié au Recueil, point 25).
15 – Arrêt Elchinov (précité à la note 13, point 31 avec un renvoi aux arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, Rec. p. 629, point 24, et du 19 novembre 2009, Filipiak, C-314/08, Rec. p. I-11049, point 81).
16 – Voir, dans ce sens, l’arrêt Elchinov (précité à la note 13, point 31).
17 – Arrêts du 18 octobre 2007, Österreichischer Rundfunk (C-195/06, Rec. p. I-8817, point 24 et la jurisprudence y visée), et du 29 octobre 2009, NCC Construction Danemark (C-174/08, Rec. p. I-10567, point 24).
18 – Arrêt du 2 mai 2006, Eurofood IFSC (précité à la note 8, point 31).
19 – Voir les conclusions de l’avocat général Jacobs présentées le 27 septembre 2005 dans l’affaire Eurofood IFSC (C-341/04, Rec. p. I-3813, point 118).
20 – Conclusions de l’avocat général Jacobs présentées dans l’affaire Eurofood IFSC (précitées à la note 19, point 122).
21 – Voir les articles 6 et suivant du projet de convention relative à la faillite, aux concordats et aux procédures analogues de 1980, doc CE III/D/72/80/FR, reproduit dans: Gerhard Kegel (éditeur) et Jürgen Thieme (rédacteur), Vorschläge und Gutachten zum Entwurf eines EG-Konkursübereinkommens, Tübingen 1988.
22 – Arrêt du 17 janvier 2006, Staubitz-Schreiber (C-1/04, Rec. p. I-701, point 29).
23 – Voir le rapport sur la proposition de règlement du Conseil relatif aux procédures d’insolvabilité de la commission juridique et du marché intérieur (rapporteur Kurt Lechner), document A5-0039/2000, ce rapport indique que la définition suivante avait été proposée à l’article 2 du règlement: «‘centre des intérêts principaux du débiteur’ le lieu à partir duquel le débiteur entretient l’essentiel de ses relations d’affaires et exerce ses activités économiques et auquel il est par conséquent le plus étroitement lié». [Ndt: nous avons corrigé d’office l’erreur de traduction commise dans la traduction française de ce document qui indique «créancier» au lieu de «débiteur».]
24 – Arrêt Eurofood IFSC (précité à la note 8, point 33).
25 – Arrêt Eurofood IFSC (précite à la note 8, point 34).
26 – Arrêt Eurofood IFSC (précité à la note 8, points 34 et 35).
27 – Initiative de la République fédérale d’Allemagne et de la République de Finlande en vue de l’adoption du règlement du Conseil relatif aux procédures d’insolvabilité, soumise au Conseil le 26 mai 1999, JO C 221, p. 8.
28 – Note de la délégation luxembourgeoise, document du Conseil du 20 juillet 1999, n° 10342/99.
29 – Voir le document du Conseil du 29 juillet 1999, n° 9934/1/99, voir, s’agissant d’une nouvelle reformulation, le document du Conseil du 22 octobre 1999, n° 9934/2/99.
30 – Ainsi, par exemple, la délégation britannique a critiqué le caractère problématique de la définition, en soulignant qu’un débiteur peut gérer ses intérêts à partir de différents endroits et que, par ailleurs, les critères pour déterminer les intérêts «principaux» n’étaient pas clairs, voir document du Conseil du 13 septembre 1999, n° 10683/99.
31 – Virgós, M. et Schmit, E., rapport sur la convention relative aux procédures d’insolvabilité, le Conseil de l’Union européenne, doc 6500/1/96 REV 1, point 75.
32 – À cet égard, il convient de se fonder sur une interprétation large de la notion de créanciers, qui peut également inclure les salariés d’une entreprise.
33 – Conclusions de l’avocat général Jacobs présentées dans l’affaire Eurofood IFSC (précitées à la note 19, point 125).
34 – Rapport sur la convention relative aux procédures d’insolvabilité (précité à la note 31, point 75).
35 – Voir, sur ce point, également les arrêts du 9 mars 1999, Centros (C-212/97, Rec. p. I-1459), du 5 novembre 2002, Überseering (C-208/00, Rec. p. I-9919), et du 30 septembre 2003, Inspire Art (C-167/01, Rec. p. I-10155).
36 – Rapport (précité à la note 33, point 71).