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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Realchemie Nederland v Bayer CropScience AG (Area of Freedom, Security and Justice) French Text [2011] EUECJ C-406/09 (05 April 2011)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2011/C40609_O.html

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AVIS JURIDIQUE IMPORTANT: The source of this judgment is the web site of the Court of Justice of the European Communities. The information in this database has been provided free of charge and is subject to a Court of Justice of the European Communities disclaimer and a copyright notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.



CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO Mengozzi

présentées le 5 avril 2011 (1)

Affaire C-406/09

Realchemie Nederland BV

contre

Bayer CropScience AG

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Compétence judiciaire et exécution des décisions – Notion de ‘matière civile et commerciale’ – Reconnaissance et exécution d’une décision infligeant une ‘amende civile’ – Directive 2004/48/CE – Droits de propriété intellectuelle – Mesures, procédures et réparations en cas d’atteinte à un tel droit – Condamnation aux dépens dans le cadre d’une procédure d’exequatur visant à faire reconnaître et exécuter des décisions visant à préserver un droit de propriété intellectuelle»





1.        Le présent renvoi préjudiciel trouve son origine dans un litige ayant opposé Bayer CropScience AG (ci-après «Bayer»), société allemande, à Realchemie Nederland BV (ci-après «Realchemie»), société néerlandaise, devant les juridictions allemandes. Bayer reprochait à Realchemie d’avoir contrefait un de ses brevets. Dans le cadre de cette procédure, le juge avait imposé à Realchemie le paiement d’une «amende civile», au sens du droit allemand. Souhaitant faire exécuter cette amende civile aux Pays-Bas, Bayer a demandé à ce que la décision ayant infligé l’amende soit reconnue et exécutée dans cet État membre et a engagé, à cette fin, une procédure d’exequatur. La première question soulevée par la juridiction de renvoi – néerlandaise – est celle de savoir si une telle amende relève de la matière civile et commerciale au sens de l’article 1er du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2).

2.        En second lieu, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le fait de savoir si l’article 14 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (3), impose aux États membres de prononcer une taxation des dépens plus lourde à l’encontre du défendeur dans le cadre d’une procédure d’exequatur qui vise à obtenir la reconnaissance et l’exécution de décisions rendues dans l’État d’origine ayant pour objet la protection d’un droit de propriété intellectuelle.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

1.      Le règlement n° 44/2001

3.        Le règlement n° 44/2001 a notamment pour objectif, aux termes de son deuxième considérant, de mettre en place «[d]es dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement».

4.        Les sixième et septième considérants du règlement n° 44/2001 énoncent:

«(6)      Pour atteindre l’objectif de la libre circulation des décisions en matière civile et commerciale, il est nécessaire et approprié que les règles relatives à la compétence judiciaire et à l’exécution des décisions soient déterminées par un instrument juridique communautaire contraignant et directement applicable.

(7)      Il est important d’inclure dans le champ d’application matériel du présent règlement l’essentiel de la matière civile et commerciale, à l’exception de certaines matières bien définies.»

5.        Les seizième et dix-septième considérants du règlement n° 44/2001 prévoient:

«(16) La confiance réciproque dans la justice au sein de la Communauté justifie que les décisions rendues dans un État membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune autre procédure.

(17)      Cette même confiance réciproque justifie que la procédure visant à rendre exécutoire, dans un État membre, une décision rendue dans un autre État membre soit efficace et rapide. À cette fin, la déclaration relative à la force exécutoire d’une décision devrait être délivrée de manière quasi automatique, après un simple contrôle formel des documents fournis, sans qu’il soit possible pour la juridiction de soulever d’office un des motifs de non-exécution prévus par le présent règlement.»

6.        Le dix-neuvième considérant du règlement n° 44/2001 prévoit que «[p]our assurer la continuité nécessaire entre la convention de Bruxelles [de 1968 sur la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la ‘convention de Bruxelles’) (4)] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation des dispositions de la convention de Bruxelles par la Cour».

7.        L’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 dispose que «[l]e présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives».

8.        Aux termes de l’article 32 du règlement n° 44/2001, «[o]n entend par décision […] toute décision rendue par une juridiction d’un État membre quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès».

9.        L’article 34, point 2, du règlement n° 44/2001 affirme le principe selon lequel «[u]ne décision n’est pas reconnue si […] l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire».

10.      L’article 38, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 prévoit que «[l]es décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée».

11.      L’article 49 du règlement n° 44/2001 prévoit que «[l]es décisions étrangères condamnant à une astreinte ne sont exécutoires dans l’État membre requis que si le montant en a été définitivement fixé par les tribunaux de l’État membre d’origine».

2.      La directive 2004/48

12.      Le troisième considérant de la directive 2004/48 affirme que «sans moyens efficaces de faire respecter les droits de propriété intellectuelle, l’innovation et la création sont découragées et les investissements réduits. Il est donc nécessaire de veiller à ce que le droit matériel de la propriété intellectuelle, qui relève aujourd’hui largement de l’acquis communautaire, soit effectivement appliqué dans la Communauté».

13.      Les huitième à dixième considérants de la directive 2004/48 énoncent:

«(8)      Les disparités existant entre les régimes des États membres en ce qui concerne les moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle sont nuisibles au bon fonctionnement du marché intérieur et ne permettent pas de faire en sorte que les droits de propriété intellectuelle bénéficient d’un niveau de protection équivalent sur tout le territoire de la Communauté. Cette situation n’est pas de nature à favoriser la libre circulation au sein du marché intérieur ni à créer un environnement favorable à une saine concurrence.

(9)      […] Le rapprochement des législations des États membres en la matière est donc une condition essentielle au bon fonctionnement du marché intérieur.

(10)      L’objectif de la présente directive est de rapprocher ces législations afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur.»

14.      Le onzième considérant de la directive 2004/48 précise que «[l]a présente directive n’a pas pour objet d’établir des règles harmonisées en matière de coopération judiciaire, de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ni de traiter de la loi applicable. Des instruments communautaires régissent ces matières sur un plan général et sont, en principe, également applicables à la propriété intellectuelle».

15.      L’article 1er de la directive 2004/48 énonce que celle-ci «concerne les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle».

16.      L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2004/48 prévoit que «[s]ans préjudice des moyens prévus ou pouvant être prévus dans la législation communautaire ou nationale, pour autant que ces moyens soient plus favorables aux titulaires de droits, les mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive s’appliquent, conformément à l’article 3, à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle prévue par la législation communautaire et/ou la législation nationale de l’État membre concerné».

17.      L’article 14 de la directive 2004/48, intitulé «Frais de justice», énonce que «[l]es États membres veillent à ce que les frais de justice raisonnables et proportionnés et les autres frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient, en règle générale, supportés par la partie qui succombe, à moins que l’équité ne le permette pas».

B –    La réglementation allemande

18.      Les articles 890 et 891 du code de procédure civile allemand (Zivilprozessordnung, ci-après la «ZPO») sont libellés comme suit:

«Article 890

Exécution forcée d’obligation de ne pas faire et de tolérances

1.      Si le débiteur manque à son obligation de ne pas faire ou à son obligation de tolérer un acte, il sera, à la demande du créancier, condamné par la juridiction de première instance à une amende civile et, en cas d’impossibilité de recouvrement, à une contrainte par corps ou à une contrainte par corps de six mois maximum. Chaque amende civile est plafonnée à 250 000 euros, la contrainte par corps à deux années au total.

2.      La condamnation doit être précédée d’un avertissement comminatoire fait, sur demande, par la juridiction de première instance s’il ne figure pas déjà dans le jugement qui a prononcé l’obligation.

3.      Le débiteur peut aussi, à la demande du créancier, être condamné à constituer une garantie pour tout dommage ultérieur qui résultera dans un délai fixé de tout autre manquement.

Article 891

Procédure, audition du débiteur, taxation des dépens

Les décisions au titre des articles 887 à 890 sont rendues par voie d’ordonnance. […]»

19.      L’article 1er du règlement sur le recouvrement des amendes judiciaires (Justizbeitreibungsordnung, ci-après la «JBeitrO») prévoit:

«1.      Le recouvrement des créances suivantes obéit à la présente [JBeitrO] dans la mesure où il est le fait des autorités judiciaires fédérales:

[…]

         (3)   les amendes civiles et les astreintes;

[…].

2.      La [JBeitrO] s’applique aussi au recouvrement des créances visées au paragraphe 1 par les autorités judiciaires des Länder dans la mesure où les créances procèdent de règlementations fédérales».

C –    La réglementation néerlandaise

20.      Il ressort du dossier que le Royaume des Pays-Bas a transposé, dans son ordre juridique interne, l’article 14 de la directive 2004/48 au moyen de l’article 1019h du code de procédure civile néerlandais. Selon les dires de la juridiction de renvoi, cette disposition permet, dans les affaires couvertes par cette directive, une condamnation aux dépens plus lourde que les condamnations ordinaires.

II – Le litige au principal et les questions préjudicielles

21.      Le litige au principal oppose Realchemie à Bayer devant le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) et trouve son origine dans une procédure précédemment engagée par Bayer en Allemagne.

22.      Sur requête introduite devant lui par Bayer dans le cadre d’une procédure visant à obtenir des mesures provisoires, le Landgericht Düsseldorf (Allemagne) a, par ordonnance du 19 décembre 2005 (dite «ordonnance de base»), fait interdiction à Realchemie, pour contrefaçon de brevet, d’importer, de détenir et de commercialiser certains pesticides en Allemagne. L’interdiction ainsi prononcée était assortie d’astreintes. En outre, Realchemie devait communiquer les transactions commerciales portant sur les pesticides concernés et son stock devait être mis sous séquestre judiciaire. L’ordonnance de base prévoyait également la condamnation de Realchemie aux dépens (5).

23.      Le 17 août 2006, à la demande de Bayer, sur le fondement de l’article 890 de la ZPO, Realchemie a été condamnée, par ordonnance adoptée par le Landgericht Düsseldorf, au paiement d’une amende dite «civile» de 20 000 euros à verser à la caisse dudit tribunal pour infraction à l’interdiction posée dans l’ordonnance de base. L’ordonnance prévoyait également la condamnation de Realchemie aux dépens (6). 

24.      Dans une nouvelle ordonnance en date du 6 octobre 2006, le Landgericht Düsseldorf a imposé une astreinte de 15 000 euros à Realchemie en vue de l’inciter à communiquer sur les transactions commerciales visées par l’ordonnance de base. Realchemie a, en outre, été condamnée aux dépens liés à cette procédure d’astreinte (7).

25.      Il est constant que ces six décisions ont été notifiées à Realchemie.

26.      Le 6 avril 2007, Bayer a saisi le juge des référés du Rechtbank ’s-Hertogenbosch (Pays-Bas) afin de faire dire exécutoires aux Pays-Bas l’ensemble des six décisions adoptées par le Landgericht Düsseldorf. Bayer a également demandé que Realchemie soit condamnée aux dépens dans le cadre de cette procédure. Le 10 avril 2007, ledit juge des référés a fait droit à la demande de Bayer et condamné Realchemie aux dépens pour un montant de 482 euros.

27.      Le 14 juin 2007, Realchemie a introduit un recours au titre de l’article 43 du règlement n° 44/2001 en invoquant le motif de refus visé à l’article 34, point 2, dudit règlement. Elle soutenait que l’ordonnance de base comme l’ordonnance infligeant l’amende civile et celle imposant une astreinte ne sont pas susceptibles d’être reconnues et exécutées dans un autre État membre, car elles ont été rendues sans avoir convoqué Realchemie et sans débats oraux. En ce qui concerne les décisions relatives aux dépens, elles ne peuvent être ni reconnues ni exécutées au motif qu’elles font partie intégrante des trois ordonnances susmentionnées. Plus particulièrement à l’égard de l’ordonnance infligeant l’amende civile, Realchemie a soutenu que la demande d’exécutoire de Bayer devait être rejetée parce que l’amende, qui, aux termes de la JBeitrO, est recouvrée d’office par les autorités juridictionnelles allemandes, revient non pas à Bayer, mais à l’État allemand.

28.      Le 26 février 2008, la chambre civile du Rechtbank ’s-Hertogenbosch, après avoir entendu les parties, a rejeté le recours formé par Realchemie, a confirmé la décision en date du 10 avril 2007 et a condamné Realchemie aux dépens liquidés à 1 155 euros. Le Rechtbank ‘s-Hertogenbosch a considéré que, même si elles avaient été rendues sur requête unilatérale de Bayer, les trois ordonnances litigieuses constituent bien des décisions au sens de l’article 32 du règlement n° 44/2001. À l’égard de l’ordonnance infligeant l’amende civile, le Rechtbank ‘s-Hertogenbosch a affirmé que le fait que le montant de 20 000 euros doive être payé à la Gerichtskasse, c’est-à-dire à la caisse du Landgericht Düsseldorf, n’enlevait rien au droit et à l’intérêt de Bayer à ce que Realchemie verse effectivement l’amende à ladite caisse. L’amende poursuit en effet l’objectif de voir l’ordonnance de base respectée dans l’intérêt de la partie qui a eu gain de cause, c’est-à-dire Bayer. Cette dernière a donc bien intérêt à poursuivre l’exécution de l’ordonnance prononçant l’amende aux Pays-Bas. Enfin, le Rechtbank ’s-Hertogenbosch a condamné Realchemie aux dépens et les a liquidés selon le régime ordinaire, contrairement à la demande de Bayer de faire application de l’article 1019h du code de procédure civile néerlandais ou, à tout le moins, de l’article 14 de la directive 2004/48.

29.      La décision statuant sur le recours au titre de l’article 43 du règlement n° 44/2001 étant susceptible de cassation aux termes de l’article 44 dudit règlement et de son annexe V, Realchemie s’est pourvue en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden en vue d’obtenir l’annulation de la décision du Rechtbank ‘s-Hertogenbosch du 26 février 2008. Bayer a introduit un pourvoi incident concluant au rejet du pourvoi et à la condamnation de Realchemie aux dépens réels au titre de l’article 14 de la directive 2004/48 lu conjointement avec l’article 1019h du code de procédure civile néerlandais.

30.      L’avocat général près le Hoge Raad der Nederlanden a présenté ses conclusions le 26 juin 2009 dans lesquelles il a invité ladite juridiction à saisir la Cour avant de statuer.

31.      À la suite de cela, le Hoge Raad der Nederlanden a identifié deux points sur lesquels l’interprétation de la Cour est nécessaire.

32.      D’une part, à propos de l’ordonnance infligeant une amende civile, il se demande si elle peut relever du champ d’application matériel du règlement n° 44/2001 compte tenu des éléments de droit public qui la caractérisent. En effet, ladite amende constitue la sanction d’une infraction à l’interdiction de justice. Elle est infligée par le juge allemand à la demande d’une partie privée, mais elle doit être versée, après que les autorités de la juridiction ont procédé à son recouvrement d’office, à la caisse du tribunal au profit de l’État allemand et non pas au profit de la partie qui en est à l’initiative.

33.      D’autre part, le Hoge Raad der Nederlanden émet des doutes quant à l’applicabilité de l’article 14 de la directive 2004/48 dans le litige au principal. S’il est possible de considérer que cette directive vise à garantir le respect effectif des droits de propriété intellectuelle et que la reconnaissance et l’exécution d’une décision relative à ces droits peut constituer un volet du respect effectif desdits droits, la directive 2004/48 énonce que les mesures, procédures et réparations qu’elle prévoit s’appliquent à toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle (8). Or, la procédure d’exequatur, en tant qu’elle consiste en la vérification par le juge que les conditions relatives à la reconnaissance et à l’exécution sont réunies, n’entrerait pas dans le champ d’application de ladite directive.

34.      Se trouvant confronté à une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, le Hoge Raad der Nederlanden a donc décidé de surseoir à statuer et, par décision de renvoi parvenue au greffe de la Cour le 21 octobre 2009, de saisir la Cour sur le fondement de l’article 234 CE des deux questions préjudicielles suivantes:

«1)      La notion de ‘matière civile et commerciale’ figurant à l’article 1er du règlement [n° 44/2001] doit-elle être interprétée en ce sens que [ledit] règlement s’applique aussi à la reconnaissance et à l’exécution d’une décision comportant une condamnation au versement d’une amende au titre de l’article 890 [de la ZPO]?

2)      L’article 14 de la directive [2004/48] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’applique aussi à une procédure d’exequatur relative à:

a)      une décision rendue dans un autre État membre sur une atteinte à un droit de propriété intellectuelle;

b)      une décision rendue dans un autre État membre imposant une astreinte ou infligeant une amende pour infraction à une interdiction de porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle;

c)      des décisions de taxation des dépens rendues dans un autre État membre dans le prolongement des décisions visées sous a) et b)?»

III – La procédure devant la Cour

35.      Realchemie, les gouvernements néerlandais et allemand ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites devant la Cour.

36.      Lors de l’audience qui s’est tenue le 25 janvier 2011, ont formulé oralement leurs observations Realchemie, le gouvernement allemand et la Commission.

IV – Analyse juridique

A –    Sur la première question

37.      Après avoir formulé quelques remarques liminaires, il s’agira d’analyser le régime juridique de l’amende civile telle que conçue en droit allemand avant d’en apprécier les éléments caractéristiques à la lumière de la jurisprudence de la Cour.

1.      Remarques liminaires

38.      Par sa première question, la juridiction de renvoi s’interroge sur le fait de savoir si la décision rendue en Allemagne infligeant le paiement d’une amende civile à Realchemie au titre de l’article 890 de la ZPO est susceptible de reconnaissance et d’exécution aux Pays-Bas sur le fondement du règlement n° 44/2001. La Cour est donc invitée à déterminer si une telle amende relève de la matière civile et commerciale au sens de l’article 1er dudit règlement.

39.      De manière liminaire, je souhaite formuler deux séries de remarques.

40.      En premier lieu, il s’agit de rappeler la continuité existant entre la convention de Bruxelles et le règlement n° 44/2001, comme l’indique le dix-neuvième considérant dudit règlement (9). La Cour a logiquement déduit que, «dans la mesure où le règlement n° 44/2001 remplace désormais, dans les relations des États membres, la convention de Bruxelles, l’interprétation fournie en ce qui concerne les [dispositions de ladite convention] vaut également pour les [dispositions dudit règlement], lorsque les dispositions de la convention de Bruxelles et celles du règlement n° 44/2001 peuvent être qualifiées d’équivalentes» (10). Tel est le cas de l’article 1er du règlement n° 44/2001, dont le libellé est identique à celui de l’article 1er de la convention de Bruxelles. La jurisprudence rendue sur le fondement de ladite convention peut donc être utilement invoquée dans le cadre du présent renvoi préjudiciel. Il en est de même des différents rapports explicatifs rendus à ce sujet (11).

41.      En second lieu, je relève que l’article 1er du règlement n° 44/2001, lu en combinaison avec son septième considérant qui souligne l’importance d’inclure, dans le champ d’application dudit règlement, «l’essentiel de la matière civile et commerciale», plaide en faveur d’une interprétation de ladite matière qui vise à couvrir ce qui constitue son cœur dans la sensibilité des États et de l’opinion européens (12). Cette «matière civile et commerciale» constitue, par conséquent, une notion autonome du droit de l’Union indépendante des qualifications nationales que chaque État membre attribue aux procédures et actes judiciaires susceptibles de reconnaissance et d’exécution et doit être interprétée en se référant à la genèse, aux objectifs et au système dudit règlement (13).

2.      Le régime juridique de l’amende civile en droit allemand

42.      Selon les dires parallèles de la juridiction de renvoi, de Realchemie et du gouvernement allemand, l’amende civile visée à l’article 890 de la ZPO poursuit l’exécution forcée d’un droit à tolérance ou à abstention, au sens du droit allemand, préalablement constaté par décision de justice. Si le débiteur viole son obligation de s’abstenir ou de tolérer, il faut le contraindre à respecter l’obligation initiale. Cette contrainte est exercée au moyen de l’article 890 de la ZPO qui met en place un «rappel à l’ordre». Ce dernier peut prendre deux formes, à savoir l’amende civile ou la contrainte par corps. Il ressort également dudit article 890 que le juge peut choisir d’infliger directement une contrainte par corps sans nécessairement passer par l’infliction préalable d’une amende civile.

43.      Toujours aux termes de l’article 890 de la ZPO, le rappel à l’ordre se fait à la demande du créancier. L’infliction d’un rappel à l’ordre ne peut avoir lieu que si elle est précédée d’un avertissement comminatoire prévenant le débiteur de ce qu’il encourt en cas de non respect de son obligation (14). Une fois l’obligation violée, après avoir été saisi par le créancier et après avoir entendu le débiteur (15), le juge allemand peut prononcer le rappel à l’ordre, qui, en l’occurrence, a consisté dans le prononcé d’une amende civile de 20 000 euros à l’encontre de Realchemie pour ne pas avoir respecté son obligation découlant de l’ordonnance de base.

44.      Ladite amende n’a pu donc être infligée qu’à la suite de la demande de Bayer. Elle n’est toutefois pas prononcée à son bénéfice. L’amende civile doit être payée à la caisse du tribunal pour revenir au Trésor public. Elle est recouvrée d’office. Le président du tribunal en est l’instance d’exécution (16).

45.      Realchemie ajoute, sans que cela ait fait l’objet de développements de la part des autres parties intéressées, que l’ordonnance de rappel à l’ordre ne constitue pas, en tant que telle, un titre exécutoire. Elle n’aurait qu’une simple force déclaratoire. Ce ne serait que lorsque l’amende civile fait l’objet d’un décompte des frais de l’instance, lequel mentionne le créancier, le montant et les délais impartis, que l’on serait en présence d’un titre exécutoire, seul susceptible d’être reconnu et exécuté dans l’État requis (17).

3.      Appréciation juridique

a)      Le caractère inopérant du critère du principal et de l’accessoire

46.      Une des spécificités de la situation en cause au principal provient du fait que le litige dans le cadre duquel s’inscrit l’adoption de l’ordonnance infligeant l’amende civile en Allemagne porte sur des mesures provisoires.

47.      En la présence de telles mesures, l’attitude de la Cour a consisté à affirmer que «les mesures provisoires ou conservatoires étant aptes à sauvegarder des droits de nature fort variée, leur appartenance au champ d’application de la convention est déterminée non par leur nature propre, mais par la nature des droits dont elles assurent la sauvegarde» (18).

48.      Dans le présent cas de figure, l’ordonnance infligeant l’amende civile a été rendue dans le contexte d’un litige «principal» visant à obtenir des mesures provisoires afin de faire respecter, au provisoire, un droit de propriété intellectuelle, droit de nature manifestement civile. L’ordonnance infligeant l’amende civile ne pouvant être prononcée en l’absence de l’ordonnance de base, la première constitue l’accessoire de la seconde et en dépend existentiellement. La nature civile de l’ordonnance de base déterminerait celle de l’ordonnance infligeant l’amende civile. Ainsi, comme le suggère le gouvernement allemand, pour répondre à la première question posée, il suffirait de vérifier si l’ordonnance de base est susceptible d’être reconnue et exécutée au titre de l’article 1er du règlement n° 44/2001. Puisque c’est effectivement le cas, l’ordonnance infligeant l’amende civile relèverait également de la matière civile et commerciale.

49.      Cette proposition est séduisante, car elle a le mérite de la simplicité et de l’efficacité. Elle doit, toutefois, être immédiatement rejetée, car l’application du critère de l’accessoire se heurte à un élément particulièrement frappant dans notre cas d’espèce. En effet, l’amende civile, comme exposé plus haut, est un rappel à l’ordre au sens du droit allemand, mais elle n’en est pas la forme unique, puisque la possibilité existe également, pour le juge allemand, de prononcer une contrainte par corps. Poussé à son paroxysme, le raisonnement proposé pourrait aboutir à considérer qu’une contrainte par corps relève du champ d’application de l’article 1er du règlement n° 44/2001 quand elle est infligée dans le contexte d’un litige principal portant sur des mesures provisoires adoptées pour faire cesser une atteinte à un droit de nature civile. Une telle situation étant évidemment exclue, c’est un autre critère que la Cour doit adopter dans le cadre de son analyse.

b)      Les incidences de l’amende civile sur la nature des rapports juridiques entre les parties au litige ou sur l’objet du litige

i)      Les lignes directrices fournies par la jurisprudence de la Cour

50.      Le critère spécifique dégagé par la Cour en présence de mesures provisoires n’étant d’aucune aide dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, il faut se référer aux lignes directrices générales qu’elle a fournies dans le contexte de sa jurisprudence rendue relativement à l’article 1er de la convention de Bruxelles.

51.      Il ressort ainsi de cette jurisprudence constante que la notion de «matière civile et commerciale» doit être interprétée en considérant que «certaines catégories de décisions juridictionnelles doivent être exclues du champ d’application de la convention en raison des éléments qui caractérisent la nature des rapports juridiques entre les parties au litige ou l’objet de celui-ci» (19). Ces deux critères – nature des rapports juridiques entre les parties ou objet du litige – ont servi jusqu’ici pour marquer la frontière entre, d’un côté, les litiges relevant de la matière civile et commerciale du fait qu’ils tendaient à organiser un rapport juridique de droit privé et, d’un autre côté, ceux relevant d’un rapport de droit public.

52.      Par rapport au premier critère, la Cour a prescrit «d’identifier le rapport juridique existant entre les parties au litige et d’examiner le fondement et les modalités d’exercice de l’action intentée» (20). Elle a ainsi jugé que le rapport juridique entre les parties d’un litige était un rapport de droit privé lorsqu’il opposait deux particuliers et dans la mesure où la partie qui avait intenté l’action avait ainsi exercé une voie de droit qui lui était ouverte par l’effet d’une subrogation légale prévue par une disposition de droit civil sans que cette action ne corresponde à l’exercice de quelconques pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre les particuliers (21). Il en a été jugé de même d’une action intentée non pas à l’encontre de comportements ou de procédures supposant une manifestation de prérogatives de puissance publique par l’une des parties au litige, mais contre des actes accomplis par des particuliers (22).

53.      En outre, le seul fait que l’une des parties au litige soit un organisme de droit public n’a pas automatiquement pour conséquence l’exclusion du litige du champ d’application du règlement n° 44/2001. Ce n’est que lorsque l’autorité publique, partie à un litige l’opposant à un particulier, agit dans l’exercice de la puissance publique que ledit litige fera l’objet d’une telle exclusion (23). En effet, «la manifestation de prérogatives de puissance publique par l’une des parties au litige, en raison de l’exercice par celle-ci de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers, exclut un tel litige de la matière civile et commerciale au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement […] n° 44/2001» (24).

54.      Quant au second critère envisagé en tant que tel, je note qu’il fait l’objet d’une jurisprudence beaucoup moins fournie de la part de la Cour. De manière tout à fait isolée, et en contradiction avec sa jurisprudence antérieure, elle a affirmé, à l’occasion d’un arrêt rendu en 1991, que «[p]our déterminer si un litige relève du champ d’application de [ladite] convention, seul l’objet de ce litige doit être pris en compte» (25). Cette solution n’a, depuis, pas été réitérée et la Cour s’est contentée d’affirmer ultérieurement que «si, par son objet, un litige est exclu du champ d’application de la convention, l’existence d’une question préalable, sur laquelle doit statuer le juge pour trancher ce litige, ne peut, quel que soit le contenu de cette question, justifier l’application de la convention» (26). Par la suite, la Cour a reproduit son considérant de principe faisant référence tant au rapport juridique entre les parties qu’à l’objet du litige (27).

55.      Ainsi, c’est au regard des éléments qui précèdent qu’il faut vérifier s’il y a eu manifestation d’une quelconque prérogative de puissance publique dans l’instance ayant donné lieu à l’adoption de l’ordonnance infligeant l’amende civile en appréciant la nature du rapport juridique entre les parties et l’objet du litige.

ii)    Application au cas d’espèce

56.      La Commission a soutenu, en substance, que l’ordonnance infligeant l’amende civile ne pouvait pas être considérée de manière isolée, que les parties à la procédure de base et à celle ayant donné lieu à l’amende civile se confondent, d’autant plus que seul Bayer détient le pouvoir d’initier l’instance relative à ladite amende. Le gouvernement allemand a, pour sa part, considéré que le droit invoqué est celui de voir le droit de propriété intellectuelle de Bayer respecté, et ne trouve donc pas sa source dans un acte de pure puissance publique. Dans le cadre de l’instance aboutissant à l’infliction de l’amende civile, l’État allemand ne fait qu’aider le créancier à faire respecter son droit et l’amende renforce l’ordre de cessation. Pour cette raison, le droit matériel visé dans l’ordonnance de base doit déterminer la nature du litige.

57.      Je ne peux partager cette analyse.

58.      L’amende civile telle qu’organisée et mise en œuvre par le droit allemand est composée à la fois d’éléments de nature civile, relevant du droit privé, et d’éléments de droit public. Cette composition hétérogène nous impose d’opérer une mise en balance de chacun de ces éléments, afin de répondre à la question posée.

59.      Certes, l’amende civile a été prononcée en raison du fait que Realchemie ne s’est pas soumise aux obligations que lui imposait l’ordonnance de base. Bien sûr, le fait que Realchemie se soumette auxdites obligations va contribuer à la réalisation de la protection provisoire du droit de propriété intellectuelle détenu par Bayer qui est, en outre, la seule partie pouvant exiger du juge allemand qu’il inflige une amende civile.

60.      Toutefois, nous ne pouvons ignorer le fait que, eu égard à la fonction et à l’objectif poursuivi par l’amende civile, à son bénéficiaire effectif et à ses modalités de recouvrement, les aspects relevant du droit public se font déterminants et plaident pour une exclusion de l’amende civile de la matière civile et commerciale au sens de l’article 1er du règlement n° 44/2001.

61.      Quant à la fonction de l’amende civile et l’objectif poursuivi, il est, à mon sens, incomplet de s’arrêter à la conclusion selon laquelle l’amende ne poursuit d’autres objectifs que celui de la protection effective du droit de Bayer reconnu dans l’ordonnance de base. La situation est manifestement plus ambiguë.

62.      L’amende civile est une mesure coercitive qui revêt naturellement un aspect répressif. Les parties intéressées ont longuement pris position sur le fait de savoir si l’amende civile avait avant tout un caractère préventif ou répressif, en avançant l’argument selon lequel si l’aspect préventif devait l’emporter, alors l’amende civile relèverait de la matière civile et commerciale.

63.      À mon sens, il faut distinguer deux temps: l’aspect préventif vaut pour toute la période qui court entre le prononcé de l’ordonnance de base – laquelle contient l’avertissement comminatoire – et l’engagement de la procédure devant aboutir à l’infliction de l’amende. Pendant ce laps de temps, la partie qui a succombé – Realchemie – sait parfaitement ce qu’elle encourt si elle ne se soumet pas aux obligations dictées par l’ordonnance de base. La seule existence de l’avertissement comminatoire peut suffire pour dissuader le débiteur de contrevenir à l’ordre prononcé. En revanche, dès lors que ledit débiteur se rend coupable d’une violation des termes de l’ordonnance de base, il est clair que le prononcé de l’amende civile revêt alors un caractère essentiellement répressif. D’une part, l’amende civile n’a pas pour fonction ou objet de réparer le préjudice subi par Bayer ou de l’indemniser du fait de la perpétuation de la violation de son droit de propriété intellectuelle par Realchemie nonobstant les injonctions contenues dans l’ordonnance de base. D’autre part, ce n’est pas tant le fait que Realchemie ait persisté dans sa supposée (28) violation du droit détenu par Bayer qui est alors sanctionné. Au contraire, le juge allemand, en prononçant l’amende civile, vient sanctionner la violation d’un ordre émis par les autorités judiciaires, en l’occurrence celui de se soumettre aux obligations décrites dans l’ordonnance de base. L’objet de l’instance qui aboutit à l’infliction de l’amende civile est donc bien la sanction, au sens large, d’une infraction fautive à une interdiction judiciaire. Dès lors, il n’est plus possible de soutenir que le critère devant primer est celui du droit matériel en cause dans l’ordonnance de base, car ce critère n’a aucune incidence sur le prononcé de l’amende civile: seul compte le fait qu’il y a eu violation d’un ordre de faire ou de ne pas faire émis par une autorité judiciaire. L’intérêt privé s’efface alors au profit de l’intérêt public qu’est le respect des décisions de justice.

64.      De ce fait, je ne crois pas possible de soutenir que la nature du rapport juridique entre les parties au litige n’a pas été modifiée dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’infliction de l’amende par rapport à la procédure principale ayant conduit à l’adoption de l’ordonnance de base. Bien sûr, c’est Bayer qui doit demander à ce qu’une amende soit prononcée. Il est vrai que cette sanction ne peut être prononcée que lorsque l’intérêt de Bayer à voir l’ordonnance de base respectée coïncide avec l’intérêt de l’État à voir ses décisions de justice exécutées. Aux termes de la législation allemande, la partie qui a obtenu gain de cause dans le litige de base pourra ainsi apporter son concours à la réalisation d’un intérêt public en initiant la procédure relative à l’amende, mais il ne s’agit là que d’une faculté et le juge ne peut s’autosaisir afin de prononcer l’amende civile. Cette faculté n’est, toutefois, rien d’autre que la manifestation du caractère profondément mixte de l’amende civile et ne doit pas être considérée comme l’élément déterminant.

65.      En effet, une fois l’infliction de l’amende civile demandée, Bayer n’a plus aucun rôle à jouer dans l’instance, elle lui échappe totalement. Si, au départ, l’instance de base a mis en présence Realchemie et Bayer comme parties au litige, pour ce qui concerne l’instance donnant lieu au prononcé de l’amende, le litige ne concerne plus que Realchemie et le juge, c’est-à-dire l’auteur de la violation de la décision de justice et l’autorité qui a adopté cette dernière. De manière ostensible, le litige a glissé d’un rapport de strict droit privé – la résolution du litige de base opposant Realchemie à Bayer – vers un rapport présentant indéniablement des éléments de droit public – à savoir la sanction de l’inobservation d’une décision de justice.

66.      Cette analyse est confirmée par le fait que Bayer n’est pas le bénéficiaire de l’amende civile, qui doit être versée à la caisse du tribunal au profit de la puissance publique. Le recouvrement de l’amende civile relève du monopole des autorités judiciaires, à l’exclusion de toute intervention de la partie à l’origine de la procédure. La combinaison de ces éléments fournit la preuve que l’exécution de l’amende civile sert à réaliser le droit de l’État à la répression d’actions ou inactions contraires aux ordres émis, et non le droit de Bayer de voir son droit de propriété intellectuelle respecté.

67.      Sans aller jusqu’à prétendre que l’amende civile est pleinement assimilable à une décision de type pénal, je pense que les indications fournies par le rapport Schlosser (29), afin d’expliciter la distinction entre droit civil et droit pénal, peuvent utilement nous éclairer précisément pour savoir quelle attitude adopter face à un cas aussi ambigu. Au point 29 dudit rapport, il est indiqué que «les procédures et les décisions pénales de toute espèce sont exclues du champ d’application de la convention. Cela ne vaut pas seulement pour la procédure criminelle stricto sensu: les autres procédures répressives applicables en cas de violation d’ordres et d’interdits qui sont d’intérêt public ne relèvent pas non plus du droit civil. Il peut s’avérer assez difficile, dans certains cas, de qualifier les peines à caractère privé que l’on rencontre sous diverses formes dans beaucoup de systèmes juridiques […]. Étant donné que de nombreux systèmes juridiques autorisent les demandeurs privés à intervenir également dans une procédure pénale publique, il n’est pas possible d’utiliser comme critère de délimitation la nature de la personne qui a engagé la procédure. L’élément déterminant est de savoir si la sanction profite ou non individuellement au demandeur privé ou à toute autre personne privée. Pour cette raison, les décisions rendues par les juridictions du travail danoises et accordant le paiement d’une amende au demandeur ou à toute autre partie lésée individuellement relèvent bien du domaine de la convention».

68.      Appliqué au cas d’espèce, le rapport Schlosser confirme mon approche initiale. Nous sommes bien en présence d’une procédure de type répressif applicable en cas de violation d’un ordre. Le critère de la personne qui a engagé la procédure doit être considéré comme secondaire, l’élément déterminant étant celui de savoir à qui profite la sanction et si le paiement de l’amende est effectué au bénéfice du demandeur, partie privée. En l’occurrence, le droit d’initiative appartient à Bayer, mais il n’est pas possible d’affirmer que la sanction lui profite, puisque l’amende ne lui est pas versée. Toutes les conditions ne sont donc pas réunies pour considérer que l’amende civile relève de la matière civile et commerciale et, partant, du champ d’application du règlement n° 44/2001.

c)      Analyse comparée de l’amende civile et de l’astreinte au sens de l’article 49 du règlement n° 44/2001

69.      Les parties intéressées sont également divisées sur le point de savoir si l’amende civile peut être considérée comme une astreinte aux termes de l’article 49 du règlement n° 44/2001. Le gouvernement allemand, notamment, considère que l’analogie est pleinement possible du fait que, en droit allemand, l’astreinte et l’amende civile ne se distinguent guère, puisqu’elles doivent être toutes deux versées au bénéfice de l’État et que le texte de ce règlement lui-même ne fait pas de différence selon que l’astreinte est versée à l’État ou à une partie privée.

70.      Force est pourtant de constater que l’article 49 dudit règlement n’a pas consacré la conception allemande de l’astreinte. C’est, en tout cas, ce qu’indique le point 213 du rapport Schlosser qui évoque l’astreinte comme «[l]e fait que le défendeur est condamné à accomplir l’acte en question et en même temps à verser une certaine somme au demandeur pour le cas où il serait défaillant. […] Toutefois, la convention ne règle pas la question de savoir s’il peut être procédé à une telle exécution dans le cas d’une astreinte infligée pour non-observation d’une décision judiciaire non pas au bénéfice de la partie demandant l’exécution, mais au bénéfice de l’État». Ainsi, même si la Cour devait considérer que l’amende civile est assimilable à une astreinte – ce dont je doute –, ce constat ne permettrait pas de résoudre la question sur le seul fondement de l’article 49 du règlement n° 44/2001, puisque, d’après le rapport Schlosser, le législateur de l’Union n’a pas entendu couvrir par ce moyen les situations dans lesquelles l’astreinte ou une mesure assimilée est versée au bénéfice de l’État en cas d’inobservation d’une décision judiciaire.

71.      En outre, le rapport Pocar (30) nous apporte la précision selon laquelle le fait de ne pas inclure, parmi les mesures couvertes par le règlement n° 44/2001, les astreintes versées à l’État pour violation d’une décision de justice n’est pas le fruit de l’ignorance de l’existence d’un tel mécanisme, mais relève, au contraire, de la volonté des auteurs. À propos de l’article 49 du règlement n° 44/2001, ledit rapport rappelle qu’«[i]l a été souligné que cette disposition ne permet pas de déterminer si elle couvre les sanctions pécuniaires qui sont infligées pour avoir passé outre à une décision de justice et qui reviennent non pas au créditeur mais à l’État» (31). Il poursuit en précisant que, «[d]ans le cadre des travaux de révision, il a été suggéré qu’il serait utile de préciser le libellé dans ce sens. Le groupe ad hoc a toutefois opté de ne pas modifier le libellé de façon à inclure explicitement les astreintes versées à un État, une décision en faveur d’un État étant susceptible de revêtir un caractère pénal, de sorte que toute modification en la matière risquerait d’introduire un élément pénal dans une convention relative à des matières civiles et commerciales. La disposition en question ne peut donc être interprétée comme englobant les astreintes versées à un État que si la nature civile de celles-ci est manifeste et à la condition que leur exécution soit demandée par une partie privée à la procédure tendant à la délivrance d’une déclaration constatant la force exécutoire de la décision et ce, que les astreintes soient ou non destinées à un État». Or, comme je l’ai démontré, le caractère civil de l’amende, au sens de l’article 890 de la ZPO, est loin d’être manifeste.

72.      Par rapport à cette amende civile, je relève encore que l’astreinte, au sens du règlement n° 44/2001 – qu’il faut donc distinguer de la conception allemande – a pour objectif d’inciter le défendeur à cesser l’atteinte au droit du demandeur. Si l’amende civile est prononcée sous la forme d’une somme fixe, l’astreinte consiste au paiement d’une «somme d’argent par jour de retard en vue d’amener le débiteur à remplir ses obligations» (32). Surtout, le débiteur a la possibilité de se soustraire au paiement de l’astreinte en remplissant ses obligations. Dans le cadre de l’amende civile, l’attitude du débiteur postérieure à son prononcé n’a aucune incidence: à partir du moment où elle est infligée, l’amende civile devra être payée, peu importe que le débiteur se soumette finalement à ses obligations. Il s’agit ici d’un élément crucial qui, eu égard également aux remarques contenues dans le rapport Schlosser, devrait nous convaincre du fait qu’il ne peut être répondu à la question posée à la lumière de l’article 49 du règlement n° 44/2001.

4.      Remarques conclusives

73.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose de répondre à la première question qu’une décision par laquelle le débiteur d’une obligation contenue dans une décision de justice préalable est condamné, au motif qu’il ne s’y est pas conformé et à la demande de l’autre partie au litige, à verser à la caisse de la juridiction une amende dite «civile» dans les conditions prévues par l’article 890 de la ZPO ne relève pas de la notion de «matière civile et commerciale», au sens de l’article 1er du règlement n° 44/2001.

74.      Si la Cour devait en juger autrement, et bien qu’elle n’ait été interrogée par la juridiction de renvoi que sur la portée de l’article 1er du règlement n° 44/2001, il me semble nécessaire qu’elle rappelle à ladite juridiction qu’il ne suffit pas qu’une décision relève de la matière civile et commerciale pour être reconnue et exécutée dans un État requis. Au contraire, la juridiction de renvoi doit encore s’assurer que la décision faisant l’objet de la procédure d’exequatur a été rendue, dans son État d’origine, dans le respect des droits de la défense, qu’elle constitue bien un titre exécutoire et que la partie qui en sollicite la reconnaissance et l’exécution dans l’État requis est bien une «partie intéressée», au sens de l’article 38 du règlement n° 44/2001.

75.      Sur ces trois points, je me bornerai à rappeler les éléments du dossier à propos desquels l’attention de la juridiction de renvoi doit être particulièrement attirée.

76.      Quant au respect des droits de la défense, la Cour a déjà affirmé que «l’ensemble des dispositions de la convention […] expriment l’intention de veiller à ce que, dans le cadre des objectifs de celle-ci, les procédures menant à l’adoption de décisions judiciaires se déroulent dans le respect des droits de la défense» (33). À cet égard, Realchemie affirme, dans ses observations écrites, que l’ordonnance de base a été rendue sans procédure orale ni sommation préalable. Elle n’aurait, par ailleurs, eu connaissance de l’ordonnance infligeant l’amende civile qu’après qu’elle ait été adoptée. Toutefois, l’article 891 de la ZPO (34), conformément aux indications fournies par le gouvernement allemand, exige que le débiteur soit préalablement entendu, lorsque le juge envisage, après y avoir été invité par le demandeur, d’infliger une amende civile sur le fondement de l’article 890 de la ZPO.

77.      Quant au caractère exécutoire de l’ordonnance infligeant l’amende civile, Realchemie a affirmé qu’elle ne constitue pas, en tant que telle, un titre exécutoire, mais que seul le décompte de frais revêt cette qualité, notamment en raison du fait qu’il mentionnerait l’identité du créancier – l’autorité publique – à la différence de ladite ordonnance. Le gouvernement allemand interrogé sur ce point lors de l’audience n’a pas été en mesure d’éclairer la Cour. Il faut donc se contenter de rappeler que l’article 38 du règlement n° 44/2001 prévoit, à cet égard, que seules les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires peuvent être mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires (35), et laisser à la juridiction de renvoi le soin d’apprécier le caractère exécutoire de l’ordonnance litigieuse.

78.      Enfin, même à supposer que l’ordonnance infligeant l’amende civile ait effectivement un caractère exécutoire dans l’État d’origine, il reste encore à trancher la question de savoir si Bayer peut en demander l’exécution dans l’État requis, autrement dit si elle est une «partie intéressée», au sens de l’article 38 du règlement n° 44/2001. Je note que la réglementation allemande semble clairement indiquer que le président du tribunal ayant prononcé ladite ordonnance en est la seule instance d’exécution. Il n’est pas évident, à la lecture du dossier, de déterminer si Bayer a le droit, en Allemagne, de poursuivre l’exécution de ladite ordonnance au nom de l’autorité judiciaire. Dans ces conditions, la juridiction de renvoi devra avoir présentes à l’esprit les indications fournies par le rapport Jenard, selon lesquelles «l’expression ‘sur requête de toute partie intéressée’ implique que le droit de demander la formule exécutoire appartient à toute personne qui peut se prévaloir de la décision dans l’État d’origine» (36).

79.      Compte tenu des incertitudes et ambiguïtés du dossier – lesquelles s’expliquent par le fait que la juridiction de renvoi a choisi de focaliser sa question sur l’article 1er du règlement n° 44/2001 –, la Cour n’est pas en mesure de fournir de réponses définitives, mais devra attirer l’attention de la juridiction de renvoi sur ces trois points si elle devait conclure, contrairement à ce que je suggère, que la décision litigieuse relève bien de la matière civile et commerciale, au sens de l’article 1er du règlement n° 44/2001.

B –    Sur la seconde question

80.      Dans son pourvoi incident devant la juridiction de renvoi, Bayer a conclu au rejet du pourvoi de Realchemie et à la condamnation de cette dernière aux dépens dits «réels» au titre de l’article 14 de la directive 2004/48 lu conjointement avec l’article 1019h du code de procédure civile néerlandais qui a vocation à le transposer dans l’ordre juridique néerlandais. Ledit article 1019h prévoit une condamnation aux dépens plus lourde que les condamnations ordinaires dans les affaires relevant du champ d’application de la directive 2004/48 (37).

81.      Par sa seconde question adressée à la Cour, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si les dépens liés à une procédure d’exequatur engagée aux Pays-Bas, au cours de laquelle est demandée la reconnaissance et l’exécution de six décisions rendues en Allemagne dans le cadre d’un litige visant à faire respecter un droit de propriété intellectuelle, relèvent de l’article 14 de la directive 2004/48, lequel fait obligation aux États membres de veiller à ce que les frais de justice exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient en principe supportés par la partie qui succombe. Il s’agit donc de déterminer si une telle procédure d’exequatur relève du champ d’application de la directive 2004/48.

82.      Bien avant l’adoption de la directive 2004/48, la Communauté avait conclu l’accord sur les aspects de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (38), lequel prévoit en son article 41, que «[l]es Membres feront en sorte que leur législation comporte des procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle […] de manière à permettre une action efficace contre tout acte qui porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle». Poursuivant l’objectif d’accroître l’efficacité de la protection des droits de propriété intellectuelle, l’article 45 dudit accord énonce le principe selon lequel les autorités judiciaires seront habilitées à ordonner au contrevenant de payer au détenteur du droit de propriété intellectuelle violé le paiement des frais de justice, au sens large.

83.      La directive 2004/48, comme le rappellent ses quatrième et cinquième considérants, s’inscrit dans la lignée des obligations internationales liant la Communauté qui viennent d’être évoquées. Reconnaissant l’importance de la protection de la propriété intellectuelle pour la promotion de l’innovation et de la création, ainsi que pour le développement de l’emploi et l’amélioration de la compétitivité (39), le législateur de l’Union a constaté la nécessité «de veiller à ce que le droit matériel de la propriété intellectuelle […] soit effectivement appliqué dans la Communauté» (40). Les disparités entre les États membres en affaiblissant le contenu (41), cette directive vise à garantir, par le rapprochement des législations en la matière, le respect des droits de propriété intellectuelle à leur titulaire par la mise en place de mesures, procédures et réparations nécessaires à cet effet (42). Au sens de l’article 2 de ladite directive, «les mesures, procédures et réparations […] s’appliquent […] à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle prévue par la législation communautaire et/ou la législation nationale de l’État membre concerné». C’est lorsque ces mesures, procédures et réparations sont nécessaires pour faire respecter un droit de propriété intellectuelle que la directive 2004/48 prévoit que «[l]es États membres veillent à ce que les frais de justice raisonnables et proportionnés et les autres frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient, en règle générale, supportés par la partie qui succombe» (43).

84.      L’objectif du législateur de l’Union étant de fournir une protection accrue aux titulaires de droit de propriété intellectuelle, il serait possible de soutenir que, le conflit qui oppose Bayer à Realchemie en Allemagne ayant pour objet la protection d’un droit de propriété intellectuelle, la procédure d’exequatur engagée aux Pays-Bas par Bayer constitue une sorte de prolongement de ce litige et peut être considérée comme concernant, elle aussi, une atteinte à un droit de propriété intellectuelle au sens de la directive 2004/48 que Bayer entend faire cesser par la reconnaissance du caractère exécutoire des décisions rendues en Allemagne. Il s’agirait, dès lors, d’une procédure relevant de ladite directive et l’article 14 de celle-ci serait donc applicable.

85.      Je ne suis toutefois pas convaincu par cette approche pour trois raisons majeures.

86.      La première est que je ne crois pas possible de dire que l’objet d’une procédure d’exequatur est, à proprement parler, la protection d’un quelconque droit matériel. Son objet est, au contraire, constitué par la vérification de la réunion objective des conditions nécessaires à la reconnaissance et à l’exécution des décisions de justice concernées dans l’État requis. Elle constitue une étape préalable à la phase de l’exécution qui, elle, vise effectivement à poursuivre la protection du droit concerné initiée dans l’État membre d’origine.

87.      La deuxième est que l’article 14 de la directive 2004/48 se justifie pleinement par la nature particulière du contentieux relatif aux droits de propriété intellectuelle. La Commission a avancé, dans ses observations écrites, et, à mon sens, de bon droit, que l’objectif de cet article 14 est que les titulaires de droits de propriété intellectuelle ne soient pas dissuadés d’introduire une action en justice par le coût, potentiellement important, de la procédure. L’effectivité des droits de propriété intellectuelle implique naturellement leur protection juridictionnelle. En mettant en place des mesures, procédures et réparations nécessaires à cet effet et en affirmant le principe selon lequel les frais de justice doivent en principe être supportés par la partie qui succombe, la directive 2004/48 consacre des conditions favorables pour que les justiciables pouvant s’en prévaloir engagent des procédures judiciaires. Dès lors, la raison d’être dudit article 14 réside dans la particularité des procédures et moyens de preuve dans le domaine de la propriété intellectuelle, les frais d’investigation ou d’expertise pouvant s’avérer très élevés (44). Or, le montant des frais exposés dans le cadre d’une procédure d’exequatur n’est pas comparable à ceux exposés dans le cadre d’une procédure ayant pour objet la constatation d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle et ne me semble pas de nature à dissuader une partie lésée d’introduire une telle procédure (45). La reconnaissance d’une quelconque spécificité aux procédures d’exequatur qui auraient pour objet des décisions rendues dans un autre État membre en rapport avec un droit de propriété intellectuelle ne se justifie pas.

88.      Troisièmement, cette interprétation est confirmée par la précision, au onzième considérant de la directive 2004/48, qu’elle «n’a pas pour objet d’établir des règles harmonisées en matière de coopération judiciaire, de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ni de traiter de la loi applicable. Des instruments communautaires régissent ces matières sur un plan général et sont, en principe, également applicables à la propriété intellectuelle». Si ladite directive n’a pas pour objet d’établir des règles harmonisées en matière de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale, il me semble donc qu’elle n’a pas, a fortiori, vocation à mettre en place une règle générale de nature à régir la condamnation aux dépens dans le cadre d’une procédure d’exequatur.

89.      Cet onzième considérant suppose que la directive 2004/48 s’applique sans préjudice du règlement n° 44/2001. Au sens du règlement n° 44/2001, cet examen doit se limiter à la question de savoir si la décision porte sur une matière civile et commerciale. Considérer que l’article 14 de ladite directive impose une taxation différenciée des dépens quand il s’agit de donner reconnaissance et exécution à une décision relative à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle implique, d’une manière ou d’une autre, un examen du fond de ladite décision qui irait au-delà du simple contrôle exigé au titre de l’article 1er du règlement n° 44/2001. L’impératif de simplification et de célérité de la procédure d’exequatur telle que mise en œuvre par le règlement n° 44/2001 (46) serait également mis en péril, sans que cela ne se justifie particulièrement.

90.      Pour l’ensemble de ces raisons, je suggère que l’article 14 de la directive 2004/48 doit être interprété en ce sens qu’il n’a pas vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure d’exequatur qui a pour objet la reconnaissance et l’exécution de décisions relatives à une atteinte à une droit de propriété intellectuelle.

V –    Conclusion

91.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit aux deux questions préjudicielles posées par le Hoge Raad der Nederlanden:

«1)      Une décision par laquelle le débiteur d’une obligation contenue dans une décision de justice préalable est condamné, au motif qu’il ne s’y est pas conformé et à la demande de l’autre partie au litige, à verser à la caisse de la juridiction une amende dite ‘civile’ dans les conditions prévues par l’article 890 du code de procédure civile allemand (Zivilprozessordnung) ne relève pas de la notion de ‘matière civile et commerciale’, au sens de l’article 1er du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

2)      L’article 14 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens qu’il n’a pas vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure d’exequatur qui a pour objet la reconnaissance et l’exécution de décisions relatives à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle.»


1 – Langue originale: le français.


2 – JO 2001, L 12, p. 1.


3 – JO L 195, p. 16.


4 – Version consolidée (JO 1998, C 27, p. 1).


5 – Le Landgericht Düsseldorf a liquidé les dépens d’un montant de 7 829,60 euros en adoptant une ordonnance en date du 29 août 2006.


6 – Par ordonnance en date du 19 septembre 2006, le Landgericht Düsseldorf a liquidé les dépens pour un montant de 898,60 euros.


7 – Par ordonnance en date du 11 novembre 2006, le Landgericht Düsseldorf a liquidé les dépens pour un montant de 852,40 euros.


8 – Voir article 2, paragraphe 1, de la directive 2004/48.


9 – Voir point 6 des présentes conclusions.


10 – Arrêt du 23 avril 2009, Draka NK Cables e.a. (C-167/08, Rec. p. I-3477, point 20).


11 – Comme le rapport de Jenard, J., sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1979, C 59, p. 54) (ci-après le «rapport Jenard») et le rapport de Schlosser, P., sur la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (JO 1979, C 59, p. 71) (ci-après le «rapport Schlosser»), le rapport explicatif de Pocar, F., sur la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale signée à Lugano le 30 octobre 2007 (JO 2009, C 319, p. 1) (ci-après le «rapport Pocar») sera également utilisé, puisque le règlement n° 44/2001 a servi de base à ladite convention.


12 – Arrêt du 15 février 2007, Lechouritou e.a. (C-292/05, Rec. p. I-1519, point 28).


13 – À propos de l’article 1er de la convention de Bruxelles, voir arrêts du 14 octobre 1976, LTU (29/76, Rec. p. 1541, point 3); du 16 décembre 1980, Rüffer (814/79, Rec. p. 3807, point 7 et jurisprudence citée), ainsi que du 21 avril 1993, Sonntag (C-172/91, Rec. p. I-1963, point 18); à propos du règlement n° 44/2001, voir arrêts Draka NK Cables e.a., précité (point 19 et jurisprudence citée), ainsi que du 23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch (C-533/07, Rec. p. I-3327, point 20 et jurisprudence citée).


14 – Il ressort du dossier que l’ordonnance de base contenait effectivement cet avertissement comminatoire adressé à Realchemie.


15 – Article 891 de la ZPO.


16 – Article 1er, paragraphe 1, point 3, de la JBeitrO.


17 – Il ressort des observations écrites déposées par Realchemie que l’instance d’exécution de l’amende civile a effectivement émis un décompte de frais le 23 août 2006.


18 – Arrêts du 27 mars 1979, de Cavel (143/78, Rec. p. 1055, point 8); du 26 mars 1992, Reichert et Kockler (C-261/90, Rec. p. I-2149, point 32), ainsi que du 17 novembre 1998, Van Uden (C-391/95, Rec. p. I-7091, point 33).


19 – Arrêts LTU, précité (point 4); du 14 novembre 2002, Baten (C-271/00, Rec. p. I-10489, point 29); du 15 mai 2003, Préservatrice foncière TIARD (C-266/01, Rec. p. I-4867, point 21), ainsi que Lechouritou e.a., précité (point 30).


20 – Arrêt du 5 février 2004, Frahuil (C-265/02, Rec. p. I-1543, point 20 et jurisprudence citée).


21 – Ibidem (point 21).


22 – Arrêt du 28 avril 2009, Apostolides (C-420/07, Rec. p. I-3571, point 45).


23 – Arrêts précités LTU (point 4); Rüffer (point 8); Sonntag (point 20); Baten (point 30); Préservatrice foncière TIARD (point 22); Lechouritou e.a. (point 31), ainsi que Apostolides (point 43).


24 – Arrêts précités Lechouritou e.a. (point 33 et jurisprudence citée) ainsi que Apostolides (point 44). Pour une analyse systématique de la jurisprudence de la Cour sur ce point, je renvoie aux conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer rendues dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Lechouritou e.a., précité, et, plus précisément, aux points 37 et suiv. desdites conclusions.


25 – Arrêt du 25 juillet 1991, Rich (C-190/89, Rec. p. I-3855, point 26). Italique ajouté par mes soins.


26 – Arrêt du 20 janvier 1994, Owens Bank (C-129/92, Rec. p. I-117, point 34).


27 – Voir jurisprudence citée à la note en bas de page 19.


28 – Il ne faut, en effet, pas perdre de vue que l’ordonnance de base n’est qu’une mesure provisoire, statuant donc au provisoire sur une violation prétendue – mais non encore tout à fait avérée – d’un droit de propriété intellectuelle par Realchemie.


29 – Cité à la note en bas de page 11.


30 – Cité à la note en bas de page 11.


31 – Point 167 dudit rapport.


32 – Rapport Jenard, susmentionné (p. 54).


33 – Arrêt du 13 juillet 1995, Hengst Import (C-474/93, Rec. p. I-2113, point 16 et jurisprudence citée).


34 – Voir point 18 des présentes conclusions.


35 – Le rapport Jenard indique que ce caractère exécutoire «est une qualité du titre dont on demande l’exécution d’après le droit du pays de l’origine du jugement et […] il n’y a pas de raison d’accorder un jugement étranger des droits qui ne lui appartiennent pas dans le pays d’origine» (p. 48). Voir, également, arrêt du 29 avril 1999, Coursier (C-267/97, Rec. p. I-2543, point 23), et, citant le rapport Jenard sur ce point, arrêt Apostolides, précité (point 66).


36 – Rapport Jenard, susmentionné (p. 49).


37 – Je relève que le dossier ne contient aucune information quant au libellé exact de cette disposition de droit néerlandais et, partant, quant à la différence entre la condamnation aux dépens ordinaires et la condamnation aux dépens telle que mise en œuvre par ledit article 1019h.


38 – Lequel constitue l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords de négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1).


39 – Voir premier et deuxième considérants de la directive 2004/48.


40 – Troisième considérant de la directive 2004/48.


41 – Voir septième à neuvième considérants de la directive 2004/48.


42 – Article 1er de la directive 2004/48.


43 – Article 14 de la directive 2004/48.


44 – Comme l’a rappelé la Commission dans son exposé des motifs, voir la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux mesures et procédures visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle [COM(2003) 46 final], du 30 janvier 2003 (p. 9).


45 – Je souhaiterais faire remarquer, par ailleurs, que dans l’affaire au principal, Realchemie a été condamnée aux dépens liés à la procédure d’exequatur, mais que Bayer souhaite obtenir une condamnation plus lourde.


46 – Arrêt Draka NK Cables e.a., précité (points 26 et 30).


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