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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Bell & Ross v OHIM (Law governing the institutions) French Text [2011] EUECJ C-426/10 (09 June 2011) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2011/C42610_O.html Cite as: ECLI:EU:C:2011:612, EU:C:2011:612, [2011] EUECJ C-426/10 |
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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
Mme E. Sharpston
présentées le 9 juin 2011 (1)
Affaire C-�426/10 P
Bell & Ross BV
contre
Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI)
«Pourvoi – Original signé de la requête déposé hors délai – Rejet comme manifestement irrecevable – Vice régularisable – Notions d’erreur excusable et de cas fortuit – Principes de confiance légitime et de proportionnalité»
1. Après avoir transmis par télécopie, avant l’expiration du délai de recours, une requête visant à l’annulation d’une décision de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI), l’avocat de la société Bell & Ross BV (ci-après la «requérante») a envoyé au greffe du Tribunal de l’Union européenne (ci-après le «greffe») sept exemplaires de la même requête. Ces exemplaires sont parvenus au greffe après l’expiration du délai de recours, mais endéans le délai de dix jours prévu pour le dépôt de l’original à la suite d’une transmission par télécopie.
2. N’ayant pu identifier l’original parmi ces sept exemplaires, le greffe a invité ledit avocat à lui transmettre l’original de la requête. L’avocat a envoyé l’exemplaire encore en sa possession, qui est parvenu au greffe après l’expiration dudit délai de dix jours. En vérifiant la signature à l’aide d’un chiffon humide, le greffe a conclu qu’il s’agissait de l’original de la requête, les autres exemplaires en étant des photocopies.
3. Le Tribunal a alors, sans poursuivre la procédure, déclaré le recours manifestement irrecevable par ordonnance motivée, l’original de la requête ayant été déposé après l’expiration du délai de recours.
4. Le présent pourvoi conteste cette décision (2) en ce qui concerne, notamment, les notions de vice régularisable, d’erreur excusable ou de cas fortuit, la proportionnalité de la décision prise par le Tribunal et la protection de la confiance légitime.
Le cadre juridique
Le statut de la Cour de justice de l’Union européenne
5. L’article 21, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après le «statut») prévoit, notamment, qu’une requête doit être accompagnée, s’il y a lieu, de l’acte dont l’annulation est demandée. Si cette pièce n’a pas été jointe à la requête, «le greffier invite l’intéressé à en effectuer la production dans un délai raisonnable, sans qu’aucune forclusion puisse être opposée au cas où la régularisation interviendrait après l’expiration du délai de recours».
Le règlement de procédure du Tribunal
6. L’article 43 du règlement de procédure du Tribunal (ci-après le «règlement de procédure») prévoit:
«1. L’original de tout acte de procédure doit être signé par l’agent ou l’avocat de la partie.
Cet acte, accompagné de toutes les annexes qui y sont mentionnées, est présenté avec cinq copies pour le Tribunal et autant de copies qu’il y a de parties en cause. Ces copies sont certifiées conformes par la partie qui les dépose.
[…]
6. [...] la date à laquelle une copie de l’original signé d’un acte de procédure […] parvient au greffe par télécopieur ou tout autre moyen technique de communication dont dispose le Tribunal, est prise en considération aux fins du respect des délais de procédure, à condition que l’orignal signé de l’acte, accompagné des annexes et des copies visées au paragraphe 1, deuxième alinéa, soit déposé au greffe au plus tard dix jours après. L’article 102, paragraphe 2 [(3)], n’est pas applicable à ce délai de dix jours.
[…]»
7. L’article 44, paragraphe 6, du règlement de procédure prévoit:
«Si la requête n’est pas conforme aux conditions énumérées aux paragraphes 3 à 5 du présent article [(4)], le greffier fixe au requérant un délai raisonnable aux fins de régularisation de la requête ou de production des pièces mentionnées ci-dessus. À défaut de cette régularisation ou de cette production dans le délai imparti, le Tribunal décide si l’inobservation de ces conditions entraîne l’irrecevabilité formelle de la requête.»
8. L’article 111 du règlement de procédure prévoit:
«Lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours ou lorsque celui-ci est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal, l’avocat général entendu, peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.»
Les instructions au greffier du Tribunal
9. Les instructions au greffier du Tribunal (ci-après les «instructions au greffier») sont établies sur la base de l’article 23 du règlement de procédure. Aux termes de leur article 7:
«1. Le greffier veille à la conformité des pièces versées au dossier avec les dispositions du statut de la Cour, du règlement de procédure, des instructions pratiques aux parties ainsi qu’avec les présentes instructions.
Le cas échéant, il fixe aux parties un délai pour leur permettre de remédier à des irrégularités formelles des pièces déposées.
La signification d’un mémoire est retardée en cas de non-respect des dispositions du règlement de procédure visées aux points 55 et 56 des instructions pratiques aux parties.
Le non-respect des dispositions reprises aux points 57 et 59 des instructions pratiques aux parties retarde ou peut retarder, selon le cas, la signification du mémoire.
[…]
3. Sans préjudice des dispositions de l’article 43, paragraphe 6, du règlement de procédure relatives au dépôt de pièces par télécopie ou tout autre moyen technique de communication, le greffier n’accepte que les pièces qui portent l’original de la signature de l’avocat ou de l’agent de la partie.
[…]»
Les instructions pratiques aux parties
10. Les instructions pratiques du Tribunal aux parties (ci-après les «instructions pratiques») sont édictées sur la base de l’article 150 du règlement de procédure. Leur section B, intitulée «Sur la présentation des mémoires», prévoit, notamment:
«[…]
7. La signature originale du mémoire par l’avocat ou l’agent de la partie concernée figure à la fin du mémoire. En cas de pluralité de représentants, la signature du mémoire par l’un d’eux suffit.
[…]
9. Sur chacune des copies de tout acte de procédure que les parties sont tenues de produire en vertu de l’article 43, paragraphe 1, second alinéa, du règlement de procédure, l’avocat ou l’agent de la partie concernée doit apposer la mention, signée par lui, certifiant que la copie est conforme à l’original de l’acte.»
11. La section F, intitulée «Sur les cas de régularisation des mémoires», précise, aux points 55 à 59, les conditions dans lesquelles les requêtes peuvent être régularisées.
12. Selon le point 55, une requête qui n’est pas conforme aux conditions suivantes n’est pas signifiée à la partie défenderesse et un délai raisonnable est fixé aux fins de la régularisation:
«(a) production du document de légitimation de l’avocat (article 44, paragraphe 3, du règlement de procédure);
(b) preuve de l’existence juridique de la personne morale de droit privé [article 44, paragraphe 5, sous a), du règlement de procédure];
(c) mandat [article 44, paragraphe 5, sous b), du règlement de procédure];
(d) preuve que le mandat a été régulièrement établi par un représentant qualifié à cet effet [article 44, paragraphe 5, sous b), du règlement de procédure];
(e) production de l’acte attaqué (recours en annulation) […] (article 21, deuxième alinéa, du statut; article 44, paragraphe 4, du règlement de procédure)».
13. Le point 56 prévoit:
«Dans les affaires de propriété intellectuelle mettant en cause la légalité d’une décision d’une chambre de recours de l’OHMI, une requête qui n’est pas conforme aux conditions suivantes prévues à l’article 132 du règlement de procédure n’est pas signifiée à l’autre/aux parties et un délai raisonnable est fixé aux fins de la régularisation:
(a) les noms des parties à la procédure devant la chambre de recours et les adresses que celles-ci avaient indiquées aux fins des notifications à effectuer au cours de cette procédure (article 132, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure);
(b) la date de notification de la décision de la chambre de recours (article 132, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement de procédure);
(c) en annexe, la décision attaquée (article 132, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement de procédure).»
14. Le point 57 prévoit, notamment:
«Si une requête n’est pas conforme aux règles de forme suivantes, la signification de la requête est retardée et un délai raisonnable est fixé aux fins de la régularisation:
[…]
(b) signature originale de l’avocat ou de l’agent à la fin de la requête (point 7 des instructions pratiques),
[…]
(o) production des copies certifiées conformes de la requête (article 43, paragraphe 1, second alinéa, du règlement de procédure; point 9 des instructions pratiques).»
15. Le point 58 prévoit que, si la requête n’est pas conforme aux règles de forme relatives à la domiciliation, au document de légitimation pour tout avocat supplémentaire, au résumé des arguments et à la traduction dans la langue de procédure d’annexes, la requête est signifiée et un délai raisonnable est fixé aux fins de la régularisation.
16. Enfin, le point 59 prévoit le principe ou la possibilité, selon le cas, de régularisation lorsque le nombre de pages de la requête excède le nombre prescrit par les instructions pratiques, ainsi que le retardement de la signification dans un tel cas.
Les antécédents de l’affaire
17. Par requête parvenue par télécopie au greffe du Tribunal le 22 janvier 2010, la requérante a introduit un recours contre une décision de l’OHMI (5). Ladite décision ayant été notifiée à la requérante le 13 novembre 2009, il résultait des règles de calcul des délais de procédure prévues au règlement de procédure que le délai de recours venait à expiration le 25 janvier 2010.
18. L’avocat de la requérante a ensuite envoyé au greffe la requête et ses annexes en sept exemplaires, ainsi que les documents requis par l’article 44, paragraphes 3 à 5, du règlement de procédure, accompagnés d’une lettre précisant que l’envoi comportait l’original de la requête et de ses annexes et sept jeux de copies conformes des mêmes documents (6). L’envoi est parvenu au greffe le 1er février 2010, soit le dixième jour après la transmission par télécopie.
19. Le 2 février 2010, le greffe a demandé à l’avocat de lui transmettre l’original signé de la requête, qui semblait manquer à l’envoi.
20. Par lettre du 3 février 2010, l’avocat a envoyé au greffe le seul exemplaire de la requête qui figurait à son dossier, en expliquant:
«Dans la mesure où je suis convaincu de vous avoir adressé précédemment l’original du document avec un jeu de photocopies, je suis incapable de vous dire si le document joint est ou non en original. Il s’agit pour moi de la copie que nous avons conservée dans le dossier. Je vous laisse le soin de l’examiner et reste donc dans l’attente de connaître vos observations.»
21. Le 5 février 2010, le greffe a indiqué à l’avocat avoir conclu que ce document était un original: après avoir passé un chiffon humide sur la signature, l’encre (noire) avait légèrement bavé.
22. Le greffe a donc enregistré la requête à la date du 5 février 2010, soit aussi bien après l’expiration du délai de recours qu’après celle du délai de dix jours prévu à l’article 43, paragraphe 6, du règlement de procédure.
23. Par lettre du 12 février 2010 adressée au greffe, l’avocat de la requérante a invoqué une erreur excusable pour justifier le dépôt de l’original signé de la requête après l’expiration du délai de dix jours susmentionné.
24. Compte tenu de ces circonstances, la requête n’a pas été signifiée à l’OHMI.
L’ordonnance attaquée
25. Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décidant de statuer sans poursuivre la procédure en vertu de l’article 111 du règlement de procédure, a rejeté la requête comme manifestement irrecevable.
26. Le Tribunal a rappelé que, selon une jurisprudence constante (7), le délai de recours est d’ordre public, ayant été institué en vue d’assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques et d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice, et qu’il appartient au juge de l’Union de vérifier, d’office, s’il a été respecté (8). Le Tribunal a ensuite constaté que la requête était parvenue par télécopie au greffe le 22 janvier 2010, avant l’expiration du délai de recours, et que, compte tenu du délai de dix jours prévu à l’article 43, paragraphe 6, du règlement de procédure, l’original aurait dû lui parvenir avant le 1er février 2010. Or, ledit original n’ayant été reçu que le 5 février 2010, le dépôt de la requête était tardif (9).
27. Ensuite, le Tribunal a examiné les arguments avancés dans la lettre du 12 février 2010 pour faire valoir l’existence d’une erreur excusable: le prestataire qui a effectué les copies de la requête aurait confondu l’original avec l’une des copies; l’avocat aurait l’habitude de signer avec de l’encre noire; la qualité des copies aurait rendu difficile de distinguer entre l’original et les copies; le test du chiffon humide ne pourrait pas être systématiquement exigé de la part d’un requérant, et l’existence de la possibilité de régularisation selon le point 57, sous o), des instructions pratiques pourrait amoindrir la vigilance des requérants à l’égard de la nécessité de distinguer l’original des copies.
28. Le Tribunal a jugé qu’aucun de ces arguments ne permettait de conclure à une erreur excusable. Selon la jurisprudence (10), en ce qui concerne les délais de recours, la notion d’erreur excusable devait être interprétée de façon stricte et ne pouvait viser que des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, notamment, l’institution concernée a adopté un comportement qui, à lui seul ou dans une mesure déterminante, était de nature à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’un opérateur normalement averti. Or, en l’espèce, la requérante a admis elle-même avoir été à l’origine d’une confusion lors de la préparation du dossier, et ni l’existence de circonstances exceptionnelles ni l’exercice de la diligence requise n’ont été établis. La difficulté de distinguer l’original signé de la requête des copies de celle-ci aurait pu être surmontée (11).
29. Par ailleurs, l’absence de dépôt dans les délais de l’original signé ne figurait pas au nombre des cas de régularisation des requêtes prévus aux points 55 à 59 des instructions pratiques. La faculté de régularisation prévue au point 57, sous o), ne saurait avoir pour conséquence d’amoindrir la vigilance des requérants auxquels il incombe de distinguer l’original des copies (12).
Conclusions et moyens du pourvoi
30. La requérante conclut à ce qu’il plaise à la Cour annuler l’ordonnance attaquée, constater que le recours en annulation est recevable, renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue au fond et condamner l’OHMI aux dépens des deux instances.
31. Elle avance six moyens pris, respectivement, de la violation de l’article 111 du règlement de procédure, de la violation de l’article 43 du même règlement, du non-respect du point 57, sous b), des instructions pratiques et de l’article 7, paragraphe 1, des instructions au greffier, de la non-reconnaissance de l’existence d’un erreur excusable, de l’existence d’un cas fortuit et de la violation des principes de proportionnalité et de confiance légitime.
32. L’OHMI conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de la requérante aux dépens.
Analyse
Remarques liminaires
33. Tout d’abord, il me semble important de bien identifier les principales circonstances qui singularisent cette affaire.
34. D’une part, il n’est pas contesté que, à la suite d’une confusion, l’exemplaire de la requête qui est parvenu au greffe le 5 février 2010 était celui qui comportait la signature originale de l’avocat, ceux qui avaient été reçus le 1er février en étant des photocopies fidèles. Il n’est pas non plus contesté que le document reçu le 5 février fût l’original de la télécopie reçue le 22 janvier. Par ailleurs, il est constant que le délai de recours est venu à expiration le 25 janvier 2010 (et a donc été respecté pour ce qui est de la transmission de la requête par télécopieur le 22 janvier) et que le délai de dix jours pour le dépôt de l’original de la requête suivant la transmission par télécopieur est venu à expiration le 1er février 2010.
35. D’autre part, il me semble important de noter que, pour des raisons bien évidentes, la requête elle-même, adressée au Tribunal, ne contenait aucune argumentation concernant les causes de la confusion susmentionnée, l’éventuelle justification du dépôt tardif de la requête ou les possibilités de régularisation. La requête n’ayant pas été signifiée à l’OHMI et aucune audience n’ayant été organisée, les parties n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer sur ces aspects directement devant le Tribunal lui-même (13). C’est donc sur la base de communications tant téléphoniques qu’écrites entre l’avocat et le greffe, ainsi que sur l’identification par ce dernier de la signature originale de l’avocat, que le Tribunal est arrivé à la décision contenue dans l’ordonnance attaquée.
36. Ensuite, il convient de rappeler les principes du droit de l’Union qui semblent les plus pertinents pour l’appréciation de ce pourvoi: le principe de sécurité juridique, en vertu duquel les délais de recours sont d’ordre public et ne sont pas à la disposition des parties ou du juge; le droit à un recours effectif devant un tribunal dans les conditions prévues à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne; le principe de proportionnalité, qui exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser l’objectif visé et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre; et le principe de protection de la confiance légitime, qui s’étend à tout justiciable dans le chef duquel une institution de l’Union a fait naître des espérances fondées du fait d’assurances précises qu’elle lui aurait fournies.
37. Au vu de ces principes, et des circonstances de l’espèce, il me semble que les troisième et sixième moyens du pourvoi méritent une attention particulière, et je les aborderai en premier lieu. Les autres moyens pourront être examinés plus brièvement par la suite.
Troisième moyen: non-respect de l’article 7, paragraphe 1, des instructions au greffier et du point 57, sous b), des instructions pratiques
38. La requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en n’accordant pas la possibilité de régulariser le recours conformément à l’article 7, paragraphe 1, des instructions au greffier (selon lequel, le cas échéant, le greffier fixe aux parties un délai pour leur permettre de remédier à des irrégularités formelles des pièces déposées) et au point 57, sous b), des instructions pratiques (selon lequel un délai raisonnable est fixé aux fins de la régularisation si la requête n’est pas conforme à la règle de forme qui requiert la signature originale de l’avocat à la fin de la requête).
39. Tout d’abord, je ne peux me rallier à l’objection exprimée par l’OHMI quant à la recevabilité de ce moyen. L’OHMI souligne en effet que, devant le Tribunal, la requérante n’a pas invoqué le point 57, sous b), des instructions pratiques.
40. Il est vrai que, en principe, un moyen relatif au litige au principal qui n’a pas été soulevé devant le Tribunal ne peut pas être soulevé pour la première fois devant la Cour (14). Toutefois, en l’espèce, il me semble que la recevabilité des moyens du pourvoi ne peut pas être appréciée à l’aune de leur similarité ou non avec les moyens soulevés en première instance. En effet, la requérante n’a eu aucune possibilité au cours de la procédure devant le Tribunal de soulever un quelconque moyen relatif à la disposition en cause. La requête elle-même ne pouvait contenir de développement concernant les conditions de son dépôt, conditions qui n’étaient pas, pour des raisons évidentes, anticipées lors de sa rédaction. Quant aux échanges – même écrits – entre l’avocat de la requérante et le greffe, il ne s’agit en aucun cas de documents dans lesquels la requérante aurait pu soulever un moyen pouvant être recevable dans le cadre de son recours.
41. Quant au fond, je trouve éloquents les arguments avancés par la requérante, alors que les objections émises par l’OHMI n’emportent pas ma conviction.
42. Si l’article 44, paragraphe 6, du règlement de procédure ne se réfère effectivement qu’à la non-conformité aux conditions énumérées aux paragraphes 3 à 5 du même article comme pouvant donner lieu à une régularisation dans un délai raisonnable à fixer par le greffier, cette référence n’est pas – contrairement à ce que prétend l’OHMI – une énumération explicitement limitative.
43. À cet égard, l’article 7, paragraphe 1, des instructions au greffier prévoit que celui-ci veille à la conformité des pièces versées au dossier avec les dispositions «du statut, du règlement de procédure, des instructions pratiques aux parties, ainsi qu’avec les présentes instructions» et que, le cas échéant, «il fixe aux parties un délai pour leur permettre de remédier à des irrégularités formelles des pièces déposées». J’en conclus que les irrégularités formelles visées comprennent toutes celles imposées par les dispositions des quatre instruments mentionnés.
44. Certes, l’absence de la signature originale de l’avocat à la fin de la requête n’est pas une irrégularité de pure forme [comme le serait, par exemple, l’utilisation d’un format de papier autre que le format A4, exigé au point 8, sous a), des instructions pratiques], car elle relève de l’identification du document comme émanant d’une source autorisée et donc de sa substance même. Toutefois, la signature n’est que l’un des éléments qui permettent cette identification. Ceux-ci comprennent également la preuve de l’existence juridique d’une requérante qui est une personne morale, le mandat donné à l’avocat, la preuve de la régularité de ce mandat et le document de légitimation de l’avocat. L’absence d’un seul de ces éléments entraîne l’impossibilité de vérifier la provenance autorisée du document et, partant, son irrecevabilité. Puisqu’il est constant que l’absence de l’un de ces autres documents constitue une irrégularité formelle régularisable, j’en conclus qu’il en va de même pour la signature originale de l’avocat.
45. Selon le point 57, sous b), des instructions pratiques, si une requête n’est pas conforme à la règle de forme qui exige la signature originale de l’avocat à la fin de la requête, «la signification de la requête est retardée et un délai raisonnable est fixé aux fins de la régularisation».
46. Il me semble donc que les dispositions combinées de l’article 7, paragraphe 1, des instructions au greffier et du point 57, sous b), des instructions pratiques prévoient – clairement – la fixation d’un délai raisonnable pour régularisation de la requête lorsque celle-ci ne comporte pas, à sa fin, la signature originale de l’avocat.
47. L’OHMI objecte, cependant, que les instructions au greffier ne peuvent ajouter des possibilités de régularisation après l’expiration du délai de recours qui ne sont pas prévues au statut ou au règlement de procédure.
48. Cet argument suppose, premièrement, une distinction entre la régularisation après l’expiration du délai de recours (que seuls le statut et le règlement de procédure pourraient prévoir et qui serait prévue dans les cas énumérés à l’article 21, deuxième alinéa, du statut et à l’article 44, paragraphe 6, du règlement de procédure) et la régularisation avant l’expiration du délai de recours (qui pourrait être prévue dans les instructions édictées par le Tribunal).
49. Or, d’abord, je ne considère pas que l’on puisse déduire de la présence, à l’article 21, deuxième alinéa, du statut, de la précision «sans qu’aucune forclusion puisse être opposée au cas où la régularisation interviendrait après l’expiration du délai de recours» que l’absence d’une telle précision dans d’autres dispositions relatives à des cas de régularisation implique nécessairement que ces autres cas de régularisation ne peuvent pas avoir lieu après l’expiration dudit délai.
50. Ensuite, je relève que ni l’article 44, paragraphe 6, du règlement de procédure, ni l’article 7, paragraphe 1, des instructions au greffier, ni le point 57 des instructions pratiques n’indique, que ce soit explicitement ou implicitement, que la régularisation puisse, ou ne puisse pas, avoir lieu après l’expiration du délai de recours. Les trois dispositions sont rédigées en des termes très similaires, et chacune des trois prévoit la fixation par le greffier d’un délai (raisonnable) pour la régularisation d’une pièce présentant une irrégularité formelle. Si, donc, les cas mentionnés à l’article 44, paragraphe 6, du règlement de procédure peuvent être régularisés après l’expiration du délai de recours, il n’y a aucune raison de conclure qu’il n’en va pas de même pour ce qui est des cas énumérés dans les deux autres dispositions (15).
51. Il me semble, d’ailleurs, que toute possibilité de régularisation d’une requête prévue par une disposition procédurale doit nécessairement pouvoir être exercée après l’expiration du délai de recours. En effet, tant que le délai de recours n’est pas venu à expiration (16), il est toujours loisible à la partie requérante de compléter son recours, sans qu’une disposition expresse soit nécessaire pour l’y autoriser, que ce soit de sa propre initiative ou à la suite d’une communication du greffe l’informant d’une irrégularité formelle. Si aucune disposition expresse n’est nécessaire pour permettre une régularisation avant l’expiration du délai de recours, il convient de déduire de l’existence d’une telle disposition qu’elle permet une régularisation après l’expiration dudit délai – et c’est cette circonstance qui rend nécessaires l’intervention du greffe et la fixation d’un délai raisonnable à cet effet (17).
52. Mais l’OHMI fait également valoir qu’aucun cas de régularisation non prévu au règlement de procédure ne peut être introduit par les instructions pratiques.
53. Les instructions pratiques constituent, certes, une norme de rang inférieur par rapport au règlement de procédure qui fournit la base juridique de celles-ci. Les deux instruments s’appliquent néanmoins conjointement et doivent, par conséquent, être interprétés de manière concordante dans toute la mesure du possible. En l’espèce, le règlement de procédure ne contient aucune disposition dont il pourrait être déduit que seuls les cas y prévus peuvent faire l’objet d’une régularisation (ou d’une régularisation après l’expiration du délai de recours). Par conséquent, une interprétation concordante du règlement de procédure et des instructions pratiques est possible dans la mesure où les cas de régularisation prévus dans ces dernières ne sont pas limités à la période précédant l’expiration du délai de recours. En revanche, s’il y avait eu un conflit entre les deux, la disposition du règlement de procédure devrait l’emporter. Toutefois, il me semble que, même dans un cas où les instructions pratiques iraient au-delà de ce qui est autorisé par le statut ou le règlement de procédure, les parties sont en droit de s’attendre à ce que le Tribunal se considère lié par les instructions qu’il a lui-même édictées, a fortiori lorsque le Tribunal décide d’office, et sans entendre les parties, de l’irrecevabilité d’un recours.
54. Finalement, l’OHMI fait valoir que les cas de régularisation prévus aux points 55 à 59 des instructions pratiques concernent non pas la recevabilité de la requête, mais seulement sa signification à la partie défenderesse.
55. Cet argument ne peut, à mon avis, être accueilli. Il est vrai que chacun des points en cause des instructions pratiques précise si la signification doit être différée ou non. Il est, par ailleurs, vraisemblable que certains des défauts mentionnés – par exemple, l’absence de numérotation des paragraphes, qui fait l’objet du point 57, sous c) – pourraient ne pas entraîner l’irrecevabilité s’ils n’étaient pas régularisés. D’autres, en revanche – y compris l’absence de la signature originale de l’avocat ou de l’agent à la fin de la requête, qui fait l’objet du point 57, sous b), et qui est en cause en l’espèce –, auraient nécessairement pour effet de rendre la requête irrecevable s’ils n’étaient pas corrigés. Il n’est donc pas possible d’affirmer que les régularisations prévues au point 57 des instructions pratiques n’affectent que la signification de la requête et ne concernent pas sa recevabilité.
56. Par ailleurs, il me semble que l’affirmation, au point 28 de l’ordonnance attaquée, que le point 57, sous o), des instructions pratiques permet «de différer l’appréciation, par le Tribunal, des conditions de recevabilité de la requête prévues à l’article 43, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement de procédure» est sans pertinence à cet égard. En effet, chaque fois que les conditions de recevabilité d’une requête sont mises en doute, l’appréciation du Tribunal est nécessairement différée par rapport à la date pertinente pour l’appréciation, sans qu’il y ait besoin d’une disposition expresse à cet effet.
57. Par conséquent, je suis d’avis que le troisième moyen du pourvoi est fondé.
Sur le sixième moyen: la violation des principes de proportionnalité et de confiance légitime
58. La requérante fait valoir que, en déclarant le recours irrecevable alors que sept exemplaires de la requête, tous revêtus de la signature de l’avocat, avaient été reçus dans les délais par télécopieur, le Tribunal a méconnu les principes de proportionnalité et de confiance légitime. Tant les instructions au greffier (article 7) que les instructions pratiques [point 57, sous b)] prévoient que la requête peut être régularisée afin qu’une signature originale de l’avocat puisse figurer sur cette dernière.
59. L’OHMI souligne que le droit à une protection juridictionnelle effective n’est pas affecté par l’application stricte des délais de procédure et autres formes substantielles. L’irrecevabilité à cause du dépôt tardif de la requête ne serait ni contraire audit droit, ni disproportionnée. Le point 57, sous b), des instructions pratiques ne pourrait par nature fonder une confiance légitime concernant la régularisation d’une requête dépourvue de signature originale et ne pourrait en aucune manière déroger à l’exigence claire posée par l’article 43, paragraphe 6, du règlement de procédure.
La protection de la confiance légitime
60. En ce qui concerne, d’abord, le principe de protection de la confiance légitime, je rappelle que le droit de se prévaloir de ce principe s’étend à tout justiciable dans le chef duquel une institution de l’Union a fait naître des espérances fondées à cause d’assurances précises qu’elle lui aurait fournies. En revanche, nul ne peut se prévaloir d’une violation de ce principe en l’absence de telles assurances (18).
61. Peut-on conclure, en l’espèce, à l’existence d’assurances précises, fournies par le Tribunal (ou par son greffe) et de nature à fonder, dans le chef de la requérante, une espérance de voir régulariser sa requête?
62. Il est certes vrai que la requérante n’allègue pas avoir reçu d’assurance explicite à cet égard. Toutefois, d’une part, l’existence des différentes dispositions citées des instructions au greffier (notamment celles de leur article 7) et des instructions pratiques (notamment celles de leur point 57) était de nature à laisser entendre qu’une possibilité de régularisation telle que celle invoquée en l’espèce pouvait être ouverte. À cet égard, tout requérant devrait, de manière générale, pouvoir avoir confiance en l’observation par le Tribunal de règles que celui-ci a lui-même édictées. D’autre part, il ressort de l’ordonnance attaquée ainsi que de la lettre du 3 février 2010 que, le 2 février 2010, soit le lendemain de l’expiration du délai de dix jours prévu à l’article 43, paragraphe 6, du règlement de procédure, le greffe a «sollicité de [la requérante] l’envoi de l’original signé de la requête» (19). Or, considérée à la lumière desdites dispositions, une telle demande ne pouvait être interprétée que comme une assurance précise (quoique implicite) de l’existence d’une possibilité de régularisation de la requête par la réception de l’original signé. En effet, dans la mesure où le greffe ne possédait pas ledit original et où tant le délai de recours que le délai de dix jours étaient venus à expiration, sa production ne pouvait servir à autre chose qu’à la régularisation. Une partie requérante recevant une telle demande de la part du greffe et sachant que aussi bien le délai de recours que le délai de dix jours étaient venus à expiration ne pouvait conclure qu’à une possibilité de régularisation, car, si le greffe ne possédait pas l’original à ce moment-là, il n’aurait servi à rien de demander sa production ultérieure en simple confirmation.
63. Au vu de l’existence de cette assurance précise quoique implicite de la part du greffe, ainsi que des dispositions de l’article 7 des instructions au greffier et du point 57 des instructions pratiques, édictées par le Tribunal et donnant donc lieu à une présomption de leur respect par celui-ci, la requérante pouvait, à mon avis, avoir une confiance légitime selon laquelle le Tribunal n’écarterait pas d’emblée la possibilité que le dépôt de la requête ait pu être régularisé par la production de l’original en réponse à la demande du greffe, et cela même en l’absence d’une erreur excusable de la part de la requérante ou de son avocat, aucune condition relative à l’existence d’une telle erreur n’étant mentionnée dans les dispositions citées ni n’ayant été indiquée par le greffe.
64. Or, dans l’ordonnance attaquée, le Tribunal a basé sa constatation d’irrecevabilité sur les affirmations, d’une part, que seule la date de dépôt de l’original signé de la requête, à savoir le 5 février 2010, doit être prise en considération aux fins du respect du délai de recours et, d’autre part, que l’absence de dépôt, dans le délai de dix jours prévu à l’article 43, paragraphe 6, du règlement de procédure, de l’original signé de la requête ne figure pas au nombre des cas de régularisation prévus aux points 55 à 59 des instructions pratiques (20). Pour le reste, il s’est borné à examiner et à rejeter les arguments avancés par l’avocat de la requérante dans sa lettre au greffe du 12 février 2010, invoquant une erreur excusable.
65. À cet égard, l’affirmation selon laquelle l’absence de dépôt, dans le délai, de l’original signé de la requête ne figure pas au nombre des cas de régularisation prévus aux points 55 à 59 des instructions pratiques me paraît erronée, dans la mesure où ces cas incluent, au point 57, sous b), l’absence de la signature originale de l’avocat à la fin de la requête.
66. En tout état de cause, le Tribunal n’a tenu aucun compte de la possibilité de régularisation par le simple dépôt de l’original signé en réponse à la demande du greffe – possibilité en laquelle la requérante pouvait avoir une confiance légitime – mais a seulement considéré si l’irrecevabilité constatée pouvait être écartée au vu de l’existence d’une erreur excusable. Il me semble, donc, que le Tribunal a ainsi méconnu le principe de la protection de la confiance légitime dans le chef de la requérante.
Le principe de proportionnalité
67. Pour ce qui est du principe de proportionnalité, il convient de vérifier si l’application faite par le Tribunal de ses dispositions procédurales dans l’ordonnance attaquée était apte à réaliser l’objectif visé et n’allait pas au-delà de ce qui était nécessaire pour l’atteindre.
68. Ainsi que le Tribunal l’a rappelé dans son ordonnance, l’objectif visé est celui d’assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques et d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice. Ainsi, l’application stricte des délais de recours et l’exigence du dépôt d’une requête revêtue de la signature originale d’une personne dûment habilitée à cet effet permettent (notamment) aux institutions, organes ou organismes de l’Union dont un acte serait susceptible d’être contesté de vérifier si, une fois passé un certain délai, aucune contestation recevable n’a été déposée contre cet acte.
69. Toutefois, l’intérêt d’une partie défenderesse potentielle d’acquérir ainsi une certitude quant au statut – attaqué ou inattaquable – de son acte doit être mis en balance avec celui de toute personne s’estimant lésée par l’acte de pouvoir le contester dans des conditions raisonnables. L’objectif visé, en termes de clarté et de sécurité juridiques, est donc double. Il n’est pas seulement de protéger la partie défenderesse contre un recours tardif ou non authentifié, mais également d’assurer au requérant le droit à un recours effectif. Toute disposition ou tout acte qui perturberait l’équilibre essentiel entre les deux branches de l’objectif, en favorisant excessivement l’une aux dépens de l’autre, serait, à mon avis, incompatible avec le principe de proportionnalité.
70. En l’espèce, il n’est pas allégué que les délais en cause ou l’exigence de l’authentification de la requête étaient de nature à entraver la possibilité pour la requérante d’introduire un recours contre la décision entreprise. Toutefois, en constatant l’irrecevabilité formelle de la requête à la suite d’une erreur de la part de la requérante, le Tribunal a mis fin à cette possibilité. Dans la mesure où j’estime, ainsi que je l’ai exposé ci-dessus, que la constatation d’irrecevabilité n’était pas imposée par les dispositions applicables, il convient d’examiner si la décision du Tribunal ne favorisait pas excessivement la protection de l’OHMI aux dépens du droit de la requérante à un recours effectif.
71. À mon avis, le point de mesure de l’équilibre entre les intérêts en cause a, effectivement, été déplacé trop loin en faveur de l’OHMI dans l’ordonnance attaquée.
72. D’une part, la date pertinente pour décider si une requête formellement recevable a été déposée ou non varie selon un certain nombre de facteurs dont, notamment, la date à laquelle le requérant a pu prendre connaissance de l’acte attaqué, l’existence ou non d’une demande préalable d’aide judiciaire (21), la transmission ou non de la requête par un «moyen technique de communication dont dispose le Tribunal» et les possibilités de régularisation après l’expiration du délai de recours (dont au moins celle prévue à l’article 21, deuxième alinéa, du statut est incontestable). Par ailleurs, dans la pratique, une requête formellement recevable ne peut jamais être signifiée à la partie défenderesse le jour même de son enregistrement au greffe. Une partie défenderesse potentielle ne peut donc pas acquérir la certitude que son acte échappera à la contestation sans vérifier (au moins) tous ces facteurs. La date à laquelle elle pourra acquérir cette certitude peut donc être (même largement) postérieure à celle de l’expiration du délai de recours et, afin de l’acquérir, elle peut être obligée de se renseigner auprès du greffe.
73. D’autre part, la possibilité pour le greffier de fixer un délai (raisonnable) pour la régularisation d’une requête qui n’est pas conforme à certaines règles de recevabilité formelles limite sensiblement le risque pour la partie défenderesse de voir se prolonger sa période d’incertitude du simple fait d’un comportement défaillant de la part de la partie requérante.
74. Eu égard à ces considérations et au contexte factuel de l’espèce (dépôt de la requête par télécopie, dont il n’est pas contesté qu’elle reproduisait fidèlement l’original, avant l’expiration du délai de recours, dépôt de sept exemplaires de la requête, dont il n’est pas contesté que ce sont des copies fidèles de l’original, dans le délai de dix jours prévu à l’article 43, paragraphe 6, du règlement de procédure, et dépôt de l’original quatre jours plus tard en réponse immédiate à une demande provenant du greffe après l’expiration dudit délai), je suis d’avis que le Tribunal, en excluant toute possibilité de régularisation au titre des dispositions qu’il avait lui-même édictées, a méconnu le principe de proportionnalité.
75. Par conséquent, je suis d’avis que le sixième moyen du pourvoi est fondé.
Remarque intermédiaire
76. Il ressort de mon analyse des troisième et sixième moyens que j’estime que le pourvoi devrait être accueilli. L’affaire n’étant manifestement pas en état d’être jugée, il conviendrait, dès lors, de la renvoyer devant le Tribunal.
77. Si, toutefois, la Cour devait adopter une approche différente à l’égard de ces deux moyens, je ne pense pas qu’elle pourrait accueillir le pourvoi sur la base des moyens restants, pour les raisons que j’exposerai brièvement ci-après.
Sur le premier moyen: violation de l’article 111 du règlement de procédure
78. La requérante soutient que l’avocat général n’a pas été entendu, en violation de l’article 111 du règlement de procédure.
79. Il est vrai que ledit article, sur lequel l’ordonnance attaquée est basée, prévoit l’audition de l’avocat général. Toutefois, l’article 2, paragraphe 2, du règlement de procédure précise que les références à l’avocat général «ne s’appliquent qu’aux cas où un juge a été désigné comme avocat général». Or, en l’espèce, aucun juge n’a été désigné comme avocat général dans la procédure devant le Tribunal. Le moyen doit, dès lors, être rejeté comme inopérant.
Sur le deuxième moyen: la violation de l’article 43 du règlement de procédure
80. La requérante reproche au Tribunal d’avoir procédé à une interprétation erronée de l’article 43 du règlement de procédure en considérant que la requête a été déposée hors délai. Elle souligne que les circonstances de l’espèce diffèrent de celles ayant donné lieu à l’ordonnance PubliCare Marketing Communications/OHMI (22) mentionnée au point 17 de l’ordonnance attaquée. Dans cette dernière affaire, après l’envoi par télécopie d’une requête, l’original de la requête est arrivé en retard car l’envoi postal n’avait pas été suffisamment affranchi. En l’espèce, le greffe a reçu sept exemplaires de la requête signés par son avocat le 1er février, soit avant l’expiration du délai applicable. La question pertinente est celle de l’identification de la requête originale. Or, l’article 43 ne préciserait nullement les modalités de signature de la requête (couleur, type de stylo, etc.). Le test du chiffon humide serait contestable, car certaines encres ne bavent pas. Dans l’ordonnance attaquée, le Tribunal, sans mentionner la méthode qui lui a permis de distinguer l’original de la copie, aurait donc ajouté des conditions qui ne figurent pas à l’article 43 du règlement de procédure.
81. L’OHMI estime que ce moyen est manifestement non fondé. L’article 43, paragraphe 1, du règlement de procédure exigerait la signature manuscrite de l’avocat (23). Les instructions au greffier, à l’article 7, paragraphe 3, préciseraient ainsi que le greffe n’accepte que les pièces qui portent l’«original de la signature de l’avocat». La méthode par laquelle le greffier distingue un original d’une copie serait dépourvue de pertinence puisque la requérante ne conteste pas que les documents déposés le 1er février 2010 n’étaient pas des originaux. Aucune dénaturation des faits par le Tribunal ne serait donc invoquée. Le point de savoir si le document déposé au greffe le 5 février était bien un original est dépourvu de pertinence. Même s’il s’était agi d’un original, il aurait été déposé hors délai. Dans le cas contraire, le recours serait irrecevable au vu de l’article 43, paragraphe 1, du règlement de procédure.
82. Par ce moyen, la requérante semble critiquer, surtout, l’utilisation du «test du chiffon humide» par le greffe et l’entérinement de ce test par le Tribunal, ce qui aurait comme conséquence d’ajouter aux dispositions applicables des conditions, ne figurant pas dans les textes, quant à la manière d’apposer sur une pièce de procédure la signature originale de la personne habilitée à cet effet.
83. Je ne peux accepter ce raisonnement, même si certains des arguments avancés dans le cadre de ce moyen peuvent être pertinents dans le cadre d’autres moyens.
84. L’exigence d’une signature originale sur certaines pièces (originaux) mais pas sur d’autres (copies) présuppose nécessairement la possibilité de distinguer entre l’original et la copie. Contrairement à ce que semble avancer la requérante, l’ordonnance attaquée n’impose aucune exigence précise à cet effet. Si l’utilisation d’une encre qui puisse baver et/ou de couleur autre que celle d’une photocopie peut figurer parmi les moyens permettant d’assurer que la distinction puisse être faite, rien dans l’ordonnance n’en exclut la preuve par un autre moyen.
85. En tout état de cause, il n’est nullement contesté que le test appliqué par le greffe en l’espèce, aussi artisanal fût-il, a en fait permis d’identifier l’original parmi les huit exemplaires de la requête en la possession du greffe.
86. Je suis donc d’avis que le deuxième moyen du pourvoi est infondé.
Sur les quatrième et cinquième moyens: l’erreur excusable ou le cas fortuit
87. La requérante invoque, d’une part, l’erreur excusable. Le volume de copies exigées (2 651 pages au total) étant considérable, son avocat a eu recours à un prestataire de services extérieur. En cela, il aurait agi avec diligence. Le prestataire aurait oublié d’inclure dans l’envoi au Tribunal une pièce, erreur que l’avocat serait parvenu à corriger à temps. La requérante aurait agi de bonne foi. Tous les documents remis au greffe auraient été signés et déposés dans les délais. La requérante fait valoir, d’autre part, que la confusion entre l’original et les copies résulte de circonstances anormales qui lui sont étrangères, à savoir la confusion entre l’original et les copies par le prestataire de services et la remise d’une annexe incomplète par ce même prestataire. La requérante aurait mis en œuvre tous les moyens pour remédier à ces problèmes et aurait toujours agi de bonne foi, persuadée que l’original était déjà entre les mains du greffe.
88. L’OHMI considère que la notion d’erreur excusable ne vise que des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, notamment, l’institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminée, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit du justiciable. Or, la distinction entre un original et une copie revêtirait une importance considérable. La requérante aurait dû distinguer clairement l’original des copies, par exemple en faisant signer l’original avec un stylo d’encre bleue. Si elle avait agi plus rapidement, une régularisation dans le délai de recours aurait été possible. L’OHMI estime, par ailleurs, que la confusion entre l’original et les copies est imputable à la requérante.
89. Pour ce qui est de ces deux moyens, je me trouve en accord avec l’OHMI. La préparation, la surveillance et la vérification des pièces de procédure à déposer au greffe relèvent entièrement de la responsabilité du représentant de la partie concernée, sous le contrôle de celle-ci, envers qui il est responsable. Certes, des circonstances exceptionnelles et/ou fortuites peuvent se produire, donnant lieu à une confusion tout à fait excusable. Toutefois, dans le cas présent, rien dans ce qui a été constaté par le Tribunal ni dans ce qui a été allégué par la requérante ne permet de conclure à autre chose qu’un manque de diligence de la part de la requérante ou de son avocat, dans un contexte, vraisemblablement, de défaillance de planification dans le cadre d’un délai de recours strict. Il ressort clairement du règlement de procédure que l’original de la requête doit être déposé au greffe, de sorte que tout requérant est informé de la nécessité d’identifier cet original. Les moyens mis en œuvre à cette fin relèvent entièrement de la diligence du requérant. Aucune démarche particulière n’est imposée, mais une différenciation entre original et photocopie au moyen de la couleur de l’encre de la signature, ou par tout autre moyen approprié, pourrait s’avérer utile.
90. Il ne me semble donc pas possible d’accueillir les moyens relatifs à l’existence d’une erreur excusable ou d’un cas fortuit.
Remarques finales
91. Au moment où il est proposé au Conseil de l’Union européenne, par les trois degrés de juridiction de la Cour de justice de l’Union européenne, d’approuver l’intégration dans les trois règlements de procédure respectifs du système «e-curia» destiné à permettre le dépôt et la signification de pièces de procédure par voie électronique, avec authentification au moyen d’une signature électronique autorisée, les pièces ainsi déposées pouvant être réputées être des originaux, le présent pourvoi paraît relever d’un système destiné à disparaître à terme.
92. Même si la décision dans cette affaire pourrait donc n’affecter directement qu’un nombre décroissant d’affaires futures, il me paraît important que la Cour prenne position sur le cas où, à cause d’une erreur, une pièce déposée dans les délais est une copie fidèle de l’original qui aurait dû être déposé à sa place, mais qui a été déposé promptement à la suite d’une demande provenant du greffe, et où la partie requérante pouvait estimer, au vu de cette demande et des dispositions édictées par le Tribunal lui-même, qu’il lui était accordé un court délai de régularisation.
Sur les dépens
93. Selon l’article 69, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour de justice, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu du paragraphe 3 du même article, la Cour peut, pour des motifs exceptionnels, décider que chaque partie supporte ses propres dépens.
94. En l’espèce, même si j’estime que l’OHMI doit succomber en ses conclusions, il me semble que les circonstances particulières de ce pourvoi justifient de ne pas le condamner aux dépens de la partie requérante. En effet, l’OHMI n’a en aucune manière contribué à la décision du Tribunal de rejeter la requête comme manifestement irrecevable, et son intervention au stade du pourvoi n’a occasionné aucun frais pour la requérante qui, après le dépôt du mémoire en réponse de l’OHMI, n’a demandé ni à être autorisée à déposer un mémoire en réplique ni à être entendue lors d’une audience de plaidoirie.
95. Dans ces conditions, il me paraît juste d’ordonner à chaque partie de supporter ses propres dépens afférents au pourvoi.
Conclusion
96. Eu égard à toutes les considérations qui précèdent, j’estime que la Cour devrait:
– annuler l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 18 juin 2010, Bell & Ross/OHMI (T-�51/10);
– renvoyer l’affaire devant le Tribunal de l’Union européenne;
– ordonner à chaque partie de supporter ses propres dépens afférents au pourvoi.
1 – Langue originale: le français.
2 – Ordonnance du 18 juin 2010, Bell & Ross/OHMI [T-51/10 (ci-après l’«ordonnance attaquée»)].
3 – Selon lequel les délais de procédure sont augmentés d’un délai de distance forfaitaire de dix jours.
4 – Ces paragraphes prévoient, respectivement, le dépôt d’un document certifiant que l’avocat est habilité à exercer (paragraphe 3), des pièces indiquées à l’article 21, deuxième alinéa, du statut (paragraphe 4) et, si la requérante est une personne morale de droit privé, d’une preuve de son existence juridique, ainsi que de la régularité du mandat donné à l’avocat (paragraphe 5).
5 – Décision de la troisième chambre de recours du 27 octobre 2009 dans l’affaire R 1267/2008-3, Bell & Ross BV contre Klockgrossisten i Norden AB (ci-après la «décision entreprise»).
6 – Il semble qu’aucun des sept exemplaires n’était certifié conforme sur le document même, l’avocat ayant estimé, malgré le point 9 des instructions pratiques, que la mention de leur conformité dans la lettre d’accompagnement était suffisante. Le fait que les copies en question n’étaient pas certifiées conformes dans ce sens est relevé dans l’ordonnance attaquée, mais ne sert pas de base à la constatation d’irrecevabilité. En tout état de cause, il semblerait s’agir d’un défaut qui aurait pu être régularisé en vertu du point 57, sous o), des instructions pratiques.
7 – Arrêt du 23 janvier 1997, Coen (C-�246/95, Rec. p. I-�403, point 21), et arrêt du Tribunal du 18 septembre 1997, Mutual Aid Administration Services/Commission (T-�121/96 et T-�151/96, Rec. p. II-�1355, points 38 et 39).
8 – Point 12 de l’ordonnance attaquée.
9 – Point 17 de l’ordonnance attaquée.
10 – Arrêt du Tribunal du 29 mai 1991, Bayer/Commission (T-�12/90, Rec. p. II-�219, point 29), et ordonnance du Tribunal du 11 décembre 2006, MMT/Commission (T-�392/05, point 36 et jurisprudence citée).
11 – Points 19 à 27 de l’ordonnance attaquée.
12 – Point 28 de l’ordonnance attaquée.
13 – Je relève que, si l’ordonnance attaquée avait été prise sur la base de l’article 113, et non de l’article 111, du règlement de procédure, il aurait été nécessaire d’entendre les parties. En effet, ledit article 113 prévoit que «[l]e Tribunal peut à tout moment, d’office, les parties entendues, statuer sur les fins de non-recevoir d’ordre public [...]» (c’est moi qui souligne). Or, l’irrecevabilité manifeste pour cause de dépôt tardif de la requête étant une fin de non-recevoir d’ordre public, il n’est pas facile de distinguer les domaines d’application respectifs des articles 111 et 113 du règlement de procédure ni, par conséquent, d’identifier l’étendue de l’obligation imposée au Tribunal, avant de prendre une ordonnance dans des conditions telles que celles de l’espèce, d’entendre les parties, ne serait-ce que par écrit [voir, notamment, arrêt du 2 mai 2006, Regione Siciliana/Commission (C-�417/04 P, Rec. p. I-�3881, point 37)].
14 – Voir, notamment, arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission (C-�514/07 P, C-�528/07 P et C-�532/07 P, non encore publié au Recueil, point 126 et jurisprudence citée).
15 – S’il fallait déduire, a contrario, du libellé de l’article 21, deuxième alinéa, du statut («sans qu’aucune forclusion puisse être opposée au cas où la régularisation interviendrait après l’expiration du délai de recours») que toute régularisation dans un cas pour lequel cette précision manquerait devait avoir lieu avant l’expiration du délai de recours – et je ne vois aucune raison d’opérer une telle déduction – l’argument de l’OHMI serait incohérent, car la précision manque également à l’article 44, paragraphe 6, du règlement de procédure.
16 – Et tant que la requête n’a pas été signifiée à la partie adverse; mais, en conformité avec les instructions au greffier, une requête présentant une irrégularité formelle ne devrait pas être signifiée.
17 – Il est évident que le greffier, en décidant du délai à fixer dans chaque cas, doit tenir compte non seulement de ce qui est raisonnable pour la partie requérante, mais également de ce qui est raisonnable du point de vue de la partie défenderesse (ainsi que, dans des affaires de marques telles que la présente, de l’autre partie dans la procédure devant l’OHMI), dont la situation juridique doit pouvoir être établie de manière claire et certaine, compte tenu des délais de recours et de notification.
18 – Voir, en dernier lieu, arrêt du 7 avril 2011, Grèce/Commission (C-�321/09 P, point 45 et jurisprudence citée).
19 – Point 4 de l’ordonnance attaquée. La date de la demande n’est pas précisée dans ladite ordonnance, mais elle ressort de la lettre du 3 février 2010 (voir point 20 ci-avant), dont l’exactitude à cet égard ne semble pas contestée. Mais, même en supposant que le greffe ait demandé l’envoi de l’original le jour même de la réception des sept exemplaires, soit le 1er février 2010, date d’expiration du délai de dix jours pour l’envoi de l’original, il n’est pas évident que le greffe ait estimé vraisemblable de recevoir, à Luxembourg, avant l’expiration dudit délai à minuit, le document encore en possession de l’avocat à Paris.
20 – Points 17 et 28, respectivement, de l’ordonnance attaquée.
21 – L’article 96, paragraphe 4, du règlement de procédure prévoit que «[l]’introduction d’une demande d’aide judiciaire suspend le délai prévu pour l’introduction du recours jusqu’à la date de la notification de l’ordonnance statuant sur cette demande ou [...] de l’ordonnance désignant l’avocat chargé de représenter le demandeur».
22 – Ordonnance du Tribunal du 28 avril 2008 (T-358/07).
23 – Ordonnance du Tribunal du 24 février 2000, FTA e.a./Conseil (T-�37/98, Rec. p. II-�373).