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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Commission v Hungary (Judgment of the Court) (French text) [2014] EUECJ C-115/13 (10 April 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2014/C11513.html Cite as: EU:C:2014:253, [2014] EUECJ C-115/13, ECLI:EU:C:2014:253 |
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ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
10 avril 2014 (*)
«Manquement d’État – Droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcoolisées – Directive 92/83/CEE – Fixation des taux d’accise – Production à façon d’alcool éthylique dans une distillerie soumise à un taux d’accise égal à 0 – Exonération d’accise pour la production d’alcool éthylique par des personnes privées»
Dans l’affaire C‑115/13,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 11 mars 2013,
Commission européenne, représentée par Mme C. Barslev et M. A. Sipos, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Hongrie, représentée par M. M. Z. Fehér ainsi que par Mmes K. Szíjjártó et K. Molnár, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. A. Borg Barthet, président de chambre, Mme M. Berger et M. S. Rodin (rapporteur), juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant et en appliquant une réglementation prévoyant que, dans les conditions qu’elle définit, la production à façon d’alcool éthylique dans une distillerie est soumise à un taux d’accise égal à 0 et que la production d’alcool éthylique par des personnes privées est exonérée d’accise, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 19 à 21 de la directive 92/83/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques (JO L 316, p. 21), telle que modifiée par l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 29, ci-après la «directive 92/83»), lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 7, de cette directive ainsi qu’avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur l’alcool et les boissons alcoolisées (JO L 316, p. 29).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
2 Le deuxième considérant de la directive 92/83 prévoit:
«considérant que la directive 92/84/CEE fixe des taux d’accises minimaux applicables dans les États membres à l’alcool et aux boissons alcooliques».
3 Les seizième et dix-septième considérants de cette directive sont libellés comme suit:
«considérant qu’il convient d’autoriser des États membres à appliquer des taux d’accises réduits ou des exonérations pour certains produits régionaux ou traditionnels;
considérant que, dans les cas où les États membres sont autorisés à appliquer des taux réduits, ces taux ne doivent pas conduire à des distorsions de concurrence dans le cadre du marché intérieur».
4 L’article 19 de ladite directive se lit comme suit:
«1. Les États membres appliquent une accise à l’alcool éthylique conformément à la présente directive.
2. Les États membres fixent leurs taux conformément à la directive 92/84/CEE.»
5 L’article 21 de la directive 92/83, qui traite de la «[d]étermination du montant de l’accise», dispose:
«L’accise sur l’alcool éthylique est fixée par hectolitre d’alcool sur à 20 °C et est calculée par référence au nombre d’hectolitres d’alcool pur. Sous réserve de l’article 22, les États membres appliquent le même taux d’accise à tous les produits soumis à l’accise sur l’alcool éthylique.»
6 Aux termes de l’article 22, paragraphe 7, de cette directive:
«La Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie peuvent appliquer un taux d’accises réduit d’au moins 50 % du taux national normal de l’accise sur l’alcool éthylique, sur l’alcool éthylique produit par des distilleries de fruiticulteurs produisant chaque année plus de 10 hectolitres d’alcool éthylique à partir de fruits qui leur sont fournis par des ménages de fruiticulteurs. L’application du taux réduit est limitée à 50 litres d’alcool de fruits par an et par ménage de fruiticulteurs, destinés exclusivement à leur consommation personnelle. La Commission réexaminera ce régime en 2015 et soumettra un rapport au Conseil sur les modifications éventuelles.»
7 L’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84 prévoit:
«À partir du 1er janvier 1993, le taux minimal de l’accise sur l’alcool et sur l’alcool contenu dans les boissons autres que celles visées aux articles 4, 5 et 6 est fixé à 550 écus par hectolitre d’alcool pur.
Toutefois, les États membres qui appliquent à l’alcool et aux boissons alcoolisées un taux d’accise ne dépassant pas 1 000 écus par hectolitre d’alcool pur ne peuvent réduire leur taux national. En outre, les États membres qui appliquent auxdits produits un taux d’accise supérieur à 1 000 écus par hectolitre d’alcool pur ne peuvent réduire leur taux national en dessous de 1 000 écus.»
Le droit hongrois
8 La loi n° CXXVII de 2003, relative aux accises et aux règles spécifiques de commercialisation des produits soumis à accises, telle que modifiée par la loi n° XC de 2010 (ci-après la «loi sur les accises»), contient un article 9, intitulé «Produits exonérés d’accises», qui dispose, à son paragraphe 3:
«Est exonéré de l’accise un volume annuel maximal de 50 litres d’eau-de-vie [article 63, paragraphe 2, point 1] issue de la distillation privée par un distillateur, à condition de servir à la consommation personnelle de son ménage.»
9 L’article 63 de la loi sur les accises définit les notions suivantes:
«[...]
(2) Aux fins de la présente loi, on entend par
1. distillation à façon, la production dans une distillerie pour un client de produits alcooliques relevant des sous-positions tarifaires 2208 20 19, 2208 20 99, 2208 90 33, 2208 90 39, 2208 90 51 et 2208 90 71;
2. client de la distillation, toute personne physique de plus de 18 ans pratiquant la fruiticulture, qui fait produire de l’eau-de-vie à façon à partir de fruits (ou de matière première dérivée de fruits) qui sont sa propriété;
[…]
11. distillation privée, la production d’une quantité maximale de 2 hectolitres d’alcool pur par an par un distillateur privé, dans une installation de distillation d’une capacité volumétrique maximale de 100 litres destinée à la production d’eau-de-vie et pouvant être utilisée sur le lieu de résidence ou dans le verger du distillateur;
12. distillateur privé, toute personne physique de plus de 18 ans qui produit de l’eau-de-vie dans une installation de distillation lui appartenant à partir de fruits ou de matière première dérivée de fruits qui sont sa propriété.»
10 L’article 64 de la loi sur les accises, qui fixe la base d’imposition et les taux de l’accise, énonce:
«(1) La base d’imposition est la quantité de produit alcoolique ayant une teneur en alcool éthylique de 100 % vol (ci-après: ‘alcool pur’), mesure à 20 °C et exprimée en hectolitres, ou, en cas d’eau-de-vie provenant d’une distillation privée, la quantité d’alcool pur, exprimée en hectolitres et calculée à l’aide d’un ratio de rendement défini à l’annexe 3 à partir de la quantité de matière première exprimée en masse (ou en volume dans le cas de vin de raisin), déclarée à l’autorité douanière.
(2) Le taux de l’accise, calculé sur la base d’imposition définie au paragraphe 1, est – moyennant la dérogation prévue au paragraphe 3 – de 333 385 [forints hongrois (HUF)] dans le cas des produits énumérés à l’annexe II du règlement (CE) n° 110/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2008, concernant la définition, la désignation, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses et abrogeant le règlement (CEE) n° 1576/89 du Conseil […], et dans le cas des boissons alcoolisées dont la teneur en alcool provient exclusivement des produits visés aux points 6 et 9 de l’annexe II du règlement [n° 110/2008] et qui utilisent pour arômes du miel ou les arômes visés à l’article 3, paragraphe 2, points c) et d), du règlement (CE) n° 1334/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif aux arômes et à certains ingrédients alimentaires possédant des propriétés aromatisantes qui sont destinés à être utilisés dans et sur les denrées alimentaires et modifiant le règlement (CEE) n° 1601/91 du Conseil, les règlements (CE) n° 2232/96 et (CE) n° 110/2008 et la directive 2000/13/CE, ainsi que dans le cas des produits alcooliques qui ne font pas partie des boissons alcoolisées, le taux de l’accise est de 476 270 HUF.
(3) Pour un client, l’accise sur l’eau-de-vie produite à façon dans une distillerie à partir de matière première lui appartenant, calculée sur la base d’imposition définie au paragraphe 1, s’élève, par an,
à 0 HUF jusqu’à un volume maximum de 50 litres,
à 333 385 HUF sur la quantité excédant 50 litres.
[…]
(5) Par dérogation aux dispositions du paragraphe 3, l’accise, calculée sur la base d’imposition définie au paragraphe 1, frappant l’eau-de-vie à façon destinée à la vente est de 333 385 HUF, sauf lorsque l’acheteur est l’entrepositaire agréé pour les produits alcooliques.
(6) L’accise frappant l’eau-de-vie produite par un distillateur privé au-delà d’un volume annuel de 50 litres dans le cadre d’une distillation privée, de même que les 50 premiers litres d’eau-de-vie produits par un distillateur privé quand ils ne relèvent pas des dispositions de l’article 9, paragraphe 3, est de 333 385 HUF, calculée sur la base d’imposition définie au paragraphe 1.
(7) Dans une même année, une personne physique peut uniquement soit faire produire de l’eau-de-vie en tant que client, soit en produire elle-même en tant que distillateur privé, et il n’est pas possible, au sein d’un même ménage, de produire et de faire produire de l’eau-de-vie à la fois en tant que distillateur privé et que client.»
[...]»
11 L’article 67 de la loi sur les accises prévoit:
«(1) La quantité d’eau-de-vie visée à l’article 64, paragraphe 3, point a), peut seulement servir à la consommation personnelle du ménage du client de la distillation, sauf si elle est vendue conformément au paragraphe 2.
(2) Le client de la distillation peut vendre l’eau-de-vie produite à façon
a) uniquement à l’entrepositaire agréé pour les produits alcooliques, ou
b) conditionnée en bouteilles cachetées – si le client fait partie des petits producteurs au sens de l’arrêté ministériel relatif aux conditions de culture, de production et de vente de produits alimentaires par les petits producteurs, et qu’il a acquitté la taxe conformément à l’article 64, paragraphe 5,
[...]»
12 L’article 67/A de cette loi, portant sur les règles relatives à la distillation privée, dispose:
«(1) Dans le cas visé à l’article 64, le distillateur privé notifie à l’autorité douanière, cinq jours avant la date d’exigibilité de l’accise, les informations nécessaires à l’établissement de l’accise qui sont prescrites dans la réglementation distincte, ainsi que le montant de l’accise et les données prescrites dans la réglementation distincte, nécessaires à l’émission des cachets à apposer sur l’eau-de-vie destinée à la vente. Cette notification vaut déclaration d’impôt.
(2) Dans la notification visée au paragraphe 1, le distillateur privé déclare que ni lui-même ni un autre membre du même ménage ne font produire d’eau-de-vie à façon.
(3) Sur la base de la notification visée au paragraphe 1, l’autorité douanière délivre un certificat d’origine pour la quantité déclarée (notifiée) dans les huit jours à compter du jour suivant la réception de la notification et le met à disposition du distillateur privé à condition qu’il ait acquitté l’accise.
(4) En cas de distillation privée sont applicables, mutatis mutandis, les dispositions
a) de l’article 66, paragraphes 4 et 5, et de l’article 67, paragraphe 1, ainsi que
b) de l’article 67, paragraphe 2, point b), pour la vente de l’eau-de-vie.
[...]»
La procédure précontentieuse
13 Le 28 septembre 2010, la Commission a envoyé une lettre aux autorités hongroises en vue d’obtenir des informations concernant un certain nombre de dispositions de la loi sur les accises, ainsi que leur compatibilité avec le droit de l’Union.
14 En réponse, par lettre du 28 janvier 2011, la Hongrie a justifié les dispositions litigieuses, les considérants compatibles avec les objectifs de la directive 92/83.
15 Le 29 septembre 2011, la Commission a adressé à la Hongrie une lettre de mise en demeure, en vertu de l’article 258 TFUE, par laquelle elle mettait en cause la compatibilité de certains articles de la loi sur les accises avec le droit de l’Union. Selon elle, la loi sur les accises ne soumettant pas, dans certaines conditions, à l’accise l’alcool éthylique produit par les distillateurs à façon et exonérant d’accise la production d’alcool éthylique par les personnes privées, elle méconnaîtrait les articles 19 à 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 7, de celle-ci, ainsi qu’avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84.
16 Dans sa réponse du 30 novembre 2011, la Hongrie, réitérant les arguments qu’elle avait déjà exposés, a insisté sur le caractère traditionnel de la production de la «pàlinka», ainsi que des différents types d’eau-de-vie couverts par ce terme. Selon cet État membre, le seizième considérant de la directive 92/83 autorise les États membres à réduire les taux d’accise ou à exonérer d’accise certains produits, pour autant que cela n’entraîne pas de distorsion de la concurrence au sein du marché intérieur. En outre, la Hongrie a soutenu qu’il ressort du procès-verbal des discussions sur la structure des droits d’accise sur l’alcool et les boissons alcoolisées, tenues lors de la réunion du Conseil «Ecofin» du 27 juillet 1992 (ci-après le «procès-verbal de l’Ecofin»), que les États membres qui, traditionnellement, exonèrent l’alcool produit en petites quantités par des personnes privées, pouvaient maintenir cette exonération.
17 Le 22 juin 2012, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle maintenait les arguments exprimés dans sa lettre de mise en demeure, et invitait la Hongrie à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce dernier.
18 Par lettre du 21 août 2012, la Hongrie a maintenu sa position et contesté l’infraction au droit de l’Union.
19 N’étant pas satisfaite de la réponse de cet État membre, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
Argumentation des parties
20 À titre liminaire, la Commission soutient que l’eau-de-vie, telle que définie à l’article 63, paragraphe 2, de la loi sur les accises, relève de la notion d’«alcool éthylique» employée à l’article 20 de la directive 92/83.
20 La Commission souligne que les directives 92/83 et 92/84 ne contiennent aucune disposition permettant aux États membres d’introduire des taux réduits d’accise ni d’exonérer d’accise l’eau-de-vie. Selon cette institution, ces directives harmonisant ce domaine, si les États membres étaient en droit d’établir de manière discrétionnaire des taux réduits et des exonérations de droits d’accise des boissons alcoolisées, cela viderait de son sens le régime juridique de l’Union en la matière.
21 La Commission fait valoir que les considérants de la directive 92/83 ne peuvent pas être invoqués aux fins de l’introduction d’avantages qui n’étaient pas prévus par les dispositions de cette directive. Il en irait de même du procès-verbal de l’Ecofin. Selon la Commission, la substance de ce procès-verbal n’est pas reprise dans les dispositions de la directive 92/83 et celui-ci n’a, dès lors, pas de portée juridique.
22 La Commission estime que la loi sur les accises n’est pas compatible avec les articles 19 à 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 7, de ladite directive, ainsi qu’avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84 en ce que cette loi, dans certaines conditions, ne soumet pas à l’accise l’alcool éthylique produit par les distillateurs à façon et exonère d’accise l’alcool produit par les personnes privées.
23 En ce qui concerne la distillation privée, la Commission soutient que l’article 9, paragraphe 3, l’article 63, paragraphe 2, points 11 et 12, ainsi que l’article 64, paragraphe 7, de la loi sur les accises exonèrent d’accise la production d’eau-de-vie jusqu’à un maximum de 50 litres par an.
24 Cette institution fait valoir que, si le droit hongrois soumet l’exonération à diverses conditions, il n’est toutefois pas nécessaire que le distillateur privé doive pratiquer la fruiticulture. Or, l’article 22, paragraphe 7, de la directive 92/83, permet à certains États membres, dont la Hongrie, d’appliquer, à l’alcool éthylique produit par des distilleries de fruiticulteurs, un taux d’accise réduit d’au moins 50 % du taux national normal de l’accise sur l’alcool éthylique.
25 En ce qui concerne la distillation à façon, la Commission souligne que, en vertu de l’article 64, paragraphe 3, de la loi sur les accises, lu en combinaison avec le paragraphe 2 dudit article, les fruiticulteurs qui font produire de l’eau-de-vie à façon sont exonérés du payement de l’accise pour un volume maximal de 50 litres d’alcool par année. Or, les articles 19 à 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84, prévoiraient les mêmes taux réduits de l’accise pour l’eau-de-vie produite par les distillateurs privés et par les distillateurs à façon.
26 La Commission estime que le «droit de produire librement l’eau-de-vie de fruits» n’est pas un droit fondamental protégé dans le système juridique de l’Union. En tout état de cause, même s’il existait des États membres dans lesquels la production domestique d’eau-de-vie était exonérée d’accise, la Commission souligne que l’inexécution des obligations qui incombent à un État membre, en vertu du droit de l’Union, ne saurait être justifiée par la circonstance que d’autres États membres manqueraient également à leurs obligations. L’exécution du droit de l’Union n’est pas soumise à une condition de réciprocité.
27 La Hongrie fait valoir que toute réglementation nationale qui satisfait aux exigences des seizième et dix-septième considérants de la directive 92/83 est conforme au droit de l’Union. En invoquant, en outre, le fait que la directive 92/83 est fondée sur l’article 113 TFUE, elle avance que celle-ci ne vise pas à une harmonisation complète des structures des droits d’accise sur l’alcool et les boissons alcoolisées, mais a été adoptée dans la mesure nécessaire à la réalisation du fonctionnement du marché intérieur.
28 Selon la Hongrie, les seizième et dix-septième considérants de la directive 92/83, prévoyant que les États membres peuvent appliquer des taux d’accises réduits ou des exonérations pour certains produits régionaux ou traditionnels, à la condition que ceux-ci ne conduisent pas à des distorsions de concurrence dans le cadre du marché intérieur, visent à assurer une flexibilité dans l’application de cette directive.
29 Les exonérations prévues dans ladite directive n’étant pas énumérées de façon exhaustive, il conviendrait d’interpréter la directive 92/83 à la lumière des conclusions du procès-verbal de l’Ecofin prévoyant qu’il convient d’exonérer les petites quantités d’eau-de-vie d’accise.
30 Ensuite, la Hongrie fait valoir que les petites quantités d’eau-de-vie exonérées d’accise ne sont pas commercialisées et ne peuvent servir que pour la consommation personnelle des ménages. Il s’ensuit qu’une telle exonération n’a pas d’incidences sur le marché. Il en irait de même pour la distillation privée et pour la distillation à façon. Elle souligne qu’une interprétation selon laquelle l’harmonisation s’étendrait aux situations sans incidences sur le marché intérieur ne serait pas compatible avec la portée de l’habilitation que confère le fondement juridique de la directive, notamment, l’article 113 TFUE qui vise à une harmonisation dans la mesure nécessaire à la réalisation du fonctionnement du marché intérieur.
31 La Hongrie estime que les distillateurs privés ou les distillateurs à façon ne pourraient mettre illégalement dans le commerce le produit fabriqué en appliquant un taux d’accise réduit, les produits destinés à la consommation privée n’ayant pas la même apparence commerciale que les produits destinés à la vente.
32 La Hongrie souligne enfin que la production d’eau-de-vie de fruits est une tradition séculaire et la production de «pàlinka» fait partie intégrante du patrimoine culturel hongrois. La préservation de la tradition de distillation constituerait un objectif fondamental du gouvernement. Elle ajoute que des États membres autres que la Hongrie ont prévu des exonérations dans leurs réglementations nationales, démontrant le caractère général du seizième considérant.
Appréciation de la Cour
33 À titre liminaire, il convient de rappeler que les dispositions des directives doivent être interprétées à la lumière des objectifs de celles-ci, tels qu’ils sont exprimés dans leurs considérants (voir en ce sens, notamment, arrêts Syndicat national des fabricants raffineurs d’huile de graissage e.a., 172/82, EU:C:1983:69, point 10; Lindqvist, C‑101/01, EU:C:2003:596, point 64, ainsi que HK Danmark, C-476/11, EU:C:2013:590, point 23).
34 La directive 92/83 prévoit des exonérations ou des réductions du taux d’accise spécifiques en ce qui concerne certaines catégories de boissons ou certains États membres. Compte tenu des objectifs de celle-ci et du libellé des seizième et dix-septième considérants de cette directive, le législateur de l’Union n’a pas eu l’intention de permettre aux États membres, de manière discrétionnaire, d’instaurer des régimes dérogatoires à ceux prévus par la directive 92/83.
35 Concernant l’argumentation de la Hongrie selon laquelle il ressort du procès-verbal de l’Ecofin que la directive 92/83 doit être interprétée en ce sens qu’elle permet d’exonérer de l’accise de petites quantités d’alcool éthylique, il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que des déclarations formulées au stade des travaux préparatoires, aboutissant à l’adoption d’une directive, ne sauraient être retenues pour leur interprétation, lorsque leur contenu ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et qu’elles n’ont, dès lors, aucune portée juridique (voir, notamment, arrêts Epson Europe, C‑375/98, EU:C:2001:370, point 26; Farrell, C‑356/05, EU:C:2007:229, point 31, et du 22 octobre 2009, Swiss Re Germany Holding, C‑242/08, EU:C:2009:647, point 62).
36 Il s’ensuit que les seizième et dix-septième considérants de la directive 92/83 ne sauraient justifier une interprétation de cette directive qui dérogerait au texte de celle-ci.
37 S’agissant des effets des exonérations de petites quantités d’alcool éthylique sur le marché intérieur, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’une question est réglementée de manière harmonisée au niveau de l’Union, toute mesure nationale y relative doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation (voir, notamment, arrêts DaimlerChrysler, C‑324/99, EU:C:2001:682, point 32; Roby Profumi, C‑257/06, EU:C:2008:35, point 14, ainsi que HSBC Holdings et Vidacos Nominees, C‑569/07, EU:C:2009:594, point 26). En second lieu, il convient de souligner que les directives 92/83 et 92/84 fixent les taux minimaux d’accise sur l’alcool éthylique sans conditionner l’imposition de celle-ci à l’effet que la production et la consommation privée dudit alcool pourraient avoir sur le marché.
38 Tout d’abord, il convient de rappeler que les articles 19 à 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 3 de la directive 92/84, règlent les taux minimaux d’accise sur l’alcool éthylique. Toutefois, une exception a été prévue à l’article 22, paragraphe 7, de la directive 92/83 pour la Hongrie, la République slovaque et la Roumanie.
39 Il découle de cette disposition que la Hongrie peut appliquer, à l’alcool éthylique produit par des distilleries de fruiticulteurs produisant chaque année plus de 10 hectolitres d’alcool éthylique à partir de fruits qui leur sont fournis par des ménages de fruiticulteurs, un taux d’accise réduit d’au moins 50 % du taux national normal de l’accise sur l’alcool éthylique. L’application du taux réduit est limitée à 50 litres d’alcool de fruits par an et par ménage de fruiticulteurs, destinés exclusivement à leur consommation personnelle.
40 Or, il ressort du libellé des articles 9, 63 et 64 de la loi sur les accises, ce qui n’est pas contesté par la Hongrie, que les distillateurs à façon sont soumis à un taux d’accise égal à 0 dans la limite de 50 litres d’eau-de-vie par année et les distillateurs privés qui, en vertu de l’article 63, paragraphe 2, point 12, de ladite loi, ne doivent pas nécessairement pratiquer la fruiticulture sont exonérés de payement de l’accise sur l’alcool éthylique produit dans la limite de 50 litres d’eau de vie par année.
41 Dans ces conditions, force est de constater que ces dispositions nationales dépassent les limites fixées par l’exception prévue pour la Hongrie dans la directive 92/83, dans la mesure où cette exception prévoit, premièrement, qu’elle ne s’applique qu’aux distilleries de fruiticulteurs produisant chaque année plus de 10 hectolitres d’alcool éthylique et, deuxièmement, que le taux minimal d’accise doit être fixé à au moins 50 % du taux national normal d’accise sur l’alcool éthylique.
42 Il convient cependant d’apprécier l’argument du gouvernement hongrois selon lequel la production d’eau-de-vie représente une tradition séculaire et que la préservation d’une telle tradition est considérée comme étant l’objectif fondamental du gouvernement hongrois, ainsi que l’argument selon lequel la même pratique d’exonération d’accise de petits quantités d’eau-de-vie existe dans d’autres États membres.
43 Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une tradition nationale, en soi, ne peut exonérer un État membre de ses obligations découlant du droit de l’Union (voir, notamment, arrêts Commission/Italie, 193/80, EU:C:1981:298, points 25 et 26, ainsi que Commission/Allemagne, 178/84, EU:C:1987:126, points 16 et 54).
44 Il convient ensuite d’ajouter qu’il découle également de la jurisprudence de la Cour que les retards et les inexécutions des autres États membres ne sauraient être invoqués par un État membre pour justifier l’inexécution, même temporaire, des obligations qui lui incombent (voir arrêts Commission/Italie, 52/75, EU:C:1976:29 , point 11; Portugal/Commission, C-163/99, EU:C:2001:189, point 22, et Commission/Finlande, C-118/07, EU:C:2009:715 , point 48).
45 Enfin, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier l’opportunité de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de la Commission pour intenter un recours en manquement (voir, notamment, arrêts Commission/Grèce, C‑200/88, EU:C:1990:422 , point 9; Commission/Luxembourg, C-266/03, EU:C:2005:341, point 35, et Commission/Espagne, C-48/10, EU:C:2010:704, point 32).
46 Il s’ensuit que la législation hongroise exonérant d’accise l’eau-de-vie produite par les distillateurs privés et soumettant à une accise égale à 0 l’eau-de-vie produite par les distillateurs à façon dans la limite d’un volume maximal de 50 litres par année n’est pas conforme aux obligations découlant des articles 19 à 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 7, de ladite directive, ainsi qu’avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84.
47 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le présent recours est fondé.
48 Par conséquent, il convient de constater que, en adoptant et en appliquant une réglementation prévoyant que, dans les conditions qu’elle définit, la production à façon d’alcool éthylique dans une distillerie est soumise à un taux d’accise égal à 0 et que la production d’alcool éthylique par des personnes privées est exonérée d’accise, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 19 à 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 7, de celle-ci ainsi qu’avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84.
Sur les dépens
49 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la Hongrie et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête:
1) En adoptant et en appliquant une réglementation prévoyant que, dans les conditions qu’elle définit, la production à façon d’alcool éthylique dans une distillerie est soumise à un taux d’accise égal à 0 et que la production d’alcool éthylique par des personnes privées est exonérée d’accise, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 19 à 21 de la directive 92/83/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques, telle que modifiée par l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne, lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 7, de celle-ci ainsi qu’avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur l’alcool et les boissons alcoolisées.
2) La Hongrie est condamnée aux dépens.
Signatures
* Langue de procédure: le hongrois.
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