BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
||
You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Kolassa (Advocate General's Opinion) (French Text) [2014] EUECJ C-375/13_O (3 September 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2014/C37513_O.html Cite as: [2014] EUECJ C-375/13_O |
[New search] [Help]
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MACIEJ SZPUNAR
présentées le 3 septembre 2014 (1)
Affaire C-375/13
Harald Kolassa
contre
Barclays Bank plc
[demande de décision préjudicielle formée par le Handelsgericht Wien (Autriche)]
«Espace de liberté, de sécurité et de justice – Compétence judiciaire en matière civile et commerciale – Contrats conclus par les consommateurs – Consommateur, domicilié dans un État membre, ayant acheté sur le marché secondaire, auprès d’un intermédiaire établi dans un autre État membre, des titres émis par une banque établie dans un troisième État membre – Compétence pour les recours dirigés contre la banque émettrice desdits titres»
I – Introduction
1. Une banque siégeant au Royaume-Uni et ayant émis des certificats sur le marché primaire en Allemagne peut-elle être attraite en responsabilité contractuelle et/ou délictuelle devant la juridiction autrichienne du lieu du domicile d’un investisseur lésé, qui a acquis de tels certificats sur le marché secondaire? Cette problématique est à la base du présent renvoi préjudiciel. M. Kolassa et Barclays Bank plc (ci-après «Barclays Bank») sont les parties au litige au principal.
2. Le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne, Autriche) a saisi la Cour de quatre questions préjudicielles portant sur l’interprétation des articles 5, points 1, sous a), et 3, ainsi que 15, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2).
3. Dans les présentes conclusions, je citerai à maintes reprises la jurisprudence de la Cour concernant la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (3) (ci-après la «convention de Bruxelles»), étant donné que, dans la mesure où le règlement n° 44/2001 remplace la convention de Bruxelles, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de cette convention vaut également pour celles dudit règlement, lorsque les dispositions de ces instruments peuvent être qualifiées d’équivalentes (4).
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
4. Le considérant 11 du règlement n° 44/2001 énonce:
«Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.»
5. Le chapitre II de ce règlement (articles 2 à 31) traite des règles de compétence. La section 1 dudit chapitre II (articles 2 à 4) est intitulée «Dispositions générales». L’article 2, paragraphe 1, dudit règlement prévoit que, «[s]ous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre».
6. La section 2 du chapitre II (articles 5 à 7) dudit règlement est intitulée «Compétences spéciales». En vertu de l’article 5 de celui-ci:
«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:
1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;
b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:
– pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
– pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;
c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas;
[…]
3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire;
[…]»
7. L’article 15 du règlement n° 44/2001, qui se trouve dans la section 4 du chapitre II (articles 15 à 17) de celui-ci, dispose à son paragraphe 1:
«En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, point 5:
a) lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels;
b) lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets;
c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.»
8. L’article 16, paragraphe 1, de ce même règlement prévoit que «[l]’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié».
9. L’article 24 dudit règlement, qui fait partie de la section 7 du chapitre II de celui-ci, prévoit:
«Outre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions du présent règlement, le juge d’un État membre devant lequel le défendeur comparaît est compétent. Cette règle n’est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l’article 22.»
10. La section 8 du chapitre II du règlement n° 44/2001, intitulée «Vérification de la compétence et de la recevabilité», est composée des articles 25 et 26, qui sont libellés ainsi:
«Article 25
Le juge d’un État membre, saisi à titre principal d’un litige pour lequel une juridiction d’un autre État membre est exclusivement compétente en vertu de l’article 22, se déclare d’office incompétent.
Article 26
1. Lorsque le défendeur domicilié sur le territoire d’un État membre est attrait devant une juridiction d’un autre État membre et ne comparaît pas, le juge se déclare d’office incompétent si sa compétence n’est pas fondée aux termes du présent règlement.
2. Le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi que ce défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent en temps utile pour se défendre ou que toute diligence a été faite à cette fin.
[…]»
B – Le droit autrichien
11. L’article 11 de la loi relative au marché des capitaux (Kapitalmarktgesetz), dans sa version applicable aux faits en cause au principal, prévoit notamment les conditions de responsabilité de l’émetteur d’un prospectus en ce qui concerne le préjudice subi par un investisseur qui s’est fié aux informations contenues dans ce prospectus.
12. L’article 26 de la loi relative aux fonds d’investissement (Investmentfondsgesetz), dans sa version applicable aux faits en cause au principal, dispose notamment que, avant la conclusion du contrat, l’acquéreur de parts de fonds communs de placement étrangers doit recevoir gratuitement les dispositions relatives aux fonds et/ou le statut de la société d’investissement, un prospectus de la société d’investissement étrangère ainsi qu’une copie de la demande de conclusion du contrat et que le prospectus doit comporter toutes les informations qui, au moment de la demande, revêtent une importance particulière pour l’évaluation des parts de fonds communs de placement étrangers.
III – Les faits à l’origine du litige au principal et les questions préjudicielles
13. Barclays Bank, banque établie à Londres (Royaume-Uni) et possédant également une succursale à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), a émis des certificats et les a vendus à des investisseurs institutionnels, entre autres à DAB Bank AG, établie à Munich (Allemagne). Aucune vente à des particuliers n’a eu lieu.
14. Les certificats ont été émis sur le fondement d’un prospectus de base du 22 septembre 2005 et des conditions générales du 20 décembre 2005 (annexes comprises). À la demande de Barclays Bank, ce prospectus de base a également été notifié en Autriche. Les certificats ont été émis en 2006. Le remboursement vient à échéance en 2016.
15. Une société établie à Francfort-sur-le-Main était chargée du traitement de l’acquisition en tant que chambre de compensation. C’est également auprès de cette société que le certificat global est conservé.
16. DAB Bank AG a transféré les certificats à sa filiale en Autriche, direktanlage.at AG, qui les a revendus à des particuliers, dont M. Kolassa, domicilié en Autriche, qui a investi un certain montant dans ces certificats.
17. À chaque fois, les commandes ont été passées et exécutées au nom des sociétés concernées. Conformément à ses conditions générales, direktanlage.at AG a exécuté la commande de M. Kolassa en «dépôt», c’est-à-dire qu’elle a, en tant que fonds de couverture, conservé les certificats à Munich en son nom propre et pour le compte de son client. M. Kolassa pouvait uniquement réclamer la livraison des certificats à hauteur de la part détenue dans le fonds de couverture, étant entendu que les certificats ne pouvaient pas être transférés à son nom.
18. En effet, le certificat représente l’emprunt d’une entreprise sous forme d’obligation au porteur. Le montant à rembourser et, partant, la valeur du certificat se déterminent sur la base d’un indice formé à partir d’un portefeuille de plusieurs fonds cibles, si bien que la valeur du certificat est directement indexée sur ce portefeuille. Le portefeuille devait être créé et géré par une société à responsabilité limitée établie en Allemagne.
19. Le gestionnaire de cette société a usé de son influence au sein de ladite société pour injecter de nouveaux capitaux dans son large système de fraude pyramidale. Il a été condamné en Allemagne, en 2011, à une peine d’emprisonnement de dix ans et huit mois pour escroquerie, faux en écriture et fraude fiscale.
20. Actuellement, la valeur des certificats est estimée à zéro euro.
21. M. Kolassa a alors introduit une action devant le Handelsgericht Wien contre Barclays Bank dans laquelle il fait valoir des droits à la fois de nature contractuelle (droits fondés sur le contrat d’emprunt, l’acquisition de l’emprunt et la violation des obligations précontractuelles de protection et d’information) et délictuelle (droits fondés sur les irrégularités ayant entaché le prospectus et le contrôle, en violation notamment de la loi relative au marché des capitaux et de la loi relative aux fonds d’investissement). M. Kolassa soutient que la juridiction saisie est compétente, à titre primaire, en vertu de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001 ou, à titre subsidiaire, en vertu de l’article 5, points 1, sous a), et 3, dudit règlement.
22. Barclays Bank conteste les griefs de M. Kolassa ainsi que la compétence de la juridiction saisie.
23. Compte tenu des arguments des parties et du nombre important de procédures parallèles en cours, le Handelsgericht Wien a considéré qu’il était nécessaire et opportun de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) a) En ce qui concerne l’article 15, paragraphe 1, du règlement [n° 44/2001] convient-il d’interpréter l’expression ‘en matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle’ figurant à l’article 15, paragraphe 1, du règlement [n° 44/2001] en ce sens que
i) un demandeur qui, en tant que consommateur, a acquis une obligation au porteur sur le marché secondaire et qui fait désormais valoir des droits à l’encontre de l’émetteur de l’obligation sur le fondement des conditions d’emprunt, de la violation des obligations d’information et de contrôle et de la responsabilité engagée par l’émetteur au titre du prospectus peut se prévaloir de la compétence prévue par cette disposition, lorsque, par l’effet de l’achat du titre auprès d’un tiers, il s’est subrogé au souscripteur initial de l’emprunt dans le cadre du contrat conclu avec l’émetteur;
ii) [en cas de réponse affirmative à la première question, sous a), i),] le demandeur peut également se prévaloir de la compétence prévue à l’article 15 du règlement [n° 44/2001] lorsque le tiers auprès duquel il a acquis l’obligation l’a lui-même acquise pour un usage pouvant être considéré comme relevant de son activité professionnelle, c’est-à-dire lorsque le demandeur a acquis l’obligation auprès d’une personne qui n’est pas un consommateur, et
iii) [en cas de réponse affirmative à la première question, sous a), i) et ii),] le demandeur peut également se prévaloir de la compétence prévue à l’article 15 du règlement [n° 44/2001] lorsque le porteur de l’obligation n’est pas le demandeur lui-même, mais le tiers chargé de procurer le titre au demandeur, étant entendu que, conformément aux modalités convenues, ce tiers, qui n’est pas lui-même un consommateur, conserve le titre en son nom et pour le compte du demandeur, ce dernier pouvant uniquement en réclamer la livraison en vertu du droit des obligations?
b) [En cas de réponse affirmative à la première question, sous a), i)] La juridiction appelée à statuer en matière contractuelle sur des droits tirés de l’acquisition d’un emprunt est-elle aussi accessoirement compétente, en vertu de l’article 15, paragraphe 1, du règlement [n° 44/2001], pour statuer en matière délictuelle?
2) a) En ce qui concerne l’article 5, point 1, sous a), du règlement [n° 44/2001] convient-il d’interpréter l’expression ‘en matière contractuelle’ figurant à l’article 5, point 1, sous a), du règlement [n° 44/2001] en ce sens que
i) un demandeur qui, en tant que consommateur, a acquis une obligation au porteur sur le marché secondaire et qui fait désormais valoir des droits à l’encontre de l’émetteur de l’obligation sur le fondement des conditions d’emprunt, de la violation des obligations d’information et de contrôle et de la responsabilité engagée par l’émetteur au titre du prospectus peut se prévaloir de la compétence prévue par cette disposition, lorsque, par l’effet de l’achat du titre auprès d’un tiers, il s’est subrogé au souscripteur initial de l’emprunt dans le cadre du contrat conclu avec l’émetteur, et
ii) [en cas de réponse affirmative à la deuxième question, sous a), i)] le demandeur peut également se prévaloir de la compétence prévue à l’article 5, point 1, sous a), du règlement [n° 44/2001] lorsque le porteur de l’obligation est non pas le demandeur lui-même, mais le tiers chargé de procurer le titre au demandeur, étant entendu que, conformément aux modalités convenues, ce tiers conserve le titre en son nom et pour le compte du demandeur, ce dernier pouvant uniquement en réclamer la livraison en vertu du droit des obligations?
b) [En cas de réponse affirmative à la deuxième question, sous a), i)] La juridiction appelée à statuer en matière contractuelle sur des droits tirés de l’acquisition d’un emprunt est-elle aussi accessoirement compétente, en vertu de l’article 5, point 1, sous a), du règlement [n° 44/2001], pour statuer en matière délictuelle?
3) a) En ce qui concerne l’article 5, point 3, du règlement [n° 44/2001], dans le cadre de l’émission d’une obligation au porteur, les droits fondés sur la responsabilité engagée par l’émetteur au titre du prospectus ainsi que sur la violation des obligations de protection et d’information peuvent-ils être considérés comme des droits de nature délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l’article 5, point 3, du règlement [n° 44/2001]?
[En cas de réponse affirmative à la troisième question, sous a), premier alinéa] En va-t-il également ainsi lorsqu’une personne qui n’est pas elle-même le porteur de l’obligation, mais qui dispose uniquement d’un droit à restitution envers la personne qui conserve le titre pour son compte fait valoir de tels droits à l’encontre de l’émetteur?
b) Convient-il d’interpréter l’expression ‘lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire’ figurant à l’article 5, point 3, du règlement [n° 44/2001] en ce sens que, dans le cas où un titre a été acquis sur la base d’informations intentionnellement erronées,
i) le lieu du fait dommageable est réputé se situer au domicile de la victime en tant que centre de son patrimoine?
ii) [En cas de réponse affirmative à la troisième question, sous b), i)] En va-t-il également ainsi lorsque l’ordre d’achat et le virement de la valeur peuvent être révoqués jusqu’à la réalisation de la transaction et que ladite transaction a été réalisée dans un autre État membre un certain temps après le débit du compte de la victime?
4) En ce qui concerne la vérification de la compétence et les éléments de fait doublement pertinents, dans le cadre de la vérification de la compétence au titre des articles 25 et 26 du règlement [n° 44/2001], la juridiction saisie doit-elle procéder à une administration détaillée de la preuve en ce qui concerne les éléments de fait litigieux qui sont à la fois pertinents pour la question de la compétence et pour l’existence du droit invoqué (‘éléments de fait doublement pertinents’) ou bien peut-elle considérer, aux fins de la décision sur la compétence, que les allégations de la partie demanderesse sont correctes?»
IV – Analyse
24. La juridiction de renvoi relève qu’elle n’est pas parvenue à constater l’existence d’un rapport contractuel «direct» entre les parties. Elle a besoin de connaître l’interprétation de la Cour pour déterminer dans quelle catégorie autonome du règlement n° 44/2001 (matière contractuelle ou délictuelle) il convient de classer les droits invoqués par M. Kolassa.
A – Sur la première question
25. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour si, dans une affaire comme celle au principal, les conditions de l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 sont remplies, ce qui aurait comme conséquence que M. Kolassa pourrait, en vertu de l’article 16, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, intenter une action en Autriche contre Barclays Bank.
26. Trois conditions doivent être remplies pour déterminer la compétence sur la base de l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement. Premièrement, il doit s’agir d’un consommateur, c’est-à-dire d’une personne non engagée dans une activité commerciale ou professionnelle (5), deuxièmement, le droit d’action doit se rattacher à un contrat de consommation conclu entre le consommateur et une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles, enfin, troisièmement, un tel contrat doit relever de l’une des catégories visées au paragraphe 1, sous a) à c), dudit article 15.
27. La juridiction de renvoi ne spécifie pas laquelle des trois options de l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 pourrait être applicable [sous a), b) ou c)]. À mon avis, il ne peut s’agir que de l’option visée audit point c), en vertu de laquelle la personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles doit les exercer dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur est domicilié ou, par tout moyen, les diriger vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et le contrat doit entrer dans le cadre de ces activités. L’application des règles de compétence résultant de l’article 15, paragraphe 1, sous a) (vente à tempérament d’objets mobiliers corporels) et b) (prêt à tempérament ou autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets), du règlement n° 44/2001 doit être écartée pour la simple raison que les certificats ne constituent pas des objets mobiliers corporels, au sens dudit article 15, paragraphe 1, sous a) ou b).
28. Les première et troisième conditions semblent remplies dans le cas d’espèce. M. Kolassa a agi en tant que consommateur, car la transaction en cause ne relève pas de ses activités commerciales ou professionnelles. De plus, le prospectus relatif au certificat en question a été publié en Autriche et Barclays Bank a alors dirigé son activité vers cet État membre, au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001.
29. Y a-t-il cependant un «contrat conclu par un […] consommateur»? Tel est l’élément clé de la première question.
30. Selon le gouvernement néerlandais, il peut être déduit des faits décrits par la juridiction de renvoi que M. Kolassa et Barclays Bank ont effectivement contracté des obligations l’un envers l’autre. Plus précisément, l’argumentation du gouvernement néerlandais est structurée comme suit, à savoir Barclays Bank aurait l’obligation, en tenant compte des modalités de calcul décrites dans le prospectus, de rembourser l’emprunt obligataire à M. Kolassa. Ce dernier aurait l’obligation de verser le prix de l’obligation. Certes, M. Kolassa ne se verrait pas délivrer le certificat par le trustee et n’obtiendrait qu’un droit à la livraison de l’effet au porteur, cependant ce certificat ne représenterait pas moins un droit au versement par Barclays Bank d’un montant déterminé au consommateur. Barclays Bank aurait donc une dette vis-à-vis de celui qui a acheté l’obligation, même si le certificat, conformément aux conditions générales du trustee, reste en dépôt auprès de celui-ci. Cela signifierait que M. Kolassa devrait en tout état de cause être considéré comme le détenteur de l’obligation au sens économique du terme.
31. Pour sa part, M. Kolassa ajoute que, étant donné que l’article 15 du règlement n° 44/2001 vise à protéger le consommateur, il convient de donner une interprétation large à cet article.
32. Je ne suis pas convaincu par cette ligne d’argumentation.
33. Il est de jurisprudence constante que les notions employées par le règlement n° 44/2001, et notamment celles figurant à son article 15, paragraphe 1, doivent être interprétées de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs dudit règlement, en vue d’assurer l’application uniforme de celui-ci dans tous les États membres (6). Or, la notion de «contrat conclu par un […] consommateur» est indépendante des qualifications du droit national.
34. Selon la jurisprudence de la Cour, en vertu du libellé même tant de la partie introductive du paragraphe 1 de l’article 15 du règlement n° 44/2001 que du même paragraphe, sous c), de cet article, celui-ci exige qu’un «contrat» ait été «conclu» par le consommateur avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles (7). Cette constatation est, en outre, corroborée par l’intitulé de la section 4 du chapitre II de ce règlement, dans laquelle s’insère cet article 15, qui vise la «compétence en matière de contrats conclus [(8)] par les consommateurs» (9).
35. Je suis d’avis qu’il n’y a pas eu de conclusion d’un contrat au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 et que, partant, cet article ne s’applique pas à un cas tel que celui de l’espèce.
36. Certes, M. Kolassa, en tant que consommateur autrichien, avait l’intention de participer à l’opération d’investissement mise en œuvre par Barclays Bank en tant que société émettrice anglaise, qui avait fait l’objet d’une publicité en Autriche au moyen d’un prospectus spécifique. Il allègue que la banque avec laquelle il a contracté, direktanlage.at AG, n’assumait aucun risque économique.
37. Néanmoins, un tel constat ne saurait fonder la conclusion selon laquelle il existait un contrat entre M. Kolassa et Barclays Bank.
38. Le seul contrat conclu par M. Kolassa était un contrat conclu avec direktanlage.at AG. Je n’ignore pas que, en vertu du droit national applicable, Barclays Bank a certaines obligations envers M. Kolassa (10). Néanmoins, ces obligations ne résultent pas de la conclusion d’un contrat entre M. Kolassa et direktanlage.at AG.
39. Je ne vois pas non plus de raison d’adopter une interprétation plus large ou «économique» de l’article 15 du règlement n° 44/2001, qui irait à l’encontre du libellé de cette disposition au motif qu’il serait nécessaire de protéger le consommateur en tant qu’acteur plus faible.
40. L’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 constitue une dérogation tant à la règle générale de compétence édictée à l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, qui attribue la compétence aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié, qu’à la règle de compétence spéciale en matière de contrats, énoncée à l’article 5, point 1, de ce même règlement, selon laquelle le tribunal compétent est celui du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée (11).
41. À cet égard, il est vrai que, même si l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001 vise à protéger les consommateurs, cela n’implique pas que cette protection soit absolue (12). Cette disposition est clairement rédigée et met en balance les intérêts du consommateur et ceux de la personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles. Dès lors qu’elle constitue une exception à la règle générale, cette disposition doit faire l’objet d’une interprétation stricte (13).
42. L’objet principal du règlement n° 44/2001 est d’assurer la sécurité juridique en matière de détermination de la compétence juridictionnelle dans le marché intérieur. Le considérant 11 dudit règlement énonce ainsi que les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité.
43. Admettre la compétence du for du consommateur dans une situation comme celle du cas d’espèce irait à l’encontre d’une telle prévisibilité.
44. Je propose à la Cour de ne pas sacrifier le libellé clair de l’article 15 du règlement n° 44/2001 ainsi que la raison d’être de celui-ci dans l’économie dudit règlement afin d’adopter une approche «économique» en vue de protéger un consommateur. Il incomberait au législateur de l’Union d’agir en ce sens s’il devait constater un besoin d’agir (14).
45. Par conséquent, je propose à la Cour de répondre à la première question que l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il exige la conclusion d’un contrat entre les parties d’un litige. Lorsqu’un consommateur a acquis un certificat représentant l’emprunt d’une entreprise sous forme d’obligation au porteur non pas auprès de l’émetteur de ce certificat, mais auprès d’un tiers qui l’a lui-même obtenu de l’émetteur, il n’a pas été conclu de contrat entre le consommateur et l’émetteur du certificat.
B – Sur la deuxième question
46. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi pose, en substance, les mêmes questions que celles examinées jusqu’à présent, mais cette fois en se référant à la règle de l’article 5, point 1, sous a), du règlement n° 44/2001, selon laquelle, «en matière contractuelle», une personne peut être assignée devant le juge du lieu où l’obligation a été ou doit être exécutée.
47. Dans sa question, la juridiction de renvoi semble partir de l’idée que la personne lésée s’est subrogée au souscripteur initial de l’emprunt dans le cadre du contrat conclu avec l’émetteur. Si la juridiction de renvoi devait constater que M. Kolassa s’est subrogé audit souscripteur dans la mesure où il aurait acquis tous les droits et les obligations de direktanlage.at AG et serait, de ce fait, devenu partie contractante au contrat conclu avec Barclays Bank, il s’agirait à mon avis de «matière contractuelle», au sens de l’article 5, point 1, sous a), du règlement n° 44/2001. Les développements qui suivent présupposent que tel n’est pas le cas, étant donné que la juridiction de renvoi constate elle-même, dans ses propres considérations sous-tendant le renvoi, que M. Kolassa n’est pas lié contractuellement à Barclays Bank selon les règles générales du droit civil autrichien.
48. Tant la Cour que la doctrine (15) interprètent de manière différente les notions de contrat dans le cadre respectivement des articles 15 et 5, point 1, du règlement n° 44/2001.
49. Pour ce qui est dudit article 5, point 1, la Cour interprète de manière autonome et large la notion de «matière contractuelle» (16). En particulier, cet article n’exige pas, selon la Cour, la conclusion d’un contrat (17). L’identification d’une obligation contractuelle est néanmoins indispensable à l’application de ladite disposition, étant donné que la compétence juridictionnelle en vertu de cette disposition est établie en fonction du lieu où l’obligation contractuelle qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée.
50. En effet, selon une jurisprudence constante depuis l’arrêt Handte (18), les termes «matière contractuelle», au sens de l’article 5, point 1, du règlement n° 44/2001 (19), ne sauraient être compris comme visant une situation dans laquelle il n’existe aucun engagement librement assumé d’une partie envers une autre. Dans cette affaire, il s’agissait d’une chaîne de contrats internationaux de marchandises dans laquelle les obligations contractuelles des parties variaient d’un contrat à l’autre, de telle sorte que les droits contractuels que le sous-acquéreur pouvait faire valoir à l’encontre de son vendeur immédiat n’étaient pas nécessairement les mêmes que ceux que le fabricant avait assumés dans ses relations avec le premier acheteur (20).
51. Dans le cas d’espèce, les transactions entre les différentes parties sont plus difficiles à catégoriser. Cependant, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Handte (EU:C:1992:268), nous sommes en présence d’une chaîne de contrats et il ne saurait être considéré qu’il existe, entre M. Kolassa et Barclays Bank, un «engagement librement assumé d’une partie envers une autre».
52. Il résulte de cette jurisprudence que, entre M. Kolassa et Barclays Bank, il n’y a pas de lien contractuel, au sens de l’article 5, point 1, sous a), du règlement n° 44/2001.
53. Je tiens à répéter que, comme la juridiction de renvoi l’a souligné, en vertu du droit national applicable, Barclays Bank a certaines obligations envers M. Kolassa. Ces obligations ne sont néanmoins pas de nature contractuelle au sens de la disposition précitée.
54. Par conséquent, je propose à la Cour de répondre à la deuxième question que l’article 5, point 1, sous a), du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il exige une relation contractuelle au sens d’un engagement librement assumé d’une partie envers une autre. Une telle relation n’existe pas dans une situation dans laquelle un particulier a acquis un certificat représentant l’emprunt d’une entreprise sous forme d’obligation au porteur non pas auprès de l’émetteur de ce certificat, mais auprès d’un tiers qui l’a lui-même obtenu de l’émetteur.
C – Sur la troisième question
55. La troisième question a pour objet la règle de compétence spéciale énoncée à l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001. La juridiction de renvoi souhaite déterminer si une action fondée sur le caractère prétendument incomplet ou peu clair du prospectus d’information sur l’opération ainsi que sur le manque présumé de contrôle de la gestion des fonds sur lesquels les certificats étaient indexés peut être qualifiée d’action en matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 5, point 3, dudit règlement.
56. La raison principale de la règle de compétence spéciale énoncée à l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 est, selon une jurisprudence constante de la Cour, fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit, qui justifie une attribution de compétence à cette dernière pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès (21). En effet, le juge du lieu où le fait dommageable s’est produit est normalement le plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d’administration des preuves (22).
57. En premier lieu, la juridiction de renvoi demande si, dans le cadre de l’émission d’une obligation au porteur, les droits fondés sur la responsabilité engagée par l’émetteur au titre du prospectus ainsi que sur la violation des obligations de protection et d’information peuvent être considérés comme des «droits de nature délictuelle ou quasi délictuelle», au sens de l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001.
58. La réponse à cette sous-question est clairement affirmative. Tout d’abord, cette notion – autonome – comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité du défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle, au sens de l’article 5, point 1, du règlement n° 44/2001 (23). Or, l’article 5, point 3, de ce règlement n’exclut pas en soi certaines matières. La doctrine le confirme, en soulignant que cet article est, en principe, applicable aux dommages subis par des investisseurs (24) et, en particulier, à la responsabilité engagée au titre du prospectus (25).
59. Pour ce qui est de la détermination du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, la juridiction de renvoi demande si le lieu du fait dommageable est réputé se situer au domicile de la victime en tant que centre de son patrimoine, à savoir en Autriche.
60. Il est de jurisprudence constante que, dans le cas où le lieu où se situe le fait susceptible d’engager une responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle et le lieu où ce fait a entraîné un dommage ne sont pas identiques, l’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit» peut englober deux endroits différents, à savoir le lieu où le dommage est survenu (26) et celui de l’événement causal (27) qui est à l’origine de ce dommage (28).
61. En outre, dans l’arrêt Kronhofer (EU:C:2004:364), la Cour a dit pour droit que l’article 5, point 3, de la convention de Bruxelles devait être interprété en ce sens que l’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit» ne vise pas le lieu du domicile du demandeur où serait localisé le «centre de son patrimoine», au seul motif qu’il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d’éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État contractant (29). En ce qui concerne cette compétence spéciale dudit article 5, point 3, la Cour a suivi l’avocat général Léger, qui avait relevé, dans ses conclusions dans cette affaire, que rien ne justifiait de conférer une attribution de compétence aux juridictions d’un État contractant autre que celui sur le territoire duquel sont localisés le fait générateur et la matérialisation du dommage, c’est-à-dire l’ensemble des éléments constitutifs de la responsabilité (30). Une telle attribution de compétence ne répondrait à aucun besoin objectif du point de vue de la preuve ou de l’organisation du procès (31).
62. Il se pose dès lors la question de savoir quels sont, dans la présente affaire, les éléments constitutifs d’une éventuelle responsabilité.
63. Même si les faits énoncés dans la décision de renvoi ne fournissent pas des indications suffisamment concrètes pour éliminer tout doute en ce qui concerne la détermination du lieu où le dommage est intervenu, il apparaît tout de même clairement que les faits de la présente affaire ne sont pas comparables à ceux de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Kronhofer (EU:C:2004:364). À titre de rappel, dans cette dernière affaire, le requérant au principal, M. Kronhofer, domicilié en Autriche, avait conclu par téléphone avec des particuliers domiciliés en Allemagne un contrat portant sur des options d’achat sur des actions et avait, de ce fait, transféré le montant dû sur un compte de placement en Allemagne.
64. En revanche, dans la présente affaire, Barclays Bank a publié un prospectus en Autriche. Cela constitue un indicateur d’un fait dommageable susceptible de fonder une compétence juridictionnelle en vertu de l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001.
65. Je suis d’avis que, lorsqu’un prospectus est publié dans un ou plusieurs États membres, il peut s’agir dans chaque cas d’un fait dommageable susceptible de fonder une compétence juridictionnelle en vertu de l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001.
66. Dans ce contexte, je serais enclin, comme le suggère la Commission dans ses observations, à recourir à l’arrêt Shevill e.a. (32), dans lequel la Cour a interprété les termes «lieu où le fait dommageable s’est produit» en ce sens que, en cas de diffamation au moyen d’un article de presse diffusé dans plusieurs États contractants, la victime pouvait également intenter contre l’éditeur une action en réparation devant les juridictions de chaque État dans lequel la publication avait été diffusée et où la victime prétendait avoir subi une atteinte à sa réputation, cette action étant limitée au dommage subi dans le pays dont la juridiction est saisie. Cette idée est confirmée par l’arrêt eDate Advertising e.a. (33).
67. Je propose dès lors à la Cour de répondre à la troisième question que l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité du défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l’article 5, point 1, du règlement n° 44/2001. Cette première disposition englobe la responsabilité légale engagée au titre du prospectus. Le «lieu où le fait dommageable s’est produit», au sens de l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001, doit être interprété en ce sens qu’il englobe le lieu du domicile du détenteur de certificats, si la publication du prospectus dans l’État membre du domicile du détenteur est à l’origine du préjudice financier.
D – Sur la quatrième question
68. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande en substance si, dans le cadre de la vérification de la compétence, elle doit procéder à une administration détaillée de la preuve ou bien considérer que les allégations de la seule partie demanderesse au principal sont correctes.
69. À titre liminaire, il convient de rappeler que la compétence de la juridiction est déterminée par les règles autonomes du règlement n° 44/2001, tandis que le fond de l’affaire est tranché selon le droit national applicable, déterminé par les règles de conflits de lois relatives aux obligations contractuelles (34) ou non contractuelles (35).
70. La juridiction de renvoi n’explique pas la raison pour laquelle elle se réfère aux articles 25 et 26 du règlement n° 44/2001. À mon avis, ces articles n’ont pas de rapport avec la question posée. Selon son libellé, ledit article 25 se réfère uniquement aux compétences exclusives de l’article 22 du règlement n° 44/2001.
71. La question de l’étendue de la vérification se pose pour toutes les règles de compétence du règlement n° 44/2001.
72. Il me semble que la jurisprudence existante nous livre déjà plusieurs pistes pour pouvoir répondre à cette question, pistes qui sont également déjà indiquées dans la décision de renvoi.
73. Le règlement n° 44/2001 ne précise pas l’étendue des obligations de contrôle qui incombent à une juridiction nationale lors de la vérification de sa compétence. Il résulte d’une jurisprudence constante que la convention de Bruxelles avait pour objet non pas d’unifier les règles de procédure des États contractants, mais de répartir les compétences judiciaires pour la solution des litiges en matière civile et commerciale dans les relations entre les États contractants et de faciliter l’exécution des décisions judiciaires (36). Il résulte également d’une jurisprudence constante que, s’agissant des règles de procédure, il convient de se reporter aux règles nationales applicables par la juridiction saisie, sous réserve que l’application de ces règles ne porte pas atteinte à l’effet utile de la convention de Bruxelles (37).
74. C’est ainsi que la Cour a jugé qu’un requérant bénéficiait du for du lieu d’exécution du contrat selon l’article 5, paragraphe 1, de la convention de Bruxelles, même si la formation du contrat qui était à l’origine du recours était litigieuse entre les parties (38). Elle a aussi précisé qu’il était conforme à l’esprit de sécurité juridique que le juge national saisi puisse aisément se prononcer sur sa propre compétence sur la base des règles de ladite convention, sans être contraint de procéder à un examen de l’affaire au fond (39).
75. Plus récemment, la Cour a considéré que, au stade de la vérification de la compétence internationale, la juridiction saisie n’apprécie ni la recevabilité ni le bien-fondé de la demande en constatation négative selon les règles du droit national, mais identifie uniquement les points de rattachement avec l’État du for justifiant sa compétence en vertu de l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 (40). Elle a également considéré que, pour l’application de l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001, la juridiction saisie peut considérer comme établies, aux seules fins de vérifier sa compétence en vertu de cette disposition, les allégations du demandeur quant aux conditions de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle (41).
76. Cela étant, pour fonder sa compétence, la juridiction appelée à trancher un litige ne peut pas, comme la juridiction de renvoi semble le proposer, se baser exclusivement sur les éléments avancés par la partie demanderesse. Afin de garantir l’effet utile du règlement n° 44/2001, elle doit se baser sur tous les éléments dont elle dispose.
77. Dans ce contexte, je considère que l’article 24 du règlement n° 44/2001 serait vidé de sa valeur normative si la partie défenderesse n’avait pas la possibilité de présenter ses arguments quant à la compétence de la juridiction saisie. En fait, cette disposition prévoit expressément la possibilité pour la partie défenderesse de présenter son argumentation quant à la compétence.
78. Cela dit, la juridiction saisie ne doit pas retarder l’examen de la compétence par une administration de la preuve. Elle doit procéder à une évaluation prima facie de sa compétence.
79. Il me semble donc que des règles procédurales nationales telles que celles décrites par la juridiction de renvoi, qui prévoient que la juridiction saisie doit uniquement s’assurer du bien-fondé apparent des allégations de la partie demanderesse, sans que, le cas échéant, les éléments présentés par la partie défenderesse soient prises en considération, sont contraires à l’effet utile du règlement n° 44/2001.
80. Je propose dès lors à la Cour de répondre à la quatrième question que, afin de déterminer sa compétence en vertu des dispositions du règlement n° 44/2001, la juridiction saisie d’un litige doit, dans le cadre d’un contrôle prima facie, apprécier tous les éléments dont elle dispose, y compris, le cas échéant, les éléments avancés par la partie défenderesse.
V – Conclusion
81. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Handelsgericht Wien comme suit:
1) L’article 15, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’il exige la conclusion d’un contrat entre les parties d’un litige. Lorsqu’un consommateur a acquis un certificat représentant l’emprunt d’une entreprise sous forme d’obligation au porteur non pas auprès de l’émetteur de ce certificat, mais auprès d’un tiers qui l’a lui-même obtenu de l’émetteur, il n’a pas été conclu de contrat entre le consommateur et l’émetteur du certificat.
2) L’article 5, point 1, sous a), du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il exige une relation contractuelle au sens d’un engagement librement assumé d’une partie envers une autre. Une telle relation n’existe pas dans une situation dans laquelle un particulier a acquis un certificat représentant l’emprunt d’une entreprise sous forme d’obligation au porteur non pas auprès de l’émetteur de ce certificat, mais auprès d’un tiers qui l’a lui-même obtenu de l’émetteur.
3) L’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité du défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l’article 5, point 1, du règlement n° 44/2001. Cette première disposition englobe la responsabilité légale engagée au titre du prospectus. Le «lieu où le fait dommageable s’est produit», au sens de l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001, doit être interprété en ce sens qu’il englobe le lieu du domicile du détenteur de certificats, si la publication du prospectus dans l’État membre du domicile du détenteur est à l’origine du préjudice financier.
4) Afin de déterminer sa compétence en vertu des dispositions du règlement n° 44/2001, la juridiction saisie d’un litige doit, dans le cadre d’un contrôle prima facie, apprécier tous les éléments dont elle dispose, y compris, le cas échéant, les éléments avancés par la partie défenderesse.
1 – Langue originale: le français.
2 – JO 2001, L 12, p. 1.
3 – JO 1972, L 299, p. 32. Convention telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et – texte modifié – p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l’adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du royaume d’Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) et par la convention du 29 novembre 1996 relative à l’adhésion de la république d’Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1).
4 – Arrêt TNT Express Nederland (C-533/08, EU:C:2010:243, point 36 et jurisprudence citée).
5 – Voir, notamment, arrêt Česká spořitelna (C-419/11, EU:C:2013:165, point 32 et jurisprudence citée).
6 – Voir, en ce sens, arrêts Engler (C-27/02, EU:C:2005:33, point 33); Pammer et Hotel Alpenhof (C-585/08 et C-144/09, EU:C:2010:740, point 55); Mühlleitner (C-190/11, EU:C:2012:542, point 28), ainsi que Česká spořitelna (EU:C:2013:165, point 25).
7 – Arrêt Ilsinger (C-180/06, EU:C:2009:303, point 53).
8 – C’est moi qui souligne.
9 – Arrêt Ilsinger (EU:C:2009:303, point 53).
10 – Le représentant de Barclays Bank a affirmé lors de l’audience que le certificat en question relève du droit civil allemand. Il s’agirait d’un titre au porteur, selon les règles des articles 793 et suivants du code civil allemand. Certains droits découleraient de ce titre pour M. Kolassa, tel le droit à remboursement à l’arrivée à maturité. Ces droits seraient déterminés par la loi et ne résulteraient pas d’une relation contractuelle.
11 – Arrêts Pammer et Hotel Alpenhof (EU:C:2010:740, point 53) ainsi que Mühlleitner (EU:C:2012:542, point 26).
12 – Arrêts Pammer et Hotel Alpenhof (EU:C:2010:740, point 70) ainsi que Mühlleitner (EU:C:2012:542, point 33).
13 – Voir arrêt Mühlleitner (EU:C:2012:542, point 27).
14 – Pour des tentatives de renforcement de la protection de l’investisseur (consommateur), voir von Hein, J., «Verstärkung des Kapitalanlegerschutzes: Das Europäische Zivilprozessrecht auf dem Prüfstand», Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht, 2011, p. 369 à 373, et, en particulier, p. 372.
15 – Voir, par exemple, Kropholler, et J., von Hein, J., Europäisches Zivilprozessrecht, 9e éd., Verlag Recht und Wirtschaft, Francfort-sur-le-Main, 2011, article 5, EuGVO, point 6; Geimer, R., Europäisches Zivilverfahrensrecht, 3e éd., Verlag C. H. Beck, Munich, 2010, article 5, EuGVVO, point 24, et Bach, I., «Was ist wo Vertrag und was wo nicht?», Internationales Handelsrecht, 2010, p. 17 à 25, et, en particulier, p. 23.
16 – Arrêt Engler (EU:C:2005:33, points 33 et 48). Dans cet arrêt, la Cour se réfère aux conclusions de l’avocat général Jacobs, selon lesquelles une telle approche semble refléter l’intention implicite des termes utilisés dans les différentes versions linguistiques de cette disposition, termes qui sont nettement plus larges que ceux de l’article 15 du règlement n° 44/2001. Voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Engler (C-27/02, EU:C:2004:414, point 38).
17 – Arrêts Tacconi (C-334/00, EU:C:2002:499, point 22) et Česká spořitelna (EU:C:2013:165, point 46).
18 – C-26/91, EU:C:1992:268, point 15. Voir, également, arrêt OTP Bank (C-519/12, EU:C:2013:674, point 23 et jurisprudence citée).
19 – Je tiens à préciser que dans l’arrêt Handte (EU:C:1992:268), la Cour a interprété l’article 5, point 1, de la convention de Bruxelles.
20 – Arrêt Handte (EU:C:1992:268, point 17).
21 – Voir arrêt Zuid-Chemie (C-189/08, EU:C:2009:475, point 24 et jurisprudence citée).
22 – Ibidem (point 24 et jurisprudence citée).
23 – Voir arrêts Kalfelis (189/87, EU:C:1988:459, points 17 et 18) ainsi que Engler (EU:C:2005:33, point 29).
24 – Arrêt Kronhofer (C-168/02, EU:C:2004:364).
25 – Voir, notamment, Bachmann, G., «Die internationale Zuständigkeit für Klagen wegen fehlerhafter Kapitalmarktinformation», Praxis des Internationalen Privat- und Verfahrensrechts, vol. 27, 2007, p. 77 à 86, et, en particulier, p. 81; Kropholler, J., et von Hein, J., op. cit., point 74.
26 – Dénommé «Erfolgsort» selon la doctrine allemande et «miejsce wystąpienia szkody» selon la doctrine polonaise.
27 – Dénommé «Handlungsort» selon la doctrine allemande et «miejsce powstania zdarzenia powodującego szkodę» selon la doctrine polonaise.
28 – Voir arrêts Bier (21/76, EU:C:1976:166, point 24); Zuid-Chemie (EU:C:2009:475, point 23), et Kainz (C-45/13, EU:C:2014:7, point 23).
29 – Arrêt Kronhofer (EU:C:2004:364, point 21).
30 – Voir conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Kronhofer (C-168/02, EU:C:2004:24, point 46).
31 – Arrêt Kronhofer (EU:C:2004:364, point 18).
32 – C-68/93, EU:C:1995:61, point 33.
33 – C-509/09 et C-161/10, EU:C:2011:685, point 52.
34 – Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO L 177, p. 6).
35 – Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) (JO L 199, p. 40).
36 – Voir, à cet égard, arrêts Shevill e.a. (EU:C:1995:61, point 35); Italian Leather (C-80/00, EU:C:2002:342, point 43), ainsi que DFDS Torline (C-18/02, EU:C:2004:74, point 23).
37 – Arrêts Hagen (C-365/88, EU:C:1990:203, points 19 et 20) ainsi que Shevill e.a. (EU:C:1995:61, point 36).
38 – Arrêt Effer (38/81, EU:C:1982:79, point 8).
39 – Arrêt Benincasa (C-269/95, EU:C:1997:337, point 27).
40 – Arrêt Folien Fischer et Fofitec (C-133/11, EU:C:2012:664, point 50).
41 – Arrêt Hi Hotel HCF (C-387/12, EU:C:2014:215, point 20).
© European Union
The source of this judgment is the Europa web site. The information on this site is subject to a Disclaimer and a Copyright notice and rules related to Personal data protection. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.
BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2014/C37513_O.html