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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Starjakob (Advocate General's Opinion) (French Text) [2014] EUECJ C-417/13_O (3 July 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2014/C41713_O.html
Cite as: EU:C:2014:2048, [2014] EUECJ C-417/13_O, ECLI:EU:C:2014:2048

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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES Bot

présentées le 3 juillet 2014 (1)

Affaire C-417/13

ÖBB Personenverkehr AG

contre

Gotthard Starjakob

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Autriche)]

«Politique sociale – Directive 2000/78/CE – Différence de traitement fondée sur l’âge – Date de référence aux fins de l’avancement –Réglementation discriminatoire d’un État membre excluant la prise en compte de périodes d’activité accomplies avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans aux fins de la détermination de la rémunération – Adoption d’une nouvelle réglementation avec effet rétroactif et sans compensation financière – Persistance de la différence de traitement – Justifications – Droit au paiement de la différence de rémunération – Sanctions – Délai de prescription»





1.        La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2) et de plusieurs dispositions de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (3).

2.        Les questions préjudicielles ont été formulées dans le cadre d’un litige opposant l’ÖBB-Personenverkehr AG (ci-après l’«ÖBB») à M. Starjakob au sujet de la licéité du régime professionnel de rémunération mis en place par le législateur autrichien afin d’éliminer une discrimination en raison de l’âge.

I –    Le cadre juridique

A –    La directive 2000/78

3.        Aux termes de son article 1er, la directive 2000/78 «a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement».

4.        L’article 2 de cette directive énonce:

«1.      Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.      Aux fins du paragraphe 1:

a)      une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;

[...]»

[...]

5.        Selon l’article 3, paragraphe 1, sous c), de ladite directive, celle-ci s’applique, dans les limites des compétences conférées à la Communauté européenne, à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics en ce qui concerne, notamment, les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de rémunération.

6.        L’article 6 de la directive 2000/78 est ainsi libellé:

«1.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:

a)      la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;

b)      la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi;

[...]»

7.        En vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/78, «[l]es États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu’ils l’estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s’être produite se sont terminées».

8.        L’article 16, paragraphe 1, sous a), de cette directive prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires afin que soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement.

9.        L’article 17 de ladite directive, relatif aux sanctions, dispose:

«Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues qui peuvent comprendre le versement d’indemnité à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres notifient ces dispositions à la Commission au plus tard le 2 décembre 2003 et toute modification ultérieure les concernant dans les meilleurs délais.»

B –    Le droit autrichien

10.      Jusqu’au 31 décembre 1995, l’article 3 du règlement de 1963 sur les rémunérations au sein des chemins de fer (Bundesbahn-Besoldungsordnung 1963) (4), intitulé «Date de référence aux fins de l’avancement», prévoyait:

«(1)      La date de référence aux fins de l’avancement doit être déterminée en ce sens que – à l’exception des périodes antérieures à l’âge de 18 ans révolus et sous réserve des dispositions restrictives des paragraphes 4 à 7 – sont réputées précéder le jour de l’engagement:

a)      les périodes mentionnées au paragraphe 2, dans leur intégralité,

b)      les autres périodes, pour moitié.

(2)      Conformément au paragraphe 1, sous a), doivent être réputées précéder le jour de l’engagement:

1.      la durée accomplie dans un emploi représentant au moins la moitié du temps prescrit pour les travailleurs à temps complet dans le cadre d’une relation de travail au sein des chemins de fer autrichiens.

[...]

(6)      Il est interdit de prendre en compte à plusieurs reprises une seule et même période – exception faite de la double prise en compte prévue à l’article 32 du [règlement de 1974 sur les rémunérations au sein des chemins de fer (Bundesbahn-Besoldungsordnung 1974, BGBl. Nr. 263)]».

11.      L’article 3 de la BO 1963 a été modifié par la loi sur les chemins de fer fédéraux (Bundesbahngesetz) (5), dont l’article 53a énonce:

«(1)      Pour les agents et pensionnés qui entrent ou entreront au service des chemins de fer autrichiens (ÖBB) [...] jusqu’au 31 décembre 2004 et dont la date individuelle de référence aux fins de l’avancement est ou sera fixée sur la base de l’article 3 de la [BO 1963], cette date fait l’objet d’une nouvelle détermination, après communication des périodes de service à prendre en compte, conformément aux dispositions suivantes:

1.      La date de référence aux fins de l’avancement doit être déterminée en ce sens que sont réputées précéder le jour de l’engagement [...] les périodes à prendre en compte (Z 2) postérieures au 30 juin de l’année au cours de laquelle neuf années scolaires ont ou auraient été accomplies après l’entrée dans le premier degré d’enseignement scolaire.

2.      Les périodes à prendre en compte résultent des règles de prise en compte en vigueur définies par les dispositions applicables de la BO 1963 [...]

(2)      En cas de nouvelle fixation de la date individuelle de référence aux fins de l’avancement conformément au paragraphe (1), les dispositions suivantes sont applicables:

1.      Chaque période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons est prolongée d’un an.

2.      L’avancement a lieu le 1er janvier suivant l’accomplissement de chaque période requise pour l’avancement (date d’avancement).

3.      La nouvelle fixation de la date individuelle de référence aux fins de l’avancement ne prend pas effet si elle implique une dégradation salariale par rapport à la fixation antérieure de cette date [(6)].

[...]

(4)      La preuve des périodes de service à prendre en compte conformément au paragraphe (1) doit être dûment apportée, en vue de la nouvelle fixation de la date de référence aux fins de l’avancement, par les agents et pensionnés au moyen du formulaire fourni par l’employeur. Pour les personnes n’apportant pas cette preuve ou l’apportant de façon incorrecte ou incomplète, la date de référence aux fins de l’avancement précédemment applicable à leur égard est maintenue [...]

(5)      Pour les créances salariales découlant de la nouvelle fixation de la date de référence aux fins de l’avancement, la période allant du 18 juin 2009 au jour de publication de la loi fédérale publiée au BGBl. I, 129/2011 n’entre pas dans le calcul du délai de la prescription triennale.»

12.      En outre, les dispositions de la loi sur l’égalité de traitement (Gleichbehandlungsgesetz) (7) énoncent:

«Article 17 – Le principe de l’égalité de traitement dans le cadre d’une relation de travail

(1)      Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination directe ou indirecte fondée sur [...] l’âge [...] dans le cadre d’une relation de travail, notamment:

[...]

2.      pour la fixation de la rémunération,

[...]

Article 26 – Les conséquences de la violation du principe de l’égalité de traitement

[...]

(2)      Si, en raison de la violation par l’employeur du principe de l’égalité de traitement inscrit à l’article 17, paragraphe 1, point 2, un travailleur ou une travailleuse perçoit pour le même travail ou pour un travail de valeur comparable une rémunération inférieure à celle d’un travailleur ou d’une travailleuse qui ne fait pas l’objet d’une discrimination fondée sur l’un des motifs visés à l’article 17, ce travailleur ou cette travailleuse a droit au paiement par l’employeur de la différence et à une indemnisation pour le préjudice moral subi.

[...]

Article 29 – Les délais pour l’exercice des droits

(1)      [...] Pour les droits qui découlent de l’article 26, paragraphe 2, [...] la prescription triennale de l’article 1486 [du code civil (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch) (8)] est applicable.

[...]»

13.      Enfin, les dispositions pertinentes en matière de prescription de l’«ABGB» énoncent:

«Article 1480 – Les créances de prestations annuelles arriérées, en particulier d’intérêts, [...] tombent en déchéance en trois ans; le droit en tant que tel se prescrit par non-usage pendant trente ans.

Article 1486 – Délais de prescription particuliers

Se prescrivent par trois ans: les créances

[...]

5.      des travailleurs portant sur leur rémunération et le remboursement de frais qui résultent des contrats de travail des ouvriers, des travailleurs journaliers, des domestiques et de tous les employés privés [...]»

II – Le litige au principal et les questions préjudicielles

14.      M. Starjakob a commencé sa relation de travail avec un prédécesseur en droit d’ÖBB, le 1er février 1990. La date de référence aux fins de l’avancement a été établie, dans son cas, en tenant compte des périodes de service acquises à partir de son 18e anniversaire, au 21 mai 1986. La période d’apprentissage accomplie par M. Starjakob après cet anniversaire a été prise en compte pour moitié, tandis que celle accomplie avant ledit anniversaire n’a pas été prise en compte, conformément à l’article 3 de la BO 1963.

15.      Selon les précisions apportées par l’Oberster Gerichtshof (Cour Suprême, Autriche), si l’on fixait la date de référence aux fins de l’avancement du demandeur conformément à la nouvelle disposition de l’article 53a, paragraphe 1, du BBG, c’est-à-dire en prenant en compte également les périodes de service accomplies par celui-ci avant l’âge de 18 ans révolus (postérieures au 30 juin suivant la fin de la scolarité obligatoire générale de neuf années scolaires), il en résulterait une nouvelle date de référence aux fins de l’avancement, à savoir la date du 22 juin 1985. Si l’on retenait cette nouvelle date tout en continuant à déterminer le classement de M. Starjakob en fonction de la situation juridique ancienne, il en résulterait, pour la période allant du mois de novembre 2007 au mois de juin 2012, une différence de salaire en sa faveur de 3 963,75 euros bruts.

16.      En 2012, invoquant l’arrêt Hütter (9), M. Starjakob a intenté contre l’ÖBB une action en paiement de la différence de traitement qui lui aurait été due pour la période allant de 2007 à2012 si la date de référence aux fins de son avancement avait été calculée en prenant en compte la période d’apprentissage accomplie avant son 18e anniversaire.

17.      Le Landesgericht Innsbruck (tribunal régional d’Innsbruck) a rejeté le recours, estimant que l’article 53a du BBG supprimait la discrimination fondée sur l’âge. M. Starjakob ne pourrait réclamer que la date de référence aux fins de l’avancement soit calculée conformément au paragraphe 1 de cet article seulement s’il accepte, notamment, les paragraphes 2 et 4 dudit article, relatifs à l’allongement des périodes requises pour l’avancement, et les conséquences de la violation de l’obligation de coopération. M. Starjakob n’ayant pas encore apporté la preuve complète de ses périodes de service antérieures, la date de référence fixée, en ce qui le concerne, reste valable, sans qu’il puisse se plaindre d’une discrimination à son égard.

18.      En appel, l’Oberlandesgericht Innsbruck (tribunal régional supérieur d’Innsbruck) a fait droit à la demande de M. Starjakob. Il a estimé que, en l’absence de ces preuves, c’était bien la situation juridique établie dans la BO 1963 qui s’appliquait à M. Starjakob, mais que cette dernière était discriminatoire, de sorte qu’il y avait lieu de déterminer une nouvelle date de référence aux fins de l’avancement tenant compte de la période d’apprentissage accomplie avant l’âge de 18 ans révolus. Cependant, dans la mesure où l’article 53a du BBG ne lui est pas applicable en raison de l’absence de preuve de ses périodes de service antérieures, la période requise pour l’avancement reste de deux ans pour tous les échelons de rémunération.

19.      C’est dans ces conditions que, saisi sur pourvoi, l’Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les dispositions combinées de l’article 21 de la [Charte] et des articles 7, paragraphe 1, 16 et 17 de la directive [2000/78] doivent-elles être interprétées en ce sens que:

a)      un travailleur à l’égard duquel l’employeur a fixé dans un premier temps, sur la base d’une prise en compte des périodes de service constitutive d’une discrimination fondée sur l’âge, instaurée par la loi, une date de référence aux fins de l’avancement incorrecte, a droit en tout état de cause au paiement de la différence de salaire découlant de la fixation de cette date exempte de discrimination,

b)      ou bien en ce sens que l’État membre concerné a la possibilité, au moyen d’une prise en compte des périodes de service exempte de discrimination, d’éliminer la discrimination fondée sur l’âge également sans compensation financière (par une nouvelle fixation de la date de référence aux fins de l’avancement assortie d’une prolongation de la période requise pour l’avancement), notamment si cette solution, neutre du point de vue de la rémunération, vise à préserver les liquidités de l’employeur ainsi qu’à éviter la charge de travail excessive nécessaire pour un nouveau calcul?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, sous b), une telle prise en compte des périodes de service exempte de discrimination peut-elle:

a)      être aussi introduite rétroactivement par le législateur (dans le présent cas par la loi du 27 décembre 2011, publiée au BGBl. I, 129/2011, avec effet rétroactif au 1er janvier 2004) ou

b)      n’est-elle applicable qu’à partir de la date de l’adoption ou de la publication des nouvelles dispositions en matière de prise en compte et d’avancement?

3)      En cas de réponse affirmative à la première question, sous b), les dispositions combinées de l’article 21 de la Charte et de l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive [2000/78], ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive doivent-elles être interprétés en ce sens que:

a)      un régime législatif qui prévoit, pour les périodes d’activité accomplies en début de carrière, une période requise pour l’avancement plus longue [...], rendant ainsi plus difficile l’avancement à l’échelon suivant, constitue une différence de traitement indirecte fondée sur l’âge,

b)      et, dans l’affirmative, en ce sens que, eu égard à la faible expérience professionnelle acquise en début de carrière, un tel régime est approprié et nécessaire?

4)      En cas de réponse affirmative à la première question, sous b), les dispositions combinées des articles 7, paragraphe 1, et 8, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive [2000/78] doivent-elles être interprétées en ce sens que la persistance des effets d’un régime ancien, constitutif d’une discrimination fondée sur l’âge, ayant pour seul motif la protection du travailleur, en sa faveur, contre des désavantages en matière de revenu découlant d’un régime nouveau, exempt de discrimination (clause de garantie de la rémunération), est admissible et justifiée pour des raisons de respect des droits acquis et de protection de la confiance légitime?

5)      En cas de réponse affirmative à la première question, sous b), et à la troisième question, sous b):

a)      le législateur peut-il prévoir, aux fins de la détermination des périodes de service à prendre en compte, un devoir (une obligation) de coopération à la charge du travailleur et subordonner le passage au nouveau système de prise en compte et d’avancement à l’exécution de cette obligation?

b)      un travailleur qui n’apporte pas la coopération que l’on peut attendre de lui en vue de la nouvelle fixation de la date de référence aux fins de l’avancement selon le nouveau système de prise en compte et d’avancement, exempt de discrimination, et qui, de ce fait, ne fait consciemment pas usage du régime exempt de discrimination et reste volontairement dans l’ancien système de prise en compte et d’avancement, constitutif d’une discrimination fondée sur l’âge, peut-il se prévaloir d’une discrimination fondée sur l’âge découlant de l’ancien système, ou bien le fait de rester dans l’ancien système, discriminatoire, au seul motif de pouvoir faire valoir des prétentions pécuniaires constitue-t-il un abus de droit?

6)      En cas de réponse affirmative à la première question, sous a), ou à la première question, sous b), et à la deuxième question, sous b), le principe d’effectivité du droit de l’Union, découlant de l’article 47, premier alinéa, de la [Charte] et de l’article 19, paragraphe 1, TUE, commande-t-il que le délai de prescription des droits trouvant leur fondement dans le droit de l’Union ne commence pas à courir avant la clarification sans ambiguïté de la situation juridique par le prononcé d’une décision pertinente de la Cour de justice de l’Union européenne?

7)      En cas de réponse affirmative à la première question, sous a), ou à la première question, sous b), et à la deuxième question, sous b), le principe d’équivalence du droit de l’Union commande-t-il d’étendre une suspension de la prescription prévue en droit national pour les actions visant à exercer des droits fondés sur un nouveau système de prise en compte et d’avancement (article 53a, paragraphe 5, [du BBG]) aux actions en paiement de différences de salaire résultant d’un ancien système constitutif d’une discrimination fondée sur l’âge?»

III – Notre analyse

20.      Le régime de rémunération applicable aux employés des ÖBB repose sur un système d’avancement en vertu duquel la rémunération augmente à l’expiration de périodes déterminées au cours desquelles le travailleur acquiert de l’ancienneté. Ces périodes sont décomptées à partir d’une date de référence aux fins de l’avancement qui, elle, est déterminée individuellement. Les périodes antérieures à l’entrée en service des travailleurs auprès des ÖBB sont, elles aussi, prises en compte dans ce cadre.

21.      La date de référence aux fins de l’avancement dans l’échelle des rémunérations est donc une date fictive qui détermine le classement dans un échelon de rémunération et, partant, la progression salariale. Cette date est déterminée en fonction du jour effectif d’entrée en fonctions et de l’expérience jugée pertinente. Plus cette expérience est grande, plus la date est avancée et le classement dans l’échelle salariale élevé.

22.      Tirant les enseignements de l’arrêt Hütter (10), le législateur autrichien a souhaité mettre en place un nouveau système permettant de prendre en compte les périodes de service acquises par les travailleurs avant que ces derniers aient atteint l’âge de 18 ans, ce qui n’était pas le cas précédemment.

23.      Il ressort des travaux préparatoires relatifs à l’article 53a du BBG que le législateur autrichien a voulu étendre aux employés des ÖBB la réforme qui a été conduite pour la fonction publique au niveau fédéral.

24.      Ce législateur a ainsi eu pour objectif d’éliminer la discrimination en raison de l’âge que constitue l’absence de prise en compte des périodes de service acquises par les employés des ÖBB avant l’âge de 18 ans. Cependant, afin d’assurer la neutralité de cette prise en compte en termes de coûts pour l’employeur, le nouveau système a été aménagé de sorte à allonger simultanément d’un an la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons. Le nouveau dispositif fait en outre dépendre toute nouvelle détermination de la date de référence de la preuve, à fournir par les travailleurs, des périodes de service antérieures.

25.      Les questions formulées par la juridiction de renvoi invitent la Cour à se prononcer sur la compatibilité du nouveau système mis en place par ledit législateur avec l’interdiction des discriminations en raison de l’âge prévue à l’article 21 de la Charte ainsi que par la directive 2000/78.

26.      En substance, l’Oberster Gerichtshof souhaite savoir si un système, tel que celui en cause au principal, qui tente de mettre fin, à coûts constants et en préservant les droits acquis des travailleurs, à une discrimination en raison de l’âge est ou non compatible avec la directive 2000/78.

27.      Afin de répondre aux différentes questions posées par la juridiction de renvoi, nous examinerons, d’abord, si, comme le soutiennent M. Starjakob et la Commission, le nouveau système a pour effet de perpétuer la discrimination en raison de l’âge qu’il a vocation à éliminer. Nous nous prononcerons, ensuite, sur le point de savoir quelles conséquences juridiques la juridiction de renvoi doit tirer de l’existence d’une discrimination en raison de l’âge et, en particulier, si celle-ci implique nécessairement une compensation financière pour les travailleurs discriminés. Nous répondrons, enfin, aux questions relatives à la conformité au droit de l’Union des délais de prescription que prévoit le droit autrichien.

A –    Sur la persistance de la discrimination en raison de l’âge

1.      Sur l’existence d’une différence de traitement en raison de l’âge dans le nouveau système

28.      Il convient, dans un premier temps, de rechercher si le nouveau système renferme une différence de traitement fondée sur l’âge, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de cette disposition, on entend par «principe de l’égalité de traitement», l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur l’un des motifs visés à l’article 1er de cette directive. L’article 2, paragraphe 2, sous a), de celle-ci précise que, pour les besoins de l’application de son paragraphe 1, une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre se trouvant dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er de ladite directive.

29.      À notre avis, le nouveau système mis en place par le législateur autrichien, bien qu’il permette désormais de prendre en compte les périodes de service acquises par les travailleurs avant l’âge de 18 ans, maintient, d’une autre manière, une différence de traitement fondée sur l’âge.

30.      Nous avons vu que le nouveau système associe la fixation d’une nouvelle date de référence, prenant en compte les périodes de service acquises avant l’âge de 18 ans, à un ralentissement du rythme de progression dans les premiers échelons de la carrière. Il ressort des réponses écrites qui ont été fournies par les parties à la demande de la Cour que, dans le cadre du nouveau système, la date individuelle de référence aux fins de l’avancement doit faire l’objet d’une nouvelle détermination pour tous les agents et les pensionnés des ÖBB entrés au service ou employés des ÖBB jusqu’au 31 décembre 2004. La fixation de la nouvelle date de référence a pour effet de soumettre l’agent concerné à l’allongement du rythme d’avancement résultant de l’article 53a, paragraphe 2, point 1, du BBG.

31.      En apparence, le nouveau système est donc applicable à tous les travailleurs, de sorte qu’il paraît mettre fin de façon égalitaire à la discrimination en raison de l’âge qui existait précédemment.

32.      Cependant, comme le relèvent à juste titre M. Starjakob et la Commission, par le jeu des différentes dispositions de l’article 53a du BBG, le nouveau système semble avant tout être destiné à s’appliquer aux travailleurs anciennement discriminés.

33.      En effet, comme le relève le gouvernement autrichien lui-même, afin d’éviter que la détermination de la nouvelle date de référence aux fins de l’avancement, combinée à l’allongement du rythme d’avancement, ait pour effet de détériorer la situation de l’agent concerné, l’article 53a, paragraphe 2, point 3, du BBG énonce que la nouvelle fixation de la date individuelle de référence aux fins de l’avancement ne prend pas effet si elle implique une dégradation salariale par rapport à la fixation antérieure de cette date. Dans ces cas, le rythme d’avancement allongé de trois années ne s’applique pas non plus.

34.      Il est donc constant que seuls les agents dont la date de référence aux fins de l’avancement doit être recalculée se voient imposer un allongement des trois premières périodes requises pour l’avancement.

35.      Or, compte tenu de la clause de maintien des droits acquis prévue à l’article 53a, paragraphe 2, point 3, du BBG, il est probable que les agents qui ont fait valoir leurs périodes de service acquises après l’âge de 18 ans, et qui n’ont pas de périodes de service acquises avant cet âge à faire valoir, ne se verront pas appliquer le calcul d’une nouvelle date de référence et, par conséquent, ne se verront pas non plus appliquer l’allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons. En effet, pour les agents qui ont acquis après l’âge de 18 ans la totalité de leurs périodes de service susceptibles d’être prises en compte, un allongement des périodes requises aux fins de l’avancement entraînerait une dégradation salariale, du fait d’un repositionnement inférieur dans la grille de rémunération.

36.      Ainsi, en application de la clause de maintien des droits acquis, les agents qui se trouvent, en ce qui concerne les périodes de service à faire valoir auprès du même employeur, dans une situation comparable pourraient faire l’objet d’un traitement différent, en ce qui concerne la durée des périodes requises aux fins de l’avancement, selon que leur date de référence doit être recalculée ou non.

37.      La logique inhérente au nouveau système, qui lie la détermination d’une nouvelle date de référence à un allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons, combinée à la clause de maintien des droits acquis, maintient donc dans les faits une différence de traitement entre les agents qui ont acquis leurs périodes de service avant l’âge de 18 ans et ceux qui ont acquis après cet âge la totalité de leurs périodes de service susceptibles d’être prises en compte. En effet, seule la première catégorie de travailleurs, qui fera l’objet d’un nouveau calcul de la date de référence, sera, en pratique, concernée par l’allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons.

38.      Il s’ensuit que le nouveau système perpétue une différence de traitement directement fondée sur le critère de l’âge, au sens des dispositions de l’article 2, paragraphes 1 et 2, sous a), de la directive 2000/78. Il revient, en dernier lieu, à la juridiction de renvoi, à laquelle il incombe d’interpréter les dispositions de son droit national, de vérifier si le nouveau système comporte bien une telle différence de traitement en raison de l’âge.

2.      Sur la justification de la différence de traitement en raison de l’âge

39.      Il convient, dans un second temps, d’examiner si cette différence de traitement est susceptible d’être justifiée au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

40.      Le premier alinéa de cette disposition précise que les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur l’âge ne constitue pas une discrimination lorsqu’elle est objectivement et raisonnablement justifiée, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens destinés à atteindre cet objectif sont appropriés et nécessaires.

41.      La Cour a itérativement jugé que les États membres peuvent prévoir des mesures contenant des différences de traitement fondées sur l’âge, conformément à l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78. Ils disposent d’une large marge d’appréciation dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé parmi d’autres en matière de politique sociale et de l’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser (11).

42.      Au regard de ces principes, il convient de vérifier si l’article 53 a du BBG, et en particulier le paragraphe 2, point 3, de ce dernier, en ce qu’il permet de ne pas appliquer aux agents ayant acquis après l’âge de 18 ans la totalité de leurs périodes de service à prendre en compte l’allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons, est une mesure qui poursuit un objectif légitime et qui est appropriée et nécessaire à la réalisation de cet objectif.

43.      Il ressort des explications qui ont été fournies à la Cour que le nouveau système tente de concilier plusieurs objectifs, à savoir une valorisation différente de l’expérience professionnelle acquise en début de carrière, la neutralité financière de la réforme et la protection des droits acquis.

44.      En ce qui concerne l’objectif consistant à valoriser différemment l’expérience professionnelle acquise en début de carrière, nous précisons que, à nos yeux, le choix qu’a fait le législateur autrichien d’allonger d’un an la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons n’est pas, en lui-même, critiquable. Outre qu’une telle décision s’inscrit, à notre avis, dans les limites de la marge d’appréciation dont ce législateur bénéficie en matière de politique sociale, il convient de rappeler que la Cour a déjà considéré que l’objectif visant à récompenser l’expérience acquise par un travailleur, laquelle met celui-ci en mesure de mieux s’acquitter de ses prestations, constitue, en règle générale, un but légitime de politique salariale (12). Il est loisible, selon nous, à un employeur de valoriser différemment l’expérience professionnelle acquise en début de carrière, ce qui se traduit en l’occurrence par un ralentissement du rythme de progression en début de carrière. Une telle expérience sera progressivement mieux valorisée, au fur et à mesure que le travailleur s’intègre dans son milieu de travail et améliore l’efficacité de ses prestations.

45.      Encore faut-il vérifier, selon les termes mêmes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, si, dans le cadre de la large marge d’appréciation reconnue aux États membres, les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

46.      À cet égard, comme le relève à juste titre la Commission, le constat d’une différence de traitement qui persiste entre les travailleurs qui ont acquis la totalité de leurs périodes de service après l’âge de 18 ans et ceux qui ont acquis leurs périodes de service avant cet âge suffit à démontrer que l’objectif consistant à valoriser différemment l’expérience professionnelle acquise en début de carrière se heurte au principe de proportionnalité, qui exige qu’un tel objectif soit poursuivi de manière cohérente et systématique (13).

47.      En effet, l’exclusion de l’allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons pour les agents qui ont acquis la totalité de leurs périodes de service après l’âge de 18 ans démontre, par elle-même, que l’objectif consistant à valoriser différemment l’expérience professionnelle acquise en début de carrière n’est pas poursuivi de manière cohérente et systématique. Pour le dire d’une manière plus simple, il ne s’agit pas, en réalité, du véritable objectif poursuivi par le législateur autrichien.

48.      L’examen des travaux préparatoires relatifs à l’article 53a du BBG révèle que le législateur autrichien, lorsqu’il a mis en place le nouveau système, a, avant tout, poursuivi l’objectif d’assurer la neutralité de la réforme en termes de coûts. C’est véritablement cet objectif qui a conduit ce législateur à lier la fixation d’une nouvelle date de référence à un allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons.

49.      Dans ses observations, le gouvernement autrichien fait valoir qu’il convient d’appréhender la nouvelle réglementation applicable aux agents des ÖBB dans le contexte d’un grand nombre d’autres mesures ayant pour objectif d’éliminer de l’ordre juridique autrichien les discriminations injustifiées fondées sur l’âge. Il précise que, en raison de l’arrêt Hütter (14), des mesures similaires ont été nécessaires pour les agents d’autres entreprises publiques, de l’État fédéral, des Länder et des collectivités locales. Selon ce gouvernement, cela concernerait un demi-million d’agents, c’est-à-dire un huitième de la population active autrichienne.

50.      Le gouvernement autrichien soutient qu’une prise en compte de l’ensemble des périodes de service antérieures sans modification simultanée de l’ancien rythme d’avancement aurait généré des dépenses supplémentaires représentant plusieurs pourcents des performances économiques de la République d’Autriche, ce qui n’aurait pas été supportable pour cet État membre.

51.      Nous sommes d’avis que ces arguments du gouvernement autrichien ne peuvent prospérer. En effet, la Cour a déjà jugé que, si des considérations d’ordre budgétaire peuvent être à la base des choix de politique sociale d’un État membre et influencer la nature ou l’étendue des mesures qu’il souhaite adopter, de telles considérations ne peuvent constituer à elles seules un objectif légitime au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 (15).

52.      Enfin, s’agissant de l’objectif consistant à préserver les droits acquis des travailleurs n’ayant pas fait l’objet d’une discrimination en raison de l’âge, il y a lieu de constater que la protection des droits acquis par une catégorie de personnes constitue une raison impérieuse d’intérêt général (16). Nous estimons que cet objectif constitue également un objectif légitime au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

53.      La clause de maintien des droits acquis figurant à l’article 53a, paragraphe 2, point 3, du BBG est de nature à atteindre cet objectif, dans la mesure où elle fait obstacle à ce qu’une dégradation salariale ait lieu à la suite de la fixation d’une nouvelle date de référence.

54.      Il convient cependant de vérifier si cette clause ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif.

55.      Nous rappelons que cette disposition a pour effet d’exclure la fixation d’une nouvelle date de référence ainsi que l’allongement des périodes requises aux fins de l’avancement dès lors que cela implique une dégradation salariale pour les agents des ÖBB, ce qui, en pratique, semble concerner majoritairement, sinon exclusivement, les agents qui n’ont pas fait l’objet d’un traitement discriminatoire, à savoir ceux qui ont acquis la totalité de leurs périodes de service après l’âge de 18 ans.

56.      À l’instar de la Commission, nous estimons qu’il aurait été possible de parvenir au résultat voulu, à savoir le maintien de la rémunération antérieure des agents n’ayant pas fait l’objet d’un traitement discriminatoire, sans pour autant renoncer à appliquer à cette catégorie d’agents l’allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons.

57.      Outre qu’une application égalitaire d’un tel allongement aurait permis de démontrer la cohérence du nouveau système au regard de l’objectif consistant à valoriser différemment l’expérience professionnelle acquise en début de carrière, le législateur autrichien aurait pu poursuivre l’objectif consistant à préserver les droits acquis par les travailleurs n’ayant pas fait l’objet d’un traitement discriminatoire en mettant en place un régime transitoire. Nous précisons, à cet égard, qu’un système tel que celui prévu à l’article 53a du BBG ne constitue nullement un régime transitoire, dans la mesure où il a vocation à régir la carrière des travailleurs auxquels il s’applique jusqu’à ce que ces derniers aient atteint le dernier échelon de la grille de rémunération.

58.      La mise en place d’un véritable régime transitoire aurait pu permettre que, malgré l’allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons, les agents qui ont acquis la totalité de leurs périodes de service après l’âge de 18 ans conservent le même niveau de rémunération pendant une période transitoire.

59.      Concrètement, sans fixation d’une nouvelle date de référence à une date antérieure, l’application aux agents qui n’ont pas fait l’objet d’un traitement discriminatoire de l’allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons aurait pour effet de rétrograder ces agents à un échelon inférieur. Sans mesure d’accompagnement, cette rétrogradation s’accompagnerait inévitablement d’une baisse de leur rémunération. Or, pour pallier cet inconvénient, une telle mesure d’accompagnement aurait pu consister à prévoir, pendant une période transitoire, le maintien de la rémunération perçue antérieurement par ces agents jusqu’à ce qu’ils atteignent de nouveau le classement qui était le leur avant la réforme. Autrement dit, comme l’explique la Commission dans ses observations, les agents subissant une perte de revenus en raison de l’allongement des périodes requises pour l’avancement auraient conservé leur traitement inchangé, en découplant ce dernier de l’échelon de rémunération dans lequel ils seraient effectivement classés, et ce jusqu’à ce que ces mêmes agents atteignent l’échelon correspondant à ce traitement.

60.      Certes, un tel régime transitoire aurait figé la rémunération des travailleurs non discriminés pendant quelques années. Cependant, outre que cette période aurait été de courte durée, en n’excédant vraisemblablement pas trois ans, un tel régime ne nous paraît pas porter une atteinte excessive aux droits des travailleurs et il aurait, à notre avis, constitué un compromis satisfaisant afin d’atteindre un équilibre entre, d’une part, l’effacement de la discrimination en raison de l’âge et, d’autre part, la protection des droits acquis par les travailleurs non discriminés.

61.      Au vu de ces éléments, nous considérons que l’article 53a, paragraphe 2, point 3, du BBG, dans la mesure où il a pour effet d’exclure l’application de l’allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons pour les agents qui ont acquis la totalité de leurs périodes de service après l’âge de 18 ans, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif consistant à préserver les droits acquis de ces agents.

62.      Il résulte des considérations qui précèdent que les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les travailleurs qui ont acquis leurs périodes de service avant l’âge de 18 ans peuvent faire valoir ces périodes, en contrepartie d’un allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons, alors qu’un tel allongement n’est, en pratique, pas appliqué aux travailleurs qui ont acquis après l’âge de 18 ans la totalité de leurs périodes de service susceptibles d’être prises en compte.

63.      Nous allons à présent examiner les conséquences juridiques qui doivent, selon nous, être tirées par la juridiction de renvoi de la persistance, dans le nouveau système, d’une discrimination en raison de l’âge.

B –    Sur les conséquences juridiques de la persistance d’une discrimination en raison de l’âge

64.      À titre liminaire, il importe de rappeler l’obligation d’interprétation conforme du droit national, laquelle requiert que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de la directive 2000/78 et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (17).

65.      À défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conformes aux exigences de cette directive, il convient également de rappeler que, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, dont bénéficie également le principe de non-discrimination en raison de l’âge, une réglementation nationale contraire qui entre dans le champ d’application du droit de l’Union doit être laissée inappliquée (18).

66.      Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que, lorsque le droit national, en violation du droit de l’Union, prévoit un traitement différencié entre plusieurs groupes de personnes et aussi longtemps que des mesures rétablissant l’égalité de traitement n’ont pas été adoptées, le respect du principe d’égalité ne saurait être assuré que par l’octroi aux personnes de la catégorie défavorisée des mêmes avantages que ceux dont bénéficient les personnes de la catégorie privilégiée (19). La Cour a également précisé que le régime applicable aux membres du groupe favorisé restait, à défaut de l’application correcte du droit de l’Union, le seul système de référence valable.

67.      Il résulte de cette jurisprudence que, aussi longtemps qu’un système procédant à la suppression de la discrimination en raison de l’âge d’une manière conforme à ce que prévoit la directive 2000/78 n’aura pas été mis en place, le juge national est tenu d’écarter toute disposition nationale discriminatoire, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par le législateur, et d’appliquer aux membres du groupe défavorisé le même régime que celui dont bénéficient les personnes de l’autre catégorie.

68.      Dans le cadre du litige au principal, cela implique donc, à notre avis, la fixation d’une nouvelle date aux fins de l’avancement au 22 juin 1985, sans application de l’allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons. Selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, il en résulte, pour la période allant du mois de novembre 2007 au mois de juin 2012, une différence de salaire en faveur de M. Starjakob de 3 963,75 euros bruts.

69.      Si le versement de la différence de salaire peut à bon droit être réclamé par M. Starjakob sur le fondement de la jurisprudence précitée, nous relevons, au vu des éléments fournis par la juridiction de renvoi, que celui-ci peut également réclamer l’octroi d’une telle compensation financière en se fondant sur les dispositions nationales de transposition de la directive 2000/78, et notamment celles qui transposent l’article 17 de cette directive.

70.      Comme la Cour l’a indiqué dans son arrêt Asociaţia Accept (20), l’article 17 de la directive 2000/78 confie aux États membres le soin de déterminer le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de cette directive et de prendre toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de telles sanctions. Bien qu’il n’impose pas de sanctions déterminées, cet article précise que les sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de ladite directive doivent être effectives, proportionnées et dissuasives (21).

71.      Selon la Cour, le régime de sanctions mis en place en vue de transposer l’article 17 de la directive 2000/78 dans l’ordre juridique d’un État membre doit notamment assurer, parallèlement aux mesures prises pour mettre en œuvre l’article 9 de la même directive, une protection juridique effective et efficace des droits tirés de celle-ci. La rigueur des sanctions doit être en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment, notamment en assurant un effet réellement dissuasif, tout en respectant le principe général de proportionnalité (22). En tout état de cause, une sanction purement symbolique ne saurait être considérée comme étant compatible avec la mise en œuvre correcte et efficace de la directive 2000/78 (23).

72.      Certes, l’article 17 de la directive 2000/78 laisse aux États membres, pour sanctionner la violation de l’interdiction de discrimination, la liberté de choisir parmi les différentes solutions propres à réaliser son objet (24).

73.      Cependant, dès lors qu’un État membre a fait le choix d’un régime de sanction particulier, il est tenu de l’appliquer conformément aux exigences du droit de l’Union.

74.      En particulier, selon la Cour, si un État membre choisit de sanctionner la violation de l’interdiction de discrimination par l’octroi d’une indemnité, celle-ci doit en tout cas, pour assurer son efficacité et son effet dissuasif, être adéquate par rapport aux préjudices subis et doit donc aller au-delà d’une indemnisation purement symbolique (25). Il appartient à la juridiction nationale de donner à la loi prise pour l’application de la directive, dans toute la mesure où une marge d’appréciation lui est accordée par son droit national, une interprétation et une application conformes aux exigences du droit de l’Union (26).

75.      Au vu de ces éléments, il importe de souligner que l’article 26, paragraphe 2, de la loi sur l’égalité de traitement, qui, comme cela a été confirmé lors de l’audience, transpose dans le droit autrichien l’article 17 de la directive 2000/78, prévoit, en faveur du travailleur discriminé, un droit au paiement par l’employeur de la différence de rémunération consécutive à une discrimination ainsi qu’une indemnisation pour le préjudice moral subi.

76.      Le droit au paiement de la différence de rémunération consécutive à une discrimination en raison de l’âge est donc expressément prévu par la législation autrichienne transposant la directive 2000/78, de sorte que nous ne voyons pas comment, dans le cadre du litige au principal, l’employeur pourrait s’y soustraire. Au surplus, l’article 26, paragraphe 2, de la loi sur l’égalité de traitement prévoit également qu’un travailleur tel que M. Starjakob peut prétendre à une indemnisation pour le préjudice moral subi.

77.      Il va de soi que le paiement en faveur de M. Starjakob de la différence de rémunération qu’il réclame suppose la coopération de celui-ci. En effet, s’il ne peut être, à notre avis, exigé de lui qu’il collabore, en fournissant les preuves relatives aux périodes de service acquises avant l’âge de 18 ans, à un nouveau système qui maintient, comme nous l’avons vu, une discrimination en raison de l’âge, il est, en revanche, tenu de communiquer de telles preuves à la juridiction de renvoi.

78.      Nous allons, à présent, examiner les sixième et septième questions relatives à la compatibilité avec le droit de l’Union des délais de prescription prévus par le droit autrichien.

C –    Sur la compatibilité avec le droit de l’Union des délais de prescription prévus par le droit autrichien

79.      Deux délais de prescription doivent être distingués.

80.      D’une part, la réglementation autrichienne soumet à un délai de prescription trentenaire le droit pour un salarié de demander une réévaluation des périodes de service devant être prises en compte en vue de la fixation de la date de référence aux fins de l’avancement (27). Il ressort du dossier que la demande de M. Starjakob n’est pas affectée par ce délai de prescription trentenaire.

81.      D’autre part, le droit autrichien soumet les créances salariales consécutives à une discrimination à un délai de prescription de trois ans (28).

82.      Il est de jurisprudence constante que, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la pleine sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, pour autant que lesdites modalités ne sont pas moins favorables que celles régissant les recours similaires fondés sur le droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (29).

83.      Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de dire pour droit si le droit de l’Union, et en particulier le principe d’effectivité, implique que le délai de prescription des droits trouvant leur fondement dans le droit de l’Union ne commence à courir qu’à compter d’un arrêt de la Cour clarifiant la situation juridique.

84.      La réponse à cette question découle de l’arrêt Pohl (30), dans lequel la Cour a dit pour droit, à propos du délai de prescription trentenaire, que le droit de l’Union, et en particulier le principe d’effectivité, ne s’oppose pas à une réglementation nationale soumettant à un tel délai, qui commence à courir à compter de la conclusion de la convention sur la base de laquelle la date de référence aux fins de l’avancement a été fixée ou à partir du classement à un échelon de salaire erroné, le droit pour un salarié de demander une réévaluation des périodes de service devant être prises en compte en vue de la fixation de cette date de référence.

85.      Pour parvenir à une telle conclusion, la Cour a précisé que le point de départ du délai de prescription relève, en principe, du droit national et que l’éventuelle constatation par la Cour de la violation du droit de l’Union est, en principe, sans incidence sur ce point de départ (31). La Cour en a déduit que les dates respectives de prononcé des arrêts Österreichischer Gewerkschaftsbund (32) et Hütter (33) étaient sans incidence sur le point de départ du délai de prescription trentenaire et, dès lors, étaient sans pertinence pour apprécier le respect, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Pohl (34), du principe d’effectivité.

86.      Une telle solution peut, à notre avis, être étendue au délai de prescription triennal auquel sont soumises les créances salariales consécutives à une discrimination. Le droit de l’Union n’exige donc nullement que l’application de ce délai soit dépendante de la date de prononcé de l’arrêt Hütter (35), à savoir le 18 juin 2009.

87.      Cela étant dit, en vertu du principe d’autonomie procédurale, le législateur autrichien était libre de tenir compte, comme il l’a fait à l’article 53a, paragraphe 5, du BBG, de la date de prononcé de l’arrêt Hütter (36), pour aménager une suspension du délai de prescription triennal.

88.      Enfin, par sa septième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour de dire pour droit si le principe d’équivalence commande d’étendre la suspension, prévue à l’article 53a, paragraphe 5, du BBG, du délai de prescription applicable aux créances salariales découlant de la fixation d’une nouvelle date de référence aux fins de l’avancement dans le cadre du nouveau système, aux actions en paiement de différences de salaire résultant d’un ancien système constitutif d’une discrimination en raison de l’âge.

89.      Nous rappelons que, en vertu de l’article 53a, paragraphe 5, du BBG, «[p]our les créances salariales découlant de la nouvelle fixation de la date de référence aux fins de l’avancement, la période allant du 18 juin 2009 au jour de publication de la loi fédérale publiée au BGBl. I, 129/2011 n’entre pas dans le calcul du délai de la prescription triennale».

90.      En vertu de la primauté du droit de l’Union, le juge national est uniquement tenu d’écarter les dispositions de son droit national qui sont contraires au droit de l’Union. Si, comme nous l’avons vu, les dispositions de l’article 53a du BBG qui ont pour effet de perpétuer la discrimination en raison de l’âge doivent être écartées par le juge national, tel n’est pas le cas des dispositions qui, comme l’article 53a, paragraphe 5, du BBG, sont conformes au droit de l’Union. Cette disposition du nouveau système est donc, à notre avis, pleinement applicable dans le cadre du litige au principal.

IV – Conclusion

91.      Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Oberster Gerichtshof de la manière suivante:

Les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les travailleurs qui ont acquis leurs périodes de service avant l’âge de 18 ans peuvent faire valoir ces périodes, en contrepartie d’un allongement d’un an de la période requise pour l’avancement dans chacun des trois premiers échelons, alors qu’un tel allongement n’est, en pratique, pas appliqué aux travailleurs qui ont acquis après l’âge de 18 ans la totalité de leurs périodes de service susceptibles d’être prises en compte.

Aussi longtemps qu’un système procédant à la suppression de la discrimination en raison de l’âge d’une manière conforme à ce que prévoit la directive 2000/78 n’aura pas été mis en place, le juge national est tenu d’écarter toute disposition nationale discriminatoire, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par le législateur national, et d’appliquer aux membres du groupe défavorisé le même régime que celui dont bénéficient les personnes de l’autre catégorie.

Il incombe au juge national d’appliquer à une situation telle que celle de l’affaire au principal la législation nationale qui transpose dans son droit national la directive 2000/78, et, en particulier, les dispositions de cette législation qui transposent l’article 17 de cette directive.

Le droit de l’Union ne s’oppose ni à l’application d’un délai de prescription triennal aux créances salariales consécutives à une discrimination en raison de l’âge ni à ce que le législateur national décide de suspendre ce délai pour la période comprise entre le 18 juin 2009, date de prononcé de l’arrêt Hütter (C-88/08, EU:C:2009:381), et la date de publication de la législation nationale prévoyant la prise en compte des périodes de service acquises avant l’âge de 18 ans.


1 –      Langue originale: le français.


2 –      Ci-après la «Charte».


3 –      JO L 303, p. 16.


4 –      BGBl. 170/1963, ci-après la «BO 1963».


5 –      BGBl. I, 129/2011, ci-après le «BBG».


6 –      Ci-après la «clause de maintien des droits acquis».


7 –      BGB1. I, 66/2004.


8 –      Ci-après l’«ABGB».


9 –      C-88/08, EU:C:2009:381.


10 –      EU:C:2009:381.


11 –      Voir arrêts Palacios de la Villa (C-411/05, EU:C:2007:604, point 68) et Rosenbladt (C-45/09, EU:C:2010:601, point 41).


12 –      Arrêt Hennigs et Mai (C-297/10 et C-298/10, EU:C:2011:560, point 72 et jurisprudence citée).


13 –      Voir, notamment, arrêt Fuchs et Köhler (C-159/10 et C-160/10, EU:C:2011:508, point 85).


14 –      EU:C:2009:381.


15 –      Arrêt Fuchs et Köhler (EU:C:2011:508, point 74).


16 –      Arrêts Commission/Allemagne (C-456/05, EU:C:2007:755, point 63), ainsi que Hennigs et Mai (EU:C:2011:560, point 90).


17 –      Voir, en ce sens, arrêt Lopes Da Silva Jorge (C-42/11, EU:C:2012:517, point 56).


18 –      Voir arrêt Kücükdeveci (C-555/07, EU:C:2010:21, point 54 et jurisprudence citée).


19 –      Voir, notamment, arrêts Terhoeve (C-18/95, EU:C:1999:22, point 57); Jonkman e.a. (C-231/06 à C-233/06, EU:C:2007:373, point 39) ainsi que Landtová (C-399/09, EU:C:2011:415, point 51).


20 –      C-81/12, EU:C:2013:275.


21 –      Ibidem (point 61).


22 –      Ibidem (point 63 et jurisprudence citée).


23 –      Ibidem (point 64).


24 –      Voir, par analogie, arrêt von Colson et Kamann (14/83, EU:C:1984:153, point 28).


25 –      Idem.


26 –      Idem.


27 –      Article 1480 de l’ABGB.


28 –      Article 29, paragraphe 1, de la loi sur l’égalité de traitement, qui renvoie à l’article 1486, point 5, de l’ABGB.


29 –      Voir, notamment, arrêt Pohl (C-429/12, EU:C:2014:12, point 23 et jurisprudence citée).


30 –      EU:C:2014:12.


31 –      Arrêt Pohl (EU:C:2014:12, point 31 et jurisprudence citée).


32 –      C-195/98, EU:C:2000:655.


33 –      EU:C:2009:381.


34 –      EU:C:2014:12.


35 –      EU:C:2009:381.


36 –      Idem.

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