Portnov v Council (Judgment) French Text [2015] EUECJ T-290/14 (26 October 2015)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2015/T29014.html
Cite as: ECLI:EU:T:2015:806, EU:T:2015:806, [2015] EUECJ T-290/14

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ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

26 octobre 2015 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inclusion du nom du requérant – Preuve du bien-fondé de l’inscription sur la liste »

Dans l’affaire T‑290/14,

Andriy Portnov, demeurant à Kiev (Ukraine), représenté par Me M. Cessieux, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. V. Piessevaux et J.-P. Hix, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par Mme D. Gauci et M. T. Scharf, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation du règlement (UE) n° 208/2014 du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO L 66, p. 1), ainsi que de la décision 2014/119/PESC du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO L 66, p. 26), dans la mesure où le nom du requérant a été inscrit sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz et A. Popescu, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 mai 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Andriy Portnov, un ressortissant ukrainien, a occupé de nombreuses fonctions au sein de l’administration ukrainienne et, notamment, celle de conseiller du président ukrainien.

2        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO L 66, p. 26, ci-après la « décision attaquée »).

3        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision attaquée dispose que :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent. 

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

4        Les modalités des mesures restrictives en cause sont définies aux paragraphes suivants du même article.

5        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) n° 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO L 66, p. 1, ci-après le « règlement attaqué »).

6        Conformément à la décision attaquée, le règlement attaqué impose l’adoption des mesures restrictives en cause et définit les modalités desdites mesures restrictives en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

7        Les noms des personnes visées par la décision et le règlement attaqués apparaissent sur la liste figurant à l’annexe de ladite décision et à l’annexe I dudit règlement (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

8        Le nom du requérant apparaissait sur la liste avec les informations d’identification « ancien conseiller du président ukrainien » et la motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

9        Le 6 mars 2014, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne l’avis à l’attention des personnes auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues par la décision et le règlement attaqués (JO C 66, p. 1).

10      Selon cet avis, « les personnes concernées peuvent adresser au Conseil […] une demande de réexamen de la décision par laquelle elles ont été inscrites sur la liste […], en y joignant des pièces justificatives ». L’avis attire également l’attention des personnes concernées « sur le fait qu’il est possible de contester la décision du Conseil devant le Tribunal […], dans les conditions prévues à l’article 275, deuxième alinéa, et à l’article 263, quatrième et sixième alinéas, [TFUE] ».

11      Le 17 avril 2014, le requérant a adressé au Conseil une demande de réexamen de l’inscription de son nom sur la liste, incluant également une demande de communication des éléments ayant justifié ladite inscription.

12      Le Conseil a confirmé que la demande était en cours d’examen et a communiqué, en annexe aux mémoires en défense et en duplique, les pièces constituant le dossier du requérant, à savoir la lettre du bureau du Procureur général d’Ukraine à la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, du 3 mars 2014 (ci-après la « lettre du 3 mars 2014 »), ainsi que d’autres éléments de preuve postérieurs aux actes attaqués.

13      La décision et le règlement attaqués ont été modifiés par la décision d’exécution 2014/216/PESC du Conseil, du 14 avril 2014, mettant en œuvre la décision attaquée (JO L 111, p. 91), et par le règlement d’exécution (UE) n° 381/2014 du Conseil, du 14 avril 2014, mettant en œuvre le règlement attaqué (JO L 111, p. 33). La décision d’exécution 2014/216 et le règlement d’exécution n° 381/2014 n’ont toutefois pas modifié la situation du requérant.

14      La décision attaquée a également été modifiée par la décision (PESC) 2015/143 du Conseil, du 29 janvier 2015, modifiant la décision attaquée (JO L 24, p. 16), entrée en vigueur le 1er février 2015. Quant aux critères de désignation des personnes visées par les mesures restrictives en cause, il ressort de l’article 1er de ladite décision que l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée est remplacé par le texte suivant :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a) pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b) pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

15      Le règlement (UE) 2015/138 du Conseil, du 29 janvier 2015, modifiant le règlement attaqué (JO L 24, p. 1), a modifié ce dernier conformément à la décision 2015/143.

16      La décision et le règlement attaqués ont été modifiés ultérieurement par la décision (PESC) 2015/364 du Conseil, du 5 mars 2015, modifiant la décision attaquée (JO L 62, p. 25), et par le règlement d’exécution (UE) 2015/357 du Conseil, du 5 mars 2015, mettant en œuvre le règlement attaqué (JO L 62, p. 1). La décision 2015/364 a modifié l’article 5 de la décision attaquée, en prorogeant les mesures restrictives, pour certaines des personnes dont les noms avaient été inscrits sur la liste, jusqu’au 6 mars 2016 ou jusqu’au 6 juin 2015. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement attaqué.

17      À la suite de ces modifications, le nom du requérant n’apparaît plus sur la liste.

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 avril 2014, le requérant a introduit le présent recours. Il a également déposé une demande de procédure accélérée en application de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991.

19      Par décision du 4 juin 2014, le Tribunal a rejeté la demande de procédure accélérée.

20      Le 24 juillet 2014, le Conseil a déposé son mémoire en défense. Il a également présenté une demande motivée conformément à l’article 18, paragraphe 4, deuxième alinéa, des instructions au greffier du Tribunal, visant à obtenir que le contenu de certaines annexes du mémoire en défense ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

21      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 4 août 2014, la Commission européenne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Conseil. Par ordonnance du 11 septembre 2014, le président de la neuvième chambre du Tribunal a admis cette intervention. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 octobre 2014, la Commission a renoncé au dépôt du mémoire en intervention.

22      La réplique et la duplique ont été déposées au greffe du Tribunal, respectivement, le 17 septembre 2014 et le 12 novembre 2014. Le Conseil a également présenté une demande motivée conformément à l’article 18, paragraphe 4, deuxième alinéa, des instructions au greffier du Tribunal, visant à obtenir que le contenu de certaines annexes de la duplique ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

23      Dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du 2 mai 1991, le 31 mars 2015, le Tribunal a invité les parties à présenter leurs observations sur la question de savoir si le requérant conservait un intérêt à agir à la suite du retrait de son nom de la liste des personnes visées par les mesures restrictives et, dans l’affirmative, par rapport à quels moyens un tel intérêt subsistait. Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

24      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 21 mai 2015.

25      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué, en ce que celui-ci le vise ;

–        annuler la décision attaquée, en ce que celle-ci le vise ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

26      Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, déclarer que les effets de la décision attaquée sont maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement attaqué.

 En droit

 Sur la persistance de l’intérêt à agir du requérant

27      Il convient de rappeler que, à la suite des modifications apportées aux actes attaqués par la décision 2015/364 et par le règlement d’exécution 2015/357, le nom du requérant n’apparaît plus sur la liste.

28      En réponse à la question écrite posée par le Tribunal (point 23 ci-dessus), le Conseil, soutenu par la Commission, a estimé que le requérant n’avait pas démontré la persistance de son intérêt à agir.

29      Selon une jurisprudence constante, l’objet du litige, tout comme l’intérêt à agir d’une partie requérante, doit perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, Rec, EU:C:2007:322, point 42 et jurisprudence citée).

30      En outre, si la reconnaissance de l’illégalité de l’acte attaqué ne peut, en tant que telle, réparer un préjudice matériel ou une atteinte à la vie privée, elle est néanmoins de nature à réhabiliter la personne concernée ou à constituer une forme de réparation du préjudice moral qu’elle a subi du fait de cette illégalité et à justifier, ainsi, la persistance de son intérêt à agir. À cet égard, la circonstance que l’abrogation des mesures restrictives en question était définitive n’empêche pas qu’un intérêt à agir subsiste pour ce qui concerne les effets des actes ayant imposé ces mesures entre la date de leur entrée en vigueur et celle de leur abrogation (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, Rec, EU:C:2013:331, points 70 à 72 et 82).

31      En l’espèce, il y a lieu de constater, ainsi que l’a affirmé le requérant lors de sa réponse aux questions du Tribunal et lors de l’audience, sans être contredit par le Conseil, qu’il était et est actuellement impliqué dans la vie politique ukrainienne. Partant, sa désignation publique, par l’inscription de son nom sur la liste, comme faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine concernant des faits de détournement de fonds, est en mesure de nuire, notamment, à sa réputation en tant qu’homme politique.

32      Il convient donc de conclure que l’intérêt à agir du requérant persiste malgré l’abrogation, pour ce qui le concerne, des mesures restrictives litigieuses.

 Sur le fond

33      À l’appui du recours, le requérant invoque cinq moyens. Le premier est tiré de la violation des droits de la défense et du droit à un recours effectif. Le deuxième est tiré de la violation de l’obligation de motivation. Le troisième est tiré du non-respect des critères de désignation des personnes visées par les mesures restrictives en cause fixés par la décision et le règlement attaqués. Le quatrième est tiré d’une erreur de fait et le cinquième est tiré de l’atteinte au droit de propriété.

34      Le Tribunal estime opportun d’examiner d’emblée le troisième moyen.

35      Au soutien du troisième moyen, le requérant fait valoir, en substance, que l’adoption des mesures restrictives à son égard n’est pas conforme aux critères de désignation des personnes visées par ces mesures fixés par les actes attaqués. Il soutient, d’une part, qu’il n’est pas établi qu’il était responsable d’un détournement de fonds publics et qu’il faisait l’objet d’une procédure pénale ou d’une enquête visant ces faits et, d’autre part, que le transfert illégal hors d’Ukraine des fonds détournés constituerait une infraction distincte de celle énoncée dans lesdits actes, à savoir le détournement de fonds.

36      Par le biais de cette argumentation, le requérant conteste, en substance, le bien-fondé de l’inscription de son nom sur la liste.

37      Le Conseil fait valoir, d’une part, que l’article 1er de la décision attaquée ne saurait être interprété comme visant uniquement des personnes dont il a été établi par une décision judiciaire qu’elles se sont rendues coupables de détournement de fonds publics et, d’autre part, que le fait de transférer hors d’Ukraine des fonds publics détournés peut participer à l’infraction de détournement de fonds elle-même.

38      Il convient de rappeler que, si le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux critères généraux à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures restrictives, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou à tout le moins l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour étayer cette même décision, sont étayés de façon suffisamment précise et concrète (voir arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, Rec, EU:C:2015:248, points 41 et 45 et jurisprudence citée).

39      En l’espèce, le critère prévu à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée dispose que des mesures restrictives sont adoptées à l’égard des « personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien ».

40      Le nom du requérant a été inscrit sur la liste au motif qu’il était une « [p]ersonne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine ». Il en ressort que le Conseil a considéré que, à tout le moins, le requérant faisait l’objet d’une investigation ou enquête préliminaire, qui n’avait pas (ou pas encore) abouti à une mise en accusation formelle.

41      À l’appui du motif de l’inscription du requérant sur la liste, le Conseil invoque la lettre du 3 mars 2014, qui indique que « [l]es services répressifs ukrainiens ont engagé un certain nombre de procédures pénales pour enquêter sur des actes criminels commis par d’anciens hauts fonctionnaires », parmi lesquels figure le requérant. La lettre précise ultérieurement, de manière très générique, que l’enquête en question « a permis d’établir le détournement de fonds publics pour des montants importants et le transfert ultérieur illégal hors d’Ukraine ».

42      Eu égard au dossier de l’affaire, la lettre du 3 mars 2014 est, parmi les éléments de preuve déposés par le Conseil au cours de la présente instance, le seul qui est antérieur à la décision attaquée et au règlement attaqué. Par conséquent, la légalité desdits actes doit être appréciée au regard de ce seul élément de preuve.

43      Il convient donc de vérifier si la lettre du 3 mars 2014 constitue une preuve suffisante pour étayer la conclusion selon laquelle le requérant a été identifié « comme étant responsable de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée.

44      Or, tout en provenant, ainsi que le souligne le Conseil, d’une haute instance judiciaire d’un pays tiers, à savoir le bureau du Procureur général d’Ukraine, la lettre du 3 mars 2014 ne contient qu’une affirmation générale selon laquelle le requérant, parmi d’autres anciens hauts fonctionnaires, ferait l’objet d’une enquête visant des faits, pas spécifiés davantage, de détournement de fonds publics et concernant le transfert illégal de ces fonds à l’étranger. Elle ne fournit aucune précision sur ces faits, ni sur les responsabilités du requérant à leur égard.

45      En outre, s’agissant des affirmations avancées par le Conseil devant le Tribunal selon lesquelles l’ouverture d’une enquête concernant le requérant reposait nécessairement sur des informations acquises à la suite d’investigations, non spécifiées, menées avant ladite ouverture, force est de constater qu’il ne s’agit que de simples suppositions. À cet égard, il doit être rappelé qu’une décision concernant l’adoption de mesures restrictives au sens de l’article 29 TUE n’est pas adoptée en réponse à une demande des autorités du pays tiers concerné, mais constitue une mesure autonome adoptée en vue de réaliser les objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union. C’est à l’autorité compétente de celle-ci qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, Rec, EU:C:2013:518, points 120 et 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, Rec, EU:C:2013:775, points 65 et 66).

46      Il est certes vrai que, ainsi que le fait valoir le Conseil, le juge de l’Union, dans le contexte de l’application de mesures restrictives, a établi que l’identification d’une personne comme étant responsable d’une infraction n’impliquait pas forcément une condamnation pour une telle infraction (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, Rec, EU:C:2015:147, point 72, et du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, Rec, EU:T:2014:93, points 57 à 61).

47      Cependant, dans le contexte des affaires qui étaient à la base de la jurisprudence citée au point 46 ci-dessus, les requérants avaient, à tout le moins, fait l’objet d’une ordonnance du Procureur général du pays tiers concerné tendant à la saisie de leurs avoirs, laquelle avait été approuvée par une juridiction pénale (arrêt Ezz e.a./Conseil, point 46 supra, EU:T:2014:93, point 132). Par conséquent, l’application des mesures restrictives au regard des requérants en cause dans ces affaires se fondait sur des éléments factuels concrets, dont le Conseil avait pris connaissance.

48      Or, en l’espèce, force est de constater, d’une part, que le Conseil ne disposait pas d’informations concernant les faits ou les comportements spécifiquement reprochés au requérant par les autorités ukrainiennes et, d’autre part, que la lettre du 3 mars 2014 qu’il invoque, même en l’examinant non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel elle s’insère, ne saurait constituer une base factuelle suffisamment solide au sens de la jurisprudence citée au point 38 ci-dessus pour inscrire le nom du requérant sur la liste au motif qu’il était identifié « comme étant responsable » de détournement de fonds publics.

49      Au demeurant, les éléments de preuve supplémentaires fournis par le Conseil et postérieurs aux actes attaqués démontrent que le requérant a fait l’objet d’une enquête préliminaire enregistrée postérieurement à l’adoption de ces actes et le même jour que leur publication. Partant, il n’est même pas établi que, au moment de l’adoption des actes attaqués, le requérant faisait l’objet d’une véritable « procédure pénale », ne serait-ce qu’au stade d’une simple enquête préliminaire. Il s’ensuit que l’inscription du nom du requérant sur la liste comme une « [p]ersonne faisant l’objet d’une procédure pénale » est incorrecte. Par ailleurs, le Conseil, interrogé, à l’audience, sur la question du retrait des mesures restrictives à l’égard du requérant, n’a fourni aucune explication justifiant ledit retrait.

50      Au vu de tout ce qui précède, l’inscription du nom du requérant sur la liste ne respecte pas les critères de désignation des personnes visées par les mesures restrictives en cause fixés par la décision attaquée.

51      Par conséquent, le troisième moyen doit être accueilli, de sorte que la décision attaquée doit être annulée en tant qu’elle vise le requérant.

52      Pour les mêmes raisons, le règlement attaqué doit être annulé en tant qu’il vise le requérant.

53      Le troisième moyen étant fondé, il y a lieu d’accueillir le recours, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens.

54      En outre, dès lors que, à la suite de la décision 2015/364 et du règlement d’exécution 2015/357, le nom du requérant ne figure plus sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la question du maintien des effets de la décision attaquée en ce qu’elle vise le requérant.

 Sur les dépens

55      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

56      Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

57      Par ailleurs, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens. La Commission supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision 2014/119/PESC du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement (UE) n° 208/2014 du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés en tant qu’ils visent M. Andriy Portnov.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par M. Portnov.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Berardis

Czúcz

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 octobre 2015.

Signatures


* Langue de procédure : le français.

© European Union
The source of this judgment is the Europa web site. The information on this site is subject to a information found here: Important legal notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.


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