GGP Italy v Commission (Order) [2015] EUECJ T-474/15_CO (10 December 2015)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2015/T47415_CO.html
Cite as: [2015] EUECJ T-474/15_CO

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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

10 décembre 2015 (*)

« Référé – Directive 2006/42/CE – Protection de la santé et de la sécurité des consommateurs et des travailleurs face aux risques découlant de l’utilisation des machines – Mesure prise par les autorités lettones interdisant un type de tondeuse à gazon – Décision de la Commission déclarant la mesure justifiée – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑474/15 R,

Global Garden Products Italy SpA (GGP Italy), établie à Castelfranco Veneto (Italie), représentée par Mes A. Villani, L. D’Amario et M. Caccialanza, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. G. Braga da Cruz et L. Cappelletti, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision d’exécution (UE) 2015/902 de la Commission, du 10 juin 2015, relative à une mesure prise par la Lettonie conformément à la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil pour interdire la mise sur le marché d’une tondeuse à gazon fabriquée par GGP Italy SpA (JO L 147, p. 22),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 mai 2006, relative aux machines et modifiant la directive 95/16/CE (JO L 157, p. 24) vise à harmoniser les conditions dans lesquelles les machines munies du marquage « CE » et de la déclaration CE de conformité sont mises sur le marché intérieur et à assurer leur libre circulation au sein de l’Union européenne, tout en garantissant le respect d’un ensemble d’exigences destinées à protéger la santé et la sécurité des personnes à l’égard des risques découlant de l’utilisation de ces machines.

2        L’article 11 de la directive 2006/42, intitulé « clause de sauvegarde », dispose :

« 1.      Lorsqu’un État membre constate qu’une machine à laquelle la présente directive s’applique, munie du marquage ‘CE’, accompagnée de la déclaration CE de conformité et utilisée conformément à sa destination ou dans des conditions raisonnablement prévisibles, risque de compromettre la santé ou la sécurité des personnes […], il prend toutes les mesures utiles pour retirer cette machine du marché, interdire sa mise sur le marché et/ou sa mise en service ou restreindre sa libre circulation.

2.      L’État membre informe immédiatement la Commission et les autres États membres d’une telle mesure et indique les raisons de sa décision, en précisant en particulier si la non-conformité résulte :

a) du non-respect des exigences essentielles visées à l’article 5, paragraphe 1, [sous] a) ;

[…]

3.      La Commission entre en consultation avec les parties concernées dans les meilleurs délais.

À l’issue de cette consultation, la Commission examine si les mesures prises par l’État membre sont ou non justifiées et communique sa décision à l’État membre qui a pris lesdites mesures, aux autres États membres, ainsi qu’au fabricant ou à son mandataire.

[…]

5.      Lorsqu’une machine est non conforme et est munie du marquage ‘CE’, l’État membre compétent prend les mesures appropriées à l’encontre de celui qui a apposé le marquage et en informe la Commission. La Commission informe les autres États membres.

6.      La Commission s’assure que les États membres sont tenus informés du déroulement et des résultats de la procédure. »

3        Par lettre datée du 1er juillet 2014, la République de Lettonie a informé la Commission européenne de la décision des autorités lettones, prise conformément aux dispositions nationales d’application de l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2006/42, de retirer du marché et d’interdire la mise sur le marché de la tondeuse à gazon Stiga 35L (ci-après la « tondeuse en cause ») fabriquée par la requérante, Global Garden Products Italy SpA (GGP Italy), au motif que cette machine ne répondait pas aux exigences essentielles de santé et de sécurité définies par les dispositions combinées de l’article 11, paragraphe 2, sous a), de l’article 5, paragraphe 1, sous a), et de l’annexe I de la directive 2006/42.

4        En particulier, les autorités lettones ont allégué une violation de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2010, notamment de son point 20.107.1.1.1, qui prévoit, au troisième alinéa, que « [l]a paroi arrière de l’enceinte de l’organe de coupe ou une barrière fixe doit se prolonger à au moins 120 mm du point le plus proche de la circonférence de coupe et s’élever d’un angle inférieur ou égal à 5° par rapport au plan horizontal ». En l’espèce, les autorités lettones ont indiqué que la distance entre la paroi arrière de l’enceinte et le point le plus proche de la circonférence de coupe ne mesurait que 87 mm, ce qui est inférieur à la distance minimale prévue par la norme harmonisée précitée.

5        Il ressort du formulaire joint à la lettre du 1er juillet 2014 que les autorités lettones, d’une part, avaient demandé, par courriel du 3 décembre 2013, au distributeur letton de retirer définitivement la tondeuse en cause du marché et, d’autre part, avaient notifié, par lettre du 12 décembre 2013, cette mesure au fabricant de la tondeuse.

6        Par lettre du 24 septembre 2014, la Commission a, conformément à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2006/42, informé la requérante de la notification reçue de la part des autorités lettones et l’a invitée à lui transmettre ses observations dans un délai de trois semaines.

7        En réponse à cette communication, la requérante a indiqué, par lettre du 14 octobre 2014, que la tondeuse en cause n’était plus produite depuis le 1er septembre 2013, ni commercialisée ou vendue dans aucun pays de l’Union, et qu’elle l’avait retirée auprès de ses distributeurs et revendeurs en Lettonie. La requérante a ajouté que, de son point de vue, la tondeuse respectait les exigences de la directive 2006/42 qui étaient pertinentes à la date de sa production et de sa commercialisation.

8        C’est dans ce contexte que la Commission a adopté, le 10 juin 2015, la décision d’exécution (UE) 2015/902 relative à une mesure prise par la Lettonie conformément à la directive 2006/42 pour interdire la mise sur le marché d’une tondeuse à gazon fabriquée par GGP Italy SpA (JO L 147, p. 22, ci-après la « décision attaquée »). Aux termes de cette décision, d’une part, la mesure prise par la Lettonie pour interdire la mise sur le marché de la tondeuse fabriquée par la requérante est justifiée (article 1er) et, d’autre part, les États membres sont destinataires de cette décision (article 2). En effet, selon la Commission, la documentation disponible, les observations formulées et les mesures prises par les parties concernées démontraient que la tondeuse en cause ne satisfaisait pas aux exigences essentielles de santé et de sécurité de la directive 2006/42.

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 août 2015, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée. À l’appui de son recours, elle reproche à la Commission d’avoir méconnu, notamment, que la tondeuse en cause était conforme à la norme harmonisée pertinente à l’époque de sa production et de sa mise sur le marché. En effet, à cette époque, la norme la plus récente EN 60335-2-77:2010 n’aurait pas encore été contraignante, puisque la norme antérieure EN 60335-2-77:2006, à laquelle la tondeuse était conforme, demeurait applicable à titre transitoire jusqu’au 1er septembre 2013.

10      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 16 octobre 2015, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée ;

–        adopter toute autre mesure considérée comme utile ;

–        condamner la Commission aux dépens.

11      Dans ses observations déposées au greffe du Tribunal le 4 novembre 2015, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme non fondée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

12      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir ordonnance du 11 novembre 2013, CSF/Commission, T‑337/13 R, EU:T:2013:599, point 21 et jurisprudence citée).

13      En outre, l’article 156, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le juge des référés peut ordonner le sursis à exécution et d’autres mesures provisoires s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant l’intervention de la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut (voir ordonnance CSF/Commission, point 12 supra, EU:T:2013:599, point 22 et jurisprudence citée).

14      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance CSF/Commission, point 12 supra, EU:T:2013:599, point 23 et jurisprudence citée).

15      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

16      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

17      Dans ce contexte, la requérante affirme que, à défaut d’une suspension de la décision attaquée, elle subirait des préjudices graves et irréparables découlant, notamment, du risque concret que, à la suite de la communication de cette décision, des États membres autres que la Lettonie adoptent des mesures restrictives contre elle, sans ouverture préalable de procédures de vérification nationales, dans lesquelles elle aurait la possibilité de se défendre. La requérante affirme que cela s’est déjà produit en Suède, où l’autorité compétente a ordonné le signalement public de la tondeuse en cause en tant que produit dangereux ne pouvant être vendu ou utilisé.

18      La requérante ajoute qu’une décision adoptée en vertu de la directive 2006/42, telle que la décision attaquée, impose directement aux États membres qui en sont destinataires d’engager à leur tour une procédure de vérification ad hoc. La décision attaquée aurait donc pour conséquence certaine et immédiate, au détriment de la requérante, l’ouverture de procédures nationales dans tous les États membres à l’exception de la Lettonie, tendant à mettre en cause la présomption de conformité dont bénéficiait la tondeuse en cause en vertu de la directive 2006/42. Ainsi, la requérante serait obligée de se défendre dans le cadre des procédures internes qui seront ouvertes dans pas moins de 27 États membres, ce qui engendrerait des coûts considérables pour elle, du fait qu’elle devrait se prévaloir d’experts, de conseils techniques, etc.

19      La requérante craint, notamment, que les autorités nationales décident d’adopter des interdictions de mise sur le marché de la tondeuse en cause ou, plus vraisemblablement – puisque celle-ci n’est plus commercialisée depuis septembre 2013 –, d’ordonner un retrait du marché ou même un rappel auprès des consommateurs finaux. Ne saurait non plus être exclue une intervention sur la tondeuse en cause, en vue d’éliminer la soi-disant non-conformité. Dans de telles hypothèses, elle serait exposée à des coûts considérables de mise en œuvre de ces mesures. De plus, il existerait un risque concret que la requérante soit confrontée à des demandes en réparation de la part des distributeurs ou des consommateurs sur le marché, notamment dans l’hypothèse où serait ordonné le retrait du marché ou le rappel auprès des consommateurs de la tondeuse en cause, ce qui engendrerait des frais d’indemnisation importants.

20      La requérante souligne que les conséquences néfastes qui viennent d’être décrites se répercuteraient non seulement sur sa situation économique, mais également sur sa réputation. Se référant à l’ordonnance du 7 juin 2007, IMS/Commission (T‑346/06 R, Rec, EU:T:2007:164, points 139 et 142), la requérante fait valoir qu’il est, en effet, évident que l’ouverture de procédures d’enquête ou l’adoption consécutive de mesures restrictives dans les différents États membres aurait vraisemblablement pour conséquence de compromettre gravement et irrémédiablement son image et sa réputation commerciale, aussi bien sur le marché de référence que sur le marché européen dans son ensemble.

21      Sur ce dernier point, la requérante précise qu’une atteinte portée à la réputation serait fortement aggravée par le fait que sa production est spécialisée et sectorielle, puisqu’elle opère exclusivement dans le domaine des machines de jardinage, et que le préjudice en question, vu la nature contraignante de la décision attaquée dans l’ordre juridique de l’Union, se produirait inévitablement sur l’ensemble des marchés nationaux où elle est active. En outre, une telle atteinte à son image commerciale et à la réputation de sécurité de ses produits serait de nature à lui causer un préjudice qui, en raison de son caractère difficilement évaluable, devrait être considéré comme irréparable.

22      Dans ce contexte, la requérante attire l’attention sur le fait qu’elle est une société de premier ordre au niveau mondial et européen, dans les secteurs de la conception, de la fabrication et de la commercialisation de machines de jardinage. Grâce à 90 ans d’expérience sur le marché, elle serait implantée dans l’Union et dans la plupart des pays du monde, où elle jouit d’une forte réputation commerciale du fait de la fiabilité et de l’excellente qualité de ses produits. Grâce à ses douze unités commerciales situées à travers l’Europe, plus particulièrement au Benelux, en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, au Danemark, en Norvège, en Finlande, en Pologne, en République tchèque, en Italie, en Suède et en Autriche, la requérante serait actuellement un producteur et distributeur de machines de jardinage de premier ordre sur le marché européen, avec une part de marché d’environ 15 % dans l’Union. Vu sa position prééminente sur le marché de référence, le maintien des effets de la décision attaquée jusqu’à la fin de la procédure principale conduirait à un affaiblissement considérable de sa position concurrentielle, non quantifiable en termes économiques, qui ne saurait donc être dûment compensé par une réparation pécuniaire.

23      La requérante relève encore les conséquences en termes de réputation qu’un seul acte, à savoir celui du gouvernement suédois qui a qualifié la tondeuse de produit dangereux ne pouvant être vendu ou utilisé, est déjà susceptible de provoquer à son détriment. Les conséquences d’une telle action seraient d’autant plus graves que, en Suède, est établi le plus grand concurrent de la requérante sur le marché européen, lequel détient une part du marché européen d’environ 19 %. Selon la requérante, cela ne peut qu’aggraver le risque que, dans l’attente de l’arrêt à intervenir dans la procédure principale, son image commerciale sur le marché de référence soit affectée au point de constituer un préjudice grave et irréparable.

24      Enfin, la requérante affirme que, avant même d’adopter la mesure restrictive approuvée dans la décision attaquée, les autorités lettones ont procédé à une publication concernant la tondeuse en cause dans le cadre du Rapex (système d’échange rapide sur les produits dangereux), en tant que produit dangereux non conforme à la directive 2006/42, car ne respectant pas la norme EN 60335-2-77, sans spécifier toutefois s’il s’agit de la version 2006 ou 2010 de cette norme. Ce signalement, qui existe toujours, porterait gravement préjudice à la réputation et à l’image commerciale de la requérante, mettant en doute au niveau européen la sécurité et la conformité de ses produits.

25      La Commission estime, en revanche, que la requérante n’est pas parvenue à établir l’urgence du sursis à exécution sollicité.

26      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir personnellement un préjudice de cette nature. Si l’imminence du préjudice allégué ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir ordonnances CSF/Commission, point 12 supra, EU:T:2013:599, point 31 et jurisprudence citée, et du 27 novembre 2014, SEA/Commission, T‑674/14 R, EU:T:2014:1009, point 54 et jurisprudence citée), un préjudice de nature purement hypothétique, fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne justifiant pas l’octroi de mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du 27 février 2015, Espagne/Commission, T‑826/14 R, Rec, EU:T:2015:126, point 33 et jurisprudence citée).

27      En particulier, pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué – tant financier que moral – présente un caractère grave et irréparable, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie doit produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de la situation dont elle prétend qu’elle justifie l’octroi de ces mesures (voir, en ce sens, ordonnances du 16 octobre 2013, Espagne/Commission, T‑461/13 R, EU:T:2013:545, point 35 ; du 20 août 2014, Alsharghawi/Conseil, T‑532/14 R, EU:T:2014:732, point 22, et SEA/Commission, point 26 supra, EU:T:2014:1009, point 55 et jurisprudence citée).

28      En l’espèce, s’agissant des différentes catégories de préjudice alléguées, il convient de constater que la requérante craint de subir non seulement un préjudice moral et un préjudice patrimonial, mais aussi un affaiblissement de sa position concurrentielle. Or, une telle atteinte portée à la position concurrentielle consiste en une perte des parts de marché et présente, dès lors, un caractère financier au même titre que le préjudice patrimonial invoqué. En effet, la part de marché détenue par une entreprise ne désigne que le pourcentage de tous les produits présents sur le marché en cause qui ont été vendus par cette entreprise, par accord contractuel, à ses clients au cours d’une période de référence déterminée. Par conséquent, la perte de cette part de marché consiste en la perte des revenus susceptibles d’être tirés à l’avenir des ventes du produit en cause. Une part de marché se traduit donc, à l’évidence, en des termes financiers, son détenteur ne pouvant en bénéficier que dans la mesure où elle lui procure des revenus (voir, en ce sens, ordonnance CSF/Commission, point 12 supra, EU:T:2013:599, point 41 et jurisprudence citée).

29      Or, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence bien établie, un préjudice de caractère purement financier n’est normalement pas irréparable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation financière ultérieure, à moins qu’il apparaisse que la partie qui sollicite les mesures provisoires se trouverait, en l’absence de ces mesures, dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de l’arrêt mettant fin à la procédure principale ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante, et ce au regard de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle se rattache directement ou indirectement par son actionnariat (voir, en ce sens, ordonnances du 13 juillet 2006, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06 R, Rec, EU:T:2006:217, point 111 ; CSF/Commission, point 12 supra, EU:T:2013:599, point 42, et SEA/Commission, point 26 supra, EU:T:2014:1009, point 54).

30      En l’occurrence, force est de constater que la requérante n’a présenté aucune indication concrète, étayée par des éléments de preuve, dont il pourrait être conclu qu’elle serait effectivement exposée au risque de se trouver, en cas de rejet de la demande en référé, dans une situation susceptible de mettre en péril son existence ou de voir ses parts de marché modifiées de manière importante. En effet, la requérante s’est contentée de mentionner sa part de marché dans l’Union, tout en s’abstenant de fournir la moindre information sur la taille, les caractéristiques de production et le chiffre d’affaires total, tous produits confondus, de son entreprise et de produire, de la sorte, une image fidèle et globale de sa situation financière.

31      En particulier, bien que la requérante prétende posséder douze unités commerciales situées à travers l’Europe, la demande en référé ne contient aucune indication du nombre exact ou approximatif des tondeuses visées par la décision attaquée et qui avaient été vendues, pendant la période en cause, sur le marché de l’Union, notamment en Lettonie et en Suède. La demande en référé ne fait pas non plus état du pourcentage des ventes de la tondeuse en cause par rapport à la totalité des ventes réalisées par la requérante pendant la période de référence pertinente.

32      À défaut d’informations pertinentes permettant de produire une image fidèle et globale de sa situation financière, les affirmations présentées par la requérante pour illustrer les préjudices qu’elle craint de subir ne font que décrire les conséquences les plus néfastes possibles d’une exécution de la décision attaquée, sous forme de scénarios les moins favorables qui puissent survenir (voir, en ce sens, ordonnances du 23 décembre 2008, AES-Tisza/Commission, T‑468/08 R, EU:T:2008:621, point 49, et du 10 juillet 2009, TerreStar Europe/Commission, T‑196/09 R, EU:T:2009:270, point 55), sans que ces affirmations soient étayées par des éléments de preuve chiffrés de nature à établir la survenance du préjudice grave et irréparable allégué. Dans ces circonstances, la prétendue impossibilité de quantifier ce préjudice, invoquée par la requérante pour démontrer son caractère irréparable, n’est, en réalité, qu’une conséquence du caractère vague et spéculatif de ses affirmations ainsi que de sa carence à produire une image fidèle et globale de sa situation financière (voir, en ce sens, ordonnance du 13 février 2012, Dansk Automat Brancheforening/Commission, T‑601/11 R, EU:T:2012:66, point 44).

33      Par ailleurs, les informations fournies par la requérante elle-même sont de nature à affaiblir son argumentation relative au risque de subir un préjudice grave et irréparable. En effet, d’une part, ainsi que la requérante l’a confirmé (voir point 7 ci-dessus), la tondeuse en cause n’est plus fabriquée ni commercialisée sur aucun marché de l’Union depuis le 1er septembre 2013 et a été retirée auprès de ses distributeurs et revendeurs en Lettonie. D’autre part, comme il ressort de la demande en référé, la requérante s’est qualifiée, elle-même, de « société de premier ordre au niveau mondial et européen » occupant une « position prééminente sur le marché ». Dans ces circonstances, il ne semble guère réaliste que la décision attaquée soit susceptible de causer à la requérante le préjudice grave et irréparable qu’elle redoute, à supposer même qu’elle doive effectivement engager des dépenses pour se défendre dans plusieurs procédures de vérification nationales et qu’elle soit confrontée à des demandes indemnitaires de la part de ses distributeurs et consommateurs, dans l’hypothèse où la tondeuse en cause serait retirée du marché ou rappelée auprès des consommateurs.

34      Il s’ensuit que la requérante n’a pas établi l’imminence d’un préjudice financier grave et irréparable en ce qu’elle serait exposée au risque de se trouver, en cas de rejet de la demande en référé, dans une situation susceptible de mettre en péril son existence ou de voir ses parts de marché modifiées de manière importante.

35      S’agissant du préjudice moral redouté, à savoir l’atteinte portée à l’image commerciale de la requérante et à la réputation de sécurité de ses produits, force est de constater que, à la supposer établie, elle aurait déjà été causée par la décision attaquée, de sorte que le préjudice allégué à ce titre serait déjà survenu. Or, la finalité de la procédure de référé n’est pas d’assurer la réparation d’un préjudice déjà subi (voir ordonnance du 8 juin 2009, Dover/Parlement, T‑149/09 R, EU:T:2009:179, point 37 et jurisprudence citée). En outre, la requérante ne saurait se prévaloir utilement, pour établir l’existence d’un préjudice grave et irréparable, de ce que seul un sursis à l’exécution de la décision attaquée permettrait d’éviter qu’il soit porté atteinte à sa réputation. En effet, une annulation de la décision attaquée au terme de la procédure principale constituerait une réparation suffisante du préjudice moral allégué [voir, en ce sens, ordonnances du 25 mars 1999, Willeme/Commission, C‑65/99 P(R), Rec, EU:C:1999:176, point 14 ; du 22 juillet 2010, H/Conseil e.a., T‑271/10 R, EU:T:2010:315, point 36, et du 18 novembre 2011, EMA/Commission, T‑116/11 R, EU:T:2011:681, point 21].

36      Il convient d’ajouter que le litige principal entre les parties porte, en substance, sur l’applicabilité ratione temporis de la norme harmonisée EN 60335-2-77:2006 à la tondeuse en cause, étant précisé que celle-ci, qui présente une distance de sécurité de 87 mm, était conforme à cette norme, alors que la nouvelle norme harmonisée EN 60335-2-77:2010 prévoit une distance de sécurité de 120 mm. L’illégalité reprochée à la requérante consiste donc « en quelques millimètres de distance » et ne concerne que la prétendue non-conformité d’un seul type de tondeuse qui avait été commercialisé avant septembre 2013. Par conséquent, il apparaît tout à fait possible pour la requérante d’exclure que soit portée une atteinte grave à son image et sa réputation, par exemple en attirant l’attention du public intéressé sur la portée réelle de la décision attaquée.

37      En tout état de cause, plusieurs éléments permettent de conclure que, en l’espèce, la survenance d’un préjudice moral grave et irréparable apparaît invraisemblable. D’une part, ainsi que la Commission l’a relevé, la requérante n’a pas étayé ses affirmations par des éléments de preuve, tels que des articles, des communications, des plaintes ou des lettres émanant de ses partenaires commerciaux, de ses clients ou du milieu de la protection des consommateurs, qui tendraient à mettre en doute la sécurité de tous ses produits. D’autre part, la décision attaquée ne concerne qu’une seule tondeuse qui, d’ailleurs, n’est plus produite depuis plus de deux ans, ni commercialisée ou vendue dans l’Union, et que la requérante a retirée auprès de ses distributeurs et revendeurs lettons. De plus, la requérante a exposé, sans être contredite par la Commission, que, à ce jour, aucun incident relatif à l’utilisation de la tondeuse en cause, susceptible de démontrer qu’elle pourrait représenter un risque pour la santé et la sécurité des utilisateurs, n’a été signalé et que son utilisation n’a jamais causé aucun dommage à quiconque.

38      Dans la mesure où la requérante invoque l’ordonnance IMS/Commission, point 20 supra (EU:T:2007:164) afin de corroborer sa thèse relative à la survenance d’un préjudice moral, la Commission a rappelé, à juste titre, que, dans l’affaire à l’origine de cette ordonnance, il existait un ensemble de circonstances spécifiques qui ont conduit le juge des référés à conclure que la réputation de l’entreprise requérante était susceptible d’être affectée de manière grave et irréparable. Il s’agissait, notamment, du fait que la mesure d’interdiction nationale avait été annulée par le juge national et que, à la suite de cette annulation, aucune nouvelle mesure n’avait été prise par les autorités nationales, que l’acte de la Commission avait donc été adopté à défaut de mesure d’interdiction nationale, que la partie requérante était une petite entreprise avec une production limitée et spécialisée et que cette entreprise se trouvait en difficulté financière (ordonnance IMS/Commission, point 20 supra, EU:T:2007:164, points 130, 138, 139, 143 et 144). Or, en l’espèce, des circonstances comparables font défaut, de sorte que ladite ordonnance ne saurait être utilement invoquée.

39      Au demeurant, à supposer que sa réputation soit effectivement compromise par la décision attaquée, la requérante n’a pas démontré qu’il serait impossible pour elle de la reconquérir, le cas échéant grâce à une campagne publicitaire organisée à l’intention des milieux intéressés, notamment de sa clientèle, dans l’hypothèse où cette décision serait annulée par le Tribunal (voir, en ce sens, ordonnance du 18 juin 2008, Dow AgroSciences e.a./Commission, T‑475/07 R, EU:T:2008:214, points 100 et 101).

40      Par conséquent, la requérante n’est pas parvenue non plus à établir le caractère grave et irréparable du préjudice moral allégué.

41      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition relative au fumus boni juris, ni de procéder à la mise en balance des intérêts en présence [voir, en ce sens, ordonnance du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission, C‑364/99 P(R), Rec, EU:C:1999:609, point 61].

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 10 décembre 2015.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’italien.

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