Messer France (Energy - Taxation - Opinion) French Text [2018] EUECJ C-103/17_O (07 March 2018)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/C10317_O.html
Cite as: EU:C:2018:170, [2018] EUECJ C-103/17_O, ECLI:EU:C:2018:170

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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 7 mars 2018 (1)

Affaire C103/17

Messer France SAS, venant aux droits de Praxair

contre

Premier ministre,

Commission de régulation de l’énergie,

Ministre de l’Économie et des Finances,

Ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

« Taxation des produits énergétiques et de l’électricité — Réglementation nationale prévoyant une contribution au service public de l’électricité — Droit d’accise sur l’électricité — Imposition indirecte — Conditions pour l’existence d’une autre imposition indirecte poursuivant des finalités spécifiques — Notion de finalités spécifiques — Similitude entre les autres impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques et la taxe spéciale sur l’électricité — Respect des taux minima de taxation — Différence entre imposition et prestation patrimoniale obligatoire à caractère non fiscal »






1.        Le Conseil d’État (France) invite la Cour à se prononcer sur la compatibilité avec le droit de l’Union de la contribution au service public de l’électricité (ci-après la « CSPE ») telle qu’appliquée en France de 2003 à 2010.

2.        La CSPE est un prélèvement que les consommateurs finals paient dans leur facture et qui est perçu par les fournisseurs d’énergie électrique. Son montant est destiné à compenser les surcoûts que ceux-ci sont légalement tenus d’assumer, et dont les finalités sont hétérogènes : elles vont de l’incitation à produire de l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables, ou de la compensation des dépenses accrues de production de l’électricité dans des territoires non métropolitains, à des finalités sociales, comme la tarification spéciale de cette énergie en tant que produit de première nécessité et l’aide aux personnes en situation de précarité.

3.        La juridiction de renvoi n’interroge pas la Cour sur l’éventuelle qualité d’aide d’État de la CSPE. Ses questions portent plutôt sur la compatibilité de ce prélèvement avec les directives harmonisant les droits d’accise sur certains biens, parmi lesquels figure l’électricité.

4.        Ces directives ont institué la règle selon laquelle les produits visés ne peuvent être soumis qu’à l’accise harmonisée. Elles admettent cependant à titre exceptionnel certaines taxes indirectes à finalité spécifique (ci-après les « TIFS ») concernant lesquelles la Cour a déjà dégagé certains critères jurisprudentiels.

5.        Dans le litige pendant devant le Conseil d’État, qui est le premier d’une série de recours analogues (2), il s’agit de déterminer précisément si la CSPE peut figurer parmi les impositions indirectes que ces directives admettent en tant qu’exceptions. Du point de vue juridique aussi bien que du point de vue économique, le contentieux pendant devant les juridictions françaises en ce qui concerne la CSPE revêt une importance considérable (3).

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 92/12/CEE (4)

6.        Aux termes de son troisième considérant :

« […] la notion de produits soumis à accise doit être définie ; que seules les marchandises qui sont traitées comme tels dans tous les États membres peuvent faire l’objet de dispositions communautaires ; que ces produits peuvent faire l’objet d’autres impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques ; que le maintien ou l’introduction d’autres impositions indirectes ne doivent pas donner lieu à des formalités liées au passage d’une frontière ».

7.        L’article 3 dispose :

« 1. La présente directive est applicable, au niveau communautaire, aux produits suivants tels que définis dans les directives y afférentes :

–        les huiles minérales,

–        l’alcool et les boissons alcooliques,

–        les tabacs manufacturés.

2. Les produits mentionnés au paragraphe 1 peuvent faire l’objet d’autres impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques, à condition que ces impositions respectent les règles de taxation applicables pour les besoins des accises ou de la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt. »

2.      La directive 2003/96/CE (5)

8.        En vertu de l’article 1er :

« Les États membres taxent les produits énergétiques et l’électricité conformément à la présente directive ».

9.        L’article 3 prévoit que :

« Dans la directive 92/12/CEE, les termes “huiles minérales” et “droits d’accises”, dans la mesure où ils se rapportent à des huiles minérales, couvrent tous les produits énergétiques, l’électricité et tous les impôts indirects nationaux visés respectivement à l’article 2 et à l’article 4, paragraphe 2, de la présente directive ».

10.      L’article 4 dispose que :

« 1. Les niveaux de taxation que les États membres appliquent aux produits énergétiques et à l’électricité visés à l’article 2 ne peuvent être inférieurs aux niveaux minima prévus par la présente directive.

2. Aux fins de la présente directive, on entend par “niveau de taxation” le montant total d’impôts indirects (à l’exception de la TVA) perçu, calculé directement ou indirectement sur la quantité de produits énergétiques et d’électricité au moment de la mise à la consommation ».

11.      L’article 18, paragraphe 10, dispose :

« La République française peut appliquer des exonérations totales ou partielles ou des réductions pour les produits énergétiques et l’électricité utilisés par l’État, les autorités régionales et locales ou les autres organismes de droit public pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques jusqu’au 1er janvier 2009.

La République française peut appliquer une période transitoire allant jusqu’au 1er janvier 2009 pour adapter son système actuel de taxation de l’électricité aux dispositions prévues dans la présente directive. Jusqu’à cette date, la moyenne du niveau global de la taxation locale actuelle de l’électricité est prise en compte pour évaluer le respect des taux minima fixés dans la présente directive. »

12.      En vertu de l’article 28 :

« 1. Les États membres adoptent et publient les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 31 décembre 2003. Ils en informent immédiatement la Commission.

2. Ils appliquent les présentes dispositions à partir du 1er janvier 2004. […] .»

3.      La directive 2008/118/CE (6)

13.      La directive 92/12 a été abrogée par la directive 2008/118, dont l’article 1er, paragraphes 1 et 2, prévoit :

« 1. La présente directive établit le régime général des droits d’accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits suivants, ci-après dénommés “produits soumis à accise” :

a) les produits énergétiques et l’électricité relevant de la directive 2003/96/CE ;

[…]

2. Les États membres peuvent, à des fins spécifiques, prélever des taxes indirectes supplémentaires sur les produits soumis à accise, à condition que ces impositions respectent les règles de taxation communautaires applicables à l’accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt, ces règles n’incluant pas les dispositions relatives aux exonérations. »

14.      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1 :

«1. Les droits d’accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et dans l’État membre où celle-ci s’effectue.»

15.      L’article 9 dispose que :

« Les conditions d’exigibilité et le taux d’accise à appliquer sont ceux en vigueur à la date de l’exigibilité dans l’État membre où s’effectue la mise à la consommation.

[…] ».

16.      L’article 47, paragraphe 1, premier alinéa, déclare :

« La directive 92/12/CEE est abrogée avec effet au 1er avril 2010. »

B.      Le droit national

17.      La loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité (7) précise, à l’article 5 (8) que :

« 1. Les charges imputables aux missions de service public assignées aux opérateurs électriques sont intégralement compensées. Elles comprennent :

a) En matière de production d’électricité :

1° Les surcoûts qui résultent, le cas échéant, de la mise en œuvre des dispositions des articles 8 et 10 par rapport aux coûts évités à Électricité de France ou, le cas échéant, à ceux évités aux distributeurs non nationalisés mentionnés à l’article 23 de la loi no 46-628 du 8 avril 1946 précitée qui seraient concernés

[…]

b) En matière de fourniture d’électricité :

1° Les pertes de recettes et les coûts supportés par les fournisseurs d’électricité en raison de la mise en œuvre de la tarification spéciale “produit de première nécessité” mentionnée au dernier alinéa du I de l’article 4 ;

2° Les coûts supportés par les fournisseurs d’électricité en raison de leur participation au dispositif institué en faveur des personnes en situation de précarité mentionné au 1° du III de l’article 2. […]

Ces charges sont calculées sur la base d’une comptabilité appropriée tenue par les opérateurs qui les supportent. Cette comptabilité, établie selon des règles définies par la Commission de régulation de l’énergie […]. Le ministre chargé de l’énergie arrête le montant des charges sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie effectuée annuellement.

La compensation de ces charges, au profit des opérateurs qui les supportent, est assurée par des contributions dues par les consommateurs finals d’électricité installés sur le territoire national.

Le montant des contributions mentionnées ci-dessus est calculé au prorata de la quantité d’électricité consommée. […]

Le montant de la contribution applicable à chaque kilowattheure est calculé de sorte que les contributions couvrent l’ensemble des charges visées aux a et b […]. Le ministre chargé de l’énergie arrête ce montant sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie, effectuée annuellement. […] »

18.      Aux termes de l’article 10, paragraphe 5, alinéas 2 et 6 de la loi du 10 février 2000 (9), relatif à l’obligation d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant des énergies renouvelables :

« [...] Un décret précise les obligations qui s’imposent aux producteurs bénéficiant de l’obligation d’achat, ainsi que les conditions dans lesquelles les ministres chargés de l’économie et de l’énergie arrêtent, après avis de la Commission de régulation de l’énergie, les conditions d’achat de l’électricité ainsi produite.

[…]

Les contrats conclus en application du présent article par Électricité de France et les distributeurs non nationalisés mentionnés à l’article 23 de la loi no 46-628 du 8 avril 1946 précitée prévoient des conditions d’achat prenant en compte les coûts d’investissement et d’exploitation évités par ces acheteurs, auxquels peut s’ajouter une prime prenant en compte la contribution de la production livrée ou des filières à la réalisation des objectifs définis au deuxième alinéa de l’article 1er de la présente loi. Le niveau de cette prime ne peut conduire à ce que la rémunération des capitaux immobilisés dans les installations bénéficiant de ces conditions d’achat excède une rémunération normale des capitaux, compte tenu des risques inhérents à ces activités et de la garantie dont bénéficient ces installations d’écouler l’intégralité de leur production à un tarif déterminé. Les conditions d’achat font l’objet d’une révision périodique afin de tenir compte de l’évolution des coûts évités et des charges mentionnées au 1 de l’article 5.

[…]. »

19.      Conformément à l’article 8 du décret 2001-410, du 10 mai 2001 (10), relatif aux conditions d’achat de l’électricité produite par des producteurs bénéficiant de l’obligation d’achat, adopté dans l’objectif d’appliquer les dispositions antérieures :

« Des arrêtés des ministres chargés de l’économie et de l’énergie, pris après avis du Conseil supérieur de l’énergie et après avis de la Commission de régulation de l’énergie, fixent les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations bénéficiant de l’obligation d’achat prévue par l’article 10 de la loi du 10 février 2000 susvisée. […] ».

20.      À la suite de la procédure en manquement lancée par la Commission en 2010, la République française a adopté la loi no 2010-1448, du 7 décembre 2010, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (également appelée loi NOME) (11). En vertu de l’article 23 de cette loi, la CSPE a été remplacée par la taxe communale et la taxe départementale sur la consommation finale d’électricité. Ces nouvelles taxes sont entrées en vigueur le 1er janvier 2011.

II.    Le litige au principal et les questions préjudicielles

21.      Selon l’ordonnance de renvoi, le 17 décembre 2010, la société Praxair, aux droits de laquelle s’est substituée la société Messer France, a demandé le remboursement de la CSPE qu’elle avait acquittée de 2005 à 2009, y compris des intérêts moratoires.

22.      Le Tribunal administratif de Paris (France), qu’elle avait saisi de cette demande, l’a rejetée par jugement du 6 juillet 2012.

23.      La société Praxair a interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Paris (France). Avant de se prononcer, cette juridiction a décidé de déférer au Conseil d’État, auquel elle a posé plusieurs questions pour examen. Après avoir posé une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel (France), qui l’a tranchée par décision du 8 octobre 2014 (12), le Conseil d’État a répondu à la Cour administrative d’appel le 22 juillet 2015.

24.      Le 23 février 2016, cette cour a rendu un arrêt par lequel elle rejetait l’appel de Praxair.

25.      Messer France, se substituant aux droits et obligations de Praxair, a formé contre l’arrêt rendu en deuxième instance un pourvoi devant le Conseil d’État, qui pose à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1. Lorsqu’un État membre n’a, après l’entrée en vigueur de la [directive 2003/96] pris, dans un premier temps, aucune disposition tendant à créer une accise sur la consommation d’électricité, mais a maintenu une imposition indirecte créée antérieurement frappant cette consommation, ainsi que des taxes locales :

« - la compatibilité de l’imposition en question avec les directives [92/12] et [2003/96] doit-elle s’apprécier au regard des conditions posées par l’article 3, paragraphe 2, de la directive [92/12] à l’existence d’une “autre imposition indirecte”, à savoir la poursuite d’une ou plusieurs finalités spécifiques et le respect de certaines règles de taxation applicables à l’accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée ? ».

« - ou le maintien d’une “autre imposition indirecte” n’est-il possible qu’en présence de l’accise harmonisée et, enfin, dans cette hypothèse, la contribution en question pourrait-elle être regardée comme étant une telle accise, dont la compatibilité avec ces deux directives devrait alors s’apprécier au regard de l’ensemble des règles d’harmonisation qu’elles prévoient ? ».

« 2. Une contribution assise sur la consommation d’électricité dont les recettes sont affectées à la fois au financement de dépenses liées à la production d’électricité à partir de sources renouvelables et de la cogénération et à la mise en œuvre d’une péréquation tarifaire géographique et d’une réduction du prix de l’électricité pour les ménages en situation de précarité doit-elle être regardée comme poursuivant des finalités spécifiques pour l’application des dispositions de l’article 3, paragraphe 2, de la directive du 25 février 1992, reprises à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive du 16 décembre 2008 ? ».

« 3. Dans l’hypothèse où seules certaines des finalités poursuivies pourraient être qualifiées de spécifiques, au sens de ces dispositions, les contribuables peuvent-ils néanmoins prétendre au remboursement total de la contribution litigieuse, ou seulement à un remboursement partiel en fonction de la part, dans le total des dépenses qu’elle finance, de celles qui ne correspondraient pas à une finalité spécifique ? ».

« 4. Dans l’hypothèse où, selon la réponse apportée aux précédentes questions, le régime de la contribution au service public de l’électricité soit, en tout ou partie, incompatible avec les règles de taxation de l’électricité prévues par le droit de l’Union, le second alinéa du paragraphe 10 de l’article 18 de la directive du 27 octobre 2003 doit-il s’interpréter en ce sens que, jusqu’au 1er janvier 2009, le respect des niveaux minima de taxation prévus par cette directive constitue, parmi les règles de taxation de l’électricité prévues par le droit de l’Union, la seule obligation s’imposant à la France ? ».

26.      Des observations écrites ont été déposées par la société Messer France, les gouvernements français, espagnol, italien et belge, ainsi que par la Commission. Tous (à l’exception du gouvernement italien) ont assisté à l’audience du 13 décembre 2017.

III. Réponse aux questions préjudicielles

A.      Sur la nature fiscale de la CSPE

27.      Avant d’analyser les questions préjudicielles, j’estime nécessaire d’aborder les doutes relatifs à la nature (fiscale ou non) de la CSPE, en tant que condition déterminant sa compatibilité avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12.

28.      Si la CSPE n’était pas un impôt au sens du droit de l’Union, elle ne pourrait pas être considérée comme une TIFS, ce qui exclurait l’application de la directive 92/12. Dans ce cas, rien ne se serait opposé au maintien de cette contribution (pendant la période où elle était en vigueur) par la France, sans que cela présente des difficultés.

29.      La juridiction de renvoi affirme que la CSPE est une imposition indirecte et ne remet pas en cause sa nature fiscale. Cependant, dans ses observations écrites, le gouvernement italien, tout en admettant qu’il s’agit d’une contribution patrimoniale obligatoire prévue par la loi, estime qu’elle n’a pas une nature fiscale, de sorte qu’elle ne relèverait pas du champ d’application des directives 92/12 et 2008/118. Les gouvernements espagnol et belge se sont ralliés à ce point de vue lors de l’audience.

30.      Dans mes conclusions dans l’affaire IRCCS – Fondazione Santa Lucia (13), j’ai argumenté que le prélèvement par lequel, en Italie, les « coûts généraux du système électrique » sont couverts était une prestation patrimoniale dont le caractère n’était pas fiscal (14), qui n’avait pas l’apparence (ni le caractère) d’un impôt. C’est ce qu’avait déclaré très clairement le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) dans son ordonnance de renvoi. Concrètement, j’ai considéré qu’il n’avait pas une structure fiscale analogue aux accises harmonisées ou à la TVA et qu’il ne pouvait pas être inclus dans la catégorie des TIFS, aux fins de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118.

31.      Dans son arrêt IRCCS – Fondazione Santa Lucia, la Cour n’a pas retenu ma proposition et n’a pas opéré de distinction entre les impôts et les prestations patrimoniales publiques non fiscales. Partant de l’idée (bien fondée) que la qualification d’une imposition, d’une taxe, d’un droit ou d’un prélèvement au regard du droit de l’Union incombe à la Cour en fonction des caractéristiques objectives de l’imposition, indépendamment de la qualification qui lui est donnée dans le droit national (15), la Cour s’est bornée à indiquer trois caractéristiques inhérentes aux impositions indirectes :

–        en premier lieu, l’obligation prévue par la loi de payer leur montant et, en cas de non-respect de cette obligation, la compétence des autorités pour poursuivre le redevable ;

–        en deuxième lieu, la destination des montants exigés, qui doivent financer des objectifs d’intérêt général, selon les critères de répartition établis par les autorités publiques ;

–        en troisième lieu, la possibilité de les répercuter sur le consommateur final du bien ou du service fourni en les incluant dans le montant de la facture qui lui est adressée, dont le montant est habituellement proportionnel aux quantités de produit ou de service consommées (16).

32.      Toutefois, la Cour a entièrement laissé au juge national italien le soin de vérifier si le prélèvement destiné à couvrir les coûts généraux de son système électrique remplissait ou non les conditions prévues à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 (à savoir « si, d’une part, cette imposition poursuit une ou plusieurs finalités spécifiques et si, d’autre part, elle respecte les règles de taxation applicables pour les besoins des accises ou de la TVA pour la détermination de la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt, ces règles n’incluant pas les dispositions relatives aux exonérations ») (17).

33.      Je n’insisterai pas sur une polémique qui pourrait paraître académique (18). Selon moi, pour marquer les différences entre ces deux notions, il est pertinent que les recettes des contributions patrimoniales publiques non fiscales se situent en dehors du budget de l’État, à savoir qu’ils ne soient pas destinés à couvrir des besoins publics que les autorités nationales doivent financer. Il importe également que les autorités fiscales nationales n’interviennent pas dans l’exercice des prérogatives habituelles du fisc pour les gérer et les recouvrer.

34.      Faire abstraction de ces caractéristiques rend floue notamment la notion de recettes fiscales au point que la doctrine juridique en la matière perd probablement tout son sens (19). En même temps, cela limite à l’excès la liberté du législateur de chaque État qui, si ce contrôle devait perdurer, pourrait être contraint de reconnaître un caractère fiscal aux tarifs de prestation de certains services publics lorsque, pour calculer leur montant (fixé par les autorités publiques), les coûts encourus pour les fournir, qu’ils soient directs ou indirects et généraux, sont pris en compte.

35.      Je reconnais néanmoins que la CSPE, tout en partageant certains traits avec le prélèvement italien susmentionné, présente certaines caractéristiques qui pourraient la rapprocher des impositions indirectes. Cette qualification, comme je l’ai déjà précisé, ne semble ni contestée par la juridiction de renvoi, ni remise en cause dans le droit français (20). Parmi ces traits, comme il a été précisé à l’audience, il ressort que les autorités publiques (comme la commission de régulation de l’énergie) sont compétentes pour demander le paiement avec les intérêts moratoires aux usagers qui ne s’acquittent pas de la CSPE et pour émettre contre eux un titre exécutoire.

36.      Étant donné qu’en dernière instance, il appartiendra à la juridiction de renvoi de juger définitivement de la nature fiscale (ou non) de la CSPE, au vu des larges critères utilisés par la Cour pour l’attribuer à certaines contributions obligatoires payées par les consommateurs de certains produits ou services, je partirai de ce postulat dans le développement des présentes conclusions, tout en réitérant mon souhait qu’il soit fait preuve d’une plus grande rigueur intellectuelle dans l’analyse de la figure des impositions indirectes (21).

B.      Réglementation applicable au présent litige (quatrième question préjudicielle)

37.      Il pourrait être opportun de répondre en premier lieu à la question par laquelle la juridiction de renvoi demande à la Cour des éclaircissements sur l’article 18, paragraphe 10, deuxième alinéa de la directive 2003/96, afin de préciser la réglementation applicable au litige.

38.      Du 1er janvier 2004 au 1er avril 2010, la taxation indirecte de l’électricité était régie par la directive 92/12, en vertu de l’article 3 de la directive 2003/96 (22). Celle-ci a étendu à l’énergie électrique les dispositions de la directive 92/12, qui n’étaient jusqu’à cette date applicables qu’aux accises sur les hydrocarbures, l’alcool, les boissons alcoolisées et les tabacs manufacturés.

39.      Or, il a été reconnu à la République française (article 18, paragraphe 10, deuxième alinéa de la directive 2003/96) une période de transition, s’étendant jusqu’au 1er janvier 2009, pour qu’elle puisse adapter son régime fiscal de l’électricité à cette directive.

40.      Selon cet article, pendant cette période transitoire, la France devait prendre en compte le niveau global moyen de la taxation locale de l’électricité pour évaluer le respect des taux minima fixés dans la directive 2003/96. Cette obligation impliquait que, du 1er janvier 2004 au 1er janvier 2009, la France devait s’assurer que la somme de la CSPE et des autres accises (communales et départementales) (23) sur la consommation d’électricité dépasse lesdits taux ou niveaux minima.

41.      La République française n’a pas respecté (24) cette période de transition, en ne transposant la directive 2003/96 en droit national que lors de l’adoption de la loi no 2010-1488 (25), du 7 décembre 2010, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2011 (26).

42.      Il ressort de l’ensemble de ces dispositions que l’article 18, paragraphe 10, deuxième alinéa, de la directive 2003/96 autorisait la République française à maintenir, jusqu’au 31 décembre 2008, son système de taxation national sur l’électricité sans le soumettre à la directive 92/12, avec « la seule obligation » (27) de respecter les taux minima d’imposition qu’elle fixe. Jusqu’à cette date, donc, et sous réserve de ce qui est susmentionné, la France était libre d’appliquer la CSPE sans devoir s’interroger sur sa compatibilité ou non avec ladite directive.

43.      Le corollaire de ce qui précède est que si ces taux ont été respectés (ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier), ceux qui ont payé la CSPE due avant le 1er janvier 2009 ne peuvent pas demander son remboursement en invoquant la prétendue violation des directives 92/12 et 2003/96.

C.      La compatibilité de la CSPE avec l’accise sur l’électricité (première question préjudicielle)

44.      Messer France considère que la mise en œuvre de l’accise harmonisée sur la consommation d’électricité est une condition sine qua non pour qu’un État membre puisse maintenir ou établir une autre imposition indirecte sur la consommation d’électricité au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12.

45.      Selon elle, la possibilité d’appliquer une autre imposition indirecte est la manifestation d’un pouvoir d’imposition résiduel des États (28), dont l’exercice est complémentaire et subordonné à la mise en œuvre de l’accise harmonisée (29). La directive 2008/18, dont l’article 1er, paragraphe 2, a remplacé l’expression « autres impositions indirectes » par celle de « taxes indirectes supplémentaires » aurait explicité cette subordination.

46.      Je ne suis pas d’accord avec ces arguments. En premier lieu, la directive 2008/118 n’est pas applicable ratione temporis au présent litige, bien que la teneur de son article 1er, paragraphe 2, coïncide en substance avec celle de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12 (30). Si certaines versions linguistiques (la française ou la roumaine) de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 mentionnent des taxes indirectes supplémentaires, la plupart (les versions anglaise, portugaise, espagnole ou italienne notamment) se réfèrent à d’ « autres prélèvements indirects », ce qui écarte l’idée de leur subordination à la mise en œuvre préalable de l’accise harmonisée, conformément à la finalité de cette directive. Cette interprétation est conforme à la structure générale et à la finalité de la directive 2008/118 (31).

47.      En deuxième lieu, lorsqu’il se réfère aux « autres impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques », le libellé de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12 ne comporte pas de mentions impliquant qu’il faille subordonner leur application à la mise en œuvre préalable de l’accise harmonisée.

48.      Cette thèse est renforcée par le fait qu’en vertu du troisième considérant de la directive 92/12, les produits soumis à accise peuvent « faire l’objet d’autres impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques ; […] le maintien ou l’introduction d’autres impositions indirectes ne doivent pas donner lieu à des formalités liées au passage d’une frontière ».

49.      Dans le même esprit, la Cour a mentionné « la faculté, prévue à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12, de maintenir ou d’instaurer des impositions nationales poursuivant des fins spécifiques pour les produits soumis à l’accise harmonisée » (32). Cette faculté est en contraste avec l’obligation des États membres de mettre en œuvre l’accise harmonisée : il en ressort que ces prélèvements ne sont pas liés et qu’il n’est pas indispensable de la mettre en œuvre pour les maintenir ou les introduire.

50.      En troisième lieu, dans l’arrêt Commission/France, la Cour a considéré que le Conseil avait adopté l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12 « compte tenu de la diversité des traditions fiscales des États membres en la matière et du recours fréquent aux impositions indirectes pour la mise en œuvre de politiques non budgétaires » (33). Cette circonstance corrobore encore le fait que ces autres impositions indirectes ont une existence indépendante et non subordonnée à celle de l’accise harmonisée.

51.      J’estime donc que l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12 doit être interprété en ce sens que le maintien ou l’introduction d’une imposition indirecte poursuivant des finalités spécifiques ne sont pas subordonnés à la mise en œuvre préalable de l’accise harmonisée.

D.      La CSPE en tant qu’imposition indirecte poursuivant des finalités spécifiques (deuxième question préjudicielle)

52.      Étant donné que, dans le présent litige, la société Messer France demande le remboursement de la CSPE dont la société Praxair s’est acquittée entre 2005 et 2009 avec les intérêts moratoires, seules les directives 92/12 et 2003/96 sont applicables ratione temporis. Nonobstant, la jurisprudence de la Cour sur la directive 2008/118 doit également être prise en considération car même si elle a abrogé la directive 92/12 à partir du 1er avril 2010, sa teneur est en substance la même (34).

53.      L’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12 permet aux États membres, outre la mise en œuvre de l’accise harmonisée sur la consommation d’électricité, d’introduire ou de maintenir d’« autres impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques ».

54.      Les TIFS sont prises en compte, avec l’accise harmonisée, aux fins de l’application de la directive 2003/96, étant donné qu’en vertu de son article 4, paragraphe 1, les niveaux de taxation que les États membres appliquent à l’électricité ne peuvent être inférieurs aux niveaux minima prévus par cette directive (35).

55.      Comme je viens de le préciser, selon la jurisprudence de la Cour, en tant qu’exception à la règle générale, la tolérance des TIFS prend sa source dans la diversité des traditions fiscales des États membres en la matière et dans le recours fréquent aux impositions indirectes pour appliquer des politiques non budgétaires. C’est la raison pour laquelle il leur est loisible d’introduire, outre l’accise minimale, d’autres impositions indirectes qui poursuivent un objectif spécifique (36).

56.      En tant qu’exception à la règle générale en vertu de laquelle la consommation d’électricité n’est soumise qu’à l’accise harmonisée et à la TVA, la Cour l’a interprétée jusqu’à présent de manière stricte (37). En outre, la marge de manœuvre des États membres apparaît limitée par les deux conditions absolues, que les TIFS doivent remplir cumulativement, à savoir :

–        la poursuite d’une finalité spécifique ;

–        le respect des règles de taxation applicables pour les besoins des accises ou de la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt (38).

57.      Dans ces conditions, il convient de vérifier si l’on peut considérer que la CSPE est une TIFS.

1.      La poursuite d’une finalité spécifique

58.      La Cour a établi des critères (rigoureux) pour apprécier cette première condition :

–        une finalité spécifique doit toujours avoir un but autre que purement budgétaire. Cependant, dès lors que toute imposition poursuit nécessairement une finalité budgétaire, cette circonstance ne saurait, en tant que telle, suffire à exclure qu’elle puisse être considérée comme ayant également une finalité spécifique au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12 (39) ;

–        l’affectation prédéterminée du produit d’une imposition au financement de certains besoins publics pourrait constituer un élément à prendre en considération afin d’identifier l’existence d’une finalité spécifique, toutefois, une telle affectation, qui relève d’une simple modalité d’organisation interne du budget d’un État membre, ne saurait, en tant que telle, constituer une condition suffisante à cet égard. Un État membre pourrait décider d’imposer, l’affectation du produit d’une imposition au financement de dépenses déterminées et transformerait ainsi toute imposition indirecte en TIFS (40) ;

–        l’existence d’une finalité spécifique n’est pas établie par la seule affectation des recettes de l’imposition considérée au financement de dépenses générales incombant à la collectivité publique dans un domaine donné, dans le cas contraire, ladite fin prétendument spécifique ne saurait être distinguée d’une finalité purement budgétaire.

–        il importe que l’imposition en question vise, par elle-même, à assurer la réalisation de la fin spécifique invoquée, et donc qu’il existe un lien direct entre l’utilisation des recettes de l’imposition et ladite fin spécifique. En l’absence d’un tel mécanisme d’affectation prédéterminée des recettes, elle ne saurait être considérée comme poursuivant une fin spécifique que si cette imposition est conçue, en ce qui concerne sa structure (notamment la matière imposable ou le taux d’imposition) d’une manière telle qu’elle influence le comportement des contribuables dans un sens permettant la réalisation de la fin spécifique invoquée, par exemple en taxant fortement les produits considérés afin de décourager leur consommation (41).

59.      Les gouvernements français et espagnol estiment que la CSPE est affectée à la réalisation de finalités spécifiques dont le caractère n’est pas purement budgétaire. Toutefois, Messer France et la Commission allèguent qu’elle poursuit une pluralité d’objectifs environnementaux et sociaux, dont certains sont contradictoires et dont elle ne promeut pas la réalisation, ce pourquoi elle ne respecte pas les conditions dégagées par la Cour que nous venons d’énumérer.

60.      La juridiction de renvoi indique que la CSPE a été instaurée pour financer les coûts des différentes obligations de service public imposées aux fournisseurs d’électricité. Conformément à l’article 5 de la loi du 10 février 2000, les produits de la CSPE étaient destinés, pendant les années concernées par le litige, à trois types de coûts :

–        le paiement des surcoûts résultant de l’obligation d’achat, par les fournisseurs, de l’électricité obtenue à partir de sources d’énergie renouvelables et par cogénération, pour promouvoir la production d’électricité provenant de ces sources d’énergie ;

–        la compensation des surcoûts de production dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental ;

–        les pertes de recettes et les coûts de gestion supplémentaires supportés par les fournisseurs d’électricité en conséquence, d’une part, de l’application de la tarification spéciale de l’électricité considérée comme « produit de première nécessité » et, d’autre part, de leur participation au régime en faveur des personnes en situation de précarité.

61.      Outre ces finalités, les fonds collectés au moyen de la CSPE étaient également destinés à couvrir les coûts inhérents au fonctionnement administratif du médiateur national de l’énergie (ci-après le « médiateur ») et de la Caisse des dépôts et consignations pour la gestion de la CSPE (ci-après la « caisse des dépôts »).

62.      Les consommateurs finaux d’électricité payaient la CSPE aux fournisseurs en fonction de la consommation apparaissant dans leur facture (proportionnellement aux kilowatts consommés). Les fournisseurs versaient ce montant à la caisse des dépôts, après avoir compensé la CSPE collectée et les coûts encourus en application des objectifs de service public qu’elle poursuivait. La caisse des dépôts redistribuait le reste entre les fournisseurs d’électricité pour payer les coûts des obligations de service public.

63.      Le pourcentage de la CSPE était établi par le ministre compétent, sur proposition de la commission de régulation de l’énergie, compte tenu des coûts projetés des obligations de service public du secteur électrique. En cas de déficit, celui-ci était financé par une augmentation de la CSPE au cours des exercices budgétaires postérieurs.

64.      Les fonds perçus avec la CSPE n’étaient pas intégrés au budget de l’État, mais étaient versés à la caisse des dépôts. Comme je l’ai précisé, ils étaient destinés à couvrir les objectifs liés au service public électrique autres que la finalité purement budgétaire.

65.      Or, comme le précise la Cour, l’affectation prédéterminée des produits d’une imposition au financement de certains besoins publics ne constitue qu’un indice du fait que cette imposition poursuit une finalité spécifique. Cette affectation peut relever d’une simple modalité d’organisation interne du budget d’un État membre (42).

66.      Selon ce critère, les produits de la CSPE destinés aux coûts de fonctionnement du médiateur et de la caisse de dépôts auraient une finalité purement budgétaire, c’est-à-dire qu’ils pourraient être considérés comme des recettes destinées à financer un poste de dépenses générales de l’État, lesquelles pourraient aisément figurer dans le budget de l’État. Sur ce point, on ne pourrait donc reconnaître la nature de TIFS à la CSPE.

67.      Même si cela est moins clair, il me semble qu’il en va de même avec les produits de la CSPE affectés à des finalités à caractère social (la tarification spéciale de l’électricité considérée comme « produit de première nécessité » et la participation au régime en faveur des personnes en situation précaire) ou au moyen desquelles l’État tente de compenser certains désavantages découlant de facteurs géographiques ou territoriaux (à savoir compenser les surcoûts de production dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental).

68.      Je suis d’accord avec la Commission sur le fait que, sur ces deux points, les recettes de la CSPE répondent à des besoins publics d’ordre social ou territorial qui sont normalement financés par le budget de l’État.

69.      De fait, ces objectifs sociaux et de cohésion territoriale ont justifié l’évolution postérieure de la législation française qui s’est concrétisée par la loi 2015-1786 (43). À partir de ce moment, les prélèvements du service public de l’électricité et du gaz sont intégrés au budget de l’État français et la CSPE fusionne avec la taxe sur la consommation finale d’électricité (accise harmonisée) (44).

70.      En revanche, je suis d’avis que l’affectation de la CSPE au paiement des surcoûts résultant de l’obligation d’achat (par les fournisseurs) de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelable et par cogénération poursuit une finalité spécifique au sens de la jurisprudence de la Cour sur les TIFS.

71.      Dans cette affectation, il existe un lien suffisant entre l’utilisation des produits de l’imposition et la finalité spécifique de promouvoir l’énergie verte (45). La CSPE encourage la production d’électricité à partir de sources renouvelables et par cogénération (46), au financement de laquelle elle contribue, de telle sorte qu’en soi, elle poursuit la réalisation de la finalité spécifique invoquée (47).

72.      En réalité, la Commission (48) (qui dans cette affaire adopte une position différente, insuffisamment expliquée) a reconnu que la composante A 3, parmi celles que le prélèvement italien affecte au financement des coûts généraux du système électrique, et dont l’objectif particulier était de financer la production électrique à partir de sources d’énergie renouvelables et par cogénération (à savoir la composante analogue à l’une de celles que couvre la CSPE) est une TIFS.

73.      Je pourrais arguer en sens contraire que la promotion de l’électricité verte aussi est un objectif dont le financement pourrait être imputé sur des fonds publics provenant du budget de l’État. Et certes, cette possibilité existe toujours, étant donné que les parlements nationaux sont souverains pour intégrer aux budgets des États les postes qu’ils considèrent opportuns. Or, si ce fait devenait le critère d’interprétation ultime de l’exception prévue à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 91/12 pour les TIFS, je crains qu’aucune imposition indirecte ne puisse relever de cette exception.

74.      Il est vrai que, jusqu’à présent, aucune des impositions analysées par la Cour n’a rempli les conditions exigeantes qu’elle a dégagées par sa jurisprudence pour analyser la légalité des TIFS. Toutefois, si cette exception existe, et il y a lieu de reconnaître un effet utile à sa prévision par la directive 92/12, elle ne devrait pas être neutralisée par la voie jurisprudentielle. Je crois que, dans sa composante destinée à la promotion de l’électricité verte, la CSPE offre pour la première fois l’opportunité à la Cour d’admettre une TIFS dans le cadre de cette directive.

75.      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les différents raisonnements avancés au cours du présent litige. La juridiction de renvoi précise que le montant de l’obligation d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant les énergies renouvelables à un prix supérieur à sa valeur de marché (correspondant à la différence entre le tarif de rachat par les acheteurs obligés et le coût, lié à l’acquisition de l’électricité correspondante, leur étant évité ) ne dépendait pas du produit de la CSPE. Or, bien qu’il n’existe pas de lien direct entre la collecte par la       CSPE et la quantité spécifique d’aide octroyée aux producteurs d’électricité verte, il est indéniable qu’un pourcentage élevé des montants provenant de la CSPE était destiné au financement de cette aide (49).

76.      Le fait que le produit de la CSPE ait été distribué, chaque année, suivant les critères fixés par la commission de régulation de l’énergie et les décisions du ministère compétent en matière énergétique, et que la législation française n’ait pas préétabli les pourcentages du produit de la CSPE affectés à chaque objectif ne fait pas non plus obstacle à sa qualification en tant que TIFS.

77.      En ce sens, je considère que les États membres doivent disposer d’une certaine marge de manœuvre lorsqu’ils élaborent une TIFS compatible avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12. Cette marge comprend la possibilité d’indiquer avec flexibilité la destination du produit, ainsi que celle d’ajuster le montant de la taxe en fonction des circonstances, ces décisions pouvant être déléguées aux autorités publiques compétentes. Ce qui importe, je le réaffirme, est qu’en pratique, environ 70 % du produit de la CSPE étaient destinés à la promotion de l’électricité verte.

78.      Le fait que la CSPE ne permettait pas, en soi, de favoriser la consommation d’électricité verte ou d’encourager le consommateur à l’acheter plutôt que l’électricité provenant de sources non renouvelables, me semble encore moins un obstacle à sa classification en tant que TIFS. En ce qui concerne l’électricité, à la différence d’autres biens soumis à accises (comme l’alcool ou le tabac), il est manifestement difficile de distinguer celle qui provient de sources d’énergie renouvelables de celle qui provient de combustibles fossiles ou d’autres sources, une fois qu’elle est injectée dans le réseau de distribution. Je rappelle, toutefois, que la Cour exige uniquement que la TIFS soit structurée de manière à décourager la consommation du produit par les consommateurs lorsqu’il n’existe pas de mécanisme d’affectation prédéterminée des recettes. C’est le cas de la CSPE, comme je l’ai déjà précisé (50).

79.      Eu égard aux explications qui précèdent, je considère que la CSPE répond à la condition relative à la poursuite d’une finalité spécifique et peut être qualifiée de TIFS compatible avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12, pour la partie correspondant au produit destiné au paiement des surcoûts découlant de l’obligation d’achat de l’électricité provenant des sources d’énergie renouvelables et de la cogénération.

2.      Similitudes entre une TIFS et l’accise harmonisée ou la TVA

80.      Pour relever de l’exception prévue à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12, une imposition indirecte doit non seulement poursuivre une finalité spécifique, mais également respecter les dispositions applicables aux accises ou à la TVA en matière de détermination de la base imposable, de calcul, d’exigibilité et de contrôle de l’impôt. En ce qui concerne ces éléments de l’imposition, elle doit donc présenter des caractéristiques analogues soit aux accises harmonisées par l’Union, soit à la TVA.

81.      Lorsqu’elle a interprété cette disposition, la Cour a déclaré que « l’article 3, paragraphe 2, de la directive sur les accises ne requiert pas des États membres le respect de toutes les règles relatives aux accises ou à la TVA en matière de détermination de la base imposable, de calcul, d’exigibilité et de contrôle de l’impôt » et qu’« il suffit que les impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques soient conformes, sur ces points, à l’économie générale de l’une ou de l’autre de ces techniques d’imposition telles qu’elles sont organisées par la réglementation communautaire » (51).

82.      La structure de la CSPE n’est pas assimilable à celle de la TVA, étant donné que son montant n’est pas proportionnel au prix du bien qu’elle frappe, mais est calculé sur le volume de l’énergie électrique consommée ; sa perception se fait au moment de la consommation, et non à toutes les étapes du processus de production et de distribution et enfin, elle frappe un bien déterminé (l’électricité) et elle ne revêt pas un caractère général.

83.      Par conséquent, il faut rechercher la similitude de la CSPE dans le contexte de la technique propre aux accises. Je me rallie aux appréciations de la juridiction de renvoi, qui a mis en relief plusieurs éléments similaires à ceux des accises dans la structure de la CSPE.

84.      En ce qui concerne le calcul de la base imposable et de la liquidation, concrétisée par le montant exigible, la CSPE présente des similitudes claires avec les accises. L’électricité est frappée en fonction des kilowatts consommés, à un taux qui est passé de 3 euros/MWh en 2003 à 20 euros/MWh en 2015 (52), à l’instar de ce qui se passe avec ces autres impôts.

85.      En ce qui concerne l’exigibilité, dans le cas des accises, elle se produit au moment de la fourniture de l’électricité (53). L’article 5 de la loi du 10 février 2000, en vigueur à l’époque, prévoyait également que la CSPE serait exigible au moment du paiement de la facture par le consommateur. Par conséquent, l’élément temporel de l’exigibilité coïncide avec la fourniture de l’électricité, de manière analogue à ce que prévoient les directives 92/12 et 2003/96.

86.      Contrairement à l’accise harmonisée sur l’électricité, pour laquelle le redevable est le distributeur ou le redistributeur d’électricité (article 21, paragraphe 5, de la directive 2003/96), dans le cas de la CSPE, le redevable est le consommateur final. Or, l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12 ne requiert pas que les TIFS présentent une similitude avec la TVA ou les accises en ce qui concerne les dispositions relatives au redevable de l’imposition.

87.      En ce qui concerne également l’établissement de plafonds, il existe une concordance entre la CSPE et les accises. Dans la première, « le montant total dû au titre de la contribution au service public de l’électricité par toute société industrielle consommant plus de 7 gigawatt-heures d’électricité par an est plafonné à 0,5 % de sa valeur ajoutée » (54). Ce plafonnement est en concordance avec l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/96 (55) et, dès lors, respecte le système général de calcul des accises prévu par le droit de l’Union.

88.      Enfin, en ce qui concerne le « contrôle de l’impôt », il est vrai que la gestion de la CSPE diffère en partie de celle d’autres impôts indirects. La législation française prévoit son paiement par les consommateurs finals d’électricité, sous la forme d’un prélèvement s’ajoutant au tarif de l’électricité qui figure dans leur facture, de sorte que les fournisseurs d’électricité étaient ceux qui prélevaient la CSPE et qui versaient les fonds à la caisse de dépôts, laquelle les distribuait entre les opérateurs du système électrique. Or, comme je l’ai déjà souligné (56), il existe une intervention publique permettant d’assurer la perception de ce prélèvement, laquelle s’apparente à d’autres mécanismes de contrôle applicables aux autres impositions, et les litiges entre les autorités publiques qui réclament leur paiement et émettent des titres exécutoires à l’encontre des redevables qui ne s’en sont pas acquittés à temps sont tranchés par la juridiction administrative.

89.      Prise en considération globalement, la CSPE respecte donc les dispositions applicables aux accises (en ce qui concerne la détermination de la base imposable, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt), telles que prévues à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12. Or, il s’agit de l’une des deux conditions cumulatives requises. Il est en outre exigé que la CSPE poursuive des finalités spécifiques, une condition qu’elle ne remplit qu’en ce qui concerne le produit destiné aux aides à l’électricité verte.

90.      En somme, je considère que la CSPE peut être considérée comme compatible avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12 sur ce point, et incompatible en ce qui concerne le produit destiné à la poursuite de ses autres objectifs.

E.      Le régime du remboursement des sommes indûment versées (troisième question préjudicielle)

91.      La juridiction de renvoi interroge la Cour sur le régime du remboursement total ou partiel de la CSPE, dans l’hypothèse où sa nature de TIFS serait admise (totalement ou partiellement également).

92.      En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, le droit d’obtenir le remboursement de taxes perçues par un État membre en violation des règles du droit de l’Union est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions du droit de l’Union, telles qu’elles ont été interprétées par la Cour (57). L’État membre est donc tenu, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit de l’Union (58). Cette obligation de remboursement tend à remédier aux conséquences de l’incompatibilité de la taxe avec le droit de l’Union en neutralisant la charge économique qu’elle a fait indûment peser sur l’opérateur qui l’a, en définitive, effectivement supportée (59).

93.      Dans un souci de cohérence avec ma proposition contenue aux points ci-dessus, en vertu de laquelle la CSPE, pour ce qui concerne le paiement des surcoûts résultant de l’obligation d’achat de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables et par cogénération, remplit les conditions établies à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12, j’estime qu’elle n’enfreint pas cette disposition et que, par conséquent, il n’y a pas lieu de la rembourser, sous l’angle du droit de l’Union.

94.      Par contre, les assujettis pourront réclamer à l’État français le remboursement des sommes indûment versées au titre de la CSPE, dans la proportion où son produit a été affecté aux autres objectifs non spécifiques, étant donné que pour cette partie elle n’est pas compatible avec le droit de l’Union. Il appartient à la juridiction de renvoi de fixer ce pourcentage, eu égard aux données publiées par la commission de régulation de l’énergie ou aux autres données officiellement accessibles.

95.      L’obligation de remboursement est par ailleurs soumise aux limites temporelles d’ordre général (délais de prescription) et ne concerne que les sommes indûment versées à partir du 1er janvier 2009 (60). Il reviendra en outre au juge national de vérifier si Messer était un consommateur final d’électricité (61) qui ne disposait de la possibilité de répercuter le montant de la CSPE sur une autre personne.

IV.    Conclusion

96.      Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par le Conseil d’État (France) de la façon suivante :

« 1) L’article 18, paragraphe 10, deuxième alinéa, de la directive2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité permettait à la République française de maintenir son système national de taxation de l’électricité jusqu’au 31 décembre 2008, avec la seule obligation de respecter les taux minima fixés par cette directive.

2)       L’article 3, paragraphe 2, de ladirective 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, doit être interprété en ce sens que le maintien ou l’introduction d’une imposition indirecte poursuivant des finalités spécifiques ne sont pas subordonnés à la mise en œuvre préalable de l’accise harmonisée.

3) L’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12 doit être interprété en ce sens que :

–        une contribution basée sur la consommation d’électricité, comme celle litigieuse en l’espèce, ne peut être qualifiée d’imposition indirecte poursuivant des finalités spécifiques, dans la mesure où son produit est destiné à la compensation tarifaire géographique, à la réduction du prix de l’électricité pour les familles et les personnes en situation de précarité ainsi qu’au paiement des coûts de fonctionnement d’institutions publiques.

–        par contre, cette contribution peut être qualifiée d’imposition indirecte poursuivant des finalités spécifiques compatible avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12, pour le pourcentage de son produit destiné à financer la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables.

4)       Les sommes indûment perçues en application d’une imposition indirecte partiellement incompatible avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12, doivent être remboursées, à hauteur du pourcentage correspondant, aux assujettis qui les ont versées, sauf si ceux-ci les ont répercutées à titre définitif ».


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Selon les informations disponibles, environ 60 000 particuliers et entreprises ont présenté des réclamations (à la Commission de régulation de l’énergie, aux ministères de l’environnement et des finances, à Électricité de France, etc.) par lesquelles ils demandent le remboursement des sommes versées au titre de la CSPE. Quelque 13 000 plaintes ont été portées contre le rejet, exprès ou tacite, de ces réclamations, dont le montant pourrait dépasser les 5 000 millions d’euros.


3      Voir les conclusions du rapporteur public du 22 janvier 2017, dans l’affaire no 399 115 SAS Messer France, p. 1. Voir également Sniadowe, C., « Contribution au service public de l’électricité : zugzwang ou cinquième as ? », Revue de droit fiscal, no 39, 2016, p. 520.


4      Directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO 1992, L 76, p. 1).


5      Directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 5).


6      Directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12).


7      JORF no 35, du 11 février 2000, p. 2143.


8      Selon la version de l’article 37 de la loi no 2003-8, du 3 janvier 2003, relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie (JORF no 3, du 4 janvier 2003, p. 265).


9      JORF no 35 du 11 février 2000, page 2143.


10      JORF no 110 du 12 mai 2001, page 7543.


11      JORF no 284, du 8 décembre 2010, p. 21467.


12      Décision du Conseil constitutionnel no 2014-419 QPC du 8 octobre 2014, JORF no 235 du 10 octobre 2014, page 16485.


13      Conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire IRCCS - Fondazione Santa Lucia (C‑189/15, EU:C:2016:287, points 58 à 64).


14      Voir les travaux de Lavilla Rubira, J.J., « Prestaciones patrimoniales públicas no tributarias impuestas a las empresas que operan en el sector eléctrico » [Prestations patrimoniales publiques non fiscales imposées aux entreprises qui opèrent dans le secteur électrique], p. 69 à 102 ; et de Gómez-Ferrer Rincón, R., « Las prestaciones patrimoniales de carácter público y naturaleza no tributaria » [les prestations patrimoniales à caractère public de nature non fiscale], p. 31 à 67, dans l’ouvrage de López Ramón, F. (dir.), Las prestaciones patrmoniales públicas no tributarias y la resolución extrajudicial de conflictos [Les prestations patrimoniales publiques non fiscales et la résolution extrajudiciaire des conflits], Instituto Nacional de Administración Pública, Madrid, 2015.


15      Arrêt du 18 janvier 2017, IRCCS – Fondazione Santa Lucia (C‑189/15, EU:C:2017:17, point 29).


16      Arrêt du 18 janvier 2017, IRCCS – Fondazione Santa Lucia (C‑189/15, EU:C:2017:17, points 31 à 40). Dans le même esprit, voir l’arrêt du 14 janvier 2016, Commission/Belgique (C‑163/14, EU:C:2016:4, point 39).


17      Arrêt du 18 janvier 2017, IRCCS – Fondazione Santa Lucia (C‑189/15, EU:C:2017:17, points 42 et 43). Dans son arrêt du 19 janvier 2018, le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) a, au final, déclaré que « la thèse tendant à ne pas qualifier [les contributions aux charges générales du système électrique] comme des impositions indirectes apparaît plus convaincante, étant donné que celles-ci ne sont pas inscrites au budget général de l’État, mais transférées sur les comptes de gestion ouverts par le fonds de péréquation du secteur électrique, pour être destinées à la promotion de l’énergie provenant de sources renouvelables et à l’efficacité énergétique, à la sécurité nucléaire et aux compensations territoriales, aux régimes tarifaires spéciaux pour la société Ferrovie dello Stato [chemins de fer nationaux], aux compensations pour les petites entreprises électriques, au soutien à la recherche dans le secteur électrique ainsi qu’au financement du “bonus électrique” et des aides pour les entreprises grosses consommatrices d’énergie et, étant donné que ces contributions sont définitivement à la charge des clients finaux, dans le cadre d’une relation à caractère tendanciellement synallagmatique, en contrepartie des prestations qu’ils reçoivent, et que le système de perception de ces contributions n’est pas analogue à celui des recettes fiscales […] il ne se poserait fondamentalement aucun doute quant à la compatibilité du régime national avec ladite directive [2003/96], car il échappe au champ d’application objectif de celle-ci ». Voir le texte de l’arrêt à l’adresse https ://www.giustizia-amministrativa.it/cdsintra/cdsintra/AmministrazionePortale/DocumentViewer/index.html ?ddocname=NYJZ55RFT 62J5COYDQUVMGYDZ4&q=Fondazione%20or%20Santa%20or%20Lucia.


18      Je ne résiste pas à l’idée de citer un éminent juriste espagnol : « déterminer la nature juridique des accords adoptés au sein des organisations semble une de ces questions qui […] ne sauraient passionner qu’un esprit dérangé par les malheurs ou une malformation du cerveau. Rien n’est plus éloigné de la réalité. Lorsque les juristes tentent d’analyser la nature juridique d’une institution, ils le font parce que le régime juridique applicable en dépend ». Jesús Alfaro, dans le blog Almacén de Derecho, le 14 octobre 2016, http ://almacendederecho.org/la-naturaleza-juridica-los-acuerdos-sociales/.


19      Comme je l’ai déjà exposé dans mes conclusions dans l’affaire IRCCS - Fondazione Santa Lucia (C‑189/15, EU:C:2016:287, points 54 et 56), le problème découle peut-être du recours à des dispositions de l’Union applicables dans un domaine proche mais qui ne recouvre pas le présent, comme celui des aides d’État, lorsqu’il s’agit de déterminer si certaines contributions pourraient être qualifiées de prélèvements parafiscaux et être soumises au même régime que les mesures d’effet équivalent et que les impositions intérieures discriminatoires. La Cour a donné à ces deux notions une définition si large que celle-ci lui a permis de les étendre à toute prestation patrimoniale imposée unilatéralement par les États membres, indépendamment de sa nature fiscale.


20      La lecture du point 16 de la décision no 2014-419 QPC, du Conseil constitutionnel (France) du 8 octobre 2014, relatif à l’article 5, de la loi 2000-108, pourrait susciter quelques doutes, étant donné qu’il se réfère au « contentieux des impositions qui ne sont ni des contributions indirectes ni des impôts directs » relevant de la juridiction administrative, dont les litiges sur la CSPE font partie.


21      Je renvoie à mes conclusions dans l’affaire IRCCS - Fondazione Santa Lucia, (C‑189/15, EU:C:2016:287, points 51 à 64)


22      L’article 28, paragraphe 2, de la directive 2003/96 indiquait le 31 décembre 2003 comme délai de transposition en droit national et, par conséquent, l’application de la directive à compter du 1er janvier 2004.


23      De 1984 jusqu’au 31 décembre 2010, les articles L. 2333-2 et L. 3333-2 du Code général des collectivités territoriales ont établi des taxes indirectes communales et territoriales, dont la base imposable était un pourcentage du prix de l’électricité facturée aux consommateurs.


24      Ce manquement a été constaté par la Cour dans l’arrêt du 25 octobre 2012, Commission/France (C‑164/11, non publié, EU:C:2012:665).


25      JORF no 284, du 8 décembre 2010, p. 21 467. Cette loi a transformé les taxes communales et départementales antérieures en une taxe communale et une autre départementale, toutes deux sur la consommation finale d’électricité, et a introduit à l’article 266 quinquies C du Code des douanes une nouvelle accise, dénommée « taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité » de plus de 250 kilowatts. À côté de cette triple accise, l’application de la CSPE s’est poursuivie sans que les dispositions la concernant aient subi de modifications.


26      À partir du 1er janvier 2016, en vertu de la loi 2015-1786 du 29 décembre 2015, de finances rectificative pour 2015, l’ancienne CSPE a été intégrée dans la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité, et a donné lieu à la nouvelle CSPE, qui est structurée comme une accise sur la consommation électrique.


27      Selon les termes employés par la juridiction de renvoi.


28      Conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Transportes Jordi Besora, (C‑82/12, EU:C:2013:694, point 15).


29      Arrêt du 24 février 2000, Commission/France (C‑434/97, EU:C:2000:98, point 19) : « [c]ette disposition vise à permettre aux États membres d’établir, en sus de l’accise minimale fixée par la directive sur les structures, d’autres impositions indirectes poursuivant une finalité spécifique, c’est-à-dire un but autre que budgétaire ».


30      Arrêt du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail, (C‑553/13, EU:C:2015:149, point 34).


31      Selon une jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’une disposition de droit communautaire est susceptible de plusieurs interprétations, il faut donner la priorité à celle qui est de nature à sauvegarder son effet utile (voir en particulier l’arrêt du 22 septembre 1988, Land de Sarre e.a., 187/87, EU:C:1988:439, point 19). En outre, en cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte communautaire, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir, en particulier les arrêts du 24 février 2000, Commission/France, C‑434/97, EU:C:2000:98, points 21 et 22 ; et du 27 mars 1990, Cricket St Thomas, C‑372/88, EU:C:1990:140, point 19).


32      Arrêt du 10 juin 1999, Braathens (C‑346/97, EU:C:1999:291, point 25).


33      Arrêt du 24 février 2000 (C‑434/97, EU:C:2000:98, point 18).


34      Arrêt du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail (C‑553/13, EU:C:2015:149, point 34).


35      On entend par « niveau de taxation » le montant total d’impôts indirects (à l’exception de la TVA) calculé directement ou indirectement sur l’électricité au moment de la mise à consommation (article 4, paragraphe 2, de la directive 2003/96).


36      Arrêts du 4 juin 2015, Kernkraftwerke Lippe-Ems (C‑5/14, EU:C:2015:354, point 58) ; et du 20 septembre 2017, Elecdey Carcelen e.a. (C‑215/16, C‑216/16, C‑220/16 et C‑221/16, EU:C:2017:705, point 58).


37      Arrêt du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2014:108, points 28 et 29) ; et du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail (C‑553/13, EU:C:2015:149, point 39).


38      Selon la doctrine spécialisée, cette disposition est peu claire. Voir notamment Berlin, D., Politique fiscale, Commentaire J. Mégret, Vol. I, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2012, p. 561.


39      Arrêts du 24 février 2000, Commission/France (C‑434/97, EU:C:2000:98, point 19) ; du 9 mars 2000, EKW et Wein & Co (C‑437/97, EU:C:2000:110, points 31 et 33) ; du 10 mars 2005, Hermann (C‑491/03, EU:C:2005:157, point 16) ; du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2014:108, points 23 et 27) ; et du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail (C‑553/13, EU:C:2015:149, points 37 et 38).


40      Arrêts du 9 mars 2000, EKW et Wein & Co (C‑437/97, EU:C:2000:110, point 35) ; du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2014:108, points 28 et 29) ; et du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail (C‑553/13, EU:C:2015:149, point 39).


41      Arrêts du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2014:108, point 32) ; et du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail (C‑553/13, EU:C:2015:149, point 42).


42      Arrêt du 9 mars 2000, EKW et Wein & Co (C‑437/97, EU:C:2000:110, point 35) ; du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2014:108, points 28 et 29) ; et du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail (C‑553/13, EU:C:2015:149, point 39).


43      Loi no 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 (JORF no 302, 2015, p. 24701). Dans l’exposé des motifs de l’article 3 du projet de cette loi, il était affirmé : « une partie des charges actuellement financées par la CSPE ne relèvent pas directement de la politique de transition énergétique, il s’agit de charges relatives aux tarifs sociaux, à la péréquation territoriale, à la cogénération et au budget du médiateur de l’énergie. Ces charges ne présentent pas de lien direct par nature avec les recettes issues de la fiscalité énergétique. Elles ont par ailleurs un caractère récurrent et seront désormais inscrites au budget général, sur un nouveau programme de la mission “Écologie, développement et mobilité durable” dont les crédits seront inscrits en 2016 par coordination du projet de loi de finances actuellement examiné au Parlement ».


44      Au cours de la procédure parlementaire concernant cette loi, différents documents ont fait référence au caractère budgétaire et général de certains des objectifs de la CSPE et à la nécessité de la modifier, et de mettre fin au manquement à l’obligation de transposer la réglementation de l’Union européenne. Voir les rapports nos 229 et 263 (2014-2015) de la commission (parlementaire) des affaires économiques, dans lesquels on peut lire : « En outre, sur le plan communautaire, il existe un risque réel de remise en cause de la CSPE actuelle avec un effet rétroactif potentiel qui se chiffrerait en milliards d’euros, au motif de son absence de finalité spécifique » « le droit communautaire n’autorise ce type d’imposition que dès lors qu’elles poursuivent des fins spécifiques ; or, la CSPE couvre aujourd’hui des charges multiples et dont la finalité “budgétaire” s’agissant au moins des mesures sociales ou de péréquation tarifaire, risquerait de n’être pas considérée comme spécifique par la Cour de justice de l’Union européenne si elle avait à en connaître ».


45      Arrêts du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2014:108, points 30 à 32) ; du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail (C‑553/13, EU:C:2015:149, points 41 et 42).


46      Arrêts du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2014:108, point 30) ; du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail (C‑553/13, EU:C:2015:149, point 41).


47      En ce sens, la CSPE diffère de la taxe sur les ventes analysée dans l’arrêt du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail (C‑553/13, EU:C:2015:149, points 43 à 46), laquelle frappait la plupart des biens et services vendus aux consommateurs finaux sur le territoire municipal de Tallin, et dont le produit était destiné par la mairie de cette ville au financement de l’exercice de sa compétence en matière d’organisation du transport public sur son territoire municipal. La Cour a considéré que la réglementation estonienne n’établissait aucun mécanisme d’affectation prédéterminée des recettes provenant de la taxe sur les ventes à des finalités environnementales ou de santé publique, en ce sens que celle-ci frappait les combustibles liquides soumis à accises. Il n’existait donc pas de lien direct entre l’utilisation des produits de cette taxe et lesdites finalités.


48      Voir le document C(2017) 3406 final, du 23 mai 2017, State Aid SA.38635 (2014/NN) – Italy – Reductions of the renewable and cogeneration surcharge for electro-intensive users in Italy [réductions sur les prélèvements servant à financer le soutien à l’électricité d’origine renouvelable et à la cogénération pour les entreprises à forte consommation d’énergie], p. 100 : « the A 3 component constitutes an indirect tax on electricity. Furthermore, it should be pointed out that the A 3 component pursues a specific objective […] namely financing of the support for RES and cogeneration installations » [la composante A 3 est une taxe indirecte sur l’électricité. En outre, il convient de souligner que la composante A 3 poursuit une finalité spécifique […] à savoir financer la promotion des sources d’énergie renouvelable et des installations de cogénération].


49      Suivant les données de 2003 à 2015 fournis par la commission de régulation de l’énergie, disponibles à l’adresse http ://www.cre.fr/operateurs/service-public-de-l-electricite-cspe/montant#section2, environ 70 % du produit de la CSPE était destiné aux énergies renouvelables et à la cogénération, 25 % à la compensation interterritoriale et 5 % aux objectifs sociaux.


50      Arrêts du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2014:108, point 32) ; du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail (C‑553/13, EU:C:2015:149, point 42).


51      Arrêt du 24 février 2000, Commission/France (C‑434/97, EU:C:2000:98, point 27).


52      Je rappelle que le taux de prélèvement devait être indiqué annuellement par le ministère compétent, sur proposition de la commission de régulation de l’énergie, dans la limite de 7 % du tarif de base de la vente d’électricité. Nonobstant, ce taux a été fixé législativement les trois premières années et il a ensuite été maintenu sans modifications jusqu’en 2010, en vertu du mécanisme de tacite reconduction prévu par la loi.


53      En vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 92/12, « [l]’accise devient exigible lors de la mise à la consommation ou lors de la constatation des manquants qui devront être soumis à accise conformément à l’article 14 paragraphe 3 ». Selon l’article 21, paragraphe 5, de la directive 2003/96 « Pour l’application des articles 5 et 6 de la directive 92/12/CEE, l’électricité et le gaz naturel sont soumis à taxation et la taxe devient exigible au moment de leur fourniture par le distributeur ou le redistributeur ».


54      Article 67 de la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, dans la formulation en vigueur à l’époque.


55      En vertu de cette disposition, pour autant que les taux minima de taxation mentionnés dans cette directive soient respectés, les États membres « pourront appliquer des réductions fiscales sur la consommation […] d’électricité […] en faveur des entreprises grandes consommatrices d’énergie ». Celles-ci sont en principe définies comme celles « dont les achats de produits énergétiques et d’électricité atteignent au moins 3 % de la valeur de la production ou pour laquelle le montant total des taxes énergétiques nationales dues est d’au moins 0,5 % de la valeur ajoutée ». L’article 17, paragraphe 1, sous a), de cette directive ajoute que « [d]ans le cadre de cette définition, les États membres peuvent appliquer des critères plus restrictifs, tels que des définitions du chiffre d’affaires, du procédé et du secteur industriel ».


56      Au point 35 des présentes conclusions.


57      Voir, en particulier, les arrêts du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, EU:C:1983:318, point 12) ; et du 19 juillet 2012, Littlewoods Retail e.a. (C‑591/10, EU:C:2012:478, point 24).


58      Voir, en particulier, les arrêts du 14 janvier 1997, Comateb e.a. (C‑192/95 à C‑218/95, EU:C:1997:12, point 20) ; du 19 juillet 2012, Littlewoods Retail e.a. (C‑591/10, EU:C:2012:478, point 24) ; et du 14 juin 2017, Compass Contract Services (C‑38/16, EU:C:2017:454, point 30).


59      Arrêts du 20 octobre 2011, Danfoss et Sauer-Danfoss (C‑94/10, EU:C:2011:674, point 23) ; et du 14 juin 2017, Compass Contract Services (C‑38/16, EU:C:2017:454, point 31).


60      Voir les points 42 et 43 des présentes conclusions.


61      Les fournisseurs d’électricité ne pourraient pas réclamer le remboursement des sommes payées au titre de la CSPE, car il s’agit d’opérateurs qui ont répercuté son montant sur les consommateurs finals. Dans le cas contraire, ils s’enrichiraient sans cause, ce qui enfreindrait la jurisprudence de la Cour, en vertu de laquelle « par exception au principe du remboursement de taxes incompatibles avec le droit de l’Union, la restitution de droits indûment perçus peut être refusée uniquement lorsque celle-ci entraînerait un enrichissement sans cause des ayants droit, à savoir lorsqu’il est établi que la personne astreinte au paiement desdits droits les a effectivement répercutés directement sur l’acheteur ». Voir, en ce sens, les arrêts du 6 septembre 2011, Lady & Kid e.a. (C‑398/09, EU:C:2011:540, points 18 et 20) et du 20 octobre 2011, Danfoss et Sauer-Danfoss (C‑94/10, EU:C:2011:674, points 20 et 21).

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