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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Germany v Commission (Judgment) French Text [2018] EUECJ C-209/16P (28 June 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/C20916P.html Cite as: ECLI:EU:C:2018:507, EU:C:2018:507, [2018] EUECJ C-209/16P |
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ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
28 juin 2018 (*)
« Pourvoi – Aides d’État – Législation fiscale allemande concernant certains reports de pertes sur les années fiscales futures (“clause d’assainissement”) – Décision déclarant le régime d’aide incompatible avec le marché intérieur – Recours en annulation – Recevabilité – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Personne individuellement concernée – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Notion d’“aide d’État” – Condition relative à la sélectivité – Détermination du cadre de référence – Qualification juridique des faits »
Dans l’affaire C‑209/16 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 14 avril 2016,
République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. T. Henze et R. Kanitz, en qualité d’agents,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant :
Lowell Financial Services GmbH, anciennement GFKL Financial Services AG, établie à Essen (Allemagne), représentée par Mes M. Schweda, M. Knebelsberger et F. Loose, Rechtsanwälte,
partie demanderesse en première instance,
Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal et T. Maxian Rusche ainsi que par Mme K. Blanck-Putz, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Rosas, Mmes C. Toader, A. Prechal et M. E. Jarašiūnas (rapporteur), juges,
avocat général : M. N. Wahl,
greffier : M. I. Illéssy, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 octobre 2017,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, la République fédérale d’Allemagne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 4 février 2016, GFKL Financial Services/Commission (T‑620/11, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:59), dans la mesure où, par celui-ci, le Tribunal a rejeté comme étant non fondé le recours de GFKL Financial Services AG, devenue GFKL Financial Services GmbH, elle-même devenue Lowell Financial Services GmbH (ci-après « GFKL »), tendant à l’annulation de la décision 2011/527/UE de la Commission, du 26 janvier 2011, concernant l’aide d’État de l’Allemagne C 7/10 (ex CP 250/09 et NN 5/10) au titre de la clause d’assainissement prévue par la loi relative à l’impôt sur les sociétés (« KStG, Sanierungsklausel ») (JO 2011, L 235, p. 26, ci-après la « décision litigieuse »), ainsi que l’annulation de cette décision.
2 Par son pourvoi incident, la Commission européenne demande, en substance, l’annulation de l’arrêt attaqué dans la mesure où, par celui-ci, le Tribunal a rejeté l’exception d’irrecevabilité qu’elle avait soulevée à l’encontre de ce recours et, par conséquent, le rejet du recours de première instance comme étant irrecevable.
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
3 Les antécédents du litige et la décision litigieuse, tels qu’ils sont présentés aux points 1 à 31 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.
Le droit allemand
4 En Allemagne, en vertu de l’article 10d, paragraphe 2, de l’Einkommensteuergesetz (loi relative à l’impôt sur le revenu, ci-après l’« EStG »), les pertes réalisées au cours d’un exercice fiscal peuvent être reportées sur des exercices fiscaux ultérieurs, les revenus imposables des années suivantes étant alors diminués par soustraction de ces pertes (ci-après la « règle du report des pertes »). En vertu de l’article 8, paragraphe 1, du Körperschaftsteuergesetz (loi relative à l’impôt sur les sociétés, ci-après le « KStG »), la règle du report des pertes s’applique aux entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés.
5 Cette possibilité de report de pertes conduisait à l’acquisition, aux seules fins d’économies d’impôts, d’entreprises ayant cessé toute activité commerciale, mais disposant encore de pertes pouvant être reportées. Afin d’empêcher de telles opérations, considérées comme abusives, le législateur allemand a, au cours de l’année 1997, introduit dans le KStG l’article 8, paragraphe 4, limitant la possibilité de report de pertes aux entreprises juridiquement et économiquement identiques à celles ayant réalisé les pertes.
6 L’article 8, paragraphe 4, du KStG a été abrogé avec effet au 1er janvier 2008 par l’Unternehmensteuerreformgesetz (loi portant réforme de la fiscalité des entreprises). Cette loi a inséré dans le KStG un nouvel article 8c, paragraphe 1 (ci-après, également, la « règle de la mise en non-valeur des pertes »), qui limite, voire exclut, la possibilité de reporter les pertes lorsqu’a lieu une acquisition de 25 % ou plus des parts d’une société (ci-après la « prise de participation préjudiciable »). Selon cette disposition, d’une part, en cas de transfert de 25 % à 50 % du capital souscrit, des droits des associés, des droits de participation ou des droits de vote détenus dans une société dans les cinq ans qui suivent le transfert, les pertes non utilisées tombent en non-valeur proportionnellement à la modification opérée, exprimée en pourcentage. D’autre part, en cas de transfert à un acquéreur de plus de 50 % du capital souscrit, des droits des associés, des droits de participation ou des droits de vote détenus dans une société, les pertes non utilisées ne sont plus déductibles.
7 Aucune exception à la règle de la mise en non-valeur des pertes n’était prévue. Les autorités fiscales pouvaient cependant, dans une situation de prise de participation préjudiciable visant à assainir une entreprise en difficulté, accorder une exonération d’impôt en équité, en application d’un décret du Bundesministerium der Finanzen (ministère fédéral des Finances, Allemagne) du 27 mars 2003.
8 Au mois de juin 2009, par le Bürgerentlastungsgesetz Krankenversicherung (loi sur l’assurance maladie relative à l’allègement fiscal au profit des citoyens), un paragraphe 1a a été inséré à l’article 8c du KStG (ci-après, également, la « clause d’assainissement » ou la « mesure litigieuse »). En vertu de cette nouvelle disposition, une entité peut procéder à un report de pertes, même en cas de prise de participation préjudiciable au sens de l’article 8c, paragraphe 1, du KStG, lorsque les conditions suivantes sont réunies : l’acquisition des parts vise à l’assainissement de la société ; au moment de l’acquisition, celle-ci est insolvable, surendettée ou menacée de le devenir ; ses structures essentielles sont conservées, ce qui se réalise, en substance, par le maintien des emplois, par un apport substantiel au capital d’exploitation ou par la remise de dettes encore recouvrables ; aucun changement de secteur économique n’a lieu dans les cinq années qui suivent l’acquisition de la participation et, au moment de l’acquisition de la participation, la société n’avait pas cessé ses activités.
9 La mesure litigieuse est entrée en vigueur le 10 juillet 2009 et s’applique rétroactivement depuis le 1er janvier 2008, date de l’entrée en vigueur de la règle de la mise en non-valeur des pertes.
La décision litigieuse
10 À l’article 1er de la décision litigieuse, la Commission a constaté que « l’aide d’État que [la République fédérale d’Allemagne] a octroyée illégalement sur le fondement de l’article 8c, paragraphe 1a, [du KStG] [...] n’est pas compatible avec le marché intérieur ».
11 Aux fins de la qualification de la clause d’assainissement en tant qu’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, cette institution a notamment estimé que cette clause instaurait une exception à la règle, établie à l’article 8c, paragraphe 1, du KStG, qui prévoyait la mise en non-valeur des pertes non utilisées par des sociétés dont l’actionnariat avait été modifié, et que ladite clause était, par conséquent, susceptible de conférer un avantage sélectif aux entreprises qui réunissaient les conditions pour en bénéficier, lequel ne se justifiait pas par la nature ou l’économie générale du système fiscal, la mesure litigieuse visant à lutter contre les problèmes dus à la crise économique et financière, ce qui constituait un objectif extérieur à ce système. Aux articles 2 et 3 de cette décision, elle a néanmoins déclaré que certaines aides individuelles octroyées dans le cadre de cette réglementation étaient, sous réserve du respect de certaines conditions, compatibles avec le marché intérieur.
12 À l’article 4 de la décision litigieuse, la Commission a enjoint à la République fédérale d’Allemagne de récupérer auprès des bénéficiaires les aides incompatibles octroyées dans le cadre de la réglementation visée à l’article 1er de cette décision. En application de l’article 6 de cette dernière, cet État membre devait notamment communiquer à la Commission une liste de ces bénéficiaires.
Les faits à l’origine du litige
13 GFKL est une société de services financiers qui, au cours de l’année 2009, était en risque d’insolvabilité. Le 14 décembre 2009, un investisseur a racheté près de 80 % de ses actions et a, le 4 décembre 2010, procédé à une injection de plus de 50 millions d’euros par augmentation de capital, aux fins de son assainissement. À la date de la cession des actions, GFKL remplissait les conditions d’application de la clause d’assainissement. Cela avait été constaté dans un renseignement contraignant émis le 3 septembre 2009 par le Finanzamt Essen-NordOst (administration fiscale d’Essen-NordOst, Allemagne) (ci-après le « renseignement contraignant »).
14 Par lettre du 24 février 2010, la Commission a informé la République fédérale d’Allemagne de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, en ce qui concerne la mesure litigieuse. Par lettre du 30 avril 2010, le ministère fédéral des Finances a ordonné à l’administration fiscale allemande de ne plus appliquer cette mesure.
15 L’administration fiscale d’Essen-NordOst a alors annulé le renseignement contraignant et a adressé à GFKL un avis d’imposition relatif à l’impôt sur les sociétés pour l’exercice fiscal de l’année 2009, qui ne faisait pas application de ladite mesure.
16 Le 22 juillet 2011, la République fédérale d’Allemagne a communiqué à la Commission une liste des entreprises ayant bénéficié de la mesure litigieuse. Cet État membre a également communiqué une liste des sociétés pour lesquelles des renseignements contraignants relatifs à l’application de la clause d’assainissement avaient été annulés, dans laquelle GFKL figurait.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
17 Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 2 décembre 2011, GFKL a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
18 Par un acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 16 mars 2012, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991.
19 Le 29 février 2012, la République fédérale d’Allemagne a demandé à intervenir dans la procédure au soutien des conclusions de GFKL. Cette demande a été accueillie par une ordonnance du président de la huitième chambre du Tribunal du 2 mai 2012.
20 L’exception d’irrecevabilité a été jointe au fond, conformément à l’article 114, paragraphe 4, de ce même règlement de procédure, par une ordonnance du Tribunal du 17 juillet 2014.
21 À l’appui de son recours, GFKL a soulevé quatre moyens, le premier étant tiré de l’absence de caractère a priori sélectif de la mesure litigieuse, le deuxième étant tiré de l’absence d’utilisation de ressources d’État, le troisième étant tiré d’un défaut de motivation et le quatrième étant tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime.
22 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a, d’une part, rejeté l’exception d’irrecevabilité, en jugeant que GFKL était directement et individuellement concernée par la décision litigieuse au motif, en substance, qu’elle bénéficiait, dès avant l’adoption de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, d’un droit acquis à une économie d’impôt, certifié par les autorités fiscales allemandes, et qu’elle disposait, en outre, d’un intérêt à agir. Le Tribunal a, d’autre part, rejeté le recours de GFKL comme étant non fondé.
Les conclusions des parties
23 Par son pourvoi, la République fédérale d’Allemagne demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où le recours a été rejeté comme étant non fondé ;
– d’annuler la décision litigieuse, et
– de condamner la Commission aux dépens afférents à la procédure devant la Cour et à la procédure devant le Tribunal.
24 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la République fédérale d’Allemagne aux dépens.
25 GFKL a déposé un mémoire en réponse au pourvoi dans lequel elle indique qu’elle « renvoie entièrement à l’argumentation développée dans [son propre pourvoi [affaire Lowell Financial Services/Commission (C‑219/16 P)]] », sans présenter de conclusions.
26 Par son pourvoi incident, la Commission demande, en substance, à la Cour :
– d’annuler le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué ;
– de rejeter le recours de première instance comme étant irrecevable ;
– de rejeter le pourvoi ;
– d’annuler le point 3 du dispositif de l’arrêt attaqué, en ce qu’il condamne la Commission à supporter un tiers de ses dépens, et
– de condamner la République fédérale d’Allemagne aux dépens afférents à la procédure devant la Cour et à la procédure devant le Tribunal.
27 La République fédérale d’Allemagne conclut au rejet du pourvoi incident et à la condamnation de la Commission aux dépens afférents à celui-ci. GFKL a déposé un mémoire en réponse au pourvoi incident sans présenter de conclusions.
Sur le pourvoi incident
28 Le pourvoi incident portant sur la recevabilité du recours de première instance, question préalable à celles relatives au fond soulevées par le pourvoi principal, il y a lieu de l’examiner en premier lieu.
Argumentation des parties
29 La Commission fait valoir que, aux points 43 à 73 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation de la notion d’affectation individuelle au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
30 En premier lieu, se référant aux arrêts du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission (C‑15/98 et C‑105/99, EU:C:2000:570), ainsi que du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission (C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368), la Commission soutient que le critère pertinent pour établir si un requérant est individuellement concerné par une décision de la Commission déclarant un régime d’aides incompatible avec le marché intérieur réside dans le fait de savoir si ce requérant est un bénéficiaire effectif ou un bénéficiaire potentiel d’une aide octroyée au titre de ce régime. Seuls les bénéficiaires effectifs seraient individuellement concernés par une telle décision.
31 Or, aux points 56, 64 et 68 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait fondé sa décision non pas sur cette jurisprudence, mais sur des arrêts qui ne seraient pas pertinents pour la présente affaire. En effet, aucune des circonstances ayant permis de conclure, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11/82, EU:C:1985:18), du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416), du 17 septembre 2009, Commission/Koninklijke FrieslandCampina (C‑519/07 P, EU:C:2009:556),du 27 février 2014, Stichting Woonpunt e.a./Commission (C‑132/12 P, EU:C:2014:100), ainsi que du 27 février 2014, Stichting Woonlinie e.a./Commission (C‑133/12 P, EU:C:2014:105), sur lesquels le Tribunal s’appuie dans ces points, que les requérants étaient concernés individuellement ne serait présente en l’espèce.
32 Ainsi, contrairement à ce que le Tribunal aurait exposé aux points 57 et 68 de l’arrêt attaqué, l’appréciation de la recevabilité du recours de première instance dépendrait non pas de la « situation factuelle et juridique » de GFKL ou de l’existence d’un « droit acquis », mais exclusivement de la question de savoir si cette dernière a ou non effectivement bénéficié d’une aide au titre du régime d’aide en cause. Les points 69 et 70 de l’arrêt attaqué seraient également entachés d’une erreur en ce que, de l’arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission (C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368), sur lequel le Tribunal s’est appuyé à ce point 70, il pourrait seulement être déduit qu’il importe peu, aux fins de l’appréciation de l’affectation individuelle, que la décision de la Commission soit ou non assortie d’une injonction de récupération de l’aide effectivement octroyée.
33 En deuxième lieu, la Commission observe que l’élément déterminant retenu par le Tribunal, dans son analyse de la « situation factuelle et juridique » de GFKL, afin de constater que cette dernière est individuellement concernée par la décision litigieuse, consiste dans l’existence d’un « droit acquis », relevée au point 68 de l’arrêt attaqué. Or, si ce « droit acquis » devait être entendu comme un droit acquis au sens du droit de l’Union, le Tribunal aurait commis une erreur de droit. En effet, un tel droit ne pourrait être reconnu qu’en application du principe de protection de la confiance légitime et, selon la jurisprudence de la Cour, le bénéfice de cette protection serait, en principe, exclu en ce qui concerne les aides octroyées en violation de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
34 En troisième lieu, sur la base de cette même observation, la Commission fait valoir que, pour le cas où, par « droit acquis », le Tribunal aurait visé un droit acquis au sens du droit national, il a aussi commis une erreur de droit, le bénéfice d’un droit acquis en vertu du droit national étant, dans les circonstances de l’espèce, également contraire à la jurisprudence excluant, dans le cas d’aides octroyées en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le bénéfice d’un tel droit.
35 Le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué devrait, par conséquent, être annulé et, GFKL n’étant pas un bénéficiaire effectif du régime d’aide en cause, le recours de première instance devrait être rejeté comme étant irrecevable.
36 La République fédérale d’Allemagne fait valoir que le pourvoi incident n’est pas fondé. GFKL soutient qu’il ne fait aucun doute qu’elle est individuellement concernée par la décision litigieuse.
Appréciation de la Cour
37 Aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas de cet article, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.
38 En l’occurrence, d’une part, il est constant que, comme le Tribunal l’a relevé au point 51 de l’arrêt attaqué, la décision litigieuse a pour unique destinataire la République fédérale d’Allemagne. D’autre part, ainsi qu’il ressort des points 52 à 73 de cet arrêt, c’est en considérant que GFKL était directement et individuellement concernée par cette décision, et donc en vertu de la deuxième hypothèse visée à cette disposition, que le Tribunal a jugé que GFKL avait qualité pour agir.
39 Par la première branche de son moyen unique, la Commission fait valoir, en substance, que, aux points 56, 57, 64 et 68 à 71 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit en appréciant cette condition de recevabilité du recours de GFKL au regard de la situation factuelle et juridique de cette dernière, alors que le seul critère pertinent aurait été de savoir si elle était un bénéficiaire effectif ou potentiel du régime d’aide en cause.
40 Selon la jurisprudence constante de la Cour, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne peuvent prétendre être individuellement concernés par cette décision que si celle-ci les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223, ainsi que du 27 février 2014, Stichting Woonpunt e.a./Commission, C‑132/12 P, EU:C:2014:100, point 57).
41 La possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure dès lors que cette application est effectuée en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (arrêts du 16 mars 1978, Unicme e.a./Conseil, 123/77, EU:C:1978:73, point 16, ainsi que du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 47 et jurisprudence citée).
42 Ainsi, la Cour a précisé qu’une entreprise ne saurait, en principe, attaquer une décision de la Commission interdisant un régime d’aides sectoriel si elle n’est concernée par cette décision qu’en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel dudit régime. En effet, une telle décision se présente, à l’égard d’une telle entreprise, comme une mesure de portée générale qui s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite (arrêts du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, EU:C:2000:570, point 33 et jurisprudence citée, ainsi que du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 49).
43 En revanche, lorsque la décision affecte un groupe de personnes qui étaient identifiées ou identifiables au moment où cet acte a été pris et en fonction de critères propres aux membres du groupe, ces personnes peuvent être individuellement concernées par cet acte en tant qu’elles font partie d’un cercle restreint d’opérateurs économiques (arrêts du 13 mars 2008, Commission/Infront WM, C‑125/06 P, EU:C:2008:159, point 71 et jurisprudence citée, ainsi que du 27 février 2014, Stichting Woonpunt e.a./Commission, C‑132/12 P, EU:C:2014:100, point 59).
44 Ainsi, les bénéficiaires effectifs d’aides individuelles octroyées au titre d’un régime d’aides dont la Commission a ordonné la récupération sont, de ce fait, individuellement concernés au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, EU:C:2000:570, points 34 et 35 ; voir, également, arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 53).
45 Certes, comme le soutient la Commission, il découle de cette jurisprudence que la Cour, d’une part, reconnaît que les bénéficiaires effectifs d’aides individuelles octroyées au titre d’un régime d’aides incompatible avec le marché intérieur sont individuellement concernés par une décision de la Commission déclarant ce régime incompatible avec le marché intérieur et ordonnant leur récupération et, d’autre part, exclut qu’un requérant soit considéré comme étant individuellement concerné en raison du seul fait qu’il est un bénéficiaire potentiel de ce régime. Toutefois, il ne peut pas en être déduit, comme le prétend la Commission, que, lorsqu’est en cause une décision de cette dernière déclarant un régime d’aides incompatible avec le marché intérieur, le seul critère pertinent afin d’apprécier si un requérant est individuellement concerné, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par une telle décision, réside dans le fait de savoir si ce requérant est un bénéficiaire effectif ou un bénéficiaire potentiel d’une aide octroyée au titre de ce régime.
46 En effet, la jurisprudence rappelée aux points 42 et 44 du présent arrêt, développée dans le contexte spécifique des aides d’État, n’est qu’une expression particulière du critère juridique pertinent aux fins de l’appréciation de l’affectation individuelle, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, issu de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17). Selon cet arrêt, un requérant est individuellement concerné par une décision adressée à une autre personne lorsque cette décision l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne (voir également, dans le domaine des aides d’État, arrêts du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, EU:C:2000:570, point 32, et du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 52, ainsi que, dans d’autres domaines, arrêts du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11/82, EU:C:1985:18, points 11, 19 et 31, et du 13 mars 2018, European Union Copper Task Force/Commission, C‑384/16 P, EU:C:2018:176, point 93).
47 Partant, le fait qu’un requérant puisse relever, ou ne pas relever, de la catégorie des bénéficiaires effectifs ou des bénéficiaires potentiels d’une aide individuelle octroyée au titre d’un régime d’aides déclaré incompatible avec le marché intérieur par une décision de la Commission ne saurait être décisif afin de déterminer si ce requérant est individuellement concerné par cette décision lorsqu’il est, en toute hypothèse, établi que ledit requérant est, par ailleurs, atteint par celle-ci en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne.
48 Il résulte de ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur de droit que, après avoir rappelé, aux points 54 à 56 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence exposée aux points 40 à 43 du présent arrêt, le Tribunal s’est, au point 57 de l’arrêt attaqué, attaché à « vérifier si, eu égard à sa situation factuelle et juridique, [GFKL devait] être considérée comme individuellement concernée par la décision [litigieuse] ».
49 Il en résulte par ailleurs que c’est aussi sans commettre d’erreur de droit que, aux points 56, 64 et 68 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est, au soutien de son analyse, fondé sur les arrêts identifiés au point 31 du présent arrêt, dès lors que ceux-ci consistent tous en des cas d’application du critère de l’affectation individuelle issu de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17), dans des contextes où, comme en l’espèce, le recours à l’expression particulière de cette jurisprudence, prenant la forme d’une distinction entre les bénéficiaires effectifs et les bénéficiaires potentiels d’une aide individuelle octroyée au titre d’un régime d’aides déclaré incompatible avec le marché intérieur, n’apparaissait pas pertinent.
50 De même, c’est toujours sans commettre d’erreur de droit que, aux points 69 et 70 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté l’argumentation de la Commission selon laquelle seul un avantage effectivement octroyé au moyen de ressources d’État pourrait établir que GFKL était individuellement concernée en se fondant sur l’arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission (C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368). En effet, ainsi que cela a déjà été constaté au point 46 du présent arrêt, aux fins d’établir qu’un requérant est individuellement concerné, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par une décision de la Commission déclarant un régime d’aides incompatible avec le marché intérieur, le critère pertinent est celui de savoir si le requérant est atteint par cette décision en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne, ce que le Tribunal a d’ailleurs aussi justement rappelé au point 70 de l’arrêt attaqué.
51 Par conséquent, la première branche du moyen unique du pourvoi incident n’étant pas fondée, elle doit être rejetée.
52 S’agissant des deuxième et troisième branches de ce moyen unique, il y a lieu de rappeler que, par celles-ci, la Commission reproche au Tribunal d’avoir, au point 68 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en jugeant que GFKL était individuellement concernée au motif que cette société aurait eu un « droit acquis » à bénéficier d’une aide en application de la mesure litigieuse.
53 À cet égard, il convient de relever que, à ce point 68, le Tribunal a notamment exposé que « dans la présente affaire [...] il a été constaté que, en raison des spécificités de la législation fiscale allemande, [GFKL] bénéficiait d’un droit acquis à une économie d’impôt, certifié par les autorités fiscales allemandes [...], cette circonstance la différenciant par rapport à d’autres opérateurs qui ne sont concernés qu’en tant que bénéficiaires potentiels de la mesure litigieuse », en renvoyant à ce sujet au point 63 du même arrêt.
54 À ce point 63, le Tribunal a constaté que, « en application de la réglementation allemande, il était certain que, au moment de la clôture de l’exercice fiscal de l’année 2009, [GFKL] aurait réalisé une économie d’impôt, qu’elle était d’ailleurs en mesure de quantifier avec précision », dès lors que, « les autorités allemandes ne disposant d’aucune marge d’appréciation à l’égard de l’application de la mesure litigieuse, la réalisation de ladite économie d’impôt [...] n’était qu’une question de temps, en vertu des modalités d’application du régime fiscal ». À ce même point 63, il a relevé que, par conséquent, GFKL « disposait [...] d’un droit acquis, certifié par les autorités allemandes avant l’adoption de la décision d’ouverture puis de la décision [litigieuse], à l’application de cette économie d’impôt qui, en l’absence de ces décisions, se serait concrétisé par l’émission d’un avis d’imposition autorisant le report des pertes et l’inscription conséquente de celui-ci à son bilan » et qu’« [e]lle était, de ce fait, facilement identifiable par les autorités fiscales allemandes et par la Commission ».
55 Le Tribunal a appuyé ces constatations sur le point 62 de l’arrêt attaqué, dans lequel il a observé que les circonstances qu’il avait identifiées aux points 60 et 61 de cet arrêt comme caractérisant la situation factuelle et juridique de GFKL au sens de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17), avaient été certifiées par l’administration fiscale allemande, en particulier au moyen du renseignement contraignant. Ces circonstances consistaient, d’une part, dans le fait que, avant l’ouverture de la procédure formelle d’examen par la Commission, GFKL disposait d’un droit de reporter ses pertes en vertu de la réglementation allemande, les conditions prévues par la clause d’assainissement étant réunies, et, d’autre part, dans le fait que, au cours de l’année 2009, GFKL avait réalisé des bénéfices imposables dont elle aurait déduit les pertes reportées au titre de la clause d’assainissement.
56 Au regard de ces éléments, le Tribunal a conclu, au point 64 de l’arrêt attaqué, que GFKL « ne saurait être uniquement considérée comme une entreprise concernée par la décision [litigieuse] en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel, mais [qu’]elle doit au contraire être considérée comme faisant partie d’un cercle fermé d’opérateurs économiques, lesquels étaient identifiés, ou au moins facilement identifiables au moment de l’adoption de la décision [litigieuse], au sens de l’arrêt [du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17)] ».
57 Il ressort ainsi d’une lecture d’ensemble des passages pertinents de l’arrêt attaqué que l’utilisation, par le Tribunal, au point 68 de celui-ci, des termes « droit acquis » visait uniquement à renvoyer de façon succincte à la situation factuelle et juridique particulière de GFKL, permettant de la considérer comme étant individuellement concernée par la décision litigieuse au sens de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17).
58 Les deuxième et troisième branches du moyen unique du pourvoi incident reposant ainsi sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué, elles doivent être écartées comme étant non fondées et, par conséquent, le pourvoi incident doit être rejeté dans son ensemble.
Sur le pourvoi principal
59 À l’appui de son pourvoi, la République fédérale d’Allemagne invoque un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qu’elle divise en trois branches, la première étant tirée de l’absence de sélectivité faute de dérogation au cadre de référence pertinent, la deuxième étant tirée de l’absence de sélectivité du fait que la clause d’assainissement constituerait une mesure générale, et la troisième étant tirée de l’absence de sélectivité du fait que cette clause serait justifiée par la nature et l’économie du système fiscal.
Argumentation des parties
60 Par la première branche de son moyen unique, la République fédérale d’Allemagne soutient que le Tribunal, aux points 114 et 115 de l’arrêt attaqué, a commis une erreur de droit en déterminant le cadre de référence ainsi qu’en concluant, par conséquent, que la clause d’assainissement constituait une dérogation au régime normal d’imposition.
61 La clause d’assainissement, en tant que contre-exception à l’exception que la règle de la mise en non-valeur des pertes apporte à la règle du report des pertes prévue à l’article 10d, paragraphe 2, de l’EStG, ferait partie du régime normal de report des pertes s’appliquant à toutes les entreprises. Cependant, au point 114 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait présenté la possibilité de reporter les pertes et la suppression de cette possibilité en cas de prise de participation préjudiciable comme deux règles équivalentes et la clause d’assainissement comme une mesure dérogatoire, ce qui serait contradictoire. Si le report des pertes et la mise en non-valeur des pertes constituent ensemble le cadre de référence, la clause d’assainissement ne constituerait pas une dérogation à l’imposition normale, mais, au contraire, prescrirait le report des pertes, comme le prévoit la règle du report des pertes. Cette contradiction aboutirait à ce que cette clause ne puisse pas être qualifiée de « sélective » a priori.
62 En outre, le Tribunal aurait à tort omis de sanctionner l’approche formaliste retenue par la Commission dans la décision litigieuse pour déterminer le cadre de référence, laquelle aboutirait à des résultats arbitraires et aléatoires en fonction de la manière dont le système fiscal national est aménagé par le législateur de l’État membre concerné. Un tel formalisme ne saurait être déterminant aux fins d’identifier le régime normal d’imposition. La règle du report des pertes s’appliquerait de manière générale aux sociétés, y compris, en principe, à celles dans lesquelles un changement d’actionnariat est intervenu. La règle de la mise en non-valeur des pertes serait une exception intervenant en cas de prise de participation préjudiciable et l’application de cette exception serait limitée par la clause d’assainissement, de sorte que la règle du report des pertes demeurerait alors applicable. La règle de la mise en non-valeur des pertes ne pourrait donc pas constituer le cadre de référence.
63 Par ailleurs, la détermination du cadre de référence constituerait la première étape de l’analyse de la condition relative à la sélectivité, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. La question de savoir ce qui constitue ce cadre serait donc une question de qualification juridique du droit national. La présente branche portant précisément sur cette qualification, elle serait bien recevable.
64 La Commission répond, à titre principal, que la présente branche du pourvoi est irrecevable dès lors qu’elle concerne la constatation et l’appréciation du droit national telles qu’effectuées par le Tribunal, sans qu’une dénaturation de ce droit soit alléguée. La République fédérale d’Allemagne n’aurait d’ailleurs jamais soutenu que la règle du report des pertes doive servir de cadre de référence en l’espèce.
65 À la supposer recevable, si l’argumentation de la République fédérale d’Allemagne devait être comprise en ce sens que cet État membre reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans l’interprétation de la notion de cadre de référence, en appliquant cette qualification à une exception, cette argumentation serait inopérante. En effet, le Tribunal aurait établi de manière souveraine le contenu et la portée du droit national et aurait, dans ce cadre, considéré que la règle de la mise en non-valeur des pertes constituait non pas une exception, mais une partie intégrante de la règle générale. De même, serait inopérante l’argumentation visant à établir une prétendue erreur de droit découlant de la constatation selon laquelle la clause d’assainissement constitue une exception.
66 La Commission fait valoir, à titre subsidiaire, que cette première branche n’est pas fondée. Premièrement, il serait erroné de soutenir que la règle de base en droit fiscal allemand est le report des pertes et que la mise en non-valeur des pertes est l’exception. Aux points 111 à 115 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait considéré que, selon la règle de base en droit fiscal allemand, il importe, pour trancher la question du report des pertes, de déterminer s’il existe une identité ou une continuité économique du contribuable et aurait constaté que, en droit allemand, il existe deux règles de base contiguës. Pour déterminer laquelle est pertinente, il conviendrait de déterminer si a eu lieu un changement d’actionnariat de plus de 25 %. L’argumentation de la République fédérale d’Allemagne reprochant au Tribunal d’avoir érigé une exception en règle de base ne trouverait donc aucun fondement dans l’arrêt attaqué.
67 Deuxièmement, ces motifs ne seraient pas davantage entachés d’une contradiction. Il aurait été nécessaire, pour déterminer si la clause d’assainissement est sélective, de déterminer quelle règle doit être appliquée aux entreprises qui se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par la règle du report des pertes. Cet objectif serait d’autoriser le report des pertes lorsqu’il existe une identité économique entre l’assujetti qui a subi les pertes et le sujet fiscal qui souhaite les déduire de ses revenus, c’est-à-dire lorsque la structure de l’actionnariat n’a, pour l’essentiel, pas été modifiée. Au regard de cette règle, toutes les entreprises pour lesquelles un changement d’au moins 25 % de l’actionnariat est intervenu se trouveraient dans une situation factuelle et juridique comparable.
68 Troisièmement, l’approche du Tribunal ne serait pas formaliste. En tout état de cause, les entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par la mesure litigieuse seraient, quel que soit le cadre de référence retenu, les mêmes, étant donné que l’objectif de cette mesure resterait inchangé.
69 GFKL renvoie à l’argumentation qu’elle a présentée dans son propre pourvoi, enregistré sous le numéro d’affaire C‑219/16 P.
Appréciation de la Cour
70 Dans la mesure où la Commission conteste la recevabilité de cette première branche au motif qu’elle porterait sur des questions de fait, il y a lieu de rappeler que, certes, l’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces faits et de ces éléments de preuve, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Toutefois, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ceux-ci et les conséquences de droit qui en ont été tirées (arrêts du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 78 et jurisprudence citée, ainsi que du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 97).
71 Ainsi, pour ce qui est de l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, des appréciations du Tribunal à l’égard du droit national, qui, dans le domaine des aides d’État, constituent des appréciations de faits, la Cour n’est compétente que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit (voir, en ce sens, arrêts du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 79 et jurisprudence citée, ainsi que du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 98). En revanche, l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, de la qualification juridique au regard d’une disposition du droit de l’Union qui a été donnée à ce droit national par le Tribunal constituant une question de droit, il relève de la compétence de la Cour (voir, en ce sens, arrêts du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 83, et du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, points 61 à 63).
72 En l’occurrence, force est de constater que, par ladite première branche, la République fédérale d’Allemagne conteste, pour l’essentiel, non pas le contenu ou la portée du droit national tels qu’ils ont été constatés par le Tribunal, mais la qualification de « cadre de référence » qu’il a, à l’instar de la Commission dans la décision litigieuse, attribuée à la règle de la mise en non-valeur des pertes.
73 Or, la notion de « cadre de référence » se réfère à la première étape de l’analyse de la condition relative à la sélectivité de l’avantage, qui, selon la jurisprudence de la Cour, est elle-même constitutive de la notion d’« aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 74 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 54).
74 L’argumentation de la République fédérale d’Allemagne visant ainsi, au moins en partie, à remettre en cause la qualification juridique des faits opérée par le Tribunal, la première branche du moyen unique est, au moins dans cette mesure, recevable.
75 Par ailleurs, il convient de souligner que, par cette première branche, la République fédérale d’Allemagne ne se contente pas de reprocher au Tribunal d’avoir érigé une exception en règle de principe, de sorte que, en toute hypothèse, ladite branche ne saurait être écartée comme étant inopérante dans son ensemble pour les raisons avancées par la Commission et exposées au point 65 du présent arrêt.
76 S’agissant du fond, il convient d’examiner en premier lieu le deuxième argument avancé par la République fédérale d’Allemagne en vue de démontrer l’erreur de qualification juridique des faits commise par le Tribunal, rappelé au point 62 du présent arrêt, selon lequel, en substance, il a méconnu l’article 107, paragraphe 1, TFUE tel qu’interprété par la Cour, en accordant, à l’instar de la Commission dans la décision litigieuse, une importance décisive au formalisme afin de juger que le cadre de référence pertinent pour l’appréciation du caractère sélectif de la mesure litigieuse était constitué par la seule règle de la mise en non-valeur des pertes.
77 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêts du 10 juin 2010, Fallimento Traghetti del Mediterraneo, C‑140/09, EU:C:2010:335, point 31 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 53).
78 En ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l’avantage, il résulte d’une jurisprudence également constante de la Cour que l’appréciation de cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 54 ainsi que jurisprudence citée).
79 Par ailleurs, lorsque la mesure en cause est envisagée comme un régime d’aide et non comme une aide individuelle, il incombe à la Commission d’établir que cette mesure, bien qu’elle prévoie un avantage de portée générale, en confère le bénéfice exclusif à certaines entreprises ou à certains secteurs d’activité (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 55 ainsi que jurisprudence citée).
80 S’agissant, en particulier, de mesures nationales conférant un avantage fiscal, il y a lieu de rappeler qu’une mesure de cette nature qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation plus favorable que les autres contribuables est susceptible de procurer un avantage sélectif aux bénéficiaires et constitue, partant, une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En revanche, ne constitue pas une telle aide, au sens de cette disposition, un avantage fiscal résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 72 et 73 ainsi que jurisprudence citée ; voir, également, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 56).
81 Dans ce contexte, aux fins de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective », la Commission doit identifier, dans un premier temps, le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné et démontrer, dans un deuxième temps, que la mesure fiscale en cause déroge audit régime commun, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans une situation factuelle et juridique comparable (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 57 ainsi que jurisprudence citée).
82 La notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient, dans un troisième temps, à démontrer que cette différenciation est justifiée dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elles s’inscrivent (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 52 ; voir, également, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 58 ainsi que jurisprudence citée).
83 L’examen de la condition relative à la sélectivité implique donc, en principe, de déterminer, dans un premier temps, le cadre de référence dans lequel s’inscrit la mesure concernée, cette détermination revêtant une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56, et du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 55).
84 Ainsi, la détermination de l’ensemble des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable dépend de la définition préalable du régime juridique au regard de l’objectif duquel doit, le cas échéant, être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des entreprises favorisées par la mesure en cause et de celles qui ne le sont pas (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 60).
85 Toutefois, la qualification d’un système fiscal de « sélectif » n’est pas subordonnée au fait que celui-ci soit conçu de façon à ce que les entreprises bénéficiant éventuellement d’un avantage sélectif soient, en général, soumises aux mêmes charges fiscales que les autres entreprises mais profitent de règles dérogatoires, de sorte que l’avantage sélectif peut être identifié comme étant la différence entre la charge fiscale normale et celle supportée par ces premières entreprises (arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 91).
86 En effet, une telle compréhension du critère de sélectivité présupposerait qu’un régime fiscal, afin qu’il puisse être qualifié de « sélectif », soit conçu selon une certaine technique réglementaire, ce qui aurait pour conséquence que des règles fiscales nationales échappent d’emblée au contrôle en matière d’aides d’État en raison du seul fait qu’elles relèvent d’une autre technique réglementaire bien qu’elles produisent en droit et/ou en fait, par l’ajustement et la combinaison de diverses règles fiscales, les mêmes effets. Elle heurterait ainsi la jurisprudence constante selon laquelle l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne distingue pas selon les causes et les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets, et donc indépendamment des techniques utilisées (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 87, 92 et 93 ainsi que jurisprudence citée).
87 Si, conformément à cette jurisprudence, le recours à une technique réglementaire donnée ne peut permettre à des règles fiscales nationales d’échapper d’emblée au contrôle prévu par le traité FUE en matière d’aides d’État, le recours à la technique réglementaire utilisée ne saurait pas non plus suffire à définir le cadre de référence pertinent aux fins de l’analyse de la condition relative à la sélectivité, sauf à faire prévaloir de manière décisive la forme des interventions étatiques sur leurs effets. Partant, la technique réglementaire utilisée ne saurait être un élément décisif aux fins de la détermination du cadre de référence.
88 Cela étant, il découle en outre de cette même jurisprudence que, si, aux fins d’établir la sélectivité d’une mesure fiscale, la technique réglementaire utilisée n’est pas décisive, de sorte qu’il n’est pas toujours nécessaire que celle-ci ait un caractère dérogatoire par rapport à un régime fiscal commun, la circonstance qu’elle présente un tel caractère en utilisant cette technique réglementaire est pertinente à ces fins lorsqu’il en découle que deux catégories d’opérateurs sont distinguées et font a priori l’objet d’un traitement différencié, à savoir ceux relevant de la mesure dérogatoire et ceux qui continuent de relever du régime fiscal commun, alors même que ces deux catégories se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 77).
89 Par ailleurs, il convient de rappeler que le fait que seuls les contribuables remplissant les conditions pour l’application d’une mesure peuvent bénéficier de celle-ci ne saurait, en soi, conférer à cette mesure un caractère sélectif (arrêts du 29 mars 2012, 3M Italia, C‑417/10, EU:C:2012:184, point 42, ainsi que du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 59).
90 C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner l’argumentation de la République fédérale d’Allemagne, rappelée au point 76 du présent arrêt, selon laquelle le Tribunal a, en l’occurrence, méconnu l’article 107, paragraphe 1, TFUE, tel qu’interprété par la Cour, en jugeant que la Commission n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a considéré que le cadre de référence pertinent afin d’apprécier le caractère sélectif de la mesure litigieuse était constitué par la seule règle de la mise en non-valeur des pertes.
91 À cet égard, il convient de relever, à titre liminaire, que, si, formellement, la République fédérale d’Allemagne n’a visé que les points 114 et 115 de l’arrêt attaqué, qui contiennent la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu s’agissant de la détermination du cadre de référence qui serait pertinent en l’espèce, l’argumentation que cet État membre présente à la Cour, en particulier en ce qu’elle porte sur l’approche formaliste adoptée par le Tribunal et la qualification juridique erronée des faits qui en a résulté, ne peut s’entendre que comme visant aussi nécessairement les motifs sur lesquels le Tribunal appuie cette conclusion. Il convient donc, aux fins d’apprécier le bien-fondé éventuel de cette argumentation, d’examiner non seulement ces points 114 et 115, mais également les points 111 à 113 de l’arrêt attaqué qui en constituent le fondement.
92 Ainsi, il convient de relever que, au point 111 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que, « dans la décision [litigieuse], la Commission a défini [...] la règle de la mise en non-valeur des pertes comme étant la règle générale au regard de laquelle il convenait d’examiner si les entreprises se situant dans une situation factuelle et juridique comparable étaient différenciées, tandis que [GFKL] se rapporte à la règle plus générale du report des pertes, qui s’applique à toute imposition ».
93 Il a également rappelé, au point 112 de cet arrêt, que « la règle du report des pertes constitue une faculté dont bénéficient toutes les sociétés lors de l’application de l’impôt sur les sociétés » et que « la règle de la mise en non-valeur des pertes limite ladite faculté lors de l’acquisition d’une participation égale ou supérieure à 25 % du capital et la supprime lors de l’acquisition d’une participation supérieure à 50 % du capital », constatant ensuite que « [c]ette dernière règle s’applique, dès lors, systématiquement à tous les cas de figure de modification de l’actionnariat égale ou supérieure à 25 % du capital, sans distinguer selon la nature ou les caractéristiques des entreprises concernées ».
94 Au point 113 dudit arrêt, le Tribunal a ajouté que, « [e]n outre, la clause d’assainissement est libellée sous forme d’exception à la règle de la mise en non-valeur des pertes et ne s’applique qu’aux situations, bien définies, qui sont sujettes à cette dernière règle ».
95 Au point 114 du même arrêt, il en a déduit que « force est de constater que la règle de la mise en non-valeur des pertes, à l’instar de la règle du report des pertes, fait partie du cadre législatif dans lequel s’inscrit la mesure litigieuse », que, « [e]n d’autres termes, le cadre législatif pertinent en l’espèce est composé par la règle générale du report des pertes, telle que limitée par la règle de la mise en non-valeur des pertes, et [que] c’est précisément dans ce cadre qu’il convient de vérifier si la mesure litigieuse introduit des différenciations entre opérateurs se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au sens de la jurisprudence ».
96 Au point 115 de l’arrêt attaqué, le Tribunal en a conclu que « la Commission n’a[vait] pas commis d’erreur lorsque, tout en constatant l’existence d’une règle plus générale, à savoir celle du report des pertes, elle a[vait] établi que le cadre législatif de référence mis en place afin d’apprécier le caractère sélectif de la mesure litigieuse était constitué par la règle de la mise en non-valeur des pertes ».
97 Comme le soutient la République fédérale d’Allemagne, ce raisonnement a conduit le Tribunal à attribuer de manière erronée à la seule règle de la mise en non-valeur des pertes la qualification de cadre de référence au sens de la jurisprudence relative à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, tout en excluant de ce cadre de référence la règle générale du report des pertes.
98 En effet, il ressort de ce raisonnement que, bien que le Tribunal ait constaté l’existence d’une règle fiscale générale applicable à l’ensemble des entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés, à savoir la règle du report des pertes, il a pourtant estimé que la Commission n’avait pas commis d’erreur en considérant que le cadre de référence pertinent aux fins de l’examen du caractère sélectif de la mesure litigieuse était constitué par la seule règle de la mise en non-valeur des pertes, et ce alors qu’il était constant que cette dernière consistait elle-même en une exception à la règle du report des pertes et alors que l’examen d’ensemble du contenu de ces dispositions aurait dû permettre de constater que la clause d’assainissement avait pour effet de définir une situation relevant de la règle générale du report des pertes.
99 Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour, rappelée aux points 85 à 88 du présent arrêt, que la sélectivité d’une mesure fiscale ne saurait être justement appréciée à l’aune d’un cadre de référence constitué de quelques dispositions qui ont été artificiellement sorties d’un cadre législatif plus large. Partant, en excluant ainsi du cadre de référence pertinent en l’espèce la règle générale du report des pertes, le Tribunal a défini celui-ci de manière manifestement trop étroite.
100 Pour autant que, pour arriver à cette conclusion, le Tribunal s’est fondé sur le fait que la mesure litigieuse était libellée sous la forme d’une exception à la règle de la mise en non-valeur des pertes, il y a lieu de rappeler que, ainsi que cela a déjà été relevé au point 87 du présent arrêt, la technique réglementaire utilisée ne saurait être un élément décisif aux fins de la détermination du cadre de référence.
101 En outre, aucun argument utile au soutien de l’arrêt attaqué ne saurait, en l’espèce, être tiré de l’arrêt du 18 juillet 2013, P (C‑6/12, EU:C:2013:525), dès lors que, dans celui-ci, la Cour ne s’est pas prononcée sur ce qui devait constituer le cadre de référence dans l’affaire qui lui avait été soumise.
102 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la première branche du moyen unique de la République fédérale d’Allemagne, en ce qu’elle fait grief au Tribunal d’avoir méconnu l’article 107, paragraphe 1, TFUE, tel qu’interprété par la Cour, en accordant une importance décisive à la technique réglementaire utilisée en vue de déterminer le cadre de référence pertinent aux fins de l’appréciation de la condition relative à la sélectivité de l’avantage, est fondée.
103 Il convient également de relever que c’est sur le fondement de son appréciation, erronée en droit, selon laquelle la Commission n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a établi que le cadre de référence pertinent en l’espèce afin d’apprécier le caractère sélectif de la mesure litigieuse était constitué par la seule règle de la mise en non-valeur des pertes, que le Tribunal a analysé la suite de l’argumentation qui lui était présentée par GFKL, tendant à démontrer, notamment, l’absence de caractère a priori sélectif de la mesure litigieuse, une erreur dans l’appréciation de la situation juridique et factuelle des entreprises nécessitant un assainissement et la justification de la mesure litigieuse par la nature et l’économie du système fiscal.
104 Or, ainsi qu’il découle de la jurisprudence rappelée aux points 78 et 81 à 84 du présent arrêt, une erreur dans la détermination du cadre de référence à l’aune duquel le caractère sélectif d’une mesure doit être apprécié vicie nécessairement l’ensemble de l’analyse de la condition relative à la sélectivité. Dans ces conditions, il y a lieu d’accueillir le pourvoi et d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où il a rejeté le recours de première instance comme étant non fondé, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments de cette première branche, ni les deuxième et troisième branches du moyen unique du pourvoi.
Sur le recours devant le Tribunal
105 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.
106 Tel est le cas en l’espèce. Dans ce cadre, il suffit de relever qu’il résulte des motifs énoncés aux points 77 à 104 du présent arrêt que la première branche du premier moyen du recours de GFKL devant le Tribunal, dans la mesure où elle vise à établir que la Commission a commis une erreur dans la détermination du cadre de référence pertinent aux fins de l’appréciation du caractère sélectif de la mesure litigieuse lorsqu’elle l’a défini comme étant constitué par la seule règle de la mise en non-valeur des pertes, est fondée. Le caractère sélectif de la mesure litigieuse ayant ainsi été apprécié par la Commission à l’aune d’un cadre de référence déterminé de manière erronée, il y a lieu d’annuler la décision litigieuse.
Sur les dépens
107 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.
108 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
109 La Commission ayant succombé dans les pourvois incident et principal, la décision litigieuse étant annulée et la République fédérale d’Allemagne ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter, outre ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à la procédure de pourvoi, les dépens exposés par la République fédérale d’Allemagne afférents à la procédure de pourvoi.
110 Cependant, si GFKL a, dans le cadre de son recours de première instance, conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, laquelle a succombé dans le cadre de ce recours, GFKL n’a pas conclu à la condamnation de la Commission aux dépens dans le cadre du présent pourvoi. Par conséquent, il y a lieu de condamner la Commission à supporter les dépens de GFKL afférents à la procédure de première instance, cette dernière supportant ses propres dépens afférents à la procédure de pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi incident est rejeté.
2) Les points 2 et 3 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 4 février 2016, GFKL Financial Services/Commission (T‑620/11, EU:T:2016:59), sont annulés.
3) La décision 2011/527/UE de la Commission, du 26 janvier 2011, concernant l’aide d’État de l’Allemagne C 7/10 (ex CP 250/09 et NN 5/10) au titre de la clause d’assainissement prévue par la loi relative à l’impôt sur les sociétés (« KStG, Sanierungsklausel »), est annulée.
4) La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à la procédure de pourvoi, les dépens exposés par la République fédérale d’Allemagne afférents à la procédure de pourvoi ainsi que les dépens exposés par Lowell Financial Services GmbH afférents à la procédure de première instance.
5) Lowell Financial Services GmbH supporte ses propres dépens afférents à la procédure de pourvoi.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.
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