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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Orszagos Idegenrendeszeti Foigazgatosag Del-alfoldi Regionalis Igazgatosag (Opinion) French Text [2020] EUECJ C-924/19PPU_O (23 April 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2020/C92419PPU_O.html
Cite as: [2020] EUECJ C-924/19PPU_O, EU:C:2020:294, ECLI:EU:C:2020:294

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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 23 avril 2020 (1)

Affaires jointes C924/19 PPU et C925/19 PPU

FMS,

FNZ (C‑924/19 PPU),

SA,

SA junior (C‑925/19 PPU)

contre

Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság,

Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság

[demande de décision préjudicielle formée par le Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged, Hongrie)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32/UE – Demande de protection internationale – Article 33, paragraphe 2 – Motifs d’irrecevabilité – Réglementation nationale prévoyant l’irrecevabilité de la demande si le demandeur est arrivé dans l’État membre concerné par un pays où il n’est pas exposé à la persécution ou aux risques d’atteintes graves ou si ce pays accorde une protection suffisante – Articles 35, 38, paragraphe 4, articles 40 et 43 – Directive 2013/33/UE – Article 2, sous h), articles 8 et 9 – Procédure d’asile – Mesure de retour – Modalités procédurales – Rétention – Durée de la rétention – Légalité de la rétention – Examen – Recours – Droit à un recours effectif – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »





1.        Les deux affaires jointes C-924/19 PPU et C-925/19 PPU donnent l’occasion à la Cour de se pencher, à nouveau, sur la situation juridique des demandeurs de protection internationale séjournant dans la zone de transit de Röszke, à la frontière serbo-hongroise. Les nombreuses questions préjudicielles adressées à la Cour recouvrent différentes problématiques tenant à l’interprétation de la directive 2013/32/UE (2) et de la directive 2013/33/UE (3), notamment quant aux conséquences d’une non-réadmission par un pays tiers de migrants dont la demande de protection internationale a été déclarée irrecevable, à la qualification de l’hébergement de ceux-ci dans la zone de transit au regard des dispositions du droit de l’Union régissant la rétention et à leur droit à une protection juridictionnelle effective, notamment, au travers de l’adoption de mesures provisoires par le juge national.

2.         L’actualité des mouvements migratoires et l’arrêt récent Ilias et Ahmed c. Hongrie (4) de la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, concernant précisément la situation de ressortissants de pays tiers ayant séjourné dans la zone de transit de Röszke, confèrent aux présentes affaires préjudicielles un caractère sensible, les réponses à venir de la Cour revêtant un intérêt indiscutable tant d’un point de vue juridique qu’humanitaire.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 2013/32

3.        L’article 6 de la directive 2013/32, intitulé « Accès à la procédure », prévoit :

« 1.      Lorsqu’une personne présente une demande de protection internationale à une autorité compétente en vertu du droit national pour enregistrer de telles demandes, l’enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrables après la présentation de la demande.

[...]

2.      Les États membres veillent à ce que les personnes qui ont présenté une demande de protection internationale aient la possibilité concrète de l’introduire dans les meilleurs délais. Si les demandes n’introduisent pas leur demande, les États membres peuvent appliquer l’article 28 en conséquence.

3.      Sans préjudice du paragraphe 2, les États membres peuvent exiger que les demandes de protection internationale soient introduites en personne et/ou en un lieu désigné.

[...]

5.      Lorsque, en raison du nombre élevé de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides qui demandent simultanément une protection internationale, il est dans la pratique très difficile de respecter le délai prévu au paragraphe 1, les États membres peuvent prévoir de porter ce délai à dix jours ouvrables. »

4.        L’article 26 de cette directive, intitulé « Placement en rétention », dispose :

« 1.      Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur. Les motifs et les conditions de la rétention, ainsi que les garanties données aux demandeurs placés en rétention sont conformes à la directive [2013/33].

2.      Lorsqu’un demandeur est placé en rétention, les États membres veillent à prévoir la possibilité d’un contrôle juridictionnel rapide conformément à la directive [2013/33]. »

5.        Aux termes de l’article 33 de la même directive, intitulé « Demandes irrecevables » :

« 1.      Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement (UE) n° 604/2013 [(5)], les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en application de la directive 2011/95/UE [(6)], lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article.

2.      Les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque :

a)       une protection internationale a été accordée par un autre État membre ;

b)       un pays qui n’est pas un État membre est considéré comme le premier pays d’asile du demandeur en vertu de l’article 35 ;

c)      un pays qui n’est pas un État membre est considéré comme un pays tiers sûr pour le demandeur en vertu de l’article 38 ;

d)      la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95] ; ou

e)       une personne à charge du demandeur introduit une demande après avoir, conformément à l’article 7, paragraphe 2, consenti à ce que son cas soit traité dans le cadre d’une demande introduite en son nom, et que rien dans la situation de la personne à charge ne justifie une demande distincte. »

6.        L’article 35 de la directive 2013/32, intitulé « Le concept de premier pays d’asile », est libellé comme suit :

« Un pays peut être considéré comme le premier pays d’asile d’un demandeur déterminé, si le demandeur :

a)      s’est vu reconnaître la qualité de réfugié dans ce pays et peut encore se prévaloir de cette protection ; ou

b)      jouit, à un autre titre, d’une protection suffisante dans ce pays, y compris du bénéfice du principe de non-refoulement,

à condition qu’il soit réadmis dans ce pays.

En appliquant le concept de premier pays d’asile à la situation personnelle d’un demandeur, les États membres peuvent tenir compte de l’article 38, paragraphe 1. Le demandeur est autorisé à contester l’application du concept de premier pays d’asile à sa situation personnelle. »

7.        L’article 38 de cette directive, intitulé « Le concept de pays tiers sûr », prévoit à son paragraphe 4 :

« Lorsque le pays tiers ne permet pas au demandeur d’entrer sur son territoire, les États membres veillent à ce que cette personne puisse engager une procédure conformément aux principes de base et garanties fondamentales énoncés au chapitre II. »

8.        L’article 43 de la même directive, intitulé « Procédures à la frontière », dispose :

« 1.      Les États membres peuvent prévoir des procédures conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II afin de se prononcer, à leur frontière ou dans leurs zones de transit, sur :

a)      la recevabilité d’une demande, en vertu de l’article 33, présentée en de tels lieux ; et/ou

b)       le fond d’une demande dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 31, paragraphe 8.

2.      Les États membres veillent à ce que toute décision dans le cadre des procédures prévues au paragraphe 1 soit prise dans un délai raisonnable. Si aucune décision n’a été prise dans un délai de quatre semaines, le demandeur se voit accorder le droit d’entrer sur le territoire de l’État membre afin que sa demande soit traitée conformément aux autres dispositions de la présente directive.

3.      Lorsque l’afflux d’un grand nombre de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides introduisant une demande de protection internationale à la frontière ou dans une zone de transit rend impossible, en pratique, l’application des dispositions du paragraphe 1, ces procédures peuvent également être appliquées dès lors et aussi longtemps que ces ressortissants de pays tiers ou apatrides sont hébergés normalement dans des endroits situés à proximité de la frontière ou de la zone de transit. »

2.      La directive 2013/33

9.        L’article 8 de la directive 2013/33, intitulé « Placement en détention », est libellé comme suit :

« 1.       Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur conformément à la [directive 2013/32].

2.       Lorsque cela s’avère nécessaire et sur la base d’une appréciation au cas par cas, les États membres peuvent placer un demandeur en rétention, si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.

3.       Un demandeur ne peut être placé en rétention que :

a)      pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité ;

b)      pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a risque de fuite du demandeur ;

c)      pour statuer, dans le cadre d’une procédure, sur le droit du demandeur d’entrer sur le territoire ;

d)      lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour au titre de la directive 2008/115/CE [(7)], pour préparer le retour et/ou procéder à l’éloignement, et lorsque l’État membre concerné peut justifier sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile, qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour ;

e)      lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige ;

f)      conformément à l’article 28 du règlement [n° 604/2013].

Les motifs du placement en détention sont définis par le droit national.

4.       Les États membres veillent à ce que leur droit national fixe les règles relatives aux alternatives au placement en rétention, telles que l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, le dépôt d’une garantie financière ou l’obligation de demeurer dans un lieu déterminé. »

10.      L’article 9 de la même directive, intitulé « Garanties offertes aux demandeurs placés en rétention », se lit comme suit :

« 1.      Un demandeur n’est placé en rétention que pour une durée la plus brève possible et tant que les motifs énoncés à l’article 8, paragraphe 3, sont applicables.

Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés à l’article 8, paragraphe 3, sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention.

2.      Le placement en rétention des demandeurs est ordonné par écrit par les autorités judiciaires ou administratives. La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée.

3.      Lorsque le placement en rétention est ordonné par les autorités administratives, les États membres prévoient un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité du placement en rétention d’office et/ou à la demande du demandeur. Lorsqu’il a lieu d’office, ce contrôle est décidé le plus rapidement possible à partir du début du placement en rétention. Lorsqu’il a lieu à la demande du demandeur, il est décidé le plus rapidement possible après le lancement de la procédure pertinente. À cette fin, les États membres définissent dans leur droit national le délai dans lequel ont lieu le contrôle juridictionnel d’office et/ou le contrôle juridictionnel à la demande du demandeur.

Lorsque, à la suite du contrôle juridictionnel, le placement en rétention est jugé illégal, le demandeur concerné est libéré immédiatement.

4.      Les demandeurs placés en rétention sont informés immédiatement par écrit, dans une langue qu’ils comprennent ou dont on peut raisonnablement supposer qu’ils comprennent, des motifs du placement en rétention et des procédures prévues de recours contre la décision de placement en rétention prévues par le droit national, ainsi que de la possibilité de demander l’assistance juridique et la représentation gratuites.

5.      Le placement en rétention fait l’objet d’un contrôle par une autorité judiciaire à intervalles raisonnables, d’office et/ou à la demande du demandeur concerné, notamment en cas de prolongation, de survenance de circonstances pertinentes ou d’informations nouvelles pouvant avoir une incidence sur la légalité du placement en rétention.

[...] »

B.      Le droit hongrois

1.      La loi relative au droit d’asile

11.      L’article 5, paragraphe 1, de l’A menedékjogról szóló 2007. évi LXXX. törvény (loi n° LXXX de 2007 sur le droit d’asile, ci-après la « loi relative au droit d’asile ») dispose :

« Le demandeur d’asile a le droit

a)      conformément aux conditions prévues par la présente loi, de séjourner sur le territoire hongrois et, conformément à la réglementation spécifique, d’obtenir un permis de séjour sur le territoire hongrois ;

[…] »

12.      L’article 51, paragraphe 2, sous f), de la loi relative au droit d’asile, telle que modifiée le 1er juillet 2018, prévoit un motif d’irrecevabilité nouveau, défini ainsi :

« La demande est irrecevable lorsque le demandeur est arrivé en Hongrie par un pays où il n’est pas exposé à des persécutions au sens de l’article 6, paragraphe 1, ou au risque d’atteintes graves, au sens de l’article 12, paragraphe 1, ou dans lequel une protection d’un niveau adéquat est garantie. »

13.      L’article 71/A de la loi relative au droit d’asile régit la procédure à la frontière, et ses paragraphes 1 à 7 sont libellés comme suit :

« (1)      Si le ressortissant étranger présente sa demande dans une zone de transit

a)      avant d’avoir été autorisé à pénétrer sur le territoire de la Hongrie, ou

b)      après avoir été conduit jusqu’au portail de l’installation servant à protéger l’ordre à la frontière, telle que visée dans az államhatárról szóló törvény (loi sur les frontières de l’État) après avoir été interpellé à l’intérieur d’une bande de huit kilomètres à compter du tracé de la frontière extérieure du territoire hongrois telle que définie à l’article 2, point 2, du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) [(JO 2016, L 77, p. 1)], ou des signes de démarcation de la frontière.

Le présent chapitre s’applique sous réserve des dispositions ci‑dessous.

(2)      Dans le cadre d’une procédure à la frontière, le demandeur ne bénéficie pas des droits prévus à l’article 5, paragraphe 1, sous a) et c).

(3)      L’autorité compétente en matière d’asile statue par priorité sur la recevabilité de la demande, au plus tard dans le délai de huit jours à compter de l’introduction de celle‑ci. L’autorité compétente en matière d’asile prend sans délai les mesures nécessaires à la notification de la décision rendue au cours de la procédure.

(4)      Si quatre semaines se sont écoulées depuis l’introduction de la demande, l’autorité compétente en matière de police migratoire autorise l’entrée, conformément à la règle de droit applicable.

(5)      Si la demande n’est pas irrecevable, l’autorité compétente en matière de police migratoire autorise l’entrée, conformément à la règle de droit applicable.

(6)      Si le demandeur a été autorisé à pénétrer sur le territoire de la Hongrie, l’autorité compétente en matière d’asile mène la procédure conformément aux règles générales.

(7)      Les règles de la procédure à la frontière ne sont pas applicables aux personnes vulnérables. »

14.      Le chapitre IX/A. de la loi relative au droit d’asile contient des dispositions relatives à la situation de crise engendrée par une immigration massive, parmi lesquelles se trouvent l’article 80/I, sous i), et l’article 80/J, paragraphe 4, qui écartent l’application de l’article 71/A et de l’article 5, paragraphe 1, sous a) et c).

2.      La loi sur les frontières de l’État

15.      L’article 15/A. de l’Az államhatárról szóló 2007. évi LXXXIX. törvény (loi n° LXXXIX de 2007 sur les frontières de l’État, ci‑après la « loi sur les frontières de l’État ») prévoit ce qui suit en ce qui concerne les règles relatives à la mise en place d’une zone de transit :

« [...]

(2)      Un demandeur d’asile se trouvant dans une zone de transit peut entrer sur le territoire hongrois :

a)      si l’autorité compétente en matière d’asile prend une décision lui octroyant une protection internationale ;

b)      si les conditions sont réunies pour la conduite d’une procédure d’asile, conformément aux règles générales, ou

c)      s’il convient d’appliquer les dispositions de l’article 71/A, paragraphes 4 et 5, de la loi [relative au] droit d’asile.

(2 bis)      Dans une situation de crise engendrée par une immigration massive, l’entrée sur le territoire hongrois d’un demandeur d’asile se trouvant dans une zone de transit peut être autorisée dans les cas visés au paragraphe 2, sous a) et b).

[…] »

3.      La loi sur l’entrée et le séjour des ressortissants de pays tiers

16.      L’article 62 de l’A harmadik országbeli állampolgárok beutazásáról és tartózkodásáról szóló 2007. évi II. törvény (loi de 2007 sur l’entrée et le séjour des ressortissants de pays tiers, ci-après la « loi sur l’entrée et le séjour des ressortissants de pays tiers ») prévoit ce qui suit en ce qui concerne l’attribution d’un lieu de résidence déterminé :

« (1)      L’autorité compétente en matière de police migratoire peut ordonner à un ressortissant de pays tiers de résider dans un lieu déterminé lorsque :

[…]

f)      ledit ressortissant de pays tiers a fait l’objet d’une décision de retour et ne dispose ni des moyens matériels nécessaires à sa subsistance, ni de logement

[…]

(3)      Le ressortissant de pays tiers peut se voir attribuer un lieu de résidence obligatoire dans une structure d’hébergement collectif ou dans un centre d’accueil lorsqu’il n’est pas en mesure de subvenir à ses besoins, qu’il ne dispose ni d’un logement convenable, ni de moyens matériels ou revenus adéquats, ni d’une invitation de la part d’une personne tenue d’assurer sa prise en charge, pas plus que de membres de sa famille pouvant être obligés à pourvoir à son entretien.

(3 bis)      Dans une situation de crise engendrée par une immigration massive, une zone de transit peut également être désignée comme lieu de résidence obligatoire. »

II.    Les faits à l’origine des litiges, les procédures au principal et les questions préjudicielles

A.      L’affaire C-924/19 PPU

17.      Les requérants au principal sont un couple marié, ressortissants afghans, majeurs, qui sont arrivés par la Serbie en Hongrie, dans la zone de transit de Röszke.

18.      Le 5 février 2019, ils ont présenté une demande d’asile devant l’autorité chargée de l’asile, dans la zone de transit.

19.      À l’appui de leur demande, les requérants au principal ont déclaré qu’environ trois ans plus tôt, ils avaient quitté, pour des raisons politiques, l’Afghanistan à destination de la Turquie, munis d’un visa d’une durée d’un mois en cours de validité, et que ce visa a été prolongé de six mois par les autorités turques. Ils ont également fait valoir qu’ils sont passés par la Bulgarie et la Serbie avant d’entrer, pour la première fois, en Hongrie, qu’ils n’avaient fait aucune demande d’asile dans un autre pays et qu’ils n’y ont fait objet d’aucun mauvais traitement, ni d’aucune atteinte.

20.      Le même jour, l’autorité chargée de l’asile a désigné la zone de transit de Röszke comme lieu d’hébergement pour les requérants au principal. Ils s’y trouvent encore actuellement.

21.      Par décision administrative du 25 avril 2019, l’autorité chargée de l’asile a rejeté la demande d’asile des requérants au principal en tant qu’irrecevable, sans examen au fond, et a constaté que le principe de non-refoulement ne s’appliquait pas dans leur cas, en relation avec la République islamique d’Afghanistan. Elle a ordonné l’éloignement des requérants au principal, au moyen d’une décision assortie d’une interdiction d’entrée et de séjour d’une durée d’un an ainsi que du signalement aux fins de non-admission et d’interdiction de séjour dans le système d’information Schengen.

22.      La demande d’asile des requérants au principal a été déclarée irrecevable sur le fondement de l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la loi relative au droit d’asile au motif que les requérants au principal sont arrivés en Hongrie en passant par un pays où ils n’étaient pas exposés à des persécutions justifiant la reconnaissance du statut de réfugié ou un risque d’atteintes graves justifiant l’octroi de la protection subsidiaire ou que, dans le pays par lequel ils sont arrivés en Hongrie, une protection adéquate leur était garantie (concept du « pays de transit sûr »).

23.      Les requérants au principal ont introduit un recours contre la décision de l’autorité chargée de l’asile, qui a été rejeté par le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügy Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale, Hongrie) par décision du 14 mai 2019, sans que cette juridiction se prononce sur le fond de leur demande d’asile. Cette dernière a encore indiqué que les conséquences d’une éventuelle absence de réadmission des parties requérantes par la République de Serbie devaient être tirées dans le cadre de la procédure de police migratoire.

24.      Par la suite, l’autorité de police migratoire de premier degré a, par décision du 17 mai 2019, imposé aux requérants au principal de séjourner dans le secteur des étrangers de la zone de transit de Röszke, à compter de la date de ladite décision, en application de l’article 62, paragraphe 3 bis, de la loi sur l’entrée et le séjour des ressortissants de pays tiers. Selon la juridiction de renvoi, les motifs justifiant une telle décision n’y sont pas mentionnés et le droit de saisir une juridiction contre cette décision est limité, seul le non-respect de l’obligation de fournir des informations, imposée à ladite autorité de police par la réglementation, pouvant être contesté devant le juge ordinaire sous forme d’exception.

25.      Le même jour, l’autorité de police migratoire de premier degré a contacté l’organe de police compétent pour le renvoi en Serbie afin qu’il entreprenne les démarches nécessaires à la réadmission en Serbie des requérants au principal.

26.      Le 23 mai 2019, l’organe de police compétent a indiqué que la République de Serbie n’avait pas réadmis les requérants au principal sur son territoire, car ceux-ci n’étant pas entrés illégalement sur le territoire hongrois en provenance du territoire de la Serbie, les conditions d’application de l’article 3, paragraphe 1, de l’accord de réadmission conclu entre l’Union européenne et la République de Serbie n’étaient pas réunies.

27.      L’autorité chargée de l’asile n’a pas examiné le fond de la demande d’asile des requérants, malgré le fait que la République de Serbie ne les a pas réadmis, au motif que cette autorité ne procède à un tel examen, au titre de l’article 51/A de la loi sur le droit d’asile, que si le motif d’irrecevabilité est fondé sur la notion de « pays d’origine sûr » ou de « pays tiers sûr », alors que la décision rejetant comme irrecevable la demande d’asile des requérants était fondée sur un autre motif d’irrecevabilité, à savoir celui du « pays de transit sûr », tel que défini à l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la même loi.

28.      Par décisions des 3 et 6 juin 2019, l’autorité de police migratoire de premier degré a modifié les décisions de retour adoptées par l’autorité chargée de l’asile, en ce qui concerne le pays de destination, et ordonné l’éloignement sous escorte des requérants au principal vers l’Afghanistan.

29.      Les requérants au principal ont fait opposition de ces décisions devant l’autorité chargée de l’asile, agissant en tant qu’autorité de police migratoire. Par ordonnances du 28 juin 2019, leur opposition a toutefois été rejetée. En vertu de l’article 65, paragraphe 3 ter, de la loi sur l’entrée et le séjour des ressortissants de pays tiers, aucun recours n’est ouvert contre la décision statuant sur l’opposition.

30.      Les requérants au principal ont saisi la juridiction de renvoi, d’une part, d’un recours visant à ce qu’elle annule les ordonnances rejetant l’opposition à l’exécution des décisions modifiant le pays de retour et qu’elle oblige l’autorité de police migratoire de premier degré à mener une nouvelle procédure, en faisant valoir, premièrement, que lesdites ordonnances constituent des décisions de retour qui doivent pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel permettant un examen quant au fond en tenant compte du principe de non-refoulement et, deuxièmement, que les décisions de retour ne sont pas légales. En effet, selon eux, l’autorité chargée de l’asile aurait dû examiner le fond de leur demande d’asile dès lors qu’ils n’avaient pas été réadmis par la République de Serbie et que l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la loi relative au droit d’asile est contraire au droit de l’Union.

31.      D’autre part, les requérants au principal ont introduit devant la juridiction de renvoi un recours administratif contentieux en carence contre l’autorité chargée de l’asile, visant à faire constater que cette autorité a manqué à ses obligations en s’abstenant de leur attribuer un lieu de séjour situé en dehors de la zone de transit.

32.      La juridiction de renvoi a joint les deux recours.

33.      Cette juridiction relève que la zone de transit de Röszke, où les requérants au principal se trouvent depuis l’introduction de leur demande d’asile, est située à la frontière entre la Hongrie et la Serbie.

34.      En ce qui concerne la demande d’asile introduite par les requérants au principal, la juridiction de renvoi relève que l’autorité chargée de l’asile n’a pas examiné le fond de cette demande, car un tel examen ne serait pas prévu lorsque la demande d’asile a été rejetée sur la base du motif d’irrecevabilité relatif au pays de transit sûr. Elle relève également que ni l’autorité de police des étrangers de premier degré, ni la juridiction ayant statué en première instance sur le recours introduit par les requérants au principal contre le refus de leur demande d’asile n’ont examiné le fond de ladite demande.

35.      La juridiction de renvoi relève que le motif d’irrecevabilité sur lequel est basé le rejet de la demande d’asile introduite par les requérants au principal, tiré du concept du « pays de transit sûr », au sens de l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la loi relative au droit d’asile, ne figure pas sur la liste des motifs énumérés, de manière exhaustive, par la directive 2013/32. Elle considère, dès lors, que ce motif est contraire au droit de l’Union et se réfère, à cet égard, aux conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire LH (Tompa) (C‑564/18, EU:C:2019:1056).

36.      Selon la juridiction de renvoi, il n’existerait, dans le cas des requérants au principal, aucune règle de droit exigeant expressément la reprise de l’examen de leur demande d’asile. En effet, l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2013/32, tout comme l’article 51/A de la loi relative au droit d’asile, qui le transpose en droit hongrois, ne concerneraient que le cas dans lequel il n’est pas possible de renvoyer le demandeur vers un pays d’origine sûr ou vers un pays tiers sûr, et non lorsqu’il est impossible de renvoyer le demandeur vers « un pays de transit sûr ».

37.      Elle relève encore que le refus de prise en charge des requérants au principal par la République de Serbie a rendu caduc le motif d’irrecevabilité prévu à l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la loi relative au droit d’asile, ce qui devrait avoir pour conséquence d’obliger l’autorité chargée de l’asile à réexaminer leur demande d’asile.

38.      La juridiction de renvoi souligne que, au cours de ce nouvel examen, cette autorité peut invoquer un motif d’irrecevabilité prévu à l’article 33, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous b) et c) de la directive 2013/32. Toutefois, eu égard aux articles 35 et 38 de cette directive, interprétés à la lumière de l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), elle estime qu’une demande ne peut être déclarée irrecevable sur cette base que pour autant que la personne concernée soit réadmise par le pays tiers. Il s’ensuivrait que, s’il ne fait aucun doute que le pays vers lequel la personne doit être éloignée ne réadmettra pas le demandeur, l’autorité compétente en matière d’asile ne saurait déclarer sa demande irrecevable. Dans un tel cas, la juridiction de renvoi considère qu’une telle demande ne saurait être considérée comme une demande ultérieure, au sens de l’article 40 de la directive 2013/32.

39.      Compte tenu de ce qui précède, la juridiction de renvoi estime que, à l’heure actuelle, les requérants au principal relèvent encore du champ d’application de la directive 2013/32. Elle s’interroge dès lors sur le point de savoir si les requérants au principal doivent être considérés comme étant en rétention, au sens de cette directive, et, le cas échéant, si celle-ci est légale, le délai de quatre semaines visé à l’article 43, paragraphe 2, de ladite directive, étant dépassé en l’espèce.

40.      Toutefois, même dans l’hypothèse où il conviendrait de ne pas reconnaître aux requérants au principal le droit de voir leur demande d’asile à nouveau examinée, la juridiction de renvoi se demande si ces derniers doivent être considérés en rétention au sens de la directive 2008/115 et si, dans l’affirmative, cette rétention est compatible avec l’article 15 de ladite directive.

41.      À cet égard, la juridiction de renvoi considère que la situation des requérants au principal se distingue de celle ayant donné lieu à l’arrêt Ilias et Ahmed c. Hongrie (8), rendu le 21 novembre 2019 par la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme.

42.      La juridiction de renvoi est donc encline à considérer que le placement des requérants au principal dans le secteur de la zone de transit réservé aux ressortissants de pays tiers dont la demande d’asile a été rejetée constitue une rétention qui n’est pas conforme aux exigences imposées par le droit de l’Union. Elle estime dès lors que, en vertu de l’article 47 de la Charte, elle devrait pouvoir contraindre, à titre de mesure provisoire, l’autorité nationale compétente à attribuer aux requérants au principal un lieu de résidence situé en dehors de la zone de transit, qui ne soit pas un lieu de rétention, jusqu’à la clôture de la procédure administrative contentieuse.

43.      Enfin, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’effectivité du recours contre la décision par laquelle l’autorité de police migratoire de premier degré a modifié la décision de retour dont font l’objet les requérants au principal, s’agissant du pays de destination et que cette juridiction considère comme une nouvelle décision de retour, en application de l’article 3, point 4, et de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

44.      En effet, l’opposition à cette décision est examinée par l’autorité chargée de l’asile alors que cette dernière ne présenterait pas les garanties d’impartialité et d’indépendance requises par le droit de l’Union puisqu’elle relèverait de l’administration centrale, serait placée sous l’autorité du ministre chargé de la police et ferait donc partie du pouvoir exécutif. En outre, la réglementation hongroise pertinente ne permettrait pas à la juridiction de renvoi de contrôler la décision administrative rendue sur l’opposition à l’exécution de la décision modifiant la décision de retour.

45.      Cette situation aboutirait à ce que la décision modifiant le pays de retour pourrait, en définitive, être maintenue alors même que, dans l’hypothèse où devrait être menée une nouvelle procédure d’asile à leur égard, les requérants au principal ne relèveraient plus de la directive 2008/115, mais de la directive 2013/32.

46.      Dans ces conditions, le Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged, Hongrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      [nouveau motif d’irrecevabilité]

Les dispositions relatives aux demandes irrecevables de l’article 33 de la [directive 2013/32] peuvent-elles être interprétées en ce sens qu’elles font obstacle à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle une demande est irrecevable dans le cadre de la procédure d’asile lorsque le demandeur est arrivé en Hongrie par un pays où il n’est pas exposé à des persécutions ou à un risque d’atteintes graves, ou dans lequel une protection d’un niveau adéquat est garantie ? 

2)      [conduite d’une procédure d’asile]

a)      Faut-il interpréter l’article 6 et l’article 38, paragraphe 4, de la [directive 2013/32], ainsi que son considérant 34, qui impose une obligation d’examen des demandes de protection internationale, lus conjointement à l’article 18 de la Charte, en ce sens que l’autorité compétente en matière d’asile d’un État membre doit garantir au demandeur la possibilité d’un enclenchement de la procédure d’asile dans le cas où elle n’a pas examiné sur le fond la demande d’asile en invoquant le motif d’irrecevabilité évoqué à la question 1 ci‑dessus, puis a éloigné ledit demandeur vers un État tiers qui, toutefois, n’a pas réadmis celui‑ci ?

b)      Si la réponse à la question 2. a) est positive, que signifie exactement cette obligation ? Implique-t-elle une obligation d’assurer la possibilité de présenter une nouvelle demande d’asile, l’application des conséquences négatives concernant les demandes ultérieures visées à l’article 33, paragraphe 2, sous d), et à l’article 40 de la [directive 2013/32] étant alors interdite, ou signifie-t-elle que la procédure d’asile doit être enclenchée ou menée d’office ?

c)      Si la réponse à la question 2. a) est positive, est-il possible, compte tenu également de l’article 38, paragraphe 4, de la [directive 2013/32], que l’État membre – la situation de fait étant inchangée – examine de nouveau l’irrecevabilité dans le cadre de cette nouvelle procédure (et puisse ainsi appliquer tout type de procédure prévu au chapitre III de la directive, par exemple appliquer de nouveau un motif d’irrecevabilité), ou faut-il examiner la demande d’asile sur le fond au regard du pays d’origine ?

d)      Résulte-t-il de l’article 33, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous b) et c), ainsi que des articles 35 et 38 de la [directive 2013/32], lus conjointement à l’article 18 de la Charte, qu’une des conditions cumulatives de l’application des motifs d’irrecevabilité respectivement visés, c’est‑à‑dire de l’adoption d’une décision fondée sur un de ces motifs, est la réadmission par le pays tiers, ou est-il suffisant de vérifier que cette condition est remplie uniquement au moment de l’exécution d’une telle décision ?

3)      [zone de transit en tant que lieu de rétention dans le cadre de la procédure d’asile]

Ces questions sont pertinentes, s’il y a lieu, sur le fondement des réponses apportées à la question 2, de mener une procédure d’asile.

a)      Faut-il interpréter l’article 43 de la directive 2013/32 en ce sens que celui‑ci s’oppose à la réglementation d’un État membre qui permet la rétention du demandeur dans une zone de transit au-delà de quatre semaines ?

b)      Faut-il interpréter l’article 2, sous h), de la [directive 2013/33], applicable en vertu de l’article 26 de la [directive 2013/32], lu conjointement à l’article 6 et à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, en ce sens que, au-delà du délai de quatre semaines prévu à l’article 43 de la directive 2013/32, l’hébergement en zone de transit, dans des circonstances analogues à celles de l’affaire au principal (zone dont aucun départ volontaire en quelque direction que ce soit n’est légalement possible) est une rétention ?

c)      Est-il compatible avec l’article 8 de la [directive 2013/33], applicable sur le fondement de l’article 26 de la [directive 2013/32], que, au-delà du délai de quatre semaines prévu à l’article 43 de la [directive 2013/32], le placement en rétention du demandeur ait lieu uniquement au motif que celui‑ci, faute de moyens de subsistance, ne peut subvenir à ses besoins (hébergement et nourriture) ?

d)      Est-il compatible avec les articles 8 et 9 de la [directive 2013/33], applicables sur le fondement de l’article 26 de la [directive 2013/32], que l’hébergement constitutif d’une rétention de facto et excédant la durée de quatre semaines prévue à l’article 43 de la [directive 2013/32] n’ait pas été ordonné par une décision de placement en rétention, que le demandeur ne dispose d’aucun recours concernant la légalité du placement et du maintien en rétention, que ce placement en rétention de facto ait eu lieu sans examen de sa nécessité et de son caractère proportionné, ni des solutions de substitution envisageables, et que la durée précise de la rétention, y compris son terme, soient indéterminés ?

e)      L’article 47 de la Charte peut-il être interprété en ce sens que la juridiction d’un État membre, lorsqu’il est manifeste qu’elle est en présence d’une rétention illégale, peut, à titre de mesure provisoire, obliger l’autorité à attribuer au ressortissant d’un pays tiers, jusqu’à la clôture de la procédure administrative contentieuse, un lieu de résidence situé en dehors de la zone de transit, qui ne constitue pas un lieu de rétention ?

4)      [zone de transit en tant que lieu de rétention dans le cadre de la police migratoire]

Ces questions sont pertinentes, s’il y a lieu, sur le fondement des réponses apportées à la question 2, de mener non pas une procédure d’asile, mais une procédure relevant de la police migratoire.

a)      Faut-il interpréter les considérants 17 et 24, ainsi que l’article 16 de la [directive 2008/115], lus conjointement à l’article 6 et à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, comme signifiant que l’hébergement en zone de transit dans des circonstances analogues à celles de l’affaire au principal (zone dont aucun départ volontaire en quelque direction que ce soit n’est légalement possible) est une privation de liberté individuelle au sens de ces dispositions ?

b)      Est-il compatible avec le considérant 16 et l’article 15, paragraphe 1, de la [directive 2008/115], lus conjointement à l’article 6 et à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, que le placement en rétention du ressortissant d’un pays tiers ait lieu uniquement au motif que celui‑ci fait l’objet d’une mesure de retour et que, faute de moyens de subsistance, il ne peut pas subvenir à ses besoins (hébergement et nourriture) ?

c)      Est-il compatible avec le considérant 16 et l’article 15, paragraphe 2, de la [directive 2008/115], lus conjointement à l’article 6, à l’article 47 et à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, que l’hébergement constitutif d’une rétention de facto n’ait pas été ordonné par une décision de placement en rétention, que le ressortissant du pays tiers ne dispose d’aucun recours concernant la légalité du placement et du maintien en rétention, que ce placement en rétention de facto ait eu lieu sans examen de sa nécessité et de son caractère proportionné, ni des solutions de substitution envisageables ?

d)      L’article 15, paragraphes 1, et 4 à 6, ainsi que le considérant 16 de la [directive 2008/115], lus conjointement aux articles 1er, 4, 6 et 47 de la Charte, peuvent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un maintien en rétention dont la durée précise, y compris le terme, sont indéterminés ?

e)      Le droit de l’Union peut-il être interprété en ce sens que la juridiction d’un État membre, lorsqu’il est manifeste qu’elle est en présence d’une rétention illégale, peut, à titre de mesure provisoire, obliger l’autorité à attribuer au ressortissant d’un pays tiers, jusqu’à la clôture de la procédure administrative contentieuse, un lieu de résidence situé en dehors de la zone de transit, qui ne constitue pas un lieu de rétention ?

5)      [recours effectif en ce qui concerne la décision modifiant le pays de destination]

Faut-il interpréter l’article 13 de la [directive 2008/115], aux termes duquel le ressortissant d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les “décisions liées au retour”, lu conjointement à l’article 47 de la Charte, en ce sens qu’il faut qu’une juridiction examine au moins une fois un recours introduit contre la décision modifiant le pays de retour, lorsque le recours prévu dans ce cas par le droit de l’État membre n’est pas un recours effectif ? »

B.      L’affaire C-925/19 PPU

47.      Les requérants au principal sont un père et son enfant mineur, ressortissants iraniens, qui sont arrivés, par la Serbie, en Hongrie dans la zone de transit de Röszke.

48.      Le 5 décembre 2018, ils ont présenté une demande d’asile devant l’autorité chargée de l’asile, dans la zone de transit.

49.      À l’appui de leur demande, le père a fait valoir qu’il avait quitté l’Iran deux ans et demi plus tôt au motif qu’il avait divorcé de son épouse, qu’il s’était rapproché de la religion chrétienne, sans pour autant être baptisé, et que, durant son enfance, il avait été victime de violences sexuelles de la part de membres de sa famille. Il a également précisé que les raisons qui l’ont contraint à quitter son pays d’origine ne sont pas politiques ou liées à une éventuelle appartenance à une communauté ethnique ou religieuse minoritaire et qu’il était arrivé en Hongrie en passant par la Turquie, la Bulgarie et la Serbie.

50.      Le père a encore déclaré que, après avoir quitté l’Iran pour la Turquie et y avoir passé dix jours, sans solliciter l’asile dans cet État, il avait séjourné environ trois mois en Bulgarie. Il a également soutenu que, après avoir été informé qu’il serait renvoyé en Iran s’il ne présentait pas, dans cet État membre, une demande de protection internationale, il y avait introduit, contre son gré, une demande d’asile. Il a, par ailleurs, affirmé qu’il aurait aussi séjourné en Serbie durant plus de deux ans, sans y introduire de demande d’asile.

51.      Le 5 décembre 2018, l’autorité chargée de l’asile a désigné la zone de transit de Röszke comme lieu d’hébergement pour les requérants au principal. Ils s’y trouvent encore actuellement.

52.      Par décision administrative du 12 février 2019, l’autorité chargée de l’asile a rejeté, en vertu de l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la loi relative au droit d’asile, la demande d’asile des requérants au principal en tant qu’irrecevable, sans examen au fond, et a constaté que le principe de non-refoulement ne s’appliquait pas dans leur cas. Elle a ordonné l’éloignement des requérants au principal du territoire de l’Union vers la Serbie en relevant que les requérants au principal n’étaient pas exposés à un risque d’atteintes graves ou à des persécutions en Turquie, en Bulgarie et en Serbie et qu’une protection d’un niveau adéquat leur y était assurée. Cette décision a été assortie d’une interdiction d’entrée et de séjour d’une durée d’un an.

53.      Les requérants au principal ont introduit un recours contre la décision de l’autorité chargée de l’asile, qui a été rejeté par le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügy Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale) par décision du 5 mars 2019, sans que cette juridiction se prononce sur le fond de leur demande d’asile. Cette dernière a encore indiqué que les conséquences d’une éventuelle absence de réadmission des parties requérantes par la République de Serbie devaient être tirées dans le cadre de la procédure de police migratoire.

54.      Par la suite, l’autorité de police migratoire de premier degré a, par décision du 27 mars 2019, imposé aux requérants au principal de séjourner dans le secteur des étrangers de la zone de transit de Röszke, à compter de la date de ladite décision en application de l’article 62, paragraphe 3 bis, de la loi sur l’entrée et le séjour des ressortissants de pays tiers. Selon la juridiction de renvoi, les motifs justifiant une telle décision n’y sont pas mentionnés et le droit de saisir une juridiction contre cette décision est limité, seul le non-respect de l’obligation de fournir des informations, imposée à ladite autorité de police par la réglementation, pouvant être contestée devant le juge ordinaire sous forme d’exception.

55.      Le même jour, l’autorité de police migratoire de premier degré a contacté l’organe de police compétent pour le renvoi en Serbie afin qu’il entreprenne les démarches nécessaires à la réadmission en Serbie des requérants au principal.

56.      Le 1er avril 2019, l’organe de police compétent a indiqué que la République de Serbie n’avait pas réadmis les requérants au principal sur son territoire, car ceux-ci n’étant pas entrés illégalement sur le territoire hongrois en provenance du territoire de la Serbie, les conditions d’application de l’article 3, paragraphe 1, de l’accord de réadmission conclu entre l’Union et la République de Serbie n’étaient pas réunies.

57.      L’autorité chargée de l’asile n’a pas examiné le fond de la demande d’asile des requérants, malgré le fait que la République de Serbie ne les a pas réadmis, au motif que cette autorité ne procède à un tel examen, au titre de l’article 51/A de la loi relative au droit d’asile, que si le motif d’irrecevabilité est fondé sur la notion de « pays d’origine sûr » ou de « pays tiers sûr », alors que la décision rejetant comme irrecevable la demande d’asile des requérants était fondée sur un autre motif d’irrecevabilité, à savoir celui du « pays de transit sûr », tel que défini à l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la même loi.

58.      Par décision du 17 avril 2019, l’autorité de police migratoire de premier degré a modifié la décision d’expulsion contenue dans la décision de l’autorité chargée de l’asile du 12 février 2019, en ce qui concerne le pays de destination, et a ordonné l’éloignement sous escorte des requérants au principal vers l’Iran.

59.      Les requérants au principal ont fait opposition à cette décision devant l’autorité chargée de l’asile, agissant en tant qu’autorité de police migratoire. Par ordonnance du 17 mai 2019, leur opposition a été rejetée. En vertu de l’article 65, paragraphe 3 ter, de la loi sur l’entrée et le séjour des ressortissants de pays tiers, aucun recours n’est ouvert contre la décision statuant sur l’opposition qui, en tant que telle, ne peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.

60.      Les requérants au principal ont saisi la juridiction de renvoi, d’une part, d’un recours visant à ce qu’elle annule les ordonnances rejetant l’opposition à l’exécution des décisions modifiant le pays de retour et qu’elle oblige l’autorité de police migratoire de premier degré à mener une nouvelle procédure, en faisant valoir, premièrement, que lesdites ordonnances constituent des décisions de retour qui doivent pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel permettant un examen quant au fond en tenant compte du principe de non-refoulement et, deuxièmement, que les décisions de retour ne sont pas légales. En effet, selon eux, l’autorité chargée de l’asile aurait dû examiner le fond de leur demande d’asile dès lors qu’ils n’avaient pas été réadmis par la République de Serbie et que l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la loi relative au droit d’asile est contraire au droit de l’Union.

61.      D’autre part, les requérants au principal ont introduit devant la juridiction de renvoi un recours administratif contentieux en carence contre l’autorité chargée de l’asile visant à faire constater que cette autorité a manqué à ses obligations en s’abstenant de leur attribuer un lieu de séjour situé en dehors de la zone de transit.

62.      La juridiction de renvoi a joint les deux recours et, pour les mêmes raisons que celles exprimées aux points 33 à 45 des présentes conclusions, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les mêmes questions préjudicielles que celles qu’elle lui a déférées dans l’affaire C-924/19 PPU.

III. La procédure devant la Cour

63.      La juridiction de renvoi demande que, dans les deux affaires jointes, le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

64.      Par décision du 22 janvier 2020, la Cour a décidé de faire droit à cette demande.

65.      Les parties requérantes au principal, le gouvernement hongrois et la Commission européenne ont présenté leurs observations écrites. Ces mêmes parties et la Commission ont également présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 13 mars 2020.

IV.    Analyse

A.      Sur la recevabilité des questions préjudicielles

66.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher. La justification d’une demande de décision préjudicielle est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige portant sur le droit de l’Union (9).

67.       En l’occurrence, il importe de souligner que la juridiction de renvoi a été saisie par l’ensemble des requérants au principal de deux recours distincts par leur objet, qui ont néanmoins donné lieu à une décision procédurale de jonction, à savoir :

–        un recours visant à faire annuler l’ordonnance portant rejet de l’opposition dirigée contre la décision modifiant le pays de destination et, subséquemment, à imposer à l’autorité nationale compétente l’engagement d’une nouvelle procédure d’asile,

–        un recours en carence visant à faire constater que l’autorité nationale compétente en matière d’asile a manqué à ses obligations en s’abstenant de fixer un lieu de séjour des requérants au principal en dehors de la zone de transit.

68.      C’est dans ce contexte spécifique qu’il convient d’apprécier la pertinence des questions posées, de manière indistincte, par la juridiction de renvoi pour l’issue des litiges au principal, ainsi défini.

69.      Il me semble indubitable que présente une telle pertinence, au regard du recours en annulation susmentionné, la cinquième question par laquelle la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’effectivité du recours exercé contre la décision modificative dont l’examen est confié, selon le droit interne, à l’autorité administrative ayant adopté cette décision, sans possibilité de contrôle juridictionnel de l’éventuel rejet dudit recours, à la seule initiative du destinataire de ladite décision (10).

70.      Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la cinquième question, il est possible de considérer que les questions relevant de la première et deuxième catégorie sont également pertinentes en considération de la teneur de l’argumentation des requérants au principal concernant la légalité de la décision modificative. Ces derniers font valoir que cette décision a été adoptée sur le fondement d’une déclaration d’irrecevabilité de leur demande d’asile au motif, contraire au droit de l’Union, tiré du concept du « pays de transit sûr » au sens de l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la loi relative au droit d’asile (11).

71.      Dans le cadre de l’appréciation de ce qui semble constituer une exception d’illégalité de la disposition susmentionnée et de l’obligation corrélative pour l’autorité nationale compétente de mener à nouveau une procédure d’asile, les réponses de la Cour concernant la problématique de la compatibilité du motif d’irrecevabilité susmentionnée avec le droit de l’Union et des conséquences d’une incompatibilité en ce qui concerne la conduite de la procédure d’asile, telle qu’évoquée dans la première et deuxième catégorie de questions préjudicielles, sont susceptibles d’être prises en considération par la juridiction de renvoi.

72.      Il est vrai que les demandes de décision préjudicielle ne sont guère précises s’agissant des dispositions du droit procédural hongrois applicables dans un tel contexte. Il convient cependant de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence (12).

73.      S’agissant des questions regroupées dans la troisième et quatrième catégorie, exposées de manière alternative, elles visent à déterminer si l’hébergement des requérants au principal dans le secteur de la zone de transit constitue une rétention remplissant les conditions prévues par les dispositions pertinentes des directives 2013/32 et 2013/33 ou de la directive 2008/115, selon que la situation desdits requérants relève du champ d’application des deux premières ou de la dernière norme.

74.      Ces questions présentent à l’évidence un lien avec la solution des litiges au principal portant sur l’éventuelle carence de l’autorité nationale compétente dans la fixation du lieu de séjour des requérants au principal. En outre, la résolution de ces questions, et par là même desdits litiges, me paraît impliquer la détermination préalable du statut juridique des requérants au principal, telle qu’exposée au point précédent, ce qui conduit à la conclusion de la pertinence des questions regroupées dans la première et deuxième catégorie pour l’issue des litiges au principal, envisagés sous l’aspect du recours en carence dont est également saisie la juridiction de renvoi.

75.      Il s’ensuit qu’il y a lieu de statuer sur l’ensemble des questions posées (13), à commencer par la cinquième d’entre elles, dans la mesure où la réponse à y apporter déterminera la compétence de la juridiction de renvoi pour connaître du recours en annulation contre la décision portant modification du pays de destination.

B.      Sur le droit à un recours effectif contre la décision modifiant le pays de retour

76.      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13 de la directive 2008/115, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant un recours contre la décision de l’autorité administrative compétente portant modification du pays de destination indiqué dans la décision de retour, confie l’appréciation dudit recours à cette même autorité, sans possibilité de contrôle juridictionnel à la seule initiative du destinataire de ladite décision.

77.      Il convient de rappeler que, par acte du 12 février 2019, l’autorité nationale compétente a rejeté la demande d’asile des requérants au principal de nationalité iranienne comme étant irrecevable, ordonné l’éloignement de ces derniers vers la Serbie sous escorte jusqu’à la frontière serbo-hongroise et prononcé une interdiction d’entrée pour une durée d’un an. Un acte identique dans sa teneur a été adopté à l’égard des requérants au principal de nationalité afghane le 25 avril 2019. Il s’agit, dans les deux cas, d’un acte administratif unique et complexe combinant le rejet de la demande de protection internationale ainsi qu’une décision de retour et d’éloignement assortie d’une interdiction d’entrée, ce qui est a priori conforme aux prescriptions de l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115.

78.      À la suite de la non-réadmission par la République de Serbie des requérants au principal, les deux actes en cause ont fait l’objet d’une modification portant sur le pays de destination, l’indication du pays susmentionné étant remplacée par celle de l’Iran ou de l’Afghanistan, en concordance avec la nationalité des intéressés. La mesure d’éloignement a été adaptée dans le même sens. Il y a lieu de considérer, selon moi, que chaque décision modificative constitue une nouvelle décision de retour et d’éloignement contre laquelle les requérants au principal doivent disposer d’une voie de recours effective, conformément aux dispositions combinées de l’article 12, paragraphe 1, et de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

79.      Dans l’hypothèse où le ressortissant d’un pays tiers est destinataire d’une décision lui imposant une obligation de retour ainsi qu’un éloignement forcé, en l’occurrence un transfert sous escorte jusqu’à la frontière serbo-hongroise, la désignation du pays de destination en constitue un élément essentiel et impératif. C’est en effet au regard de cette indication que s’effectue l’appréciation du respect du principe de non-refoulement qui s’impose aux États membres lors de la mise en œuvre de la directive 2008/115 conformément à l’article 5 de celle-ci. Eu égard à cette obligation, l’éloignement (transfert physique en dehors de l’État membre) ne peut se faire vers une destination indéterminée, mais uniquement vers un pays de retour défini. En modifiant le pays de destination indiqué dans la décision de retour et d’éloignement, l’autorité nationale compétente a adopté une nouvelle décision qui fait grief à leur destinataire et doit, dès lors, pouvoir être contestée aux termes de l’article 13 de la directive 2008/115.

80.       Force est de constater que cette contestation est effectivement prévue par le droit interne, en l’occurrence l’article 65, paragraphe 3 ter, de la loi sur l’entrée et le séjour des ressortissants de pays tiers, sous la forme d’une opposition devant être formée dans un délai de vingt-quatre heures suivant la notification de la décision modificative auprès de l’autorité administrative qui en est l’auteure, « la décision rendue sur l’opposition à l’exécution n’étant pas susceptible de recours » selon les termes dudit article (14).

81.      Est-il possible de considérer cette opposition comme une voie de recours effective au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 ? Cette disposition énonce en effet que « le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer une décision de retour prise à son égard devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance ».

82.      La formulation de la disposition susmentionnée peut susciter des interrogations, en ce sens qu’il est possible de se demander si la condition d’effectivité du recours est satisfaite par le simple fait de pouvoir attaquer une décision de retour et/ou d’éloignement devant l’autorité administrative compétente, la précision quant à l’exigence d’impartialité et d’indépendance ne se rapportant qu’aux membres de l’« instance compétente », troisième et dernière entité visée dans ladite disposition (15).

83.      Une interprétation littérale de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 dans sa version en langue française, rattachant ladite précision à chacun des organes de recours cités ou seulement aux deux derniers, est possible du fait de l’emploi de la conjonction de coordination « ou » qui sert à relier des éléments de même fonction, non dans le sens d’une addition mais d’un choix. En l’occurrence, cette conjonction sert à relier la mention de trois organes de recours, sous une forme alternative, ayant chacun la capacité de traiter des recours concernés, ce qui permet de considérer que le membre de phrase débutant par le terme « composée » peut se rapporter à chaque autorité ou instance citée, prise isolément (16).

84.      Si les versions de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 en langue espagnole (« ante un órgano jurisdiccional, una autoridad administrativa u otro órgano competente compuesto por miembros imparciales y con garantías de independencia ») et anglaise (« before a competent judicial or administrative authority or a competent body composed of members who are impartial and who enjoy safeguards of independence ») s’apparentent à celle en langue française, les versions en langue estonienne (« pädevas kohtu- või haldusasutuses või pädevas organis, mis koosneb liikmetest, kes on erapooletud ja kelle sõltumatus on tagatud ») et italienne (« dinanzi ad un'autorità giudiziaria o amministrativa competente o a un organo competente composto da membri imparziali che offrono garanzie di indipendenza ») semblent, en revanche, exprimer un rattachement de l’exigence d’impartialité et d’indépendance aux seuls membres du troisième organe de recours cité. Il apparaît ainsi qu’une interprétation littérale de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 n’est pas susceptible d’offrir une réponse univoque à la question posée par la juridiction de renvoi, étant rappelé qu’une version linguistique divergente ne peut prévaloir seule contre les autres versions linguistiques (17). Il convient, dès lors, de s’attacher à l’économie générale du texte dans lequel s’inscrit la disposition concernée ainsi qu’à la finalité poursuivie par le législateur de l’Union (18).

85.      S’agissant de l’interprétation contextuelle, il importe de souligner que la directive 2008/115 entend tenir compte des « vingt principes directeurs sur le retour forcé » du Comité des ministres du Conseil de l’Europe auxquels il est fait référence à son considérant 3. Le principe 5, intitulé « Recours contre une décision d’éloignement » dispose, en son paragraphe 1 que « [d]ans la décision d’éloignement ou lors du processus aboutissant à la décision d’éloignement, la possibilité d’un recours effectif devant une autorité ou un organe compétent composé de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance doit être offerte à la personne concernée » (19).

86.      En outre, aux termes de l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115, les États membres sont non seulement tenus de faire en sorte que toute décision de retour respecte les garanties procédurales énoncées au chapitre III de cet acte mais aussi les « autres dispositions pertinentes du droit [de l’Union] », ce qui, à mon sens, inclut nécessairement les dispositions de la Charte et plus particulièrement l’article 47 de celle-ci relatif au droit à un recours effectif évoqué dans les présentes conclusions. Une telle obligation est explicitement prévue dans le cas où la décision de retour est adoptée en même temps qu’intervient le rejet de la demande de protection internationale en premier ressort par l’autorité nationale compétente. Elle doit également s’appliquer dans une situation, telle que celle en cause au principal, correspondant à l’adoption, dans un acte de nature administrative distinct et par la même autorité, d’une décision de retour modificative (20).

87.      En ce qui concerne l’interprétation téléologique, il y a lieu de relever que, conformément à l’article 79, paragraphe 2, TFUE, l’objectif de la directive 2008/115, ainsi qu’il ressort des considérants 2 et 11 de celle-ci, est de mettre en place une politique efficace de l’éloignement et du rapatriement, fondée sur des normes et des garanties juridiques communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées de façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux ainsi que de leur dignité (21).

88.      S’agissant plus particulièrement des recours prévus à l’article 13 de la directive 2008/115 contre les décisions liées au retour, leurs caractéristiques doivent être déterminées en conformité avec l’article 47 de la Charte, dont le premier alinéa prévoit que toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues audit article (22).

89.      En outre, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial. Le respect de ce droit suppose que la décision d’une autorité administrative ne remplissant pas elle-même les conditions d’indépendance et d’impartialité subisse le contrôle ultérieur d’un organe juridictionnel qui doit, notamment, avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions pertinentes. La notion d’« indépendance », qui est inhérente à la mission de juger, implique avant tout que l’instance concernée ait la qualité de tiers par rapport à l’autorité qui a adopté la décision frappée d’un recours (23). Cette qualité fait manifestement défaut en l’espèce, l’examen du recours exercé contre la décision portant modification du pays de destination relevant des attributions de l’autorité administrative ayant adopté ladite décision.

90.       Cette interprétation est confortée par les explications afférentes à l’article 47 de la Charte, selon lesquelles le premier alinéa de cet article est fondé sur l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), qui garantit le droit à un « recours effectif devant une instance nationale » (24). En effet, la Cour européenne des droits de l’homme, dont la jurisprudence doit être prise en compte, en application de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, a jugé, dans l’arrêt de Souza Ribeiro c. France (25), que lorsqu’il existe un grief défendable selon lequel une expulsion risque de porter atteinte au droit de l’étranger au respect de sa vie privée et familiale, l’article 13 combiné avec l’article 8 de la CEDH exige que l’État fournisse à la personne concernée une possibilité effective de contester la décision d’expulsion ou de refus d’un permis de séjour et d’obtenir un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates des questions pertinentes par une instance interne compétente fournissant des gages suffisants d’indépendance et d’impartialité.

91.      Il convient de relever que, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, une possibilité de contrôle juridictionnel est certes prévue en droit interne à l’égard de la décision de l’autorité administrative statuant sur l’opposition formée contre la décision portant modification du pays de destination. Il est ainsi précisé que le ministère public contrôle la légalité des décisions ou mesures administratives individuelles définitives ou exécutoires prises par les autorités administratives ou d’autres organes non juridictionnels chargés de l’application du droit, qui n’ont pas fait l’objet d’un contrôle juridictionnel. Un membre du ministère public, en cas de violation de la loi ayant une incidence sur le fond d’une décision administrative, peut inviter l’autorité nationale compétente en matière de police des étrangers à mettre fin à cette violation et, s’il n’est pas donné suite, à attaquer en justice la décision définitive rendue dans l’affaire, mais n’est pas autorisé à réexaminer la décision de l’autorité nationale compétente en matière de police des étrangers.

92.      Il importe cependant de souligner que l’article 47 de la Charte relatif au droit à une protection juridictionnelle effective, qui se suffit à lui-même et ne doit pas être précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national, confère aux particuliers un droit invocable en tant que tel (26). Au regard de ce droit subjectif reconnu à la personne concernée, il y a lieu de considérer, selon moi, qu’une réglementation nationale conférant la mise en œuvre du contrôle juridictionnel de la décision d’une autorité administrative portant modification du pays de destination non au destinataire de celle-ci mais à une instance tierce ne satisfait pas aux exigences de l’effectivité du recours prévue à l’article 13 de la directive 2008/115, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte.

93.      Dans ce contexte, il est proposé de considérer, dans le souci de respecter l’aspect univoque du libellé de l’article 13 de la directive 2008/115 quant à l’énumération des organes de recours, que l’effectivité du recours prévu par cette disposition, lue à la lumière de l’article 47 de la Charte, est assurée, y compris dans l’hypothèse d’un recours exercé devant un organe non juridictionnel, à la condition que ce dernier soit composé de membres présentant des garanties d’indépendance et d’impartialité (27).

94.      Parvenu à ce stade de mes réflexions, il m’apparaît nécessaire d’attirer l’attention de la Cour sur une difficulté provenant de l’articulation entre la solution préconisée ci-dessus et celle retenue dans des arrêts récents relatifs à l’interprétation combinée de l’article 46 de la directive 2013/32 et de l’article 13 de la directive 2008/115, lus à la lumière des articles 18 et 19, paragraphe 2, ainsi que de l’article 47 de la Charte, aux fins de détermination de la portée du droit à un recours effectif dans l’hypothèse, d’une part, d’un recours exercé contre une décision de retour, pris immédiatement après le rejet de la demande de protection internationale, dans un acte de nature administrative distinct (28) et, d’autre part, d’un appel contre un jugement de première instance confirmant une décision rejetant une demande de protection internationale et imposant une obligation de retour (29).

95.      Dans ces arrêts, la Cour estime que la protection juridictionnelle effective conférée par les textes susmentionnés à un demandeur de protection internationale contre une décision rejetant sa demande et lui imposant une obligation de retour recouvre nécessairement une voie de recours juridictionnelle (30), le cas échéant assortie d’un effet suspensif de plein droit dans l’hypothèse où l’intéressé serait exposé à un risque de traitement inhumain ou contraire à sa dignité, à l’exclusion de l’instauration obligatoire d’un double degré de juridiction et d’une procédure d’appel revêtue d’un effet suspensif de plein droit.

96.      Il résulte de cette jurisprudence que « seule importe l’existence d’un recours devant une instance juridictionnelle », laquelle est de nature à satisfaire à l’exigence d’effectivité du recours consacrée à l’article 47 de la Charte, ce qui me paraît susciter des difficultés de conciliation avec le libellé de l’article 13 de la directive 2008/115, explicite à tout le moins quant à la désignation d’une autorité administrative ou d’une instance compétente en tant qu’organe de recours, et des interrogations, dans ces circonstances, sur la validité elle-même de cette disposition du droit dérivé.

97.      Dans ces circonstances, il me semble qu’une conciliation des deux approches est possible par le simple ajout d’une précision à la jurisprudence récente de la Cour, préalablement évoquée, en indiquant que la protection conférée à l’article 13 de la directive 2008/115, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, à un demandeur de protection internationale contre une décision rejetant sa demande et lui imposant, dans le même acte administratif ou ultérieurement dans un acte administratif distinct, une obligation de retour recouvre au moins une voie de recours juridictionnelle, dans l’hypothèse où l’autorité administrative ou l’instance compétente appelée en droit interne à connaître dudit recours ne serait pas composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance (31).

98.      Il résulte de ce qui précède que l’article 13 de la directive 2008/115, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il impose aux États membres l’obligation de prévoir une voie de recours contre la décision modificative du pays de destination indiquée dans une décision de retour au moins devant une instance juridictionnelle, lorsque l’autorité administrative ou l’instance compétente appelée à connaître dudit recours ne serait pas composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance.

99.      Il appartiendra à la juridiction de renvoi, chargée d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union et d’en assurer le plein effet, de vérifier si la législation nationale en cause au principal peut être interprétée conformément à ces exigences du droit de l’Union ou de laisser inappliquée toute disposition de la loi sur l’entrée et le séjour des ressortissants de pays tiers, notamment, l’article 65, paragraphe 3 ter, contraire au résultat de la directive 2008/115, en examinant le recours exercé par les requérants au principal.

C.      Sur le motif d’irrecevabilité fondé sur le pays de transit sûr

100. Il est constant que les demandes de protection internationale de l’ensemble des requérants au principal ont été déclarées irrecevables par l’autorité nationale compétente en application de l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la loi relative au droit d’asile, entré en vigueur le 1er juillet 2018, qui est ainsi libellé :

« La demande est irrecevable lorsque le demandeur est arrivé en Hongrie par un pays où il n’est pas exposé à des persécutions au sens de l’article 6, paragraphe 1, ou au risque d’atteintes graves, au sens de l’article 12, paragraphe 1, ou dans lequel une protection d’un niveau adéquat est garantie. »

101. Par sa première question, la juridiction de renvoi nous interroge sur la compatibilité de cette disposition avec le droit de l’Union, question déjà posée à la Cour par une autre juridiction hongroise dans le cadre de l’affaire LH (Tompa) (C‑564/18), étant observé que, dans ses observations relatives à la présente instance, le gouvernement hongrois indique qu’il entend simplement confirmer son point de vue exprimé dans l’affaire susmentionnée.

102. Dans un arrêt du 19 mars 2020 et suivant en cela les conclusions de l’avocat général Bobek (32), la Cour a dit pour droit que l’article 33 de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, en l’occurrence l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la loi relative au droit d’asile, permettant de rejeter comme étant irrecevable une demande de protection internationale au motif que le demandeur est arrivé sur le territoire de l’État membre concerné depuis un État dans lequel il n’est pas exposé à des persécutions ou à un risque d’atteintes graves, ou dans lequel est assuré un degré de protection adéquat. Après avoir rappelé que la liste des motifs d’irrecevabilité énoncés à l’article 33, paragraphe 2, de la directive 2013/32 est exhaustive, la Cour a indiqué que la réglementation nationale susmentionnée ne peut être considérée comme mettant en œuvre l’un desdits motifs. Cette conclusion s’impose dans le cadre de la présente instance.

D.      Sur le statut juridique des requérants

1.      Sur la portée de la deuxième question préjudicielle

103. La deuxième question posée par la juridiction de renvoi vise, en substance, à déterminer le sort procédural des requérants au principal au regard d’une situation caractérisée par le rejet des demandes de protection internationale sur le fondement du motif d’irrecevabilité tiré du « pays de transit sûr » et par le refus subséquent des autorités compétentes dudit pays de réadmettre ces requérants sur leur territoire.

104. La juridiction de renvoi cherche à savoir si, dans ce contexte et conformément à l’article 6 et à l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2013/32, lus à la lumière de l’article 18 de la Charte, l’autorité nationale compétente est soumise à une obligation de mener une procédure d’asile [deuxième question, sous a)], et, dans l’affirmative, si cette obligation signifie que ladite autorité est tenue simplement d’assurer aux requérants au principal la possibilité de présenter une nouvelle demande d’asile, ne pouvant être considérée comme une demande ultérieure, ou d’enclencher d’office une nouvelle procédure d’asile [deuxième question, sous b)], et si, dans ce cadre, elle peut appliquer d’autres motifs d’irrecevabilité ou doit apprécier le bien-fondé de la demande de protection internationale [deuxième question, sous c)]. La Cour est également invitée à préciser le régime juridique de l’exigence de réadmission ou d’admission par le pays tiers concerné mentionnée dans les articles 35 et 38 de la directive 2013/32 [deuxième question, sous d)].

105. Au regard du libellé des questions préjudicielles susmentionnées et plus particulièrement des articles de la directive 2013/32 visés dans celles-ci, lus à la lumière des explications de la juridiction de renvoi afférentes à ces questions, il me semble que ces dernières ne relèvent pas d’une interrogation de la Cour quant aux conséquences d’une éventuelle annulation de la décision modificative du pays de destination, après reconnaissance du bien-fondé de l’exception d’illégalité susmentionnée. En d’autres termes, la Cour est, selon moi, uniquement invitée à préciser les incidences de la non-réadmission des requérants au principal par les autorités serbes sur le sort procédural de leur demande de protection internationale, en considération des dispositions pertinentes de la directive 2013/32, et ce indépendamment du constat d’une illégalité du motif d’irrecevabilité figurant à l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la loi relative au droit d’asile et des conséquences s’y attachant.

106. Je relève que, dans ses observations, le gouvernement hongrois se borne à affirmer qu’un échec de l’éloignement du fait d’une non-réadmission par le pays tiers concerné ne peut faire naître une obligation de conduire une procédure d’asile, définitivement close à la suite de la décision juridictionnelle nationale confirmant l’irrecevabilité des demandes de protection internationale. Cette simple allégation n’a d’autre objet, selon moi, que d’éluder le débat juridique sur les conséquences de la non-réadmission, laquelle ne peut, par définition, intervenir qu’après une sollicitation expresse en ce sens, une fois la déclaration d’irrecevabilité des demandes de protection internationale devenue définitive (33).

2.      Sur les conséquences de l’absence de réadmission des requérants au principal par la République de Serbie

107. J’observe que, ainsi qu’il est constaté dans la décision de renvoi, l’exigence de réadmission ou d’admission figure aux articles 35 et 38 de la directive 2013/32. C’est sur la base d’un raisonnement par analogie avec cette dernière disposition que la juridiction de renvoi affirme que l’absence de réadmission par la République de Serbie devrait restaurer l’obligation de l’autorité hongroise compétente de conduire une procédure d’examen de la demande de protection internationale.

108. Afin de vérifier si tel peut être le cas, il convient de formuler quelques remarques liminaires à propos du contexte dans lequel s’inscrit l’exigence de réadmission, à commencer par la place et la teneur des articles 35 et 38 de la directive 2013/32.

109. Inscrites dans la section III du chapitre III de la directive 2013/32 (« Procédures en première instance »), ces dispositions définissent les concepts de « premier pays d’asile » et « pays tiers sûr » aux fins de l’application des motifs d’irrecevabilité de la demande de protection internationale prévus à l’article 33, paragraphe 2, sous b) et c), de cette directive.

110. L’article 35 de la directive 2013/32 établit que le motif du « premier pays d’asile » s’applique lorsque le demandeur s’est déjà vu reconnaître la qualité de réfugié dans ce pays et peut encore se prévaloir de cette protection ou lorsqu’il y jouit, à un autre titre, d’une protection suffisante, incluant le bénéfice du principe de non-refoulement, à condition qu’il soit réadmis dans ce pays. L’article 38 de la directive 2013/32 dispose que le motif du « pays tiers sûr » s’applique, en substance, lorsque les États membres peuvent raisonnablement s’attendre que le demandeur, en raison d’un lien suffisant avec un pays tiers tel que défini par le droit national, cherche à obtenir une protection dans ce pays tiers, étant entendu que le demandeur doit s’y trouver en sécurité. Dans l’hypothèse où le « pays tiers sûr » ne permet pas au demandeur d’entrer dans son territoire, les États membres veillent à ce que cette personne puisse engager une nouvelle procédure d’examen de sa demande de protection internationale.

111. L’exigence d’une réadmission avérée est ainsi une des conditions cumulatives d’adoption d’une décision fondée sur le motif du « premier pays d’asile », tandis que l’admission ou la réadmission par le « pays tiers sûr » ne doit être vérifiée qu’au moment de l’exécution dans le cas d’une décision fondée sur le motif homonyme, ce que révèlent les termes univoques des considérants 43 et 44 de la directive 2013/32. En tout état de cause, j’estime que cette exigence d’admission ou de réadmission joue un rôle essentiel dans la réalisation de la fonction tant du motif du « premier pays d’asile » que de celui du « pays tiers sûr ».

112. En effet, les concepts de « premier pays d’asile » et de « pays tiers sûr » ont pour fonction, me semble-t-il, de permettre aux autorités des États membres qui ont reçu une demande de protection internationale de transférer la responsabilité de l’examen des besoins de protection internationale à un autre pays. Or, l’obligation corrélative incombant aux autorités compétentes de ce pays d’examiner cette demande au fond me semble avoir comme corollaire la naissance, au profit des personnes concernées, d’un droit subjectif de voir leur demande de protection internationale examinée au fond au cours de la procédure afférente à celle-ci. En d’autres termes, ce droit implique qu’un examen du fond de la demande « ait lieu, ait eu lieu ou puisse avoir lieu quelque part » (34).

113. C’est précisément la nécessité d’assurer que ce droit soit respecté qui justifie, à mon sens, l’inclusion de l’exigence que le demandeur soit réadmis dans le territoire du « premier pays d’asile » ou puisse entrer dans le « pays tiers sûr » dans les articles 35 et 38 de la directive 2013/32. Or, je suis d’avis, à l’instar de la position exprimée par la juridiction de renvoi, que, puisque le concept de « pays de transit sûr » se rapproche, bien qu’il ne puisse pas être qualifié d’équivalent, de celui de « pays tiers sûr » (35), les effets juridiques de l’absence de réadmission des requérants au principal par les autorités serbes doivent être considérés comme étant visés à l’article 38 de la directive 2013/32.

114. S’agissant d’une exacte identification de ces effets, je relève que, contrairement à l’article 35 de cette directive, l’absence de certitude quant à la réadmission ne fait pas obstacle à l’application du motif d’irrecevabilité y figurant, comme le démontre le libellé du considérant 44 de ladite directive et, plus particulièrement, l’emploi de l’expression relative à l’existence de « raisons de penser que le demandeur sera admis ou réadmis » dans le pays tiers sûr (36). Toutefois, si, une fois que le motif d’irrecevabilité du « pays tiers sûr » a été appliqué, les autorités compétentes de ce pays refusent de laisser le demandeur entrer sur leur territoire, l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2013/32 met à la charge des autorités compétentes de l’État membre auprès duquel la demande a été introduite l’obligation de garantir la possibilité de l’enclenchement d’une nouvelle procédure d’examen de la demande de protection internationale.

115. J’estime partant que l’autorité chargée de l’asile est tenue, dans le cas d’espèce, de se conformer à une obligation de contenu identique à celle prescrite par cette disposition.

116. Au regard de la question de savoir si une telle obligation implique que les autorités nationales compétentes sont tenues de garantir simplement au demandeur la possibilité de présenter une nouvelle demande ou de reprendre la procédure d’office, je pense qu’une interprétation littérale de l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2013/32 ne permet pas de parvenir à une réponse univoque. En effet, si la version en langue française peut laisser penser que l’enclenchement d’une procédure est subordonné à la présentation d’une nouvelle demande par la personne concernée (« les États membres veillent à ce que cette personne puisse engager une procédure [...] »), les versions en langues espagnole (« los Estados miembros garantizarán que tendrá acceso a un procedimiento [...] »), estonienne (« tagavad liikmesriigid juurdepääsu menetlusele vastavalt [...] »), anglaise (« Member States shall ensure that access to a procedure is given [...] ») et portugaise (« os Estados-Membros asseguram o acesso a une procedimiento [...] ») pourraient, en revanche, être comprises en ce sens qu’il incombe aux autorités nationales compétentes de reprendre l’examen des demandes de protection internationale en question.

117. Or, ainsi qu’il est constant dans la jurisprudence de la Cour, lorsqu’une interprétation littérale ne permet de tirer aucune conclusion claire, la portée de la disposition en cause doit être déterminée au moyen d’une approche systématique et téléologique.

118. S’agissant du contexte dans lequel l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2013/32 s’inscrit, je ne vois pas comment la première interprétation envisagée ci-dessus, fondée sur la prémisse selon laquelle une personne perd sa qualité de demandeur de protection internationale aussitôt que sa demande a été rejetée comme irrecevable, pourrait être considérée comme étant compatible avec la définition même de « demandeur », telle que consacrée à l’article 2, sous c), de la directive 2013/32. Cette disposition caractérise en effet le demandeur comme « le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise (37)», la notion de « décision finale » devant être comprise, conformément à l’article 2, sous e), de la même directive, en ce sens qu’elle se réfère à « toute décision établissant si le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride se voit accorder le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire en vertu de la [directive 2011/95] ». Il en découle qu’un migrant ne perd sa qualité de demandeur de protection internationale qu’au moment de l’adoption d’une décision excluant la reconnaissance du statut de réfugié ou de personne nécessitant une protection subsidiaire ou, en d’autres termes, d’une décision rejetant la demande sur le fond (38). Dans la mesure où les décisions de rejet des demandes présentées par les requérants au principal sont, en revanche, des décisions d’irrecevabilité, et non pas des décisions portant sur le fond de la demande, elles n’ont pas pour effet d’engendrer la perte de la qualité de demandeurs d’asile chez ces requérants.

119. De même, la première interprétation envisagée ne me paraît pas conciliable avec la finalité de l’exigence d’admission ou de réadmission, telle que je l’ai caractérisée au point 112 des présentes conclusions, à savoir celle de garantir que la responsabilité de l’examen des besoins de protection internationale soit effectivement transférée aux autorités compétentes d’un autre pays et ainsi assurer le respect du droit subjectif des personnes concernées de voir leur demande examinée au fond au cours de la procédure afférente à celle-ci. En effet, si une telle interprétation était validée par la Cour, la procédure d’examen de toute demande de protection internationale serait clôturée, en cas d’absence d’admission ou de réadmission, sans que le bien-fondé de la demande initialement présentée ait fait l’objet d’une appréciation de l’autorité nationale compétente.

120. Une approche téléologique de la disposition en cause me semble également plaider pour que la première interprétation soit écartée. En effet, dans la mesure où elle impliquerait un enclenchement ex nihilo de la procédure de protection internationale, cette interprétation ne me paraît pas en ligne avec l’exigence que les demandes de protection internationale soient traitées de manière rapide, exigence qui découle expressément du considérant 18 de la directive 2013/32 (« [i]l est dans l’intérêt à la fois des États membres et des demandeurs d’une protection internationale que les demandes de protection internationale fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible [...] ») (39), et qui sous-tend également un nombre considérable d’autres dispositions de celle-ci. Je note, à cet égard, que même les dispositions qui n’imposent pas aux autorités nationales compétentes des délais stricts pour l’accomplissement d’actes procéduraux prévoient généralement que ces derniers doivent être réalisés « dans les meilleurs délais ». Un exemple probant en est l’article 31, paragraphe 2, de la directive 2013/32, selon lequel « [l]es États membres veillent à ce que la procédure d’examen soit menée à terme dans les meilleurs délais ».

121. Enfin, il me semble qu’imposer à l’autorité nationale compétente de reprendre l’examen de la demande initiale serait susceptible de garantir une meilleure efficacité des procédures nationales, s’agissant de l’application du motif d’irrecevabilité tiré du « pays tiers sûr ». Cette obligation serait de nature à responsabiliser davantage cette autorité dans le cadre de cette application, au travers d’une appréciation rigoureuse de l’existence de raisons de penser que le demandeur sera admis ou réadmis dans le pays tiers en question. Je trouve significatif, à cet égard, que la Cour ait récemment précisé dans l’arrêt Ibrahim e.a. que, lorsqu’un État membre ayant accordé la protection subsidiaire refuse systématiquement, sans réel examen, l’octroi du statut de réfugiés à des demandeurs qui remplissent pourtant les conditions requises pour y prétendre, et que ces demandeurs introduisent par la suite une nouvelle demande d’asile auprès d’un autre État membre, ce dernier peut rejeter la demande sur le fondement de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32, mais c’est au premier État membre qu’il appartient de reprendre la procédure visant à l’obtention du statut de réfugié (40).  

122. Partant, j’aurais tendance à privilégier une interprétation de l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2013/32 selon laquelle, en cas d’absence d’admission ou de réadmission, les autorités nationales compétentes sont tenues de reprendre le dossier relatif à la demande de protection internationale déjà présentée par la personne concernée (41). Cette demande devrait être ainsi considérée comme ayant déjà été introduite au sens de l’article 6 de ladite directive, et les principes et les garanties figurant à son chapitre II devraient lui être appliqués.

123. À cet égard, je précise que, s’agissant d’un nouvel examen de la demande, la décision de l’autorité nationale compétente pourra se fonder, à nouveau, sur un motif d’irrecevabilité, pour autant qu’il ne soit pas celui découlant de l’article 51, paragraphe 2, sous f), de la loi relative au droit d’asile, contraire au droit de l’Union. Cette précision n’est à l’évidence pas en contradiction avec la finalité de l’obligation d’admission ou de réadmission figurant à l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2013/32, dès lors qu’une éventuelle nouvelle décision fondée sur un autre des motifs d’irrecevabilité énumérés dans la liste figurant à l’article 33, paragraphe 2, de la même directive, y compris celui énoncé sous b), n’aurait pas pour effet d’exclure un examen au fond de la demande formée par les requérants au principal, simplement différé dans ce cas et déjà effectué, par hypothèse, dans les autres cas de figure.

124. En tout état de cause, même si la Cour estimait, dans son arrêt à venir, que l’application de l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2013/32 doit conduire à la présentation d’une nouvelle demande de protection internationale par les personnes concernées, cette dernière ne pourrait être qualifiée de « demande ultérieure », au sens de l’article 2, sous q), de la directive 2013/32, avec pour conséquence une possible déclaration d’irrecevabilité de celle-ci au titre de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive (42). Il ressort en effet de la définition de « demande ultérieure », prévue à l’article 2, sous q), de la directive 2013/32, que le motif d’irrecevabilité fondé sur ce concept n’est applicable que si la première demande présentée a fait l’objet d’une « décision finale » (43), cette dernière notion étant, ainsi qu’on l’a déjà observé ci-dessus, synonyme de « décision sur le fond ». Lorsque la première demande a été rejetée, comme en l’espèce, par une décision d’irrecevabilité, la nouvelle demande présentée conformément à l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2013/32 ne pourra pas être qualifiée de « demande ultérieure » aux fins de l’application dudit motif d’irrecevabilité.

125. Cette conclusion est étayée notamment par le libellé de l’article 40, paragraphe 2, de la directive 2013/32, selon lequel, afin de se prononcer sur la recevabilité d’une « demande ultérieure » en application de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive, l’autorité nationale compétente doit, dans le cadre d’un examen préliminaire, vérifier si sont apparus ou ont été présentés par le demandeur des éléments ou faits nouveaux « qui se rapportent à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95] ». Cette formulation laisse entendre que, pour qu’une telle qualification se justifie, la demande initiale des personnes concernées doit déjà avoir été examinée et rejetée quant au fond (44).

126. Partant, je suggère à la Cour de répondre à la deuxième question préjudicielle que l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens que, dans une situation où la demande de protection internationale a été rejetée sur le fondement du motif d’irrecevabilité tiré du « pays de transit sûr » et que ce dernier refuse de laisser entrer les demandeurs sur son territoire, l’autorité nationale compétente est tenue, indépendamment de l’illégalité de ce motif et des conséquences s’y attachant, de reprendre d’office la procédure d’examen de la demande d’asile et peut, dans ce cadre, appliquer un des motifs d’irrecevabilité prévus à l’article 33, paragraphe 2, de la directive 2013/32.

127. En outre, tandis que l’existence d’une réadmission avérée est une des conditions cumulatives d’adoption d’une décision fondée sur le motif du « premier pays d’asile », figurant à l’article 33, paragraphe 2, sous b), de la directive 2013/32, l’admission ou la réadmission par le « pays tiers sûr » ne doit être vérifiée qu’au moment de l’exécution d’une décision fondée sur le motif homonyme, figurant à l’article 33, paragraphe 2, sous c), de la même directive.

E.      Sur la rétention

128. L’analyse de la deuxième catégorie de questions préjudicielles ayant abouti à la conclusion que les requérants au principal devaient être considérés comme des demandeurs de protection internationale, relevant du champ d’application de la directive 2013/32, il y a lieu de procéder à un examen de la troisième catégorie de questions préjudicielles, qui concernent toute la problématique de la rétention et par lesquelles, pour les quatre premières d’entre elles, la juridiction de renvoi interroge, en substance, la Cour quant à la compatibilité de la réglementation nationale en cause au principal avec l’article 26, lu à la lumière de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, et avec l’article 43 de la directive 2013/32 ainsi qu’avec les articles 8 et 9 de la directive 2013/33, en ce que ladite réglementation permet une rétention illégale d’un demandeur de protection internationale (45). Or, il résulte clairement des observations du gouvernement hongrois que ce dernier conteste l’applicabilité en l’espèce de l’article 43 de la directive 2013/32, ce qu’il convient nécessairement de vérifier à titre liminaire.

1.      Sur l’applicabilité de l’article 43 de la directive 2013/32

129. Après avoir justement souligné qu’un grand nombre de demandes de protection internationale sont présentées à la frontière ou dans une zone de transit d’un État membre avant qu’il ne soit statué sur l’entrée du demandeur, le considérant 38 de la directive 2013/32 énonce que les États membres devraient pouvoir prévoir, dans des circonstances bien définies, des procédures d’examen de la recevabilité ou au fond qui permettraient de prendre une décision concernant ces demandes en de tels lieux.

130. C’est précisément l’objet de l’article 43 de la directive 2013/32, qui donne la possibilité aux États membres de prévoir des procédures devant respecter les principes de base et les garanties fondamentales visées au chapitre II de cette directive, leur permettant de se prononcer, à leur frontière ou dans leurs zones de transit, sur :

–        la recevabilité d’une demande, en vertu de l’article 33 de ladite directive, présentée en de tels lieux et/ou

–        le fond d’une demande dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 31, paragraphe 8, de la directive 2013/32.

131. Manifestement soucieux du sort des demandeurs de protection internationale hébergés dans des installations à la frontière ou dans les zones de transit, malheureusement dans des conditions caractérisées trop souvent par une grande précarité, le législateur de l’Union a fixé, à l’article 43, paragraphe 2, de la directive 2013/32, un bref délai de quatre semaines pour la prise de décision des États membres sur la recevabilité ou le fond de la demande de protection internationale, et a déterminé les conséquences du non-respect d’un tel délai, à savoir le droit pour ces demandeurs d’entrer sur le territoire de l’État membre concerné afin que leur demande soit traitée conformément aux autres dispositions de la directive.

132. Le gouvernement hongrois fait valoir que la procédure d’examen des demandes de protection internationale des requérants au principal n’est pas une procédure à la frontière au sens de l’article 43 de la directive 2013/32, laquelle est donc dépourvue de pertinence en l’espèce, et répond aux règles de la procédure d’asile générale en vertu de la directive 2013/32, la seule différence étant qu’elle a été conduite dans une zone de transit située le long de la frontière et qui a été désignée comme lieu de résidence pour la durée correspondante.

133. Il est constant que les requérants au principal se sont vu appliquer les règles du droit hongrois faisant suite à l’entrée en vigueur de la loi nº XX de 2017, qui a introduit dans la loi relative au droit d’asile des modifications importantes et plus particulièrement des procédures dérogatoires spéciales en cas de situation de crise engendrée par une immigration massive. Ainsi, l’article 80/I, sous i), de la loi relative au droit d’asile ainsi que l’article 15/A, paragraphe 2bis, de la loi sur les frontières de l’État écartent l’application des dispositions internes autorisant l’entrée sur le territoire hongrois d’un demandeur d’asile se trouvant dans une zone de transit lorsque quatre semaines se sont écoulées depuis l’introduction de sa demande, et imposant à l’autorité nationale compétente en matière d’asile de mener une procédure conformément aux règles générales.

134. La seule allégation du caractère spécifique du droit national en cause, prévoyant l’application des règles de procédure dite « générale » de la directive 2013/32 à des demandes de protection internationale de migrants accueillis dans des structures situées le long de la frontière, est dépourvue de pertinence. L’applicabilité de l’article 43 de la directive 2013/32 ne peut, à mon sens, être utilement contestée au moyen d’une argumentation de nature spécieuse et délibérément équivoque.

135. Il convient de souligner que le législateur de l’Union a offert aux États membres la possibilité de cantonner la population des demandeurs de protection internationale à leurs frontières et d’y traiter, dans un bref délai, les demandes présentées, sans restriction en ce qui concerne l’analyse de la recevabilité mais dans le cadre d’une compétence limitée, c’est-à-dire dans les hypothèses énumérées à l’article 31, paragraphe 8, de la directive 2013/32, pour l’appréciation au fond de la demande. L’article 43 de cette directive définit ainsi un régime juridique formant un tout indissociable et n’autorise les États membres à recourir aux procédures à la frontière que s’ils respectent les conditions et garanties y énoncées, ce qui contredit la lecture du gouvernement hongrois d’un régime « à la carte », lui permettant de mener substantiellement de telles procédures tout en s’affranchissant de leur encadrement.

136. En l’occurrence, il importe de s’attacher à la réalité de la procédure menée par les autorités nationales compétentes et plus précisément à la territorialité de celle-ci, qui constitue l’élément fondamental pour en déterminer la qualification au regard de l’article 43 de la directive 2013/32. À cet égard, il est constant que :

–        les demandes de protection internationale des requérants au principal ont été présentées dans la zone de transit de Röszke, et ce en application de l’article 80/J, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile, qui énonce que toute demande d’asile doit être introduite en personne devant l’autorité nationale compétente et exclusivement dans la zone de transit, sauf exception ;

–        l’autorité nationale compétente a fixé le lieu de résidence des requérants au principal dans la zone de transit de Röszke, et ce conformément à l’article 80/J, paragraphe 5, de la loi relative au droit d’asile, qui prévoit que ladite autorité assigne au demandeur d’asile la zone de transit comme son lieu de séjour, jusqu’à ce que soit devenue exécutoire l’ordonnance de transfert au titre du règlement de Dublin (46) ou la décision qui n’est plus susceptible de recours ;

–        l’intégralité de la procédure d’asile s’est déroulée à l’intérieur de la zone de transit, y compris la notification de la décision d’irrecevabilité de la demande de protection internationale des requérants au principal, lesquels n’ont jamais quitté ladite zone.

137. Au regard de ces éléments concrets et objectifs, il ne fait aucun doute, selon moi, que la procédure d’examen des demandes de protection internationale introduites par les requérants au principal relève du champ d’application de l’article 43 de la directive 2013/32.

2.      Sur l’application de l’article 43 de la directive 2013/32

138. Force est de constater qu’il résulte du libellé des quatre premières questions préjudicielles que la juridiction de renvoi excipe dans chacune d’elles d’un séjour dans la zone de transit des demandeurs de protection internationale dépassant quatre semaines, durée maximale de la procédure d’asile prévue à l’article 43 de la directive 2013/32.

139. La détermination du sens exact des questions préjudicielles en cause me paraît soulever des difficultés tenant à la compréhension du lien opéré par la juridiction de renvoi entre le dépassement du délai de quatre semaines et la notion de « rétention », laquelle est définie à l’article 2, sous h, de la directive 2013/33 comme toute mesure d’isolement d’un demandeur par un État membre dans un lieu déterminé, où le demandeur est privé de sa liberté de mouvement. Le libellé desdites questions ainsi que les observations y afférentes de la juridiction de renvoi laissent à penser que, selon cette dernière, un hébergement des demandeurs de protection internationale de plus de quatre semaines dans la zone de transit est constitutif d’une rétention, au regard des caractéristiques de cette zone.

140. Si l’article 10, paragraphe 5, et l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2013/33 révèlent qu’un demandeur de protection internationale peut être placé en rétention à un poste-frontière ou dans une zone de transit, il me semble que le déroulement des procédures à la frontière et celui de la rétention obéissent à des régimes juridiques distincts. Le fait que l’article 43, paragraphe 2, de la directive 2013/32 autorise un séjour de quatre semaines d’un demandeur dans la zone de transit, pour que soit mené à bien l’examen de sa demande de protection internationale, ne signifie pas que le lendemain de l’expiration dudit délai, sans prise de décision quant à la demande, la situation du demandeur encore présent dans la zone puisse être assimilée à celle d’une personne retenue. Reste que si le dépassement du délai de quatre semaines prévu à l’article 43, paragraphe 2, de la directive 2013/32 ne constitue pas une condition nécessaire, et encore moins suffisante, de la constatation de l’existence d’une rétention d’un demandeur hébergé dans une zone de transit, cette circonstance revêt une certaine pertinence dans le cadre de l’appréciation d’ensemble de la situation de l’intéressé aux fins de qualification de celle-ci de rétention.

141. En effet, le maintien du demandeur de protection internationale dans la zone de transit au-delà du délai de quatre semaines (47) et la privation corrélative de son droit d’entrée sur le territoire hongrois, permis par la réglementation nationale, caractérisent une restriction à la liberté de mouvement de l’intéressé qui participe, avec les conditions d’hébergement dans ladite zone examinées ci-après, de la qualification de rétention de fait d’une telle situation.

142. L’examen de la compatibilité de la réglementation nationale applicable, correspondant à une situation de crise engendrée par une immigration massive, implique, enfin, d’analyser celle-ci en considération de l’article 43, paragraphe 3, de la directive 2013/32, qui envisage les conséquences d’une situation particulière liée à l’afflux d’un grand nombre de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides introduisant une demande de protection internationale à la frontière ou dans une zone de transit. Il est ainsi précisé à l’article 43, paragraphe 3, de la directive 2013/32 que, lorsqu’un tel afflux rend impossible, en pratique, l’application des dispositions du paragraphe 1 de cet article, les procédures en cause peuvent également être appliquées dès lors et aussi longtemps que ces ressortissants de pays tiers ou apatrides sont hébergés normalement dans des endroits situés à proximité de la frontière ou de la zone de transit.

143. En d’autres termes, dans la situation décrite ci-dessus, il est possible pour les États membres d’élargir territorialement l’application de la procédure à la frontière dans des endroits situés à proximité de la frontière ou de la zone de transit, à la condition que les demandeurs y fassent l’objet d’un hébergement normal et tant que des demandeurs y séjournent. L’article 43, paragraphe 3, de la directive 2013/32, qui opère un renvoi au seul paragraphe 1 dudit article, n’a pas pour objet d’autoriser les États membres à prolonger le délai de procédure de quatre semaines pour les demandeurs de protection internationale hébergés à proximité de la frontière ou de la zone de transit et qui se voient appliquer la procédure à la frontière. Une interprétation contraire reviendrait à devoir admettre une absence de limite temporelle à la procédure à la frontière, ce qui ne me paraît guère concevable.

144. À supposer même que soient établies par la Hongrie la réalité et la récurrence d’une situation de crise engendrée par une immigration massive qui fonde sa réglementation dérogatoire en matière d’asile, cette dernière n’est, en tout état de cause, pas compatible avec l’article 43, paragraphe 3, de la directive 2013/32 en ce qu’elle permet l’appréciation au fond des demandes de protection internationale dans des cas ne se limitant pas à ceux énumérés à l’article 31, paragraphe 8, de cette directive et ne prévoit aucun hébergement normal des demandeurs en dehors de la zone de transit.

3.      Sur l’hébergement dans la zone de transit

145. Par sa troisième question, sous b), la juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, si l’hébergement en zone de transit, dans des circonstances analogues à celles de l’espèce, doit être qualifié de « rétention » au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33, lu conjointement avec l’article 6 et l’article 52, paragraphe 3, de la Charte.

a)      Le cadre juridique d’analyse

146. À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans son arrêt Ilias et Ahmed c. Hongrie (48), la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme s’est récemment prononcée sur la question de savoir si l’hébergement de deux ressortissants des pays tiers dans la zone de transit de Röszke constituait une privation de liberté aux fins de l’application de l’article 5 de la CEDH (« Droit à la liberté et à la sûreté »), en parvenant à une conclusion négative.

147. Cet arrêt est invoqué par le gouvernement hongrois, dans les observations qu’il a déposées dans le cadre de la présente procédure, à l’appui de son argument selon lequel la situation des requérants au principal ne relève pas de la notion de « rétention », telle qu’elle ressort de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33. Il semble estimer que si l’hébergement des requérants au principal dans la zone de transit n’est pas une privation de liberté au sens de l’article 5 de la CEDH, il va de soi qu’il ne peut pas non plus être considéré comme une « rétention », dès lors que cette dernière notion présuppose l’existence d’une privation de liberté au sens de l’article 6 de la Charte.

148. Il est constant que l’article 5 de la CEDH correspond à l’article 6 de la Charte, et que l’article 52, paragraphe 3, de la Charte exige que les droits y consacrés et qui correspondent aux droits garantis par la CEDH soient interprétés comme ayant le même sens et la même portée que ceux que leur confère la CEDH, ce qui me paraît être le fondement de l’argument de la Hongrie. J’observe toutefois que, ainsi que la Cour l’a rappelé à plusieurs reprises, la CEDH ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union (49), la cohérence poursuivie à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte ne pouvant ainsi porter atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour de justice de l’Union européenne (50).

149. Il apparaît ainsi que la Cour dispose du pouvoir d’interpréter les dispositions de la Charte de manière autonome, ces dernières étant les seules applicables dans le domaine du droit de l’Union. La Cour peut donc délaisser la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et conduire son examen des questions préjudicielles au regard de la Charte, à condition que l’interprétation qu’elle donne aux droits y figurant et dont le contenu est semblable à ceux inscrits dans la CEDH aboutisse à un niveau de protection plus élevé que celui garanti par cette dernière (51).

150. J’invite la Cour à adopter cette approche dans le cas d’espèce. Plus précisément, j’estime que la Cour devrait apprécier la question de savoir si l’hébergement des requérants au principal dans la zone de transit de Röszke doit être qualifié de « rétention », au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33, à l’égard du seul article 6 de la Charte, selon lequel – il convient de le rappeler – « [t]oute personne a droit à la liberté et la sécurité ».

151. À cet égard, je remarque que, conformément à son considérant 35, la directive 2013/33 « respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus, notamment par la [Charte] », ce qui implique que les exigences de protection du droit à la liberté découlant de l’article 6 de la Charte doivent être considérées comme étant incorporées dans la définition de « rétention » figurant à l’article 2, sous h), de la directive 2013/33. Par conséquent, l’existence d’une rétention doit être déterminée, en l’espèce, uniquement par l’examen des éléments de cette définition.

152. Aux termes de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33, est qualifiée de « rétention » « toute mesure d’isolement d’un demandeur d’asile par un État membre dans un lieu déterminé, où le demandeur d’asile est privé de sa liberté de mouvement ».

153. Il ressort d’une telle définition que, afin de déterminer si une mesure donnée a pour effet de placer les demandeurs d’asile concernés par celle-ci en rétention, il est nécessaire de s’interroger, en premier lieu, sur la question de savoir si le lieu d’hébergement leur étant attribué fait en sorte qu’ils se trouvent dans une situation d’isolement, c’est-à-dire coupés du monde extérieur, maintenus dans un « périmètre étroitement délimité ou restreint », selon la terminologie employée dans la recommandation Rec(2003)5 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur les mesures de détention des demandeurs d’asile, qui a été expressément prise en compte par la Commission dans sa proposition relative à la directive 2013/33 (52).

154. Ladite lecture se justifie également, à mon sens, à l’égard de l’exigence de cohérence de la définition de « rétention » par rapport à celles relatives aux restrictions à la liberté de circulation des demandeurs d’asile, prévues à l’article 7, paragraphes 1 à 3, de la directive 2013/33. En effet, conformément à ces dernières dispositions, l’application de telles restrictions aboutit à l’attribution à ces demandeurs d’une « zone » ou d’un « lieu de résidence », termes se référant indubitablement à des portions du territoire national considérablement plus vastes que le « lieu déterminé » auquel fait référence la définition de la rétention.

155. En deuxième lieu, la définition de la rétention exige qu’il soit vérifié que les demandeurs d’asile sont privés de leur liberté de mouvement dans le lieu d’hébergement qui leur a été attribué. Concernant la dimension interne de la liberté de mouvement de ces demandeurs, j’estime que l’existence d’une privation de liberté dépend de la nature et du degré des restrictions concrètement imposées auxdits demandeurs à l’intérieur de ce lieu d’hébergement (53). Cette appréciation implique un examen des règles pertinentes régissant les modalités d’exercice des droits dont ils bénéficient et du respect des obligations auxquelles ils doivent se conformer. S’agissant de la dimension externe de cette liberté, l’existence d’une privation de liberté dépend, à mon sens, de la question de savoir si les demandeurs d’asile disposent d’une possibilité réaliste, et non pas purement théorique, de quitter de leur plein gré leur lieu d’hébergement. Cela me paraît exiger une appréciation globale de l’ensemble des éléments factuels et juridiques pouvant avoir une influence sur le choix opéré par les demandeurs d’asile concernés.

156. Les critères permettant d’établir si des demandeurs d’asile sont « retenus », au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33 ayant été identifiés, il y a lieu de les appliquer à la situation des requérants au principal.

b)      Application au cas d’espèce

157. À ce stade, une précision méthodologique s’impose. Eu égard à l’importance qu’il convient de reconnaître, dans le cadre de la présente analyse, au fait que les requérants au principal dans chacune des affaires jointes font à présent l’objet d’une décision de retour et d’éloignement, je distinguerai la situation desdits requérants avant et après l’adoption de cette décision.

1)      Sur l’existence d’une rétention avant l’adoption de la décision de retour et d’éloignement

158. La première période a débuté avec la décision du 5 février 2019 (ou du 5 décembre 2018), prise à la suite de la présentation des demandes d’asile, par laquelle l’autorité chargée de l’asile a désigné la zone de transit de Röszke, et notamment le secteur de cette zone réservé aux demandeurs d’asile, comme lieu d’hébergement obligatoire des requérants au principal.

159. Se pose tout d’abord la question de savoir si cette décision a eu pour effet de placer les requérants dans une situation d’isolement.

160. Selon la juridiction de renvoi, la zone de transit de Röszke est entourée d’une haute clôture et de fils barbelés. À l’intérieur, différents secteurs ont été constitués. J’estime que, aux fins de la réponse à la question posée au point précédent, on doit considérer l’étendue du secteur de la zone de transit dans lequel ces requérants ont demeuré, et non pas celle de cette zone dans son intégralité. En effet, chacun de ces secteurs est séparé des autres par des clôtures et il n’est possible d’en sortir pour se rendre dans les autres que très rarement. Or, il ne fait guère de doute que le secteur réservé aux demandeurs d’asile de la zone de transit de Röszke, qui ne constitue qu’une portion de cette dernière, relève bien de la notion de « lieu déterminé », telle qu’employée à l’article 2, sous h), de la directive 2013/33, ou de « périmètre délimité ou restreint » où vivent des personnes coupées physiquement du monde extérieur (54), placées dès lors dans une situation d’isolement.

161. Il convient dès lors de déterminer si les requérants étaient privés de leur liberté de mouvement dans ce secteur.

162. La décision de renvoi nous fournit un certain nombre d’éléments pertinents à cet égard. Premièrement, les requérants au principal logent dans un conteneur métallique dont la surface n’est pas supérieure à 13 m2. Deuxièmement, ils disposent d’une possibilité extrêmement limitée de se rendre dans un autre secteur de la zone de transit (deux fois par semaine pour une heure environ). Troisièmement, en dehors de cette possibilité, ces requérants n’ont le droit de quitter le secteur réservé aux demandeurs d’asile que lorsque leur présence est requise aux fins de l’accomplissement d’actes de procédure les concernant ou lorsqu’ils se rendent dans des lieux, sous l’escorte de policiers ou de gardiens armés, aux fins de contrôles ou de soins médicaux. Quatrièmement, lesdits requérants ne peuvent avoir de contacts avec des personnes venant de l’extérieur, y compris leurs avocats, qu’après autorisation préalable, dans un espace de la zone de transit réservé à cet effet où ils ont été amenés sous escorte policière. Cinquièmement, la décision de renvoi laisse à penser également que leurs mouvements demeurent surveillés en permanence en raison de la présence de policiers ou de gardiens armés à l’intérieur de la zone de transit, ainsi qu’aux abords immédiats de la clôture.

163. J’estime que ce faisceau d’éléments témoigne d’un degré élevé de restriction de la liberté de mouvement des demandeurs d’asile au point de rendre cette situation comparable à un régime carcéral quasi ordinaire, et justifie ainsi la conclusion que les requérants au principal étaient privés d’une telle liberté au cours de leur hébergement dans le secteur de la zone de transit de Röszke réservé aux demandeurs d’asile.

164. Cette conclusion n’est pas infirmée, à mes yeux, par les éléments ultérieurs mis en avant par le gouvernement hongrois dans ses observations. Force est de constater, en effet, que ni la satisfaction des besoins matériels tenant à des conditions de vie quotidienne décente, par exemple au moyen de la mise à disposition d’un lit, d’une armoire verrouillable par personne ou de fours à micro-ondes, ni l’organisation d’activités de loisirs, ni la mise en place d’un enseignement scolaire pour les enfants ont une incidence directe sur la liberté de mouvement des demandeurs d’asile y étant logés. Est également dépourvue de toute incidence la présence sur place de travailleurs sociaux et de psychologues.

165. Quant à l’existence d’une possibilité « réaliste » pour les requérants au principal de quitter de leur plein gré la zone de transit de Röszke, le gouvernement hongrois exprime, dans ses observations, la conviction qu’une telle possibilité existe, étant donné que rien ne leur interdirait d’abandonner de leur initiative une telle zone s’ils le souhaitaient.

166. Or, il est raisonnable de considérer que le caractère réaliste d’une possibilité de départ volontaire doit s’apprécier au regard de la situation propre aux demandeurs d’asile. Dans cette optique, un tel caractère me semble faire défaut, dès lors qu’un départ de la zone de transit serait nécessairement synonyme d’un renoncement à la possibilité d’obtenir la protection internationale sollicitée. Les articles 27 et 28 de la directive 2013/32 prévoient qu’en cas de retrait, explicite ou implicite, de la demande ou de renonciation implicite à celle-ci, l’autorité nationale compétente prend la décision soit de clore l’examen, soit de rejeter la demande. Même si l’autorité nationale compétente avait théoriquement la possibilité, en cas de départ du demandeur d’asile, de prendre une décision sur la base des éléments à sa disposition, il me semble hautement probable, voire certain, qu’une telle décision ne lui serait pas favorable. Dans ces conditions, je suis d’avis qu’aucun demandeur d’asile n’est en situation de quitter la zone de transit de son plein gré.

167. Une approche pragmatique et réaliste de la perspective d’un départ volontaire de la zone de transit implique de s’interroger quant à la liberté de circulation d’un migrant au sortir de ladite zone. Est-il concevable qu’un migrant quittant les installations de la zone de transit se retrouve livré à lui-même, en situation de se déplacer librement ? La réponse est assurément négative.

168. Il résulte des observations du gouvernement hongrois que l’intéressé ne pourra pas prendre la direction de la Hongrie, en l’absence d’autorisation d’entrée et de séjour sur le territoire national. Il importe, à cet égard, de souligner que, conformément à l’article 5, paragraphe 1 ter, de la loi sur les frontières de l’État, la police hongroise peut, durant une situation de crise engendrée par une immigration massive, interpeller les ressortissants étrangers en séjour irrégulier sur tout le territoire national et les escorter jusqu’à la clôture frontalière la plus proche, sauf en cas de soupçon d’infraction. Il n’y a pas d’alternative pour le migrant concerné que de prendre la direction de la Serbie, c’est-à-dire de retourner là d’où il vient dans un contexte, à tout le moins, d’incertitudes quant à l’autorisation de son entrée sur le territoire serbe, ainsi qu’à la régularité de sa situation et au sort qui pourrait lui être réservé sur place par les autorités chargées du contrôle de l’immigration. Dans un tel cas, deux possibilités lui seraient en effet ouvertes. La première consisterait à franchir la frontière serbo-hongroise à un point de passage frontalier et durant les heures d’ouverture fixées, ainsi que l’impose l’article 5, paragraphe 1, du code frontières Schengen (55), ce qui aboutirait sans aucun doute à un refus d’admission (ou réadmission) de la part des autorités serbes compétentes, la République de Serbie n’acceptant pas d’accueillir les migrants en provenance des zones de transit hongroises, au motif qu’elle les considère comme étant entrés légalement sur le territoire de la Hongrie aux fins de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de l’accord de réadmission. La seconde consisterait à franchir ladite frontière d’une manière propre à enfreindre l’article 5, paragraphe 1, du code frontières Schengen, auquel cas son séjour irrégulier en Serbie l’aurait vraisemblablement exposé à des sanctions de nature pénale, l’approche répressive adoptée par la République de Serbie à l’égard des franchissements illégaux étant bien documentée (56). La perspective de voir ce migrant quitter librement la zone de transit et rejoindre la Serbie est-elle donc réaliste ? On peut largement en douter (57).

169. Au vu de la réponse négative que je suggère quant à l’existence de leur liberté de quitter la zone de transit de Röszke pour se rendre dans l’État d’accueil ou dans un autre pays, j’estime que l’on peut considérer que les requérants au principal étaient effectivement privés de leur liberté de mouvement pendant la période de séjour dans ladite zone préalable à l’adoption de la décision de retour et d’éloignement.

170. Je propose donc à la Cour de conclure que, pendant la période allant du 5 février 2019 (ou du 5 décembre 2018) au 25 avril 2019 (ou au 12 février 2019), ces requérants étaient placés en « rétention » au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33.

2)      Sur l’existence d’une rétention après l’adoption de la décision de retour et d’éloignement

171. La seconde période, qui a débuté avec l’adoption de la décision de retour et d’éloignement et perdure jusqu’à présent, se décompose elle-même en deux segments temporels distincts. Les requérants au principal ont en effet continué d’être hébergés dans le secteur réservé aux demandeurs d’asile de la zone de transit de Röszke postérieurement à cette décision et avant le 17 mai 2019 (affaire C‑924/19) ou 27 mars 2019 (affaire C‑925/19), dates auxquelles l’autorité nationale compétente a imposé aux requérants au principal de séjourner dans le secteur des étrangers de cette zone de transit. Ce séquençage est sans incidence sur la réponse à donner à la question préjudicielle en cause.

172. Pour les mêmes raisons que celles développées à propos du secteur réservé aux demandeurs d’asile, le secteur des étrangers doit être qualifié de lieu de rétention au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33.

173. Concernant l’existence d’une privation de la liberté de mouvement des requérants au principal à l’intérieur du lieu d’hébergement leur étant attribué, il me paraît évident, à la lumière des précisions fournies lors de l’audience par toutes les parties intéressées, que, si ces requérants ne disposent pas d’une telle liberté dans le secteur réservé aux demandeurs d’asile, ils en sont également privés dans celui des étrangers, les restrictions en place dans ce second secteur étant analogues à celles appliquées dans le premier. À cet égard, je note que le gouvernement hongrois révèle la présence, en sus des éléments mentionnés au point 162 des présentes conclusions, d’un système de vidéosurveillance couvrant l’ensemble des étrangers, à la seule exclusion d’une partie des zones communes, des sanitaires et de l’intérieur des conteneurs métalliques servant d’habitations.

174. Quant à la question de savoir si les requérants au principal ont une possibilité réaliste de quitter de leur plein gré la zone de transit de Röszke, il ne fait guère de doute, à mon sens, que la réponse doit être négative. C’est en effet à ce stade de l’analyse que la circonstance que, le 25 avril 2019 (ou le 12 février 2019), les requérants au principal ont fait l’objet d’une décision de retour et d’éloignement joue un rôle déterminant.

175. Peu importe que le pays de destination de l’éloignement, initialement la Serbie, ait été modifié par la décision prise par l’autorité nationale compétente le 3 juin 2019 (ou le 17 avril 2019), selon laquelle l’éloignement des requérants au principal doit s’effectuer vers les pays d’origine des requérants, l’Afghanistan ou l’Iran. C’est le simple fait qu’ils soient destinataires d’une décision de retour et d’éloignement qui est pertinent en l’espèce.

176. En effet, une telle décision étant de nature à créer une obligation juridique de retour pour les ressortissants des pays tiers concernés par celle-ci (58), le départ de ces requérants de la zone de transit de Röszke de leur propre gré ne peut pas être envisagé. Plus précisément, lesdits requérants ne peuvent quitter légalement une telle zone de transit que si les autorités hongroises accomplissent tous les actes procéduraux nécessaires à leur éloignement, ainsi qu’il est prévu à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

177. L’argumentation du gouvernement hongrois ne me paraît guère explicite comme évoquant, tout à la fois, le fait que les ressortissants de pays tiers concernés, faisant l’objet d’une décision de retour vers la Serbie, « auraient pu librement quitter la zone de transit » mais « ont fait le choix de rester » dans celle-ci et la circonstance que les intéressés « n’ont pas respecté l’obligation de quitter la zone de transit que leur imposait la décision initiale de retour rendue par l’autorité compétente ». Je relève, à cet égard, qu’il est clairement exposé dans la décision de renvoi que les requérants au principal ont fait l’objet d’une décision de retour et d’éloignement vers la Serbie, en ce sens qu’un transfert physique desdits requérants devait être effectué sous escorte, ce qui caractérise un retour forcé. Une même solution a ensuite été retenue par l’autorité nationale compétente en direction de l’Afghanistan et de l’Iran, en considération de la nationalité des requérants au principal, à la suite de la non-réadmission par la République de Serbie. Il ne s’agit donc aucunement de l’hypothèse d’une décision de retour assortie d’un délai pour un départ volontaire au sens de l’article 7 de la directive 2008/115. La réalité de l’éloignement ordonné par l’autorité nationale responsable est radicalement incompatible avec une quelconque idée de départ volontaire des requérants au principal.

178. Compte tenu de ce qui précède, je propose donc à la Cour de conclure que, depuis le 25 avril 2019 ou 12 février 2019, ces requérants ont été placés en « rétention » au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33.

179. Une telle interprétation de cette disposition, considérée comme incorporant les exigences découlant de l’article 6 de la Charte, en vertu du considérant 35 de la directive 2013/33, est de nature à assurer un niveau de protection plus élevé que celui garanti par la CEDH dans le cadre de l’interprétation de l’article 5 de cette dernière, et est ainsi en ligne avec la prescription contenue dans la dernière phrase de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte.

4.      Sur la légalité de la rétention

180. Il résulte des considérations qui précèdent que les requérants au principal, qui doivent être considérés comme des demandeurs de protection internationale relevant du champ d’application de la directive 2013/32, ont fait l’objet d’une rétention à l’occasion de leur séjour dans la zone de transit de Röszke. Dans le cadre de sa troisième question, sous d), la juridiction de renvoi interroge en substance la Cour sur la légalité de cette rétention, étant rappelé que, conformément à l’article 26 de la directive 2013/32 et à l’article 8 de la directive 2013/33, des demandeurs de protection internationale peuvent être placés, à certaines conditions, en rétention.

181. La constatation de l’existence d’une rétention de fait des requérants au principal signifie, par définition, que le régime juridique propre à cette mesure, défini aux articles 8 à 11 de cette directive, n’a pas été respecté. Ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, la première étape essentielle consistant en l’adoption d’une décision de placement en rétention en bonne et due forme, requise à l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2013/33, fait défaut en l’espèce. Il me paraît, à cet égard, pour le moins délicat de rechercher l’existence d’une mesure équivalente à une décision expresse de placement en rétention, constituée en l’occurrence par l’acte fixant la résidence des requérants au principal dans le secteur des demandeurs de protection internationale ou celui leur imposant de séjourner dans le secteur des étrangers de la zone de transit, alors même que la position du gouvernement hongrois a toujours été de contester l’existence même d’un quelconque placement en rétention des intéressés (59).

182. Ne sont donc aucunement allégués, ni a fortiori démontrés, i) l’existence d’un examen individuel préalable quant à la possible mise en place de solutions de substitution, ii) l’adoption d’une décision de placement en rétention indiquant les motifs de fait et de droit, visés à l’article 8 de la directive 2013/33, sur lesquels elle est basée, iii) la réalité d’une information, dans une langue que les demandeurs comprennent ou dont on peut raisonnablement supposer qu’ils la comprennent, d’une part, portant sur les motifs du placement en rétention et les procédures de recours contre la décision de placement en rétention prévues par le droit national, ainsi que la possibilité de demander l’assistance juridique et la représentation gratuites et, d’autre part, expliquant les règles qui s’appliquent dans le centre de rétention et énoncent leurs droits et obligations

183. Au titre des motifs d’illégalité, la juridiction de renvoi fait état de l’indétermination de la durée de la rétention dont le terme ne serait pas précisé. À cet égard, la formulation univoque de l’article 9 de la directive 2013/33 me paraît contredire cette approche, en ce qu’il y est uniquement précisé que la durée de la rétention doit être « la plus brève possible », sans indication d’une durée maximale.

184. La juridiction de renvoi demande également à la Cour, dans le cadre de la troisième question, sous c), si l’article 8 de cette directive s’oppose à ce que le placement en rétention des demandeurs d’asile ait lieu au seul motif que ceux-ci ne peuvent subvenir à leurs besoins faute de moyens de subsistance. Il est possible de s’interroger sur la pertinence d’une telle interrogation, qui évoque la régularité d’un placement en rétention alors même qu’aucune décision en ce sens n’a été formellement adoptée sur le fondement des articles 8 et 9 de la directive 2013/33 et que les litiges au principal n’ont pas pour objet un recours en annulation dirigé contre un acte indiquant les motifs de droit et de fait conduisant au placement en rétention des requérants au principal. Ce n’est que dans une telle hypothèse qu’il serait pertinent de porter une appréciation sur la validité du motif en cause au regard des termes de l’article 8 de cette directive.

185. Si cette question spécifique devait être considérée comme étant recevable par la Cour, il y aurait lieu de répondre par l’affirmative à celle-ci, dans la mesure où un tel motif de rétention ne figure pas à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2013/33, lequel énumère de manière exhaustive les différents motifs susceptibles de justifier un placement en rétention.

186. Dans ces circonstances, il est proposé de conclure que les articles 26 et 43 de la directive 2013/32 ainsi que les articles 8 et 9 de la directive 2013/33 s’opposent à une réglementation nationale qui permet à l’autorité nationale compétente de se prononcer, à la frontière ou dans une zone de transit, sur l’irrecevabilité ou le fond d’une demande de protection internationale, en dehors des cas énumérés à l’article 31, paragraphe 8, de la directive 2013/32, au-delà d’un délai de quatre semaines et en privant les demandeurs de leur droit d’entrer sur le territoire national, ce qui, cumulé aux conditions d’hébergement dans la zone de transit révélatrices d’un isolement et à l’impossibilité pour eux de quitter cette zone de leur plein gré, caractérise une situation de rétention de fait. Cette dernière doit être qualifiée d’illégale comme ne procédant pas d’une décision de placement en rétention indiquant les motifs de fait et de droit sur laquelle elle est basée, précédée d’un examen individuel préalable quant à la possible mise en place de solutions de substitution et accompagnée d’une information, dans une langue que les demandeurs comprennent ou dont on peut raisonnablement supposer qu’ils la comprennent, d’une part, portant sur les motifs du placement en rétention et les procédures de recours contre la décision de placement en rétention prévues par le droit national, ainsi que la possibilité de demander l’assistance juridique et la représentation gratuites et, d’autre part, expliquant les règles qui s’appliquent dans le centre de rétention et énoncent leurs droits et obligations.

5.      Sur les mesures provisoires 

187. À titre liminaire, il convient de rappeler que la juridiction de renvoi est saisie d’un recours en carence par lequel les requérants au principal lui demandent de constater que l’autorité nationale compétente a manqué à ses obligations en s’abstenant de leur attribuer un lieu de séjour situé en dehors de la zone de transit de Röszke. Dans le cadre de cette procédure administrative contentieuse, le droit hongrois n’accorde pas aux juridictions nationales, selon le juge de renvoi, le pouvoir d’adopter, à titre de mesures provisoires, une décision portant fixation d’un tel lieu.

188. Par sa troisième question, sous e), la juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, si, lorsqu’il est manifeste que l’on est en présence d’une rétention illégale, l’article 47 de la Charte doit être interprété en ce sens que la juridiction nationale doit avoir la possibilité d’adopter de telles mesures provisoires afin d’obliger l’autorité nationale compétente à attribuer aux demandeurs d’asile concernés, jusqu’à la clôture de la procédure administrative contentieuse, un lieu d’hébergement situé en dehors de la zone de transit, qui ne constitue pas un lieu de rétention au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33.

189. Il convient d’observer que, dans l’arrêt Factortame e.a. (60), la Cour a déclaré que l’exigence d’assurer la pleine efficacité du droit de l’Union implique nécessairement que le juge saisi d’un litige régi par ce droit doit pouvoir accorder des mesures provisoires en vue de garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l’existence des droits invoqués sur le fondement du droit de l’Union. Par la suite, la Cour a précisé qu’une interdiction absolue d’adopter des mesures provisoires, indépendamment des circonstances de l’espèce, serait contraire au droit à une protection juridictionnelle complète et effective que les justiciables tiennent du droit de l’Union (61) – qui est désormais consacré à l’article 47 de la Charte et que les États membres doivent garantir en application de l’article 19, paragraphe 1, deuxième phrase, TUE –, celle-ci impliquant notamment que puisse être assurée leur protection provisoire, si elle est nécessaire à la pleine effectivité de la décision définitive (62).

190. Il apparaît ainsi que la reconnaissance de la compétence d’une juridiction nationale quant à l’adoption de mesures provisoires, non prévue par la réglementation nationale, est liée à la nécessaire protection d’un droit ayant pour fondement le droit de l’Union et dont la méconnaissance est alléguée devant ladite juridiction. Or, dans le cas présent, le juge de renvoi n’indique pas explicitement le droit des requérants au principal qui serait violé, ce qui justifierait son intervention avant la décision sur le fond du recours en carence afin de garantir l’efficacité de cette dernière.

191. Pour ma part, j’estime que le droit en question pourrait découler de l’article 9 de la directive 2013/33. Cette disposition, qui impose aux États membres la mise en place d’un contrôle juridictionnel du placement en rétention d’un demandeur de protection internationale, d’office ou à l’initiative de ce dernier, prévoit, à son paragraphe 3, second alinéa, la conséquence obligatoire de la constatation judiciaire de l’illégalité d’un tel placement, à savoir la remise en liberté immédiate du demandeur concerné. Le corollaire de cette obligation incombant aux États membres est nécessairement un droit, de la même teneur, au profit dudit demandeur. À cet égard, je relève que la disposition susmentionnée ne prévoit l’adoption par le juge national d’aucune mesure accompagnant la remise en liberté tenant plus particulièrement à la fixation du lieu de résidence de l’intéressé.

192. Il résulte de l’article 7 de la directive 2013/33 que les demandeurs de protection internationale peuvent circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ou à l’intérieur d’une zone qui leur est attribuée par cet État membre, ce dernier pouvant décider du lieu de résidence de ces demandeurs dans les conditions définies aux paragraphes 2 et 3 de ladite disposition. La teneur de cette disposition ne me paraît pas révéler l’existence d’un droit du demandeur d’asile quant à la fixation de son lieu de résidence dont la méconnaissance pourrait être alléguée devant la juridiction de renvoi et pouvant donner lieu à l’adoption de mesures provisoires afin de garantir l’efficacité de la décision juridictionnelle à venir.

193. Au regard du droit à la remise en liberté immédiate, se pose donc la question de savoir si la faculté pour le juge national d’adopter des mesures provisoires est nécessaire afin de garantir la pleine effectivité de la décision définitive sur l’existence d’une rétention illégale des requérants au principal (63).

194. Afin de répondre à cette question, il y a lieu de déterminer, ainsi que l’exige la jurisprudence (64), s’il ressort de l’économie de l’ordre juridique national en cause qu’il n’existe aucune voie de recours permettant, même de manière incidente, d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union.

195. Je note, à cet égard, que, lors de l’audience, tant les requérants au principal que le gouvernement hongrois ont confirmé l’existence dans l’ordre juridique hongrois d’une voie de recours dite de la « protection juridique immédiate ». Il s’agit d’une voie extraordinaire, prévue dans le code du contentieux administratif, qui permettrait aux demandeurs de protection internationale, selon le gouvernement hongrois, de saisir le juge de renvoi ou un autre juge national pour obtenir la suspension « immédiate et temporaire » de la décision leur ayant attribué la zone de transit de Röszke comme lieu d’hébergement obligatoire. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si cette voie de recours est susceptible d’assurer le respect du droit des requérants au principal à obtenir une libération immédiate en cas de rétention illégale. Dans ce cadre, il lui appartiendra de prendre en compte les conditions d’octroi d’une telle protection juridique immédiate, notamment la circonstance, mise en exergue par les requérants au principal au cours de l’audience, que cette protection ne peut être octroyée qu’en présence d’un « péril immédiat ».

196. À la lumière de ces considérations, je propose à la Cour de répondre que, si le droit national ne prévoit pas de voie de recours visant à assurer le respect du droit des demandeurs de protection internationale à la libération immédiate lorsque leur rétention a fait l’objet d’une déclaration judiciaire d’illégalité, l’article 47 de la Charte, lu conjointement avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale doit pouvoir adopter des mesures provisoires obligeant l’autorité nationale compétente à procéder à cette libération. En revanche, un droit des demandeurs de protection internationale portant sur une éventuelle fixation de leur lieu d’hébergement en dehors du lieu de rétention illégale ne découle pas du droit de l’Union et ne peut pas faire ainsi l’objet de telles mesures.

V.      Conclusion

197. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged, Hongrie) :

1)      L’article 13 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il impose aux États membres l’obligation de prévoir une voie de recours contre l’acte portant modification du pays de destination indiquée dans une décision de retour au moins devant une instance juridictionnelle, lorsque l’autorité administrative ou l’instance compétente appelée à connaître dudit recours ne serait pas composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance. Il appartient à la juridiction de renvoi, chargée d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union et d’en assurer le plein effet, de vérifier si la législation nationale en cause au principal peut être interprétée conformément à ces exigences du droit de l’Union ou de laisser inappliquée toute disposition de celle-ci contraire au résultat de la directive 2008/115, en examinant le recours exercé par les requérants au principal.

2)      L’article 33 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale permettant de rejeter comme étant irrecevable une demande de protection internationale au motif que le demandeur est arrivé sur le territoire de l’État membre concerné par un État dans lequel il n’est pas exposé à des persécutions ou à un risque d’atteintes graves, ou dans lequel est assuré un degré de protection adéquat.

3)      L’article 38, paragraphe 4, et l’article 6 de la directive 2013/32 doivent être interprétés en ce sens que, dans une situation où la demande de protection internationale a été rejetée sur le fondement du motif d’irrecevabilité tiré du « pays de transit sûr » et que ce dernier refuse de laisser entrer les demandeurs dans son territoire, l’autorité nationale compétente est tenue, indépendamment de l’illégalité de ce motif et des conséquences s’y attachant, de reprendre d’office la procédure d’examen de la demande d’asile et peut, dans ce cadre, appliquer un des motifs d’irrecevabilité prévus à l’article 33, paragraphe 2, de la directive 2013/32. S’agissant des motifs du « premier pays d’asile » et du « pays tiers sûr », figurant respectivement à l’article 33, paragraphe 2, sous b), et à l’article 33, paragraphe 2, sous c), de la directive 2013/32, l’existence d’une réadmission avérée est une des conditions cumulatives d’adoption d’une décision fondée sur le premier motif, tandis que l’admission ou la réadmission ne doit être vérifiée qu’au moment de l’exécution d’une décision fondée sur le second motif.

4)      Les articles 26 et 43 de la directive 2013/32 ainsi que les articles 8 et 9 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui permet à l’autorité nationale compétente de se prononcer, à la frontière ou dans une zone de transit, sur l’irrecevabilité ou le fond d’une demande de protection internationale, en dehors des cas énumérés à l’article 31, paragraphe 8, de la directive 2013/32, au-delà d’un délai de quatre semaines et en privant les demandeurs de leur droit d’entrer sur le territoire national, ce qui, cumulé aux conditions d’hébergement dans la zone de transit révélatrices d’un isolement et à l’impossibilité pour eux de quitter cette zone de leur plein gré, caractérise une situation de rétention de fait. Cette rétention doit être qualifiée d’illégale comme ne procédant pas d’une décision de placement en rétention indiquant les motifs de fait et de droit sur laquelle elle est basée, précédée d’un examen individuel préalable quant à la possible mise en place de solutions de substitution et accompagnée d’une information, dans une langue que les demandeurs comprennent ou dont on peut raisonnablement supposer qu’ils la comprennent, d’une part, portant sur les motifs du placement en rétention et les procédures de recours contre la décision de placement en rétention prévues par le droit national, ainsi que la possibilité de demander l’assistance juridique et la représentation gratuites et, d’autre part, expliquant les règles qui s’appliquent dans le centre de rétention et énoncent leurs droits et obligations.

5)      L’article 47 de la charte des droits fondamentaux, lu conjointement avec l’article 19, paragraphe 1, deuxième phrase, TUE, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’il est constaté, à la suite d’un contrôle juridictionnel, que la rétention des demandeurs de protection internationale est illégale et le droit national ne prévoit pas de voie de recours visant à assurer le respect de leur droit à une libération immédiate, tel qu’il découle de l’article 9, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 2013/33, une juridiction nationale doit pouvoir adopter des mesures provisoires obligeant l’autorité nationale compétente à procéder à cette libération. En revanche, un droit des demandeurs de protection internationale portant sur une éventuelle fixation de leur lieu d’hébergement en dehors du lieu de rétention illégale ne découle pas du droit de l’Union et ne peut ainsi faire l’objet de telles mesures.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96).


4      Cour EDH, 21 décembre 2019, CE:ECHR:2019:1121JUD004728715.


5      Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les crite'res et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31).


6      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, a' un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).


7      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).


8      Cour EDH, 21 novembre 2019, CE:ECHR:2019:1121JUD004728715.


9      Ordonnance du 17 décembre 2019, Di Girolamo (C‑618/18, non publiée, EU:C:2019:1090, point 25), et arrêt du 27 février 2014, Pohotovosť (C‑470/12, EU:C:2014:101, point 29).


10      Il convient de relever que les questions préjudicielles adressées à la Cour l’ont été par une juridiction à l’occasion, notamment, de l’examen d’un recours en annulation non prévu par le droit interne. Cette constatation n’est pas de nature à affecter, selon moi, la recevabilité desdites questions dans la mesure où la première d’entre elles a précisément trait au point de savoir si la législation nationale concernée satisfait aux exigences découlant du droit à un recours juridictionnel effectif tel que garanti à l’article 47 de la Charte et à l’article 13 de la directive 2008/115, ce qui requiert une réponse de la Cour dans le cadre de l’appréciation au fond de la première question [voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2019, KPMG Baltics (C‑639/17, EU:C:2019:31, point 11 et jurisprudence citée)].


11      Les requérants invoquent également un argument tiré de la non-réadmission par la République de Serbie et les conséquences s’attachant à une telle prise de position.


12      Arrêt du 19 septembre 2019, Lovasné Tóth (C‑34/18, EU:C:2019:764, point 40). Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750, point 37)].


13      Je précise que la pertinence de la seule troisième question, sous c), est susceptible de soulever des doutes, évoqués dans le cadre de l’examen des questions regroupées dans la troisième catégorie.


14      Cette formulation, et plus précisément l’emploi du terme « exécution », peut laisser à penser que la décision modificative en cause relève d’une mesure de type procédural et non de fond.


15      La proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et aux procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier du 1er septembre 2005 [COM(2005) 391 final] prévoyait uniquement un recours juridictionnel.


16      Une volonté du législateur de singulariser la seule situation du troisième organe de recours cité aurait, en outre, conduit à l’ajout d’une virgule avant la mention de celui-ci, de la manière suivante : « devant une autorité judiciaire ou administrative compétente, ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance ». 


17      Arrêt du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission (C‑219/95 P, EU:C:1997:375, point 15).


18      Arrêt du 13 septembre 2017, Khir Amayry (C‑60/16, EU:C:2017:675, point 29 et jurisprudence citée).


19      Le paragraphe 2 du principe 5, énonce que le recours doit offrir les garanties de procédure requises et présenter certaines caractéristiques et, notamment, le fait que le délai d’exercice du recours ne doit pas être déraisonnablement court, ledit délai n’étant que de vingt-quatre heures dans le cas présent.


20      Voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465, point 60).


21      Voir arrêts du 5 juin 2014, Mahdi (C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 38), et du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465, point 48).


22      Voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465, point 52).


23      Voir, par analogie, arrêt du 13 décembre 2017, El Hassani (C‑403/16, EU:C:2017:960, points 39 et 40).


24      Voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 51).


25      Cour EDH, 13 décembre 2012, CE:ECHR:2012:1213JUD002268907, § 83 et jurisprudence citée. La Cour européenne des droits de l’homme y a relevé que le requérant avait pu exercer un recours devant un tribunal administratif « remplissant les conditions d’indépendance, d’impartialité et de compétence pour examiner les griefs tirés de l’article 8 » (§ 92).


26      Arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov (C‑556/17, EU:C:2019:626, point 56).


27      Dans la recommandation (UE) 2017/2338 de la Commission, du 16 novembre 2017, établissant un « manuel sur le retour » commun devant être utilisé par les autorités compétentes des États membres lorsqu’elles exécutent des tâches liées au retour (JO 2017, L 339, p. 83), il est mentionné ce qui suit : « Nature de l’organe de recours : conformément aux articles 6 et 13 de la CEDH et à l’article 47 de la [Charte], les organes de recours doivent en substance être un tribunal indépendant et impartial. L’article 13, paragraphe 1 de la directive “retour” s’inspire fortement du principe directeur 5.1 du Conseil de l’Europe et il doit être interprété conformément à la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme. En vertu de cette jurisprudence, l’organe de recours peut également être une autorité administrative à condition que cette autorité soit composée de membres impartiaux et qui jouissent de garanties d’indépendance et que les dispositions nationales prévoient la possibilité que la décision soit revue par une autorité judiciaire, conformément aux normes établies à l’article 47 de la [Charte] sur le droit à un recours effectif. »


28      Voir arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465).


29      Voir arrêts du 26 septembre 2018, Belastingdienst/Toeslagen (Effet suspensif de l’appel) (C‑175/17, EU:C:2018:776), et Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (Effet suspensif de l’appel) (C‑180/17, EU:C:2018:775).


30      Si dans l’arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465, point 58), il est fait état d’un droit à un recours effectif « au moins devant une instance juridictionnelle », expression dont il peut être déduit la possibilité d’un traitement du recours par un organe non juridictionnel mais nécessairement sous le contrôle d’une instance juridictionnelle, la Cour indique dans les arrêts du 26 septembre 2018, Belastingdienst/Toeslagen (Effet suspensif de l’appel) (C‑175/17, EU:C:2018:776, point 37), et Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (Effet suspensif de l’appel) (C‑180/17, EU:C:2018:775, point 33) que la protection juridictionnelle effective « se limite à l’existence d’une voie de recours juridictionnelle », sans autres précisions.


31      La proposition de directive du Parlement et du Conseil, du 2 septembre 2018, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier [COM(2018) 634 final], toujours pendante, prévoit à son article 16 relatif aux voies de recours que le ressortissant de pays tiers concerné dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour devant une autorité judiciaire compétente, ledit ressortissant ayant le droit de former un recours limité à un seul degré de juridiction contre la décision de retour lorsque celle-ci se fonde sur une décision rejetant une demande de protection internationale ayant fait l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif conformément à la norme de droit dérivé régissant ladite demande. Il n’est donc plus fait mention d’une autorité administrative ou d’une instance compétente, composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance, en tant qu’organe de recours.


32      Arrêt LH (Tompa) (C‑564/18, EU:C:2020:218) et conclusions dans l’affaire LH (Tompa) (C‑564/18, EU:C:2019:1056).


33      Pour autant que l’argumentation du gouvernement hongrois puisse être comprise comme l’allégation d’une irrecevabilité, pour absence de pertinence, des questions préjudicielles regroupées dans la deuxième catégorie, il convient de rappeler que la juridiction de renvoi est saisie d’un recours concernant la constatation d’une carence de l’autorité nationale compétente dans la fixation du lieu de séjour des requérants au principal, litige impliquant la détermination préalable du statut juridique de ces requérants, qui constitue l’objet desdites questions préjudicielles.


34      Bodart, S., « Article 18. Droit d’asile », dans Picod, F., et Van Drooghenbroeck, S., (éd.), Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Commentaire article par article, Bruylant, 2020, p. 499.


35      Je note, à cet égard, qu’il découle de la décision de renvoi que les recours introduits par les requérants au principal contre les décisions de rejet de leurs demandes d’asile ont été rejetés par le Fövárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale) sur la base du constat que le motif du « pays de transit sûr » n’était pas incompatible avec la directive 2013/32 du fait qu’il pouvait être rangé dans le motif du « pays tiers sûr ».


36      Voir proposition de directive du Conseil, du 20 septembre 2000, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres [COM(2000) 578 final] (JO 2001, C 262E, p. 231), commentaire sur l’article 22, selon lequel : « Même si la présente proposition n’impose pas qu’une (ré)admission explicite du demandeur en question soit certaine, tout examen portant sur l’application du principe du pays tiers sûr devrait prendre en considération la façon dont les autorités du pays tiers concerné réagiront à l’arrivée du demandeur. Il reviendrait à chaque État membre d’apprécier individuellement la situation sur la base de tous les éléments de preuve pertinents concernant entre autres les expériences passées, des informations communiquées par le HCR [Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés] et d’autres États membres ainsi que de l’existence d’accords de réadmission » (italique ajouté par mes soins). À cet égard, voir, également, HCR, « Legal considerations regarding access to protection and a connection between the refugee and the third country in the context of return or transfer to safe third countries », avril 2018, disponible à l’adresse http://bit.ly/2ON4D0I, où il est clairement précisé que « [p]rior to transfer, it is important, keeping with relevant international law standards, individually to assess whether the third state will: (re)admit the person » (« avant le transfert, il est important, conformément aux normes internationales pertinentes, d’examiner individuellement si le pays tiers : (re)admettra la personne ») (traduction libre).


37      Italique ajouté par mes soins.


38      À cet égard, j’observe que la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2016, instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE [COM(2016) 467 final] (« Proposition du nouveau règlement procédures ») suggère, en sus du changement de dénomination (« décision définitive »), d’apporter une modification primordiale à la définition de « décision définitive » [article 4, paragraphe 2, sous d)]. Une telle notion devrait en effet inclure, selon cette proposition, « toute décision établissant si un ressortissant de pays tiers ou un apatride se voit ou non accorder le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire [...] y compris toute décision rejetant la demande comme étant irrecevable » (italique ajouté par mes soins). La modification proposée atteste, à mon sens, que ce type de décision ne relève pas de la portée de ladite notion sous l’empire de la directive 2013/32.


39      Voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov (C‑556/17, EU:C:2019:626, point 53), dans lequel la Cour a justifié les limites que son interprétation impliquait pour l’autonomie procédurale des États membres lorsqu’il s’agit d’adopter une nouvelle décision relative à une demande de protection internationale après l’annulation de la décision administrative initiale rejetant une telle demande, notamment par la nécessité de favoriser l’objectif poursuivi par la directive 2013/32, consistant à assurer un traitement « aussi rapide que possible » des demandes de cette nature.


40      Arrêt du 19 mars 2019 (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, point 100).


41      C’est d’ailleurs de cette manière que le législateur hongrois semble l’avoir compris, lorsqu’il a inscrit à l’article 51/A de la loi relative au droit d’asile une disposition selon laquelle « [s]i [...] le pays tiers sûr [refuse] de prendre [...] en charge le demandeur, l’autorité compétente en matière d’asile retire sa décision et mène la procédure d’asile ». Il est précisé que cela n’exclut pas que la personne concernée puisse retirer explicitement ou implicitement sa demande, conformément aux articles 27 et 28 de la directive 2013/32 avant la reprise de la procédure administrative.


42      Il résulte des débats d’audience que l’un des requérants au principal a présenté une nouvelle demande de protection internationale, laquelle a été qualifiée par l’autorité nationale compétente de « demande ultérieure » et rejetée comme irrecevable.


43      L’article 2, sous q, définit la « demande ultérieure » comme suit : « une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1 ».


44      Voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2015, Tall (C‑239/14, EU:C:2015:824, point 46), dans lequel la Cour déclare que « lorsqu’un demandeur d’asile introduit une demande d’asile ultérieure, sans présenter de nouvelles preuves ou de nouveaux arguments, il serait disproportionné d’obliger les États membres à entreprendre une nouvelle procédure d’examen complet » (italique ajouté par mes soins). Voir également HCR, « UNCHR Comments on the European Commission’s Proposal for an Asylum Procedures Regulation », avril 2019, concernant la proposition du nouveau règlement procédures, disponible à l’adresse https://www.refworld.org/docid/5cb597a27.html, où il est précisé ce qui suit : « In UNHCR’s view, treating an application as a subsequent application is justified only if the previous claim was considered fully on the merits, involving all the appropriate procedural safeguards. » (« Selon l’avis du HCR, considérer une demande comme une demande ultérieure ne se justifie que si la demande antérieure a fait l’objet d’un examen complet sur le fond impliquant l’application de toutes les garanties procédurales appropriées ») (traduction libre).


45      Si la formulation de la question posée par la juridiction de renvoi appelle la Cour à se prononcer sur la compatibilité entre une disposition de droit national et le droit de l’Union, ce qui ne relève pas de sa compétence dans le cadre de la procédure préjudicielle, il ressort d’une jurisprudence constante qu’il appartient à la Cour, dans une telle situation, de fournir à la juridiction de renvoi les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui lui permettront de juger de la compatibilité d’une norme de droit interne avec le droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328, point 18)].


46      Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31).


47      L’article 43 de la directive 2013/32 ne prévoyant pas de point de départ pour le délai maximal de quatre semaines, il me semble approprié de se référer aux termes de l’article 31 de cette directive selon lequel les États membres veillent à ce que les procédures d’examen soient menées à terme dans les six mois « à compter de l’introduction de la demande ». Ce point de départ ainsi défini pour la procédure pouvant être qualifiée d’ordinaire me paraît applicable, mutatis mutandis, à la procédure à la frontière. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier, dans les circonstances en cause au principal, l’écoulement dudit délai, étant observé que les demandes de décision préjudicielle ne font état que de la seule date de la présentation des demandes de protection internationale.


48      Cour EDH, 21 novembre 2019, CE:ECHR:2019:1121JUD004728715.


49      Voir, en matière d’asile, arrêts du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 45), et du 14 septembre 2017, K. (C‑18/16, EU:C:2017:680, point 32).      


50      Tel qu’il ressort des explications afférentes à l’article 52 de la Charte, selon lesquelles le paragraphe 3 de cet article vise à assurer la cohérence nécessaire entre la Charte et la CEDH « sans que cela porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour de justice de l’Union européenne ».


51      Sous condition que ce résultat ne soit réalisé au détriment d’un autre droit consacré dans la Charte. Voir, à cet égard, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Puškár (C‑73/16, EU:C:2017:253, point 123).


52      Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, du 30 janvier 2009, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres [COM(2008) 815 final].


53      C’est cette privation de liberté à l’intérieur du lieu d’hébergement qui distingue, selon moi, la notion de « rétention » figurant à l’article 2, sous h), de la directive 2013/33, de l’« obligation de demeurer dans un lieu déterminé » figurant à l’article 8, paragraphe 4, de la même directive.


54      S’il est vrai que les demandeurs d’asile hébergés dans la zone de transit de Röszke bénéficient d’une connexion Wi-Fi et sont autorisés à garder leur téléphone portable, j’estime que cela ne permet que d’atténuer leur situation d’isolement physique.


55      L’article 5, paragraphe 1, du code frontière Schengen se lit comme suit : « Les frontières extérieures ne peuvent être franchies qu’aux points de passage frontaliers et durant les heures d’ouverture fixées. Les heures d’ouverture sont indiquées clairement aux points de passage frontaliers qui ne sont pas ouverts 24 heures sur 24. » Je rappelle que la Hongrie n’a pas appliqué en l’espèce l’exception prévue à l’article 5, paragraphe 2, du code frontières Schengen.


56      À cet égard, les requérants au principal font référence, dans leurs observations, aux statistiques présentées dans le rapport du Belgrade Centre for Human Rights, « Right to Asylum in the Republic of Serbia 2018 », Belgrade, 2018, p. 29 et 30.


57      Je rappelle également que, si la Hongrie permettait, dans ces conditions, une sortie de son territoire sans procéder préalablement à la « vérification approfondie à la sortie », à laquelle elle serait tenue en vertu de l’article 8, paragraphe 3, sous g), du code frontières Schengen, ce comportement pourrait être constitutif d’une violation de cette disposition. Ces vérifications comportent i) la vérification que le ressortissant de pays tiers est en possession d’un document valable pour franchir la frontière ; ii) l’examen du document de voyage à la recherche d’indices de falsification ou de contrefaçon ; iii) si possible, la vérification que le ressortissant de pays tiers n’est pas considéré comme une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de l’un des États membres.


58      L’article 3, point 4, de la directive 2008/115 définit la « décision de retour » comme « une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ».


59      La question posée par la légalité de la rétention n’est pas, selon moi, celle de l’existence d’une décision ayant pour effet de placer les migrants concernés en rétention, mais celle de la réalité d’une décision ayant pour objet ledit placement.


60      Arrêt du 19 juin 1990 (C‑213/89, EU:C:1990:257, point 20).


61      Deux exemples de raisonnement liant protection juridictionnelle effective et mesures provisoires se trouvent dans les arrêts du 11 janvier 2001, Kofisa Italia (C‑1/99, EU:C:2001:10), et du 11 janvier 2001, Siples (C‑226/99, EU:C:2001:14).


62      Voir ordonnance du président de la Cour du 29 janvier 1997, Antonissen/Conseil et Commission [C‑393/96 P(R), EU:C:1997:42, point 36 et jurisprudence citée] ; ainsi que arrêts du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, points 40 et 41), et du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 103 et 104).


63      Toute appréciation portant sur le caractère éventuellement « manifeste » de l’illégalité, qui est évoqué dans la présente question préjudicielle, de la rétention ne me paraît pas pertinente dans ce contexte.


64      Arrêts du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, point 41), et du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 104).

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