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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> HB v Commission (Order) French Text [2020] EUECJ T-795/19_CO (05 March 2020) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2020/T79519_CO.html Cite as: EU:T:2020:88, ECLI:EU:T:2020:88, [2020] EUECJ T-795/19_CO |
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ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
5 mars 2020 (*)
« Référé – Marchés publics de services – Irrégularités dans la procédure d’attribution du marché – Recouvrement des montants déjà versés – Note de débit – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »
Dans l’affaire T‑795/19 R,
HB, représentée par Mes M. Vandenbussche et L. Levi, avocates,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. J. Baquero Cruz, J. Estrada de Solà et Mme A. Katsimerou, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant au sursis à l’exécution de la décision C(2019) 7319 final de la Commission, du 15 octobre 2019, relative à la réduction des montants dus au titre du marché CARDS/2008/166-429 et au recouvrement des montants indûment versés,
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
rend la présente
Ordonnance
Antécédents du litige
1 Le 24 octobre 2007, l’Union européenne, représentée par l’Agence européenne pour la reconstruction, a lancé un appel d’offres portant la référence EuropeAid/125037/D/SER/YU dans le but de conclure un marché de services pour la fourniture de services d’assistance technique au Haut Conseil Judiciaire.
2 Le 10 juin 2008, le marché CARDS/2008/166-429 a été attribué au consortium coordonné par la requérante, HB, parmi cinq soumissionnaires ayant déposé des offres. Le contrat relatif à ce marché a été signé le 30 juillet 2008 pour une valeur maximale du marché de 1 199 125 euros.
3 À la suite de la disparition de l’Agence européenne pour la reconstruction en décembre 2008, le marché a été transféré à la délégation de l'Union européenne en Serbie (ci-après la « délégation »).
4 Le 24 septembre 2008, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a reçu une lettre anonyme contenant des allégations selon lesquelles, d’une part, les curriculums vitae d’experts non principaux communiqués par la requérante dans le cadre de l’appel d’offres étaient faux et, d’autre part, le cahier des charges avait été adapté au profit de certains experts.
5 À la suite de ces allégations, l’OLAF a effectué une mission d’enquête. Dans un rapport d’analyse du 7 avril 2009, l’OLAF a relevé l’existence d’irrégularités graves et de possible faits de corruption.
6 Le 31 mars 2010, l’exécution du marché a été suspendue. Par courriers des 1er et 20 avril 2010, la requérante a demandé des informations complémentaires au sujet de cette décision. Le 21 avril 2010, la délégation a informé la requérante que la suspension se fondait sur les informations reçues de l’OLAF selon lesquelles la requérante aurait reçu les cahiers des charges trois semaines avant la publication de l’appel d’offres.
7 Par lettre du 28 avril 2010, la requérante a contesté la décision de suspension du contrat. Le 11 mai 2010, la délégation a confirmé la suspension en informant la requérante que l’exécution du marché reprendrait si les allégations n’étaient pas confirmées.
8 Le 28 novembre 2011, l’OLAF a transmis à la Commission européenne son rapport d’enquête final qui a confirmé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption. L’OLAF a recommandé à la délégation de résilier le contrat et de procéder à des recouvrements.
9 À la suite d’un échange de lettres, le 11 juillet 2014, la délégation a informé la requérante de son intention de résilier le contrat en raison des graves allégations concernant l’attribution irrégulière du marché.
10 Le 28 juillet 2014, l’OLAF a adopté un rapport d’analyse complémentaire dans lequel il a présenté des éléments de preuve supplémentaires qui confirmaient les conclusions des rapports antérieurs.
11 Par lettre du 14 août 2014, la requérante a contesté la mesure de résiliation envisagée.
12 Par lettre du 8 mai 2015, la délégation a confirmé son intention de résilier le contrat. La lettre précisait que le contrat devrait être considéré comme vicié dès l’origine par des irrégularités relatives à l’attribution du marché et que la Commission procéderait au recouvrement de tous les montants versés.
13 Le 29 mai 2015, la requérante a contesté la résiliation du contrat. Par lettre du 9 octobre 2015, la délégation a confirmé sa décision de résilier le contrat.
14 Le 9 novembre 2015, la délégation a communiqué à la requérante un ordre de recouvrement d’un montant de 1 197 055,86 euros.
15 Le 23 novembre 2015, la requérante a communiqué son désaccord avec la résiliation du contrat et le recouvrement envisagé.
16 Le 26 avril 2017, la délégation a informé la requérante que la garantie bancaire qu’elle avait constituée ne serait pas libérée et que l’émission de l’ordre de recouvrement serait suspendue dans l’attente de la décision des juridictions pénales belges dans une procédure portant notamment sur l’attribution du marché en cause.
17 Le 5 octobre 2017, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique) a rendu un jugement par lequel il a déclaré les poursuites irrecevables. Le juge belge a estimé que les rapports portés à l’attention de la justice belge par les fonctionnaires de l’OLAF étaient fondés sur des éléments de preuve déclarés nuls par la justice française et qui étaient donc entachés par la même nullité.
18 Le 8 janvier 2018, en invoquant le jugement du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles du 5 octobre 2017, la requérante a demandé à la délégation le paiement de la dernière facture relative au marché, la libération de la garantie bancaire, ainsi que le paiement des frais bancaires engendrés par ladite garantie depuis la suspension du marché.
19 Par lettre du 16 juillet 2018, la délégation a informé la requérante de son intention de poursuivre la procédure de recouvrement.
20 Le 15 octobre 2019, la Commission a adopté la décision C(2019) 7319 final relative à la réduction des montants dus au titre du marché CARDS/2008/166-429 et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision attaquée »). La Commission a considéré que la procédure relative à ce marché avait fait l’objet d’une irrégularité au sens de l’article 103 du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1), que ladite irrégularité était imputable au consortium coordonné par la requérante et qu’elle était suffisamment grave pour justifier que le montant du marché soit réduit de 1 199 125 euros à 0 euro. Tous les paiements, d’un montant de 1 197 055,86 euros, effectués ont ainsi été considérés comme ayant été indûment versés et devant faire l’objet d’un recouvrement.
21 Le même jour, la Commission a également adopté la décision C(2019) 7318 final relative à la réduction des montants dus au titre du marché TACIS/2006/101-510 et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision relative au marché TACIS »). La Commission a estimé que la procédure d’attribution de ce marché avait fait l’objet d’une irrégularité au sens de l’article 103 du règlement n° 1605/2002 imputable au consortium coordonné par la requérante et a décidé que tous les paiements, d’un montant de 4 241 507,00 euros, effectués au titre dudit marché devaient être considérés comme indûment versés et faire l’objet d’un recouvrement.
22 Par courrier du 8 novembre 2019, la requérante a demandé à la Commission de ne prendre aucune mesure d’exécution de la décision attaquée jusqu’à ce que les demandes de mesures provisoires qu’elle entendait présenter aient pu être entendues par les juges. La Commission n’a pas répondu à cette lettre.
Procédure et conclusions des parties
23 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 novembre 2019, la requérante a introduit un recours, enregistré sous le numéro T‑795/19, visant à obtenir l’annulation de la décision attaquée, le remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base de cette décision, le paiement de la dernière facture qu’elle a émise, la libération de la garantie bancaire et la réparation du préjudice matériel subi du fait de cette libération tardive, ainsi que le paiement d’un euro symbolique à titre de dommages et intérêts.
24 Par requête déposée le même jour au greffe du Tribunal, la requérante a introduit un recours, enregistré sous le numéro T‑796/19, visant à obtenir l’annulation de la décision relative au marché TACIS, le remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base de cette décision et le paiement d’un euro symbolique à titre de dommages et intérêts.
25 Par deux actes séparés déposés au greffe du Tribunal le 19 novembre 2019, la requérante a introduit la présente demande en référé ainsi qu’une demande en référé dans l’affaire T‑796/19.
26 Par la présente demande en référé, la requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :
– sursoir à l’exécution de la décision attaquée jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours principal ;
– ordonner à la Commission de ne pas procéder au recouvrement du montant de 1 197 055,86 euros jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours principal ;
– réserver les dépens.
27 Dans ses observations sur la demande en référé déposées au greffe du Tribunal le 20 décembre 2019, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :
– rejeter comme non fondée la demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée ;
– rejeter comme inopérante ou comme non fondée la demande d’injonction ;
– condamner la requérante aux dépens.
28 Le 30 décembre 2019, la requérante a déposé au greffe du Tribunal une lettre contenant en annexe deux lettres de rappel qui lui ont été adressées par la Commission. La Commission a déposé ses observations sur ces documents le 17 janvier 2020.
29 Le 23 janvier 2020, la Commission a demandé la jonction de la présente affaire en référé avec la demande en référé introduite dans l’affaire T‑796/19.
30 Dans ses observations sur la demande de jonction des deux affaires en référé, déposées le 29 janvier 2020 au greffe du Tribunal, la requérante a estimé que les deux affaires ne devaient pas être jointes.
31 Par décision de 10 février 2020, le président du Tribunal a rejeté la demande de la Commission visant à la jonction des deux affaires en référé à ce stade de la procédure.
En droit
Généralités
32 Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).
33 L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».
34 Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).
35 Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].
36 Par ailleurs, aux termes de l’article 156, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement de procédure, les demandes en référé « contiennent toutes les preuves et offres de preuves disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires ».
37 Ainsi, une demande en référé doit permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur cette demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir du texte même de ladite demande (voir ordonnance du 6 septembre 2016, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P‑R, non publiée, EU:C:2016:668, point 17 et jurisprudence citée).
38 Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.
39 Dans les circonstances de l’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.
Sur l’urgence
40 Aux fins de démontrer l’urgence, la requérante fait valoir, en premier lieu, que l’exécution de la décision attaquée entraînerait nécessairement sa faillite avant même l’adoption de la décision mettant fin à la procédure principale.
41 La requérante affirme qu’elle se trouve dans l’impossibilité de payer la somme réclamée au titre de la décision attaquée et, a fortiori, cette somme ajoutée à la somme réclamée au titre de la décision relative au marché TACIS, dès lors qu’un tel paiement mettrait manifestement en péril son existence avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale.
42 La requérante précise, à cet égard, que ses capitaux propres au 31 décembre 2018 s’élevaient à 112 202,04 euros et ses valeurs disponibles à 491 511,57 euros.
43 La requérante fait valoir qu’elle est la seule destinataire de la décision attaquée, qui lui impute, à elle seule, la responsabilité de l’irrégularité. Selon la requérante, la Commission semble ne pas envisager de s’adresser aux autres membres du consortium si elle ne pouvait pas récupérer la totalité du montant auprès d’elle et, en toute hypothèse, ne se retournerait vers les autres membres du consortium qu’après s’être adressée à elle.
44 En deuxième lieu, la requérante fait valoir que la décision attaquée aurait un impact préjudiciable sur sa réputation et sa capacité à remporter d’autres marchés publics avec la Commission dans l’attente d’une décision mettant fin à la procédure principale.
45 La requérante affirme que son activité est fondée principalement sur l’exécution de marchés publics pour les institutions de l’Union. Or, étant donné que, selon la décision attaquée, l’irrégularité serait imputable au consortium coordonné par la requérante, la Commission serait autorisée à l’exclure d’autres procédures de passation de marché. La faillite d’une société ou toute situation analogue serait également considérée comme un critère d’exclusion par l’article 136, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil du 18 juillet 2018 relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012, ce qui ne lui permettrait pas de remporter d’autres marchés avec les institutions de l’Union pour tenter de rétablir sa situation financière.
46 En troisième lieu, la requérante fait valoir qu’il convient d’assouplir la condition relative à l’urgence, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits [C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275], en ce sens qu’un préjudice grave, mais non irréparable, pourrait suffire à établir l’urgence dès lors que le fumus boni juris est particulièrement sérieux. La requérante affirme que l’objectif de protection juridictionnelle effective serait mis en péril de manière excessive et injustifiée si sa demande en référé devait être rejetée pour défaut de préjudice irréparable, alors que le fumus boni juris révèlerait l’existence d’une illégalité suffisamment manifeste et grave dont la production ou la prolongation des effets devrait être empêchée dans les meilleurs délais.
47 La Commission estime, en revanche, que la condition relative à l’urgence n’est pas remplie.
48 Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).
49 En outre, selon une jurisprudence bien établie, il n’y a urgence que si le préjudice grave et irréparable redouté par la partie qui sollicite les mesures provisoires est imminent à tel point que sa réalisation est prévisible avec un degré de probabilité suffisant. Cette partie demeure, en tout état de cause, tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel préjudice, étant entendu qu’un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi de mesures provisoires (voir ordonnance du 19 mai 2015, Costa/Parlement, T‑197/15 R, non publiée, EU:T:2015:294, point 22 et jurisprudence citée).
50 En l’espèce, en premier lieu, en ce qui concerne le préjudice allégué concernant le risque de faillite, il y a lieu de relever que la nature du préjudice allégué est d’ordre purement financier.
51 À cet égard, il convient de relever, premièrement, qu’un tel préjudice financier pourrait être qualifié d’imminent dès que la Commission adopterait un acte formant titre exécutoire, au sens de l’article 299, premier alinéa, TFUE, qui fixerait définitivement sa volonté de poursuivre le recouvrement de ses créances et qui serait susceptible d’exécution forcée par l’apposition de la formule exécutoire, ainsi que le prévoit l’article 299, deuxième alinéa, TFUE (voir, en ce sens, ordonnance du 8 mai 2013, Talanton/Commission, T‑165/13 R, non publiée, EU:T:2013:235, point 18).
52 La requérante affirme que la décision attaquée formerait titre exécutoire au sens de l’article 299 TFUE, tout en contestant la compétence de la Commission pour prendre une telle décision aux fins de recouvrement d’une créance qui serait de nature contractuelle.
53 Indépendamment de la question de la compétence de la Commission pour adopter une décision formant titre exécutoire afin de recouvrer les montants en cause, il convient de relever qu’il ressort du dispositif de la décision attaquée qu’il appartient au directeur général de la Direction générale du voisinage et des négociations d’élargissement d’émettre l’ordre de recouvrement pour le montant constaté comme indûment versé par la décision attaquée. En effet, la décision attaquée ne fait que, d’abord, constater une irrégularité imputable à la requérante, ensuite, réduire le montant du marché à zéro euro et, enfin, déterminer le montant qui fait l’objet d’un recouvrement.
54 S’agissant de la note de débit accompagnant la décision attaquée, il s’avère qu’elle précise le montant à rembourser par la requérante, la date limite du remboursement et les conditions de paiement, à savoir les frais bancaires, les intérêts de retard et les modalités d’un éventuel recouvrement par compensation. Il y est expressément indiqué que, à défaut d’obtenir le recouvrement intégral de sa créance, la Commission procédera au recouvrement par l’exécution forcée en adoptant une décision au titre de l’article 299 TFUE ou par la voie contentieuse.
55 Or, dans le cas où, comme en l’espèce, un débiteur d’une créance ne verse pas la somme réclamée, la Commission peut soit renoncer au recouvrement à la créance, soit procéder à une compensation, soit recourir à l’exécution forcée, qui peut intervenir par une décision exécutoire ou par un titre exécutoire obtenu par la voie contentieuse. Dès lors, la décision attaquée n’a pas de caractère exécutoire, mais est un simple acte préparatoire précédant l’adoption d’une décision de la Commission de poursuivre ou non la procédure de recouvrement, soit en engageant une procédure contentieuse, soit en adoptant une décision qui forme titre exécutoire (voir, en ce sens, ordonnance du 13 septembre 2011, CEVA/Commission, T‑224/09, non publiée, EU:T:2011:462, point 57).
56 Cette interprétation est corroborée par les observations de la Commission sur la demande en référé, dans lesquelles elle affirme que des actes postérieurs seront nécessaires afin de pouvoir procéder au recouvrement forcé.
57 Par conséquent, il convient de conclure, sans préjudice de la possibilité pour la requérante d’introduire une nouvelle demande à la suite d’un changement de circonstances en vertu de l’article 159 du règlement de procédure, que l’imminence du préjudice financier invoqué n’a pas été établie.
58 Deuxièmement, et en tout état de cause, il est de jurisprudence constante qu’un préjudice d’ordre purement financier, ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut, en règle générale, faire l’objet d’une compensation financière ultérieure [ordonnances du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C‑471/00 P(R), EU:C:2001:218, point 113, et du 15 juin 2001, Bactria/Commission, T‑339/00 R, EU:T:2001:163, point 94].
59 Dans l’hypothèse d’un tel préjudice, la mesure provisoire sollicitée ne se justifie que s’il apparaît que, en l’absence d’une telle mesure, la partie requérante se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir ordonnance du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 46 et jurisprudence citée).
60 Il résulte également de la jurisprudence qu’il appartient à la partie qui sollicite la protection provisoire auprès du juge des référés de fournir les éléments de preuve essentiels permettant à ce dernier d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière ainsi que de celle des actionnaires qui la contrôlent. Ces indications doivent être, d’une part, concrètes et précises ainsi que, d’autre part, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées [voir, en ce sens, ordonnance du 20 avril 2012, Fapricela/Commission, C‑507/11 P(R), non publiée, EU:C:2012:231, point 35 et jurisprudence citée].
61 Le fait pour le juge des référés de tenir compte des ressources dont dispose globalement le groupe auquel se rattache la société qui demande les mesures provisoires peut l’amener à estimer que la condition de l’urgence n’est pas remplie malgré l’état d’insolvabilité prévisible de ladite société, prise individuellement. Il s’agit donc d’apprécier si le préjudice allégué peut être qualifié de grave et d’irréparable eu égard aux caractéristiques du groupe auquel appartient cette société (voir, en ce sens, ordonnances du 10 juin 2011, Eurallumina/Commission, T‑207/07 R, non publiée, EU:T:2011:265, point 32 et jurisprudence citée, et du 6 mai 2014, Frucona Košice/Commission, T‑103/14 R, non publiée, EU:T:2014:255, point 53 et jurisprudence citée).
62 En l’espèce, il convient de relever que les éléments de preuve fournis par la requérante afin de démontrer le risque de faillite allégué ne sont aucunement étayés. La requérante se borne à affirmer que ses capitaux propres au 31 décembre 2018 s’élevaient à 112 202,04 euros et ses valeurs disponibles à 491 511,57 euros.
63 En outre, la requérante n’a apporté aucune précision en ce qui concerne les caractéristiques du groupe auquel elle se rattache, directement ou indirectement, par son actionnariat et la situation des actionnaires qui la contrôlent.
64 Il ressort des pièces du dossier que la requérante se présente sous la forme juridique d’une société à responsabilité limitée de droit belge ayant comme actionnaires deux sociétés à responsabilité limitée. Dans ces circonstances, les modalités d’appartenance de la requérante à ce groupe et les caractéristiques de celui-ci, notamment les capacités financières dont il dispose dans son intégralité, constituent des éléments essentiels aux fins de l’examen de l’urgence de la demande en référé.
65 Il s’ensuit que la requérante est restée en défaut de produire une image fidèle et globale de sa situation qui permettrait au juge des référés d’apprécier si sa viabilité financière est mise en péril.
66 Troisièmement, en ce qui concerne l’impact préjudiciable allégué par la requérante sur sa capacité à remporter d’autres marchés publics pour tenter d’établir sa situation financière dans l’attente d’une décision mettant fin à la procédure principale, il convient de relever que la requérante n’a pas apporté d’éléments de preuve démontrant que la Commission aurait entamé une procédure visant à l’adoption d’une décision d’exclusion à son égard.
67 Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que le risque que la requérante invoque est, à ce stade, de nature purement hypothétique en ce qu'il est fondé sur la survenance d'événements futurs et incertains (voir, en ce sens, ordonnances du 15 juillet 1994, EISA/Commission, T‑239/94 R, EU:T:1994:95, point 20, et du 2 décembre 1994, Union Carbide/Commission, T‑322/94 R, EU:T:1994:289, point 31).
68 En tout état de cause, une éventuelle suspension de la décision attaquée qui porte sur le recouvrement des montants indûment versés ne saurait avoir pour effet de prévenir l’adoption d’une décision d’exclusion par la Commission contre laquelle la requérante pourrait, d’ailleurs, introduire un recours accompagné d’une demande de mesures provisoires.
69 En deuxième lieu, la requérante estime que, en l’absence de mesures provisoires, elle subirait un préjudice d’atteinte à sa réputation.
70 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’éventuel sursis à l’exécution d’une décision ne pourrait réparer le préjudice d’atteinte à la réputation, à le supposer établi, plus que ne le ferait, à l’avenir, une éventuelle annulation de ladite décision au terme de la procédure dans l’affaire principale (voir, en ce sens, ordonnance du 30 novembre 1993, D./Commission, T‑549/93 R, EU:T:1993:109, point 44).
71 Dès lors que la finalité de la procédure en référé n’est pas d’assurer la réparation d’un préjudice, mais de garantir la pleine efficacité de la décision mettant fin à la procédure principale, il y a lieu de considérer que la requérante n’a pas démontré que la décision attaquée pourrait causer une atteinte à sa réputation et à son image, à laquelle il ne pourrait plus être remédié par l’exécution d’une décision au fond du Tribunal qui lui serait favorable.
72 En dernier lieu, dans la mesure où la requérante estime qu’il convient d’assouplir la condition relative à l’urgence dès lors que le fumus boni juris établi est particulièrement sérieux, il importe de relever, premièrement et à titre liminaire, que, conformément à la jurisprudence, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont il examine les différentes conditions pour accorder une mesure provisoire ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement (ordonnance du 8 mai 2019, Sumitomo Chemical et Tenka Best/Commission, T‑734/18 R, non publiée, EU:T:2019:314, point 18).
73 Ainsi, il n’est pas exclu que le juge des référés puisse, lorsqu’il l’estime opportun, prendre en considération le caractère plus ou moins sérieux des moyens invoqués pour établir un fumus boni juris lors de son évaluation de l’urgence et, le cas échéant, de la mise en balance des intérêts en présence [voir ordonnance du 7 mars 2013, EDF/Commission, C‑551/12 P(R), EU:C:2013:157, point 23 et jurisprudence citée].
74 En revanche, la seule affirmation d’une partie sollicitant une mesure provisoire selon laquelle il existerait un fumus boni juris particulièrement sérieux, voire une illégalité manifeste, ne saurait avoir pour conséquence que le juge des référés devrait nécessairement et toujours examiner, pour cette seule raison, le caractère prétendument particulièrement sérieux du fumus boni juris.
75 Deuxièmement, il convient de relever qu’il résulte de la jurisprudence que si le caractère plus ou moins sérieux du fumus boni juris n’est pas sans influence sur l’appréciation de l’urgence, il n’en reste pas moins qu’il s’agit, conformément aux dispositions de l’article 156, paragraphe 4, du règlement de procédure, de deux conditions distinctes qui président à l’obtention d’un sursis à exécution, de sorte que la partie sollicitant une mesure provisoire demeure tenue de démontrer également l’imminence d’un préjudice grave et irréparable [voir, en ce sens, ordonnance du 7 mars 2013, EDF/Commission, C‑551/12 P(R), EU:C:2013:157, point 24 et jurisprudence citée].
76 S’il est vrai que la jurisprudence a reconnu des exceptions à l’application stricte de cette règle, il n’en demeure pas moins que ces exceptions sont rares et ont été reconnues en raison du fait qu’il apparaissait excessivement difficile, voire impossible, et ce pour des raisons systémiques, de remplir la condition liée à l’urgence, telle que traditionnellement interprétée dans la jurisprudence (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 37).
77 En particulier, pour ce qui concerne l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits [C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275], à laquelle la requérante se réfère comme point d’appui dans son argumentation, il convient de rappeler qu’il a été constaté au point 30 de cette ordonnance que l’application sans nuances d’une jurisprudence, même constante, qui rend pratiquement impossible pour un soumissionnaire évincé d’obtenir un sursis à l’exécution d’une décision d’attribution d’un marché d’une institution ou d’un autre organe de l’Union, au motif que le préjudice qu’il est susceptible de subir, étant d’ordre financier, n’est pas irréparable, est inconciliable avec les impératifs découlant de la protection provisoire effective qui doit être garantie en matière de marchés publics (ordonnance du 20 février 2018, Iberdrola/Commission, T‑260/15 R, non publiée, EU:T:2018:87, point 48).
78 Or, en l’espèce, la requérante n’avance pas de raisons systémiques qui lui rendrait excessivement difficile, voire impossible, la démonstration d’un préjudice grave et irréparable.
79 Il résulte de ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin d’examiner si la condition tenant à l’existence d’un fumus boni juris est remplie, ni de procéder à la mise en balance des intérêts.
80 En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.
Par ces motifs,
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
ordonne :
1) La demande en référé est rejetée.
2) Les dépens sont réservés
Fait à Luxembourg, le 5 mars 2020.
Le greffier | Le président |
E. Coulon | M. van der Woude |
* Langue de procédure : le français.
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