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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Commission v Italy (Droits d'accise - Carburant des bateaux de plaisance) (Judgment) French Text [2021] EUECJ C-341/20 (16 September 2021) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2021/C34120.html Cite as: ECLI:EU:C:2021:744, [2021] EUECJ C-341/20, EU:C:2021:744 |
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ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
16 septembre 2021 (*)
« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Article 14, paragraphe 1, sous c) – Exonération des produits énergétiques utilisés comme carburant ou combustible pour la navigation dans des eaux de l’Union européenne – Exonération octroyée aux seuls bateaux de plaisance privés faisant l’objet d’un contrat d’affrètement »
Dans l’affaire C‑341/20,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 24 juillet 2020,
Commission européenne, représentée par Mmes F. Moro et A. Armenia, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. A. Maddalo, avvocato dello Stato,
partie défenderesse,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. N. Wahl, président de chambre, Mme L. S. Rossi et M. J. Passer (rapporteur), juges,
avocat général : M. A. Rantos,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en octroyant le bénéfice de l’exonération des droits d’accise aux carburants utilisés par des bateaux de plaisance privés exclusivement lorsque ces bateaux font l’objet d’un contrat d’affrètement, indépendamment de la façon dont ils sont réellement utilisés, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 51).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
2 Les considérants 3 à 5 et 23 de la directive 2003/96 énoncent :
« (3) Le bon fonctionnement du marché intérieur et la réalisation des objectifs des autres politiques communautaires nécessitent que des niveaux minima de taxation soient fixés au niveau communautaire pour la plupart des produits énergétiques, y compris l’électricité, le gaz naturel et le charbon.
(4) D’importants écarts entre les niveaux nationaux de taxation de l’énergie appliqués par les États membres pourraient s’avérer préjudiciables au bon fonctionnement du marché intérieur.
(5) La fixation à des niveaux appropriés des minima communautaires de taxation peut permettre de diminuer les écarts actuels entre les niveaux nationaux de taxation.
[...]
(23) Compte tenu des obligations internationales existantes et de la préservation de la position compétitive des entreprises communautaires, il y a lieu de continuer d’exonérer les produits énergétiques fournis pour la navigation aérienne et la navigation maritime autre que la navigation de plaisance privée, les États membres devant avoir la possibilité de limiter ces exonérations. »
3 L’article 14, paragraphe 1, de cette directive énonce :
« Outre les dispositions générales de la directive 92/12/CEE [du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accises (JO 1992, L 76, p. 1)] concernant les utilisations exonérées de produits imposables, et sans préjudice d’autres dispositions [de l’Union], les États membres exonèrent les produits suivants de la taxation, selon les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et claire de ces exonérations et d’empêcher la fraude, l’évasion ou les abus :
[...]
c) les produits énergétiques fournis en vue d’une utilisation, comme carburant ou combustible pour la navigation dans des eaux [de l’Union] (y compris la pêche), autre qu’à bord de bateaux de plaisance privés, et l’électricité produite à bord des bateaux.
Aux fins de la présente directive, on entend par “bateau de plaisance privé” tout bateau utilisé par son propriétaire ou par la personne physique ou morale qui peut l’utiliser à la suite d’une location ou à un autre titre, à des fins autres que commerciales et, en particulier, autres que le transport de passagers ou de marchandises ou la prestation de services à titre onéreux ou pour les besoins des autorités publiques. »
Le droit italien
4 La directive 2003/96 a été transposée dans l’ordre juridique italien par le decreto legislativo n. 26 – Attuazione della direttiva 2003/96/CE che ristruttura il quadro comunitario per la tassazione dei prodotti energetici e dell’elettricità (décret législatif no 26, portant transposition de la directive 2003/96/CE restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques de l’électricité), du 2 février 2007 (supplément ordinaire à la GURI no 68, du 22 mars 2007).
5 Ce décret législatif a, aux fins de cette transposition, modifié le decreto legislativo n. 504 – Testo unico delle disposizioni legislative concernenti le imposte sulla produzione e sui consumi e relative sanzioni penali e amministrative (décret législatif no 504, portant texte unique des dispositions législatives relatives aux impôts et taxes sur la production, la consommation et les sanctions pénales et administratives y afférentes), du 26 octobre 1995 (supplément ordinaire à la GURI no 279, du 29 novembre 1995) (ci-après le « décret législatif no 504 »). Le décret législatif no 504 contient la réglementation relative à la taxation indirecte de la production et de la consommation, notamment, de produits énergétiques.
6 Conformément à la directive 2003/96, le décret législatif no 504 prévoit que sont soumis à accises certains produits énergétiques et fixe les taux d’accises dus. Pour les produits énergétiques destinés à des utilisations déterminées, l’article 24, paragraphe 1, de ce décret législatif admet l’exonération de l’accise ou l’application d’un taux réduit. Lesdites utilisations sont décrites au tableau A de l’annexe I dudit décret législatif. Le point 3 de ce tableau A prévoit, notamment, l’exonération pour les « utilisations comme carburant pour la navigation dans les eaux marines [de l’Union], y compris pour les activités de la pêche, à l’exclusion des bateaux de plaisance privés, et les utilisations comme carburant pour la navigation dans les eaux intérieures, limitée au transport des marchandises, ainsi que pour le dragage des voies navigables et des ports ». La note 1 relative à ce point 3 est libellée comme suit :
« On entend par [...] “bateaux de plaisance privés” l’utilisation [...] d’un bateau par le propriétaire ou la personne physique ou morale autorisée à l’utiliser conformément à un contrat de location ou à tout autre titre, à des fins non commerciales et, en particulier, à des fins autres que le transport de passagers ou de marchandises ou la prestation de services à titre onéreux ou pour le compte d’autorités publiques. »
7 Pour appliquer l’exonération prévue au point 3 du tableau A, mentionné au point précédent, le Ministero dell’Economia e delle Finanze (ministère de l’Économie et des Finances) a adopté le decreto n. 225 – Regolamento recante norme per disciplinare l’impiego dei prodotti energetici e degli oli lubrificanti nelle imbarcazioni in navigazione nelle acque marine comunitarie e nelle acque interne (décret no 225 relatif au règlement visant l’emploi de produits énergétiques et d’huiles lubrifiantes pour les bateaux naviguant dans les eaux marines communautaires et dans les eaux intérieures), du 15 décembre 2015 (GURI no 27, du 3 février 2016, p. 1) (ci-après le « décret no 225 »).
8 L’article 1er de ce décret, intitulé « Champ d’application et définitions », prévoit, à ses paragraphes 2 et 6 :
« 2. Le présent règlement régit l’utilisation de carburants exonérés à des fins de navigation ainsi que des huiles lubrifiantes bénéficiant d’une exonération. L’exonération s’applique aux produits énergétiques utilisés comme carburant ou combustible pour la navigation dans les eaux marines [de l’Union], y compris pour les activités de pêche, pour la navigation dans les eaux intérieures, exclusivement pour les activités de pêche et le transport de marchandises, ainsi que pour le dragage des voies navigables et des ports. [...]
[...]
6. Sont exclus de l’exonération prévue au paragraphe 2 les produits énergétiques utilisés pour la navigation de plaisance privée, à l’exception des carburants fournis aux bateaux destinés exclusivement à des fins commerciales dans le cadre d’un contrat d’affrètement qui naviguent conformément aux dispositions du paragraphe 3, et à condition qu’ils disposent de l’autorisation nécessaire et qu’ils soient utilisés directement par l’assujetti exerçant les activités d’affrètement. »
9 Le décret no 225 a été explicité par la circolare no 5/D dell’Agenzia delle Dogane e dei Monopoli (circulaire no 5/D de l’agence des douanes et des monopoles), du 15 mars 2016. En ce qui concerne le champ d’application du décret no 225, le point I de cette circulaire énonce :
« L’avantage [(l’exonération de l’accise)] est appliqué aux produits utilisés dans les conditions ci-après :
[...]
d) navigation dans les eaux marines communautaires d’engins de plaisance à des fins exclusivement commerciales dans le cadre d’un contrat d’affrètement.
[...]
Pour ce qui est du cas de figure prévu au paragraphe 6 [de l’article 1er du décret no 225], la disposition réglementaire réserve l’exonération fiscale aux entreprises qui utilisent le carburant pour la prestation de services de navigation maritime à titre onéreux, à condition que l’engin de plaisance soit affecté exclusivement à l’activité d’affrètement.
L’octroi de l’avantage fiscal est également subordonné au respect des conditions justifiant l’exonération établies dans le cadre de l’exploitation directe et de l’utilisation de l’engin commercial frété par l’exploitant, qui figurent généralement dans le contrat d’affrètement.
Il est demandé en substance que la finalité de l’utilisation du moyen nautique auquel le carburant exonéré est destiné conserve la nature commerciale reconnue en faisant participer pleinement et directement l’exploitant à la gestion du service de navigation et à l’exploitation, sur le plan technique, de l’engin de plaisance.
Pour ces motifs, sont exclus de l’application de l’exonération les carburants destinés aux engins précités lorsqu’ils sont utilisés dans le cadre de contrats de location. »
10 S’agissant de la navigation de plaisance, le decreto legislativo n. 171 – Codice della nautica da diporto ed attuazione della direttiva 2003/44/CE, a norma dell’articolo 6 della legge 8 luglio 2003, n. 172 (décret législatif no 171, portant code de la navigation de plaisance et transposition de la directive 2003/44/CE, conformément à l’article 6 de la loi no 172, du 8 juillet 2003), du 18 juillet 2005 (supplément ordinaire à la GURI no 202, du 31 août 2005) (ci-après le « code de la navigation de plaisance »), contient les dispositions s’appliquant à la navigation de plaisance pratiquée dans les eaux maritimes et intérieures à des fins récréatives ainsi qu’à des fins commerciales.
11 L’article 2 du code de la navigation de plaisance, intitulé « Engin de plaisance utilisé à des fins commerciales », dispose :
« 1. L’engin de plaisance est utilisé à des fins commerciales lorsque :
a) il fait l’objet de contrats de location et d’affrètement ;
[...]
4. Les engins de plaisance visés au paragraphe 1, point a), peuvent être utilisés exclusivement pour les activités auxquelles ils sont affectés. »
12 L’article 42 de ce code, intitulé « Location et forme du contrat », est libellé comme suit :
« 1. La location d’engins de plaisance constitue le contrat par lequel une des parties s’engage envers l’autre partie à céder la jouissance de l’engin de plaisance pour une durée déterminée.
2. L’engin de plaisance loué permet au conducteur de pratiquer la navigation et d’en assumer la responsabilité et les risques.
3. Le contrat de location d’embarcations ou de navires de plaisance est établi par écrit sous peine de nullité et conservé à bord sous la forme originale ou sous la forme de copie certifiée conforme.
4. La forme du contrat de sous-location ou du contrat de cession est régie par le paragraphe 3. »
13 L’article 46 dudit code, intitulé « Location et forme du contrat », est libellé comme suit :
« Le locataire est tenu d’utiliser le bateau conformément aux caractéristiques techniques résultant du permis de navigation et en conformité avec la finalité récréative. »
14 L’article 47 du même code, intitulé « Affrètement d’engins de plaisance », dispose :
« 1. L’affrètement d’engins de plaisance désigne le contrat par lequel une des parties, en contrepartie du fret convenu, est tenue de mettre à la disposition de l’autre partie l’engin de plaisance pour une durée déterminée à des fins récréatives dans des zones marines ou des eaux intérieures de son choix, à l’arrêt ou naviguant, dans les conditions prévues par le contrat. L’engin affrété est toujours exploité par le fréteur qui demeure également l’employeur de l’équipage.
[...] »
15 L’article 49 bis du code de la navigation de plaisance, intitulé « Affrètement occasionnel », dispose :
« 1. Afin d’encourager la navigation de plaisance et le tourisme nautique, le propriétaire, personne physique ou société dont l’objet social n’est pas l’affrètement ou la location, ou l’utilisateur sous forme de crédit-bail, d’un bateau de plaisance visé à l’article 3, paragraphe 1 (inscrit dans les registres nationaux) peut exercer, à titre occasionnel, une activité d’affrètement de l’engin précité. Cette forme d’affrètement ne constitue pas une utilisation commerciale de l’engin.
2. Le commandement et la conduite du bateau de plaisance peuvent être assumés par le titulaire, par l’utilisateur sous forme de crédit-bail du bateau, ou en faisant appel à d’autres personnels, la seule exigence étant d’être en possession du permis de navigation visé à l’article 39 du présent code, par dérogation aux dispositions relatives à l’établissement et à la réglementation des titres professionnels de plaisance. Dans le cas de bateaux de plaisance, au lieu du permis de navigation, le conducteur doit être en possession d’un titre professionnel de plaisance. S’il est fait appel à d’autres membres d’équipage, les prestations de travail correspondantes sont considérées comme comprises dans les prestations occasionnelles accessoires visées à l’article 70, paragraphe 1, du [decreto legislativo n. 276 – Attuazione delle deleghe in materia di occupazione e mercato del lavoro, di cui alla legge 14 febbraio 2003, n. 30 (décret législatif no 276, portant mise en œuvre des mandats dans le domaine de l’emploi et du marché du travail, conformément à la loi n° 30 du 14 février 2003), du 10 septembre 2003 (supplément ordinaire à la GURI no 235, du 9 octobre 2003)], auxquelles s’appliquent les dispositions prévues à l’article 72 de ce décret.
[...] »
La procédure précontentieuse
16 Le 18 mai 2018, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République italienne l’invitant à présenter ses observations sur la violation présumée du droit de l’Union en ce que, en accordant le bénéfice de l’exonération des droits d’accise pour des carburants utilisés par des bateaux de plaisance privés sous contrat d’affrètement, sans refuser explicitement cet avantage en cas d’utilisation privée du bateau par l’utilisateur final, la République italienne manquerait aux obligations découlant de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96.
17 Par lettre du 12 juillet 2018, la République italienne a répondu que l’analyse de la Commission procédait d’une ambiguïté qui pouvait être levée en se reportant aux définitions des contrats de location et d’affrètement en vigueur en Italie dans le secteur maritime.
18 Dans son avis motivé du 9 novembre 2018, la Commission a confirmé son grief selon lequel la réglementation italienne refusait ou octroyait le bénéfice de l’exonération des droits d’accise indépendamment de l’utilisation effective du bateau.
19 Par lettre du 9 janvier 2019, la République italienne a répondu à cet avis motivé, maintenant en substance sa position.
20 Le 24 juillet 2020, la Commission, estimant non satisfaisantes les explications fournies par la République italienne, a introduit le présent recours en manquement.
Sur le manquement
Argumentation des parties
21 La Commission fait valoir, en substance, que l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96 établit que l’exonération des droits d’accise ne s’applique pas aux carburants utilisés pour la navigation des bateaux de plaisance privés.
22 Elle précise que, selon la jurisprudence de la Cour, l’utilisateur à prendre en considération en vue d’accorder ou de refuser le bénéfice de l’exonération des droits d’accise est le locataire ou l’affréteur, et non le loueur ou le fréteur. En vue de cette exonération, il ne suffirait donc pas que l’affrètement soit une activité commerciale pour le fréteur. En revanche, serait déterminante l’utilisation que l’affréteur fait du bateau, laquelle devrait, pour ouvrir droit à l’exonération, servir « directement à la prestation de services à titre onéreux ».
23 Or, la réglementation italienne accorderait ou refuserait le bénéfice de l’exonération des droits d’accise indépendamment de l’utilisation réelle du bateau, puisque ce bénéfice serait accordé dans le cas de l’affrètement et refusé dans le cas de l’affrètement occasionnel et de la location, sans considération de l’utilisation du bateau par l’affréteur et le locataire.
24 La République italienne estime que le législateur italien a correctement transposé l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96.
25 En ce qui concerne l’affrètement, dès lors qu’il serait incontestable, selon la législation italienne, que le fréteur effectue à titre onéreux une prestation de services qui a directement pour fonction le déplacement du bateau et qu’il utilise donc celui-ci à des fins commerciales, et que l’affréteur n’a qu’un rôle passif en tant que personne transportée, la République italienne soutient que l’octroi du bénéfice de l’allègement fiscal ne saurait dépendre de l’utilisation, commerciale ou non, faite par l’affréteur qui ne disposerait d’aucun titre juridique lui permettant d’utiliser le bateau.
26 En ce qui concerne la location, la distinction faite par le législateur italien entre les contrats d’affrètement et de location découlerait de la conception différente de ces contrats d’utilisation d’engins de plaisance. À la différence du fréteur, le loueur, même s’il poursuit un avantage économique, resterait étranger à l’utilisation du bateau dès le moment où il en a transféré la disposition au locataire qui en assume la charge et les risques. Dès lors que le loueur ne participerait pas à la navigation, son activité commerciale ne saurait être considérée comme étant en relation directe avec le déplacement du bateau, cela justifiant, partant, que la législation italienne exclue la possibilité pour cette activité de donner droit à l’exonération des droits d’accise. En ce qui concerne le locataire, celui-ci serait tenu, en vertu de l’article 46 du code de la navigation de plaisance, d’utiliser le bateau aux fins de plaisance, et donc à des fins purement récréatives ou sportives.
27 Dans le cas de l’affrètement occasionnel, l’utilisation mixte du bateau par le fréteur, à des fins commerciales et récréatives, introduirait un élément d’incertitude tant pour les opérateurs que pour l’administration fiscale, ce qui justifierait que, dans ce cas et dans le plein respect du droit de l’Union, le carburant utilisé ne soit pas éligible à l’exonération des droits d’accise.
28 En définitive, serait conforme au droit de l’Union l’exonération des droits d’accise pour le carburant des bateaux de plaisance nécessairement affectés à des activités commerciales du fréteur au moyen d’un contrat d’affrètement, le but poursuivi par la personne qui affrète le bateau, profitant dès lors de la navigation, étant dépourvu de pertinence. L’octroi, dans ces conditions, du bénéfice de cette exonération serait conforme aux orientations exprimées à l’unanimité des États membres lors des séances du comité des accises institué par l’article 24 de la directive 92/12, des 1er et 2 juillet 2004.
Appréciation de la Cour
29 À titre liminaire, il convient, d’une part, de relever que le contrat d’affrètement d’un bateau est celui par lequel le fréteur met, en contrepartie d’un prix, le fret, ce bateau à la disposition d’un affréteur qui l’utilisera pour ses besoins. Le contrat d’affrètement se distingue donc du contrat de transport, lequel ne porte pas sur la mise à disposition de tout ou partie du bateau, mais sur une prestation de services de déplacement de biens ou de personnes (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2007, Navicon, C‑97/06, EU:C:2007:609, point 38).
30 D’autre part, il y a lieu de rappeler qu’il ressort des considérants 3 à 5 de la directive 2003/96 que celle-ci vise à promouvoir le bon fonctionnement du marché intérieur en harmonisant les niveaux minima de taxation des produits énergétiques au niveau de l’Union afin de diminuer les écarts entre les niveaux nationaux de taxation de l’énergie appliqués par les États membres.
31 Toute interprétation divergente au niveau national des obligations d’exonération prévues par cette directive non seulement porterait atteinte à l’objectif d’harmonisation de la réglementation de l’Union et à la sécurité juridique, mais risquerait d’introduire des inégalités de traitement entre les opérateurs économiques concernés (voir, en ce sens, arrêts du 1er avril 2004, Deutsche See-Bestattungs-Genossenschaft, C‑389/02, EU:C:2004:214, point 21, et du 1er mars 2007, Jan De Nul, C‑391/05, EU:C:2007:126, point 23).
32 Par conséquent, les dispositions concernant les exonérations prévues par la directive 2003/96 doivent recevoir une interprétation autonome, fondée sur leur libellé et sur les finalités poursuivies par cette directive (arrêts du 1er décembre 2011, Systeme Helmholz, C‑79/10, EU:C:2011:797, point 19 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 décembre 2011, Haltergemeinschaft, C‑250/10, non publié, EU:C:2011:862, point 19).
33 À cet égard, s’agissant, d’une part, du libellé de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96, cette disposition impose aux États membres une obligation de ne pas soumettre à la taxation les produits énergétiques fournis en vue d’une utilisation comme carburant ou combustible pour la navigation dans des eaux de l’Union, autre qu’à bord de bateaux de plaisance privés. Au second alinéa de ladite disposition, la notion de « bateau de plaisance privé » est définie comme étant « tout bateau utilisé par son propriétaire ou par la personne physique ou morale qui peut l’utiliser à la suite d’une location ou à un autre titre, à des fins autres que commerciales et, en particulier, autres que le transport de passagers ou de marchandises ou la prestation de services à titre onéreux ou pour les besoins des autorités publiques ».
34 Il ressort, partant, du libellé de la même disposition que l’exonération qu’elle prévoit est subordonnée au fait que les produits énergétiques soient utilisés comme carburant pour des opérations de navigation dans des eaux de l’Union à des fins commerciales, à savoir des utilisations où un bateau sert directement à la prestation de services à titre onéreux (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2017, Vakarų Baltijos laivų statykla, C‑151/16, EU:C:2017:537, points 25, 26 et 29 ainsi que jurisprudence citée).
35 Il s’ensuit que, dans le cadre d’une location ou d’un affrètement d’un bateau, où il existe à la fois un loueur ou un fréteur du bateau et un locataire ou un affréteur qui effectue des navigations avec celui-ci, l’octroi ou le refus de l’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96 dépendent de la manière dont ce bateau est utilisé par ce dernier (locataire ou affréteur), à savoir si ce bateau est utilisé à des fins commerciales ou à des fins autres que commerciales. Dès lors, il ne saurait être considéré que l’affrètement d’un bateau avec le carburant, ou sa mise en location, en tant qu’activités commerciales du fréteur ou du loueur, donnent lieu à l’exonération fiscale prévue à cette disposition indépendamment de la façon dont ce bateau est utilisé par le locataire ou l’affréteur (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2011, Haltergemeinschaft, C‑250/10, non publié, EU:C:2011:862, point 22).
36 Ainsi, c’est l’utilisateur final, locataire ou affréteur, et l’utilisation ultime par lui du bateau qui sont pertinents aux fins de l’octroi du bénéfice de l’exonération des droits d’accise, et c’est cette utilisation qui doit servir « directement à la prestation de services à titre onéreux » aux fins de cette exonération, au sens de la jurisprudence rappelée au point 34 du présent arrêt.
37 D’autre part, cette interprétation de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96 est corroborée par la finalité de celle-ci. Cette directive vise en effet à taxer les produits énergétiques en fonction de leur utilisation réelle et non pas à instaurer des exonérations de caractère général (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2017, Vakarų Baltijos laivų statykla, C‑151/16, EU:C:2017:537, points 32 et 42 ainsi que jurisprudence citée).
38 Or, en l’occurrence, il ressort du droit italien, notamment de l’article 1er, paragraphe 6, du décret no 225, explicité par la circulaire du 15 mars 2016 mentionnée au point 9 du présent arrêt, tel que mis en œuvre par l’administration italienne, que, dans le cas d’un affrètement, le bénéfice de l’exonération des droits d’accise est octroyé au motif que l’affrètement constitue, selon le droit italien, une activité commerciale pour le fréteur. L’exonération est donc octroyée indépendamment du fait que l’utilisateur final (l’affréteur) peut utiliser le bateau à des fins autres que commerciales, notamment à des fins de plaisance privée.
39 En revanche, dans le cas d’un affrètement occasionnel, qui, selon le droit italien, ne constitue pas une activité commerciale pour le fréteur, ainsi que dans le cas de la location, le bénéfice de l’exonération est refusé indépendamment du fait que l’affréteur, ou le locataire, peut utiliser le bateau affrété ou loué pour fournir des prestations de services à titre onéreux, par exemple la commercialisation de croisières.
40 Ainsi, le traitement réservé par le droit italien au contrat d’affrètement, en ce qu’il revient en substance à se placer du point de vue du fréteur, sans tenir dûment compte des modalités d’utilisation du bateau par l’affréteur, est en contradiction avec l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 34 et 35 du présent arrêt, qui réserve l’exonération des droits d’accise aux utilisations commerciales du bateau par son utilisateur.
41 Dans ce contexte, la circonstance que l’affrètement puisse, outre la mise à disposition du bateau lui-même, comporter celle d’un équipage, et que le fréteur puisse, ce faisant, conserver la maîtrise de la conduite technique et nautique du bateau, ne saurait remettre en cause le fait que, ainsi qu’il résulte en substance du point 29 du présent arrêt, l’affréteur reste contractuellement maître de l’utilisation du bateau affrété, de sorte que c’est la nature de cette dernière utilisation qui détermine l’octroi éventuel du bénéfice de l’exonération des droits d’accise.
42 À cet égard, il convient toutefois de distinguer le contrat d’affrètement, dans le cadre duquel l’affréteur, en tant qu’utilisateur final du bateau affrété, demeure en principe soumis au paiement des droits d’accise pour autant qu’il n’utilise pas ce bateau à des fins commerciales, d’autres relations contractuelles qui, tout en étant formellement qualifiées de contrats d’affrètement, comprennent la prestation d’un ensemble de services autres que les services de navigation, comparables à ceux qui sont proposés aux passagers d’un navire de croisière, et dont le contractant bénéficie en tant que personne transportée sans avoir la maîtrise de l’utilisation du bateau.
43 En effet, dans ce second cas de figure, le bateau, dans la mesure où il sert directement et exclusivement à la prestation de ces services, au sens de la jurisprudence citée au point 34 du présent arrêt, à des contractants n’étant en réalité que des passagers n’ayant aucune maîtrise de son utilisation, pourrait être considéré, aux fins de l’octroi du bénéfice de l’exonération des droits d’accise au titre de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96, comme étant utilisé à des fins commerciales au sens de cette disposition.
44 Quant, enfin, à la référence opérée par la République italienne aux orientations exprimées lors des séances du comité des accises des 1er et 2 juillet 2004, mentionnées au point 28 du présent arrêt, selon lesquelles un contrat qui prévoit l’affrètement d’un bateau avec des services d’équipage et de navigation complets, tel que le contrat italien d’affrètement de bateaux de plaisance, est couvert par l’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96, il suffit de relever que ces orientations ne pouvait pas être maintenues à la suite des arrêts du 1er décembre 2011, Systeme Helmholz (C‑79/10, EU:C:2011:797), et du 21 décembre 2011, Haltergemeinschaft (C‑250/10, non publié, EU:C:2011:862), ce dont la Commission, sans être contredite par la République italienne, indique avoir clairement fait part aux États membres à la suite desdits arrêts et avant l’introduction du présent recours en manquement.
45 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en octroyant le bénéfice de l’exonération des droits d’accise aux carburants utilisés par des bateaux de plaisance privés exclusivement lorsque ces bateaux font l’objet d’un contrat d’affrètement, indépendamment de la façon dont ils sont réellement utilisés, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96.
Sur les dépens
46 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :
1) En octroyant le bénéfice de l’exonération des droits d’accise aux carburants utilisés par des bateaux de plaisance privés exclusivement lorsque ces bateaux font l’objet d’un contrat d’affrètement, indépendamment de la façon dont ils sont réellement utilisés, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité.
2) La République italienne est condamnée aux dépens.
Signatures
* Langue de procédure : l’italien.
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