PACCAR and Others (Opinion) French Text [2022] EUECJ C-163/21_O (07 April 2022)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/C16321_O.html
Cite as: [2022] EUECJ C-163/21_O, ECLI:EU:C:2022:286, EU:C:2022:286

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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 7 avril 2022 (1)

Affaire C163/21

AD e.a.

contre

PACCAR Inc,

DAF TRUCKS NV,

DAF Trucks Deutschland GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Mercantil no 7 de Barcelona (tribunal de commerce no 7 de Barcelone, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne – Arrangements collusoires sur la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts des camions dans l’Espace économique européen – Création ex novo des preuves pertinentes permettant de quantifier l’augmentation artificielle des prix et les dommages subis »






I.      Introduction

1.        La directive 2014/104/UE (2) vise à harmoniser, notamment, les règles en matière de production de preuves dans le contexte de la mise en œuvre, à l’initiative de la sphère privée (« private enforcement »), des règles de concurrence de l’Union européenne. Dans ce contexte, la capacité des parties à des procédures relatives à une action en dommages et intérêts d’exercer effectivement leurs droits peut dépendre de la possibilité d’accéder à des éléments de preuve pertinents. Or, il arrive que la partie qui supporte la charge de la preuve ne soit pas en possession de ces éléments ou n’y ait pas facilement accès (3).

2.        Il peut s’avérer également que la partie adverse ne soit pas non plus en possession des éléments de preuve pertinents en raison du fait que de tels éléments n’étaient pas préexistants. Pour pouvoir satisfaire une demande de production de tels éléments de preuve, cette partie devrait les créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession.

3.        C’est dans ce contexte que s’inscrit le présent renvoi préjudiciel, qui offre l’occasion à la Cour de clarifier le point de savoir si, à la lumière de la directive 2014/104, une partie à la procédure peut demander à ce qu’il soit enjoint à la partie adverse de produire des éléments de preuve que celle-ci doit créer ex novo.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 prévoit ce qui suit :

« Les États membres veillent à ce que, dans les procédures relatives aux actions en dommages et intérêts intentées dans l’Union à la requête d’un demandeur qui a présenté une justification motivée contenant des données factuelles et des preuves raisonnablement disponibles suffisantes pour étayer la plausibilité de sa demande de dommages et intérêts, les juridictions nationales soient en mesure d’enjoindre au défendeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes qui se trouvent en leur possession, sous réserve des conditions énoncées au présent chapitre. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales puissent, à la demande du défendeur, enjoindre au demandeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes.

[...] »

B.      Le droit espagnol

5.        La directive 2014/104 a été transposée en droit espagnol par le Real Decreto-ley 9/2017, por el que se transponen directivas de la Unión Europea en los ámbitos financiero, mercantil y sanitario, y sobre el desplazamiento de trabajadores (décret-loi royal 9/2017, portant transposition de directives de l’Union européenne dans les domaines financier, du commerce et sanitaire ainsi que sur le déplacement des travailleurs), du 26 mai 2017 (BOE no 126, du 27 mai 2017).

III. Les faits et la procédure au principal

6.        Le 19 juillet 2016, la Commission européenne a adopté la décision C(2016) 4673 final relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (Affaire AT.39824 – Camions) (JO 2017, C 108, p. 6, ci-après la « décision du 19 juillet 2016 »). Les défenderesses au principal, les sociétés PACCAR Inc, DAF TRUCKS NV et DAF Trucks Deutschland GmbH figuraient parmi les destinataires de cette décision.

7.        Par cette décision, la Commission a déclaré l’existence d’une entente à laquelle ont participé quinze constructeurs internationaux de camions, en ce qui concerne deux catégories de produits, à savoir les camions pesant entre 6 et 16 tonnes et ceux pesant plus de 16 tonnes, qu’il s’agisse de porteurs ou de tracteurs.

8.        Sans que la juridiction de renvoi le précise, il résulte de la décision du 19 juillet 2016 que, s’agissant des défenderesses au principal, l’infraction à l’article 101 TFUE a été établie pour la période allant du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011.

9.        Le 25 mars 2019, les demanderesses au principal, AD e.a., ayant acheté des camions susceptibles de relever du champ d’application de l’infraction faisant l’objet de la décision du 19 juillet 2016, ont demandé, en vertu de l’article 283 bis de la Ley de Enjuiciamiento Civil (code de procédure civile), l’accès aux éléments de preuve détenus par les défenderesses au principal. À cet égard, elles ont fait valoir le besoin d’obtenir certains moyens de preuve afin de quantifier l’augmentation artificielle des prix, notamment pour effectuer la comparaison des prix recommandés avant, pendant et après la période de l’entente. Leur demande porte plus précisément sur l’accès, premièrement, à la liste des modèles fabriqués au cours de la période allant du 1er janvier 1990 au 30 juin 2018, classés par année et selon certaines caractéristiques, deuxièmement, au prix départ-usine (prix bruts) pour chaque modèle figurant sur cette liste et, troisièmement, au « total delivery cost » pour ces modèles.

10.      Les défenderesses au principal ont contesté cette demande en faisant valoir, notamment, que certains des documents demandés requéraient une élaboration ad hoc.

11.      Entendues sur l’opportunité de saisir la Cour d’une question préjudicielle, les défenderesses au principal ont indiqué que les demandes de production visées à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 ne peuvent pas être étendues aux preuves non préexistantes. En conséquence, l’élaboration de preuves ne saurait être demandée en vertu de cette disposition, eu égard au fait que, conformément aux principes de nécessité, de proportionnalité et de moindre coût, cela pourrait faire peser sur la partie défenderesse une charge excessive, allant au-delà de celle que peut supposer la simple production de documents. Les demanderesses au principal, quant à elles, défendent une interprétation contraire de cette disposition.

IV.    La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

12.      C’est dans ces circonstances que le Juzgado de lo Mercantil no 7 de Barcelona (tribunal de commerce n7 de Barcelone, Espagne), par décision du 21 février 2020, parvenue à la Cour le 11 mars 2021, a décidé de surseoir à statuer et de soumettre la question suivante à l’appréciation de la Cour :

« L’article 5, paragraphe 1, de la [directive 2014/104] doit-il être interprété en ce sens que la production de preuves pertinentes se réfère uniquement aux documents en possession de la partie défenderesse ou d’un tiers qui existent déjà ou, au contraire, cette disposition inclut-elle également la possibilité de production de documents que la partie à laquelle la demande d’informations est adressée devrait créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession ? »

13.      Des observations écrites ont été déposées par les parties au principal, par les gouvernements espagnol et néerlandais ainsi que par la Commission. Il n’a pas été tenu d’audience.

V.      Analyse

14.      Par sa question préjudicielle unique, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que la production de preuves pertinentes se réfère uniquement aux documents en possession de la partie défenderesse ou d’un tiers qui existent déjà ou si, au contraire, cette disposition inclut également la possibilité de production de documents que la partie à laquelle la demande d’informations est adressée devrait créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession.

15.      Avant de procéder à l’examen de cette question, il convient d’examiner, tout d’abord, la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle et, ensuite, l’applicabilité de la directive 2014/104 à la procédure au principal.

A.      Sur la recevabilité

16.      Les demanderesses au principal considèrent que la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme étant irrecevable. En effet, selon elles, cette demande concerne le cas de figure hypothétique où l’auteur de l’infraction doit procéder à l’élaboration de documents ex novo. Or, en l’espèce, une telle élaboration ne serait pas nécessaire pour satisfaire la demande de production de preuves en cause au principal.

17.      Sans remettre en question la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle, les défenderesses au principal indiquent que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2004/48/CE (4) permet d’ordonner la production de preuves qui se trouvent sous le contrôle de la partie adverse. Elles rappellent que, selon la Commission, cette disposition pourrait faire obligation à une partie d’effectuer une recherche des éléments de preuve au sein de son organisation, y compris auprès des entités juridiques distinctes qui sont sous son contrôle (5). Selon les défenderesses au principal, il en va de même en ce qui concerne la directive 2014/104. Toutefois, elles font valoir que, pour satisfaire leur demande introduite devant la juridiction de renvoi, elles devraient non pas créer une preuve documentaire qui n’existe pas, mais créer des informations ex novo.

18.      Il me faut observer, en ce qui concerne ces deux arguments, qu’il est vrai que la juridiction de renvoi se borne à déclarer que la demande de production des preuves en l’espèce porte sur des documents qui, tels qu’ils ont été demandés, peuvent ne pas être préexistants et nécessiter un travail d’élaboration.

19.      Toutefois, il y a lieu de rappeler que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence et que la Cour est, en principe, tenue de statuer.

20.      Par ailleurs, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, la juridiction de renvoi étant seule compétente pour constater et apprécier les faits du litige dont elle est saisie, la Cour doit en principe limiter son examen aux éléments d’appréciation que la juridiction de renvoi a décidé de lui soumettre et s’en tenir ainsi à la situation que cette juridiction considère comme établie, et ne peut être liée par des hypothèses émises par l’une des parties au principal (6).

21.      Il s’ensuit que la présente question préjudicielle est recevable.

B.      Sur l’applicabilité de la directive 2014/104

22.      La question de l’applicabilité de la directive 2014/104 dans l’affaire au principal ne semble pas susciter de doutes pour la juridiction de renvoi et ne fait pas l’objet d’un débat entre les intéressées dans la procédure devant la Cour. J’examinerai néanmoins cette question dans la mesure où, compte tenu de certaines ambiguïtés quant aux circonstances de l’affaire au principal, il existe un doute quant à l’applicabilité de cette directive ratione materiae et ratione temporis dans cette affaire.

1.      Sur l’applicabilité de la directive 2014/04  ratione materiae

a)      Exposé du problème

23.      La juridiction de renvoi indique que la demande de production de preuves a été introduite en vertu de l’article 283 bis du code de procédure civile, à la suite de la décision du 19 juillet 2016.

24.      À cet égard, il me faut observer que, selon certains commentateurs, une demande de production de preuves formulée en vertu de l’article 283 bis du code de procédure civile peut être introduite également avant l’engagement d’une action au fond (7). Dans ce cas, la partie ayant formulé cette demande doit introduire une action au fond dans un délai de 20 jours (8).

25.      Il ne ressort pas clairement du présent renvoi préjudiciel que la demande de production de preuves en cause au principal aurait été formulée dans le cadre d’une procédure dans laquelle la juridiction de renvoi avait déjà été saisie d’une action en dommages et intérêts. Il en ressort seulement que, à l’appui de cette demande, les demanderesses au principal ont fait valoir que toutes les conditions nécessaires pour apprécier raisonnablement la plausibilité des actions en dommages et intérêts envisagées (« acciones de daños que se pretenden ejercitar ») étaient réunies.

26.      Sans viser expressément la question de savoir si la demande de production de preuves en cause au principal a été formulée dans le cadre d’une procédure dans laquelle la juridiction de renvoi avait déjà été saisie d’une action en dommages et intérêts, les demanderesses au principal indiquent que la procédure à l’origine de la présente demande de décision préjudicielle est une procédure d’accès aux sources de la preuve.

27.      En revanche, le gouvernement espagnol indique que les demanderesses au principal ont introduit une action en dommages et intérêts sur le fondement de la décision du 19 juillet 2016. Dans cet ordre d’idées, la Commission indique que, selon elle, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation à donner à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 dans le cadre d’une action en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence. Quant aux défenderesses au principal, elles indiquent, de manière moins univoque, que la demande de décision préjudicielle a été introduite à l’initiative de la sphère privée dans le cadre d’une procédure judiciaire de mise en œuvre du droit de la concurrence trouvant son origine dans la décision du 19 juillet 2016. En outre, elles font référence, dans leurs observations écrites, à l’action en réparation des demanderesses au principal (« leur action »).

28.      Même en tenant compte des observations écrites des intéressées, le contenu du présent renvoi préjudiciel ne permet donc pas d’établir sans équivoque que la demande de production de preuves en cause au principal a été introduite non pas avant l’introduction d’une demande de dommages et intérêts, mais avec une telle demande ou postérieurement à celle-ci.

29.      Or, l’article 1er de la directive 2014/104, intitulé « Objet et champ d’application », énonce, à son paragraphe 2, que cette directive fixe, notamment, la mise en œuvre des règles de concurrence « dans le cadre d’actions en dommages et intérêts intentées devant les juridictions nationales ». Dans cet ordre d’idées, l’article 22, paragraphe 2, de ladite directive, qui concerne l’application temporelle des dispositions nationales de transposition autres que celles qui transposent les dispositions substantielles de la même directive, fixe leur champ d’application ratione temporis en se référant à une date à laquelle une juridiction nationale a été saisie d’une action en dommages et intérêts (9).

30.      A priori, le champ d’application de la directive 2014/104 ainsi défini ne semble pas couvrir les demandes de productions de preuves introduites avant l’introduction d’une demande de dommages et intérêts. Certains législateurs nationaux (10) ainsi que certains auteurs de la doctrine (11) semblent interpréter cette directive en ce sens. Selon cette interprétation, les États membres pourraient toutefois introduire des règles relatives à de telles demandes de production de preuves. En effet, l’article 5, paragraphe 8, de ladite directive autorise les États membre à introduire, sans préjudice de l’article 5, paragraphes 4 et 7, et de l’article 6 de celle-ci, des règles qui conduiraient à une production plus large de preuves.

31.      Compte tenu des doutes existant quant à la question de savoir si la juridiction de renvoi a déjà été saisie d’une demande de dommages et intérêts, il me faut me pencher sur le bien-fondé de l’interprétation présentée au point précédent des présentes conclusions.

b)      Appréciation

32.      Dans certaines versions linguistiques (12), la formulation de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104, dont l’interprétation est demandée par la juridiction de renvoi, est moins restrictive et moins catégorique que celle de l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive.

33.      De même, la notion de « preuve » est définie, à l’article 2, point 13, de la directive 2014/104, en faisant référence, dans certaines versions linguistiques (13), à tous les moyens de preuve admissibles « devant la juridiction nationale saisie d’une action » et, dans d’autres versions (14), à ceux admissibles « devant la juridiction nationale saisie », sans préciser qu’il s’agit d’une action en dommages et intérêts (mise en italique par mes soins).

34.      Plus important encore, la volonté du législateur de l’Union de ne pas restreindre le champ d’application de l’article 5 de la directive 2014/104 aux demandes de production de preuves introduites avec une action en dommages et intérêts ou postérieurement à l’introduction de celle-ci semble faire écho à l’article 5, paragraphe 3, et à l’article 6, paragraphe 4, sous b), de cette directive.

35.      L’article 5, paragraphe 3, de la directive 2014/104 énonce, sans être exhaustif, des critères applicables lors de l’examen de la proportionnalité d’une demande de productions de preuves.

36.      Dans cette logique, l’article 6, paragraphe 4, sous b), de la directive 2014/104, qui concerne la production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence, renvoie à l’article 5, paragraphe 3, de cette directive et précise que, lorsque les juridictions nationales évaluent, conformément à cette dernière disposition, la proportionnalité d’une injonction de production d’informations, elles tiennent également compte de la question de savoir si la demande de production d’informations est présentée dans le cadre d’une action en dommages et intérêts introduite devant une juridiction nationale.

37.      Dans cet ordre d’idées, le considérant 22 de la directive 2014/104 indique que, aux fins d’assurer une protection effective du droit à réparation, il n’est pas nécessaire que chaque document afférent à des procédures relevant des articles 101 ou 102 TFUE soit communiqué à un demandeur au seul motif que ce dernier « envisage d’introduire une action en dommages et intérêts », étant donné qu’il est très peu probable que cette action doive se fonder sur l’intégralité des éléments de preuve figurant dans le dossier afférent à cette procédure. De même, le considérant 27 de cette directive fait référence à « l’accès [des parties lésées] aux preuves pertinentes nécessaires pour préparer leurs actions en dommages et intérêts ».

38.      Il ressort de l’article 6, paragraphe 4, sous b), de la directive 2014/104, lu à la lumière des considérants 22 et 27 de celle-ci, que certaines preuves afférentes aux procédures des autorités de concurrence peuvent être communiquées à un demandeur, à la suite de sa demande de production de preuves relevant de l’article 6 de cette directive, lorsqu’il envisage d’introduire une demande de dommages et intérêts. Il devrait en être de même en ce qui concerne l’article 5 de ladite directive.

39.      En effet, le législateur de l’Union ne saurait avoir créé un régime dans le cadre duquel une personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence peut présenter une demande de production de preuves en dehors de toute action au fond si les documents figurent dans le dossier d’une autorité de concurrence, mais peut présenter une telle demande uniquement dans le cadre d’une telle action si les preuves n’y figurent pas. En outre, le fait que ce soit une autorité de concurrence qui déclenche une procédure ne justifierait pas une telle distinction. En effet, dans ces deux cas de figure, ainsi qu’il résulte de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104, pour pouvoir demander la production de preuves, un demandeur doit être en mesure d’étayer la plausibilité de sa demande de dommages et intérêts.

40.      J’ajoute, par souci d’exhaustivité, que, s’il doit certes exister, dans ces deux cas de figure, un lien entre les preuves dont la production est demandée et l’action envisagée par une personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence, les preuves demandées doivent, avant tout, être pertinentes.

41.      En revanche, la directive 2014/104 ne semble pas fixer l’articulation qui doit, techniquement, exister, au niveau procédural, entre une demande de production de preuves et une action en dommages et intérêts (une demande de production de preuves en tant que mesure dans une procédure au fond, demande examinée dans le cadre d’une procédure incidente ou même dans le cadre d’une procédure séparée).

42.      La directive 2014/104 ne détermine pas non plus le moment où une juridiction nationale est saisie d’une demande de dommages et intérêts.

43.      Par conséquent, à supposer même que la directive 2014/104 ne vise que les demandes de production de preuves introduites dans le cadre d’une action en dommages et intérêts, on pourrait considérer que, lorsqu’une demande de dommages et intérêts doit être introduite, sous peine de sanctions, dans un délai bref après l’introduction d’une demande de production de preuves dans le cadre de laquelle la plausibilité de la demande de dommages et intérêts a été étayée ou, éventuellement, dans un délai bref après que cette demande a été accueillie, la demande de production de preuves est introduite dans le cadre d’une action en dommages et intérêts et/ou engage conditionnellement une telle action.

c)      Discussion sur une interprétation contraire  et arguments pour son rejet

44.      Une interprétation des dispositions de la directive 2014/104 contraire à celle présentée au point 38 des présentes conclusions pourrait, a priori, être retenue.

45.      En effet, on pourrait arguer que la directive 2014/104 ne couvre pas, en principe, les demandes de production de preuves introduites avant l’engagement d’une action au fond. Selon cette lecture, l’article 6, paragraphe 4, sous b), de cette directive ne viserait que les cas dans lesquels le législateur national a décidé d’introduire, conformément à l’article 5, paragraphe 8, de ladite directive, des règles conduisant à une production plus large de preuves et, plus précisément, permettant de demander la production de preuves avant l’engagement d’une action au fond. Dans la mesure où la faculté d’introduire de telles règles peut être exercée par les États membres sans préjudice de l’article 6 de la même directive, un État membre ne serait pas en mesure d’autoriser la demande de production de preuves ex ante, susceptible d’échapper à l’examen de leur proportionnalité, dans la mesure où cet examen permet de protéger l’intérêt de la mise en œuvre des règles de concurrence par la sphère publique.

46.      Toutefois, en premier lieu, l’analyse des travaux préparatoires de la directive 2014/104 ne permet pas de soutenir une telle interprétation.

47.      Dans la proposition de directive, en se référant aux résultats des consultations, la Commission a indiqué que « c’est avec satisfaction que les parties qui se sont exprimées ont accueilli le fait que la réparation soit érigée en principe directeur et que la Commission ait, en conséquence, choisi de ne pas proposer des pratiques comparables à celles en vigueur aux États-Unis, telles que [...] la communication de nombreuses pièces avant la tenue du procès (« pre-trial discovery ») » (15). Il n’en résulte pas qu’une production de preuves, sous contrôle d’une juridiction nationale, ne peut avoir lieu avant l’engagement de l’action au fond, lorsque le demandeur est en mesure d’étayer la plausibilité de sa demande en dommages et intérêts.

48.      Plus important encore, selon les travaux préparatoires, l’arrêt Pfleiderer (16) a généré une incertitude considérable quant aux catégories de documents susceptibles d’être divulguées, incertitude à laquelle la directive 2014/104 cherche à remédier (17). La demande de décision préjudicielle dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt ouvait son origine dans une procédure ayant pour objet une demande d’accès complet au dossier d’une autorité nationale de concurrence introduite afin de préparer une action en dommages et intérêts. Il semble que la volonté de remédier à cette incertitude ait contribué au fait que cette directive mentionne la faculté de demander la production de preuves lorsqu’une demande de dommages et intérêts est envisagée non pas dans le contexte de l’article 5 de ladite directive, intitulé « Production de preuves », mais uniquement dans celui de l’article 6 de celle-ci, intitulé « Production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence » (18).

49.      En deuxième lieu, le lien existant entre l’article 5 et l’article 6 de la directive 2014/104 ne permet pas de considérer que le champ d’application de cette seconde disposition est plus large que celui de la première. En effet, d’une part, l’article 6 de cette directive s’applique, « pour les besoins d’une action en dommages et intérêts », « en sus de l’article 5 » de celle-ci (19). D’autre part, l’examen de la proportionnalité de la demande de production des preuves par les juridictions nationales est mené conformément à l’article 5, paragraphe 3, de ladite directive. Or, tandis que, dans le contexte de l’article 6 de la même directive, les juridictions nationales sont obligées de prendre en compte la question de savoir si la demande est formulée dans le cadre d’une action en dommages et intérêts (« les juridictions nationales tiennent, en outre, compte [...] »), cette question peut, le cas échéant, être prise en compte également lorsque l’examen de la proportionnalité est effectué dans le contexte isolé de l’article 5 de la directive 2014/104. Le fait que le législateur a expressément fait référence à cette question à l’article 6, paragraphe 4, sous b), de cette directive indique sa volonté de renforcer le lien qui doit exister entre une demande de production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence et une action en dommages et intérêts.

50.      En troisième lieu, la production de preuves avant l’engagement d’une action au fond peut parfois être nécessaire pour pouvoir mettre en place une telle action. Cette faculté contribue à l’effet utile des articles 101 et 102 TFUE. Dans cette optique, considérer qu’une demande de production de preuves préalable à une demande de dommages et intérêts est, sous certaines conditions, également couverte par le champ d’application de la directive 2014/104 permet de limiter les différences existant entre les systèmes nationaux des États membres et d’harmoniser les règles pertinentes pour la mise en œuvre effective du droit de la concurrence de l’Union (20).

51.      Compte tenu des considérations présentées aux points 38 à 43 des présentes conclusions, il convient de considérer que, à tout le moins dans certains cas de figure (21), une demande de production de preuves introduite, techniquement, avant l’introduction d’une demande de dommages et intérêts est susceptible de relever du champ d’application de la directive 2014/104.

2.      Sur l’applicabilité de la directive 2014/104 ratione temporis

52.      La demande de production de preuves en cause au principal a été introduite par les demanderesses au principal le 25 mars 2019, après la date de transposition de la directive 2014/104, fixée au 27 décembre 2016, sur la base des dispositions nationales transposant cette directive en droit espagnol.

53.      En outre, comme je l’ai mentionné au point 8 des présentes conclusions, il ressort de la décision du 19 juillet 2016 que, en ce qui concerne les défenderesses au principal, l’infraction a été établie pour la période allant du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011, qui précède la date de transposition de la directive 2014/104.

54.      Dans ces circonstances, la réponse à la question de savoir si la directive 2014/104 s’applique ratione temporis peut être trouvée dans l’article 22 de cette directive.

55.      En effet, aux termes de l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2014/104, les dispositions nationales qui transposent les dispositions substantielles de cette directive ne doivent pas s’appliquer rétroactivement. Cela étant, cette règle ne s’applique pas aux dispositions nationales transposant les « autres » dispositions de ladite directive. En ce qui concerne ces dernières dispositions de transposition, les États membres veillent uniquement, conformément à l’article 22, paragraphe 2, de la même directive, à ce que celles-ci ne s’appliquent pas aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale a été saisie avant le 26 décembre 2014. Par conséquent, lesdites dispositions doivent être appliquées dans une procédure dont a été saisie une juridiction nationale après la date de transposition de la directive 2014/104. Cette logique d’applicabilité des dispositions non substantielles de cette directive est typique, en vertu des droits nationaux, pour des dispositions procédurales. J’en déduis que la référence à « une disposition nationale [...] autre que [la disposition substantielle] », au sens de l’article 22, paragraphe 2, de ladite directive, concerne une disposition procédurale.

56.      La juridiction de renvoi indique que la demande de décision préjudicielle vise à comprendre le système de production de preuves réglementé aux articles 5 à 8 de la directive 2014/104 et développé dans l’ordre juridique espagnol à l’article 283 bis du code de procédure civil, « de nature procédurale ». Néanmoins, aux fins de l’article 22 de cette directive et compte tenu du caractère autonome des notions utilisées à cette disposition, une qualification définitive de la nature des dispositions susceptibles de relever du champ d’application de ladite directive doit être effectuée par la Cour.

57.      Si l’on peut arguer que les dispositions de la directive 2014/104 relatives à la production de preuves octroient certains droits aux acteurs économiques impliqués dans la mise en œuvre des règles de concurrence de l’Union, ces droits ne peuvent toutefois être exercés que dans le cadre d’une procédure devant une juridiction nationale et il s’agit, en substance, des mesures procédurales permettant à cette juridiction d’établir les faits dont se prévalent les parties à la procédure. Il en va de même en ce qui concerne, à tout le moins dans certains cas de figure, une demande de production de preuves introduite, techniquement, avant l’introduction d’une demande en dommages et intérêts (22).

58.      En conséquence, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 est applicable, ratione temporis, à la procédure au principal.

C.      Sur le fond

1.      Positions de la juridiction de renvoi et des intéressés

59.      La juridiction de renvoi identifie les arguments en faveur de l’interprétation selon laquelle l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 ne vise que les preuves préexistantes et les arguments allant à l’encontre de cette interprétation.

60.      D’une part, en ce qui concerne l’interprétation selon laquelle l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 vise uniquement les preuves préexistantes, elle fait valoir, en premier lieu, que celle-ci est corroborée par le libellé de cette disposition et par les clarifications figurant au considérant 14 de cette directive. En effet, cette disposition et ce considérant concernent les preuves en possession du défendeur ou d’un tiers.

61.      En deuxième lieu, la juridiction de renvoi fait valoir que l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2014/104 fait référence à la production de certains éléments de preuves ou de catégories pertinentes de preuves, circonscrites sur la base des données factuelles raisonnablement disponibles. Le considérant 16 de cette directive indique qu’une catégorie de preuves devrait être identifiée par référence, notamment, à la période durant laquelle les documents demandés ont été établis.

62.      En troisième lieu, elle relève que la directive 2014/104 fait référence non pas à la production d’« informations », mais à la production de « preuves ».

63.      Dans cette veine, le gouvernement néerlandais fait référence à plusieurs considérants de la directive 2014/104 (23) et à la proposition de directive (24) pour faire valoir que cette directive vise uniquement la production de preuves existantes ou détenues par une partie à la procédure ou par des tiers.

64.      Les défenderesses au principal sont en faveur de cette interprétation pour les mêmes raisons que celles invoquées par la juridiction de renvoi. Elles ajoutent que l’article 5, paragraphe 8, de la directive 2014/104 permet aux États membres d’introduire des règles qui conduiraient à une production plus large de preuves. Selon les défenderesses au principal, le législateur espagnol n’a pas utilisé cette faculté pour autoriser les demandes de production de preuves inexistantes.

65.      D’autre part, les arguments de la juridiction de renvoi en faveur de l’interprétation selon laquelle l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 vise également les preuves créées ex novo sont tirés de l’interprétation téléologique et de l’interprétation systématique de cette disposition. En premier lieu, selon cette juridiction, une restriction du système de production de preuves pourrait compromettre le droit à la réparation intégrale et le principe d’efficacité. En second lieu, les règles de cette directive en matière de frais et de coûts de la production de preuves, en tant qu’élément du principe de proportionnalité aux fins de l’examen d’une demande de production de preuves, pourraient signifier que la partie à laquelle sont demandées des preuves soit tenue d’effectuer un travail de création d’un nouveau document.

66.      Les demanderesses au principal, le gouvernement espagnol et la Commission soutiennent, notamment pour les raisons identifiées par la juridiction de renvoi, cette interprétation.

2.      Sur l’interprétation textuelle

67.      En substance, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 dispose, à sa première phrase, qu’une personne qui prétend être lésée par une infraction au droit de la concurrence peut demander la production de preuves pertinentes qui se trouvent en possession du défendeur ou d’un tiers. Cette disposition prévoit, à sa seconde phrase, qu’un défendeur doit pouvoir demander d’enjoindre au demandeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes, sans préciser qu’il doit s’agir de preuves se trouvant en leur possession.

68.      La lecture de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 peut faire penser que les demandes formulées par les demandeurs, visées à la première phrase de cette disposition, ne concernent que les preuves préexistantes. En effet, sur le plan littéral, à la différence des demandes des défendeurs, visées à la seconde phrase, celles formulées par les demandeurs semblent devoir concerner les preuves se trouvant en possession d’une autre personne.

69.      Cette lecture est toutefois remise en cause par les considérants 15 et 39 de la directive 2014/104 et, contrairement à ce que fait valoir le gouvernement néerlandais, n’est nullement corroborée par les considérants 14 et 28 de cette directive.

70.      En effet, en premier lieu, d’une part, le considérant 15 de la directive 2014/104 n’opère pas de distinction, concernant la possession des preuves, entre les demandes formulées par un demandeur et celles formulées par un défendeur (« les demandeurs disposent du droit d’obtenir la production des preuves qui se rapportent à leur demande, sans avoir à désigner des éléments de preuve précis [et les] défendeurs [doivent pouvoir] demander aux demandeurs de produire des preuves »). D’autre part, le considérant 39 de cette directive énonce que l’auteur de l’infraction devrait avoir la possibilité d’utiliser les preuves « détenues » par d’autres parties ou des tiers.

71.      En deuxième lieu, le considérant 39 de la directive 2014/104 n’est pas exhaustif dans la mesure où il se réfère aux « preuves autres que celles en [possession de l’auteur de l’infraction], telles que les preuves déjà acquises au cours de la procédure ou celles détenues par d’autres parties ou des tiers » (25). En tout état de cause, la référence aux preuves détenues par l’autre partie ou des tiers semble résulter non pas de la volonté de limiter les preuves dont la production peut être demandée, mais de celle de juxtaposer les preuves en possession de l’auteur de l’infraction et celles en possession d’autres personnes.

72.      En troisième lieu, certes, le considérant 14 de la directive 2014/104 mentionne, dans le contexte des preuves nécessaires pour démontrer le bien-fondé d’une demande de dommages et intérêts, que les preuves sont non pas toujours mais « dans bien des cas » détenues exclusivement par la partie adverse ou des tiers. En l’espèce, il s’agit d’une illustration qui est ensuite utilisée pour exposer le problème auquel la directive 2014/104 cherche à remédier. En effet, il ressort de ce considérant 14 que des exigences juridiques strictes faisant obligation aux demandeurs d’exposer précisément tous les faits de l’affaire au début de l’instance et de produire des éléments de preuve bien précis à l’appui de leur demande peuvent indûment empêcher l’exercice effectif du droit à réparation. En tout état de cause, ce considérant semble plutôt plaider en faveur d’une réponse affirmative à la présente question préjudicielle.

73.      En quatrième lieu, le considérant 28 de la directive 2014/104, qui concerne l’article 6, paragraphe 9, de celle-ci, emploie les termes « preuves existant indépendamment de la procédure engagée par une autorité de concurrence » pour se référer aux preuves autres que celles visées à l’article 6, paragraphes 5 et 6, de cette directive. Il s’agit donc de toute preuve dont la production n’est pas automatiquement interdite par ladite directive, en vertu de ces dispositions, en raison de l’intérêt de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère publique (26).

74.      Pour pouvoir fournir une réponse à la présente question préjudicielle, il ne suffit donc pas d’examiner, de manière isolée, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 et les considérants de celle-ci qui concernent la problématique faisant l’objet de cette disposition.

75.      La directive 2014/104 contient plusieurs définitions qui doivent être utilisées pour déterminer le sens de ses dispositions et, en particulier celui de son article 5, paragraphe 1, qui concerne la production de preuves pertinentes.

76.      La pertinence des preuves semble se traduire par l’existence d’un rapport entre la preuve demandée et la demande de dommages et intérêts (27), tandis que la notion de « preuve », dont l’interprétation est essentielle pour la réponse à donner à la présente question préjudicielle, est définie à l’article 2, point 13, de la directive 2014/104.

77.      Selon cette définition, la notion de « preuve » se réfère à « tous les moyens de preuve admissibles devant la juridiction nationale saisie, en particulier les documents et tous les autres éléments contenant des informations, quel qu’en soit le support ». A priori, cette définition semble donc utiliser, de manière interchangeable, les trois notions de « preuve », de « moyens de preuve » et d’« élément contenant des informations ».

78.      En outre, la définition de la notion d’« informations préexistantes », figurant à l’article 2, point 17, de la directive 2014/104, ajoute à ces trois notions interchangeables celle d’« informations ». En effet, cette notion est définie comme toute « preuve » qui existe indépendamment de la procédure engagée par une autorité de concurrence.

79.      Les notions employées dans la directive 2014/104 et leur définition, utilisées dans le cadre de cette directive de manière interchangeable et peu cohérente, ne permettent donc pas non plus d’apporter une réponse univoque à la présente question préjudicielle. Cependant, compte tenu du fait que la directive 2014/104 semble employer les notions de « preuve » et d’« informations » de manière interchangeable, l’interprétation textuelle de cette directive ne s’oppose pas, en principe, à ce que l’article 5, paragraphe 1, de celle-ci, dans la mesure où cette disposition concerne la production des « preuves pertinentes qui se trouvent en [possession du défendeur ou d’un tiers] », soit interprétée en ce sens que ladite directive permet aux juridictions nationales d’ordonner la production de documents que la partie à laquelle la demande d’informations est adressée devrait créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession. En tout état de cause, aux fins de l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie.

3.      Sur l’interprétation systématique

80.      L’article 6 de la directive 2014/104, intitulé « Production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence », précise, à son paragraphe 4, que les juridictions nationales adoptent des injonctions de productions d’informations, lorsqu’elles statuent sur les demandes introduites par les parties (28).

81.      Par ailleurs, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2014/104, il est possible d’ordonner, en vertu d’une telle injonction, la production de catégories pertinentes de preuves.

82.      Certes, comme l’observe la juridiction de renvoi (29), le considérant 16 de la directive 2014/104 indique qu’une telle catégorie pertinente de preuves devrait être identifiée par référence à des caractéristiques communes de ses éléments constitutifs et mentionne, à cet égard, « la période durant laquelle [les documents dont la production est demandée] ont été établis ». Ce considérant contient plusieurs références qui, le cas échéant, peuvent s’avérer utiles pour identifier une catégorie pertinente de preuves, sans toutefois être exhaustif. En outre, il se réfère également à l’objet ou au contenu des éléments constitutifs d’une catégorie pertinente de preuves. Pour se conformer à une injonction portant sur une catégorie de preuves ainsi identifiée, la personne visée par cette injonction doit, en principe, procéder à une recherche focalisée sur l’information demandée.

83.      Dans cette logique, selon l’article 5, paragraphe 3, sous b), de la directive 2014/104, lors de l’examen de la proportionnalité des demandes de productions des preuves, les juridictions nationales sont tenues de prendre en considération, en particulier, l’« étendue et le coût de la production de preuves, en particulier pour les éventuels tiers concernés, y compris afin d’éviter toute recherche non spécifique d’informations dont il est peu probable qu’elles soient pertinentes pour les parties à la procédure ». Il en résulte que le législateur de l’Union a tenu compte du fait que, pour pouvoir se conformer à une injonction de productions d’informations, il peut parfois être nécessaire d’accomplir des tâches allant au-delà de la simple communication des éléments contenant des informations.

84.      Se pose donc la question de savoir si de telles tâches peuvent consister en une agrégation ou en une classification des informations, des connaissances ou des données. Compte tenu du fait que l’interprétation textuelle de la directive 2014/104, notamment en raison des différences existant entre les versions linguistiques de celle-ci (30), ne permet pas d’apporter une réponse à cette question, et du fait que l’interprétation systématique ne donne qu’un indice en faveur d’une réponse affirmative à cette question, il y a lieu de se tourner maintenant vers l’interprétation téléologique de cette directive.

4.      Sur l’interprétation téléologique

85.      Comme le font valoir les demanderesses au principal, l’interprétation téléologique de la directive 2014/104, qui prend en compte la finalité de celle-ci, doit conduire à la conclusion qu’il est nécessaire d’appliquer avec efficacité les règles de concurrence et, à cette fin, de fournir aux parties lésées des outils efficaces pour équilibrer l’asymétrie de l’information. En effet, cette directive fait référence, à plusieurs reprises, à ses deux objectifs : l’effectivité de la mise en œuvre de telles règles par la sphère privée (31) et le fait de remédier à une telle asymétrie (32).

86.      En se prononçant en faveur de l’approche préconisée par les demanderesses au principal, le gouvernement espagnol et la Commission indiquent que l’accès aux informations utiles et authentiques va dans le sens de la nécessité de garantir l’effet utile des articles 101 et 102 TFUE, et du droit à réparation intégrale, réaffirmée à l’article 3 de la directive 2014/104.

87.      Par ailleurs, ces parties font valoir que, comme l’indique le considérant 4 de la directive 2014/104, la nécessité de disposer de moyens de recours procéduraux effectifs découle également du droit à une protection juridictionnelle effective, prévu à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

88.      En revanche, le gouvernement néerlandais soutient que le fait d’obliger une partie à la procédure ou des tiers, sur le fondement de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104, à produire des preuves ex novo perturberait l’équilibre entre l’intérêt du demandeur d’obtenir les informations pertinentes et l’intérêt de la personne qui produit les informations.

89.      Toutefois, dans la mesure où elle concerne la production des preuves, la directive 2014/104 contient un mécanisme de mise en balance des intérêts en jeu, sous le contrôle strict des juridictions nationales, surtout en ce qui concerne la pertinence des preuves demandées (33) et la nécessité et la proportionnalité des mesures relatives à leur production (34). À cette fin, l’article 5 de cette directive énonce des critères relatifs à l’exercice de ce contrôle. Cela faisant, les juridictions nationales ont l’obligation de tenir compte également des intérêts légitimes (35) et des droits fondamentaux des parties et des tiers (36).

90.      Plus important encore du point de vue de l’interprétation téléologique : exclure d’emblée la faculté de demander la production de documents que la partie à laquelle la demande d’informations est adressée devrait créer ex novo conduirait, dans certains cas, à la création d’obstacles insurmontables pour la mise en œuvre des règles de concurrence de l’Union par la sphère privée. Il est donc plus conforme à l’esprit de l’objectif de la directive 2014/104, qui vise à remédier à l’asymétrie de l’information, de reconnaître cette faculté et de circonscrire ses applications pratiques à travers l’examen des demandes de production de preuves, tout en conférant le rôle central aux juridictions nationales.

91.      Qui plus est, en l’espèce, les défenderesses au principal elles-mêmes acceptent qu’il puisse leur être demandé de fournir des données suffisamment précises disponibles dans leurs systèmes, dans le respect des principes de nécessité et de proportionnalité, et avec une protection adéquate de la confidentialité des informations. Une fois ces informations divulguées, les demanderesses au principal pourraient les traiter de la manière qu’elles jugent appropriée pour fonder leur demande.

92.      Toutefois, il est possible que la communication de nombreuses pièces, contraire aux exigences de pertinence, de proportionnalité et de nécessité, conduise à une obstruction procédurale et, en réalité, ne remédie pas à l’asymétrie d’information qui caractérise la mise en œuvre des règles de concurrence par la sphère privée. Comme le font valoir les demanderesses au principal, se voir fournir des documents bruts, éventuellement très nombreux, ne correspondant qu’imparfaitement à la demande et agrégés selon des modalités connues uniquement de leur auteur, pourrait priver de facto l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 de son effet pratique. Dans une telle situation, il peut être nécessaire de désigner un expert pour effectuer le travail que l’auteur des documents aurait pu faire lui-même à moindre effort et à moindre coût.

93.      Par conséquent, l’interprétation téléologique de la directive 2014/104 plaide en faveur d’une réponse affirmative à la présente question préjudicielle.

5.      Conclusion intermédiaire

94.      À la lumière de l’argumentation exposée ci-dessus, eu égard aux résultats insatisfaisants de l’interprétation textuelle et en prenant en considération les conclusions univoques découlant de l’interprétation systématique et de l’interprétation téléologique, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que la production de « preuves pertinentes », au sens de la première phrase de cette disposition, vise également les documents que la partie à laquelle la demande d’informations est adressée peut être amenée à créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession. Les juridictions nationales doivent, en tout état de cause, limiter la production de preuves à ce qui est pertinent, proportionné et nécessaire, en tenant compte des intérêts légitimes et des droits fondamentaux de cette partie.

95.      Dans ce cadre (37), les juridictions nationales peuvent prendre en compte, à titre d’illustration, la période pour laquelle la production de preuves est demandée (38) ainsi que l’existence d’alternatives consistant en une agrégation ou en une classification des informations fournies par la partie visée par l’injonction de production d’informations par les soins d’un expert ou de la partie qui a demandé leur production (39).

96.      Cette interprétation n’est pas remise en cause par les arguments résiduels présentés par les défenderesses au principal et le gouvernement néerlandais.

6.      Sur l’argument tiré des pouvoirs de la Commission

97.      Les défenderesses au principal constatent que, dans le cadre de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère publique, la Commission peut uniquement demander aux entités visées par une enquête de fournir les documents y afférents qui sont en leur possession (40). Elles se réfèrent, à cet égard, à la jurisprudence de la Cour ainsi qu’aux conclusions dans l’affaire HeidelbergCement/Commission, dans lesquelles l’avocat général Wahl aurait estimé que la notion de « renseignement » ne peut être étendue jusqu’à exiger des entreprises d’accomplir des tâches relevant de la constitution d’un dossier (41).

98.      Je suis sensible à cet argument, par lequel les défenderesses au principal semblent faire valoir que, en ce qui concerne la production de preuves, les droits d’une personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence ne sauraient, en principe, être plus étendus que les pouvoirs dont dispose la Commission dans la mise en œuvre du droit de la concurrence à l’initiative de cette institution.

99.      Toutefois, en premier lieu, il y a lieu de relever que ces pouvoirs de la Commission comportent des pouvoirs vastes d’enquête (42) et que les entreprises soumises à une enquête sont tenues à une obligation de coopération active avec cette institution.

100. En deuxième lieu, la jurisprudence à laquelle se réfèrent les défenderesses au principal concernait un problème juridique différent de celui soulevé par le présent renvoi préjudiciel. En effet, elle concernait la question de savoir si la Commission peut demander la production de documents qui se trouvent en possession d’une entreprise faisant l’objet d’une enquête même si ceux-ci sont susceptibles de servir à établir, à l’encontre de cette entreprise, l’existence d’un comportement anticoncurrentiel. La Cour a répondu par l’affirmative à cette question. Certes, cette réponse est subordonnée à la condition que la Commission ne peut exiger des réponses par lesquelles une entreprise soit amenée à admettre l’existence de l’infraction. Toutefois, on ne saurait en déduire que, a contrario, il n’est en aucun cas possible de demander la production de documents en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession.

101. En troisième lieu, en ce qui concerne les conclusions de l’avocat général Wahl auxquelles les défenderesses au principal font référence, il n’en ressort pas davantage que la Commission ne peut, en aucun cas, demander la production de tels documents. En effet, le problème juridique analysé par l’avocat général concernait la question de savoir si la Commission est en droit d’exiger des entreprises la présentation des renseignements selon des instructions spécifiques et contraignantes. Dans l’affaire dans laquelle ces conclusions ont été présentées, il s’agissait d’un contexte spécifique qui, pour l’avocat général, se traduisait en une « externalisation » de la constitution du dossier auprès de l’entreprise visée par l’enquête (43). Or, même dans ce contexte, l’avocat général n’a pas exclu le fait que la Commission peut exiger des renseignements que cette entreprise devait formaliser (44).

102. En conséquence, l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 selon laquelle cette disposition vise également les preuves créées ex novo ne saurait être circonscrite par une argumentation fondée sur la thèse selon laquelle les pouvoirs de la Commission sont plus restreints.

7.      Sur l’argument tiré du régime de sanctions

103. Le gouvernement néerlandais déduit du fait que l’article 8 paragraphe 1, sous b), de la directive 2014/104 prévoit une sanction pour la destruction de preuves que seules les preuves préexistantes peuvent constituer des preuves pertinentes, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de cette directive.

104. Je ne suis pas convaincu par cet argument. Si, en effet, il n’est pas possible de détruire une preuve qui n’existe pas, il est toutefois possible de refuser de produire une telle preuve et, le cas échéant, de ne pas respecter une injonction de production de preuves émanant d’une juridiction nationale, cette situation étant visée à l’article 8, paragraphe 1, sous a), de la directive 2014/104. On ne saurait donc arguer que cette directive ne prévoit pas des sanctions relatives aux preuves qui doivent être créées ex novo et en déduire que de telles preuves ne relèvent pas de l’article 5, paragraphe 1, de celle-ci.

105. Sans préjudice des remarques supplémentaires qui précèdent, relatives aux arguments développés par les défenderesses au principal et le gouvernement néerlandais, je maintiens la position que j’ai avancée au point 94 des présentes conclusions.

VI.    Conclusion

106. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle unique posée par le Juzgado de lo Mercantil no 7 de Barcelona (tribunal de commerce no 7 de Barcelone, Espagne) de la manière suivante :

L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne doit être interprété en ce sens que la production de « preuves pertinentes », au sens de la première phrase de cette disposition, vise également les documents que la partie à laquelle la demande d’informations est adressée peut être amenée à créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession.

Les juridictions nationales doivent, en tout état de cause, limiter la production de preuves à ce qui est pertinent, proportionné et nécessaire, en tenant compte des intérêts légitimes et des droits fondamentaux de cette partie.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1).


3      Voir point 9 de la communication de la Commission relative à la protection des informations confidentielles par les juridictions nationales dans les procédures de mise en œuvre des règles de concurrence de l’Union européenne sur l’initiative de la sphère privée (JO 2020, C 242, p. 1).


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45).


5      Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne [COM(2013) 404 final].


6      Voir, notamment, arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany (C‑567/18, EU:C:2020:267, point 22).


7      Voir Marcos, F., « Transposition of the Antitrust Damages Directive into Spanish Law », Working Paper IE Law School, 2018, AJ8‑241-I, p. 28. Il semble s’agir, selon cette disposition du droit espagnol et cet auteur, d’un délai de 20 jours à compter de la date à laquelle la demande de production de preuves a été accueillie.


8      Conformément à l’article 283 bis, sous e), du code de procédure civile, en l’absence de l’introduction d’une action au fond, la juridiction nationale condamne d’office la partie ayant demandé la production de preuves aux dépens et la déclare responsable des dommages qu’elle a causés à la personne contre laquelle les mesures ont été prises.


9      Aux termes de cette disposition, « [l]es États membres veillent à ce qu’aucune disposition nationale adoptée en application de l’article 21, autre que celles visées au paragraphe 1, ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale a été saisie avant le 26 décembre 2014 ».


10      Voir Malinauskaite, J., Cauffman, C., « The Transposition of the Antitrust Damages Directive in the Small Member States of the EU – A Comparative Perspective », Journal of European Competition Law & Practice, 2018, vol. 9, no 8, p. 501.


11      Voir Kirst, P., « The temporal scope of the damages directive : a comparative analysis of the applicability of the new rules on competition infringements in Europe », European Competition Journal, 2020, vol. 16, no 1, p. 113, et Petr, M., « Czech Republic », Piszcz, A. (éd.), Implementation of the EU Damages Directive in Central and Eastern European Countries, University of Warsaw Faculty of Management Press, Warsaw, 2017, p. 98. Voir également, en ce sens, mais de manière moins catégorique, Rodger, B.J., Sousa Ferro, M., Marcos, F., « A Panacea for Competition Law Damages Actions in the EU ? A Comparative View of the Implementation of the EU Antitrust Damages Directive in sixteen Member States », Maastricht Journal of European and Comparative Law, 2019, vol. 26, no 4, p. 488 et 489.


12      Notamment les versions en langues anglaise et française, qui indiquent que les États membres veillent à ce qu’il soit possible de présenter une demande de production de preuves dans les « procédures relatives aux actions en dommages et intérêts intentées dans l’Union » (mise en italique par mes soins), tandis que la version en langue polonaise, notamment, se réfère à la « procédure en action en dommages et intérêts » (« w postępowaniu o odszkodowanie »).


13      Notamment la version en langue polonaise (« przed sądem krajowym, do którego wpłynęło powództwo »).


14      Notamment la version en langue française.


15      Voir, également, document de travail des services de la Commission concernant les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence de l’Union (Commission staff working paper accompanying the White paper on damages actions for breach of the EC antitrust rules [SEC(2008) 404 final], auquel se réfère le livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante. Au point 95 de ce document de travail, la Commission a déclaré ne pas proposer clairement un système de divulgation préalable au procès trop large, qui pourrait ne pas s’adapter facilement à la tradition juridique et aux principes de la procédure civile des États membres et pourrait entrer en conflit avec les principes d’ordre public de certains États membres.


16      Arrêt du 14 juin 2011 (C‑360/09, EU:C:2011:389).


17      Voir Commission Staff Working, Document – Impact Assessment Report, Damages actions for breach of the EU antitrust rules Accompanying the proposal for a directive of the European Parliament and of the Council on certain rules governing actions for damages under national law for infringements of the competition law provisions of the Member States and of the European Union [SWD(2013) 203 final], disponible seulement en langue anglaise.


18      Dans cette veine, le considérant 22 de la directive 2014/104, qui porte sur la production des preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence, concerne la situation dans laquelle un demandeur « envisage d’introduire une action ». La formulation de ce considérant, invoquée au point 37 des présentes conclusions à l’appui de l’interprétation défendue ici, est clairement inspirée par l’arrêt du 6 juin 2013, Donau Chemie e.a. (C‑536/11, EU:C:2013:366, point 33), qui, lui-même, se réfère à l’arrêt du 14 juin 2011, Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389).


19      Voir article 6, paragraphe 1, de la directive 2014/104.


20      Voir, dans ce contexte, considérant 7, troisième et quatrième phrases, de la directive 2014/104, selon lequel « [les] différences génèrent une incertitude quant aux conditions dans lesquelles les parties lésées peuvent exercer le droit à réparation que leur confère le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et portent atteinte à l’effectivité substantielle de ce droit. Étant donné que les parties lésées se tournent souvent vers les juridictions de l’État membre dans lequel elles sont établies pour réclamer des dommages et intérêts, les divergences entre règles nationales entraînent une situation d’inégalité en matière d’actions en dommages et intérêts et peuvent donc nuire à la concurrence sur les marchés où ces parties lésées, ainsi que les entreprises contrevenantes, exercent leurs activités ». Voir également, en ce sens, considérants 8 et 9 de cette directive.


21      Notamment lorsqu’il existe un lien entre une demande de production de preuves et une demande de dommages et intérêts tel que celui retenu en droit espagnol, qui se traduit notamment par une obligation d’introduire, sous peine de sanctions, une action en dommages et intérêts dans un délai de 20 jours. Voir note en bas de page 8 des présentes conclusions.


22      Certes, certains auteurs de la doctrine considèrent qu’une demande de production de preuves préalable à une demande de dommages et intérêts n’est pas de nature procédurale, dans la mesure où elle confère un droit de solliciter la production de preuves dans le cadre d’une procédure isolée. Voir, notamment, Kirst, P., « The temporal scope of the damages directive : a comparative analysis of the applicability of the new rules on competition infringements in Europe », European Competition Journal, 2020, vol. 16, no 1, p. 113 et 114. Toutefois, cette approche, contrairement à celle que je propose aux points 38 à 43 des présentes conclusions, part de la prémisse selon laquelle une demande de production de preuves introduite avant une demande de dommages et intérêts ne relève pas du champ d’application de la directive 2014/104.


23      En faisant référence, à l’instar de la juridiction de renvoi, au considérant 14 de la directive 2014/104, qui indique que « les preuves nécessaires pour démontrer le bien-fondé d’une demande de dommages et intérêts sont détenues exclusivement par la partie adverse ou des tiers et ne sont pas suffisamment connues du demandeur », le gouvernement néerlandais ajoute que, conformément au considérant 28 de cette directive, les juridictions nationales devraient pouvoir ordonner à tout moment, dans le cadre d’une action en dommages et intérêts, la production des preuves « existantes » indépendamment de la procédure engagée par une autorité de concurrence. En outre, ce gouvernement fait référence au considérant 39 de ladite directive, qui indique que la charge de la preuve ne devrait pas avoir d’incidence sur la possibilité de l’auteur de l’infraction d’utiliser des preuves autres « que celles en sa possession, telles que les preuves déjà acquises au cours de la procédure ou celles détenues par d’autres parties ou des tiers ».


24      Le gouvernement néerlandais se réfère au projet de la directive 2014/104, dans lequel la Commission a indiqué que « seul un juge peut ordonner la divulgation d’éléments de preuve détenus par la partie adverse ou un tiers, divulgation dont la nécessité, l’étendue et la proportionnalité sont soumises à un contrôle juridictionnel strict et actif ».


25      Mise en italique par mes soins.


26      Pour la même raison, la définition de la notion d’« informations préexistantes », figurant à l’article 2, point 17, de la directive 2014/104, ne contient pas d’indices utiles pour fournir une réponse à la présente question préjudicielle, si ce n’est ceux relatifs à l’usage interchangeable des notions d’« informations » et de « preuve ». Voir point 78 des présentes conclusions.


27      Voir considérant 15, seconde phrase, de la directive 2014/104, selon laquelle « [l]es litiges ayant trait au droit de la concurrence se caractérisant par une asymétrie de l’information, il y a lieu de veiller à ce que les demandeurs disposent du droit d’obtenir la production des preuves qui se rapportent à leur demande, sans avoir à désigner des éléments de preuve précis » (mise en italique par mes soins).


28      Aux termes de l’article 6, paragraphe 4, sous b), de la directive 2014/104, « [l]orsqu’elles évaluent, conformément à l’article 5, paragraphe 3, la proportionnalité d’une injonction de production d’informations, les juridictions nationales tiennent, en outre, compte [...] [de] la question de savoir si la partie qui demande la production d’informations le fait dans le cadre d’une action en dommages et intérêts introduite devant une juridiction nationale » (mise en italique par mes soins). En outre, l’article 5, paragraphe 7, de la directive 2014/104 précise, à tout le moins dans la version en langue française, que les « États membres veillent à ce que les personnes à qui une demande de production de preuves est adressée aient la possibilité d’être entendues avant qu’une juridiction nationale n’ordonne la production d’informations en application [de cet article] » (mise en italique par mes soins). Ladite disposition confirme donc que les notions de « preuve » et d’« informations » sont utilisées de manière interchangeable dans le cadre de la directive 2014/104. Plus important encore, elle confirme également que les juridictions nationales statuant sur les demandes de production de preuves ordonnent la production d’informations.


29      Voir point 61 des présentes conclusions.


30      Voir note en bas de page 28 des présentes conclusions.


31      Voir, avant tout, article 1er, paragraphe 1, de la directive 2014/104, selon lequel cette directive énonce certaines règles nécessaires pour faire en sorte que toute personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence puisse exercer effectivement son droit de demander réparation intégrale de ce préjudice.


32      Voir considérants 15, 46 et 47 de la directive 2014/104.


33      Voir point 76 des présentes conclusions.


34      Voir considérant 16 de la directive 2014/104.


35      Selon l’article 5, paragraphe 3, deuxième phrase, de la directive 2014/104, lorsqu’elles déterminent si une demande de production de preuves soumise par une partie est proportionnée, les juridictions nationales tiennent compte des intérêts légitimes de l’ensemble des parties et tiers concernés.


36      Voir, en ce sens, article 5, paragraphe 7, de la directive 2014/104, selon lequel les États membres veillent à ce que les personnes à qui une demande de production de preuves est adressée aient la possibilité d’être entendues avant qu’une juridiction nationale n’ordonne la production d’informations en application de cet article. Voir, également, considérant 53 de cette directive.


37      À cet égard, sans formuler une question portant sur l’examen de la proportionnalité, la juridiction de renvoi relève que, dans l’hypothèse où la Cour se prononcerait en faveur d’une interprétation large de l’article 5 de la directive 2014/104, la réponse qui sera donnée à sa question préjudicielle sera également pertinente en ce qui concerne cet examen, dès lors qu’elle sera susceptible de donner une indication quant à l’étendue de la proportionnalité. Je me borne donc à fournir des illustrations qui, compte tenu des circonstances de la procédure au principal, peuvent s’avérer utiles pour la juridiction de renvoi.


38      En l’espèce, l’entente constituant le fait générateur du dommage allégué a été établie par la Commission comme ayant duré 14 ans en ce qui concerne les défenderesses au principal (du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011), tandis que les demanderesses au principal demandent une liste de prix portant sur une période de 28 ans (du 1er janvier 1990 au 30 juin 2018).


39      Voir point 92 des présentes conclusions.


40      Voir arrêt du 29 juin 2006, Commission/SGL Carbon (C‑301/04 P, EU:C:2006:432, point 41). Voir, également, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 61).


41      Conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire HeidelbergCement/Commission (C‑247/14 P, EU:C:2015:694, point 106).


42      Voir articles 17 à 21 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).


43      Voir conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire HeidelbergCement/Commission (C‑247/14 P, EU:C:2015:694, point 122).


44      Voir conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire HeidelbergCement/Commission (C‑247/14 P, EU:C:2015:694, point 117).

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