Coca-Cola European Partners Deutschland (Judgment) French Text [2022] EUECJ C-257/21 (07 July 2022)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/C25721.html
Cite as: EU:C:2022:529, ECLI:EU:C:2022:529, [2022] EUECJ C-257/21

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ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

7 juillet 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Article 153 TFUE – Protection des travailleurs – Directive 2003/88/CE – Aménagement du temps de travail – Travail de nuit – Convention collective prévoyant une majoration de rémunération pour le travail de nuit réalisé de manière régulière inférieure à celle fixée pour le travail de nuit effectué de manière occasionnelle – Égalité de traitement – Article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux »

Dans les affaires jointes C‑257/21 et C‑258/21,

ayant pour objet les demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), par décisions du 9 décembre 2020, parvenues à la Cour le 22 avril 2021, dans les procédures

Coca-Cola European Partners Deutschland GmbH

contre

L.B. (C‑257/21),

R.G. (C‑258/21),

LA COUR (septième chambre),

composée de M. J. Passer, président de chambre, M. F. Biltgen et Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Coca-Cola European Partners Deutschland GmbH, par Me C. Böttger, Rechtsanwalt,

–        pour L.B. et R.G., par M. R. Buschmann et Mme A. Kapeller, Prozessbevollmächtigte,

–        pour la Commission européenne, par M. B.-R. Killmann  et Mme D. Recchia, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9), ainsi que de l’article 20 et de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant Coca-Cola European Partners Deutschland GmbH (ci-après « Coca-Cola ») à L.B. (affaire C‑257/21) et à R.G. (affaire C‑258/21) (ci-après, ensemble, les « intéressés ») au sujet de la majoration de rémunération due, en application d’une convention collective, pour les heures de travail de nuit effectuées.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        L’article 3, paragraphe 1, de la convention (no 171) sur le travail de nuit, 1990, de l’Organisation internationale du travail (OIT) (ci-après la « convention de l’OIT sur le travail de nuit »), dispose :

« Les mesures spécifiques exigées par la nature du travail de nuit, qui comprendront au minimum celles mentionnées aux articles 4 à 10 ci-après, doivent être prises en faveur des travailleurs de nuit en vue de protéger leur santé, de leur faciliter l’exercice de leurs responsabilités familiales et sociales, de leur assurer des chances de développement de carrière et de leur accorder les compensations appropriées. De telles mesures doivent également être prises sur le plan de la sécurité et de la protection de la maternité en faveur de tous ceux qui effectuent un travail de nuit. »

4        L’article 8 de cette convention prévoit :

« Les compensations accordées aux travailleurs de nuit en matière de durée du travail, de salaire ou d’avantages similaires doivent reconnaître la nature du travail de nuit. »

 Le droit de l’Union

5        La directive 2003/88 a été adoptée sur le fondement de l’article 137, paragraphe 2, CE, devenu article 153, paragraphe 2, TFUE.

6        Les considérants 1, 2 et 4 à 6 de cette directive énoncent :

« (1)      La directive 93/104/CE du Conseil[,] du 23 novembre 1993[,] concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail [(JO 1993, L 307, p. 18)], qui fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail, applicables aux périodes de repos journalier, aux temps de pause, au repos hebdomadaire, à la durée maximale hebdomadaire de travail, au congé annuel ainsi qu’à certains aspects du travail de nuit, du travail posté et du rythme de travail, a été modifiée de façon substantielle. Il convient, dans un souci de clarté, de procéder à une codification des dispositions en question.

(2)      L’article 137 [CE] prévoit que la Communauté [européenne] soutient et complète l’action des États membres en vue d’améliorer le milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Les directives adoptées sur la base dudit article doivent éviter d’imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu’elles contrarieraient la création et le développement de petites et moyennes entreprises.

[...]

(4)      L’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique.

(5)      Tous les travailleurs doivent disposer de périodes de repos suffisantes. La notion de repos doit être exprimée en unités de temps, c’est-à-dire en jours, heures et/ou fractions de jour ou d’heure. Les travailleurs de la Communauté doivent bénéficier de périodes minimales de repos – journalier, hebdomadaire et annuel – et de périodes de pause adéquates. Il convient, dans ce contexte, de prévoir également un plafond pour la durée de la semaine de travail.

(6)      Il convient de tenir compte des principes de l’[OIT] en matière d’aménagement du temps de travail, y compris ceux concernant le travail de nuit. »

7        L’article 1er de ladite directive, intitulé « Objet et champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente directive fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail. »

8        L’article 7 de la même directive dispose :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2.      La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. »

9        L’article 8 de la directive 2003/88, intitulé « Durée du travail de nuit », énonce :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que :

a)      le temps de travail normal des travailleurs de nuit ne dépasse pas huit heures en moyenne par période de vingt-quatre heures ;

b)      les travailleurs de nuit dont le travail comporte des risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes ne travaillent pas plus de huit heures au cours d’une période de vingt-quatre heures durant laquelle ils effectuent un travail de nuit.

Aux fins du point b), le travail comportant des risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes est défini par les législations et/ou pratiques nationales ou par des conventions collectives ou accords conclus entre partenaires sociaux, compte tenu des effets et des risques inhérents au travail de nuit. »

10      Aux termes de l’article 9 de cette directive, intitulé « Évaluation de la santé et transfert au travail de jour des travailleurs de nuit » :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que :

a)      les travailleurs de nuit bénéficient d’une évaluation gratuite de leur santé, préalablement à leur affectation et à intervalles réguliers par la suite ;

b)      les travailleurs de nuit souffrant de problèmes de santé reconnus, liés au fait que ces travailleurs accomplissent un travail de nuit, soient transférés, chaque fois que cela est possible, à un travail de jour pour lequel ils sont aptes.

2.      L’évaluation gratuite de santé visée au paragraphe 1, [sous] a), doit respecter le secret médical.

3.      L’évaluation gratuite de santé visée au paragraphe 1, [sous] a), peut faire partie d’un système national de santé. »

11      L’article 10 de ladite directive, intitulé « Garanties pour travail en période nocturne », prévoit :

« Les États membres peuvent subordonner le travail de certaines catégories de travailleurs de nuit à certaines garanties, dans des conditions fixées par les législations et/ou pratiques nationales, pour des travailleurs qui courent un risque de sécurité ou de santé lié au travail durant la période nocturne. »

12      L’article 11 de la même directive, intitulé « Information en cas de recours régulier aux travailleurs de nuit », dispose :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que l’employeur qui a régulièrement recours à des travailleurs de nuit informe de ce fait les autorités compétentes, sur leur demande. »

13      L’article 12 de la directive 2003/88, intitulé « Protection en matière de sécurité et de santé », énonce :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que :

a)      les travailleurs de nuit et les travailleurs postés bénéficient d’un niveau de protection en matière de sécurité et de santé, adapté à la nature de leur travail ;

b)      les services ou moyens appropriés de protection et de prévention en matière de sécurité et de santé des travailleurs de nuit et des travailleurs postés soient équivalents à ceux applicables aux autres travailleurs et soient disponibles à tout moment. »

14      Aux termes de l’article 13 de cette directive, intitulé « Rythme de travail » :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que l’employeur qui envisage d’organiser le travail selon un certain rythme tienne compte du principe général de l’adaptation du travail à l’homme, notamment en vue d’atténuer le travail monotone et le travail cadencé en fonction du type d’activité et des exigences en matière de sécurité et de santé, particulièrement en ce qui concerne les pauses pendant le temps de travail. »

 Le droit allemand

15      L’article 3 du Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland (loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne), du 23 mai 1949 (BGBl. 1949 I, p. 1), dans sa version applicable aux litiges au principal, dispose :

« (1)      Tous les êtres humains sont égaux devant la loi.

(2)      Hommes et femmes sont égaux en droits. L’État encourage la réalisation dans les faits de l’égalité de droits entre hommes et femmes et agit en vue de la suppression des désavantages existants.

(3)      Nul ne doit être discriminé ou privilégié en raison de son sexe, de son ascendance, de sa race, de sa langue, de sa patrie et de son origine, de sa croyance, de ses opinions religieuses ou politiques. Nul ne doit être discriminé en raison de son handicap. »

16      L’article 7 du Manteltarifvertrag zwischen dem Verband der Erfrischungsgetränke-Industrie Berlin und Region Ost e.V. und der Gewerkschaft Nahrung-Genuss­Gaststätten Hauptverwaltung (convention collective générale conclue entre l’Union de l’industrie des boissons rafraîchissantes de Berlin et de la région Est e.V. et le Bureau central du syndicat « Alimentation, dégustation, établissements de restauration »), du 24 mars 1998 (ci-après le « MTV »), prévoit, à ses paragraphes 1 et 3, relatifs aux « Majorations de rémunération pour le travail effectué pendant la nuit, les dimanches et les jours fériés » :

« 1.      Les majorations de rémunération suivantes sont payées pour le travail effectué pendant la nuit, les dimanches et les jours fériés :

Heures supplémentaires à partir de 41 heures par semaine      25 %

Heures supplémentaires de nuit à partir de 41 heures par semaine      50 %

Travail de nuit effectué de manière régulière à partir de l’année 1998      17,5 %

Travail de nuit effectué de manière régulière à partir de l’année 1999      20 %

Travail de nuit effectué de manière occasionnelle à partir de l’année 1998            40 %

Travail de nuit effectué de manière occasionnelle à partir de l’année 1999            50 %

[...]

3.      Les majorations de rémunération sont calculées sur la base de la rémunération globale prévue par la convention collective. »

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

17      Les intéressés ont effectué du travail posté de nuit pour Coca-Cola, une entreprise de l’industrie des boissons qui a conclu une convention collective d’entreprise avec la Gewerkschaft Nahrung-Genuss-Gaststätten (syndicat Alimentation, dégustation, établissements de restauration), aux termes de laquelle elle est liée par les dispositions du MTV.

18      L.B. a effectué, pendant la période allant du mois de décembre 2018 au mois de juin 2019, du travail de nuit de manière régulière, au sens du MTV, pour lequel elle a bénéficié d’une majoration de rémunération de 20 % par heure.

19      R.G. a effectué, au mois de décembre 2018 et au mois de janvier 2019 ainsi que pendant la période allant du mois de mars au mois de juillet 2019, du travail de nuit de manière régulière, au sens du MTV, pour lequel sa rémunération a été majorée de 25 % par heure.

20      Estimant que, en prévoyant une majoration de rémunération pour le travail de nuit effectué de manière occasionnelle plus élevée que celle fixée pour le travail de nuit réalisé de manière régulière, le MTV instaurait une différence de traitement contraire au principe d’égalité de traitement, au sens de l’article 3 de la loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne, ainsi que de l’article 20 de la Charte, les intéressés ont chacun introduit un recours devant l’Arbeitsgericht (tribunal du travail, Allemagne) du ressort juridictionnel dont ils relevaient en l’occurrence, en vue d’obtenir, pour les périodes concernées, le versement du montant correspondant à la différence entre les rémunérations qu’ils ont perçues et celles dues en application des taux de majoration prévus par le MTV pour le travail de nuit effectué de manière occasionnelle. À cet égard, ils ont soutenu que les personnes travaillant régulièrement la nuit étaient exposées à des risques de santé et à des perturbations de leur environnement social sensiblement plus importants que celles travaillant la nuit seulement de manière occasionnelle.

21      Coca-Cola a considéré, au contraire, que le travail de nuit effectué de manière occasionnelle était beaucoup moins fréquent que le travail de nuit effectué de manière régulière et que la majoration de rémunération plus élevée applicable au travail de nuit effectué de manière occasionnelle était justifiée, notamment, par le fait que celui-ci impliquait généralement du travail supplémentaire. En outre, le travail de nuit effectué de manière régulière ouvrirait droit à des avantages supplémentaires, notamment en termes de congés. La majoration de rémunération plus élevée au titre du travail de nuit effectué de manière occasionnelle viserait non seulement à compenser les contraintes de ce type de travail, mais également à dissuader un employeur d’avoir recours à celui-ci en interférant de manière spontanée dans le temps libre et dans la vie sociale de ses employés.

22      Les recours introduits par les intéressés ayant été rejetés par l’Arbeitsgericht (tribunal du travail), ces derniers ont interjeté appel des jugements de cette juridiction devant le Landesarbeitsgericht Berlin-Brandenburg (tribunal supérieur du travail de Berlin-Brandebourg, Allemagne), lequel a reconnu leurs droits pour une partie des périodes concernées, mais les a déclarés forclos pour le surplus.

23      Coca-Cola a introduit des recours en Revision contre ces jugements devant le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi.

24      Cette juridiction s’interroge, dans l’hypothèse où la Charte serait applicable en l’occurrence, sur la compatibilité avec celle-ci d’une disposition d’une convention collective prévoyant une majoration de rémunération pour le travail de nuit, en particulier sur la question de savoir si la différence de traitement entre le travail de nuit effectué de manière régulière et le travail de nuit effectué de manière occasionnelle résultant de l’article 7, paragraphe 1, du MTV est conforme à l’article 20 de la Charte.

25      Dans ces conditions, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, formulées en des termes identiques dans les affaires C‑257/21 et C‑258/21 :

« 1)      Une disposition d’une convention collective met-elle en œuvre, au sens de l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la [Charte], la directive [2003/88], si cette disposition prévoit une compensation pour le travail de nuit effectué de manière occasionnelle plus élevée que celle prévue pour le travail de nuit effectué de manière régulière ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question :

Une disposition d’une convention collective qui prévoit une compensation pour le travail de nuit effectué de manière occasionnelle plus élevée que celle prévue pour le travail de nuit effectué de manière régulière est-elle conforme à l’article 20 de la [Charte], si cette disposition vise ainsi à compenser, outre les effets nocifs sur la santé du travail de nuit, les contraintes liées à la plus grande difficulté de planifier le travail de nuit effectué de manière occasionnelle ? »

 Sur la jonction des affaires C257/21 et C258/21

26      Par décision du président de la Cour du 26 mai 2021, les affaires C‑257/21 et C‑258/21 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

 Sur les demandes tendant à l’ouverture de la phase orale de la procédure

27      Par lettres déposées au greffe de la Cour le 10 mars 2022 et le 13 juin 2022, les intéressés ont demandé l’ouverture de la phase orale de la procédure, faisant valoir leur désaccord, d’une part, avec la décision de juger les affaires sans conclusions de l’avocat général et, d’autre part, avec les observations de la Commission européenne.

28      À cet égard, il convient de relever que la Cour, conformément à l’article 76, paragraphe 2, de son règlement de procédure, sur proposition de la juge rapporteure, l’avocat général entendu, a décidé de ne pas tenir d’audience de plaidoiries, estimant, à la lecture des observations déposées au cours de la phase écrite de la procédure, être suffisamment informée pour statuer dans les présentes affaires.

29      En outre, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 83 du règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner l’ouverture ou la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur sa décision, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

30      En l’occurrence, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

31      Par conséquent, il y a lieu de rejeter les demandes des intéressés tendant à l’ouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

32      La Commission soutient que les demandes de décision préjudicielle sont irrecevables, en raison du fait que la juridiction de renvoi n’aurait pas démontré que l’interprétation de la directive 2003/88 était nécessaire pour qu’elle puisse trancher les litiges au principal, les questions posées portant uniquement sur l’interprétation de la Charte. Or, dans la mesure où ces litiges échapperaient au champ d’application de la directive 2003/88, la question de l’interprétation de la Charte ne se poserait pas.

33      À cet égard, il convient de rappeler que la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE instaure une coopération étroite entre les juridictions nationales et la Cour, fondée sur une répartition des fonctions entre elles, et constitue un instrument grâce auquel la Cour fournit aux juridictions nationales les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher [arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 59 et jurisprudence citée].

34      Selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 60 et jurisprudence citée].

35      Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 61 et jurisprudence citée].

36      En l’occurrence, force est de constater qu’il ressort des demandes de décision préjudicielle ainsi que du libellé des questions posées que l’interprétation de la directive 2003/88 est nécessaire pour répondre à la question de savoir si l’article 7, paragraphe 1, du MTV met en œuvre cette directive, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

37      Dans ces conditions, les arguments invoqués par la Commission, qui ont trait à l’interprétation de la directive 2003/88 et qui relèvent dès lors de l’examen au fond des demandes de décision préjudicielle, ne sauraient renverser la présomption de pertinence des questions posées par la juridiction de renvoi (voir, par analogie, arrêt du 22 octobre 2020, Sportingbet et Internet Opportunity Entertainment, C‑275/19, EU:C:2020:856, point 36).

38      Par conséquent, les questions préjudicielles sont recevables.

 Sur la première question

39      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une disposition d’une convention collective prévoyant une majoration de rémunération pour le travail de nuit effectué de manière occasionnelle plus élevée que celle fixée pour le travail de nuit réalisé de manière régulière met en œuvre la directive 2003/88, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

40      Conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union et, selon une jurisprudence constante, la notion de « mise en œuvre du droit de l’Union », au sens de cette disposition, présuppose l’existence d’un lien de rattachement entre un acte du droit de l’Union et la mesure nationale concernée qui dépasse le voisinage des matières visées ou les incidences indirectes de l’une des matières sur l’autre, compte tenu des critères d’appréciation définis par la Cour (arrêt du 28 octobre 2021, Komisia za protivodeystvie na koruptsiyata i za otnemane na nezakonno pridobitoto imushtestvo, C‑319/19, EU:C:2021:883, point 44 et jurisprudence citée).

41      Dans ce contexte, la Cour a, notamment, conclu à l’inapplicabilité des droits fondamentaux de l’Union par rapport à une réglementation nationale en raison du fait que les dispositions de l’Union du domaine concerné n’imposaient aucune obligation spécifique aux États membres à l’égard de la situation en cause au principal. Dès lors, le seul fait qu’une mesure nationale relève d’un domaine dans lequel l’Union dispose de compétences ne saurait la placer dans le champ d’application du droit de l’Union et, par voie de conséquence, entraîner l’applicabilité de la Charte [arrêt du 14 octobre 2021, INSS (Pension de veuvage fondée sur le concubinage), C‑244/20, non publié, EU:C:2021:854, point 61 et jurisprudence citée].

42      Par ailleurs, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, lorsque les dispositions du droit de l’Union dans le domaine concerné ne réglementent pas un aspect et n’imposent aucune obligation spécifique aux États membres à l’égard d’une situation donnée, la disposition d’une convention collective conclue entre les partenaires sociaux quant à cet aspect se situe en dehors du champ d’application de la Charte et la situation concernée ne saurait être appréciée au regard des dispositions de cette dernière (arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT, C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981, point 53 ainsi que jurisprudence citée).

43      Il importe, dès lors, de vérifier si la directive 2003/88 réglemente la majoration de la rémunération des travailleurs pour le travail de nuit en cause au principal et impose une obligation spécifique à l’égard de telles situations.

44      En l’occurrence, la juridiction de renvoi estime, en substance, que l’article 7, paragraphe 1, du MTV est susceptible de relever, d’une part, des articles 8 à 13 de la directive 2003/88 et, d’autre part, de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 8 de la convention de l’OIT sur le travail de nuit, lus en combinaison avec le considérant 6 de cette directive.

45      Or, en premier lieu, il convient de mentionner que, exception faite de l’hypothèse particulière relative au congé annuel payé, visée à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, cette directive se limite à réglementer certains aspects de l’aménagement du temps de travail afin d’assurer la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, de telle sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs [voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija (Période d’astreinte dans un lieu reculé), C‑344/19, EU:C:2021:182, point 57, et du 9 mars 2021, Stadt Offenbach am Main (Période d’astreinte d’un pompier), C‑580/19, EU:C:2021:183, point 56].

46      En effet, il découle tant de l’article 137 CE, devenu article 153 TFUE, qui constitue la base juridique de la directive 2003/88, que du libellé même de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, lu à la lumière des considérants 1, 2, 4 et 5 de celle-ci, que ladite directive a pour objectif de fixer des prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs par un rapprochement des dispositions nationales concernant notamment la durée du temps de travail (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

47      Par ailleurs, conformément à son paragraphe 5, l’article 153 TFUE ne s’applique ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève, ni au droit de lock-out. Cette exception trouve sa raison d’être dans le fait que la fixation du niveau des rémunérations relève de l’autonomie contractuelle des partenaires sociaux à l’échelon national ainsi que de la compétence des États membres en la matière. Dans ces conditions, il a été jugé approprié, en l’état actuel du droit de l’Union, d’exclure la détermination du niveau des rémunérations d’une harmonisation au titre des articles 136 CE et suivants (devenus articles 151 TFUE et suivants) (arrêt du 15 avril 2008, Impact, C‑268/06, EU:C:2008:223, point 123 et jurisprudence citée).

48      Certes, les articles 8 à 13 de la directive 2003/88 portent sur le travail de nuit. Cependant, ces articles ne concernent que la durée et le rythme du travail de nuit (respectivement articles 8 et 13 de cette directive), la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs de nuit (articles 9, 10 et 12 de ladite directive) et l’information des autorités compétentes (article 11 de la même directive). Lesdits articles ne réglementent dès lors pas la rémunération des travailleurs pour le travail de nuit et n’imposent, par conséquent, aucune obligation spécifique aux États membres à l’égard des situations en cause au principal.

49      En second lieu, il y a lieu de relever que l’article 3, paragraphe 1, et l’article 8 de la convention de l’OIT sur le travail de nuit, lus en combinaison avec le considérant 6 de la directive 2003/88, n’imposent pas non plus, en vertu du droit de l’Union, des obligations spécifiques aux États membres concernant la majoration de la rémunération des travailleurs pour le travail de nuit.

50      Certes, l’article 3, paragraphe 1, de la convention de l’OIT sur le travail de nuit prévoit que des mesures spécifiques exigées par la nature du travail de nuit doivent être prises en faveur des travailleurs, y compris le fait de leur accorder les compensations appropriées, tandis que l’article 8 de cette convention dispose que les compensations accordées aux travailleurs de nuit en matière de durée du travail, de salaire ou d’avantages similaires doivent reconnaître la nature du travail de nuit.

51      Toutefois, il convient de relever que, l’Union n’ayant pas ratifié ladite convention, cette dernière n’a pas, par elle-même, de valeur juridique contraignante dans l’ordre juridique de l’Union et que le considérant 6 de la directive 2003/88 ne confère pas non plus d’effet contraignant à la même convention (voir, par analogie, arrêt du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 64).

52      Partant, la majoration de la rémunération des travailleurs pour le travail de nuit en cause au principal, prévue à l’article 7, paragraphe 1, du MTV, ne relève pas de la directive 2003/88 et ne saurait être considérée comme mettant en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

53      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question qu’une disposition d’une convention collective prévoyant une majoration de rémunération pour le travail de nuit effectué de manière occasionnelle plus élevée que celle fixée pour le travail de nuit réalisé de manière régulière ne met pas en œuvre la directive 2003/88, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

 Sur la seconde question

54      Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

 Sur les dépens

55      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

Une disposition d’une convention collective prévoyant une majoration de rémunération pour le travail de nuit effectué de manière occasionnelle plus élevée que celle fixée pour le travail de nuit réalisé de manière régulière ne met pas en œuvre la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.

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